De la destruction du savoir dans le domaine de l`enseignement des
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De la destruction du savoir dans le domaine de l`enseignement des
De la destruction du savoir dans le domaine de l’enseignement des langues. Patrick Anderson Propos liminaires … De tout temps lorsque l’on parle de pédagogie ou de didactique, on croise une ou des querelles des anciens et des modernes, les premiers déplorant la perte irrémédiable de ce qui était, les seconds prônant avec force la nécessité d’une adaptation au temps présent. Je ne me situerai, ni dans l’une ni dans l’autre de ces querelles en gardant toutefois comme garde fou ce que nous disait Leibniz quand il nous disait que : « la pédagogie peut tout puisqu’elle fait danser les ours ». En entrant dans ce que Lyotard a nommé post-modernité, nous sommes entrés dans un monde énigmatique. Enigmatique dans le sens où nous dit le psychanalyste G. Pommier : « Le présent se propulse en consumant au fur et à mesure son propre héritage, il se déshérite au jour le jour.» et il ajoute « l’horizon semble bétonné, et le futur piétine» Ce monde énigmatique pour chacun d’entre nous semble bien marqué par la mort du sujet moderne que l’on peut entendre sous l’expression du désarroi (Lebrun, 2002) contenu dans la déliaison symbolique qui tenait ensemble les trois instances que sont le langage, le politique et la religion. Phénomène de perte de sens qui est illustré dans le champ de l’éducation par une insistance à recourir au vocable crise : crise des enfants, crise des adolescents, crise des parents, crise de l’éducation, crise des enseignants, la liste serait longue. Saint Augustin se plaignait déjà de ses élèves. Montaigne considérait qu’il désapprenait ce qu’il savait déjà au collège de Guyennes ; mais le vocable crise dénote autre chose que ce qui somme toute a toujours été l’affrontement à la génération précédente. Crise dénote aujourd’hui quelque chose de plus profond qui à la fois touche à l’institution éducative (l’école, le collège, le lycée, l’université), les enseignants dans leur fonction même, et les élèves et étudiants qu’il ne faut plus dénommer ainsi. Chaque époque a développé sa ou ses crises, en Europe entre la première et la seconde guerre mondiale, Cifali (1994) nous rappelle qu’on médicalise la relation éducative, les parents et les enseignants se renvoyant la balle face aux difficultés qu’ils éprouvent face aux enfants et aux adolescents et trouve une parade en introduisant des médecins dans les écoles. La génération qui vient s’insérer se doit de passer par l’épreuve de l’affrontement et ceci nous conduit en même temps vers ce que peut signifier apprendre. De l' effondrement…. La crise peut s’entendre dans la destruction du savoir, la disparition de la fonction enseignante et la disparition du sujet, dès lors que celui-ci ou celle-ci est devenu (l’)apprenant(e). Brièvement je dirai en suivant le philosophe Dany-Robert Dufour que nous avons une levée graduelle des interdits et une libération progressive des passions, dans le sens où rien ne devrait brider le sujet. Le programme éducatif qui consistait à devoir se quitter soi-même pour se trouver ailleurs est devenu caduc. Est promu une exaltation de l’expression libre qui correspond à une remise en question de la nécessité des apprentissages et du lieu où il se faisaient : l’école. L’école est considéré comme lieu qui inhibe le développement et l’expression personnels des jeunes. Nous arrivons dans un temps où il n’y a plus d’élèves à l’école. On oublie que l’école n’a pas pour but de créer un socle de connaissance commun ou de faire en sorte que les élèves soient en réseau comme les injonctions de l’Union européenne nous le répètent, mais que l’homme a besoin comme le dit Kant de sa propre raison, mais que comme il n’en est pas immédiatement capable, il a besoin des autres et en l’occurrence d’un enseigneur au sens que lui donnait Heidegger. Autrement dit la fatalité de recourir à un autre n’est pas là pour asservir mais au contraire pour que la transmission ait lieu de façon à ce que l’élève puisse critiquer ce qui a été transmis et éventuellement inventer autre chose. La scholè désigne un lieu dégagé de toute préoccupation de travail et de marché, elle n’est pas le lieu où il faut apprendre des règles, elle est le lieu où un sujet à l’aide des autres fait un travail sur lui-même et c’est là que les autres de l’autre génération sont indispensables, parce qu’ils sont passés par là et qu’ils ont appris les techniques de maitrise. Kant délimitait l’acte d’apprendre dans la croyance déposée en l’autre, mais ajoutait immédiatement l’impératif d’oser exercer par soi-même sa raison, c’est-à-dire que l’autonomie n’était pas posée d’emblée, elle était une conquête. Si l’on observe le cadre délimité dans et par la didactique des langues « la chose didactique » dans une dimension globale délimite des systèmes dans lesquelles une suite de procédure doit mener à la saisie et à l’appropriation de différents éléments constitutifs d’une langue. Les langues sont réduites à ce que Pierre Judet de la Combe et Heinz Wissman ont appelé des «langues de service». L’apprentissage est réduit à des sommes d’opération le plus souvent placé sous le signe d’avoir à accomplir une tâche. La langue étrangère est traduite dans le registre du «faire». «Faire» lui-même décliné en : savoir faire savoir dire et savoir être. De nos jours l’acte n’est plus apprendre mais apprendre à apprendre et pour se faire est validé par une opposition totalement irrationnelle entre liberté et asservissement. Ceci est condensé dans les expressions « pédagogie de l’avoir » et « pédagogie de l’être» où sont opposés savoir à connaissance et ceci ne concerne pas uniquement la didactique, la question touche à ce que l’on nomme : société de l’information. Dans cette configuration on peut parler de destruction du savoir dans la mesure où il est totalement désincarné. Apprendre à apprendre s’organise dans un halo de bien être dans lequel tout doit concourir aux besoins de chacun. Le maître mot est le centrage et c’est là que l’on retrouve le terme apprenant. L’apprenant uniquement configuré en tant qu’acteur social a la particularité désormais de savoir précisément ce dont il a besoin et si par inadvertance, il lui arrivait, de ne pas exprimer ses besoins, tout un appareillage de détermination de ses buts et de ses objectifs est fin prêt à être convoqué, c’est ce qui est appelé « un programme pédagogique opérationnel» ou un « référentiel de compétences» qui ce doit selon l’expression servir à établir « un curriculum opérationnel». L’ensemble de ses instruments et options est présenté sous le vocable d’«ingénierie pédagogique» ou « ingénierie de la formation». Cet ensemble a pour conséquence de bouleverser totalement à la fois la fonction même d’apprendre et la fonction même d’enseigner puisque le savoir est réduit à n’être plus que quelque chose d’immédiatement consommable et disponible. Arendt en réfléchissant sur le « faire » dans les pratiques éducatives reprenait la distinction introduite par Aristote entre praxis et poïesis. La poïesis fabrication d’une œuvre a pour caractéristique d’être extérieur à l’agent producteur. Le faire poïétique est atteint lorsque l’œuvre est finie. Au contraire la praxis n’a pas d’autre fin qu’elle même, elle est l’usage et l’exercice de l’action. Dans la praxis éducative, l’éducation est à elle même sa propre fin et elle est sans fin. On dira que dans un processus d’enseignement l’engagement ne porte pas sur la recherche d’une maitrise et d’une totalité d’un savoir mais bien sur l’imprévisiblité d’une rencontre. En ce sens tout ce qui touche à apprendre doit accepter l’imprévisible. Ce que suppose la parole… Heidegger dans une conférence intitulée langue de tradition et langue de service montrait que l’importance de la langue résidait pour l’homme dans la capacité de parole dans le sens où seule la langue permet à l’homme d’être cet être vivant qu’il est en tant qu’homme. En reprenant Humboldt il souligne que la langue n’est pas un simple instrument d’échange et de communication. Or c’est, précise-t-il, la domination de la technique qui la réduit à la proposition : la langue est information. Benveniste distinguait le sémiotique et le sémantique en délimitant ce qu’il en est de l’ordre du système linguistique et ce qu’il en est de l’activation du système dans la parole. On voit par là que la réduction opérée sur les langues en valorisant la communication oublie la fonction essentielle du dire. Lacan soulignait dans les Ecrits que « le langage avant de signifier quelque chose signifie pour quelqu’un» le reconnaître, c’est considérer que pour qu’une langue existe, il lui faut une accroche, c’est-à-dire quelque chose qui fasse que la langue de l’autre trouve un chemin qui en fasse une forme de vie. On peut concevoir l’accès à la parole comme cette capacité essentielle de l’homme de pouvoir accéder à la fonction symbolique. La faculté de parler mobilise à la fois le pouvoir de se désigner soi-même comme sujet parlant et cette faculté de pouvoir distinguer le moi de l’autre, l’ici du là, l’avant de l’après la présence de l’absence. Passer dans une autre langue fait qu’un sujet va venir prendre place dans une langue qui n’est pas celle de son accès au langage. Cette place qui ne peut être celle de cette langue originaire dans laquelle le sujet s’est construit pose la question de l’appropriation de cet inconnu. Apprendre une langue étrangère relève dans ce sens d’une activité de mise en relation. Relation entre ce quelque chose qui ne se sait pas, cette langue dite maternelle celle que le psychanalyste Yankelevich nomme la langue mère de la parole, langue d’amour et de jouissance et la langue de l’autre qui comme le soulignait un journal d’apprentissage peut apparaître comme une étrangeté séduisante. Etrangeté séduisante contenant à la fois une rencontre nécessaire et une confrontation indispensable. C’est entre ces deux termes que je situerai l’appropriation de la langue étrangère tout en observant que l’expression langue étrangère pose beaucoup de problèmes. De la nécessité d'une rencontre…. Avant même ce qui est repéré comme relevant d’un travail sur une langue, la langue de l’autre nécessite une rencontre. Cette rencontre va matérialiser le rapport entre un sujet et une langue. J’utilise à dessein sujet en opposition à apprenant. Il s’agit du sujet clivé traversé par l’inconscient et non le sujet déposé du côté des sciences cognitives. Sujet donc, qui pour de multiples raisons, souhaite capter l’inconnu pour le faire sien et de ce fait va se trouver pris dans un réseau complexe de relations. Rencontre parce qu’il y a des langues que l’on sait que l’on n’apprendra pas, il y a des langues qui rejettent et il y a des langues qui attirent. Il y a des langues qui sonnent bien, que l’on juge belle et qu’il est gratifiant de connaître. Georges Arthur Goldschmidt note à juste titre que les langues « sont reconnues comme voulant dire quelque chose » et que chacun sait bien qu’il pourrait les apprendre s’il le voulait. Une langue inconnue a le pouvoir d’être déjà du côté d’un possible ou d’un impossible et le sujet sait potentiellement pouvoir atteindre cet autre espace. Le rejet d’une langue peut également se lire dans l’impossibilité de lui donner du sens. Impossibilité malheureuse dans l’expérience de Samuel Beckett ou plus coutumière dans celle de l’école. Une étudiante consignait son rejet de l’allemand dans son journal de la façon suivante : «Il est triste de constater que, onze ans d’allemand et des 18/20 à la file en grammaire ne me permettent toujours pas de m’exprimer. Je fais un blocage, le vocabulaire reste restreint et mon contact avec la langue toujours aussi négatif.» La rencontre est sous-tendue par un imaginaire des langues. De nombreux écrivains l’ont relaté, je pense particulièrement à Kafka à Canetti à Cavanna à Cheng ou à Alexakis. Le passage d’une langue à une autre suppose que pour que la langue puisse être appréhendée, une autre langue soit déjà là. Dire cela revient au fond à dire que tout sujet ne peut prendre place que dans et par le langage. Quelque chose dans la rencontre se noue entre l’étrange et le familier. Le rapport à l’autre langue est d’abord sensoriel. La langue se découvre par une expérience corporelle. La langue est premièrement étrangère par ses phonèmes mais évidemment dans le continuum sonore perçu ce ne sont pas des phonèmes mais des sonorités plaisantes ou déplaisantes Une étudiante écrivait : « J’aime bien prononcer le russe ça chuinte. Au début je croyais que la prof était un peu maniérée parce que j’avais l’impression qu’elle mettait la bouche en cul de poule pour parler, mais je crois que les Russes parlent comme ça. Le nouveau son que je viens d’entendre, j’aime me le faire résonner en le reproduisant au plus près possible, j’aime le reconnaître à l’intérieur de l’oreille, avec ma voix cette magie qui vient de se produire à l’extérieur.» La langue étrangère est à double titre placée du côté d’une demande. Il y a la demande tournée vers l’univers inconnu qu’il va falloir apprivoiser, je ne fais ici que reprendre ce qui a été nommé par Bachelard, par Canghilhem ou Foucault et qui croise ce que Freud nomme : pulsion à connaître et cette demande rencontre à son tour (quelque fois) un enseignant qui dans l’acte même d’être convoqué aura à l’emplir. Je veux souligner le fait qu’une demande est liée intrinséquement au manque. Il y a par conséquent dans le fait d’apprendre une langue étrangère quelque chose de particulièrement singulier. L’enseignant de langue est bien supposé posséder un savoir sur la langue qu’il enseigne. Le signe sous lequel j’ai placé la rencontre croise ce que Heiddeger nomme : Acheminement vers la parole, mais je le place en résonance avec le texte de Benveniste intitulé : De la subjectivité dans le langage. Benveniste précise la place importante que doit prendre la parole, il écrit : « Pour que la parole assure la « communication », il faut qu’elle y soit habilitée par le langage, dont elle n’est que l’actualisation. En effet, c’est dans le langage que nous devons chercher la condition de cette aptitude. Elle réside, nous semble-t-il, dans une propriété du langage, peu visible sous l’évidence qui la dissimule, et que nous ne pouvons encore caractériser que sommairement. C’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet ; parce que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité qui est celle de l’être, le concept d’«ego». La rencontre avec l’autre langue établit une relation qui repose pour un sujet la question de sa place. Par le simple fait que quelque chose d’étranger à soi, quelque chose que l’on n’avait pas, va être appréhendé, va être saisi et qui va faire que le sujet par ce fait même, va devenir autre. En cela Benveniste nous trace un chemin important en rendant suspecte l’assimilation du langage à un instrument.(De la subjectivité dans le langage p. 259) Entre rencontre et confrontation.. La saisie de l’autre langue provoque une véritable confrontation, elle touche à un dépaysement dans la mesure où le sujet se heurte à sa propre étrangeté. L’expérience est déstabilisante à plusieurs titres : elle est marquée dans le corps par tout ce qui relève de l’émission et de la production du son. Le lien à l’autre langue est d’abord éminemment sensitif, c’est l’inscription de l’affect dans le corps, on pensera à la surprise, au plaisir des sons, au plaisir de l’émission, de la mise en bouche (dont parlait Stanislavski ou Vitez) au travail de la voix, au rapport à la voix de l’autre. A la découverte d’exercer sa bouche à prononcer des sons inhabituels, à s’entendre les prononcer avec une voix qu’on ne se connaissait pas. S’ajoute à ce bouleversement sensoriel une remise en question de l’illusion narcissique qui fait de sa langue son propre territoire où l’on a le sentiment d’être pleinement soi et de pouvoir se dire. Les repères qui se sont construits au fil du temps ont forgé ce sentiment d’une évidence du fonctionnement de la langue à laquelle on appartient. De là sans doute les sentiments de honte ou de peur de ridicule liés pour Stengel à la régression vers les processus primaires dans l’apprentissage d’un idiome étranger. Il faut réaliser que nos pensées vont épouser un ordre voulu par une autre syntaxe et dans des catégories découpées par un autre lexique. Ce processus peut se lire comme une dépossession de soi dans ce contact à l’altérité. L’autre idiome se vit sur le mode de l’incomplétude parce que l’autre à saisir apparaît à la fois homogène et hétérogène. Ce qui se vit sur un mode de dépossession n’est pas exclusif l’inverse peut être vrai également. S’approprier la langue de l’autre devient habiter un nouvel espace lié à un sentiment de familiarité. Je veux pointer là en quelque sorte un double mouvement qui fait qu’il faut perdre de soi pour pouvoir investir et trouver une autre place qui va se traduire par le fait qu’un sujet se forge une autre énonciation. J’ai cité Beckett mais on peut penser à Kafka, à Conrad à ce que Canetti expose dans la langue sauvée et à la relation qu’entretien George Arthur Goldschmidt avec la langue allemande (la traversée des fleuves). Le phénomène suppose au moins d’accueillir en soi une certaine « dose » d’altérité. Parler dans cette confrontation devient éprouver et découvrir sa propre différence dans la mesure où le passage à une autre langue remet en question la position de la langue maternelle identifiée à tout le langage. C’est ce qui peut s’entendre dans l’adage qui veut qu’apprendre une autre langue serait venir désapprendre sa langue d’origine. Les effets de ce changement sont variés je remarquerai après bien d’autres, la levée de certaines inhibitions : oser prendre la parole, oser ce que précisément le sujet ne s’autorise pas dans sa langue.(proférer, jurer par exemple) ou au contraire se réfugier dans l’écriture. Parler s’entend dans un double sens, il y a tout ce que signifie émettre et proférer et en même ce que peut signifier se faire entendre, c’est-à-dire tout ce qui est contenu dans une épreuve de l’altérité. L’expérience est déstabilisante parce qu’elle renoue avec l’enfance dans une certaine gratuité liée au sonore – que l’on pense aux jeux sonores des petits enfants- et pour l’adulte, il y a assurément une perte d’autant plus que l’obligation de résultat se trouve lui, placé sur le versant du dire. Le passage à l’autre univers sémiotique peut s’entendre comme un passage reconduit de la rencontre à la confrontation et de la confrontation à la rencontre tant l’appropriation demeure quelque chose qui doit se construire. La construction réside dans un investissement véritable. Il y a des paroles dans lesquelles les mots ne parlent pas. Il y a des langues étrangères qui restent étranges et étrangères même si les 18/20 trompent les professeurs d’allemand ! Or c’est précisément cela qui est au cœur de ce que peut signifier apprendre une langue étrangère. Comment le déplacement de sens est-il possible ? Comment la langue étrangère ne sera plus désinvestie mais au contraire investie, c’est-à-dire imaginarisée si l’on veut bien m’accorder l’expression. Je relativiserai immédiatement quelque chose qui ferait entendre la rencontre et la confrontation comme une épreuve pénible marquée par des torrents de larmes en insistant sur la dimension du rapport au plaisir que l’expérience suscite. Il y a le plaisir de la parole elle-même, le plaisir de l’oralité et le plaisir de n’être pas assujetti à la charge affective des mots que l’on utilise. C’est en ce sens que l’on peut entendre l’expérience d’une véritable entrée dans le langage. La langue maternelle s’en distingue par le fait qu’elle a été totalement contaminée par des rapports d’amour et de haine. Le passage à une autre langue est en soi la première expérience que ne recouvre pas l’expérience de sa première langue dans le sens où la première langue se confond avec l’expérience de l’accès au langage. On peut d’ailleurs concevoir comme réconfortant le fait que le passage à une autre langue ne soit pas réservée uniquement à une expérience captive. Dans un autre champ on parlerait de ce qui fonde le désir du sujet. Entendre appropriation dans une autre acception que l'acception de l'interactionisme... Si l’appréhension de l’objet langue pose problème à celui ou à celle qui veut se l’approprier le phénomène est d’un autre ordre du côté de l’enseignement. Enseigner une langue suppose bien à un moment que l’on pose la question du maniement des signes et comment s’effectue le passage de ce maniement à la question de la signifiance. Je veux dire que l’enseignement d’une langue étrangère se place en ce lieu précis où il s’agit de faire en sorte qu’un sujet arrive à replacer quelques éléments discrets dans une perspective globale mais non pas dans l’utilisation d’un savoir descriptif sur une langue mais surtout dans une relation qui fasse sens. Cette seule question entraîne un bouleversement par le simple fait que parler c’est aussi provoquer un déplacement du sens. Benveniste l’exprime en posant la question suivante : comment le sens se forme en mots. ? Comment de la réalité intrinsèque de la langue qui renvoie au monde clos des signes, le sémiotique, l’on passe à la mise en action de la langue, le sémantique ? C’est la question centrale au cœur de : L’appareil formel de l’énonciation. Benveniste précise : «l’acte individuel d’appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole.» Indirectement il me semble bien que Benveniste lance une redoutable pierre du côté de certains pédagogues en posant indirectement la question de l’enjeu de la parole. Que peut signifier en effet une parole sans enjeu. Parler suppose que l’on ait quelque chose à dire, c’est un truisme mais il semble bien qu’à vouloir circonscrire les langues à leur dimension purement utilitariste on évacue du même coup la parole du sujet. J’insiste enfin sur une dimension qui fait de la parole une parole agissante, c’est-à-dire une parole qui ancre une intersubjectivité qui renouvelle la puissance des symboles dans l’échange qui les met à jour. Ce qui provoque une autre question : Comment les mots peuvent être signe et non signe une forme complexe de signification ? autrement dit : Combien apprendre une langue suppose d’intériorisé dynamiquement ? Nous sommes entrés dans un formidable paradoxe qui est de répéter que toutes formations se doit de comporter des enseignements de lanbgues étrangères que chacun doit en maitriser l’udsage et en même temps de les avoir réduites dans leur définition même. Depuis le traité de Lisbonne et la déclaration de Bologne reformulée en 2010 en stratégie Europe 2020 les langues font partie de ce qui est nommé : économie de la connaissance. La formation est envisagée en terme de capital à faire fructifier tout au long de l’existence avec l’adaptabilité au marché du travail. Le savoir est identifié par son utilité. De fait on fait comme si tout enseignement toute recherche pouvait être évalué selon la valeur économique qu’on lui attribue. Rompre d’avec les options humanistes qui avaient été développées au cours des siècles au profit d’une convergence forte avec le marché économique semble bien être ce qui est demandé aux systèmes éducatifs des pays de l’union. L’apprenant réduit à une sorte d’ersatz de sujet s’inscrit remarquablement dans le marketing éducatif oubliant que le désir du sujet est ce qui sous-tend sa relation à l’autre langue. Références ANDERSON P. « Comment nouer ensemble le divers, l’étrange et le singulier.» in Désir de culture dans les sociétés contemporaines vers la crise ou vers de nouveaux usages ? EME, Bruxelles, 2012 « Amour des langues / amour de la langue.» In Actes du Colloque international : L’amour des langues - La formation des maîtres en Europe, Besançon, 3-4 octobre 2011. 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