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Anxiété-dépression : concept homogène ou troubles différenciés CH. ANDRÉ(1) LIENS ENTRE ANXIÉTÉ ET DÉPRESSION Il existe des liens génétiques entre dépression et anxiété généralisée (9). Il y a aussi des liens phénoménologiques dus à ce sentiment commun qu’ont les patients anxieux, comme les patients déprimés, d’une vulnérabilité face à l’adversité, au sentiment de n’avoir pas les capacités pour faire face à cette adversité. De nombreux auteurs travaillant sur le futur DSM V, notamment David Watson (13), soutiennent l’idée de regrouper les troubles émotionnels en une famille intitulée « Distress Disorders » incluant avec les épisodes dépressifs majeurs, la dysthymie et l’anxiété généralisée. Toutes ces pathologies concernent en effet des patients qui ont beaucoup de symptômes en commun. PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS Darwin (4) nous a appris que tout être humain possède une programmation génétique conditionnant nos émotions, et que celles-ci sont en outre liées à notre intelligence (8). Les travaux de Damasio (3) montrent que lorsque la vie émotionnelle est perturbée, les capacités décisionnelles le sont aussi. Cependant, nos émotions ne cesseront pas de jouer une fonction adaptative. En psychothérapie, le symptôme (tristesse, anxiété) n’est pas seul pris en considération : il faut aussi tenir compte de la dérégulation émotionnelle associée (1). PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIONNISTE DE L’ANXIÉTÉ L’anxiété concerne toutes les espèces animales, notamment dans les situations d’incertitude (2). L’anxiété généralisée, peut être abordée comme une sorte d’al- lergie à l’incertitude. Quand les signaux sécurisants de l’environnement disparaissent, les symptômes de l’anxiété peuvent apparaître. Nous disposerions ainsi d’un « logiciel » d’anxiété qui, au début, serait adaptatif pour nous rendre plus attentifs au danger et nous permettre de mieux réagir face à lui. Mais ce « logiciel » peut se dérégler et entraîner une hyper-anxiété. PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIONNISTE DE LA TRISTESSE Les deux grands starters de l’émotion de tristesse sont les pertes et les échecs. Mais quelle utilité peut avoir la dépression, secondaire à ces pertes objectives ou symboliques ? La dépression permet en quelque sorte une mise en veilleuse, une économie d’énergie (7). Cela peut avoir des fonctions réparatrices d’autant que la tristesse, notamment chez les primates, attire de la compassion ; lorsqu’un membre d’un groupe social manifeste de la tristesse, normalement les autres viennent le soutenir et le réconforter. Cependant, les déprimés, un temps au centre de l’attention de l’entourage, finissent, au bout d’un moment, par le lasser. Les études de psychologie sociale sur la dépression montrent que les déprimés finissent par être abandonnés parce qu’ils sont trop sinistres, surtout dans les sociétés à forte valence compétitive. Dans tous ces troubles émotionnels, anxiété ou dépression, il y a donc une dérégulation émotionnelle globale : les individus vont avoir plus de mal que des sujets contrôles à freiner les excès d’émotions telles que la tristesse, la colère (5), ce qu’on peut relier à la clinique des dépressions hostiles. Une autre émotion fondamentale est la honte, totalement dérégulée par exemple dans la phobie sociale qui peut tout à coup s’accompagner d’une shame attack, une attaque de honte. (1) Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris. S684 L’Encéphale, 2007 ; 33 : Septembre, cahier 3 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 684-685, cahier 3 Chez les déprimés il y a également des dysfonctionnements cognitifs tels que : « je dois tout faire parfaitement pour que l’on m’aime », « je ne dois me fâcher avec personne sinon je finirai seul et misérable ». Lorsque le patient est en épisode dépressif majeur, ces croyances sont activées, ce qui le rend extrêmement sensible aux évènements de vie. Lorsque le déprimé guérit, ces schémas redeviennent quiescents, en hibernation, mais toujours latents. Parfois à l’occasion d’un « embrayage cognitif », ces schémas se réveillent et induisent à nouveau une perception négative du monde. On retrouve là le rôle des événements de vie sur la déstabilisation émotionnelle. Par exemple, une étude de Segal sur le risque de récurrence dépressive à 30 mois montre que les sujets les plus à risque sont ceux qui ont présenté le plus d’impact lors d’inductions émotionnelles de tristesse par de la musique (10). Anxiété-Dépression : concept homogène ou troubles différenciés l’état de base : « à partir du moment où j’ai commencé à me faire du souci, à avoir honte, à avoir peur, à être triste, combien de temps va-t-il falloir pour que je retrouve un état à peu près normal ? » Deux études (d’autres sont en cours), montrent l’intérêt de cette forme de thérapie sur la prévention des rechutes dépressives. Il s’agit d’un mélange de thérapie cognitive et de méditation où l’on apprend aux patients à prendre du recul par rapport au contenu de leurs pensées et de leurs émotions, à mieux les accepter, sans chercher à les chasser (11). Références 1. 7. ANDRÉ C. Peut-on gérer ses émotions ? Sc Hum 2006, 171 : 34-7. CRASKE MG. Anxiety disorders: psychological approaches to theory and treatment. Boulder (CO), Westview Press, 1999. DAMASIO A. L’erreur de Descartes. La raison des émotions. Paris, Odile Jacob, 1995. DARWIN C. L’expression des émotions chez l’homme et les animaux. Paris, Éditions du CTHS, 1998. DOUGHERTY DD, RAUCH SL, DECKERSBACH et al. Ventromedial prefrontal cortex and amygdala dysfunction during an anger induction positron emission tomography study in patients with major depressive disorder with anger attacks. Arch Gen Psychiatry 2004, 61 : 795-804. GABLE SL, NEZLEK JB. Level and instability of day-to-day psychological well-being and risk for depression. Jour Pers Soc Psychology 1998, 74 (1) : 129-38. GILBERT P. Evolution and depression: issues and implications. 8. Psycho Med 2006, 36 : 287-97. GOLEMAN D. L’intelligence émotionnelle. Paris, Laffont, 1997. 2. RÉGULATION ÉMOTIONNELLE 3. La régulation émotionnelle est perturbée chez les déprimés et les anxieux (6). On sait que beaucoup de dépressifs ont des difficultés dans la résolution de problèmes tels que faire face aux aspects de la vie quotidienne de façon logique, trouver une solution à chaque difficulté rencontrée. Les déprimés, comme les anxieux, sont gênés pour activer leur intelligence dans ces situations d’activation émotionnelle. Les anxieux, qui sont moins ralentis, perçoivent par exemple les difficultés comme des catastrophes potentielles à régler en urgence. En psychothérapie, on propose aux patients une modélisation de leur vulnérabilité émotionnelle comparable au phénomène de l’allergie. Comme l’allergique dont l’immunité fonctionne de manière trop explosive, trop durable, l’anxieux a des réactions trop fortes. Mais, contrairement à l’allergique, il lui est possible d’apprendre à réguler ces réactions. ÉLÉMENTS DE CHRONOMÉTRIE AFFECTIVE En psychothérapie centrée sur la régulation émotionnelle on apprend aux patients dépressifs en rémission, à rechercher les éléments de chronométrie affective (12) en leur demandant d’effectuer une auto-observation de leur vie émotionnelle. Le but est de repérer les seuils de réactivité à tel ou tel événement, de déclenchement d’une humeur triste, de colères, ainsi que le temps de retour à 4. 5. 6. 9. GORWOOD P. Generalized anxiety disorder and major depressive disorder comorbidity: an example of genetic pleiotropy? Eur Psychiatry 2004, 19 : 27-33. 10. SEGAL ZV, KENNEDY S, GEMAR M, et al. Cognitive reactivity to sad mood provocation and the prediction of depressive relapse. Arch Gen Psychiatry 2006, 63 :749-55. 11. TEASDALE JD, SEGAL ZV, WILLIAMS JM, et al. Prevention of relapse/recurrence in major depression by mindfulness-based cognitive therapy. J Consult Clin Psychol 2000, 68 : 615-23. 12. WATSON D. Mood and temperament. New York, Guilford, 2000. 13. WATSON D. Rethinking the mood and anxiety disorders: a quantitative hierarchical model for DSM-V. Journal of Abnormal Psychology 2005, 114 : 522-36. S685