Point Info n°23 - Réforme de l`organisation territoriale

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Point Info n°23 - Réforme de l`organisation territoriale
RÉFORME TERRITORIALE
Alors que le débat s’engage autour du rapport du Comité pour la réforme territoriale, présidé par
Edouard BALLADUR, ce Point info présente quelques éclairages sur l’organisation territoriale de
deux pays Européens comparables à la France, l’Espagne et l’Italie, en mettant l’accent sur la
problématique de l’émergence de grandes métropoles.
Réforme territoriale et métropoles
- Étude comparée des situations en Espagne et en Italie L’Italie et l’Espagne sont sans doute les deux pays européens qui présentent les caractéristiques les
plus pertinentes pour établir une comparaison avec la France en matière de décentralisation :
- elles possèdent, comme la France, trois niveaux de collectivités ;
- ce sont des États unitaires mais qui ont poussé loin l’expérience de la décentralisation, jusqu’à attribuer au
niveau territorial intermédiaire constitué par les autonomies (en Espagne) et les régions (en Italie), outre des
compétences larges, un pouvoir législatif ;
- elles ont des populations comparables (60 millions pour l’Italie, 46 millions pour l’Espagne) et très
majoritairement urbaines;
- comme en France, un certain nombre d’obstacles s’opposent à l’émergence de métropoles;
Alors que le Comité Balladur s’apprête à proposer la création de 11 métropoles dont le statut serait proche de
celui de la collectivité unique proposé par l’AMGVF au Comité «Balladur», cette note fait le point sur les réformes décentralisatrices menées jusqu’à présent en Espagne et en Italie, ainsi que sur les obstacles s’opposant
à l’affirmation de métropoles dans ces pays.
A. ORIGINE ET MISE EN ŒUVRE DES RÉFORMES DÉCENTRALISATRICES EN ITALIE
ET EN ESPAGNE
Les années suivant la création de l’État unitaire italien en 1861 évacuent la question de la décentralisation pour
se concentrer sur celle de l’uniformisation du système administratif. Ce n’est qu’en 1946, année où la nouvelle
Constitution est rédigée, que l’idée de faire de la région une collectivité pivot, à côté des provinces et des communes, voit le jour. Le niveau intermédiaire traditionnel, la province, symbolisé par le préfet, est en effet sorti
fortement discrédité de la dictature, beaucoup voyant en lui le relais du pouvoir mussolinien. Il faut toutefois
attendre les années 1990 pour que l’idée du nécessaire renforcement de l’échelon régional prenne corps. Une
loi redéfinissant les compétences des pouvoirs locaux est promulguée. L’opération « Mains propres » sort l’Italie
d’une crise à la fois politique, économique et morale et permet une réforme en profondeur de l’organisation
territoriale. Il s’agit dans ce contexte de puiser dans les forces locales et régionales pour régénérer un État
central discrédité par les scandales. L’élection directe des maires (1993), celle des gouverneurs régionaux
(1999) concourent à la présidentialisation du pouvoir local-régional. Ce n’est donc pas tant l’appétence
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pour l’échelon régional qui constitue le ressort de la décentralisation que le désaveu de l’autorité
centrale. Le rôle joué par la Ligue du Nord dans le processus de décentralisation mérite également d’être
souligné : la régionalisation a sans aucun conteste servi à contenir les aspirations sécessionnistes des riches
régions du nord de l’Italie.
Si l’on met de côté la Constitution républicaine de 1931 qui disparaît avec la guerre civile, la Constitution
espagnole de 1978 marque une rupture avec l’héritage centralisateur légué par la dynastie des Bourbons.
Elle fait de l’Espagne un « État des autonomies » et donne corps à une revendication régionaliste, d’abord
littéraire puis politique, née au 19ème siècle mais brisée par la guerre civile. Comme en Italie, le processus
réformateur en Espagne est indissociable du discrédit souffert par l’État central : pour rompre avec la dictature
franquiste, une nouvelle donne politique s’impose ; la régionalisation vient l’incarner. Conçue pour redonner leur
place aux particularismes culturels et linguistiques du Pays Basque et de la Catalogne, la notion d’autonomie
s’est progressivement étendue à toutes les régions et à de nombreux domaines de l’action publique.
Enfin, comme l’a rappelé le sénateur H. PORTELLI lors de son audition devant la Commission territoires du 21
janvier 2009, les réformes ont, en Italie comme en Espagne, été menées de manière autoritaire par l’État et
facilitées par l’interdiction du cumul de mandats : en Italie, les conseillers régionaux, les présidents des assemblées provinciales et les maires de villes de plus de 20 000 habitants ne peuvent se faire élire au Parlement
national, tandis que la loi espagnole interdit le cumul d’un mandat au Congrès des députés avec celui d’une
assemblée de communauté autonome.
B. BREVE PRÉSENTATION DE L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ITALIE ET DE
L’ESPAGNE
La régionalisation italienne
L’Italie est un État unitaire mais qui connaît un régionalisme poussé : les régions italiennes, contrairement
à leurs homologues françaises, ont un pouvoir législatif et un pouvoir de coordination des niveaux locaux
inférieurs. La structure politico-administrative est composée de trois niveaux. On dénombre 20 régions, 103
provinces et 8100 communes.
- La région : c’est le pivot de la décentralisation ; cinq régions dites « à statut spécial » sont créées entre
1945 et 1953 et jouissent d’une grande autonomie dans le domaine financier et de compétences particulières
en matière de culture et de langue (bilinguisme) : il s’agit de la Sardaigne, de la Sicile et des trois provinces
autonomes du Nord du pays ; les 15 autres régions, dites à « statut ordinaire » sont créées en 1970. Le législateur est intervenu en 1997 pour permettre à ces régions de bénéficier à terme d’une autonomie identique à
celle des régions à statut spécial.
Disposant de la compétence législative, les régions promulguent dans leur domaine de compétences des lois qui
ont la même valeur que les lois nationales. La loi constitutionnelle n° 3 de 2001 opère une nouvelle distribution
des compétences législatives entre l’État et les régions, au profit de ces dernières. Les compétences législatives
de l’État sont désormais énumérées. Les compétences régaliennes (nationalité, politique extérieure, immigration, monnaie, concurrence, entre autres) restent du ressort exclusif de l’État; d’autres compétences (en
matière d’éducation, de recherche scientifique, de santé, de biens culturels et environnementaux, par exemple)
sont partagées avec les régions, ces dernières fixant la législation dans le cadre de règles générales définies par
l’État ; tous les autres domaines relèvent de la compétence exclusive des régions (développement économique,
aménagement du territoire, notamment). En outre, il incombe à la région, par le biais de lois régionales et en
vertu du principe de subsidiarité, de déléguer des compétences aux échelons inférieurs que sont les provinces
et les communes. Les régions se livrent à cet exercice de manière très différenciée.
Les conseillers régionaux sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans. Le Conseil élit en son sein un
président. Depuis 2000, un président de la région (différent du président du Conseil régional), est élu au suffrage universel pour cinq ans : il s’entoure d’un bureau (giunta) qui constitue l’exécutif de la région. Il ne peut
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effectuer plus de deux mandats successifs. Depuis la loi constitutionnelle n° 1 de 1999, il incombe aux régions
de rédiger leurs statuts (mode de scrutin et relations entre les organes régionaux).
- La province : depuis 1990, elle s’est vu attribuer un grand nombre de compétences propres, en plus des
fonctions déléguées par l’État et les régions. Mais l’étendue des compétences effectivement exercées par les
provinces varie en fonction des régions, dans la mesure où plusieurs lois régionales censées opérer les transferts
de compétences n’ont jamais été votées. Les provinces exercent à titre principal des fonctions d’aménagement
du territoire, de défense de l’environnement, de transports et de voirie. Les organes de la province sont identiques à ceux de la région.
- La commune : elle a les mêmes organes que les deux autres échelons ; à la tête de l’exécutif communal se
trouve un maire, élu depuis 1993 au suffrage universel direct dans les villes de plus de 15 000 habitants. En
plus des fonctions déléguées par les provinces, les régions et parfois l’État, la commune a des compétences
propres, principalement dans les domaines de la santé, de l’assistance, de l’urbanisme et du logement. Depuis
1990, l’exécutif communal dispose d’une clause générale de compétence.
A noter que les provinces et les communes sont également des circonscriptions de l’État et de la région. Avec
la décentralisation, la présence de l’État se limite désormais à un bureau local du gouvernement chargé de la
mise en œuvre des compétences résiduelles de l’État au niveau local. La représentation de l’État au niveau de
chaque région et de chaque province est assurée par un commissaire du gouvernement, dont les compétences
se résument désormais principalement au maintien de l’ordre.
- Tutelle : les modifications constitutionnelles intervenues en 1999 et 2001 transforment radicalement les
modalités du contrôle exercé par l’État sur les provinces et les communes. La tutelle de l’État sur les actes des
régions et des collectivités locales, de même que celle des régions sur les actes des collectivités locales, est
tout simplement supprimée. Ne demeure qu’un contrôle a posteriori des actes par les tribunaux de droit commun. Fait notable et symbolique de la prééminence de la région dans l’organisation territoriale, la Constitution
reconnaît à cette dernière le droit de saisir la Cour constitutionnelle d’une question de constitutionnalité dès
lors qu’elle estime qu’une loi de l’État empiète sur ses compétences.
- Autonomie financière : contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’autonomie financière des collectivités
italiennes est moins importante que celle des collectivités françaises. Alors que la part des ressources fiscales
propres des collectivités locales représente 49% des ressources totales des collectivités en France en 2005,
elle s’élève à 34% en Italie. En outre, les collectivités locales italiennes n’ont un pouvoir de taux et d’assiette
que sur une part infime des recettes fiscales ( moins de 10%), alors que le pouvoir de taux et d’assiette des
collectivités locales françaises concerne plus de 70% des recettes fiscales. Le niveau le plus fin de collectivité,
à savoir la commune, a le pouvoir fiscal le plus important alors que la région est essentiellement financée par
des impôts partagés.
L’état des autonomies en Espagne
Les communautés autonomes sont créées par la Constitution de 1978. Cette dernière ne prévoit toutefois pas
d’accès automatique à l’autonomie ; elle ne fait qu’ouvrir un processus autonomique qui n’est toujours pas
achevé. L’ampleur de l’autonomie accordée aux communautés n’est pas définie uniformément : l’État et les
communautés autonomes doivent en déterminer les contours. Les « nationalités historiques » (Catalogne,
Pays Basque, Galice et Navarre) sont celles auxquelles la Constitution de 1978 a ouvert l’accès à l’autonomie
le plus rapide et disposent historiquement des compétences les plus larges. L’autonomie du Pays basque et de
la Navarre se base sur la «foralité historique», reconnue par la Constitution. En vertu de ce principe, ces
deux communautés, en sus d’être pleinement compétentes en matière d’éducation, jouissent de modalités de
financement particulières.
Chaque communauté dispose d’un statut d’autonomie propre, qui constitue une sorte de constitution interne.
Rédigé par l’assemblée régionale, il est adopté sous forme de loi organique par les Cortes generales (Congrès
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des députés et Sénat). Les compétences des collectivités sont fixées dans les limites de celles exclusivement
exercées par l’État. Ce dernier est notamment compétent en matière de finances, de planification économique,
d’immigration, de nationalité et il exerce certaines matières en complément de l’action des communautés
(la culture et la législation du travail en sont des exemples). Les provinces et les communes constituent les
autres niveaux d’administration locale. Il existe aujourd’hui 17 communautés autonomes, 50 provinces et 8097
communes.
- Les communautés autonomes : leur autonomie est avant tout politique et la Constitution ne les qualifie
d’ailleurs pas de collectivité locale, contrairement aux provinces et aux communes. Elles possèdent chacune
un parlement régional et disposent, au même titre que l’État, de compétences législatives dans les matières
qui leur sont réservées. Les communautés choisissent les compétences qu’elles souhaitent exercer parmi celles
non réservées à l’État. L’aménagement du territoire, l’urbanisme, le logement, les travaux publics, l’agriculture, la protection de l’environnement et la culture sont des domaines traditionnels d’action des communautés.
L’État peut, s’il le souhaite, leur déléguer des compétences additionnelles qui relèvent normalement de sa
responsabilité
Les Parlements des communautés autonomes sont élus au suffrage universel direct. Les parlementaires élisent
leur président. Ce dernier est le chef de l’exécutif régional. Le Parlement régional peut demander au gouvernement de la nation l’adoption de projets de lois, soumettre des propositions de lois au Parlement et désigner
les députés qui se chargeront de leur défense.
- Les provinces : la Constitution les définit à la fois comme des collectivités locales ayant la personnalité
juridique et comme une division territoriale de l’État. La province est dirigée par la diputacion, composée d’un
conseil provincial élu au suffrage universel direct, d’un président élu par le conseil provincial et d’une commission de gouvernement, exécutif de la province, avec à sa tête le président élu. Certaines provinces bénéficient
d’un régime particulier, du fait de leur insularité (Baléares, Canaries), pour des motifs historiques (régime foral
de la Navarre et des trois provinces basques) ou parce que la communauté autonome ne comporte qu’une
seule province.
Les compétences des provinces sont fixées par les lois de l’État et des communautés autonomes. Les provinces ont pour vocation générale de promouvoir la coopération au niveau communal. Elles ont pour fonction de
coordonner les relations entre les communes, les communautés autonomes et l’État. Jusqu’en 1997, l’État
central était représenté au niveau provincial par un gouverneur civil, équivalent du préfet, nommé par le gouvernement ; ce gouverneur civil a depuis été remplacé par un « sous-délégué », nommé par le délégué du
gouvernement dans la communauté autonome et placé sous l’autorité de ce dernier.
- Les communes : leurs modalités de fonctionnement sont très proches de celles des communes françaises.
Le maire, chef de l’exécutif, est élu soit par les conseillers municipaux, soit, dans certains cas, directement
par la population. Les communes ont la charge de nombreux services publics tels les transports publics. Celles
qui comptent plus de 50 000 habitants ont par exemple obligation d’assurer la mise en place d’un service de
transport collectif urbain.
- Tutelle : la tutelle de l’État et des communautés autonomes sur les collectivités locales a pratiquement disparu, tant dans les domaines de la légalité que de l’opportunité. Elle s’effectue a posteriori et sous le contrôle
du juge. L’État central est représenté au niveau des communautés autonomes par un délégué qui est chargé de
diriger l’administration de l’État sur le territoire et de coordonner l’action de l’État avec celle des communautés
autonomes. Une réforme de la loi organique relative au Tribunal constitutionnel est intervenue en 1999 pour
introduire l’action en défense de l’autonomie locale contre les lois et les actes de niveau législatif. Le Parlement
régional peut désormais présenter un recours pour inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel.
- Autonomie financière : les provinces de type « foral » jouissent d’un régime particulier : les territoires
historiques du Pays basque et la Communauté régionale de Navarre sont ainsi habilités à maintenir, établir et
réglementer leur régime fiscal y compris concernant les impôts nationaux. L’autonomie des collectivités locales
est pour le reste moindre qu’en France. En 2005, la part des recettes fiscales sur lesquelles les collectivités
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locales ont un pouvoir de taux et d’assiette dépasse à peine les 50%. La part importante d’impôts partagés
avec l’État réduit la marge de manœuvre des communautés autonomes.
>> Avant de s’intéresser aux tensions qui traversent actuellement les territoires italien et espagnol,
quelques enseignements peuvent être tirés de cette présentation :
- La décentralisation en Espagne et en Italie est passée par l’affirmation claire du troisième niveau d’administration que constituent les communautés autonomes et les régions. Disposant d’un pouvoir législatif, elles jouissent
en outre d’un droit de regard sur les activités des échelons inférieurs, assument un pouvoir de coordination
et délèguent des compétences ;
- Alors que le droit français attribue une compétence exclusive au législateur s’agissant de la définition des
principes fondamentaux de l’administration locale (art 34 C.), c’est la norme suprême elle-même qui fixe le
vaste champ des compétences des collectivités de troisième niveau en Espagne et en Italie et leur reconnaît
un pouvoir législatif ;
- L’organisation des collectivités italiennes et espagnoles n’est pas uniforme : en Italie, les régions définissent
elles-mêmes leur organisation interne et rédigent leurs statuts, qui doivent toutefois être approuvés par les
parlements nationaux ; les communautés autonomes espagnoles jouissent pour leur part d’une autonomie
différenciée ;
- Les pouvoirs de tutelle sur les actes des collectivités locales, assurés tant par l’État central que les collectivités
de troisième niveau, ont été supprimés ; la légalité des actes des collectivités ne peut désormais être contestée
qu’a posteriori devant les tribunaux de droit commun.
- Les collectivités de troisième niveau, contrairement à ce que l’on observe en France, peuvent saisir le Tribunal
constitutionnel afin de faire respecter leurs prérogatives.
C. TENSIONS ACTUELLES EN ITALIE ET EN ESPAGNE
Italie
Certaines tensions demeurent palpables dans l’Italie des régions :
1. Il existe un fort clivage nord/sud : pour faire face aux revendications sécessionnistes de la Ligue du Nord,
l’État se voit contraint d’accorder toujours plus d’autonomie aux régions;
2. Le net rejet par referendum en 2006 du projet de réforme territoriale inspiré par les thèses d’Umberto
Bossi, leader de la Ligue du Nord, et initié par Silvio Berlusconi, laisse entendre que l’Italie n’est pas prête à
s’engager plus en avant sur la voie du fédéralisme. Ce projet prévoyait notamment l’attribution aux régions de
compétences exclusives supplémentaires, en matière de santé et d’organisation scolaire, et la transformation,
sur le modèle allemand, du Sénat en Chambre des Régions.
3. Le maillage régional reste très disparate : sept régions ont plus de quatre millions d’habitants et huit moins
d’un million. La seule réponse apportée à ce jour à cette situation a été la promotion en 2001 d’une formule
d’entente entre les régions, ouvrant notamment droit à la création d’organes communs.
4. Les cultures localistes, inquiètes du rôle croissant joué par les régions, s’opposent aux cultures régionalistes
qui militent pour qu’une nouvelle étape de la décentralisation soit franchie en leur faveur.
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Espagne
Deux types de tensions peuvent être identifiées dans l’Espagne des autonomies :
1. On observe tout d’abord une surenchère nationaliste, émanant principalement de la Catalogne et le Pays
Basque. Les réformes statutaires ont été menées par vagues successives et se sont toutes traduites par un
rapprochement significatif des statuts autonomiques. Les spécificités propres aux communautés historiques
ont dès lors eu tendance à s’estomper, provoquant une surenchère régionaliste. La revendication de nouvelles
compétences et la promotion du fait différentiel sont devenues une constante du discours des communautés
autonomes historiques. La décentralisation en Espagne s’apparente ainsi à une fuite en avant, à une course
vers toujours plus de compétences et d’autonomie. C’est ce qu’illustre le sort d’un projet gouvernemental de
révision de la Constitution défendu en 2006 et prévoyant l’inscription de la carte définitive des autonomies dans
la norme suprême. Certaines communautés se considérant comme des nations, d’autres comme des régions,
aucun compromis n’a pu être trouvé et le projet a été abandonné.
Bien que moins ambitieux qu’initialement - le projet de statut reconnaissait la Catalogne comme nation, lui
laissait la totale maîtrise des impôts, des ports et des aéroports - le statut de la Catalogne a été adopté par
referendum en 2006. Il reconnaît à la région des symboles nationaux tels qu’un drapeau, une fête et un hymne.
Ce statut incarne à lui seul l’ampleur des tensions régionalistes actuellement à l’œuvre en Espagne. Au PaysBasque, le plan Ibarretxe, du nom du président de la communauté autonome, a été rejeté par le Congrès des
députés espagnols en 2004 : il octroyait au Pays-Basque un droit à l’autodétermination et la création d’une
nationalité et citoyenneté basques.
2. Les provinces et les municipalités réclament plus d’autonomie vis-à-vis des communautés autonomes. Elles
souhaitent qu’une nouvelle loi d’autonomie définisse les compétences des gouvernements locaux, afin de rendre leur exercice moins dépendant des communautés. Les partis nationalistes en place dans les communautés
autonomes se montrent hostiles à une telle évolution.
C’est dans ce contexte, marqué par de nombreux blocages, que s’inscrit, en Espagne comme en Italie, la problématique de l’émergence de métropoles suffisamment puissantes pour s’imposer sur la scène européenne
et internationale.
D .LA DIFFICILE EMERGENCE DES MÉTROPOLES Quelle place pour l’intercommunalité ?
Avant de s’attacher à faire émerger des métropoles, l’Italie et l’Espagne ont elles aussi tenté de remédier au
problème de l’émiettement territorial. Comme en France, des formes plus ou moins abouties d’intercommunalité
se sont développées.
En Espagne, deux structures principales existent : les Mancomunidades et les Comarcas. Fait original en
Europe, elles ont le statut de collectivités locales. A partir de règles minimales fixées par les communautés
autonomes, chaque Mancomunidad, formée volontairement, doit adopter ses statuts, décider de son organisation et définir ses activités. Les Comarcas sont pour leur part des structures obligatoires qui ont des activités
définies par la loi de la communauté autonome ; elles définissent leur mode de fonctionnement dans les limites
fixées par les communautés autonomes. Il existe quelques 1000 Mancomunidades et 80 Comarcas.
En Italie, divers groupements intercommunaux existent et concernent aussi bien le milieu urbain que rural
(comprensori, consorzi, comunità montana). Comme en France, les différentes structures intercommunales
italiennes ont des compétences exclusives, le transfert à la structure intercommunale dessaisissant automatiquement les communes de leurs compétences.
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Métropoles : état des lieux
Si l’intercommunalité a su partiellement remédier au problème de l’émiettement communal, l’Italie et l’Espagne
sont, comme la France, confrontés à des problèmes qui touchent plus particulièrement les grandes villes : desserrement urbain, déplacement des activités en périphérie, décroissance de la commune-centre, rationalisation
des moyens mis en œuvre conjointement avec les communes périphériques. C’est à ces vices structurels que
l’émergence de métropoles permettrait de remédier.
- En Italie, un statut des métropoles qui reste lettre morte
La révision constitutionnelle de 2001 marque une véritable révolution en créant, à côté des régions, provinces
et communes, une nouvelle catégorie de collectivité territoriale : les villes métropolitaines.. La Constitution
énumère nominativement les villes italiennes à qui est ouvert ce nouveau statut (il s’agit de Turin, Milan, Venise,
Gênes, Bologne, Florence, Rome, Bari et Naples). La loi prévoit de transférer vers ces instances métropolitaines
une série de compétences jusqu’alors partagée entre les communes, les Provinces et les Régions (transports,
développement économique, planification territoriale, notamment). Suite à la révision constitutionnelle, des
études sont menées pour déterminer le périmètre de ces aires métropolitaines.
Mais à ce jour, aucune métropole n’a été créée. Les périmètres n’ont pas été définis et le processus législatif
n’a pas été mené à terme. Le niveau métropolitain paraît absent en matière de planification territoriale, de
transports et de grands projets d’urbanisme. A titre d’exemple, les plans d’urbanisme de Naples et de Rome
sont circonscrits aux frontières communales et aucun document municipal ne prend en compte l’échelle métropolitaine. Seule la ville de Bologne a lancé des plans intercommunaux.
- En Espagne, d’importants facteurs de blocage
Les premiers efforts visant la rationalisation de l’organisation territoriale autour des grandes villes datent du
régime franquiste. Sont notamment créées la commission administrative du Grand Bilbao, la commission de
Planification et de coordination de Madrid, la Corporation métropolitaine de Barcelone. Mais, considérées comme
des appareils de contrôle politique, elles ne survivent pas à la dictature. Depuis, aucun texte législatif national
n’est venu encourager la constitution de métropoles.
Des structures de coopération métropolitaine émergent toutefois à l’initiative de certaines autonomies. A
Barcelone, les diverses formes de coopération sectorielle mises en place par le gouvernement régional en 1986
s’apparentent toutefois davantage à de l’intercommunalité (Entité métropolitaine des transports qui regroupe
18 communes, et Entité métropolitaine des services hydrauliques et de traitement des déchets). Ce que l’on
appelle la Région métropolitaine de Barcelone est administré par 8 niveaux administratifs distincts : districts,
communes, entités métropolitaines, mancomunitad, députation provinciale, gouvernement autonome et administration de l’État. Seule Valence possède une véritable structure métropolitaine : le Conseil métropolitain
de l’Horta, mis en place par le Parlement régional en 1986, et qui dispose de compétences en matière de planification territoriale.
La capitale espagnole elle-même se voit dans l’impossibilité d’acquérir un statut de métropole. Il était prévu
que la commune de Madrid soit dotée d’un régime spécial étant donné son rang de capitale. Mais ce statut, qui
devait être défini par une loi régionale, n’a jamais vu le jour en raison de la crainte de la communauté autonome
de Madrid de voir émerger une entité rivale. Madrid demeure ainsi placée en situation de soumission vis-à-vis
de la Communauté autonome.
- Comment expliquer cette difficile émergence des métropoles, et quelles leçons en tirer ?
Les difficultés rencontrées par le concept de métropole sont indissociables du contexte institutionnel et politique
propre à chaque pays.
La difficulté à faire émerger des métropoles en Espagne tient essentiellement à l’absence de volontarisme
politique étatique en la matière. L’État espagnol ne souhaite pas définir de régime juridique destiné aux
grandes villes et, ce, en dépit du manque d’ambition des projets d’intercommunalité. Une loi sur les grandes
villes est pourtant réclamée par les maires au nom d’une autonomie et d’une dynamique métropolitaine jugées
essentielles à l’économie nationale. Il semble que, comme l’Italie et ses régions, l’Espagne privilégie le niveau
territorial intermédiaire constitué par les communautés autonomes. Ces dernières détiennent l’essentiel du
pouvoir local, y compris en matière de cohésion et de compétitivité des grandes villes.
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En Italie, l’incapacité à faire émerger de cités métropolitaines s’explique principalement par le fait que l’émergence de cités métropolitaines :
- pose la question de l’existence même des provinces, les textes législatifs prévoyant que les villes métropolitaines bénéficient du double statut de commune et de province.
- implique un renforcement des prérogatives des villes-centre, une telle perspective ayant sans doute effrayé
les maires des communes de taille moyenne.
En dépit de ces multiples obstacles, de grandes figures locales sont apparues : A. Bassolino à Naples, W. Vitali
à Bologne, F. Rutelli puis W. Veltroni à Rome. Susceptibles de faire avancer les projets métropolitains, ils se
sont heurtés aux résistances des différents niveaux de collectivités locales. De fait, la question de l’émergence
des métropoles s’inscrit clairement dans le cadre de la rivalité existant entre villes et régions. Les modalités de
cette rivalité sont d’autant plus complexes que la loi limite à deux le nombre de mandats locaux pouvant être
exercés à chaque niveau de collectivité. Ceux qui défendent la place de la région aujourd’hui sont ainsi souvent
ceux qui se faisaient les chantres d’une émancipation des grandes villes hier.
Ce sont en fin de compte les régions qui ont comblé le vide laissé par l’effacement des cités métropolitaines
sur la scène territoriale. Certaines d’entre elles ont instauré des conférences permanentes Région-autonomies
locales. Dans le Latium, par exemple, une structure de concertation a été créée par une loi régionale : elle
réunit 5 provinces, 378 communes dont Rome et regroupe 5,3 M d’habitants.
Quelles leçons peut-on tirer de ces échecs ?
- l’émergence des métropoles en Italie et en Espagne a tout d’abord souffert du divorce plus ou moins prononcé
entre territoires institutionnels. Trouvant sa racine dans les rivalités opposant les différents échelons, et en
particulier le troisième niveau d’échelon et les communes-centre, ce divorce a eu pour conséquence la création
de formes multiples de coopération, ces dernières se superposant, et n’entretenant pas nécessairement de
relations.
- les configurations spatiales des territoires métropolitains conditionnent également la réussite du projet métropolitain. Les territoires dans lesquels existent plusieurs centres sont sans doute plus susceptibles d’aboutir à la
création de métropoles que les territoires monocentriques. Dans ce deuxième cas de figure, le poids démographique et économique de la ville-centre peut être considéré comme un facteur de déséquilibre par les autres
communes, qui craignent un effet de domination de la métropole sur l’ensemble territorial. C’est sans doute ce
qui explique la difficile émergence d’aires métropolitaines autour de villes comme Marseille et Milan.
- se pose également la question du caractère figé des structures métropolitaines. La volonté de mettre en
place des dispositifs institutionnels forcément pérennes et rigides dans leur fonctionnement est-elle compatible
avec le constat de ce qu’est la métropolisation, un processus plus qu’un état, dont les dynamiques appellent
des adaptations permanentes ?
- la constitution de dispositifs institutionnels métropolitains pose la question du rôle que doit nécessairement
jouer l’État dans cette réforme. Alors que l’État lui-même a fait des échelons de troisième niveau les pivots de
la décentralisation en Italie et en Espagne, et alors, que l’émergence de territoires métropolitains se heurte à
l’hostilité de ce troisième niveau, l’émergence d’aires métropolitaines semble inconcevable sans un fort volontarisme politique étatique.
- enfin, les expériences italienne et espagnole suggèrent que le projet métropolitain ne saurait aboutir s’il est
conçu comme le simple véhicule d’impératifs économiques et de compétitivité à l’échelle nationale et internationale. Il semble de ce point de vue impossible de faire l’économie de l’adhésion populaire à de tels projets,
avec comme problématique sous-jacente, la représentation des citoyens au sein de telles entités.
T
C
hibault CORNUT-GENTILLE
éline BACHARAN
Courriel : [email protected]
Association des Maires de Grandes Villes de France - 42, rue Notre-Dame des Champs - 75006 PARIS
Tél : 01-44-39-34-56 - Fax : 01 45-48-98-54 - Site : grandesvilles.org
N° 23 - Mars 2009