Méthode PCR espèce-spécifique pour la détection des espèces de

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Méthode PCR espèce-spécifique pour la détection des espèces de
Méthode PCR espèce-spécifique pour la
détection des espèces de moutarde
(Sinapis alba, Brassica nigra, Brassica
juncea) comme allergènes potentiels
“cachés” dans l’alimentation
Taverniers Isabel, Van Droogenbroeck Bart et De Loose Marc
ILVO, unité Technologie & Alimentation, Burg. Van Gansberghelaan 115, 9820 Merelbeke
Introduction : espèces de moutarde et protéines allergisantes
La moutarde appartient à la famille des Brassicaceae – comptant plus de 3200 espèces et 375 genres – et plus particulièrement aux genres Sinapis et Brassica. La moutarde blanche (Sinapis alba), la moutarde brune ou jaune (Brassica juncea) et la moutarde noire (Brassica nigra) sont cultivées partout à travers le monde et sont utilisées comme
source d’huile végétale, comme exhausteur de goût ou comme engrais vert. Ces plantes sont originaires de la
région méditerranéenne et du Proche-Orient mais on les retrouve désormais un peu partout dans le monde sous
forme cultivée ou en tant que mauvaises herbes. Les graines de moutarde sont vendues entières ou moulues.
Elles peuvent être transformées et/ou mélangées dans des produits alimentaires. Les graines de moutarde jaune,
mieux connues sous le nom de “moutarde de table”, se composent généralement d’un mélange de plusieurs
espèces. Sinapis alba est l’espèce de moutarde la plus utilisée en Europe, alors qu’aux USA et au Japon, il s’agit de
l’espèce Brassica juncea (Monsalve et al., 1993).
Les allergies alimentaires constituent un problème croissant, surtout dans les pays occidentaux. Des doses très
faibles d’allergènes peuvent déjà provoquer une réaction chez les personnes sensibles. Des protéines avec un
potentiel allergène ont été trouvées dans la moutarde. En raison de leur résistance à la chaleur et de leur dégradation enzymatique limitée, elles sont difficiles à neutraliser dans le processus de production. L’utilisation très
courante de graines de moutarde dans les mélanges d’aromates fait également de ces espèces des “allergènes
cachés”, donc potentiellement dangereux. Un allergène caché est un allergène qui n’est pas mentionné sur
l’emballage ; dès lors, le consommateur ne sait pas que la denrée alimentaire contient l’allergène ou qu’il y est
allergique. Une étude de 2007 sur la prévalence, le rôle et la cause de la présence d’allergènes cachés dans l’alimentation, a révélé que ceux-ci sont à la base de 22,4% de toutes les réactions aux denrées alimentaires (Anibarro
et al., 2007). La manière dont les allergènes cachés se retrouvent dans l’alimentation est très variée. Il s’agit souvent
d’une imprudence commise par le consommateur ou de la contamination des aliments dans des restaurants, par
exemple via des grils qui ne sont pas suffisamment nettoyés. Cependant, une contamination durant le processus
de production de la denrée alimentaire est également possible. Pour ces raisons, des avertissements tels que “peut
contenir des traces de...” sont imprimés sur de nombreux emballages.
La principale protéine allergisante caractérisée dans la moutarde est l’albumine 2S, une protéine de stockage
(Menendez-Arias et al., 1988). C’est une petite protéine (12-15 kDa) constituée de deux polypeptides reliés entre
eux par des ponts disulfures. L’albumine 2S a aussi été isolée dans le colza, dans des plantes légumineuses (p.ex.
pois et soya), dans les noix, les graines de sésame et autres espèces du genre Brassica. Dans la moutarde blanche,
l’albumine 2S est désignée par Sin a 1 et, dans la moutarde brune, par Bra j 1. La caractérisation de ces protéines
a montré qu’il y avait des homologies générales dans les épitopes entre les différentes espèces. Ce n’est pas
étonnant étant donné les parentés génétiques étroites qui existent entres les espèces. Les moutardes brune et
noire sont deux des six espèces du “triangle de U”, qui reflète la parenté entre ce que l’on appelle collectivement
les “Brassica cultivées” (Fig 1). Les angles du “triangle de U” sont formés par trois espèces avec un génome de
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base propre: B. rapa (génome A), B. nigra (génome B) et B. oleracea (génome C). Les côtés se composent de trois
espèces amphiploïdes constituées des génomes de base : B. juncea (AB), B. napus (AC) et B. carinata (BC).amphiploid species formed by the elementary genomes. B. juncea (AB), B. napus (AC) and B. carinata (BC).
Fig. 1 : Le “triangle de U” décrit la parenté
génétique entre les trois végétaux
diploïdes B. oleracea, B. nigra et B. rapa et
leurs parents allopolyploïdes B. carinata,
B. juncea et B. napus. Figure reprise du site
http://en.wikipedia.org.
Les albumines de stockage 2S Sin a 1 et Bra j 1 sont donc structurellement similaires et étroitement apparentées
aux allergènes d’autres espèces comme le colza (Brassica napus). Les deux sont thermorésistantes (EFSA, 2004). Il a
été prouvé que la Sin a 1 partage des déterminants antigéniques et allergéniques avec l’allergène principal
Bra n 1 du colza (Monsalve et al.1997). D’autres protéines allergisantes ont été identifiées dans les graines de moutarde, dont entre autres la globuline 11S Sin a 2, la protéine de transfert lipidique Sin a 3, et les profilines Sin a 4 et
Bra n 8.
Problématique et objectif
Bien qu’il ait été prouvé que des personnes allergiques à la moutarde peuvent aussi être sensibles à d’autres
espèces de la famille des Brassicacées (Poikonen et al. 2008), seule la moutarde est soumise à l’étiquetage obligatoire conformément au Règlement européen 1169/2011. Des méthodes sensibles et spécifiques pour la détection
des ingrédients allergènes sont nécessaires afin de pouvoir détecter les faibles concentrations d’allergènes dans
les diverses matrices. Plusieurs fabricants ont mis sur le marché des kits qPCR ou kits ELISA prêts-à-l’emploi pour la
détection et la quantification des espèces de moutarde. Cependant, les méthodes et les kits de détection existant
pour la moutarde détectent la plupart du temps les trois espèces ensemble et montrent en outre souvent une activité croisée avec d’autres espèces. Cela peut poser problème quand une denrée alimentaire produite à base de
moutarde contient aussi du colza ou d’autres espèces apparentées du genre Brassica (présence intentionnelle ou
suite à une contamination). De plus, l’utilisation de la moutarde comme engrais vert peut constituer une source
de contamination lors de la culture et de la récolte de colza. Enfin, les récoltes mixtes et successives d’espèces de
colza et de moutarde provoquent aussi une possible contamination du produit fini.
Un certain nombre de méthodes ELISA et PCR décrites dans la littérature (Fuchs et al., 2010; Mustorp et al. 2008,
Palle-Reisch et al. 2013) ainsi que des kits prêts-à-l’emploi disponibles sur le marché ont été testés sur leur spécificité dans le cadre d’une étude comparative sur les méthodes de détection moléculaire des espèces de moutarde. En outre, des amorces ont été développées pour l’amplification spécifique aux espèces de moutarde par la
méthode qPCR. Dans une tentative de différencier les espèces au niveau du SNP, des amorces ont aussi été créées
pour l’analyse des courbes de fusion à haute résolution (HRMa ou HRM-PCR).
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Système expérimental
Pour tester les méthodes existantes ELISA et qPCR ainsi que les nouvelles méthodes PCR mises au point, un total
de 37 échantillons de graines a été utilisé, provenant des espèces Brassica juncea, B. nigra et Sinapis alba, mais
aussi B. oleracea (chou-rave), B. napus (colza), Raphanus sativus (chou-navet) et Arabidopsis thaliana (arabette des
dames). Ceux-ci provenaient de l’ILVO, du CER-Groupe et de l’IPK à Gatersleben, Allemagne.
Quatre kits ELISA et deux kits qPCR commerciaux pour la moutarde ont tout d’abord été testés. Ensuite, une méthode qPCR tirée de la littérature (Fuchs et al., 2010) a été évaluée sur sa spécificité à l’égard de Sinapis alba (moutarde blanche). Enfin, des nouvelles méthodes PCR ont été développées et évaluées pour B. nigra et B. juncea.
Résultats et discussion
Les quatre kits ELISA testés ont détecté les 3 espèces de moutarde. Les cibles de ces kits commerciaux ne sont
pas spécifiées mais ce sont vraisemblablement les anticorps polyclonaux contre l’albumine 2S (Sin a 1, Bra j 1, Bna
III napin) ou des protéines allergisantes homologues. Les deux kits qPCR testés ont amplifié les trois espèces de
moutarde mais ont également donné lieu à une amplification aspécifique avec notamment B. napus et A. thaliana.
Un exemple des résultats d’évaluation d’un test qPCR est donné à la Fig. 2.
La méthode qPCR de Fuchs et al. (2010), spécifique à S. alba, s’avère effectivement spécifique à la moutarde
blanche. Aucune autre espèce n’a montré d’amplification dans une réaction de PCR en temps réel avec ce kit. Les
amorces et la sonde TaqMan visent une séquence spécifique dans le gène codant pour la protéine à domaine
MADS.
Fig. 2 : graphique d’amplification qPCR comme exemple de résultat d’un kit qPCR prêt-à-l’emploi commercialisé
pour la détection de la moutarde. Le tracé obtenu montre l’aspécificité des amorces utilisées.
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Les nouvelles analyses qPCR développées ont fourni deux sets d’amorces potentiellement utilisables pour la
détection spécifique de B. nigra. L’évaluation de la paire d’amorces Bni COL-Fa/Ra1 à l’égard de 37 échantillons de
7 espèces d’origines différentes a révélé une spécificité complète pour la moutarde noire mais 3 des 7 échantillons
de Brassica nigra n’ont pas donné d’amplification. Dans une première évaluation, la paire Bni COL-Fa/Ra2 semble
aussi spécifique à la moutarde noire. Ces paires d’amorces amplifient un fragment de respectivement 146 paires
de base (bp) et 100 paires de base du gène de type Constans codant pour la protéine. Les résultats des pics de
fusion optimalisés pour le set de 37 échantillons de graines, obtenus avec la paire d’amorces Bni COL-Fa/Ra1, sont
représentés à la Fig. 3.
Fig. 3: Courbes de fusion de l’essai SYBR Green I qPCR avec la paire d’amorces Bni COL-Fa/Ra1 spécifique à B-nigra (146
bp). Un pic de fusion spécifique de 84°C est obtenu pour 4 des 7 échantillons de B. nigra testés. Le pic de fusion aspécifique
à 78°C peut être dû aux dimères d’amorces.
Une augmentation de la spécificité du set d’amorces Bni COL-Fa/Ra1 est visée à condition d’utiliser une sonde
Taqman avec les amorces et/ou d’adapter la température d’hybridation et les concentrations des amorces et/ou
d’appliquer la méthode dans l’analyse PCR-Courbe de fusion à haute résolution (HRM-PCR).
Pour B. juncea, la seule protéine connue, à savoir la protéine de stockage 2S, a été sélectionnée comme cible pour
le développement d’amorces. Vu que les homologies de ce gène avec d’autres espèces du genre Brassica sont
très importantes, il a été décidé de tester directement une dizaine de paires d’amorces via la méthode HRM-PCR.
Le but était d’obtenir une plus forte différentiabilité des espèces entre elles. Les résultats d’analyses HRM-PCR n’ont
en général pas donné de résultats univoques spécifiques à une espèce. Les accessions de différentes espèces ont
souvent été mises en commun. Au moins une paire d’amorces semble spécifique à la moutarde brune (voir Fig. 4).
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Fig. 4 Courbes de fusion de l’essai HRM-PCR avec la paire d’amorces Bju HRM-F1/R1 (203 bp) spécifique à B. juncea. Les
différents groupes de résultats ou de “classes” qui sont différenciés dans la HRM sont indiqués à droite.
Sept des huit échantillons de B. juncea testés sont en effet classés dans le même groupe (groupe V à la Fig. 4) ;
cependant, au moins 2 des 7 échnatillons de B. nigra s’y retrouvent également. Le test s’avère être spécifique pour
B. nigra (5/7 dans le groupe I) mais, de nouveau, pas à 100%. Des essais répétés pour vérifier la reproductibilité de
la méthode ainsi que des étapes d’optimalisation éventuelles complémentaires dans la HRM-PCR sont nécessaires
afin de parvenir à une spécificité univoque pour B. juncea versus B. nigra. De surcroît, il faudra également examiner la pureté de plusieurs échantillons aux résultats ambigus.
Références
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Monsalve R. I., Gonzalez De La Peña M. A., Menéndez-Arias L., Lopez-Otin C., Villalba M., Rodriguez R. (1993) Characterization of a new oriental-mustard (Brassica juncea) allergen, Bra j IE: detection of an allergenic epitope. Biochem.
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[email protected]
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