51 ans, compétent… mais sans emploi
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51 ans, compétent… mais sans emploi
02 Gros plan 25 novembre au 2 décembre 2015 - N° 781 51 ans, compétent… mais sans emploi CHÔMAGE Plus lents, psychorigides, trop chers, manquant de formation continue et d’adaptabilité: les clichés concernant les seniors abondent dans le milieu professionnel. Et les plus de 50 ans doivent batailler ferme pour tenter de retrouver un emploi, à l’instar de Victor Carchedi, Aiglon de 51 ans, arrivé en fin de droit au chômage malgré un CV très riche et une réelle envie de travailler. Que faire pour s’en sortir en évitant de tomber dans la dépression? Quels sont les outils à disposition des seniors? Qu’en disent les recruteurs? Tour d’horizon. Texte et photo: Valérie Passello P lus de 200: c’est le nombre d’offres d’emploi que active: elles ont toutes obtenu le poste rêvé, moi je n’ai pas Victor Carchedi a envoyées depuis qu’il s’est ins- eu cette chance pour l’instant». crit au chômage au printemps 2014. Sans succès. Et pourtant, le CV de cet habitant d’Aigle impres- Un coup au moral sionne: quadrilingue, son parcours va de l’admi- Victor Carchedi ne s’inscrira aux services sociaux qu’en nistration au marketing, en passant par la communication, dernier recours. Aujourd’hui, il tient à témoigner, car même l’organisation d’événements et l’économie. Il a notamment s’il est resté combatif, les revers essuyés dans sa recherche travaillé à la direction générale de la Poste et, lors de sa d’emploi ont lourdement pesé sur sa vie privée: «Personne dernière expérience en date, il était responsable d’un centre n’est à l’abri; ce genre de situation a des effets collatéraux de formation comptant 24’000 clients annuels. «Jusque-là, qui peuvent être graves, même aller jusqu’au suicide dans j’ai toujours travaillé et me suis certains cas. J’y ai pensé et j’y formé continuellement. D’ailpense encore. Le plus dur est «Il est faux de dire que l’on coûte leurs, quand j’ai appris que ma de devoir me justifier auprès précédente relation de travail de mon entourage familial et trop cher: sur un salaire brut menallait s’arrêter, j’ai immédiaamical. Au fil du temps, je ne suel de 5’000 frs, le surcoût pour un tement recherché un emploi, suis plus rien socialement, j’ai employeur n’est que de 220 frs» comme l’exige la LACI (Loi sur des idées macabres, je dors très V. Carchedi, 51 ans, à la recherche d’un emploi l’assurance-chômage). Au total, mal…la vie n’a plus de sens». en comptant cette période, j’ai Et il n’est pas le seul à traverser envoyé 450 postulations. Seulement aujourd’hui, mon ce type d’épreuve: au 31 octobre, le canton de Vaud compdroit au chômage est épuisé. Lorsque je décroche des tait 25’087 demandeurs d’emploi, dont 18’027 chômeurs. entretiens, on me dit des choses comme: «vous êtes trop Sur ce nombre, la proportion de personnes de plus de 50 qualifié: si je vous embauche, je perds ma place», «vous ans est de 23,3% pour les demandeurs d’emploi, respecêtes trop vieux», ou encore: «de toute façon, nous voulions tivement 22,9% pour les chômeurs (réd: une distinction une femme pour ce poste»: c’est désespérant! L’empathie est faite entre le chômeur, qui est sans travail, disponible et l’entregent manquent totalement. On nous encourage à et à la recherche d’un emploi, inscrit auprès d’un office activer notre réseau… À ce jour, je me suis investi pour régional de placement (ORP), et le demandeur d’emploi, qui n’est pas disponible immédiatement, soit parce qu’il plusieurs personnes en tant travaille en situation dite de gain intermédiaire, bénéficie que référence d’une mesure de reconversion ou est indisponible pour des raisons de santé, etc…). Les ravages psychologiques dus à une période de chômage prolongée font partie des préoccupations du Service de l’emploi de l’Etat de Vaud, assure son responsable François Vodoz: «Dès le moment où l’éloignement du marché du travail devient important, ces questions se posent pour tout demandeur d’emploi. Les employés des ORP y sont donc fortement sensibilisés, sans toutefois se focaliser spécifiquement sur une tranche d’âge». Mettre ses atouts en valeur 22,9 % des chômeurs du canton de Vaud ont plus de 50 ans Victor Carchedi regarde l’avenir avec confiance: il reste convaincu qu’il pourra faire bénéficier une entreprise de son expérience et de ses compétences. Face à cette problématique, des mesures ont été mises en place pour aider les plus de 50 ans à retrouver confiance (lire l’interview du chef du service de l’emploi ci-contre). «AvantAge», une formation lancée par Pro Senectute Vaud et le Service de l’emploi, qui se concentre sur les techniques de recherche d’emploi, en tenant compte des obstacles spécifiques aux seniors. «Les trois points cruciaux du programme sont: travailler sur son attitude personnelle (93% de l’impact), s’assumer en tant que senior en redécouvrant les qualités que cela implique et organiser ses recherches en ciblant les besoins liés à l’expérience», détaille Stéphane Der Stépanian, responsable d’AvantAge. Victor Carchedi a fait partie des quelque 280 personnes suivant chaque année cette formation et en retire beaucoup de positif, notamment un point essentiel à ses yeux: «Il est faux de dire que l’on coûte trop cher: sur un salaire brut mensuel de 5’000 frs, le surcoût pour un employeur n’est que de 220 frs, ce n’est Gros plan 25 novembre au 2 décembre 2015 - N° 781 rien du tout. Seulement, pour pouvoir le démontrer à un recruteur, encore faut-il le rencontrer…», soupire-t-il. Société hypocrite? Le CHUV collabore avec AvantAge, notamment pour des cours de préparation à la retraite: «Le fait de se faire offrir un cours pour préparer cette transition est ressenti comme une forme de reconnaissance importante par les employés seniors», relève Stéphane Der Stépanian. Et les plus de 50 ans semblent effectivement y recevoir respect et considération. Selon le directeur des ressources humaines de l’hôpital universitaire vaudois Antonio Racciatti, l’âge n’est pas éliminatoire à l’embauche, au contraire: «Ce sont les compétences et l’expérience qui comptent pour nous, l’âge serait donc plutôt un atout. Nous engageons régulièrement du personnel senior, ne pas le faire serait un auto-goal pour l’entreprise: par exemple, notre chef de pédiatrie a 59 ans. Ces gens sont plus vite opérationnels, car ils ont généralement déjà vécu des changements de fonction lors de leur parcours et la transition est plus facile pour eux. Ils sont aussi experts dans leur domaine et jouent un rôle très important de mentors auprès de nos talents en formation. Nous tâchons toutefois de conserver un équilibre générationnel en embauchant aussi des jeunes, afin d’assurer la relève. Que ce soit clair: il n’y a pas de limite d’âge chez nous et nous revendiquons notre exemplarité dans le domaine». Mais sur le marché du travail en Suisse, une personne est étiquetée «senior» dès 50 ans, en Europe dès 45 ans. A partir de ces âges, il devient déjà difficile de trouver un emploi. Alors que l’on parle de relever l’âge de la retraite, notre société n’est-elle pas hypocrite? «Je ne sais pas si l’on peut parler d’hypocrisie: pour des raisons financières, l’Etat doit faire face à une situation où les rentes viendront à manquer, mais c’est en effet sans tenir compte de la réalité du marché du travail, estime Antonio Racciatti. Cela dit, je pense que nous allons vers une période plus favorable pour toutes les générations, car après celle des personnes qui ont plus de 50 ans aujourd’hui, il y a un trou démographique et le personnel qualifié sera difficile à trouver». Mais c’est à la réalité d’aujourd’hui que Victor Carchedi est confronté. Il compte bien obtenir la confiance d’une entreprise afin de mettre ses compétences à son service et, en toute transparence, nourrit l’espoir d’être contacté par un employeur potentiel qui aurait lu cet article, via Le Régional. Mon âge, je vous le dis ou pas? La question de la mention ou non de l’âge sur un CV ne fait pas l’unanimité. Chez AvantAge, l’on aurait tendance à inciter les postulants à ne pas faire mention de leur date de naissance. Reste qu’en analysant les différentes expériences professionnelles figurant sur le CV, les recruteurs peuvent aisément recouper l’âge… «Dans le cas d’un employeur pas dupe, le parcours de la personne et les dates ont été lus, ce qui est plutôt encourageant», argue Stéphane Der Stépanian, responsable d’AvantAge. S’il n’y a pas de mot d’ordre de la part des conseillers ORP, François Vodoz, du Service de l’emploi du canton de Vaud, prônerait plutôt la transparence: «En l’absence d’informations liées à l’âge du candidat, les recruteurs vont quoi qu’il en soit faire une recherche et des recoupements dans les certificats de travail et considérer avec suspicion l’absence de cette indication». À chacun donc de se forger une opinion. Un pont vers la retraite Depuis 2011, le canton de Vaud a instauré une rente-pont pour les personnes proches de la retraite n’ayant plus droit aux indemnités de chômage. Conditions: être domicilié dans le canton depuis au moins trois ans, avoir atteint l’âge de 62 ans révolus pour les femmes et 63 pour les hommes, ne pas avoir fait valoir un droit à une rente AVS anticipée et disposer de revenus insuffisants, selon les normes des prestations complémentaires à l’AVS/AI. Documentation sur la rentepont sur: www.leregional.ch 03 François Vodoz : « Jusqu’à 12 mois de salaire peut être pris en charge » Chef du Service de l’emploi de l’Etat de Vaud, François Vaudoz reconnaît que chercher du travail à plus de 50 ans est moins aisé que pour les plus jeunes. Il détaille l’éventail de mesures mises en place pour aider les plus de 50 ans à regagner le monde professionnel. Quelles sont les mesures particulières mises sur pied par le Service de l’emploi pour soutenir les 50 ans et plus dans leurs recherches d’emploi? > Il y a le programme AvantAge (voir ci-contre). Pour le surplus, il y a un vaste dispositif de mesures d’insertion professionnelles, soit pour l’essentiel: d’emploi temporaire, dont le but est de maintenir l’activation des bénéficiaires (réd: le droit au chômage), leur permettre de justifier d’une expérience récente et les mettre en contact direct avec le marché (postes en institution d’accueil) et de formation, pour mettre à jour, si besoin, les compétences professionnelles. En dernier lieu, il convient de souligner l’existence d’une mesure incitative appelée Allocation d’initiation au travail (AIT) qui vise à favoriser l’engagement de personnes nécessitant un complément de formation ou un accompagnement particulier dans une prise de poste. Durant une période qui peut aller jusqu’à 12 mois pour les plus de 50 ans, une partie du salaire peut être prise en charge selon les plans d’intégration et de formation définis avec les employeurs. Le Service de l’emploi est-il actif aussi auprès des employeurs afin de les encourager à embaucher des seniors? > Une équipe de conseillers spécia- lisés est en contact permanent avec les employeurs pour promouvoir les services des ORP et répondre à leur besoin de personnel. Chaque année, ce sont plus de 9’000 places vacantes qui sont acquises auprès des employeurs par cette équipe et mises à disposition des ORP. Ces spécialistes font également la promotion active de la mesure AIT. Diriez-vous que l’âge est un frein toujours plus important dans une recherche d’emploi? > Il est difficile de confirmer cette hypothèse sans la nuancer - l’expérience acquise peut s’avérer décisive dans le cadre des recherches d’emploi -, mais globalement, la durée moyenne d’inscription au chômage d’une personne de plus de 50 ans est généralement plus longue que pour les tranches d’âge inférieures. Rien n’indique cependant que cette tendance soit plus forte aujourd’hui que dans les années nonante, par exemple, et il conviendrait de corréler l’âge des demandeurs d’emploi avec leur niveau de formation pour se forger une idée plus précise de cette problématique. Lorsque les chômeurs arrivent en fin de droit, ils sortent des statistiques du chômage: connaissez-vous, parmi les personnes bénéficiant de l’aide sociale actuellement, la proportion de chômeurs n’ayant pas retrouvé d’emploi? > Le taux de chômage du canton de Vaud intègre un nombre important de chômeurs au bénéfice du revenu d’insertion (RI), soit des personnes qui ont épuisé leur droit aux prestations de l’assurance-chômage ou n’y ont pas droit et qui remplissent les conditions d’accès à ce régime cantonal d’assistance. Ces personnes demeurent inscrites auprès d’un ORP car elles sont toujours considérées comme aptes au placement. Il n’est donc pas exact de dire que les personnes qui ont épuisé leur droit aux prestations LACI sortent de la statistique du chômage. Il y a actuellement 867 demandeurs d’emploi au RI dans la tranche d’âge des 50-64 ans directement suivis par un ORP, dont 667 chômeurs. Pour ce qui concerne les personnes uniquement inscrites auprès de l’aide sociale, il y avait 4’606 personnes dans la tranche d’âge des 50-64 ans inscrites au RI en juillet (chiffres les plus récents disponibles) sur un total de 18’076. François Vodoz tient à rectifier une idée reçue: «Le taux de chômage du canton de Vaud intègre un nombre important de chômeurs au bénéfice du revenu d’insertion».