Evolution des modes de vie et épidémie d`obésité chez les enfants

Transcription

Evolution des modes de vie et épidémie d`obésité chez les enfants
Diabète et société
Evolution des modes de vie
et épidémie d’obésité chez
les enfants au Pakistan
Fatema Jawad
Depuis quelques dizaines d’années, le nombre de personnes
les zones urbaines et la migration trans-
atteintes d’obésité augmente à travers le monde – actuellement
frontalière des populations à la recherche
près de 300 millions d’après le Groupe de travail international
de revenus. Malheureusement, alors que
les villes offrent à des millions de migrants
sur l’obésité – et aucun signe de ralentissement n’est perceptible.
l’unique alternative à la pauvreté absolue
En outre, les taux de surpoids et d’obésité augmentent de façon
et à la malnutrition et potentiellement un
alarmante dans les pays en développement, tant chez les adultes
meilleur accès aux équipements collectifs
(soins de santé, éducation), les populations
que chez les enfants. De plus en plus d’études scientifiques
pauvres sous-alimentées des zones rurales
désignent comme responsable de cette pandémie l’évolution des
deviennent des populations pauvres ur-
modes de vie à l’échelle mondiale – notamment la surconsommation
d’aliments caloriques et la diminution de l’activité physique. Depuis
une trentaine d’années, le Pakistan vit une telle transformation.
Fatema Jawad décrit l’éventail de facteurs qui rendent les jeunes
Pakistanais, des plus riches aux plus défavorisés, de plus en
plus vulnérables aux dangers des complications liées à l’obésité,
notamment le diabète de type 2.
baines défavorisées et vulnérables. Trop
souvent, les menaces pour la santé et la
qualité de vie auxquelles sont confrontées
ces populations dans leur village sont simplement remplacées par d’autres circonstances potentiellement néfastes.
Les menaces pour la santé
et la qualité de vie dans
les zones rurales sont
simplement remplacées
d’habitants, dont 34 % vivent dans les
La pauvreté des zones
rurales aux zones urbaines
zones urbaines. Malgré les chiffres officiels
Dans les zones rurales, la mécanisation de
indiquant une diminution du nombre de
l’agriculture se généralise. Cette évolution
Chaque jour, de nombreuses personnes
personnes vivant sous le seuil de pauvreté
est une arme à double tranchant : les taux
sous-qualifiées et sans instruction affluent
(de 34,5 % en 2001 à 23,9 % en 2005)
1
de production augmentent, mais la deman-
dans des villes comme Islamabad et
à l’échelle nationale, les difficultés écono-
de de travailleurs agricoles diminue. L’une
Karachi. Beaucoup se font engager comme
miques restent un facteur clé affectant la
des conséquences négatives est la migration
ouvriers ou vendeurs ambulants de biens
nutrition et la sensibilisation à la santé.
à grande échelle des zones rurales vers
de consommation de piètre qualité. Seul
Le Pakistan compte environ 157 millions
par d’autres circonstances
potentiellement néfastes.
Mars 2008 | Volume 53 | Numéro 1
35
36
Diabète et société
Seul un faible pourcentage d’enfants a la possibilité de fréquenter des écoles
disposant d’installations sportives ou d’une cour de récréation.
un faible pourcentage de leurs enfants
breux foyers très pauvres, est devenue la
nomique, la population riche du Pakistan
peut fréquenter les écoles publiques. Par
principale forme de loisirs et l’un des prin-
jouit d’un mode de vie tout à fait différent et
ailleurs, ces écoles sont mal équipées ou
cipaux incitants au sédentarisme chez les
leurs enfants fréquentent des écoles privées
dépourvues d’installations sportives voire
jeunes. Un mode de vie caractérisé par cette
chères. Mais leur mode de vie luxueux a
même de cour de récréation. En outre, des
alimentation riche en graisses et en sucres et
créé les conditions qui favorisent une aug-
aliments sains ne sont pas proposés : une
un manque d’activité physique contribue à
mentation du surpoids. De nombreux jeunes
échoppe située dans les écoles peut propo-
la progression du surpoids chez les enfants
nantis se déplacent en voiture, même pour
ser des samosas (des chaussons frits), des
des familles pauvres et les expose ainsi au
des trajets très courts, et consomment les
bonbons et des boissons sucrées contenant
risque de complications associées à l’obé-
aliments caloriques et les boissons gazeu-
des colorants artificiels.
sité, comme le diabète de type 2.
ses en vogue parmi les enfants des pays
riches d’Amérique du Nord et d’Europe.
A la maison, les contraintes économiques
L’augmentation du surpoids
A l’instar de leurs pairs occidentaux, ces
limitent les choix alimentaires. Bien qu’ils
chez les jeunes des familles
enfants disposent d’un ordinateur et d’un
soient nettement moins sains, les aliments
pauvres les expose à un risque
poste de télévision dans leur chambre et,
frits riches en graisses sont moins chers
de complications associées
souvent, ne consacrent guère de temps aux
et plus nourrissants que les légumes. Les
à l’obésité, notamment
activités physiques.
enfants consomment rarement du lait, des
le diabète de type 2.
œufs et des fruits, pourtant essentiels à un
Entre ces deux extrêmes socio-économi-
développement normal dans cette tranche
Luxe, aspirations et obésité
ques, la classe moyenne en plein essor
d’âge. La télévision, même dans de nom-
A l’autre extrémité du spectre socio-éco-
aspire au mode de vie des très riches et
Mars 2008 | Volume 53 | Numéro 1
Diabète et société
travaille dur pour y parvenir. Les taux d’in-
d’alphabétisation des adultes (15 ans et
Conclusions
satisfaction psychologique sont très élevés
plus) n’est que de 50 % ; le ratio combiné
L’obésité – un précurseur du diabète de
chez les enfants de ce groupe, qui fréquen-
total pour la fréquentation des établisse-
type 2, de l’hypertension, des taux élevés
tent les écoles privées les moins chères et
ments d’enseignement primaire, secondaire
de cholestérol LDL et des troubles cardio-
abandonnent souvent prématurément leurs
et tertiaire est de 40 %.1 Les niveaux élevés
vasculaires – au moment de l’enfance est
études pour travailler et contribuer ainsi
d’analphabétisation, aggravés par la lutte
généralement conservée à l’âge adulte.
aux revenus familiaux.
quotidienne pour la subsistance, accentuent
De la même façon, de bonnes habitudes
le manque de sensibilisation à la santé
alimentaires et la pratique d’une activité
Les publicistes utilisent des
généralisé puisqu’ils bloquent l’accès aux
physique pendant l’enfance seront géné-
images attrayantes pour
informations essentielles sur la santé.
ralement maintenues à l’âge adulte. Bien
susciter chez les jeunes l’envie
qu’il n’existe pas de chiffres nationaux pour
de consommer des hamburgers
Concernant l’accès à l’enseignement, les
le diabète de type 2 chez les enfants et les
et des boissons sucrées.
jeunes femmes sont généralement les plus
adolescents au Pakistan, les prestataires
défavorisées : dans les zones rurales, par
de soins diagnostiquent cette condition
Le rôle de la culture de consommation de
exemple, 7,6 millions de jeunes filles béné-
à un âge plus précoce qu’il y a à peine
plus en plus répandue ne doit pas être
ficient d’une éducation formelle contre 11,5
vingt ans.
sous-estimé. Les départements de marke-
millions de garçons.1 Une situation semblable
ting des grandes chaînes de fast-food et
se dessine dans les zones urbaines, où seul
Les campagnes de sensibilisation à l’obésité
des producteurs d’aliments et de boissons
un tiers des écoles bénéficient d’un finan-
et au diabète de type 2 sont très limitées.
traités font tout pour séduire le marché
cement public et où le nombre de garçons
Le gouvernement, les écoles, les médias et
juteux des jeunes. La publicité ciblant les
dépasse de près d’un million le nombre de
la population partagent la responsabilité
enfants est omniprésente : les panneaux
filles inscrites. En outre, pour ces dernières,
de créer un environnement qui permette
publicitaires et la télévision bombardent les
les possibilités de pratiquer une activité phy-
d’améliorer les modes de vie de tous les
enfants d’images attrayantes, en utilisant
sique sont fortement limitées. Même dans
Pakistanais, et en particulier des jeunes.
des couleurs primaires vives et de sympa-
les villes, les obstacles culturels empêchent
thiques personnages de dessins animés
les filles de jouer dehors ou de se promener
pour inciter les jeunes à consommer des
dans les parcs non accompagnées.
1
hamburgers et des boissons sucrées.
Il est essentiel de créer un
Etant donné que de plus en plus de mères
environnement qui contribue
Fatema Jawad
de la classe moyenne travaillent et n’ont
à améliorer les modes de vie
donc plus la possibilité de se lancer dans
des jeunes au Pakistan.
Fatema Jawad est diabétologue
consultante senior auprès du Sindh
Institute of Urology and Transplantation
(associé à la Dow University of Health
Sciences), Karachi, Pakistan. Elle est
également rédactrice en chef du Journal
of Pakistan Medical Association.
la longue préparation de plats traditionnels,
la fréquentation des fast-foods augmente.
Une prévalence croissante
Célébrer un anniversaire dans ces établisse-
Bien que, jusqu’ici, aucune enquête n’ait
ments est considéré comme ‘tendance’ dans
été réalisée à l’échelle nationale, une haus-
les cercles nantis et représente quelque
se inquiétante de l’obésité est observée
chose que tous les secteurs de la société
chez les enfants, en particulier dans les
souhaitent pouvoir faire.
villes. Des chiffres troublants ont été publiés.
Dans une étude, 16 % des enfants issus
D’autres défis
de familles à faibles revenus et 29 % de
Le faible taux d’alphabétisation – identifié
familles à moyens revenus étaient obèses.2
comme un obstacle à la croissance écono-
Dans une autre étude, 6 % d’enfants issus
mique – reste un défi majeur et la situation
de familles aisées étaient obèses et près
semble s’aggraver. Au Pakistan, le taux
de 20 % en surpoids.3
Références
1 Finance Division, Economic Adviser’s Wing.
Pakistan Economic Survey, 2006-2007.
Government of Pakistan. Islamabad, 2007.
2 Hydrie MZI, Basit A, Badaruddin N, et al.
Diabetes risk factors in middle income Pakistani
school children. Pak J Nutr 2004; 3: 43-9.
3 Aziz S, Zaidi UR, Hosain K, et al. Overweight
and obesity in affluent school children of Karachi.
(Under review J Pediatr Gastroenterol Nutr)
Mars 2008 | Volume 53 | Numéro 1
37