Hobbes Léviathan XIII et XVII

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Hobbes Léviathan XIII et XVII
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
HOBBES, LE LEVIATHAN, CHAPITRES XIII ET XVII
1) Quelle est, selon Hobbes, l’origine de la violence entre les hommes ?
Dans le chapitre XIII du Léviathan, Hobbes voit dans l’égalité naturelle des hommes
quant aux facultés du corps et de l’esprit l’origine de la violence. Les hommes, en effet, sont
d’égale condition et seules les conventions sociales établissent des différences. Forces et
faiblesses se compensent : ainsi David a-t-il su tuer Goliath et il suffit de connaître le point
faible d’Achille pour qu’il meure. Cette égalité des aptitudes fait que les hommes aspirent
tous à satisfaire leurs désirs. La rivalité commence lorsque « deux hommes désirent la même
chose », ce qui est souvent le cas, et que cet objet de désir commun ne peut être possédé en
même temps. De là vient le désir universel de « détruire ou de dominer l’autre ». Dans l’état
de nature, chaque homme ayant un droit sur toutes choses, l’affrontement des forces
individuelles pour l’obtention des choses désirées et pour la survie est inévitable et conduit à
une situation invivable. En vertu de l’humaine loi du désir qui cherche le plaisir, chacun, en
somme, entend faire passer sa personne avant celle des autres. Chacun estime ainsi ce qui est
bon pour lui : « Cette égalité des aptitudes engendre l’égalité dans l’espérance que nous avons
de parvenir à nos fins » (chapitre 13).
2) Les hommes sont-ils naturellement sociables ?
Contrairement à Aristote, Hobbes pense que les hommes ne sont pas naturellement
sociables. L’homme n’est pas par nature un animal politique. La preuve en est qu’ils « ne
retirent pas d’agrément (mais au contraire un grand déplaisir) de la vie en compagnie ». La vie
en société ne résulte pas d’un penchant naturel de l’homme, mais d’une force coercitive –
l’Etat. Pour quelle raison les hommes sont-ils foncièrement associables et ne vivent-ils
ensemble que sous la menace ? L’homme, mû par son mouvement vital, c’est-à-dire par le
désir de se conserver, est dévoré par l’orgueil et la vanité qui font que « chacun attend que son
compagnon l’estime aussi haut qu’il s’apprécie lui-même ». Cet appétit de gloire, lorsqu’il
n’est pas satisfait, pousse l’homme à entrer en conflit avec ses semblables pour leur arracher
la reconnaissance de sa propre valeur, fût-ce par la force. Les hommes se nuisent les uns aux
autres par désir de reconnaissance, désir qui s’enracine, on le voit, dans l’appétit effréné de
gloire.
3) Quelles sont les trois causes principales de querelle entre les hommes ?
Les hommes sont mus par trois attitudes qui constituent les trois principales causes de
querelles : la « rivalité », la « méfiance » et la « fierté ». La rivalité, qui fait que les hommes
sont tous potentiellement des ennemis les uns pour les autres, s’explique par la propension
qu’ont les hommes à rechercher ce qui leur est avantageux, à agir selon leurs intérêts. Pour ce
faire, l’usage de la violence leur permet de dominer autrui et de s’approprier ses biens. La
méfiance pousse les hommes à rechercher leur propre sécurité face à la menace permanente
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que représente l’existence des autres hommes. Les biens tant convoités étant d’un accès
inégal, chacun peut y prétendre légitimement. En sorte que la menace du vol et du meurtre est
toujours présente : autrui est un rival potentiel susceptible de porter atteinte aux biens que l’on
a pu accumuler par son propre travail. Les hommes sont prêts à tout pour assurer leurs
sécurité et défense. Dès lors, la meilleure défense est encore l’attaque : « un homme n’a pas
d’autre moyen aussi raisonnable que l’anticipation pour se mettre en sécurité, autrement dit se
rendre maître du plus grand nombre possible de gens » (chapitre 13). La fierté, enfin,
troisième cause essentielle de dissension entre les hommes, les rend extrêmement susceptibles
à tout ce qui pourrait être un signe, direct ou indirect, de mésestime – « un mot, une opinion
qui diffère de la leur, ou quelque autre signe de mésestime ». Il s’ensuit une situation
permanente d’hostilité.
4) Peut-on vivre dans un état de guerre permanent ?
C’est l’orgueil, source de rivalité, qui va faire de l’homme « un loup pour l’homme » et
contribuer à ce que l’état de nature soit un état de guerre perpétuel. Mais à l’opposé, la crainte
de la mort est la passion qui va incliner l’homme à rechercher la paix avec ses semblables. La
vie dans un état de guerre permanent est impossible à long terme. Le risque permanent créé
par l’affrontement inévitable des forces individuelles engendre une angoisse mortelle, mais
salutaire au final. C’est la survie du genre humain qui est en jeu et pas seulement les
existences individuelles. Les risques et périls inhérents à l’état de nature sont tels que les
hommes, qui sont aussi des êtres rationnels, c’est-à-dire calculateurs, vont accepter de se
dessaisir réciproquement de leurs droits naturels sur toutes choses.
5) L’état de guerre est-il une réalité ou une fiction ?
D’un côté, l’état de nature n’est pas, comme chez Rousseau, une réalité historique
concrète, mais une fiction théorique, une expérience de pensée exprimant la condition pure de
l’homme si on fait abstraction de la société et du pouvoir politique. L’état de nature décrit
théoriquement, en effet, quelle serait notre attitude si nous n’étions pas soumis aux lois de
l’Etat. Il s’agit donc de considérer l’homme comme dépouillé de tout ce qui suppose la vie
civile. Ainsi Hobbes écrit-il : « On pensera peut-être qu’un tel temps n’a jamais existé, ni un
état de guerre tel que celui-ci. Je crois en effet qu’il n’en a jamais été ainsi, d’une manière
générale, dans le monde entier. » Plus qu’un état historique, l’état de nature désigne donc la
nature humaine. D’un autre côté, pour fictif qu’il soit, l’état de nature n’est pas sans rappeler
certaines situations réelles comme l’existence, « en maint endroit de l’Amérique », de sociétés
primitives sans Etat, proches, selon Hobbes, de la vie animale. Les guerres civiles donnent
également l’exemple de ce que serait la vie commune s’il n’y avait pas de « pouvoir commun
à craindre ». Dès lors que les sociétés humaines ne sont plus régies par une autorité politique
ou que cette autorité tend à s’affaiblir, c’est l’anarchie qui triomphe et, avec elle, la guerre de
tous contre tous, autre nom de l’état de nature.
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6) La justice et l’injustice et sont –elles des qualités naturelles ?
La justice et l’injustice ne sont pas des qualités naturelles. Dans l’état de nature, rien n’est
juste ni injuste. Hobbes écrit que « les notions de légitime et d’illégitime, de justice et
d’injustice, n’ont pas ici leur place ». Ces notions n’ont de sens que dans l’état civil,
lorsqu’existe un « pouvoir commun », c’est-à-dire un Etat, et conséquemment des lois. Sans
Etat il ne saurait y avoir de lois et sans lois, on ne peut parler de justice et d’injustice, puisque
c’est le droit positif qui définit ce qui est juste. Dans l’état de nature, les seules « vertus
cardinales » qui font autorité sont la « violence et la ruse ». Les notions de justice et
d’injustice n’ont donc aucun fondement naturel. Elles ne sont ni plus ni moins que des
conventions qui, à ce titre, ressortissent à une décision humaine. Hobbes précise que ces idées
sont des « qualités relatives à l’homme en société, et non à l’homme solitaire ».
7) Qu’est-ce qui pousse les hommes à la paix ?
Les hommes, nous l’avons vu, ne sont pas naturellement enclins à vivre paisiblement
les uns avec les autres. L’état de nature se caractérise par une situation de guerre permanente,
l’homme étant un loup pour l’homme. Si les hommes ne désirent pas spontanément la paix, ils
sont néanmoins contraints à la rechercher. Hobbes précise, en effet, que « les passions qui
inclinent les hommes à la paix sont la crainte de la mort, le désir des choses nécessaires à une
vie agréable, l’espoir de les obtenir par leur industrie ». C’est la peur de mourir, l’aspiration
au bonheur et la soif de se procurer par le travail et le commerce les biens qui rendent la vie
plus confortable qui poussent les hommes à renoncer à la guerre de tous contre tous au profit
d’une existence plus paisible. L’état de paix, entendu comme situation durable de sécurité, est
la seule condition pour que les hommes puissent pourvoir à l’industrie et l’agriculture. La paix
est ainsi requise comme condition nécessaire à la garantie de la subsistance et à la stabilité de
l’économie.
8) Quel but les hommes poursuivent-ils en général ?
Le but que poursuivent les hommes en général est de « pourvoir à leur propre préservation
et vivre plus heureusement par ce moyen ». En vertu de la loi naturelle de la conservation de
soi (l’instinct de conservation en quelque sorte, ce que Rousseau appellera, dans le Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « l’amour de soi »), les
hommes mettent tout en œuvre afin de persévérer dans leur être et de fuir tout ce qui pourrait
menacer leur survie. La crainte de la mort s’enracine donc dans le désir de vivre, l’élan vital,
le conatus, le « dur désir de durer » (Paul Eluard). La quête du bonheur, d’une existence
agréable, qui anime tout un chacun, s’enracine dans cet élan vital sans lequel aucune existence
n’est possible.
9) Pourquoi l’Etat a-t-il été institué ?
L’Etat désigne un pouvoir commun érigé par tous les hommes qui vivent ensemble sur un
même territoire. Ce pouvoir a une double vocation : une vocation externe d’abord, celle de
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protéger une communauté des attaques de l’étranger ; une vocation interne ensuite, celle de
protéger les hommes les uns des autres des torts qu’ils pourraient se faire, c’est-à-dire de la
violation de leurs libertés les uns par les autres. L’Etat représente une garantie effective par
l’institution d’une force commune de la sécurité du citoyen, à l’extérieur comme à l’intérieur.
Il s’agit de mettre fin à l’état de guerre, c’est-à-dire à un état de menace et de contestation
constante.
En l'absence d'institutions politiques, à l'état de nature, en effet, « l'homme est un loup pour
l'homme ». A l'état de nature l'homme est entièrement libre au sens où sa liberté est
strictement coextensive à sa force. Son droit de propriété est sans limites dans la mesure où il
parvient à s’approprier tout ce qu’il désire. Liberté et propriété sont équivalentes pour tous :
chacun ayant autant de droit sur tout que son voisin. La liberté et la propriété étant sans
bornes, la conséquence est l’insécurité totale : chaque individu craint pour sa vie. L’état de
nature est un état de guerre perpétuelle de tous contre tous.
Le but essentiel de la politique est donc la paix intérieure et extérieure. Par l’institution de
ce pouvoir étatique, le citoyen se sait protégé. Il n’est pas plus enclin à craindre l’extérieur
que son concitoyen et tenté de commettre de violation d’une liberté quelconque.
10) Qu’est-ce qui caractérise le pouvoir de l’Etat ?
Le passage à l’état de société est alors le fruit d’un calcul rationnel : mieux vaut limiter sa
liberté si celle-ci, en retour, est protégée. Le contrat entre les individus d'où va naître l'État ne
pourra être qu'un contrat d'aliénation ou d'abdication totale par lequel chacun va transférer à
un tiers tout puissant l'ensemble de ses droits. « Chacun cède le droit qu'il a sur toutes
choses ». Le tiers constitué est l'État dont le pouvoir coercitif rend la société possible. Le
souverain (monarque ou assemblée qui peut être elle-même aristocratique ou démocratique),
bénéficiaire de ce pacte, n’est lié en aucune manière par les sujets et il dispose d’un pouvoir
absolu sur eux.
C’est cette cession de soi par chacun qui fait qu’un tel pouvoir en est le représentant, et
c’est l’égalité pour tous du geste de cession qui en garantit la représentation. L’État n’est donc
rien d’autre qu’un pouvoir désigné par tous pour les représenter. Il est à la fois le tiers qui
arbitre et la force résultant de la condensation de toutes les forces des citoyens.
Dans cette optique, la conception libérale de Locke risque de mener à l'anarchisme : si
l'individu est juge et partie à l'égard de ses droits fondamentaux, c'est l'état de nature qui
resurgit. Là où existe un droit de résistance règne une anarchie latente qui peut dégénérer en
guerre civile.
Hobbes définit l’État comme le dépositaire du pouvoir et de la force de tous. Il ne s’agit
que de faire converger ces forces et pouvoirs qui, dans l’état de nature, divergent et se
neutralisent, vers le but commun de la garantie de l’intérêt réciproque. L’État n’a de
fondement solide qu’à la condition d’être le mandataire désigné de tous pour les représenter,
dans la mesure où les citoyens se reconnaissent en lui. L’État personnifie la volonté de tous.
La personnification signifie que l’institution de l’État constitue un processus d’unification des
volontés de tous en une seule et même volonté. Hobbes précise qu’un tel processus va « plus
loin que le consensus ou concorde » : en effet, le consensus est une union imparfaite, parce
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qu’il est sujet à variation et à devenir, et parce qu’une telle union ne va pas jusqu’à l’unité. Le
contrat social dont parle ici Hobbes est bien plus rigoureux : il s’agit de former « une unité
réelle de tous en une seule et même personne », et d’effectuer une telle unification par voie de
convention, c’est-à-dire par un acte juridique institué qui vaut loi.
11) Rappeler ce qui différencie la conception de Hobbes de celle de Locke et de
Rousseau quant à la question de l’Etat.
Chez Hobbes, le contrat repose sur une aliénation totale dont les individus conviennent
entre eux au profit d'un tiers, d'une troisième partie prenante, d'un troisième homme si l'on
veut, qui prend tout et qui, de ce fait, détient le pouvoir absolu. Cette troisième partie – l'État
– est extérieure et ne donne rien; elle est certes constituée par le contrat, mais elle est
extérieure au contrat et à ses parties prenantes (les individus contractant l'un avec l'autre pour
tout donner au prince ou au souverain). Le souverain que le contrat institue est un tiers qui n'a
lui-même contracté avec personne et qui se trouve délié de toute promesse. Il y a donc
transfert de souveraineté dans l'État. L’aliénation de la liberté y est définitive. Les citoyens
sont obligés envers le souverain sans que cette obligation soit réciproque. Le souverain, du
coup, peut disposer de leurs personnes, de leurs forces, de leurs vies mêmes en cas d'agression
extérieure. Un pouvoir limité, auquel les citoyens auraient le droit de résister, serait incapable
d'assurer la paix civile. L'obéissance au souverain est absolue. Le souverain dispose sur tous
les citoyens d'un pouvoir absolu et sans bornes. Quelle garantie a-t-on dès lors contre le
despotisme d'un Souverain qui n'est même pas lié par l'échange d'une promesse ? Comment se
fier à son intérêt ?
Le scandale chez Rousseau est que l'individu doit tout donner, se donner tout entier, sans
aucune réserve, pour recevoir quelque chose en échange. L'arme de Rousseau contre Hobbes
consiste à transformer l'aliénation totale dans l'extériorité en aliénation totale dans l'intériorité:
les individus s'aliènent totalement sans perdre leur liberté; le Souverain n'est rien que la
communauté des individus qui ont contracté. L'aliénation est intérieure.
Chez Hobbes, au contraire, on reste dans les catégories de l'état de nature, de l'état de
guerre, de la violence : il faut un troisième homme, un arbitre en cas de conflit entre le Peuple
et l'État. C'est l'État qui tranche.
Chez Rousseau, les individus, en réalité, ne contractent qu'avec eux-mêmes, l'aliénation
totale est purement intérieure. La seconde partie prenante est identique à la première. Entre les
individus et le Souverain, nul besoin d'un arbitre, puisque le Souverain n'est que l'union des
individus eux-mêmes, existant comme membres du Souverain, dans la forme de l'union.
Pour faire en sorte que la liberté de l'individu et l'autorité de l'État soient réalisées, il faut
parvenir à deux choses en même temps : l'État doit être totalement souverain (l'individu aliène
tous ses droits à l'État) et l’individu doit garder sur lui-même une totale souveraineté. Dans
cette optique, la naissance de l'État, loin d'assujettir les individus, fonde pleinement leur
liberté véritable. En sorte que la souveraineté sans partage de l'État serait par elle-même la
liberté entière de l'individu. La soumission totale à l'État y est aussi liberté totale : en se
soumettant à l'État, l'individu ne se soumet qu'au droit, c'est-à-dire à ce qui rend sa liberté
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possible. En me soumettant à l'État, c'est à la loi que je me soumets. Le règne du droit, à
travers les lois qui l'expriment, doit être le but ultime de l'État. C'est ce que tente de penser
Rousseau dans le Contrat social. On appelle républicaine cette conception de l'État où
l'organisation du pouvoir fait que c'est la loi qui est le véritable souverain.
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