PRÉSENTATION - Editions Tchou

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PRÉSENTATION - Editions Tchou
L’ALCHIMIE DE LA PENSÉE
PRÉSENTATION
PIERRE ETÉVENON, POURQUOI AVEZ-VOUS ÉCRIT CE LIVRE ?
Cette question est primordiale. Il s’agit tout d’abord de l’homme et de ses
expériences de vie qui sont étudiées et décrites par les physiologistes et
chercheurs de diverses disciplines sous le nom d’« états de conscience »
qui restent à préciser. Il nous faudra ensuite choisir et préciser ces « états
de conscience » qui sont des objets d’études et de recherches des physiologistes et psychophysiologistes, des médecins et en particulier des psychiatres et des neurologues, des psychologues et des pharmacologues. Les
ouvrages scientifiques abondent sur ce thème, qu’ils soient pour un large
public intéressé (M. Jouvet, 1992 et 2000 ; P. Buser, 1998) ou spécialisés,
et nos références sont elles-mêmes un choix personnel nécessairement
limité. Un congrès international en l’honneur de Michel Jouvet intitulé
« Le paradoxe du sommeil : une histoire non terminée » s’est tenu à Lyon
en septembre 2003, dont les rapports et résumés sont cités sur le site
internet du Pr Jouvet. Ce Symposium international a été publié
ensuite dans un numéro spécial des Archives italiennes de biologie. Cet ouvrage
collectif (M. Jouvet, 2004) illustre bien le très grand développement
international et l’essor des recherches sur le sommeil en médecine ainsi
que sur le vaste sujet des états de conscience.
Cet ouvrage n’est pas une encyclopédie, nous choisirons donc trois
thèmes, trois domaines d’états de conscience que nous appellerons : les états
de conscience naturels, tels que l’éveil, le sommeil et le rêve; les états de conscience
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ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
altérés en pathologie mentale ou sous drogues et les états de conscience modifiés
par des pratiques de méditations et techniques apparentées. C’est là un
choix délibéré qui exclura, entre autres, les expérimentations contrôlées
par des protocoles stricts d’études récentes en neurosciences tels que
l’attention, les tâches mentales, les différents types d’intelligence et de
mémoires, les études de psychosociologie qui portent sur les caractères, les
tempéraments et les interactions sociales, celles de l’environnement hommemachine, ou bien encore des études de réalité virtuelle, etc.
confusion mentale, les amnésies et les démences, ainsi que les différents
stades de coma, dont le dernier s’achève par la mort. Les états de conscience
confus ou hallucinatoires relèvent à la fois de la psychiatrie et de la
pharmacologie des toxiques et stupéfiants, mais aussi de « l’expérience
sauvage » qui n’est pas éloignée des états de transe ni des états d’hypnose
qui sont étudiés par les ethnologues et sociologues. Les expériences proches
de la mort (Near Death Experiences, NDE) peuvent encore être considérées
comme des états altérés de conscience (R. Moody, 1980). Ce sont des états
particuliers où le sujet est proche de la mort réelle et où il doit souvent
choisir de lutter pour revenir à la vie et ne pas glisser dans la mort. Il s’en
souvient parfois parfaitement ensuite et parle de tunnel blanc dont il a dû
revenir. Une telle expérience semble mobiliser toutes les ressources de
l’être et les forces vives de son corps tout entier dans une absolue lucidité.
Mais extrêmement rares, ces états proches de la mort ne peuvent être
étudiés scientifiquement en laboratoire.
Présentation du chapitre I : Les états de conscience
Le champ de connaissances et d’expériences des états de conscience est
vaste et il dépend de la perspective, du point de vue à partir duquel nous
l’abordons et l’observons : soit d’une façon scientifique et objective, soit
au contraire en tant que sujet vivant une expérience unique, subjective et
individuelle, ici et maintenant. Ces deux approches, aux antipodes l’une
de l’autre, ne sont pourtant pas opposées ni réciproquement exclusives.
Chez l’homme, les « états de conscience » peuvent être considérés selon
trois critères : naturels, altérés, ou modifiés plus ou moins volontairement.
Les états de conscience modifiés volontairement
Les états de conscience altérés (cf. C. T. Tart) sont d’abord les états de
conscience pathologiques. Tels ceux qui sont étudiés en psychiatrie,
psychopathologie et neurologie, comme les psychoses, les délires et la
Toujours du domaine de l’expérience humaine, il est possible de qualifier
d’états de conscience modifiés volontairement les états de concentrations
et de méditations, ainsi que les « relaxations » selon différentes méthodes,
comme la sophrologie, le zen, les différentes pratiques de yoga. Ces états
modifiés de conscience sont pour nous différents des deux précédents états
naturels et altérés de la conscience humaine. Cela peut être recherché par
EEG quantitative et maintenant vérifié scientifiquement grâce aux récentes
méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, comme nous le verrons. C’est
pourquoi les méditateurs sont différents, tout comme ceux qui sont
capables de concentrations prolongées – tels sans doute les aiguilleurs du
ciel dans les tours de contrôle des aéroports, les surveillants d’installations
nucléaires, les commandants de bord. La maîtrise qu’ils ont acquise après
des années de pratique de méditations et de concentrations peut faire
l’objet d’études et de recherches scientifiques. Elle relève encore d’une
intériorité plus personnelle et donc plus subjective.
Parler d’états de conscience, c’est non seulement distinguer et tenter
d’analyser le plus objectivement possible des « états » différents de la
conscience. C’est aussi vivre et « être en conscience ». Ce dernier terme
de « conscience » est si fondamental qu’il peut apparaître comme base
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Les états de conscience naturels
Parler des états de conscience chez l’homme, c’est évoquer d’abord les états
de conscience naturels que nous vivons de jour comme de nuit : l’éveil,
l’endormissement, le sommeil, le rêve. C’est aussi tenir compte de certaines
conditions psychophysiologiques et de comportements, par exemple «l’état
d’être amoureux » ou bien encore « la plénitude de la femme enceinte »,
etc. Nous ne développerons pas ces derniers thèmes propres aux vécus
individuels, qui sont très bien étudiés par des psychologues connus et
spécialisés.
Les états de conscience altérés
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
fondatrice de l’expérience humaine et constitue donc, de ce fait, un des
thèmes majeurs en philosophie et tout particulièrement en métaphysique.
Au titre de l’expérience vécue, de « l’expérience intérieure » chère à Jung
et aux poètes, ce terme relève aussi des croyances et professions de foi qui
vont souvent en teinter l’approche. C’est ainsi que la « conscience »
concerne aussi bien le croyant des religions que l’athée ou le matérialiste
et le libre penseur, tout comme le rationaliste le plus convaincu. Chacun
abordera alors différemment, selon sa sensibilité et son engagement, tout
ce qui pourra se rapporter à la « conscience ». Cela sera souvent plus perçu
implicitement et valorisé émotionnellement chez le croyant qu’un simple
« concept » et « percept » mental auquel se référera plus spécifiquement
le rationaliste convaincu. Nous ne prendrons pas partie et respecterons les
positions de chacun. Nous adoptons ainsi, à titre personnel, une position
bien française de « laïcité politique » tout à fait neutre.
Après notre synthèse et conclusion viendront s’ajouter des « annexes »
plus techniques qui constitueront des compléments d’information plus
précis et détaillés à propos des « états de conscience ». Cette première
partie sur les états de conscience servira ensuite de cadre scientifique et
méthodologique pour introduire et présenter les deux autres parties de
cet ouvrage.
Damasio est proche du philosophe Spinoza, pour lequel l’esprit et le corps
sont indissociables. Nous verrons par la suite que c’est aussi la position
philosophique de Sri Aurobindo, auquel nous ferons référence dans la
troisième partie de ce livre.
De la physique contemporaine à la physiologie
des états de conscience
L’éminent neurologue Antonio Damasio, dans L’Erreur de Descartes,
présente la croissance du cerveau de l’homme depuis sa naissance, du point
de vue du développement des aires cérébrales en fonctionnement. Cette
croissance apparaît comme d’abord « fondée » sur les sensations et
perceptions, les fonctions et les actions qui concernent le corps, puis sur les
émotions, et enfin sur les pensées. Cela rejoint et complète l’hypothèse plus
ancienne des trois cerveaux de Mac Lean : le cerveau « physique », le
cerveau « limbique » et le cerveau « cortical », qui croissent particulièrement et au fur et à mesure au cours de l’enfance et de l’adolescence puis
de la vie adulte. Le romancier Arthur Koestler a écrit sur ce sujet un très
bel essai intitulé Le Cheval dans la locomotive. Damasio va à l’encontre du
dualisme cartésien qui sépare le corps et la raison, et c’est pourquoi il parle
de l’erreur de Descartes. Il s’y oppose aussi et va plus loin que ceux qui
voudraient encore réduire l’esprit humain au primat de la pensée et à de
froids calculs dignes d’un super-ordinateur, ce que Mac Lean avait appelé
auparavant « la tendance paranoïde chez l’homme » (1970). En un sens,
En 2005, année du centenaire d’Einstein, de nombreux livres sont parus
(de Closets, 2004 ; Damour, 2005 ; Einstein aujourd’hui, 2005), célébrant
à sa juste valeur la révolution de la physique que nous vivons quotidiennement à partir des applications du laser, du GPS, des cellules photoélectriques, etc. Les cycles de conférences de l’Université de tous les savoirs
et de l’Institut d’astrophysique de Paris nous ont familiarisés avec les
théories de la relativité restreinte et générale d’Einstein qui régit le cosmos
et le macrocosme et la mécanique quantique qui régit le microcosme et
l’infiniment petit. Lorsque nous avons un rendez-vous, nous notons sur
notre agenda le lieu et la date. Nous vivons dans un univers qui n’est pas
seulement notre espace habituel à trois dimensions qui définit un lieu, il
faut ajouter la dimension du temps. L’espace-temps d’Einstein est à quatre
dimensions et nous y sommes plongés tous les jours. Les physiciens
modernes remettent en cause le réel et ses « dimensions » qui ne cessent
de croître et de se diversifier (cf. G. Cohen-Tannoudji et E. Noël). Einstein
rechercha toute sa vie à unir la gravitation et ses deux théories de la
relativité avec la mécanique quantique issue des travaux de De Broglie,
Bohr et Heidelberg. La mécanique quantique s’applique à l’infiniment
petit, et commence même à quelques centièmes de millimètre. Les physiciens font appel à la mécanique quantique pour découvrir et expliquer
les « événements non locaux » qui sont imbriqués entre eux, ainsi que
pour interpréter les collisions des particules élémentaires dans les grands
appareils accélérateurs de particules, tel que le Cern à Genève. Il existe
encore actuellement des différences profondes de concepts entre les
physiciens de l’univers et du cosmos et ceux de l’atome et des structures
subatomiques. Les premiers triomphent en astrophysique et les seconds
dans les nouvelles recherches issues, en France, des expériences de l’équipe
d’Alain Aspect, à Orsay, qui donnèrent naissance à ce que l’on appelle la
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ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
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cryptographie quantique et l’informatique quantique (Einstein aujourd’hui).
Tous les physiciens considèrent quatre forces fondamentales dans notre
présent univers, qui furent sans doute unifiées au début du Big-Bang. Ils
recherchent, à la suite d’Einstein, une théorie de la grande unification de
ces quatre forces. Les théories actuelles des cordes, puis des supercordes
(cf. B. Greene) vont dans ce sens. Elles considèrent, non plus quatre
dimensions, mais des dimensions supplémentaires cachées, enroulées sur
elles-mêmes au-delà de notre espace-temps à quatre dimensions, dans des
espaces à dix et onze dimensions qui interviennent à des échelles de plus
en plus petites. Pour les physiciens théoriques et les mathématiciens
théoriciens de la physique, il est du domaine de la recherche de considérer
des espaces de dimensions supérieures. Qu’en est-il pour la physiologie
des états de conscience qui nous intéressent ici et pour leurs applications
concrètes que nous prendrons en compte ensuite ? Est-il possible de
transposer ces idées clés où « les théories logico-mathématiques définissent
le réel » à la suite de Kant, dans le champ de la physiologie et de la biologie
des états de conscience ? Il est encore trop tôt pour le dire. Nous allons
cependant voir que des électrophysiologistes considèrent des « microétats » et vont jusqu’à présenter des métaphores « d’atomes de pensée »
et de « quanta de pensée ». En fait, cela revient à préciser les échelles de
temps et d’espace des méthodes scientifiques employées.
Il nous faudra tout d’abord considérer attentivement les échelles
temporelles. Il existe des rythmes infradiens, des rythmes circadiens et
des rythmes ultradiens. Les rythmes infradiens sont ceux des rythmes de
croissance de plusieurs dizaines d’années et de plusieurs années et les
rythmes saisonniers. Les premiers ne doivent pas être traités comme les
rythmes saisonniers et encore moins des rythmes circadiens de vingt-quatre
heures. C’est ainsi que l’on distingue l’enfance, l’adolescence, l’état adulte
et la vieillesse chez l’homme. Mais l’âge biologique n’est pas le même que
l’âge cérébral ni l’âge psychologique. Les neurones, nos cellules cérébrales,
sont très complexes et nombreux (10 puissance 15 = 1 suivi de 15 zéros).
Il est d’usage courant de considérer que ces cellules, tout comme celles du
rein, ne se régénèrent pas et meurent progressivement sans être remplacées.
Très vite, après l’adolescence, nous perdons ainsi de nos neurones régulièrement chaque jour, mais la « plasticité » cérébrale des multiples connexions
des neurones et de leurs prolongements synaptiques compense avantageusement et très longtemps cette perte cellulaire inexorable.
Les rythmes saisonniers sont grandement liés à l’éclairement solaire.
Les psychiatres considèrent actuellement l’existence d’états dépressifs
saisonniers comme ceux liés à l’apparition de l’automne.
Les rythmes circadiens de vingt-quatre heures sont aussi dépendants
d’événements extérieurs comme l’éclairage ambiant et solaire, mais pas
seulement, puisqu’ils persistent dans l’obscurité totale avec une horloge
interne de durée supérieure à vingt-quatre heures. Ils sont liés à des rythmes
biologiques et biochimiques qui croissent ou décroissent en un jour et une
nuit. Les endocrinologues et les neurobiologistes étudient sur vingt-quatre
heures de nombreuses sécrétions d’hormones (cortisol, mélatonine, hormone
de croissance) qui régulent notre éveil et nos stades de sommeil ainsi que
nos comportements quotidiens. Beaucoup de ces hormones sont liées au
stress et un ouvrage leur a été consacré par rapport aux méthodes de
relaxation sophrologiques (cf. A. M. Brochet-Raymond et J.-P. Raymond).
Nous introduirons par la suite, à propos des états de conscience, les
cycles dits ultradiens de veille-sommeil de 90 à 100 minutes qui se répètent
régulièrement au cours d’une nuit de sommeil.
Nous verrons encore que des « événements électroencéphalographiques »
(EEG) brefs, des « micro-états » de l’ordre de 100 ms de durées temporelles
et moins, peuvent actuellement être considérés comme des « quanta » ou
« atomes de pensées élémentaires » qui conduisent à une « segmentation »
fine des processus mentaux explorés par des méthodes nouvelles
d’électroencéphalographie informatisée grâce à de nouveaux logiciels
d’analyse mathématique (cf. D. Lehmann, 1990 ; P. Etévenon, 1997 ;
P. Etévenon et al., 1999, C. M. Michel et al., 2004 ; J. P. Changeux et
C. M. Michel, 2005 in press).
Il y a toujours eu une séparation entre les chercheurs qui étudient
globalement le cerveau en fonctionnement et les chercheurs en physiologie
unitaire, ceux qui traquent les décharges électriques et biochimiques des
neurones et des synapses, qui dissèquent encore avec raffinement les
composants cellulaires des neurones, et participent au vaste domaine de
la génétique et de l’ingénierie moléculaire en plein essor. Les premiers
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Des différentes échelles de temps et d’espace
dans les études du fonctionnement cérébral
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
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ressemblent par analogie aux astrophysiciens et astronomes du cerveau,
tandis que les seconds sont des microphysiciens des composants de plus
en plus petits du cerveau. Les échelles explorées par les diverses méthodes
sont à l’avenant. C’est ainsi que la précision de localisation de l’imagerie
cérébrale 3D anatomique (IRM, IRMf) et métabolique (TEP) est maintenant de l’ordre de 5 mm, avec des échelles de temps qui vont de quelques
minutes à une seconde. En électrophysiologie, la cartographie EEG
actuelle, avec 128 et 256 électrodes sur le scalp, est moins bien résolue
spatialement que temporellement : jusqu’à une milliseconde, pour l’EEG
de surface et pour la magnétoencéphalographie 3D (MEG). Ces deux
grandes techniques d’études générales du cerveau global sont complémentaires et de plus en plus appliquées conjointement, sinon alternativement, chez de mêmes groupes de sujets et de patients. Les expérimentations changent aussi et se diversifient selon les disciplines et les techniques utilisées.
Pour les physiologistes, nos diverses sensations et perceptions sont
autant de domaines qui nous permettent d’appréhender le réel selon notre
environnement extérieur. Il est encore possible pour les psychologues et
les psychanalystes d’étudier nos expériences subjectives intérieures telles
que les rêves. Ils peuvent être aidés par des électrophysiologistes qui, dans
leurs laboratoires d’études du sommeil, sont capables de réveiller des sujets
à la fin d’une phase de sommeil paradoxal généralement associée à un vécu
de rêve. Mais tous nos sens peuvent participer à nos rêves en simulant
des activités oniriques qui restent cependant le for intérieur de l’intimité
du rêveur.
Maintenant, nous savons aussi que nos sens sont susceptibles d’apprentissages et de perfectionnements diurnes quotidiens. C’est ainsi qu’un
musicien à « l’oreille » entraînée peut distinguer, lire, composer et jouer
des notes et d’infimes variations harmoniques sur de multiples octaves.
L’œil exercé d’un fabricant de tissus tels que les tartans écossais peut
distinguer et assembler des trames de fils parmi des millions de couleurs
différentes. Le nez d’un créateur parfumeur peut composer sur des
mouillettes de papier-filtre des parfums complexes aux notes exquises et
uniques à partir d’un orgue de milliers d’odeurs qu’il a appris à connaître
et maîtriser. Le palais et la bouche d’un grand chef cuisinier ou d’un
œnologue reconnaîtront l’origine, le lieu et l’année d’un mets ou d’un cru,
jusqu’à la plus grande subtilité des bulles de champagne (cf. E. Zarifian
et al). Un acupuncteur ou un ostéopathe, un masseur-kinésithérapeute à
l’écoute du corps de ses patients, percevra des signes très discrets de
déséquilibre, de désordres qui sont la cause de douleurs ou de maladies
qu’il sera alors à même de soigner. Nos sens, nos sensations, puis nos
perceptions plus globales, sont en eux-mêmes des « univers de communications multidimensionnels » dans lesquels nous vivons et par lesquels
nous agissons. C’est encore plus vrai, semble-t-il, pour nos émotions,
pulsions, sentiments et pour nos pensées, concepts et idées, qui ne cessent
de se multiplier et d’interagir au cours de notre vie.
Alors, si nous vivons dans de tels univers multidimensionnels, ne
sommes-nous pas nous-mêmes multidimensionnels ? Par ces multiples
« dimensions », nous considérons des « qualités » différentes de domaines
divers (sensations, perceptions, émotions, pensées, etc.) par lesquels et dans
lesquels nous vivons et communiquons, tant dans notre environnement
qu’avec et qu’en nous-mêmes. Dans ce sens large, nous pouvons dire sans
se tromper que nous vivons, ressentons et agissons dans un univers multidimensionnel et pluridimensionnel. Il nous est alors possible d’« observer,
surveiller, contrôler et maîtriser » notre environnement et notre être tout
à la fois et, ainsi, de pouvoir « évoluer en conscience » tout au long de notre
vie. Existe-t-il alors des « modèles » de ce type à propos des « états de
conscience » qui nous intéressent tout d’abord, et pouvons-nous en proposer
d’analogues pour les deux applications que nous considérerons ensuite dans
la pratique de la sophrologie et du yoga ? Oui, il existe de tels modèles de
compréhension que nous préciserons par la suite.
Est-ce que finalement cette brève revue des états de conscience nous
conduira à nous poser la question : « Qu’est-ce que la conscience ? »
Forcément et nous ne pourrons l’éviter. Mais nous aborderons cette
question philosophique et métaphysique, qui est hors du domaine
scientifique pour beaucoup de chercheurs et universitaires, surtout lors
des deux dernières parties de ce livre qui sont, d’une part, une présentation
de la sophrologie et, d’autre part, une présentation du yoga tel qu’il est
pratiqué en Occident à partir des diverses sources d’origine indienne. Ces
deux méthodes peuvent être rassemblées sous le nom de « développement
personnel » et sont souvent pratiquées comme des techniques de « relaxation » conduisant à des états de conscience modifiés volontairement
permettant de diminuer les stress de la vie quotidienne et aussi d’« évoluer
en conscience », comme nous le verrons.
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ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
Au terme de cette étude, nous chercherons à établir une synthèse entre
nos trois parties, en partant d’un cas général pour finir par un cas particulier. Nous montrerons la complémentarité entre la sophrologie et les
concepts philosophiques développés par Sri Aurobindo (1872-1950) dans
sa Synthèse des yogas. Nous aurons ainsi exploré un peu plus cette notion
d’« être humain multidimensionnel » qui nous est chère, sans pour cela
tenter d’aucune manière une critique quelconque du matérialisme, ni du
spiritualisme, qui se rattache plus au domaine de la foi et de la religion.
Si, à la fin de ce livre, encore plus de questions se posent à nous, nous
aurons alors atteint en partie notre objectif, qui est celui de chercheurs
épris de toujours plus de connaissances et donc de questions nouvelles.
Chaque fois que cela est possible, le travail en groupe est recommandé,
de même que les techniques de relaxation dynamique.
BERNARD SANTERRE, POURQUOI AVEZ-VOUS ÉCRIT CE LIVRE ?
La sophrologie existe maintenant depuis plus de quarante ans et a fait ses
preuves dans tous les domaines intéressant l’être humain. De nombreux
ouvrages sont parus sur cette discipline ainsi que de nombreux articles
dans des revues spécialisées ou de grande vulgarisation.
Les approches en sont variées, souvent parcellaires, les interprétations
fréquemment éloignées de sa réalité théorique et pratique.
Nous souhaitons présenter ici une méthode précise, claire, s’appuyant
sur des années de pratique en clientèle et de formation de praticiens.
Notre souci est avant tout l’efficacité, hors de toute querelle d’école ou
d’idéologie.
L’entraînement est nécessaire, comme dans n’importe quelle discipline,
artistique, sportive ou autre, mais ce n’est pas une fin en soi. Le but de la
sophrologie est de développer progressivement la capacité à vivre le présent,
dans toutes ses dimensions, sensorielles, perceptives, émotionnelles, dans
les activités ordinaires du quotidien.
À partir de la qualité de présence ainsi conquise, le passé cesse d’être
un bagage trop souvent encombrant et devient un véritable réservoir
d’expériences. De même, il est possible d’envisager l’avenir autrement que
comme une répétition sans fin d’un passé qui ne veut pas mourir ou comme
quelque chose de forcément angoissant puisque inconnu.
La personne prend sa vie en main, ose s’affirmer dans sa réalité propre
et dans le respect d’elle-même et de l’autre.
La relation au monde se transforme et permet à chacun d’être plus actif
et efficace dans la vie de tous les jours.
Les techniques proposées sont simples à mettre en œuvre, mais elles
demandent malgré tout un minimum d’apprentissage avec un sophrologue
compétent ; la sophrologie ne s’apprend pas dans les livres.
Nous tenons à préciser dès maintenant que la sophrologie est plus une
pédagogie qu’une thérapie, étant entendu qu’elle aura fréquemment des
effets thérapeutiques. Le sophrologue ne travaille pas sur le symptôme, il
aide la personne à mieux se connaître, à se renforcer, à dynamiser ses
capacités, ses potentiels, à donner du sens à son existence.
Il ne s’agit pas de rêve éveillé, ni de psychothérapie, au sens traditionnel
du terme. Les visualisations ne sont qu’un aspect très parcellaire de la
sophrologie.
La simplicité d’une méthode entraîne fréquemment le doute quant
à son efficacité, la difficulté apparaissant généralement comme un gage
de fiabilité. Ici, pas de difficulté, si ce n’est la répétition, qui ne reçoit
pas non plus l’adhésion des masses. Répétition rime trop souvent avec
ennui. Or, objectivement, chaque fois que nous respirons ou effectuons
un pas, chaque fois que nous réalisons quelque chose, c’est réellement
la première fois, même si nos structures cérébrales reconnaissent
l’événement et nous laissent à penser que « je connais cela », que « je
l’ai déjà fait ».
Si nous parvenons à nous placer, ne serait-ce que de temps à autre au
cours de la journée, et bien sûr dans l’entraînement, dans la dynamique
de la première fois, l’ennui n’existe plus. Nous sommes riches de nos
expériences passées et nous nous enrichissons des expériences présentes,
quelles qu’elles soient. Notre regard sur nous-même et sur le monde se
transforme.
La sophrologie s’adresse à toute personne, en bonne santé, qui a envie
de le rester, à celle qui désire mieux se connaître, ou qui se trouve
confrontée à une épreuve, voulue ou non, ou encore à celle qui souffre et
désire se prendre davantage en charge.
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ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
Au cours d’une séance, le niveau de vigilance se modifie, le niveau de
conscience également. Les travaux sur la physiologie donnent un éclairage
tout à fait intéressant sur le phénomène.
Mais l’être humain se réduit-il à un simple fonctionnement organique ?
Les apports du yoga ont enrichi la sophrologie, lui donnant sa dimension existentielle.
Ainsi donc, partant de données physiologiques, contrôlables, la
personne qui pratique la sophrologie découvre d’autres possibilités d’existence qui lui permettent de vivre en harmonie avec elle-même et son
environnement.
L’histoire de l’hypnose est longue et mouvementée. On peut considérer
qu’elle remonte à la nuit des temps.
Déjà, les Grecs anciens utilisaient la parole incantatoire pour modifier
l’état de conscience des personnes souffrantes et obtenir un effet curatif.
En Europe, pendant longtemps, la parole n’était pas le vecteur de l’hypnose. Les méthodes pratiquées étaient la grande et la petite passe magnétique,
la fixation et la fascination. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’on a eu
recours à la parole, parole suggestive, persuasive, monotone et monocorde.
Parmi les nombreux pionniers de l’hypnose moderne, il faut citer Franz
Anton Mesmer (1734-1815), qui parle de magnétisme animal et utilise
son fameux baquet, le marquis Armand de Puysegur (1751-1825), James
Braid (1795-1860), qui créa le mot « hypnose », Auguste Liebault (18231904), Jean-Martin Charcot (1825-1893), célèbre pour les « mardis de la
Salpêtrière » et ses travaux sur l’hystérie, Hippolyte Bernheim (18371919), fondateurs de l’École de Nancy et Émile Coué (1857-1926), qui a
montré l’efficacité de l’autosuggestion.
Sigmund Freud (1856-1939) et Carl Gustav Jung (1875-1961) se sont
également intéressés à l’hypnose avant de s’en détourner.
L’hypnose, longtemps déconsidérée (entre autres à cause de l’hypnose
pratiquée dans le cadre du music-hall), a trouvé un second souffle grâce à
l’Américain Milton Erickson (1901-1980), qui l’a modernisée et
sérieusement revisitée (cf. M. Erickson ; G. Salem).
Erickson commence par travailler en hypnose classique, avec l’utilisation d’un type d’induction dite « universelle » qu’il juge assez vite comme
un leurre. Il choisit alors l’induction personnalisée, c’est-à-dire adaptée
en permanence à ce qui vient de la personne.
C’est son travail sur les névroses traumatiques lors de la Seconde Guerre
mondiale qui fait évoluer plus nettement sa méthode : en effet, à ce
moment-là, il utilise l’hypnose comme catharsis pour faire revivre la
situation traumatisante.
Il définit sa méthode comme une hypnose sans hypnose : c’est le patient
qui « fait », sans formalisation de la part de l’hypnothérapeute, en partant
du principe que le patient sait ce qui est bon pour lui et qu’il est plus
pertinent d’utiliser ce qu’il y a de bon en lui. Par le biais de cette prise de
position, Erickson définit alors son travail comme une thérapie stratégique.
L’hypnose ericksonienne, dont l’objectif est identique à celui de toutes les
techniques qui utilisent les états modifiés de conscience, s’affirme
davantage comme technique à médiation langagière, avec tout un éventail
de stratégies de communication.
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Présentation du chapitre II : La sophrologie et ses sources
Introduction
À l’origine, la sophrologie était définie comme « l’étude de la conscience
humaine (états et niveaux) et des moyens de la faire varier ».
Elle se fonde sur la capacité qu’a tout être humain de modifier volontairement ses états de conscience afin d’obtenir une action thérapeutique
ou d’aller vers une meilleure gestion de sa vie.
Elle constitue un ensemble de techniques mises au point dans les années
soixante par un médecin neuro-psychiatre colombien, Alfonso Caycedo,
à partir de l’hypnose, de diverses méthodes de relaxation occidentales
– training autogène de Schultz (1965), relaxation différentielle de Jacobson
(1948) – et de l’application de la phénoménologie à la psychiatrie (cf.
L. Binswanger).
Pour se démarquer de l’hypnose, il crée le néologisme « sophrologie »
et met au point des techniques originales qu’il nomme « sophronisations ».
Puis il s’initie au yoga et au zen lors d’un long séjour en Orient, et
propose alors une synthèse entre les méthodes occidentales et orientales.
Ainsi naissent les « relaxations dynamiques ».
L’apport de l’hypnose
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
Pour Erickson, ce qui pose problème, c’est la conscience qui cherche des
solutions classiques et qui s’obstine dans des chemins inopérants: un patient
est quelqu’un qui ne sait plus apprendre par rapport à son problème.
L’hypnose ericksonienne a pour but de permettre à la personne de
déconnecter certaines vigilances, de détourner son activité cérébrale, de
focaliser l’attention sur autre chose pour accéder à la transformation ; le
processus de dissociation permet la prise de conscience qu’une partie de
nous-même peut agir de manière différente. L’hypnose ericksonienne,
comme l’hypnose classique, est un mode spécifique de communication et
d’interaction différent de la relation ordinaire et qui s’adresse à la partie
non langagière du cerveau.
L’intérêt de l’hypnose ericksonienne est qu’elle permet des thérapies
brèves.
La communication en hypnose ericksonienne
Pour ce faire, le thérapeute utilise une communication non verbale
particulière qui s’appuie sur des techniques de lien : la mise en miroir, la
position et les postures, la synchronisation respiratoire et vocale.
En ce qui concerne le verbal, la caractéristique essentielle du flux verbal
du thérapeute, c’est l’abondance, et la caractéristique essentielle du
contenu, c’est la confusion et la métaphore.
Le thérapeute décrit ce qu’il voit du patient et ce qu’il imagine : il
s’appuie sur ses observations des réactions, des retours, du non-verbal,
pour faire évoluer sa parole. Il questionne, il est celui qui ne sait pas.
Il utilise un langage analogique, largement connotatif et différents
procédés comme :
– le saupoudrage (parsemer son discours de termes d’un même champ
lexical),
– les truismes, les gratifications, les connotations positives,
– la suggestion directe, indirecte, l’implicitation,
– le choix illusoire, les séquences d’acceptation,
– la métaphore : elle permet d’opérer un changement dans le sens habituel
des mots. Elle est proche de la comparaison, mais au contraire de la
comparaison qui pose explicitement la relation entre le comparant et le
comparé, la métaphore se libère d’un des deux objets. Cela explique son
choix comme outil thérapeutique : c’est une image qui semble éloignée
du réel, qui le figure autrement et qui, cependant, parle de la même chose.
Le patient peut donc se laisser aller dans le processus proposé par la
métaphore puisqu’il ne reconnaît pas son problème, qu’il ne se fige donc
pas à nouveau devant lui et qu’étant cependant au cœur du problème, il
peut le considérer autrement.
L’hypnose ericksonienne englobe mythes, contes, légendes et symboles
dans le processus métaphorique. Elle utilise la métaphore pour enclencher
une transformation : alors que l’hypnose classique suggère directement la
disparition du symptôme, l’hypnose ericksonienne utilisant contes, mythes,
légendes et symboles et métaphores occulte le lien avec le symptôme.
Par exemple, le thérapeute racontera plutôt le rythme des saisons que
le déroulement de la thérapie.
Il s’agit de s’approcher du patient, de sa culture pour construire des
métaphores ; la métaphore associe ordre et désordre, compréhension et
chaos. Elle ne propose pas de solution, c’est le patient qui va la reprendre
à son compte en terme d’apprentissage. Cependant, c’est le thérapeute qui
garde le contrôle de la métaphore, pour veiller à ce qu’à travers elle le
patient atteigne son objectif.
La dissociation métaphorique est l’état où le patient, captivé par le contexte
métaphorique, se projette dans l’histoire tout en sachant qu’à un niveau, il
est ici et maintenant, et à un autre niveau, il est ailleurs et dans un autre
temps. La métaphore produit une confusion propre à l’induction hypnotique.
24
25
Les modalités d’action
L’hypnose ericksonienne est une thérapie individuelle au cours de laquelle
le patient est accompagné par le thérapeute et dispose et décide. Le travail
est une collaboration où le thérapeute va amener le patient où il l’a
demandé.
Le thérapeute respecte la congruence : il est le plus proche possible du
patient, il veille à maintenir la relation et vérifie constamment l’accord,
le retour ; il reste ouvert et souple pour changer, proposer plusieurs
possibilités.
Une séance comporte trois temps : une entrée progressive, le temps de
dissociation, la re-association (corps, espace, temps).
La parole du praticien est abondante pour saturer l’hémisphère cortical
gauche, logique, du cerveau, ce qui permet la réceptivité préférentielle
corticale droite, qui ne s’exprime pas par le langage. La communication
vise à lasser l’hémisphère gauche du cerveau.
•
•
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
L’hypnose ericksonienne est efficace pour un symptôme précis dont
l’évolution est mesurable, pour accompagner les plaintes psychologiques
(notamment les peurs, l’agitation et la fixité mentales, la tristesse et le
désintérêt), les plaintes somatiques (après vérification par le somaticien
compétent) ou relationnelles.
Elle est indiquée pour tout ce qui est préparation à un événement que
la personne appréhende (interventions chirurgicales, voyages, grossesses,
examens).
Le travail hypnotique peut conduire à la libération et à l’utilisation de
ressources restées inconscientes pour mettre en place une solution pertinente.
psychique, lorsque nous sommes tendus sur le plan psychique, des tensions
physiques apparaissent. Et inversement, lors de la détente/décontraction.
Il a alors l’idée d’apprendre à ses patients à mieux sentir et contrôler
leur tonus musculaire afin de générer un meilleur contrôle de leur mental.
L’apprentissage de la tension/contraction-détente/décontraction se fait
région corporelle après région corporelle, c’est la relaxation progressive.
Dans un deuxième temps, le patient apprend à n’utiliser dans la vie de
tous les jours que les groupes musculaires indispensables ; il évite les
tensions/contractions inutiles, ce qui mène à un meilleur tonus psychique,
plus équilibré.
L’apport des méthodes de relaxation
L’apport de la phénoménologie
La sophrologie a également puisé ses sources dans le training autogène de
Schultz et dans la relaxation progressive et différentielle de Jacobson.
La relaxation progressive et différentielle (Jacobson, 1948)
Dans les années quarante, grâce à l’électro-neuro-myomètre qu’il a luimême mis au point, Edmund Jacobson, psychiatre américain, met en
évidence le parallèle entre le tonus physique et le tonus psychique : lorsque
nous sommes tendus physiquement, il y a en même temps une tension
Alfonso Caycedo a très rapidement perçu l’intérêt de la phénoménologie
dans l’approche du malade psychiatrique : elle permet de prendre en
compte la personne malade dans sa réalité plutôt que de se centrer
uniquement sur le symptôme et de ne la considérer qu’au travers de ce
symptôme (cf. Sacks).
L’important est la personne (pas la maladie), sa relation à la maladie, sa
manière d’aborder, de vivre la situation particulière que représente la maladie.
La démarche phénoménologique est difficile, puisqu’elle implique de
laisser de côté les préjugés, les a priori, de voir la personne à chaque séance
comme si c’était la première fois, tout en gardant les acquis antérieurs.
Mais cette approche permet au praticien d’être au plus juste de la
relation thérapeutique, puisque l’important est la réalité du patient et non
l’idée que le soignant s’en fait (cela est vrai également dans toute relation
humaine).
Lorsque nous voyons une personne ou une chose, même nouvelle, nous
la voyons avec ce que nous en savons a priori, l’idée que nous nous en
faisons, notre imagination, nos expériences antérieures. Cela est forcément
limité, et gêne, sinon empêche, la possibilité d’une expérience nouvelle.
Si le sophrologue s’inscrit dans la démarche phénoménologique, il pratique la réduction phénoménologique, c’est-à-dire qu’il met entre parenthèses ce qu’il sait ou pense savoir, les idées préconçues. Il suspend son
jugement, pour tenter de regarder la personne ou la chose avec un regard
neuf, comme si c’était la toute première fois, sans jugement. Il s’approche
ainsi toujours davantage de la réalité du moment présent (cf. R. Esposito).
26
27
• Le training autogène (Schultz, 1965)
Cette méthode, mise au point dans les années vingt par le psychiatre
allemand Johannes Heinrich Schultz (1884-1969), est aussi appelée « autohypnose ». Schultz s’était aperçu qu’au cours de séances d’hypnose pratiquées pour faciliter la verbalisation de ses patients, ceux-ci présentaient
presque toujours des sensations identiques et apparaissant dans le même
ordre. Aussi eut-il l’idée de mettre en forme cette réalité afin de gagner
du temps au cours de la séance : la personne s’entraînant à reproduire les
sensations chez elle entre les séances parvenait rapidement à un état de
relaxation profonde propice à la psychothérapie.
Six exercices constituent le cycle inférieur (le cycle supérieur étant le
temps de la verbalisation, de l’analyse) : le sujet ressent d’abord la pesanteur
au niveau de ses membres, puis de la chaleur, puis les battements du cœur,
puis la respiration, puis la chaleur du plexus solaire, puis le front frais.
L’apprentissage se faisait sur une douzaine de semaines.
•
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
PRÉSENTATION
En même temps que l’on s’efforce de voir le monde sous tous ces aspects,
nous élargissons notre champ de possibles, et donc notre champ de
conscience. Cela mène également à plus de respect, plus de tolérance de
l’autre, de son style de vie, de sa façon de construire le monde.
En sophrologie, l’expérience prime : dans les pratiques, il est demandé
de vivre toute expérience comme une première fois, avec curiosité, et même
« naïveté ». Chaque instant est nouveau et unique, différent du précédent.
C’est un entraînement à vivre le présent, avec aussi peu de parasitage que
possible.
des revues de yoga. Le Dr Caycedo avait aussi été à Pondichéry avant de
développer la sophrologie. C’est en partie à cause de cela que Pierre
Etévenon et Bernard Santerre ont voulu explorer l’apport réciproque de
ces deux méthodes et ont été à même, à la fin de ce livre, de présenter une
synthèse des connaissances.
Sri Aurobindo (1872-1950) est un grand penseur contemporain. Il a
écrit, parmi les trente livres de son œuvre en anglais, une Synthèse des Yoga,
où il présente une perspective évolutive de l’homme, de l’humanité, de
l’univers, qui manifeste de plus en plus de conscience (« involuée »
initialement) dans la matière, dans la vie, dans le « mental » de l’homme
qui « est un être de transition » vers ce qu’il appelle le « supramental ».
Si nous sommes en évolution, c’est parce qu’il y a eu une « involution »,
c’est-à-dire une présence non encore actualisée du supraconscient (les plans
supérieurs que sont l’existence, la conscience et la béatitude de la tradition
indienne) dans la matière. Selon le Veda, « nous sommes les fils du ciel
par le corps de la terre » et notre être intérieur n’est « pas plus grand qu’un
pouce et situé derrière le cœur ». Être de plus en plus conscient de notre
vie, de nous-même et de chaque instant est donc fondamental dans la
tradition indienne et en particulier pour Sri Aurobindo.
Saint-Exupéry l’écrit dans Le Petit Prince d’une façon poétique : « On
ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. » Fritjof
Capra dans Le Tao de la physique a été l’un des premiers physiciens
théoriques à réfléchir sur les relations entre les physiques modernes et les
mystiques orientales, telles que l’hindouisme, le bouddhisme et le taoïsme,
concrétisant cette réflexion dans de nombreux articles.
Présentation du chapitre III : Le yoga (écrit par P. Etévenon)
Le Rig-Veda est actuellement considéré comme la plus ancienne écriture
sacrée, en particulier à partir des nouvelles découvertes archéologiques qui
ont révélé progressivement « la civilisation de l’Indus-Sarasvati » en Inde,
au Pakistan, en Iran et en Afghanistan. À la suite des Veda, les Upanishad
et les Purana, puis les « points de vue » ou écoles philosophiques de la
tradition indienne (Samkhya, Yoga-sutra de Patañjali, etc.), se sont beaucoup
préoccupés de « conscience », bien avant la civilisation gréco-latine, les
religions monothéistes et nos philosophies classiques et modernes. Cette
recherche spirituelle n’a cessé de vivre et de croître avec le bouddhisme et
le Vedanta, le tantrisme et des contemporains comme Vivekananda et Sri
Aurobindo.
Dans cette troisième partie du livre, le hatha-yoga sera présenté dans
sa pratique de détente et relaxation, après celle présentée par Bernard
Santerre en sophrologie. Le hatha-yoga est enseigné en Occident par diverses
écoles et fédérations, dont l’École française de yoga (EFY), dont Micheline
Etévenon avait suivi la formation de professeur et qui devint conférencière
auprès de cette école, avant d’être en 1993 l’auteur d’un livre, Le Chemin
du corps. Détente dynamique. L’exposé de cette pratique de relaxation est
ensuite mis en lumière et en référence avec les idées de Sri Aurobindo, qui
se sont progressivement développées dans le cadre de l’ashram de Sri
Aurobindo à Pondichéry, où Pierre et Micheline Etévenon sont allés
plusieurs fois de 1970 à 1973. À la suite de ces voyages, c’est en 1974 que
Pierre Etévenon publie une série d’articles dans un numéro spécial de La
Vie médicale sur « yoga et relaxation », puis ensuite en 1994 et 1999 dans
28
Présentation du chapitre IV : Vers un modèle
multidimensionnel (écrit par P. Etévenon)
Nous définirons d’abord les structures, fonctions et processus d’après le
professeur Alfred Fessard, avant d’introduire la notion de modèles
multidimensionnels psychologiques. Cela nous conduira à concevoir une
évolution dynamique de la personnalité. C’est après que nous introduirons
des articles, publiés en 1967 par Günther et von Foerster, qui décrivent
une logique à multiples valeurs, une logique dite « multivaluée » permettant de décrire ensuite l’univers. L’apport de ces références nous permettra
29
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE III – LE YOGA
117
A. La civilisation et les « points de vue »
de la tradition indienne
1. La culture et la spiritualité indiennes
2. Les premiers « points de vue » : Vedanta, Samkhya, Yoga
3. La parabole des deux oiseaux
4. Les autres « points de vue » de la tradition indienne
B. Le hatha-yoga et sa pratique
1. Vivre en yoga
2. Détente ou relaxation en hatha-yoga
C. La Synthèse des Yoga de Sri Aurobindo
1. Les plans de conscience et d’existence selon Sri Aurobindo
2. Les quatre directions de la conscience selon Sri Aurobindo
3. Involution et évolution selon Sri Aurobindo
D. Concentration, méditation, corps et esprit
1. L’évolution de la conscience chez l’homme
2. Concentration (Dhâranâ)
3. Vers une éducation mentale
4. Le chemin du corps
117
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133
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135
186
CHAPITRE IV –VERS UN MODÈLE MULTIDIMENSIONNEL
137
A. Structures, fonctions et processus
1. L’explication du professeur Alfred Fessard
2. Les modèles multidimensionnels psychologiques
B. Évolution dynamique de la personnalité
C. Apport de la logique multivaluée
D. Sophrologie, yoga et évolution personnelle
E. Un nouveau modèle tridimensionnel intégrateur
1. Modèles en deux dimensions
Les deux modèles plans de Caycedo et de Sri Aurobindo
Le modèle plan composite
2. Modèles en trois dimensions
Deux modèles de base en trois dimensions
L’emboîtement réciproque des deux formes en U
3. Le modèle cubique
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150
150
151
151
CONCLUSION
153
ANNEXES
155
BIBLIOGRAPHIE
159
GLOSSAIRE
169
INDEX
177
TABLE DES ILLUSTRATIONS
188
ULTIMES REMERCIEMENTS
189
187
ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I – PSYCHOPHYSIOLOGIE ET ÉTATS DE CONSCIENCE
31
CHAPITRE II – LA SOPHROLOGIE
65
A. Les états de conscience naturels
1. L’éveil
2. Enregistrements électrophysiologiques :
polygraphie et EEG
3. Les tracés EEG et leur analyse
4. Le cycle veille-sommeil
B. Les états de conscience altérés
1. Troubles de l’hyper-éveil
2. Troubles de l’hypo-éveil
3. Troubles du sommeil
4. Autres états altérés de conscience
C. Les états de conscience modifiés volontairement
D. Sommeil paradoxal, rêves et activités oniriques
1. Le sommeil paradoxal producteur du rêve
pour Allan Hobson
Physiologie cérébrale du sommeil paradoxal
Hypothèse du sommeil paradoxal producteur de rêves
Le modèle AIM cubique de Hobson du cycle « éveil-NREM-REM »
2. Ce qu’en pensent Michel Jouvet et les psychanalystes
qui étudient le sommeil
Les activités oniriques diffèrent du rêve
3. Discussion et synthèse des différents points de vue
Les temps d’analyse des nouvelles méthodes d’imagerie cérébrale
IRM et TEP
Les temps d’analyse des méthodes d’imagerie cérébrale
électrophysiologiques
Vers un modèle N-dimensionnel de la veille,
du sommeil et du rêve
31
31
A. Définition, étymologie, historique
1. Définition
2. Étymologie
3. Historique
B. La conscience en sophrologie : l’« éventail »
1. Les états de conscience
La conscience ordinaire (ou naturelle)
La conscience pathologique
La conscience sophronique
La conscience sophro-réductive 69
2. Les niveaux de conscience
3. Les structures de la conscience
4. Les valences phroniques de la conscience
C. Les valeurs existentielles
D. Les principes
1. Le schéma corporel comme réalité vécue
La dimension neuro-physiologique du schéma existentiel
La dimension psycho-affective du schéma existentiel
2. Le principe d’action positive
3. Le principe de réalité objective
E. Les techniques
1. Généralités
2. Le terpnos logos
3. Schéma général d’une séance
4. Les sophronisations
5. Les relaxations dynamiques
F. Indications
1. La médecine
2. La prévention
3. La pédagogie
4. Le social
G. Les contre-indications
H. Les aspects phénoménologiques de la sophrologie
I. La caverne de Platon
65
65
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66
67
69
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ÉTATS DE CONSCIENCE, SOPHROLOGIE ET YOGA
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE III – LE YOGA
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A. La civilisation et les « points de vue »
de la tradition indienne
1. La culture et la spiritualité indiennes
2. Les premiers « points de vue » : Vedanta, Samkhya, Yoga
3. La parabole des deux oiseaux
4. Les autres « points de vue » de la tradition indienne
B. Le hatha-yoga et sa pratique
1. Vivre en yoga
2. Détente ou relaxation en hatha-yoga
C. La Synthèse des Yoga de Sri Aurobindo
1. Les plans de conscience et d’existence selon Sri Aurobindo
2. Les quatre directions de la conscience selon Sri Aurobindo
3. Involution et évolution selon Sri Aurobindo
D. Concentration, méditation, corps et esprit
1. L’évolution de la conscience chez l’homme
2. Concentration (Dhâranâ)
3. Vers une éducation mentale
4. Le chemin du corps
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CHAPITRE IV –VERS UN MODÈLE MULTIDIMENSIONNEL
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A. Structures, fonctions et processus
1. L’explication du professeur Alfred Fessard
2. Les modèles multidimensionnels psychologiques
B. Évolution dynamique de la personnalité
C. Apport de la logique multivaluée
D. Sophrologie, yoga et évolution personnelle
E. Un nouveau modèle tridimensionnel intégrateur
1. Modèles en deux dimensions
Les deux modèles plans de Caycedo et de Sri Aurobindo
Le modèle plan composite
2. Modèles en trois dimensions
Deux modèles de base en trois dimensions
L’emboîtement réciproque des deux formes en U
3. Le modèle cubique
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150
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151
151
CONCLUSION
153
ANNEXES
155
BIBLIOGRAPHIE
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GLOSSAIRE
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INDEX
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
188
ULTIMES REMERCIEMENTS
189
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