Une petite histoire toute drôle avec des trous de mémoire Pour

Transcription

Une petite histoire toute drôle avec des trous de mémoire Pour
Une petite histoire toute drôle avec des trous de mémoire
Pour Jacques Bobin
« Monsieur ! Monsieur ! » ou alors « Maître ! Maître ! » La p’tite Maryse ne sait plus comment elle l’appelait. Peutêtre qu’elle ne l’appelait pas… Elle a quelque chose à lui demander.
Bon, les Roudoudou, c’était avant : quand elle apprenait à lire avec Rémi et Colette et leur tulipe rouge qu’ils ne
lâchaient jamais et la maman qui coupait la tulipe et Rémi qui jouait avec son mécano. Et elle adorait Roudoudou, un
drôle de petit journal avec les aventures de Roudoudou qui était un chevreau qui faisait plein de bêtises mais après ça
lui retombait toujours dessus. Et le maître prêtait les Roudoudou quand on avait bien travaillé, autrement on lisait les
livres du bibliobus mais c’était moins bien.
Mais c’est fini, maintenant elle lit « Amadou le bouquillon » : tiens, encore une histoire de chèvre. Elle les aime
bien, les chèvres, celles de sa mémé. Après l’école, pour le goûter, elle boit de l’antésite et elle mange du pain avec du
chocolat Cémoi qu’elle a acheté au café-épicerie Combier , où il faut passer entre les tables avec des messieurs qui
causent très fort et qui rient encore plus fort et elle aime pas trop ça, et après c’est le magasin où on sent une odeur
extraordinaire, ça sent tout mélangé le poulet rôti, le vin rouge, la toile cirée, le vieux bois, le papier, le fromage, la cire,
les pommes de terre, et sûrement elle n’oubliera jamais de sa vie cette odeur-là. Et des fois on va voir du cinéma au
café-épicerie Combier et le maître installe son appareil dans la cuisine et on voit plein de trucs rigolos ou des fois tristes.
Et des fois aussi, on va au concours de belote dans le café-épicerie Combier.
Après les quatre heures, quand sa mémé veut bien, elle peut aller « en champ aux chèvres », dans le bois, elle a
un peu peur, même si elle sait que le loup n’y est pas et qu’il ne la mangera pas. Mais elle caresse les chèvres et elle
pense à l’histoire d’Amadou qu’elle lit à l’école. Après, elle fait ses devoirs, elle apprend tout par cœur, les résumés
d’histoire (« Roland mourut à Roncevaux, pour son roi et pour la douce France. Sa défaite est aussi belle qu’une
victoire »), les règles de grammaire et d’orthographe (pfff, c’est même pas difficile, et dire que certains confondent
« et » ou « est » !). Parce qu’elle ne supporte pas de faire une faute en dictée, et elle veut être meilleure que la grande
fille qui est plus vieille et qui ne se trompe pas beaucoup. Et elle veut tout le temps que le maître soit content, parce
qu’il a des yeux très gentils et une voix très gentille aussi. Et lui il sait tout et il raconte plein de choses aux grands,
pendant les leçons de géographie, avec la carte où il y a les rivières et les montagnes et il faut deviner les noms, et aussi
les points cardinaux qui sont cachés dans les coins de la classe et aussi les tableaux des leçons de choses qui font rire ou
qui font peur, et les expériences dans des tubes.
Après elle regarde son beau livre avec les images qui se déplient toutes seules, « la belle au bois dormant » :
quand elle sera grande, elle sera une princesse et elle se mariera avec le prince charmant et ils auront beaucoup
d’enfants, enfin peut-être trois, c’est déjà pas mal. Et dans très longtemps elle sera peut-être grand-mère, comme la
grand-mère du petit chaperon rouge, mais ça c’est dans tellement longtemps que ça n’arrivera jamais, ce sera après la
fin du monde, après l’an 2000, quand les poules auront des dents, comme dit son pépé et des fois il lui chante « Petit
panier rose, petit panier blanc, c’est toi qu’es la cause de tout mon tourment… Ah Mad’moiselle que j’vous aime, que
j’vous aime ! » . Elle aime bien la musique, celle de Juliette qui joue de l’harmonium le dimanche à l’église, elle pédale
avec ses pieds et des fois elle fait un peu des fausses notes mais c’est comme si on ne les entendait pas parce qu’elle
chante si bien. Et aussi la vielle d’Alexis, qui donne envie de danser et quand elle sera grande elle dansera la bourrée, la
scottish et la mazurka.
Tout à l’heure, pendant la récré, le maître a fait jouer les grands au béret. Elle aime pas ça, elle est trop petite,
ils lui font peur les grands garçons comme Bernard, Michel ou Lucien : tous les grands sont en deux rangées face à face,
le maître annonce un numéro et il y en a deux qui arrivent, ils sont là, tout penchés, un bras dans le dos et l’autre qui
pend vers le béret noir, ils tournent autour, à petits pas, et les autres regardent, à se demander lequel va se jeter sur le
béret en premier et quand ça arrive ils poussent tous des grands cris de corbeaux affolés. Elle aime mieux jouer à « Tous
les légumes… au clair de lune… », avec Danièle, Evelyne, Odile, Suzanne et Marie.
Cet après-midi après la récré c’était récitation : elle aime bien les histoires, à lire et à écrire, et les jolies
récitations comme celle des deux escargots qui s’en vont à l’enterrement d’une feuille morte, même qu’ils ont du crêpe
autour des cornes et qu’ils sont arrivés trop tard, ou alors le bonheur est dans le pré cours-y vite il va filer, de pommier
en cerisier cours-y vite cours-y vite, et on a beau courir très vite et sauter par-dessus la haie à la fin le bonheur il a filé et
c’est bien dommage et ça fait un peu le cœur serré. Ou la belle récitation d’Alphonse de Lamartine qui a un drôle de
nom et aussi des châteaux pas loin d’ici : celle-là, elle a un peu de mal à la retenir mais elle y arrive quand même en
répétant beaucoup :
Autour du toit qui nous vit naître Un pampre étalait ses rameaux;
Ses grains dorés, vers la fenêtre, Attiraient les petits oiseaux.
Ma mère, étendant sa main blanche, Rapprochait les grappes de miel,
Et les enfants suçaient la branche, Qu'ils rendaient aux oiseaux du ciel.
Le soir elle mange la soupe et elle met une brique chaude dans un torchon blanc pour chauffer ses petons sous
le gros édredon. Et alors, avant de s’endormir, elle réfléchit. Elle a rendu sa « rédaction » après les vacances (elle aime
pas trop les vacances, elle s’ennuie, elle aime bien mieux l’école !) et elle se demande si le maître a été content de ce
qu’elle a fait. Elle s’est bien appliquée et elle a tout bien écrit et elle a fait un décor, comme les frises sur le cahier du
jour. Peut-être qu’il sera de bonne humeur avec sa fiancée et d’ailleurs c’est plus sa fiancée parce qu’ils se sont mariés,
et alors il ne sera pas trop sévère… Quand elle sera grande, elle veut devenir maîtresse d’école, comme Monsieur Bobin
et comme sa fiancée qui est si belle et qui n’est plus sa fiancée puisqu’ils se sont mariés.
Enfin elle voudrait bien savoir si elle aura une bonne note parce que s’il lui met moins de 5 sur 10, elle sera très
malheureuse. S’il est fier d’elle, il lui donnera un bon point, et peut-être même une image. L’autre fois c’était une fleur,
cette fois elle choisira un papillon. Et alors elle la rangera dans sa boîte à images, au fond de son cartable, entre l’ardoise
et le cahier de brouillon et elle sera très très heureuse. Le soir, dans sa chambre, elle ouvrira le cartable, elle ouvrira la
boîte à images, elle ouvrira la fenêtre, le papillon ouvrira ses ailes et il s’envolera pour toute la vie.
Pinocchio
Histoires pour
Bel-Gazou
Les lettres
Les
misérables
de mon moulin
Puck
Suzy et Solveig
Le petit chaperon rouge
Les contes
du chat perché
La Belle au bois dormant