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Nabil Benmansour Revue de presse L’affaire Dieudonné : la viralité du net pousse-­‐t-­‐
elle à une législation plus restrictive sur la liberté d’expression ? Retour sur les faits : L’affaire Dieudonné a été au cœur de la scène médiatique à la fin de l’année 2013. L’élément déclencheur est la diffusion le 19 décembre d’un extrait de son spectacle, dans le cadre de l’émission Complément d’enquête, où l’humoriste s’en prend Patrick Cohen : « Quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz…Dommage. » [1]. Cette attaque est une réponse à des propos de l’animateur qui considère qu’il ne faut pas inviter sur des plateaux de télévision des personnalités telles que Dieudonné ou Tariq Ramadan [2]. Quelques jours plus tard le ministre de l’intérieur, à l’époque Manuel Valls, affirme vouloir interdire les spectacles de Dieudonné. Le 8 janvier, un arrêté préfectoral interdit son spectacle mais le lendemain le tribunal administratif annule cette décision avant que Valls décide de faire appel. A moins de deux heures de son spectacle, le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative de France, prononce l’interdiction pour motif de « risques de troubles à l’ordre public ». Les spectateurs restent néanmoins devant le Zénith de Nantes, demandant la démission de Valls [3]. Cette affaire atteint le plus haut sommet de l’état car même le président Hollande condamne, sans le nommer, les propos antisémites de Dieudonné [4]. La gauche et la droite sont unanimes pour dénoncer l’humoriste, ils qualifient même la quenelle, geste exécuté dans tous ses spectacles et par ses fans, de « salut nazi inversé » [5]. La position du Front National est cependant plus ambiguë. Sa président, Marine Le Pen, condamne aussi bien Dieudonné que la censure à son égard, estimant que cet acharnement servait à camoufler le débat sur des questions plus importantes telles que le chômage. Quant aux communistes, ils considèrent que la censure, en plus d’être un atteinte à la liberté d’expression, a l’effet inverse c’est à dire qu’elle donne plus de visibilité à Dieudonné. Biographie de Dieudonné : Cette affaire est surprenante dans le sens où Dieudonné s’est fait connaître alors qu’il faisait des duos avec l’humoriste de confession juive Elie Semoun. A l’époque, les critiques de la presse étaient très bonnes [6], avant que le duo ne se sépare en 1997 [7]. De plus il s’était engagé politiquement contre le Front National [8] en ayant des idées de gauche, bien loin des propos qu’il tient actuellement, considérés comme antisémites. Il n’obtient néanmoins que 8% aux législatives à Dreux [9]. Son combat politique est assez fort car il créé même un « comité d’humoristes européens solidaires de leurs confrères pour soutenir Christoph Grisseman et Dirk Stermann, suspendus d’antenne en Autriche pour avoir tenu des propos désobligeants à l’encontre de Haider »[10], un homme politique autrichien d’extrême droite. Il se déclare même candidat aux élections présidentielles de 2002 dans « le courant d’action de Coluche » [11] et est crédité de 4% dans les sondages [12] avant de se retirer de la course par manque de parrainages. Ses premiers dérapages datent de 2002 : après avoir déclaré que DSK soutenait les intérêts d’Israël [13], il va jusqu’à faire l’éloge de Ben Laden [14]. L’image de Dieudonné dans les médias va définitivement basculer le 1er décembre 2003 lors de l’émission de Marc-­‐Olivier Fogiel, « On ne peut pas plaire à tout le monde », où il intervient déguisé en juif orthodoxe en évoquant un « axe américano-­‐sioniste »[15]. La presse est alors unanime pour dénoncer ses sketchs qui ne font « rire que lui » [16]. Analyse de l’affaire : L’affaire Dieudonné, en plus de montrer que l’antisémitisme existait toujours en France, a révélé les limites de la justice et de la liberté d’expression. En effet, son spectacle a été interdit pour prévenir le risque qu’un délit ne soit commis, ceci étant contraire aux principes du droit [17]. De plus l’interdiction de ses spectacles n’aurait pas l’effet souhaité car l’humoriste est très présent sur Internet, et l’interdire ne servirait qu’à lui donner plus de visibilité. Se pose alors la question de la possibilité de le censurer sur le Net. A cela, la ministre de la Culture répond que c’est de la responsabilité des hébergeurs tels Youtube de « retirer des passages ou des extraits antisémites ou négationnistes » [18]. Cependant, d’après la loi de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, les hébergeurs ne sont responsables de contenus illicites qu’à partir du moment où ils en ont connaissance. Il est donc impossible de forcer les sites Internet de cesser de diffuser toutes les vidéos de Dieudonné, où même de retirer toutes celles où est prononcé un propos illicite, quand bien même celui-­‐ci soit clairement explicite ce qui est rarement le cas. Enfin, certaines associations s’en prennent à l’algorithme d’affichage des « vidéos populaires » de Youtube. Ce dernier place régulièrement Dieudonné en tête des vidéos les plus vues, ce qui accroît la popularité du comique. Bibliographie : [1] Le Point, Comment l’affaire Dieudonné a t-­‐elle éclaté ? 11 janvier 2014 [2] Midi Libre, Propos antisémites de Dieudonné contre Patrick Cohen : Radio France saisit la justice, 20 décembre 2013 [3] Ouest France, Dieudonné à Nantes. Direct -­‐ Départ du polémiste et dispersion des fans, 9 janvier 2014 [4] Europe 1, Le spectacle de Dieudonné interdit dans plusieurs villes, 7 janvier 2014 [5] Le Monde, L’affaire Dieudonné, casse-­‐tête politique et juridique, 31 décembre 2013 [6] Sud Ouest, Elie et Dieudonné, 24 octobre 1996 [7] Le Figaro, Dieudonné à l’épreuve du one-­‐man-­‐show, 12 novembre 1997 [8] Le Figaro, Citoyen Dieudonné, 2 mai 1997 [9] Sud Ouest, Dieudonné en solo, 8 décembre 1998 [10] L’Humanité, Dieudonné, 9 mars 2000 [11] Libération, Dieudonné, candidat à la présidentielle, 1er décembre 2000 [12] L’Express, Présidentielle : le blues des outsiders, 22 février 2001 [13] Le Point, Dieudonné, 7 juin 2002 [14] Le Soleil, Le candidat Dieudonné loue le charisme de Ben Laden ! 16 février 2002 [15] Le Monde, Dérapages dans l’émission de Marc-­‐Olivier Fogiel, 3 décembre 2003 [16] L’Express, Dieudonné le comique qui dérape, 19 janvier 2004 [17] L’Express, Valls peut-­‐il légalement interdire Dieudonné de « réunions publiques » ? 17 février 2014 [18] L’Expansion, Peut-­‐on légalement interdire les vidéos de Dieudonné sur Youtube ? 4 février 2014