L`audience disciplinaire d`un avocat de Dieudonné

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L`audience disciplinaire d`un avocat de Dieudonné
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L’audience disciplinaire d’un avocat de Dieudonné
tourne au pugilat
le 9 mai 2014
AVOCAT | Déontologie
Vendredi, le conseil régional de discipline de la cour d’appel de Paris, avait à examiner le cas de Me
François Danglehant, l’un des avocats de Dieudonné, menacé de radiation.
Dieudonné a beaucoup d’avocats, car beaucoup d’ennuis avec la justice. Il arrive même que
certains de ses conseils soient eux-mêmes inquiétés, et c’est le cas de François Danglehant, avocat
au barreau de Seine-Saint-Denis. Même s’il s’agit pour lui d’affronter la justice de ses pairs.
Cette fois-ci – car Me Danglehant est coutumier de ces audiences – le conseil régional de discipline
se tenait à la maison du barreau de Paris. Une belle bâtisse dont le hall feutré ouvre sur un grand
escalier. C’est au deuxième étage, salle Gaston Monnerville, que l’avocat sera jugé, accusé d’avoir
insulté des magistrats ainsi que des confrères, et d’entraver le bon fonctionnement de la justice. Il
risque la radiation.
Il est arrivé en avance, bien accompagné. Des soutiens distribuent des tracts, certains filment,
caméra juchée sur un trépied. François Danglehant attend les « faussaires », appareil photo au cou.
Il scrute l’arrivée des avocats qui composeront son tribunal. Son regard est celui d’un combattant,
prêt à en découdre dans l’arène.
« Faussaires » ? Il accuse des avocats de son barreau de siéger sans titre. Ils auraient, selon lui,
contrefait les documents leur permettant de siéger à ce conseil de discipline, n’auraient aucune
légitimité, notamment Me François Detton, président de la formation. « C’est un procès politique »
répète-t-on à l’envi. Une cabale ourdie par une profession contre un confrère « qui dérange ». « On
essaie illégalement de me chasser de la profession d’avocat » martèle-t-il au micro de ses soutiens,
des militants qui s’improvisent journalistes.
Les avocats arrivent, poursuivis par les caméras. « Faussaires », « Franc-maçon », l’ambiance est à
la vindicte. « C’en est un ? C’est un faussaire ? Vous êtes qui ? », interroge un petit homme en
chemise rouge et à l’accent du sud, farouche soutien de l’avocat, puis s’excuse de sa méprise
(l’interrogé, un avocat parisien, était venu « soutenir »). Enfin, Dieudonné arrive.
Entouré de ses deux cerbères - accoutrés façon Black Muslim, le doigt nerveux sur l’oreillette - le
polémiste est venu épauler son avocat. Une foule épaisse se forme autour du duo, qui répond aux
questions de leurs propres militants. Joe le Corbeau est là, aussi. Puis le cortège s’ébranle, direction
la salle d’audience, comme une joyeuse bande part en découdre dans un camp retranché ;
s’engouffrant dans la salle, ils occupent tout l’espace, par terre, entre les « juges », derrière et aux
côtés du tribunal. Le président tente d’assurer la police de son audience, tout de suite rabroué par
les « bouuuuh » séditieux d’un auditoire de foire d’empoigne. Tout le monde filme, prend des
photos, se moque des récriminations du tribunal. Une vidéo sera publiée quelques heures après.
Me Danglehant sonne le gong, l’esclandre est lancé. Lui et tous les autres dénient au conseil sa
légitimité à le juger. Une sorte de défense de rupture, avec un peu moins de finesse que Jacques
Vergès – mais une opiniâtreté indéniable –, se met en place. Pierre Panet, un vieil homme en veste
militaire entame une diatribe entrecoupée des « hourrah ! » d’une foule surexcitée. « Ce n’est pas
une juridiction, je vous dénie cette qualité ! » entonne-t-il, le doigt rageur. Mais face au tribunal,
François Danglehant s’est avancé : « Tu n’es pas président du conseil de discipline, tu es un
faussaire ! Je te tutoie, car depuis St Louis, les faussaires, on les tutoie ! », lance le « persécuté ».
Puis, encore, il se rapproche, tel un matador, le pas de biais et le torse bombé, fixant de son regard
furieux le tribunal honni, se rue sur le bureau et arrache le dossier placé devant les juges, échappe
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à l’appariteur et brandi son trophée. L’audience a définitivement perdu tout sens commun.
Car il ne veut pas le rendre, le dossier. Il « cherche le contradictoire », sort des feuilles, les lit. Hors
de lui, il vocifère sur les avocats siégeant, totalement abasourdis. Il va les voir un par un, leur
demande de décliner leur identité, ce qu’ils refusent, le regard dans le vide, totalement médusés. À
l’un d’eux, Danglehant martèle en hurlant : « tu sors ! Tu sors ! », ce que la foule scande durant
vingt bonnes secondes. Me Detton, la mine déconfite, demande à « Monsieur Danglehant » de lui
rendre le dossier qui a « disparu ». « Mais non voyons, il n’a pas disparu » lui rétorque-t-il, d’une
humeur désormais badine, agitant le dossier : « il est là ! ».
Tout au long de cette audience carnaval, Me Danglehant accuse, dénonce, révèle ! Il respire fort,
ouvre grand les yeux, Le président s’est récusé, le président doit se récuser, on ne comprend pas
bien, il y a bisbille sur la nomination des avocats siégeant. Tout le monde interpelle les avocats
siégeant, des insultes fusent, des menaces, aussi : « qu’on les pende par les couilles ! », hurle un
homme assis à la droite d’un Dieudonné hilare. « Mais il n’en a point, jeune homme » le
relance-t-on de l’autre côté de la salle. C’est l’hallali ! Dans un brouhaha infernal, chacun jette son
insulte pour nourrir la vindicte ; personne ne s’écoute, les cris redoublent, « Franc-maçon !
Faussaire ! Délinquant ! Forfaiture ! Justice de cagoulard ! ». C’est du mauvais théâtre de boulevard
qui se joue. Les acteurs tourbillonnent. Une avocate totalement hystérique s’égosille au centre de
tout cela, elle a la voix cassé, elle hurle à s’en faire sauter les cordes vocales, parle de Guy
Georges, et de juges assassins. De loin, c’est elle la plus indignée.
L’audience est désormais placée entre l’assemblée générale estudiantine et le lynchage public sur
l’échelle de la discipline. On exige que le « président » Detton quitte la salle, les autres avec. « Je
vous demande de vous déporter ! » déclare-t-il dans un trait d’esprit sans appel (un juge récusé se
« déporte », c’est le terme). Pouffement dans l’assemblée qui cadence ses imprécations avec ce
délicat slogan. « Qu’il se déporte, qu’il prenne la porte ! » jette l’un ; « la fenêtre ! » crie l’autre.
Alors les avocats du conseil de discipline se lèvent, ôtent leur robe et quittent la salle. L’audience
est renvoyée, le fond du dossier n’aura pas été abordé. « C’était le but, on ne voulait pas que cette
formation illégale puisse rendre une décision » explique un militant. Certains estiment qu’à travers
lui, c’est Dieudonné qu’on tente de déstabiliser. Tous sont d’accord : il a voulu dénoncer des
pratiques illégales dans la magistrature, il en paye le prix.
L’épopée s’achève dans l’exubérance la plus totale. Un petit homme aux cheveux longs retire son
t-shirt, imite le gorille. Et c’est dans une Marseillaise vindicative, hurlée le poing levé que le «
Torero » Danglehant quitte sa panoplie d’avocat persécuté. Dehors, quelques policiers en patin à
roulettes sont venus sécuriser l’entrée, et la nuée de caméras déjà se jette sur le héros d’opérette.
par Julien Mucchielli
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