A lire : une analyse de Polybe sur les institutions de la République

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A lire : une analyse de Polybe sur les institutions de la République
2013-2014, S1
Université Paris 1
L1 - Histoire de l’art et archéologie
Art et archéologie de Rome et de l’Italie
Travaux dirigés. E. Letellier
[email protected]
Les institutions de la République
Polybe, Histoires, livre VI, 11-14
texte grec édité et traduit par R.Weil avec la collaboration de C. Nicolet, éd. Belles Lettres
Polybe de Mégalopolis (env. 200 / env. 118 av. J.-C.) était un Grec d’Arcadie ; il fut fait
prisonnier et transporté en Italie suite à la victoire romaine de Pydna (168 av. J.-C.), passa
alors de nombreuses années à Rome, où il s’intégra à la haute société, en devenant
notamment proche de Scipion Emilien (il assista même à la destruction de Carthage en 146
av. J.-C.). Il rentra en Grèce après la prise et le sac de Corinthe (la même année, en 146 av.
J.-C.). Son Histoire raconte en quarante livres « comment et pourquoi toutes les parties
connues du monde habité tombèrent sous la domination des Romains » (III, 1). On en a
conservé environ un tiers. Il est difficile de dater précisément la date d’écriture de chaque
livre.
« A partir de cette époque-là, trente ans après le passage de Xerxès en Grèce, l’organisation
des divers éléments (du régime) fut toujours dès lors en progrès ; il était dans son plus bel état
et dans sa perfection au temps d’Hannibal, au point où nous avons commencé cette
digression. Ainsi, puisque nous avons rendu compte de sa formation, nous allons essayer
maintenant d’expliquer ce qu’il était à cette époque où les Romains avaient été écrasés par
leur défaite de Cannes. (…) Ainsi donc, trois éléments détenaient le pouvoir dans cette
constitution, tous éléments que j’ai indiqués précédemment1 ; par leur action, toutes choses
respectivement avaient été organisées et étaient menées d’une manière si équitable et
appropriée que personne, même parmi les gens du pays, n’aurait pu dire avec certitude si
l’ensemble du régime était aristocratique, démocratique ou monarchique. Et cet embarras était
bien normal. Car lorsqu’on regardait le pouvoir des consuls, le régime paraissait parfaitement
monarchique et royal ; mais d’après le pouvoir du sénat c’était cette fois une aristocratie ; et si
maintenant on considérait le pouvoir du peuple, cela semblait être nettement une démocratie.
Les secteurs sur lesquels chaque forme de pouvoir avait compétence dans ce régime étaient, et
sont encore, à quelques modifications près, les suivants :
Les consuls, quand ils sont à Rome avant d’emmener les légions, ont autorité sur toutes les
affaires publiques, puisque les autres magistrats leur sont tous subordonnés et leur obéissent,
sauf les tribuns, et qu’il leur revient d’introduire les ambassades au sénat. En outre, ce sont
eux qui soumettent à sa délibération les questions urgentes, eux qui assurent l’entière
exécution de ses décisions. De plus pour toutes les questions, concernant les affaires de l’Etat,
qui doivent être traitées par le peuple, c’est à eux de s’en occuper et de convoquer les
assemblées, de présenter des propositions, de diriger l’application des décisions de la
majorité. De plus, pour la préparation de la guerre et, en général, la conduite des opérations en
campagne, leur pouvoir est presque souverain. En effet, ils ont pouvoir de donner à leur gré
des ordres aux alliés, de nommer les tribuns militaires, d’enrôler les soldats et de sélectionner
les hommes selon leurs aptitudes. En outre, ils détiennent le droit de punir à volonté n’importe
lequel de leurs subordonnés en campagne. Ils ont aussi le pouvoir de faire sur les fonds
1
Polybe a exposé plus haut (VI, 3, 5) les trois sortes de constitutions fondamentales : la royauté, l’aristocratie et
la démocratie.
publics toute dépense à leur gré, étant accompagnés d’un questeur prêt à exécuter tous leurs
ordres. Ainsi donc, à considérer cet élément du gouvernement, il serait normal de dire que le
régime est purement et simplement monarchique, ou royal. S’il est vrai que certains de ces
traits ou de ceux qui vont être décrits peuvent subir des changements, de nos jours ou dans un
certain temps, cela ne saurait en rien affecter le jugement que j’énonce ici.
Pour sa part le sénat a, en premier lieu, l’autorité sur le trésor : il contrôle toutes les recettes,
de même que les dépenses. En effet, sans décret du sénat les questeurs ne peuvent faire
aucune dépense pour les besoins particuliers, sauf les versements destinés aux consuls ; et la
dépense qui est de loin la plus importante et la plus lourde de toutes, celle que les censeurs
engagent tous les cinq ans pour réparer ou construire les bâtiments publics, est soumise à
l’autorisation du sénat, qui donne son accord aux censeurs. De la même façon, pour tous les
crimes commis en Italie qui appellent une enquête officielle – par exemple les cas de trahison,
de conjuration, d’empoisonnement, de meurtre -, c’est le sénat qui a juridiction. En outre, si la
conduite d’un particulier ou d’une ville en Italie appelle un arbitrage, un blâme, l’envoi d’un
secours, d’une garnison, c’est le sénat qui s’occupe de tout cela. De plus, quand il est
nécessaire d’envoyer une ambassade hors d’Italie pour rendre un arbitrage, donner un conseil,
voire un ordre, recevoir une soumission, déclarer la guerre, c’est le sénat qui y pourvoit. De la
même façon, pour les ambassades qui arrivent à Rome, l’accueil qui doit être fait dans chaque
cas et la réponse qui doit être donnée sont des affaires traitées entièrement par le sénat. Dans
toutes les questions dont on vient de parler, le peuple n’intervient absolument en rien. C’est
pourquoi, si l’on séjourne à Rome en l’absence des consuls, on trouve cette fois que le régime
est parfaitement aristocratique. De cela bien des Grecs, de même que bien des rois, se
trouvent convaincus, parce que les affaires qui les concernent sont réglées presque toutes par
le sénat.
Dans ces conditions, il serait normal de se demander ce que peuvent bien être les caractères et
la nature de la part laissée au peuple dans ce régime, quand d’un côté le sénat détient
l’autorité sur les secteurs que nous avons dits, avec ce point capital, que toutes les questions
de revenus et de dépenses sont traitées par lui, et quand de leur coté aussi les consuls ont
pleins pouvoirs pour la préparation à la guerre, pleins pouvoirs pour les opérations en
campagne. Néanmoins, une part est laissée au peuple aussi, et c’est même une part qui pèse
très lourd. Dans cette constitution, le peuple est le seul maître des honneurs et des peines ; or
c’est par là seulement que sont préservés de la désagrégation tant les pouvoirs personnels que
les régimes constitutionnels, bref, toute la civilisation. Chez les peuples où cette distinction
des valeurs se trouve méconnue, ou mal appliquée toute en étant reconnue, aucune affaire ne
saurait être administrée correctement : comment serait-ce concevable, là où les bons et les
méchants sont tenus en égale estime ? Ainsi donc le peuple a juridiction dans biens des cas
justiciables d’une sanction financière, lorsque le délit comporte une amende considérable et
surtout quand les accusés ont exercé des magistratures de premier plan ; dans les accusations
capitales, il est seul compétent. (…) De plus c’est le peuple qui donne les magistratures à ceux
qui les méritent : c’est la plus belle récompense de la vertu dans un Etat. Il est souverain aussi
dans le vote des lois, et surtout, c’est lui qui délibère de la paix comme de la guerre. De plus,
pour les alliances, la fin des hostilités, les traités, c’est lui qui confirme et ratifie ou non
chaque décision. Ainsi, après cela, il serait normal de dire, cette fois, que le peuple a la part la
plus grande, et que le régime est démocratique.
Voilà comment les responsabilités de l’Etat sont réparties entre les diverses formes de
pouvoir ; nous allons expliquer maintenant comment chacun de ces éléments du pouvoir peut
s’il le veut s’opposer aux autres ou, au contraire, collaborer avec eux. (…) »

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