Liberté de la presse et régulation des médias dans les processus

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Liberté de la presse et régulation des médias dans les processus
Séninaire international sur la gestion de la transition en République démocratique du Congo
Liberté de la presse et régulation des médias dans les processus
démocratiques en Afrique
Monsieur Luc-Adolphe Tiao
Président du Conseil supérieur de l’Information du Burkina Faso
INTRODUCTION
Vous me permettez avant tout propos de remercier nos hôtes congolais pour la chaleur de l’accueil qui
nous a été réservé.
Je voudrais féliciter l’Organisation Internationale de la Francophonie et en particulier la Délégation aux
Droits de l’Homme et à la Démocratie que dirige brillamment Mme Christine DESOUCHES pour cette
nouvelle initiative heureuse qui permet à nous tous, venus de l’espace francophone pour échanger nos
expériences.
En ciblant le rôle des Institutions d’appui à la démocratie prévues par l’Accord Global et Inclusif, l’OIF
confirme son attachement au renforcement l’élargissement de la démocratie en Afrique.
Naturellement, la question des médias demeure mon centre d’intérêt au regard des responsabilités que
sont les miennes dans ce domaine au Burkina Faso.
Au-delà de l’opportunité qu’offre ce forum de faire le bilan de l’action de ces médias dans le processus
de transition en République Démocratique du Congo, les aspects particuliers liés au renforcement de
leur rôle dans l’approfondissement de la liberté de l’information et de la communication, ainsi que
l’enracinement de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique, constituent des centres
d’intérêt majeur, en ce qu’ils se situent au cœur des préoccupations du continent.
On ne le dira jamais assez, la liberté de la presse et la démocratie sont les deux faces de la même
médaille.
Au moment où nous nous interrogeons sur le rôle des Institutions d’appui à la démocratie en RDC, je
me fais le plaisir d’aborder la question de la liberté de la presse et la problématique de son contrôle.
Cette approche conduit à situer les enjeux de la régulation de l’information et de la communication en
Afrique.
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I.
DE LA LIBERTE DE LA PRESSE ET DE SON CONTROLE
Le concept de la « liberté » de la presse signifie, pour reprendre Emmanuel DERIEUX est la « faculté
d’agir, de sa propre initiative, sans y être contraint ni en être empêché par quelque personne,
puissance ou autorité qui n’aurait pas été formellement habilitée, ou qui interviendrait pour des motifs,
au-delà des limites ou selon des moyens autres que ceux correspondant aux pouvoirs qui lui ont été
conférés ».1
Dans sa déclinaison originale, le principe de liberté de presse, élargi plus tard au concept de liberté
d’expression ou de communication, suppose une absence ou un abandon de toutes mesures de
contrôle politique ou administratif préalable de la presse et notamment de son contenu.
Les héraults de la Révolution française de 1789 en ont formellement posé le substrat philosophique
dans l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. « La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme, tout citoyen peut donc parler,
écrire, s’exprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par
la loi ».
C’est au nom de son caractère sacré que la liberté d’expression et de communication est reconnue
au même titre que d’autres libertés par les lois fondamentales.
L’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 stipule « que
toute personne a droit à la liberté d’expression, ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir
et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous
une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou tout autre moyen que ce soit ».
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, adoptée dans le
cadre du Conseil de l’Europe, le 14 novembre 1950 précise : « toute personne a droit à la liberté
d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des
informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques et sans
considération de frontières ».
Au Burkina Faso, la Constitution de la IVème République en son article 8 stipule que «les libertés
d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de
diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ».
L’article 1er du Code l’information stipule « le droit à l’information fait partie des droits fondamentaux
du citoyen burkinabé ».
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E. Derieux : Droit des médias, Dalloz, 2ème édition P. 8.
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A tout bien analyser, les proclamations de la liberté de la presse sont faites de façon si péremptoire et
si solennelle que l’on pourrait penser que cette liberté doit s’exercer sans encadrement. Mais dans un
cadre social ou politique, on ne peut admettre une liberté sans contrepartie. Il nous faut donc dégager
les raisons qui peuvent fonder la nécessité d’un contrôle des médias.
Le concept de contrôle des médias peut faire frémir les âmes sensibles à l’indépendance de la presse,
si l’on s’en tient au sens étymologique du mot. Il ne s’agit pas ici du contrôle administratif des médias.
En effet, en application des pouvoirs généraux de police administrative auxquels les médias
n’échappent pas également, des mesures restrictives de liberté peuvent être prononcées, selon des
modalités différentes, dans tous les cas selon qu’il s’agit de périodes « normales » ou «
exceptionnelles ».
Le contrôle peut être défini comme la vérification du bon fonctionnement d’un système. Le contrôle
consiste à prévoir, en cas de dysfonctionnement du système, des mécanismes pour en corriger les
défaillances.
En effet, tout en s’affirmant comme essentielle à la vie social, la liberté d’expression et de
communication peut-elle être absolue ? Une liberté absolue pourrait-elle se déployer sans mettre à
mal les droits et les aspirations de certains citoyens ou la cohésion des Etats africains dont la
construction en tant que nation est encore un vaste chantier ?
Les éléments de réponse à ces questionnements indiquent la nécessité d’un contrôle de la liberté de
la presse. Mais quelle philosophie peut sous tendre ce contrôle ?
Il y aurait de toute évidence danger pour la société que la liberté d’expression et de communication ne
se fixe par des garde-fous. Au nom de quoi, du reste, un corps social peut-il s’arroger tous les droits
sans s’imposer des devoirs ?
Le législateur, tout en consacrant le principe de la liberté d’expression et de communication dans les
dispositions de la Constitution, en fixe fort heureusement les limites. Il suffit, à cet égard, de se référer
aux différentes lois relatives à la liberté d’expression. L’article 8 de la Constitution du Burkina Faso citée
plus haut illustre parfaitement notre propos, en subordonnant la liberté d’opinion au respect de la loi.
Il en est de même des dispositions prévues par la Loi de février 2004 relative à la HAM (voir article en
annexe).
Si la limitation de cette liberté s’avère donc indispensable, elle doit être juridiquement déterminée, claire
et officielle, connue de tous, être la même pour tous et appliquée à tous de la même façon.
D’où la nécessité d’un contrôle qui, pour être efficace, doit se déployer au plan institutionnel pour rester
dans la logique des principes républicains.
Dans ces conditions, le contrôle n’est pas a priori antinomique à l’exercice de la liberté. Le contrôle qui
s’exerce dans le cadre de la loi ne peut remettre en cause les fondements de la liberté d’expression
et de communication.
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Le contrôle doit être par conséquent indépendant de toute ingérence politique pour permettre
l’expression de tous les courants d’idées et d’opinions qui traversent la société globale.
La liberté de la presse devant donc être soumise à la loi, comme toutes les autres libertés, la question
reste de savoir si le contrôle de son application doit relever d’un organe indépendant du pouvoir et de
la presse. La question est importante, pour que le principe et les mécanismes du contrôle ne servent
pas d’alibi à une restriction de la liberté de la presse.
II.
DU STATUT DU JOURNALISTE EN AFRIQUE
Si partant de la loi garantie la liberté de la presse, celle-ci ne peut s’affirmer que si les hommes qui en
assurent la mise en œuvre sont juridiquement protégés. Il faut également que leur situation sociale
contribue à leur indépendance dans le traitement de l’information. La situation du journaliste africain,
en raison de facteurs socio-politiques particuliers, n’est pas toujours favorable à l’exercice de la
profession.
Il nous semble qu’une première distinction doit être faite entre le journaliste (ou journalisme) d’Etat et
le journaliste des organes privés (ou journalisme privé). Les motivations et les contraintes de travail ne
sont pas toujours les mêmes.
Le journaliste employé par les médias publics est généralement en Afrique un fonctionnaire, soumis au
pouvoir hiérarchique. Sa liberté doit être alors constamment conquise en raison de la tendance du
politique à orienter l’information en faveur du système en place par la subordination des hommes des
médias.
Soumis au pouvoir hiérarchique, le journaliste fonctionnaire se révèle être dans la pratique un privilégié
sans privilèges que l’arme redoutable de l’information qu’il détient ne soustrait pas pour autant de
relations problématiques et équivoques avec le pouvoir politique. On connaît les fortunes de certains
journalistes africains qui ont essayé d’incarner tout ce que la profession a de plus noble en termes
d’indépendance d’esprit et d’objectivité dans le traitement de l’information.
En effet, lorsqu’au nom des principes qui guident l’exercice de son métier, le journaliste africain en
arrive à analyser une information dans un sens contraire aux intérêts du système dominant, il est
généralement catalogué comme un opposant, avec tous les risques qu’il peut encourir dans le
déroulement de sa carrière. Dans les rédactions africaines, on constate donc des classifications des
journalistes en journalistes du « pouvoir » et en journalistes de « l’opposition ». Une telle situation
affaiblit le journaliste et le journalisme africain, et par conséquent, la presse africaine dans
l’accomplissement de sa mission.
Selon le Professeur Serge Théophile BALIMA de l’Ecole Supérieure de Journalisme et de la
Communication de l’Université de Ouagadougou, estime que les journalistes représentent des «
porteurs de mallettes », exposés par conséquent aux pouvoirs politiques et aux pouvoirs d’argent.
Il faut en conclure que la situation sociale du journaliste est déjà une grande entrave à son action.
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D’où la nécessité d’un statut qui protège le journalisme africain, tant il est vrai qu’il subsiste encore, de
la part des dirigeants africains, des réflexes résiduels de l’Etat d’exception qui les conduisent à vouloir
contingenter l’action des médias publics.
La situation n’est pas toujours différente dans les organes de presse privés. Le patron de presse
devient le nouveau potentat à la place du pouvoir politique qui admet difficilement un traitement de
l’information qui ne serait pas en adéquation avec la sensibilité politique ou la ligne éditoriale de
l’organe. La clause de conscience n’est pas reconnue aux journalistes africains.
Pour ce qu’il nous a été donné de constater au Burkina Faso, à quelques exceptions près, la plupart
des organes privés fonctionnent comme des structures du secteur informel :
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absence d’un statut du personnel,
absence d’un contrat de travail,
absence d’une grille salariale,
non déclaration au régime de sécurité sociale,
mobilité du personnel, etc …
Cette situation de précarité expose ces personnalités au « mercenariat de la plume », à la corruption,
ce que nous appelons au Burkina Faso le « gombo ».
Cette précarité se double d’une défaillance au niveau de sa formation.
L’absence de formation adéquate est également à l’origine de nombreuses dérives d’ordre éthique et
déontologique dans les médias africains. Bien des procès de malheureux mais justifiés auraient été
évités avec un minimum de maîtrise professionnelle.
Face à ce tableau d’ensemble, quel peut être le rôle des Instances de régulation de l’information et de
la communication dans la promotion de la liberté de la presse en Afrique ?
III.
LES INSTANCES DE REGULARISATION DES MEDIAS EN AFRIQUE
Réguler, d’après le dictionnaire méthodique, c’est déterminer, orienter, contrôler. On régule, ainsi les
naissances dans le cadre d’une politique démographique, on régule des secteurs économiques, des
marchés, etc …
La régulation est en général le moyen d’assurer le fonctionnement correct et harmonieux d’un système
déréglementé. La déréglementation qui précède toujours la régulation, n’est pas la suppression de
toute réglementation, mais la levée des obstacles à la concurrence. Le principal instrument de
régulation est généralement une autorité administrative indépendante.
Mais quelle est la nature juridique des organes de régulation ?
D’après Gentot dans « les Autorités Administratives Indépendantes », les Instances de régulation sont
« des organes publics non juridictionnels qui ont reçu la mission d’assurer la régulation dans un
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secteur sensible, de veiller au respect de certains droits des administrés et qui sont dotés de pouvoirs
et de garanties statutaires leur permettant d’exercer leurs fonctions sans être soumis à l’emprise du
gouvernement ». 2
Innovation majeure de point de vue juridique, les instances de régulation en tant qu’autorités
administratives indépendantes, témoignent d’une situation des rapports Etats/Sociétés. Selon Agnès
Chauveau, elles constituent une réponse originale des pouvoirs publics au besoin de régulation et de
protection des libertés individuelles et publiques des secteurs concernés. En réalité, l’Etat lui-même
voudrait par là se soustraire d’une activité dont le caractère est essentiellement privé d’une part, et
d’autre part et par souci de neutralité, assurer, dans la gestion des médias les principes de pluralisme,
d’égalité et d’équité dictés par la loi.
En théorie, l’instance de régulation crée la distance entre l’exécutif et le secteur régulé, en l’occurrence
celui des médias publics, ceci dans la nécessité de ne pas donner l’impression d’une mainmise de
l’Etat dans ce secteur.
La création des instances de régulation n’a cependant pas privé, de tout pouvoir d’intervention,
l’autorité publique dans la gestion des médias.
Si dans la démocratie occidentale, il n’existe pratiquement plus de Ministre de l’Information, dans la
quasi totalité des pays africains, les médias publics sont sous la tutelle directe d’un Ministère. Cette
situation crée souvent des conflits de compétence (quand les textes sont clairs) qui amenuise les
possibilités d’action des instances de régulation de l’information.
Même dans les pays développés l’exécutif et le Parlement qui sont la source traditionnelle du droit
positif ont toute la latitude de modifier le champ de compétence et les missions des instances de
régulation.
Alors, les Instances de régulation seraient-elles des mirages offerts à l’opinion publique pour mieux
masquer la mainmise de l’Etat sur le secteur des médias ?
Il convient ici de relativiser le jugement, souvent sévère, fait à l’endroit des instances de régulation. Si
les médias sont considérés comme un contre-pouvoir, tel ne peut être le cas d’une autorité même
indépendante. Une autorité de régulation des médias irait à l’encontre de la loi en se comportant
comme un contre-pouvoir. L’indépendance dont elle doit faire preuve n’est dirigée contre personne.
Elle doit garantir l’expression de toutes les opinions dans le cadre des impératifs dictés par la Loi.
Pour reprendre une fois de plus Agnès Chauveau, la vocation des autorités indépendantes est « de
médiatiser et rééquilibrer la relation souvent conflictuelle entre l’Etat et la société ».
2
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41 – Gentot : les autorités administratives indépendantes, Montchrestis, Paris, 2ème édition 1994.
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Mais dans les faits, la tentation demeure grande pour tout pouvoir politique de chercher à s’assurer le
contrôle du pouvoir médiatique, dont en particulier celui de l’instance de régulation.
L’avènement des Instances de régulation de l’information et de la communication en Afrique date
seulement d’une décennie.
C’est à la faveur de l’ouverture démocratique dans nos Pays, que s’est accompagnée la mise en place
de mécanismes de protection et de renforcement des libertés politiques, qu’ont émergé
progressivement ces Instances dans les schémas institutionnels des Etats africains.
Le constat antérieur est que les médias, d’une manière générale, étaient sous l’apanage exclusif des
pouvoirs en place. C’était la longue période « d’instrumentalisation » de la presse au service soit
d’une idéologie soit de régimes en quêtes de légitimité.
Avec l’ère nouvelle qui s’est ouverte, les constitutions africaines ont pris la précaution d’aménager un
statut particulier pour la presse afin que celle-ci soit le reflet plus ou moins fidèle des opinions plurielles
qui s’expriment dans la vie nationale. Dans plusieurs pays africains, la base de cette liberté de la presse
est stipulée dans la constitution et/ou dans des codes spécifiques portés par des lois.
Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs, le domaine de l’information de la communication a
été de tout temps porteur d’énormes enjeux. Il est donc apparu nécessaire de prendre des dispositions
et de fixer des règles pour que la gestion des médias réponde aux exigences du service public. Cette
mutation s’est opérée dans un contexte où le prodigieux développement des moyens de
communications a conduit à une prise de conscience progressive des effets multiples exercés par la
presse dans son ensemble sur le public, et de leur importance capitale dans la vie sociale et politique.
Pour organiser des parades légales à la confiscation de l’information par les pouvoirs politiques
africains, il s’est alors imposé dans cet optique la création d’autorités indépendantes pour mettre en
œuvre les droits reconnus aux citoyens dans le domaine de la presse.
Dès lors, les différents pays tenteront de concrétiser l’idée selon laquelle tous les courants d’opinions
et de pensées doivent s’exprimer librement dans le cadre de lois et règlements ; mais en fonction d’un
ensemble d’impératifs à contrôler et à orienter par une Instance indépendante de l’autorité politique et
des autres sources d’influence sociale.
Il est difficile de faire une énumération exhaustive des attributions des Instances de régulation au regard
des nuances constatées çà et là sur le continent. Pour simplement m’appuyer sur le cas du Burkina,
le Conseil Supérieur de l’Information a été créé en Avril 1995 par décret, puis la loi organique n°202000/AN du 28 juin 2000. Il a pour mission de garantir la liberté de presse et de s’assurer que l’activité
des médias est conforme à la loi. Son domaine de compétence s’étend donc sur le secteur de
l’audiovisuel public et privé et celui de la presse écrite publique et privée.
Le Conseil Supérieur de l’Information se porte garant du respect des textes législatifs et réglementaires
applicables aux diffuseurs publics et privés, et donc, de l’ensemble des règles qui protègent et
encadrent la liberté de la communication.
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Dans ce cadre, le Conseil Supérieur de l’Information veille à la sauvegarde des droits consacrés par la
Constitution tels que, le respect des droits et de la dignité de la personne humaine, la protection et la
promotion de la culture nationale.
Vous me permettrez de relever les missions et les compétences les plus importantes du CSI. Pour
l’essentiel, le Conseil Supérieur de l’Information a un certain nombre de missions.
LE Conseil Supérieur de l’Information doit contrôler le fonctionnement régulier des médias. Ce contrôle
porte sur la conformité des programmes des médias avec les dispositions des conventions signées et
de leurs cahiers de charges respectifs, et sur le respect des obligations sociales, fiscales,
administratives et financières édictées par les textes en vigueur. Le CSI a compétence pour contrôler
le respect des principes fondamentaux régissant la publicité dans les médias.
Ces missions sont fondamentales en matière d’ouverture des radios et télévision qui ont besoin de
fréquences pour leur fonctionnement.
La loi N°20-2000/AN du 28 juin 2000 reconnaît au Conseil Supérieur de l’Information le pouvoir
d’autoriser l’exploitation de la radiodiffusion sonore et télévisuelle. Mais la gestion des fréquences
relève de l’ARTEL.
Le souhait de notre institution a toujours été que la gestion des fréquences et l’autorisation de leur
exploitation soient confiées à la même instance, en l’occurrence le CSI.
Mais pour l’heure, en raison de l’excellence des relations entre le CSI et l’ARTEL, il ne pose aucun
problème dans la gestion des fréquences. L’ARTEL reste disponible et coopératif avec le CSI.
Pendant longtemps les fréquences sont attribuées sur présentation des dossiers requis. L’autorisation
d’exploitation est délivrée habituellement pour une durée de cinq (5) ans renouvelable dans des
conditions précisées dans les cahiers de charges et de mission. Mais depuis juin 2003, nous avons
institué l’appel aux candidatures qui permet de gérer les demandes dans une plus grande
transparence et avec plus de rigueur.
La délivrance de cette autorisation est subordonnée à la signature d’une convention entre le Conseil
Supérieur de l’Information et les opérateurs retenus. Cette convention définit les obligations
particulières à observer par les médias.
Cette Convention définit les obligations particulières à observer par les médias.
Le Conseil Supérieur de l’Information veille à ce que l’exploitation de toute fréquence octroyée
commence de manière effective au plus tard dix (10) mois après la délivrance de l’autorisation
d’exploitation. En mai dernier, nous avons procédé au retrait de trois fréquences conformément aux
dispositions prévues, par la Convention.
A partir d’un tel contrôle, le conseil essaie de faire assurer le pluralisme et l’équilibre de l’Information.
L’une des missions de l’instance de régulation des médias est de veiller au respect de la pluralité des
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opinions et à l’accès égal et équitable des partis politiques, des associations, des syndicats et des
composantes de la société civile à la presse écrite et aux médias audiovisuels publics (art. 21).
Toutefois l’absence d’une loi sur la communication audiovisuelle limite la portée des dispositions de
l’article 8 de la constitution et de l’article 21 de la loi n°20-2000/An du 28 juin 2000, relative au respect
du pluralisme et à l’égal accès aux médias publics.
Une telle loi devrait prendre en compte toute la réglementation du secteur audiovisuel public et privé
qui connaît aujourd’hui un très grand développement dans notre pays qui comptent actuellement
(soixante quatre (64) radios privées et trois stations de télévisions privées et une en phase de
démarrage).
L’absence également de cahiers de charges et de missions des médias publics constitue aussi une
des faiblesses de notre système de contrôle des médias car il rend ainsi fragiles les compétences
reconnues au CSI dans la gestion des médias publics en période hors électorale.
Le Conseil Supérieur de l’Information peut également, à l’attention des pouvoirs exécutif et législatif,
formuler des propositions, donner des avis et faire des recommandations sur les questions relevant de
son domaine de compétence.
Ce rôle gagnerait à être renforcé rendant l’avis consultatif du CSI plus ou moins obligatoire pour tous
les projets de décisions et dispositions de nature réglementaires prises par le gouvernement ou toute
autre institution compétence en la matière.
Le CSI est habilité à saisir les autorités administratives ou judiciaires compétentes pour connaître des
pratiques restrictives de la concurrence et de la concentration économique dans le secteur de
l’information.
De même peut être saisi par tout citoyen, toute association ou toute personne morale publique et
privée pour examiner des questions relatives à son champ de compétence, le CSI peut également
contribuer, selon la loi, au règlement non judiciaire des conflits entre les médias et entre les médias et
le public.
Comme toutes les Instances de régulation, le Conseil Supérieur de l’Information bénéficie d’un pouvoir
normatif et réglementaire.
A ce titre, il fixe les règles devant régir l’accès des partis politiques aux médias publics pendant les
campagnes électorales.
Bien que n’étant pas une juridiction, le CSI a un pouvoir de sanction que lui reconnaît l’article 36 de la
loi organique n°20-2000/AN. Les sanctions sont les suivantes :
–
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la mise en demeure adressée au directeur de l’organe de presse concerné ;
la suspension de la publication ou d’une partie du programme pour une période pouvant aller
d’un mois à trois mois au plus ;
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le retrait de l’autorisation d’exploitation s’il y a lieu.
Ces dispositions gagneraient à être reprécisées, dans la mesure où la loi n’énonce pas clairement les
règles de procédure. Les règles édictées le sont uniquement au niveau des conventions dont la valeur
juridique reste nettement en dessous de la loi.
En dépit de son insuffisance, le Conseil Supérieur de l’Information est parvenu à remplir ses missions.
C’est ainsi qu’à l’occasion du scrutin législatif du 5 mai 2002, l’institution a introduit un certain nombre
d’innovations qui ont consacré définitivement son ancrage dans le paysage institutionnel du pays.
Outre la gestion rigoureuse du scrutin sur la base de l’égalité d’accès des partis politiques en lice aux
médias publics, l’Institution a :
autorisé la couverture médiatique des consultations électorales par les radios privées ;
initié avec l’accord et l’appui de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), qui en a
assuré le financement, un séminaire/atelier sur la régulation de l’information en période électorale. Ce
séminaire a regroupé :
–
–
–
les responsables des partis politiques en lice pour le scrutin ;
les responsables des médias publics et privés ;
certaines composantes de la société civile.
Il en est résulté un code de bonne conduite signé par la quasi-totalité des partis politiques et des
directeurs des médias, ce code véritable innovateur a contribué a « civilisé » les débats relatifs aux
élections du 5 mai 2002. Les résultats atteints attestent d’un éveil progressif de la culture démocratique
dans notre pays, si l’on en juge par la configuration de la Nouvelle Représentation Nationale (57
députés pour le parti au pouvoir contre 54 pour l’opposition).
Le Conseil Supérieur de l’Information a initié et mis en œuvre une démarche pédagogique originale qui
a eu le mérite de dissiper les suspicions qui ont toujours marqué, tout au moins au départ, la
dynamique des relations entre les instances de régulation et les partis politiques d’une part, et d’autre
part, entre ceux-ci et les médias en général.
Par cette démarche, l’institution s’est forgée une bonne réputation et la confiance en elle restaurée. De
mon point de vue, la gestion des scrutins futurs devra toujours être marquée par la neutralité et
l’impartialité des décisions du Conseil.
Mais un challenge demeure en ce qui concerne le respect du pluralisme et de l’équilibre de
l’information en période non électorale. Celui-ci pose le problème de l’adoption des cahiers de charges
et de missions des médias publics. La non résolution de ce problème entraîne nécessairement des
préjugés et une forme de méfiance du pouvoir et des partis politiques à l’égard de l’institution.
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Comme on le voit, l’action des instances de régulation est délicate et apparaît comme une conquête
permanente.
Si l’émergence des Instances de régulation de l’information doit être située dans la dynamique des
processus de démocratisation en Afrique, il y a encore de la part des dirigeants africains, une grande
hésitation à leur faire jouer convenablement leur rôle.
Il y a, certes, quelques Instances en Afrique qui jouissent d’une véritable crédibilité, mais globalement
sur le continent, les Instances de régulation ne parviennent pas encore à remplir leurs missions. Cette
situation s’explique par :
–
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–
–
–
la subordination des Instances de régulation à l’autorité publique, en particulier les ministres en
charge de l’information,
la faiblesse des statuts des Instances,
le dénuement total en moyen matériel et financier,
l’absence des cahiers de charges et de missions des médias publics dans la plupart des pays
africains,
l’accaparement conséquent des médias publics par le parti au pouvoir,
la nomination des responsables des médias publics à la seule initiative du Ministre, d’où le lien
de subordination hiérarchique qui aliène l’indépendance des journalistes,
l’absence d’une loi sur la communication audiovisuelle.
Il faut donc craindre que, dans ces conditions, les Instances de régulation ne deviennent le recours
institutionnel – et non légal – à la restriction de la liberté de la presse en Afrique, si elles n’ont pas les
moyens leur permettant de jouer pleinement leur rôle au regard des attentes citoyennes en matière de
liberté.
Par conséquent, pour que les Instances de régulation puissent jouer convenablement le rôle de
promoteurs de la liberté de la presse en Afrique, il faut corriger et compléter les textes législatifs et
réglementaires qui organisent leur action.
IV.
PERSPECTIVES
Les missions fondamentales de la presse sont entre autres, d’éduquer, de former les citoyens, et en
particulier de susciter un éveil des consciences sur les grands problèmes liés au développement dans
ses différentes dimensions. Dans le contexte africain, il s’agit également d’aider à la consolidation de
la démocratie. Je dirais même que l’avenir de la démocratie en Afrique repose sur une presse libre forte
et responsable.
En rapport avec les objectifs du présent séminaire international, les grands axes de réflexion et d’action
que j’identifie et qui me semblent devoir être mis au centre des débats sont les suivants :
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définir le statut du journaliste africain pour le protéger juridiquement et socialement dans
l’exercice de son métier,
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renforcer le rôle des Instances de régulation de l’information dans la protection et la promotion
de la liberté de la presse,
rechercher un cadre et des modes de financement de formations de haut niveau au profit des
journalistes africains.
En ce qui concerne particulièrement les Instances de régulation de l’information et de la
communication, il faudrait diligenter une étude sur les conditions et modalités d’une harmonisation des
règles d’organisation et de fonctionnement de ces nouvelles autorités administratives, afin que cellesci puissent jouer pleinement leur rôle dans l’ancrage de la démocratie, de la liberté de la presse, et de
la bonne gouvernance en Afrique. Dans ce sens, l’appui de la Francophonie à la concrétisation de la
création de l’Union Francophone des Instances de Régulation de la Communication (UFIRC) me
semble urgent et capitale. L’exemple réussi de l’impact des réseaux institutionnels de la Francophonie
sur les structures locales en est la preuve.
De même, la redynamisation du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication
(RIARC) se pose avec acuité au moment où sur le Continent, la plupart de ces structures sont dénuées
de pouvoirs réels ou sont dans la léthargie.
Le séminaire de Kinshasa devra marquer un tournant décisif dans l’approche de la problématique de
la liberté de la presse en Afrique. Il devra capitaliser toutes les idées émises à l’occasion des
concertations antérieures, formuler des propositions et mettre en place une coordination chargée de
la mise en œuvre de ses recommandations.
En particulier, le statut et la place des Instances de régulation de l’information et de la communication
dans le schéma institutionnel de nos Etats doivent faire l’objet d’une étude et de recommandations en
direction des dirigeants africains afin de sauter les derniers verrous à la liberté de la presse.
Il en est de même de la formation des hommes de médias. Il y aurait lieu d’identifier des structures de
formation et de réfléchir au mode de financement de ces formations.
Dans son plan d’action triennal, le Conseil Supérieur de l’Information a retenu ce volet comme un point
essentiel dans ses activités de soutien à la presse.
L’Afrique doit, à présent, franchir le cap de la consolidation du jeu démocratique pour se consacrer aux
tâches de développement.
CONCLUSIONS
Nous ne sommes pas venus à Kinshasa en donneur de leçon. L’Afrique est à la fois une et plurielle.
Chacun a ses réalités dans lesquelles se forge la démocratie. Notre lien commun demeure notre foi
inébranlable à la démocratie, aux droits de l’Homme dans un espace qui a fait dans ce domaine
d’énormes progrès, malgré les nombreuses difficultés qui jalonnent le parcours de chaque pays.
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Alors, je formule tous mes vœux les plus chers pour que la transition démocratique en République
Démocratique du Congo atteigne ses objectifs dans la concorde nationale, la tolérance et la paix.
Personne ne doute de ce passage crucial au regard de l’histoire récente de ce beau pays.
Le Congo, ce grand Etat, doit réussir sa transition pour occuper la place qui est la sienne dans le
combat permanent de notre espace linguistique pour la démocratie et le développement.
Dans cette phase, le rôle de la presse et particulièrement de la Haute Autorité des médias (HAM) est
capital.
Le CSI se réjouit d’avoir reçu le 3ème Vice-Président de la HAM et deux de ses collaborateurs et
d’avoir pu partager avec elle sa modeste expérience sur l’exercice de la liberté de la presse et de la
régulation du secteur de la Communication au Burkina.
Nous répondrons toujours présents car là où règne la paix sur une parcelle de l’Afrique, c’est une
avancée pour l’ensemble du Continent, vers son mieux être.
Je vous remercie.
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