Présentation de : TURQUIE : VERS DE NOUVEAUX HORIZONS
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Présentation de : TURQUIE : VERS DE NOUVEAUX HORIZONS
Présentation de : TURQUIE : VERS DE NOUVEAUX HORIZONS MIGRATOIRES, A. Manço, L’Harmattan – Compétences interculturelles, Paris, 2004, 306 p. Altay Manço La diaspora turque en Europe et dans le reste du monde industrialisé est en croissance numérique constante tant par son apport démographique naturel que par l’importation de personnes à travers, notamment, les pratiques de mariage endogame. Cette croissance, en dépit de la fermeture des frontières européennes et de la difficulté de s’établir en Amérique du Nord ou en Australie, est également soutenue par des phénomènes migratoires tels que les déplacements liés aux études supérieures, qui, à défaut d’être réellement nouveaux dans l’histoire de l’émigration turque, n’en atteignent pas moins des amplitudes de plus en plus importantes. Comment s’étonner de ces constats lorsque l’on considère le formidable potentiel démographique de la Turquie, une population de plus de 70 millions aux portes de l’Union européenne, un pays fort d’une jeunesse de plus en plus qualifiée et désireuse de déployer ses ressources en immigrant à l’étranger et à la rigueur de contribuer au développement de son pays d’origine à travers une réussite dans le pays d’immigration ? Comment s’en étonner, en effet, lorsque l’on considère qu’environ un tiers des Grecs ou des personnes de descendance grecque vit en dehors de la Grèce, qu’une proportion remarquable de personnes d’origine italienne est installée en dehors de la botte, etc. alors que le nombre de personnes originaires de Turquie dispersées dans le monde – peuple dont on souligne parfois l’origine nomade – atteint à peine 4,5 millions d’individus ? Face à cet élan qui ne s’essouffle pas, les observateurs (de Tapia, 2000) n’hésitent pas à parler d’un nouveau « système circulatoire » turc en Europe et dans le Monde, système qui intègre les mouvements complexes de déplacement d’hommes et de femmes, de capitaux, de services et d’informations divers à travers l’Union européenne et sa « banlieue » orientale et balkanique. Il s’agit d’élargir ce cercle par réseaux concentriques vers l’Amérique du Nord, les pays arabes, ainsi que vers l’Asie centrale et l’Océanie. Il s’agit également de comprendre dans le cadre de l’observation tant les étudiants, les stagiaires et les travailleurs immigrants permanents ou ceux dont le contrat d’emploi détermine la date du retour que les demandeurs d’asile, les immigrants irréguliers, les candidats à une immigration « matrimoniale », les personnes âgées rejoignant leurs enfants immigrés, etc. Certes, l’émigration turque « classique » vers l’Europe du Nord est marquée par son aspect tardif comparé aux autres populations méditerranéennes, ses origines rurales, sa concentration géographique, son caractère familial, sa préservation de la langue et de la culture d’origine, ses qualifications socioprofessionnelles relativement faibles et, enfin, par ses compétences dans la mise en place d’organisations, de marchés et de structures communautaires et religieuses très denses (Manço U., 1992). Toutefois, le paradoxe des immigrations en provenance de Turquie demeure dans leur dynamisme communautaire et la force de leurs adaptations économiques à de nouveaux espaces et marchés, en dépit d’une intégration socioculturelle qui reste assez problématique aux yeux de tous les Etats d’accueil (de Tapia, 1995). L’immigration en provenance de Turquie est également une des mieux étudiées. Ainsi, pour une vue générale sur l’immigration turque en Europe et dans le monde, le lecteur peut consulter Kastoryano, 1986 ; Binswanger et Sipahioglu, 1988 ; Özcan, 1989 ; Sen, 1990 ; Bozarslan, 1990 ; Bozarslan, 1992 ; Manço et Manço, 1992 ; Migrations Société, 1992 ; Cahiers d’Etudes sur la Méditerranée orientale et le Monde Turco-iranien, 1992 ; de Tapia, 1994 ; Manço A., 1994 ; Kastoryano, 1995 ; Doomerik, 1995 ; de Tapia, 1995 ; Hale, 1995 ; Cahiers d’Etudes sur la Méditerranée orientale et le Monde Turco-iranien, 1996 ; Manço A., 1998 ; Manço A., 2000 ; etc. La marginalité culturelle turque qui, parfois, rime avec exclusion économique, s’affirme notamment par la persistance des traditions ethnico-familiales avec, par exemple, le code d’honneur et le mariage des jeunes avec un conjoint issu du village d’origine des parents, la faiblesse du niveau de connaissance de la langue du pays d’accueil et le regroupement dans des quartiers défavorisés à forte structuration ethnique (commerces, cafés, associations, mosquées, …). Les graves difficultés d’insertion sociale et économique auxquelles l’immigration originaire de Turquie doit faire face sont notoires dans de nombreux pays : les jeunes connaissent un échec scolaire massif et se trouvent souvent relégués dans l’enseignement professionnel, voire spécial. La majorité des actifs sont ouvriers non qualifiés et leur taux de chômage dépasse largement celui des autochtones … Toutefois, des faits relativement nouveaux et massifs tels que l’accès aux nationalités des pays d’accueil, l’accès à la propriété, l’accès aux études supérieures et à des professions indépendantes, etc. sont à souligner et incitent à intégrer, dans l’analyse du devenir socioéconomique de cette communauté immigrée, ses intentions socioculturelles et politiques spécifiques, à l’échelle d’une très vaste zone géographique eurasienne qui, désormais, voit la Turquie devenir de plus en plus centrale. Dans deux ouvrages précédents réalisés avec la collaboration de Dofian Özgüden et d’Ataman Aksöyek (Manço A. et U., 1992 ; Manço A., 2000), nous avons tenté d’effectuer la synthèse de pratiquement tout ce qui a été publié sur la présence turque en Belgique, au cœur de l’Europe, une présence relativement massive, longue aujourd’hui de quelque 40 années. Force est de constater que de nombreuses lacunes existent encore dans la connaissance et la compréhension que nous avons des modalités d’immigration et d’installation de populations turques en Occident. Ainsi, nous n’avons, par exemple, qu’un accès très limité aux données et informations sur les entreprises commerciales créées et gérées par des immigrés issus de la Turquie en Europe communautaire, dans les pays de l’Europe de l’Est et dans le reste du monde industrialisé. L’évolution des entreprises turques dans les pays étrangers est de plus en plus notable : elle draine également un flux migratoire provisoire ou permanent. Une publication à venir sous la direction de Stéphane de Tapia du Centre de Recherche sur l’Asie Intérieure, le monde Turc et l’espace Ottoman (CERATO), tentera de répondre à ce besoin d’informations dans le cadre de cette même collection « Compétences Interculturelles ». Le fonctionnement des associations et des mosquées créées par des émigrants issus de la Turquie, ainsi que les processus de participation politique de ces populations, sont traversés par une dynamique de transactions avec les pays d’origine et d’installation qui occasionne des évolutions permanentes. Il est nécessaire d’étudier ces phénomènes dans le détail. Une série d’ouvrages à venir dans la même collection et proposée par l’Institut de Recherche, Formation et Actions sur les Migrations (IRFAM) concernera, d’une part, la vie associative et politique des immigrés et, d’autre part, l’intégration locale des institutions religieuses musulmanes en Europe et en Amérique du Nord. Ces travaux contribueront à combler les lacunes identifiées, avec la complicité, notamment, d’Ural Manço. Enfin, nous manquons encore de données précises et actuelles sur l’intégration des nouveaux migrants originaires de Turquie qui pénètrent l’espace occidental, à la faveur d’un mariage ou d’une demande d’asile. Par ailleurs, dans un contexte de rapprochement institutionnel entre l’Union européenne et la République de Turquie, certaines interrogations restent sans réponse, par exemple celles liées à la libre circulation des personnes entre la Turquie et l’Europe communautaire. L’inspiration du présent ouvrage est précisément puisée dans ce système de questions sur les nouvelles modalités migratoires autour de la Turquie. Ainsi, l’objectif de ce livre est de présenter, sans avoir la prétention d’être exhaustif, une série sélectionnée d’illustrations focalisant sur les nouveaux mouvements de populations en provenance de Turquie et leurs effets. S’il est inévitable d’aborder cette problématique sans référence aux migrations ouvrières des années 60-70, il est à tout le moins peu fécond d’envisager les nouvelles émigrations turques sans s’interroger sur les racines communes et les interactions de ces faits avec des phénomènes migratoires connexes, à savoir les migrations internes à la Turquie et, désormais, les immigrations vers ce pays devenu, à l’image des autres Etats de l’Europe méditerranéenne, un véritable pays d’installation ou de transit pour des millions d’humains, après avoir longtemps exporté sa propre population. Ces divers mouvements cohabitent, s’entrecroisent et ne s’annulent pas. Ils restent peu étudiés, du moins dans leurs interrelations. Les recherches qui les mentionnent en donnent rarement des illustrations précises, localisées. Ils sont rarement approchés de manière multidisciplinaire. Le lecteur trouvera dans ce volume des synthèses et des recherches empiriques focalisant tantôt sur des régions réceptrices ou pourvoyeuses de migrants, tantôt sur des couches précises de populations immigrées. Les phénomènes seront abordés tant dans leurs actualités respectives que par rapport à leurs racines historiques parfois vieilles de plusieurs siècles. Un texte introductif situera le livre dans l’ensemble de la production scientifique sur les phénomènes migratoires relevant du champ turc. Cette tâche stratégique est confiée à S. de Tapia de Strasbourg. Il nous présente une lecture nouvelle des concepts de « mobilité » et de « migration », une lecture en termes de compétences individuelles, collectives ou de système. Il s’agit peut-être d’une des compétences sociales majeures exigées par l’adaptation à la nouvelle géographie postmoderne mondialisée. Les travaux empiriques présentés sont regroupés sous quatre rubriques. La première concerne les contextes migratoires internes à la Turquie. Après un texte personnel qui aborde les liens entre le développement socio-économique local, les valeurs socioculturelles et la poussée migratoire à travers une recherche psychosociale menée dans la région de la Mer Egée, U. Manço, de Bruxelles, discute de la mobilité sociogéographique des élites turques dans ses rapports aux changements sociologiques structurels en cours en province d’Istanbul et plus généralement dans l’ensemble du pays. La deuxième partie a pour objet les migrations historiques et actuelles vers la Turquie. M. Mutluer d’Izmir dresse un panorama synthétique des processus migratoires ayant pour cible la Turquie depuis plusieurs siècles. Le travail de Mme Akçapar d’Ankara complète ce point de vue sociohistorique par une focalisation sur les tendances et enjeux nouveaux de l’immigration illégale en Turquie. Les précisions importantes apportées par F. Pérouse et M. Aslan concernent les problèmes sociaux que rencontrent les immigrants dans ce pays. La troisième partie est consacrée aux nouveaux horizons migratoires des Turcs proprement dits. Il appartient à U. Manço de retracer l’historique de l’installation des immigrants de Turquie en Europe, jusqu’à la récente complexification de leurs réalités et réseaux. La présence turque au Canada est présentée pour la première fois en Europe par Mme S. Bilge de Montréal. Cette possibilité est très appréciable parce qu’elle permet de dépasser le cercle migratoire européen et d’explorer les autres destinations plus éloignées de la population originaire de Turquie. L’apport de E. TaÒ de La Louvière est également très original : il s’agit d’une enquête qualitative sur le profil psychosocial de jeunes turcs « importés » en Belgique par mariage. S. Kumlu d’Adana a, quant à lui, étudié, dans le cadre d’une recherche action menée en Belgique, les difficultés d’insertion à l’emploi de la même population. Le point de vue féminin sur les mariages est abordé par C. Etienne, anthropologue de Namur. Enfin, la dernière partie de l’ouvrage survole la réalité des « retours » vers la Turquie : - difficultés d’adaptation scolaire et socio-affective des jeunes de parents ayant choisi de rentrer définitivement en Turquie ; - tentatives de ré-immigration de certains de ces jeunes vers l’Europe … ; - difficultés d’adaptation familiale, professionnelle, sociosanitaire et administratives des travailleurs ou de pensionnés rentrant définitivement au pays ; - cas d’immigrants pensionnés qui partagent leur vie entre la Turquie et l’Europe ; - cas de jeunes de la seconde génération qui tentent une immigration professionnelle vers le pays d’origine de leurs parents ; - comportements d’investissement dans le pays d’origine et autres transferts de compétences. Cette dernière partie est encore une contribution de M. Mutluer qui tente d’analyser plusieurs des aspects listés. La diversité professionnelle des contributeurs, chercheurs ou acteurs, jeunes ou confirmés, de Turquie ou de l’étranger, de disciplines très diverses, … constitue la principale richesse de cet ouvrage. Celui-ci a pour unique ambition d’alimenter les réflexions de décideurs, acteurs, chercheurs, observateurs et étudiants amenés à cohabiter ou à collaborer avec les membres des diasporas originaires de Turquie. Istanbul, décembre 2003 Références bibliographiques Binswanger K. et Sipahiofilu F. (1988), Türkisch-islamische Vereine als Faktor deutsch-türkisch Koexistenz, Munich : Benediktenbeuren. Bozarslan H. (1990), « Une communauté et ses institutions : le cas des Turcs en RFA », Revue européenne des Migrations internationales, v. 6, n° 3, 63-82. Bozarslan H. (1992), « Etat, Religion, Politique dans l’immigration », Peuples méditerranéens, n° 60, 115-133. 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