Le développement des Credit Unions et des coopératives de crédit

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Le développement des Credit Unions et des coopératives de crédit
Le développement des Credit Unions et des coopératives de crédit – Le passé est-il
toujours présent ?
Jones P.A.,(2000), Le développement des Credit Unions et des coopératives de crédit – Le passé est-il
toujours présent ? chapitre du livre - Mayo E and Guene C. Eds. « Banques et Cohésion Sociale –
Réponses à un Marché Globalisé » Editions Charles Léopold Mayer, Paris
L'exclusion financière et la résurgence de l’esprit coopératif
Toxteth fait partie des vieux quartiers déshérités de Liverpool. Plus de 38 % de la population est au
chômage et la plupart des gens luttent quotidiennement pour joindre les deux bouts avec leurs prestations
sociales ou leurs faibles revenus. Comme 4,4 millions d’autres Britanniques1, la plupart des habitants de
Toxteth vivent en marge des services financiers. Comme dans beaucoup d’autres endroits similaires, la
majorité des banques estiment qu’il n’est plus rentable d’assurer un service local efficace. Ainsi, trois
banques ont fermé leurs succursales à Toxteth au cours de ces dix dernières années. En 1999, la seule
banque encore sur place a réduit son horaire d’ouverture hebdomadaire de cinq à trois jours seulement.
Alors qu’ailleurs, l’on considère comme normal l’accès aux distributeurs automatiques, aux cartes de crédit
et à toute une panoplie de services bancaires, à Toxteth, les habitants sont de plus en plus exclus de toute
forme de services financiers abordables. À leurs yeux, les banques ne s’intéressent pas à eux et ne sont pas
en mesure de répondre à leurs besoins. En effet, bon nombre de personnes ne disposent pas d’un compte
bancaire. Et beaucoup se voient contraint de recourir à des sociétés financières qui pratiquent des taux
exorbitants.
Dans les années 80, plusieurs habitants de Toxteth se sont regroupés. Tels les pionniers de Rochdale du dixneuvième siècle, ils croyaient tous en la capacité de leur communauté à répondre collectivement à ses
propres besoins sociaux et économiques. Ils étaient convaincus que Toxteth ne pourrait offrir des services
financiers décents à ses habitants que si ces derniers se chargeaient eux-mêmes de créer une telle structure.
Animé d’un solide esprit coopératif, ce groupe constitué de 25 bénévoles, en majorité des femmes, s’est
formé en commun et s’est employé à mobiliser le soutien d’un réseau d’associations locales. En février
1989, le groupe a créé sa première coopérative financière baptisée la Park Road Community Credit Union.
Dix ans plus tard, cette credit union peut se targuer de 1700 associés adultes et de 500 membres juniors. Ses
actifs s’élèvent à 304 000 livres et l’épargne de ses membres à 254 000 livres. Au cours de l’exercice 199798, elle a prêté à ses adhérents l’équivalent de 270 000 livres. Aujourd’hui, la coopérative continue d’être
gérée par une équipe de 60 bénévoles. Ses locaux sont situés dans une petite maison de deux pièces dans
une rue typique de Liverpool. Or, elle a fait ce que beaucoup de banques locales n’ont pas pu faire. Elle a
permis à ses membres, tous résidents locaux (dont 68 % perçoivent des prestations sociales), d’accéder à des
services financiers abordables et adaptés à leurs propres besoins et situations. Park Road fait partie de ces
credit unions britanniques, de plus en plus nombreuses, qui démontrent qu’elles constituent une partie de la
réponse à apporter à l’exclusion sociale et financière qui caractérise notre époque.
Les Credit Unions – un mouvement moderne fondé sur des principes du dix-neuvième
siècle
Les credit unions sont des coopératives financières sans but lucratif qui offrent à leurs adhérents des
services financiers à faible coût. Elles se fondent sur des principes démocratiques et coopératifs
internationaux qui n’ont fondamentalement pas changé depuis l’époque des pionniers du mouvement
coopératif du dix-neuvième siècle. La première credit union a vu le jour à Heddesdorf en Allemagne en
1869. Depuis lors, les credit unions ont évolué dans deux directions différentes mais néanmoins connexes.
Dans la plupart des pays européens, elles ont pris la forme de banques coopératives européennes. Ce sont à
présent d’importants prestataires de services financiers pour la consommation axés sur le grand public. En
Amérique du Nord, un autre modèle de coopérative financière s’est développé. Baptisées pour la plupart
« credit union », ces coopératives ont une structure beaucoup plus locale et autonome que leurs consœurs
européennes. Elles se basent sur une forte notion d’engagement commun, à savoir une relation qui nourrit
1
une certaine unité entre les associés. L’adhésion à une credit union est en fait limitée aux personnes qui
partagent cet engagement commun, comme le fait de vivre ou travailler dans une localité spécifique, de
travailler pour le même employeur, d’exercer la même profession ou encore d’être membre d’un club ou
d’une association. Les credit unions, telles qu’on les connaît en Grande-Bretagne, en Irlande et en Europe de
l’Est, ont évolué selon ce modèle américain.
Les credit unions sont présentes dans 87 pays du globe et totalisent quelque 85 millions d’adhérents. En ce
qui concerne l’Europe, elles sont les plus actives en Irlande, où environ 44 % de la population est membre
d’une des 550 credit unions que compte le pays. L’actif cumulé de ces unions irlandaises s’élève à plus de
2,6 milliards de livres irlandaises. En Europe centrale et orientale, le réseau des credit unions se développe
rapidement. En Pologne, par exemple, 220 credit unions ont vu le jour en l’espace de quatre ans, avec près
de 260 000 associés et des actifs totalisant 158 millions de dollars américains. Les credit unions se classent
déjà au quatrième rang national des prestataires de services financiers. De même, la République tchèque
comptait, en mars 1999, 77 unions avec plus de 70 880 membres. Des credit unions ont également vu le jour
en Russie, Roumanie, Ukraine, Lettonie et Lituanie ; elles émergent également en Albanie, en Slovaquie,
dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine et en Géorgie. En fait, les plus grandes credit unions
en Europe sont celles qui offrent leurs services aux employés de l'armée américaine et des agences des
Nations unies. Ainsi, la US Navy Federal Credit Union compte 1,8 million d’associés dans le monde et
opère depuis l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Royaume-Uni.
Les credit unions existent en Grande-Bretagne depuis 1964. Cependant, leur plus forte progression a été
enregistrée au cours de ces dix à quinze dernières années. En 1985, la Grande-Bretagne ne comptait que 64
unions, un chiffre qui est passé à plus de 600 en 1999, avec environ 216 000 membres et des actifs totalisant
plus de 118 millions de livres. Globalement, l’on distingue deux courants majeurs dans l’évolution des
credit unions en Grande-Bretagne. D’une part, comme à Toxteth, des groupes se sont formés,
essentiellement dans des zones à faibles revenus, pour créer leurs propres coopératives au service de la
communauté. D’autre part, des unions ont été créées par des groupes de travailleurs appartenant à une même
profession, société ou organisation. Parmi les principales unions de Grande-Bretagne, certaines sont
constituées d’employés des autorités locales, des forces de police, des compagnies de bus, des sociétés de
taxis ou encore de la British Airways. À titre d’exemple, la plus grande credit union de travailleurs en
Grande-Bretagne est la Glasgow Council Credit Union (Écosse) qui offre ses services aux employés de la
municipalité. Elle compte plus de 10 000 associés et plus de 11 millions de livres d’actifs.
La Coopération – la meilleure approche pour répondre aux besoins sociaux et
économiques au niveau local ?
Partout où elles voient le jour, les credit unions constituent une réponse à des besoins sociaux et
économiques. Dans l’Europe du dix-neuvième siècle, les premières credit unions étaient créées afin
d’atténuer les privations inhérentes au développement du capitalisme économique moderne. Au début du
vingtième siècle, les credit unions qui sont apparues aux États-Unis, telles que les décrivent Hannon, West
et Barron2, s’inscrivaient principalement dans un mouvement social parti de la base, dont l’objectif était de
permettre aux travailleurs d’accéder aux crédits à des taux raisonnables. L’idéologie et la rhétorique de ce
mouvement américain précoce consistaient bien souvent en une croisade contre les usuriers et les prêteurs
sur gages. De même, Ferguson et McKillop3 décrivent le développement des credit unions en Irlande comme
une réponse directe au chômage important, aux taux d’intérêts élevés et à la prolifération des prêteurs sur
gages illégaux, éléments symptomatiques de la dépression qui a frappé le pays au début des années 50.
En Grande-Bretagne, ce sont l’inégalité sociale et la pauvreté dont souffraient de nombreuses communautés
dans les années 80 qui ont incité plusieurs groupements locaux à créer des unions. Comme le soulignent
Oppenheim et Harker4, 33 % de la population britannique vivait dans la pauvreté ou à la limite de celle-ci en
1992. Les personnes confrontées à cette situation se trouvaient inévitablement de plus en plus exclues des
banques et des institutions financières. Les banques ne tenaient tout simplement pas à compter des pauvres
parmi leur clientèle. Rien d’étonnant dès lors à ce que les credit unions locales aient connu leur plus forte
2
progression à cette époque. Parallèlement, l’augmentation des coûts des principaux services bancaires a
conduit des groupes de travailleurs à créer des unions pour faciliter l’accès à des prêts à faibles taux et
éventuellement des intérêts (en fait "des dividendes") plus élevés sur l'épargne. Ce type de développement a
fait des émules en Europe centrale et orientale où, depuis l’effondrement du communisme, la situation
économique et sociale ainsi que le manque de confiance vis-à-vis des services offerts par les banques ont
stimulé la création de credit unions.
Les credit unions offrent un remarquable moyen pour les gens de collaborer étroitement dans leurs intérêts
mutuels. Rien n’atteste de l’intérêt ni de la capacité du secteur bancaire – aux mains des investisseurs et axé
sur la maximisation du profit – de répondre aux besoins des couches sociales à faibles revenus et exclues
financièrement. Dans certaines circonstances, les coopératives constituent le meilleur moyen de satisfaire les
besoins économiques et sociaux de communautés spécifiques. Selon Fischer5, en ciblant ces segments du
marché peu attrayants aux yeux des établissements bancaires traditionnels, les credit unions ont un avantage
concurrentiel dans la mesure où l’existence d’un engagement mutuel génère un climat de confiance entre les
membres de l’organisation. Cette confiance constitue un réel avantage pour les unions car elle limite les
problèmes liés à la collecte d’information, aux coûts des opérations et aux risques. Cela signifie que, dans
certaines situations, les credit unions sont en mesure d’offrir à des groupes sociaux à faibles revenus des
services beaucoup plus efficaces et rentables que les banques ou autres institutions financières. De toute
évidence, la propriété constitue un facteur primordial à cet égard. Les credit unions sont souvent capables
d’atteindre des personnes et des communautés par des moyens inaccessibles aux banques, étant donné
qu’elles sont justement détenues et contrôlées par ces mêmes personnes et communautés. Hargreaves6
souligne cet aspect lorsqu’il écrit que « la question de la propriété réside au cœur même de l’exclusion
sociale ». Les entreprises capitalistes reconnaissent elles-mêmes l’importance des stratégies en matière
d’actionnariat des salariés qui ont pour but de susciter un sentiment d’appropriation parmi les effectifs. Les
credit unions sont capables d'éveiller un sentiment similaire au sein des "exclus du système financier" et
donc de leur permettre d’accéder à des services financiers correspondant à leurs besoins. En GrandeBretagne, le potentiel des credit unions est de plus en plus reconnu par le gouvernement, par les autorités
municipales et par d’autres organismes majeurs. À leurs yeux, les credit unions sont les mieux placées dans
l’industrie financière pour fournir des services financiers à faible coût à tous ceux qui ont de faibles revenus
ou qui n’ont pas accès à des services bancaires abordables. En fait, le gouvernement britannique a suggéré
que les credit unions jouent un rôle clé dans la lutte contre l’exclusion financière. Les autorités municipales
perçoivent aussi les credit unions comme des acteurs cruciaux de la réhabilitation sociale et économique
dans certaines zones.
L’expérience britannique – la prestation de services professionnels, un véritable défi
Soucieux de relever le défi d'assumer un rôle beaucoup plus important dans la prestation de services
financiers, le mouvement coopératif en Grande-Bretagne a été confronté à un problème qui a longtemps
perturbé plus d’un activiste du mouvement, à savoir le fait que de nombreuses credit unions, en particulier
de type communautaire, ne se développent pas autant qu’en Irlande ou en Pologne par exemple. Par
conséquent, leur capacité à faire la différence au sein de leurs communautés ne se réalise pas pleinement.
Mis à part quelques exceptions, les credit unions britanniques n’ont en moyenne pas plus de 200 adhérents,
même après plusieurs années d’existence. Bon nombre de ces unions sont également très vulnérables
financièrement. Or, dans un même temps, de nombreuses credit unions de travailleurs ou des communautés
locales accusent une croissance sensible et ont un impact réel sur des groupements de travailleurs ou au sein
de communautés. Incontestablement, les taux de croissance les plus élevés sont enregistrés par les credit
unions de travailleurs. Ces dernières, qui représentent à peine 15 % de l’ensemble des credit unions de
Grande-Bretagne, absorbent 50 % des adhérents et 70 % des actifs cumulés. Néanmoins, parmi les credit
unions locales, l’on compte également quelques exemples de moyenne ou forte croissance, telles que la
Park Road Credit Union à Toxteth et la Dalmuir Credit Union à Clydebank en Écosse. Cette dernière
comptait en 1998 environ 5500 membres, dont la moitié était constituée de chômeurs ou de sans-emploi, et
plus de 3 millions de livres d’actifs.
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Désireuse de créer un mouvement coopératif financier capable de satisfaire les besoins d’une plus large
population, l’Association des Credit Unions Britanniques (ABCUL), la principale association commerciale
de credit unions de Grande-Bretagne, a pris les devants en tentant de comprendre pourquoi de nombreuses
unions locales attirent seulement quelques centaines d’adhérents, tout en s’efforçant d’identifier les moyens
de les aider à se développer davantage. Parmi les éléments perçus par l'ABCUL comme des facteurs limitant
le développement de ce type de credit union figurent une législation nationale insuffisante et des modèles de
développement inadaptés.
Il est généralement admis que la législation en vigueur en Grande-Bretagne est excessivement restrictive et
constitue l’un des principaux facteurs freinant l'expansion des credit unions. Dans un rapport (non publié)
de 1996, le World Council of Credit Unions (WOCCU) observe : « La législation en vigueur en GrandeBretagne concernant les credit unions est l’une des plus restrictives au monde ». La loi de 1979 sur les
credit unions non seulement restreint la capacité des credit unions à attirer l’épargne et à accorder des prêts,
mais limite également la dimension, la viabilité et la portée des liens communs. Au cours de ces deux
dernières années, l'ABCUL a mené une campagne visant à moderniser la législation et le gouvernement
commence à réagir. Les prochaines réformes législatives permettront aux credit unions d’offrir une plus
large gamme de services, tout en garantissant une meilleure protection de l’épargne de leurs adhérents, ce
qui renforcera sensiblement la capacité des credit unions à satisfaire les besoins de ceux qui sont
susceptibles de bénéficier le plus de leurs services.
Toutefois, une législation déficiente n’explique pas à elle seule la faible croissance de nombreuses credit
unions. Car, malgré la législation, certaines credit unions de travailleurs et locales ont réussi à se développer
de manière significative. En 1998, un projet national de recherche7, mis en œuvre par l’Université John
Moores de Liverpool avec le concours de l'ABCUL, de la Co-operative Bank et de l’English Community
Enterprise Partnership, a identifié un autre facteur préjudiciable au développement des credit unions
britanniques. Cette étude a révélé que de nombreuses unions s’étaient développées selon un modèle
organisationnel particulier partant du principe que les credit unions se devaient d'être très petites (peut-être
seulement quelques centaines d’adhérents), entièrement gérées par des bénévoles et devait cibler
uniquement les populations à très faibles revenus. À bien des égards, ce modèle mettait en exergue les
objectifs sociaux des credit unions au détriment des objectifs économiques nécessaires à un développement
durable à long terme. Au lieu de promouvoir le développement d’un service financier coopératif,
professionnel, axé sur le bénévolat et capable de répondre aux besoins financiers d’une large population, ce
modèle conférait aux credit unions l’image de banques marginales pour les pauvres. Incontestablement,
cette image a entravé la croissance des credit unions, même au sein des communautés à faibles revenus dont
les credit unions sont censées satisfaire les besoins.
Une étude menée par Kempson et Whyley du Personal Finance Research Centre a démontré que « les gens
en marge des services financiers veulent traiter avec des organismes financièrement solides, fiables et qui
comprennent leurs besoins » 8. Les credit unions réussissent, pour la plupart, à inspirer la confiance et à
comprendre les besoins de leurs adhérents. Elles naissent de liens sociaux déjà existants que ce soit sur le
lieu de travail, au sein d’associations ou au sein de communautés locales. En fait, Fischer9 a souligné
l’importance fondamentale de la préexistence de liens sociaux dans le développement organisationnel des
credit unions. Il a notamment insisté sur le fait que le succès d’une credit union dépend bien souvent de la
solidité des liens sociaux sur lesquels elle s’appuie. Toutefois, il apparaît évident que pour exploiter leur
potentiel, les credit unions doivent adopter des modèles de développement organisationnel qui ciblent la
viabilité économique à long terme et garantissent la sécurité financière évoquée par Kempson et Whyley.
En tant que coopératives financières, les credit unions doivent opérer selon des normes commerciales
appropriées et être capables d’offrir des services financiers professionnels à un grand nombre d’adhérents.
Cela implique la mise en œuvre de stratégies rigoureuses visant à établir une base d’adhésion large et
diversifiée, afin d’attirer autant les épargnants que les emprunteurs et garantir la qualité des services et
produits financiers offerts. En Grande-Bretagne, les credit unions recourent ainsi de moins en moins au
bénévolat pour le fonctionnement quotidien de l’organisation. L’étude menée par l’Université John Moores
de Liverpool a révélé que 86 % des unions locales reconnaissent que la perte de motivation des bénévoles
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nuit à leur développement. Le recours accru à des employés rémunérés dans la gestion des credit unions –
les bénévoles développant quant à eux leur rôle de décideurs et de directeurs – semble aller de pair avec la
sécurité et la qualité d’un service à long terme. Ainsi, la Dalmuir Credit Union (Écosse), avec ses 5500
adhérents, emploie deux administrateurs à temps plein et plusieurs employés à temps partiel.
Les credit unions sont forcément confrontées à la concurrence sur le marché financier. Hargreaves10 note
que « le message fort et clair transmis aux coopérateurs est que l’on ne peut éluder les exigences de la
concurrence. Il faut être compétitif ou bien périr. Les organisations qui fournissent des biens ou des
services et qui ne sont pas compétitives, tant en termes de prix que de qualité, sont vouées à l’échec,
qu’elles soient détenues par des coopérateurs ou par d’importants hommes d’affaires fumant leurs gros
cigares ». Lorsque les credit unions réussissent, elles ne sont pas considérées comme des associations
obsolètes ni comme des associations issues d’un dix-neuvième siècle révolu, mais plutôt comme des
institutions financières modernes, capables de satisfaire les besoins de groupes sociaux à moyens ou faibles
revenus. Là où on les perçoit comme des professionnels des services financiers, offrant des produits
financiers de qualité, les credit unions et les coopératives de crédit du monde entier enregistrent une
croissance durable considérable. En Colombie, par exemple, entre 1990 et 1994, les actifs détenus par les
coopératives de crédit ont enregistré une croissance supérieure à celle des actifs détenus par les banques
d’investissement dans un rapport de 3 contre 1. Fin 1993, les credit unions ont atteint des taux de
pénétration de 100 % en Dominique, de 30 à 49 % dans cinq autres pays et de 10 à 29 % dans 16 autres
pays11. Les taux de croissance observés dans certains pays, comme les États-Unis et l’Irlande, ont suscité de
vives réactions chez certaines banques. Dans ces pays, les banques considèrent les credit unions comme des
concurrentes de plus en plus menaçantes et ont cherché, peut-être inéluctablement, à instiguer des actions à
l’encontre des credit unions dans le but de réduire leur influence. En Grande-Bretagne, où les credit unions,
dans leur grande majorité, en sont encore au stade du balbutiement, la priorité consiste à permettre aux
credit unions de se muer en institutions financières économiquement viables, à même d’offrir un service
professionnel de qualité à une frange beaucoup plus large de la population.
Les importants enseignements du mouvement coopératif américain
L'ABCUL a tiré d’importants enseignements de l’expérience de la National Federation of Community
Development Credit Unions (NFCDCU) établie à New York. Les credit unions locales aux États-Unis
ciblent essentiellement les communautés à faibles revenus et ont tendance, selon les critères américains, à
être plus petites que les credit unions traditionnelles. Elles s’appuient en moyenne sur 1300 adhérents et
environ 2,4 millions de dollars d’actifs chacune. Et pourtant, dès le début, ces credit unions font figure de
véritables institutions financières professionnelles; la plupart disposent de locaux sûrs, d’un personnel
salarié et sont capables d’offrir à leurs membres toute une gamme de services financiers. Elles opèrent
souvent sous l’égide d’un sponsor puissant et crédible et appliquent toutes un plan d'activité destiné à
garantir rapidement leur viabilité économique. À cet effet, les credit unions de développement
communautaire recrutent 500 à 1000 adhérents potentiels, qui s’engagent à devenir membres bien avant le
démarrage de l’entreprise. Bon nombre de ces credit unions connaissent un succès économique et social.
Ainsi, depuis 1980, Self-Help, une credit union de développement communautaire établie à Durham, en
Caroline du Nord, a prêté 325 millions de dollars à des membres à faibles revenus – tout particulièrement
des noirs, des femmes et des résidents ruraux – pour les aider à acheter un logement, à monter une entreprise
et à consolider les ressources communautaires. Rosenthal et Levy, membres de la NFCDC, écrivent : « la
meilleure – voire l’unique – raison justifiant la création d’une nouvelle credit union est d’offrir des
services financiers à un coût raisonnable à ceux qui autrement n’y auraient pas accès »12. Il ressort de
l’étude réalisée par l’Université John Moores de Liverpool que cette vision claire des choses fait souvent
défaut dans les petites credit unions locales de Grande-Bretagne, dont les bénévoles ont invoqué plusieurs
raisons, souvent plus sociales qu’économiques, justifiant la création de credit unions. Cependant, les
résultats de l’enquête confirment également que les credit unions locales ou de travailleurs qui sont plus
performantes en Grande-Bretagne, comme leurs homologues américaines, perçoivent mieux leur rôle en tant
que sociétés coopératives ayant pour mission d’offrir des services professionnels sur le marché des services
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financiers.
Afin d’aider les credit unions à se transformer en de véritables institutions financières capables d’offrir une
plus large gamme de services à de nombreux adhérents, l'ABCUL a défini plusieurs critères auxquels doit
satisfaire toute nouvelle credit union avant de démarrer son activité. Parallèlement, l'ABCUL a également
mis au point une série de séminaires de formation à l’échelle nationale visant à garantir que toute credit
union déjà existante et qui ne remplirait pas ces conditions préalables soit en mesure de les satisfaire le plus
rapidement possible. Sur la base de l’expérience des credit unions locales américaines, l'ABCUL considère
désormais que le succès d’une credit union ne peut être garanti que si elle satisfait à tous, ou presque tous,
les critères suivants :
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un plan d’activité solide, axé sur la croissance et la réussite ;
le ‘leadership’ efficace d’un conseil et de comités, constitués de bénévoles bien perçus par la
communauté et possédant les compétences et la vision nécessaires au développement et à
l’expansion de la credit union ;
le soutien et le parrainage d’institutions locales renommées afin de promouvoir la credit union et lui
conférer une crédibilité ;
un financement initial ou un soutien en nature visant à doter la credit union :
⇒ de locaux attrayants, bien situés par rapport aux membres de la communauté, et
⇒ d'un personnel qualifié et professionnel pour l’exploitation de la credit union ;
une stratégie de marketing efficace à même d’attirer au moins 500 à 1000 adhérents au cours des
premiers mois d’exploitation pour les nouvelles credit unions et au moins 1000 à 2000 membres
pour les credit unions existantes.
D’une manière ou d’une autre, ces critères se retrouvent dans les credit unions performantes à travers le
monde. Aucun ne nuit à l’engagement fondamental des credit unions vis-à-vis des objectifs sociaux,
coopératifs et mutuels. Cependant, là où les credit unions ont enregistré une croissance considérable, elles
ont toutes été établies comme des institutions financières capables d’opérer efficacement dans un marché de
plus en plus compétitif. Le mouvement coopératif en Irlande en constitue un bel exemple, tout comme les
365 coopératives d’épargne-crédit de Chypre qui détiennent 32 % de l’ensemble des dépôts nationaux. En
Grande-Bretagne, le défi à relever consiste à consolider les progrès réalisés jusqu’à présent et à promouvoir
le développement durable du mouvement coopératif financier.
Faut-il soutenir les credit unions en tant qu’institutions financières uniques ?
À maints égards, le mouvement coopératif britannique est parvenu à un tournant décisif. Il peut accepter,
comme le suggère le gouvernement, de devenir un important prestataire de services financiers, en particulier
pour les groupes à faibles revenus ou les exclus du système financier, ou il peut demeurer un mouvement
globalement éloigné des besoins de l’ensemble de la société britannique. L’étude de l’université John
Moores de Liverpool révèle que 76 % des credit unions britanniques ont pour ambition de devenir, à l’instar
de leurs consœurs irlandaises et chypriotes, de véritables professionnels des services financiers. Elles
évoluent déjà dans un contexte de liens sociaux et de réseaux bien établis. C’est justement ce qui les
distingue des banques et leur confère un avantage concurrentiel auprès de segments du marché qui ne sont
pas accessibles aux banques, ou qui sont négligés par elles. Elles ont déjà développé, dans de nombreux cas,
des niches de marché grâce auxquelles les exclus du financement ont accès à des services financiers à faible
coût. Ce qu’il faut à l’heure actuelle, ce sont des investissements, un soutien et un savoir-faire en matière de
gestion organisationnelle qui permettent à toutes les credit unions de se transformer en coopératives
durables à l’instar d’autres unions plus « mûres » telles qu’on en trouve sur la scène internationale.
Les credit unions britanniques ont à ce jour deux sources de soutien inhabituelles, mais puissantes : les
autorités municipales et les banques. Elles sont inhabituelles en ce sens que, nulle part ailleurs, les autorités
municipales n’ont manifesté directement tant d’intérêt pour le développement des credit unions et,
manifestement, dans la plupart des pays, les credit unions ne sont pas vraiment soutenues par les banques,
mais plutôt perçues comme de sérieuses rivales. En Grande-Bretagne, beaucoup d'autorités municipales
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considèrent les credit unions comme des partenaires clés dans la réhabilitation sociale et économique des
communautés. À leurs yeux, les opportunités offertes par le système de propriété coopératif des credit
unions constituent un réel avantage dans la lutte contre l’exclusion sociale et financière. Récemment,
l’association des collectivités locales (Local Government Association) a élaboré des lignes directrices13 à
l’intention des autorités municipales qui visent, sur la base des recommandations de l'ABCUL, à favoriser
l'évolution des credit unions en grandes organisations économiquement viables.
Dans plusieurs localités, les credit unions ont déjà commencé à nouer des relations profitables avec les
banques locales. Comme le souligne Eileen Halligan, l’administrateur de la Park Road Community Credit
Union de Toxteth : « Park Road atteint des personnes que les banques ne peuvent ou ne veulent pas
atteindre. Nous ne sommes absolument pas en concurrence avec elles, nous touchons des gens qu’elles ne
toucheraient pas du tout ». En fait, Park Road mène actuellement des négociations avec sa banque locale
afin de permettre à la credit union d’occuper les locaux de la banque lors de ses deux jours de fermeture. De
toute évidence, les banques ont une responsabilité à l’égard des communautés qu’elles abandonnent.
Beaucoup de Britanniques soupçonnent les banques et les mutuelles d’épargne-logement (les building
societies) de mettre sur une liste noire des communautés entières et de compliquer à outrance l’accès des
membres de ces communautés à leurs services. Plusieurs auteurs, comme Conaty et Mayo14, estiment que
l’introduction en Grande-Bretagne d’une législation similaire à la législation américaine sur le
réinvestissement communautaire de 1997 (Community Reinvestment Act) serait extrêmement bénéfique
pour les credit unions. En vertu de cette disposition législative, les banques et les institutions financières
traditionnelles sont tenues de réinvestir dans les quartiers déshérités où elles obtiennent des dépôts. Ce
réinvestissement est souvent géré par les banques par l’entremise des credit unions. Cependant, en GrandeBretagne, une approche plus axée sur la collaboration a été adoptée. En été 1998, le gouvernement a
constitué un groupe de travail (la Treasury Task Force) chargé d’explorer les moyens de renforcer la
collaboration entre les banques et mutuelles d’épargne-logement et les credit unions, afin d’améliorer leur
efficacité et d'élargir leur éventail de services. Ce groupe de travail est composé de hauts responsables des
banques, des mutuelles d’épargne-logement et du mouvement coopératif. Le résultat de ses travaux sera
publié en 1999. Ce groupe de travail recommandera, semble-t-il, la création d’une centrale nationale pour
toutes les credit unions, dotée des ressources et du personnel nécessaires pour pouvoir aider les credit
unions britanniques à développer leur structure organisationnelle, une aide qui leur fait actuellement défaut.
Les credit unions en Grande-Bretagne ont, comme l’illustrent bon nombre d’exemples dans le monde, un
énorme potentiel d'influence sur l’ensemble de l’économie sociale et ont le pouvoir de traiter l’exclusion
sociale et financière par des moyens que les banques n’ont jamais pu, ou voulu, envisager. Dans ce pays, les
credit unions jouissent d’une formidable opportunité, dans la mesure où les pouvoirs publics au niveau
national et local, tout comme les banques participant à la Task Force gouvernementale, s’engagent à
promouvoir leur croissance et leur transformation en institutions financières modernes et durables. Cet
engagement gouvernemental devra à long terme trouver un écho au niveau européen. À l’heure actuelle, les
credit unions de Grande-Bretagne et d’Irlande ne sont pas concernées par les directives bancaires
européennes15. Toute modification de ce statut dérogatoire pourrait entraver gravement le développement
du mouvement coopératif. Déjà l’an dernier, l’union des banques irlandaises (Irish Bankers Federation) a
déposé deux plaintes auprès de la Commission européenne alléguant que l’exemption d’impôt sur les credit
unions constituait une aide d’État illégale et que les credit unions ne devaient pas être exclues des directives
bancaires européennes. Pour l’heure, les credit unions irlandaises demeurent confiantes ; elles estiment
qu’avec le soutien du gouvernement, cette contestation du statut distinct et unique des credit unions et des
coopératives de crédit sera rejetée. La question reste néanmoins cruciale pour les mouvements coopératifs
européens, y compris dans les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne. Les credit unions sont
uniques. En tant que sociétés coopératives, démocratiques et mutuelles, elles font « la » différence dans la
vie quotidienne des gens ordinaires et, en particulier, des couches sociales exclues ou marginalisées. Les
credit unions trouvent leurs racines dans les valeurs humaines et sociales, mais elles ne deviennent
réellement efficaces que lorsque, soutenues par une législation, une réglementation et une fiscalité
appropriées, elles sont capables de se développer davantage et de se consolider pour pouvoir offrir une
gamme de services financiers à faible coût à ceux qui en ont le plus besoin.
7
Paul A Jones
Université John Moores de Liverpool
1
Chiffres tirés de Kempson E. et Whyley C., Kept out or opted out? Understanding and combating financial exclusion.
The Policy Press en association avec la Joseph Rowntree Foundation. Biblios Publishers, West Sussex, 1999.
2
Hannan M.E., West E., et Baron D., Dynamics of Populations of Credit Unions, Filene Research Institute, Madison,
1994
3
Ferguson C. et McKillop D., The Strategic Development of Credit Unions, John Wiley, England,1997 p. 33
4
Oppenheim C. et Harker L., Poverty: the Facts, Child Poverty Action Group, London 1992
5
Fischer K.P. Financial Co-operatives: A “market solution” to SME and rural financing. Working Paper No 98-03,
Centre de recherche en économie et finance appliquées (CRÉFA), Université Laval. Québec, Canada 1998
6
Hargreaves I., New mutualism in from the cold, The Co-operative Party, London 1999
7
Jones P.A. “Towards Sustainable Credit Union Development”. Rapport d’un projet national de recherche réalisé par
l’université John Moores de Liverpool, Association of British Credit Unions, English Community Enterprise Partnership
et The Co-operative Bank p.l.c., avec le concours de la Local Government Association et du Local Government
Management Board. Association of British Credit Unions Ltd. Manchester 1999.
8
Kempson E et Whyley C., Kept out or opted out? Understanding and combating financial exclusion. The Polity Press,
en association avec la Joseph Rowntree Foundation. Biblios Publishers, West Sussex. 1999
9
Fischer K.P. Financial Co-operatives: A “market solution” to SME and rural financing. Working Paper No 98-03,
Centre de recherche en économie et finance appliquées (CRÉFA), Université Laval. Québec, Canada . 1998
10
Hargreaves I., New mutualism in from the cold The Co-operative Party. London. 1999
11
Chiffres cités par Fischer (1998) ibid. Fischer indique que ces chiffres s’appliquent uniquement au World Council of
Credit Unions qui ne représente pas toutes les credit unions et coopératives de crédit existant dans le monde. Les taux
de pénétration à l’échelle mondiale sont donc nuancés par ces chiffres.
12
Rosenthal C. N. et Levy L., Organising Credit Unions: A Manual. National Federation of Community Development
Credit Unions. Version 1.1 New York 1995.
13
Disponible auprès de la Local Government Association (Londres)
14
Conaty P. et Mayo E., A Commitment to People and Place - the case for community development credit unions.
Rapport pour le National Consumer Council. New Economics Foundation 1997
15
Directive du Conseil et du Parlement européen 77/780/CEE, article 2 (2)
8