La justice internationale au Cambodge

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La justice internationale au Cambodge
Julie MAILHE
Séminaire de Justice Internationale
Mr RAIMBAULT
LA JUSTICE
INTERNATIONALE AU
CAMBODGE
IEP 4ème année module Relations Internationales et
Développement (2007-2008)
SOMMAIRE
I/ Les précédents conflictuels d’un procès international hautement
polémique au Cambodge.
1. Historique de l’installation de l’ONU au « Cambodge des khmers rouges ».
2. Intervention d’appui de l’ONU au Cambodge en matière de justice internationale.
3. Problématiques juridiques issues du processus houleux de négociations entre l’ONU et
le gouvernement cambodgien.
II/ Le déroulement du procès dans la pratique et les interrogations
juridiques qui subsistent.
1. La question de la qualification des crimes commis sous le régime des khmers rouges.
2. La structure organique des Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux
nationaux et l’organisation de la coopération internationale.
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Introduction
Au cours du XXème siècle, de nombreux crimes perpétrés à grande échelle ont été
commis contre des populations civiles : le massacre des Arméniens, l’horreur systématisée de
la Shoah, la purification ethnique en ex-Yougoslavie et le génocide rwandais. Les
exterminations massives commises au Cambodge durant le régime khmer rouge font partie de
ces crimes de grande ampleur humaine.
Après la fin de l'antagonisme est-ouest qui marque la guerre froide et le monde bipolarisée,
l’idée de justice pénale internationale émerge progressivement et à nouveau.
Les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda ont conduit à la mise en place de
nouvelles juridictions indépendantes dans le cadre des Nations unies, il s’agit des Tribunaux
pénaux internationaux.
La création en 1998 de la Cour pénale internationale (CPI) est l’aboutissement d’une
série de tentatives visant à mettre en place une juridiction permanente habilitée à juger les
auteurs des crimes internationaux les plus graves. Jusqu’à cette date, c’est au coup par coup,
dans le contexte de conflits particuliers, que des tribunaux « ad hoc » ont été constitué pour
juger des criminels.
Un nouveau type de juridictions chargées de réprimer des violations graves du droit
humanitaire international a commencé à voir le jour au Cambodge (ce fut aussi le cas en
Sierra Leone). Le but était finalement des instances nationales soumises à un contrôle
international des Nations unies : des juridictions mixtes qui devraient appliquer partiellement
le droit international et le droit national.
Au Cambodge, des pourparlers sont entamés depuis 1998 entre le gouvernement du
Premier ministre Hun Sen et les Nations unies et ont conduit le 19 mai 2000 à un accord sur la
création d'un tribunal spécial chargé de juger les anciens responsables khmers rouges.
En 2001, l'Assemblée nationale cambodgienne a adopté une loi créant une Cour, les
Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC), chargées de juger les
responsables khmers rouges du génocide cambodgien entre 1975 et 1979. Ce tribunal mixte
est avalisé par l'ONU en 2003, inauguré le 3 juillet 2006 et un premier procès s'ouvre à
Phnom Penh le 31 juillet 2007.
La multiplication des juridictions internationales atteste incontestablement des progrès
de la justice internationale, qui va vers une « institutionnalisation de plus en plus marquée »
sous des formes « diversifiées » selon les contextes locaux et les histoires nationales propres à
chaque pays.
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La contrainte juridique internationale a tout de même des difficultés à s’affirmer face
aux souverainetés étatiques, qui sont la traduction juridique de l’importance des aspects
politiques, médiatiques et sociaux de l’usage du droit international et du fonctionnement de
ses juridictions.
Le thème de la justice internationale pose le problème juridique de la coopération
judiciaire internationale : toute politique pénale a des conséquences politiques, le politique est
en permanence imbriqué dans toute intervention judiciaire, ajouté à la problématique de
l’indépendance des juges nationaux par rapport à leurs États respectifs.
Après une étude historique et juridique approfondie, nous dégagerons les origines de
la création des chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens et toutes les
problématiques de la coopération internationale. Puis, nous étudierons les conditions de mise
en pratique de ce processus judiciaire international sur le territoire cambodgien.
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I/ Les précédents conflictuels d’un procès
international hautement polémique au Cambodge.
1. Historique de l’installation de l’ONU au « Cambodge
des khmers rouges ».
Le Cambodge a obtenu son indépendance de la France en 1953 mais il fut submergé par
la suite dans le chaos de la guerre du Vietnam. La guerre civile qui s’y est déroulée a
reproduit le schéma de la guerre froide: d’un côté, le gouvernement de Lon Nol, soutenu par
les Etats-Unis et de l’autre, les Khmers rouges et leur chef Pol Pot, soutenus par La Chine.
Les bombardements secrets américains ont causé plus de 150 000 victimes, et ont
probablement ouvert la voie à la prise de pouvoir par Pol Pot et ses troupes sur le territoire
cambodgien. Le 17 avril 1975, celles-ci entraient dans Phnom Penh et inauguraient une
période de terreur.
L’Histoire cambodgienne fut très marquée par cette période au pouvoir des khmers
rouges d’avril 1975 à janvier 1979. Après sa victoire sur le régime de Lon Nol au pouvoir
depuis mars 1970 et sa fuite à l’étranger, le PCK (Parti Communiste Khmer) ordonne
l’évacuation des villes afin de provoquer un exode massif vers les campagnes. A la campagne,
le nouveau régime et son organisation l’Angkar (en réalité le PCK) distingue « l’ancien
peuple » (les paysans dont certains ont participé aux combats aux côtés des communistes), et
« le nouveau peuple » (la population urbaine qui mourra massivement durant l’instauration de
ce pouvoir khmer rouge). Les survivants aux massacres doivent participer à l'élaboration d'un
homme nouveau, sous l'autorité et les ordres de l'Angkar. L'épuisement au travail, la
malnutrition, les maladies et les exécutions sommaires sont les causes de la mort de millions
de personnes en trois ans.
Le nom officiel du nouvel Etat est « le kampuchea démocratique » dont le chef d’Etat
officiel est Khieu Samphan, mais l’Angkar est dirigée depuis avril 1977 par Saloth Sar
(connu comme Pol Pot) secrétaire général du PCK. Les Khmers rouges (en khmer : Khmaey
Krahom), dont le nom officiel fut successivement Parti communiste du Cambodge et Parti du
Kampuchéa démocratique, sont une organisation d’idéologie de base communiste avec
influence ultra-maoïste, qui avait le projet de constituer « une société agraire sans classes ». A
cette époque, le simple fait de porter des lunettes pouvait suffire à être condamné à mort. Le
génocide khmer rouge a coûté la vie à environ 2 millions de personnes, soit environ un quart
de la population du pays.
Le 25 décembre 1978, l’armée vietnamienne passe à l’offensive et met en déroute en
quelques jours l’armée des Khmers rouges. Au cours du mois de janvier 1979, les vietnamiens
prennent le contrôle d'une grande partie du pays. Le 11 janvier, à Phnom Penh, un Comité
populaire révolutionnaire, contrôlé par une fraction provietnamienne du P.C.K prend le
pouvoir et proclame la république populaire du Cambodge. L’invasion vietnamienne du
Cambodge en 1979, met donc un terme à la terreur. Pol Pot et ses soldats se réfugient dans la
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jungle, où ils sont soutenus par la Chine et certains pays occidentaux, dans leur lutte contre
l’occupation communiste vietnamienne et le régime mis en place par le Vietnam à son départ,
10 ans après l’invasion. Jusqu’en 1992, c’est le gouvernement en exil khmer rouge qui
continue à représenter le Cambodge auprès de l’ONU.
L’histoire de l’intervention de l’ONU au Cambodge commence en décembre 1978,
lorsque le Vietnam envahit le Cambodge, avec le devoir d’abolir la dictature khmère.
Or le nouveau régime instauré par les autorités vietnamiennes n’est pas reconnu par la
communauté internationale, les khmers rouges se trouvant toujours dans les campagnes
cambodgiennes et continuant les massacres. Les Etats-Unis soutiennent les anciens membres
du régime Khmer contre les nouveaux occupants communistes vietnamiens, grands alliés de
l’URSS. Un veto est déposé à l’ONU par les Etats-Unis et la Chine à une intervention des
Nations unies pour accélérer le changement de régime au Cambodge.
En 1979, un procès sous forme de tribunal populaire se tient au Cambodge sous
influence vietnamienne et aboutit à la condamnation de Pol Pot et Ieng Sary à mort, mais ces
condamnations ne sont pas appliquées car cette forme de justice est illégitime aux yeux des
populations, constamment influencées par la propagande des khmers rouges qui jusqu’en
1998, attribuent la majeure partie des historiques massacres aux vietnamiens.
En 1989, ont lieu des négociations de paix auxquels participent Cuba comme associés
mais ces négociations sont un échec total dont la responsabilité est attribuée à l’ONU à cause
de ses difficultés croissantes de pacification de la zone et de l’impasse faite sur les crimes des
khmers. En effet, les termes de « crime contre l’humanité » et de « génocide » sont bannis de
tous les textes officiels.
En 1991, lors des accords de Paris sur le Cambodge, la formule : « politiques et
pratiques du passé » est utilisée pour qualifier les évènements sous le régime des khmers
rouges. Pour les survivants de cette période historique cambodgienne, le déroulement d’un
procès est une nécessité car jusque là les anciens dirigeants et tortionnaires khmers rouges
bénéficie d’une impunité totale et le révisionnisme détermine la mémoire et l’histoire
collective cambodgienne.
A la fin de l’année 1992, Les Khmers rouges ont toujours du pouvoir au Cambodge et
selon Christian LEVERCHY1 on peut même parler de « regain de dynamisme guerrier des
khmers rouges » mais ils sont incapables de reprendre la tête du pouvoir.
Ils réalisent des attentats contre les vietnamiens présents au Cambodge et contre l’autorité
provisoire de l’ONU au Cambodge. De plus, de nombreux jeux diplomatiques s’opèrent dans
la zone puisque le but pour les Etats-Unis est que l’ONU ne s’implique pas trop au
Cambodge. En 1991, les khmers retournent à leur profit les accords de Paris en accentuant
l’échec de la tentative de pacification par es Nations Unies. En effet, les Khmers rouges ont
un appareil de propagande très sophistiqué et puissant, qui permet la diffusion de messages
militaires très mesurés en réaction aux décisions de l’ONU, ajouté à la réalisation d’attentats
terroristes pour maintenir la soumission des populations.
L’ONU se retrouve rapidement dépassé par les évènements car l’armée de l’Etat du
Cambodge prend pour cible avec des missiles les bases des khmers rouges. Une « micro
1
LEVERCHY Christian, « Le khmer rouge : homo bellicus versus homo economicus », Cultures et Conflits
n°8 (1993), pp 24-39.
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guerre » se développe entre les deux clans, les khmers ayant un seul objectif : empêcher à
l’ONU l’accès à leurs zones. L’entretien du « mythe » de la puissance khmer rouge
fonctionne à la perfection, à tel point que l’armée de l’Etat du Cambodge craint
systématiquement l’arrivée des khmers.
Les khmers rouges réussissent à faire avaliser que le mandat de l’ONU ne s’applique
pas aux zones qu’ils contrôlent, se crée alors une nouvelle catégorie juridique de territoires
désignés comme « zones inaccessibles ». Une définition de l’intégrité territoriale de ces
acteurs qui ne doit pas être violée par l’ONU s’opère. Pendant ce temps, les massacres
continuent et les khmers rouges mettent en œuvre une nouvelle dialectique puisque en mai
1992 : entre 30 et 40 villages sont attaqués par mois et de 10 à 20 vietnamiens ou officiels de
l’Etat du Cambodge sont exécutés. La population cambodgienne reste neutre car elle craint les
khmers
Finalement les khmers rouges jouent de leur force géopolitique afin de profiter des ressources
naturelles du pays et d’inciter les entreprises étrangères à venir s’installer au Cambodge à
travers des contrats de co-exploitation.
2. Intervention d’appui de l’ONU au Cambodge en
matière de justice internationale.
En 1997, les autorités cambodgiennes demandent : « l’aide de l’ONU et de la
communauté internationale afin de juger ceux qui ont été responsables de génocide et de
crimes contre l’humanité pendant le régime des khmers rouges ». Les deux objectifs auxquels
accède l’assemblée générale de l’ONU sont l’établissement de la vérité et le jugement des
responsables. Vingt ans après le génocide, l’ONU se prononce enfin pour la poursuite pénale
des principaux responsables de massacres, en offrant son aide au gouvernement cambodgien.
Un rapport d’expert préconisant la création d’un tribunal international ainsi que la mise en
place d’une commission vérité, fut rejeté par le Cambodge, celui-ci se réfugiant derrière
l’argument d’une atteinte inadmissible à sa souveraineté. En juin 1997, le gouvernement
cambodgien avait sollicité l’aide de l’ONU pour poursuivre les anciens dirigeants Khmers
rouges pour des crimes commis entre 1975 et 1979. L’ONU désirait initialement instituer un
troisième Tribunal pénal international « ad hoc », après ceux sur l’ex-Yougoslavie et le
Rwanda. Or, le gouvernement cambodgien s’est refusé à l’établissement d’un tel mécanisme,
ce qui a conduit les parties à un projet de Mémorandum concernant la coopération
internationale avec des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (les
CEC). En août 2001, le Cambodge a alors promulgué une loi qui ne respectait pas entièrement
les termes du Mémorandum, raison pour laquelle le Secrétaire Général de l’ONU a voulu se
retirer des négociations en février 2002. L’Assemblée Générale demande alors la poursuite
des négociations. Cela aboutit à la signature d’un accord bilatéral le 6 juin 2003, faisant suite
à l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies d’une résolution, le 13 mai 2003.
Mais la loi promulguée par le Cambodge, le 10 août 2001, qui fait référence à
l’établissement des Chambres extraordinaires, n'était pas entièrement conforme aux termes du
projet de Mémorandum. En l'absence de progrès face à ces difficultés de communication, le
Secrétaire Général proclame le retrait de l'ONU des négociations en février 2002. Or,
l'Assemblée Générale des Nations Unies demande la continuité des négociations sur la base
de la loi de 2001 et le 17 mars 2003, un accord bilatéral amendé a était arrêté, qui répondait
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aux difficultés de négociations antérieures. L'accord est officiellement signé au Cambodge le
6 Juin 2003.
Cet accord de 2003 n’est ratifié par le Cambodge que le 19 Octobre 2004, après la
formation d'un nouveau gouvernement. Par la suite, la loi de 2001 portant établissement des
Chambres extraordinaires fut modifiée, le 27 Octobre 2004, afin de mettre le droit
cambodgien en conformité avec l'accord international.
Toutefois, l’accord signé le 6 juin 2003 ne deviendra définitif qu’en avril 2005, après
qu’une réunion de donateurs ait reçu des promesses couvrant la quasi-totalité des
contributions internationales volontaires nécessaires. La loi de 2001 a, quant à elle, été
modifiée pour mettre le droit cambodgien en conformité avec l’accord international et n’a été
promulguée que le 27 octobre 2004. La définition du budget d’une telle opération est de 56
millions de dollars, à la charge de l’ONU et de l’Etat cambodgien, avec 17 magistrats
cambodgiens et 8 internationaux. Le 29 avril 2005, une réunion de donateurs a reçu des
promesses couvrant la quasi-totalité des contributions internationales volontaires nécessaires
(43 Millions de dollars). Or, à la fin de 2005, le Cambodge n'avait toujours pas réuni la
totalité de sa part du budget qui est de 13, 3 millions de dollars.
La lente émergence de ce tribunal international « hybride » n’aura pas permis de juger
un certain nombre de Khmers rouges, morts entre-temps, tels que Pol Pot, Son Sen (ministre
de la défense et responsable du Santebal, la police politique), Yun Yat (ministre), Thiounn
Thioeunn (ministre), Ta Mok (chef du commandement militaire) et son adjoint Ke Pauk.
Toutefois, d’autres hauts responsables des atrocités commises sous ce régime sont
encore en vie, notamment Khieu Samphan (chef de l’Etat), Nuon Chea (l’homme le plus
puissant après Pol Pot), Ieng Sary (vice-premier ministre), Khieu Thirith (épouse de Ieng
Sary, ministre et membre du comité central), Thiounn Mumm (ministre) et Keat Chhon
(ministre). Ce dernier est ministre de l’économie et des finances dans le gouvernement actuel.
Ainsi la ratification de l’accord par le Parlement cambodgien, la mise à disposition
des moyens financiers suffisants ainsi qu’un recrutement rapide d’un personnel compétent
devraient, sauf obstacles nouveaux, permettre de traduire en justice ces bourreaux. Le début
de l’instruction des affaires, le 3 juillet 2006, représente le dernier développement dans
l’établissement laborieux de cet outil de justice internationale pénale.
Le Secrétariat de L’ONU a passé six ans à négocier une structure judiciaire permettant
de poursuivre les anciens dirigeants Khmers rouges pour les crimes commis entre 1975 et
1979. L’ONU a tout d’abord proposé de créer un tribunal temporaire international, le
Cambodge s’y est opposé et a préféré une juridiction nationale assistée de magistrats et de
conseillers étrangers.
Le principal problème est que les magistrats cambodgiens sont tous juges et parties de
ce procès car ils sont tous affiliés aux khmers rouges étant victimes ou parfois même
collaborateurs de cet ancien régime, donc se pose un problème d’impartialité de ces
magistrats. De plus la justice cambodgienne n’est pas assez compétente ou indépendante pour
juger des crimes des khmers rouges alors que l’ONU veut le respect de critères juridiques
internationaux c’est-à-dire de « garanties sur l’arrestation des suspects et réclame la
participation de magistrats internationaux à tous les stades de la procédure ».
L’ONU propose donc la création des chambres extraordinaires au sein des tribunaux
cambodgiens (les CEC) qui jugera des crimes commis durant le régime des khmers rouges.
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Au sein d’une telle structure judiciaire, l’instruction se déroulerait sous responsabilité
conjointe d’un procureur cambodgien et d’un procureur proposé par l’ONU.
Les accusés seraient poursuivis pour violations du droit pénal cambodgien, du droit
humanitaire international et des traités internationaux ratifiés par le Cambodge.
Ce tribunal spécial est compétent pour juger des crimes de génocide, des crimes contre
l’humanité, des crimes de guerre, et des violations de la Convention de La Haye sur le
patrimoine culturel.
C’est un véritable génocide car à peu près de 40% de la population de confession
musulmane a été tuée sous le régime des khmers rouges, ajouté aux nombreuses autres
victimes du régime (les populations thaï, vietnamiennes et tous les individus n’étant pas
intimement liés au régime khmer ou en accord idéologique avec le régime).
Or, il faut mettre en évidence le fait que plusieurs anciens dirigeants du gouvernement
de Pol Pot sont toujours vivants et alliés au régime cambodgien actuel, ou ils sont sous la
protection de l’amnistie ou en exil aux Etats-Unis, donc il est compliqué pour ce tribunal
spécial de les inculper sur le sol cambodgien.
Le retour sur l’amnistie donnée à certains anciens dirigeants est difficile à remettre en cause
donc leur poursuite judiciaire est complexifiée par cet élément.
Un des débats les plus virulents du déroulement de ce procès est aussi la qualification
par l’instruction ou pas de l’Angkar (qui prenait en charge l’organisation administrative du
PCK) ou le comité permanent du Comité central du PKD, comme « criminelles », afin de
permettre la poursuite de tous les individus parties à ces organes, et qui ont tous bénéficiés de
la protection de la communauté internationale, entre 1979 et 1993.
Les Etats-Unis acceptent le principe de ce procès mais les poursuites peuvent être
ouvertes que contre les crimes commis sur le territoire du Cambodge, entre le 17 avril 1975 et
le 6 janvier 1979, ainsi tous les responsables étrangers de crimes perpétrés avant ou après le
régime khmer ne seront pas jugés (on pense au rôle des thaïlandais et de Singapour dans les
massacres commis par les khmers rouges, aux gouvernements européens qui ont fournis des
armes au Cambodge jusqu’en 1991 et aux Etats-Unis qui imposent un embargo total sur le
Vietnam, après qu’il ait libéré le Cambodge de « la terreur khmère », et qui soutiennent la
reconstitution de l’armée de Pol Pot jusqu’en 1991).
En Juillet 2006, un tribunal parrainé par l’ONU s’installe donc au Cambodge pour
juger les cadres et les dirigeants responsables du génocide perpétré quand les khmers rouges
étaient au pouvoir (de 1975 à 1979).
3. Problématiques juridiques issues du processus
houleux de négociations entre l’ONU et le gouvernement
cambodgien.
Le Secrétariat des Nations Unies a longuement négocié avec le gouvernement du
Cambodge pour ériger un mécanisme judiciaire permettant de juger les personnes
responsables de crimes internationaux commis sous le régime des Khmers rouges, entre 1975
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et 1979. C’est une véritable expérience de la justice internationale comme les cas de La Sierra
Leone ou du Timor oriental.
Le 8 février 2002, le Secrétariat a annoncé son retrait de ce processus. Cette décision
s’explique par la volonté de plus en plus marquée des autorités cambodgiennes d’exercer
seules le contrôle sur ce procès. Or L’Organisation des Nations Unies doit garantir le respect
des standards internationaux applicables en matière de justice.
Le conseiller juridique du Secrétaire général, Hans Corell, a estimé que le tribunal
« mixte » établi par la loi cambodgienne et promulguée le 10 août 2001, « ne pouvait pas
garantir le respect des principes d’indépendance, d’impartialité et d’objectivité », ce qui est la
condition obligatoire pour toute participation des Nations Unies à un processus de justice
internationale.
Il s’agit donc d’un désaccord de fond entre les Nations Unies et le Gouvernement
cambodgien sur les garanties d’un procès équitable : il y a des insuffisances de la Loi
cambodgienne par rapport à l'accord de principe qui a été arrêté entre les parties en juillet
2000 (il s’agit du projet de « Memorandum ») et soulevées par l’ONU.
Certaines divergences entre les parties expliquent la rupture des négociations par
l’ONU. Selon David Boyle2, « L’ONU considère que le Gouvernement cambodgien a rejeté
son exigence selon laquelle l'assistance fournie par l'Organisation devait être régie par un
accord contraignant fondé sur les termes du Memorandum ».
Les autorités cambodgiennes ont répliquées que la Loi de 2001 instaurait un mécanisme
judiciaire conforme aux standards de droit international, tout en refusant d’autres concessions,
l’ONU devant selon elles être plus « flexible » dans ces négociations.
Ce processus d’établissement d’une entité juridique internationale pour juger les
crimes des khmers rouges a été initié à la demande des autorités cambodgiennes, pour plus de
légitimité du procès ainsi que pour obtenir un soutien juridique et financier.
Cependant, les propositions des Nations Unies portant sur un mécanisme adapté aux besoins
de justice internationale au Cambodge ont été systématiquement repoussées par les
négociateurs khmers. De plus l'ONU a subi des pressions des Etats Membres influents
(surtout les Etats-Unis) pour poursuivre les négociations, ce qui n’a pas facilité sa quête de
procès international équitable au Cambodge.
L’exigence initiale d’un tribunal international a été écartée et remplacée par la mise en
place d’un tribunal cambodgien « sui generis » avec une participation internationale.
Le 21 juin 1997, le Prince Norodom Ranariddh et Hun Sen demandèrent à
l’Organisation des Nations Unies "une assistance de même type" que celle qu’elle apportait au
Rwanda et à l’ex-Yougoslavie en matière de droit international pénal, en reconnaissant que le
Cambodge n’avait "ni des ressources ni des compétences nécessaires pour poursuivre cette
procédure très importante".
2
David BOYLE Et Julie LENGRAND - "Le retrait des négociations pour un tribunal mixte au Cambodge :
Les Nations Unies avaient-elles véritablement le choix ?". - Actualité et Droit International, mars 2002.
[http://www.ridi.org/adi].
1
A la suite de cette demande du Cambodge, un groupe d’experts est donc nommé par le
Secrétaire Général de l’ONU dont la mission est de déterminer quel serait le mécanisme le
plus approprié à la situation du Cambodge. Ce rapport préconisa la création d’un tribunal
international « ad hoc » par le Conseil de sécurité sur le fondement des chapitres VI ou VII de
la Charte ou, à défaut, par l’Assemblée générale.
En 1999, le Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale du
Cambodge indiqua au Secrétaire général des Nations Unies que son gouvernement avait
décidé de recourir aux juridictions cambodgiennes pour juger, selon le droit national, les
personnes soupçonnées d’avoir commis sur le territoire les crimes perpétrés entre 1975 et
1979.
Le rôle confié à l’organisation internationale dans ce cadre se réduisait alors à l’apport
d’une aide et d’une expertise extérieures. Ainsi, deux ans après avoir demandé l’aide de
L’ONU, les autorités cambodgiennes optaient pour un système d’assistance très éloigné de
celui mis en œuvre pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie qu’elles avaient pourtant initialement
pris comme référence.
Il est préférable que les juridictions d’un Etat jugent elles-mêmes leurs ressortissants
soupçonnés d’avoir commis des crimes internationaux sur son territoire. Cependant, en 1999,
le Cambodge se trouvait toujours dans l'incapacité de mener à bien sans une assistance
internationale un tel processus dans le respect des standards internationaux applicables
(comme en témoigne la lettre du 15 mars 1999 de Kofi Annan, Secrétaire Général de l’ONU,
aux présidents de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité).
L’ONU est alors contrainte d’accepter le principe d’un procès mené par les autorités
cambodgiennes, sous la pression de plus en forte des Etats-Unis. L'ONU essaya de mettre en
place un tribunal « spécial » comprenant une participation internationale concrète et
respectant les principes généraux de la justice pénale afin de garantir des procès équitables et
impartiaux. Finalement, l’objet de ce long processus de négociations qui est de trouver un
modèle qui garantirait à la fois l'exercice d'une justice indépendante et efficace, et le respect
de la souveraineté étatique cambodgienne, paraît extrêmement complexe à atteindre dans la
pratique.
La question du contrôle judiciaire du processus posa des difficultés croissantes. A
plusieurs reprises au cours de l’élaboration de la Loi, les Nations Unies firent part de leurs
préoccupations aux autorités cambodgiennes concernant différents points essentiels, parmi
lesquels figuraient la limitation extrême de la compétence personnelle, la prédominance des
juges cambodgiens, l’application insatisfaisante de la procédure pénale, la question des
amnisties et des garanties d'arrestation des personnes poursuivies.
Grâce à la pression considérable des Etats-Unis sur L’ONU, le Cambodge obtint
l’adoption du principe de juges nationaux majoritaires et de personnel d'instruction égalitaire
en échange de la mise en place d'un système compliqué de "super majorités" garantissant une
prise en compte minimal du dispositif international. Dans des conditions difficiles, les
négociations entre l’ONU et le Cambodge se poursuivent et le 7 juillet 2000, l’ONU présente
le projet de « Memorandum of Understanding » destiné à encadrer sa coopération avec l’Etat
cambodgien pendant que la loi établissant des "Chambres extraordinaires" pour juger les
Khmers rouges est élaborée. Or de profonds désaccords surgissent entre les parties sur la
question de savoir quelle est la nature de ce « Memorandum » et sa place dans la hiérarchie
1
des normes cambodgiennes. Ce Memorandum permet de lier le Cambodge comme Etat cocontractant qui a sollicité l’aide de l’ONU.
Le principe d’une juridiction interne « sui generis » est préféré à celui d’une
juridiction internationale prévu au départ. En effet, le concept d'un accord bilatéral suivi d’une
législation interne de mise en œuvre fut dégagé par le groupe d'experts des Nations Unies à
une époque où le mécanisme envisagé devait être semblable à celui établi pour la Sierra
Leone, fondé par un traité et extérieur au système national.
Ces négociations ont été marquées par de nombreuses « manœuvres dilatoires » des
autorités cambodgiennes faisant prévaloir l’aspect politique sur l’aspect juridique.
Au final, dans la version retenue par la Loi promulguée le 10 août 2001, les Chambres
extraordinaires furent solidement ancrées dans le régime du droit national. Quant au
« Memorandum », il fut limité à la définition de la nature de la coopération internationale et le
statut des juridictions n'y fut pas annexé, conformément à la volonté des négociateurs
cambodgiens.
Les Nations Unies affirmèrent que le Cambodge était tenu de respecter cet accord en
vertu du principe « pacta sunt servanda » et que dès lors la Loi cambodgienne ne pouvait
contenir des dispositions contraires. Or les demandes de l’ONU sur ce point là ne furent pas
prises en compte : la Loi applicable en l’état ne garantissait pas le respect des standards
internationaux applicables en matière de justice et il semblait fort peu probable que les
autorités cambodgiennes la modifient. Malgré une aide conséquente de l’ONU depuis de
nombreuses années, peu de progrès ont été réalisés dans ce pays s’agissant de l’instauration
d’un Etat de droit.
Ainsi, l’ONU trouva définitivement que ce processus était incertain et elle se retira des
négociations, sous peine de légitimer une procédure contestable.
La situation des droits et libertés dans ce pays est en effet très préoccupante, d’où
l’influence du contexte politique actuel du Cambodge sur ses négociations avec l’ONU pour
l’organisation de ce procès international.
A cet égard, l’état du système judiciaire cambodgien est significatif : de nombreuses études
soulignent son mauvais fonctionnement et une corruption endémique. Dans un rapport datant
de 1999, les experts mandatés par le Secrétaire général avaient relevé de nombreux éléments
allant dans ce sens : le caractère imprécis des bases légales, l’impossibilité d’exercer de
manière « équitable et efficace » la justice dans les tribunaux cambodgiens pour différents
motifs, et la non conformité du système aux « normes de justice pénale établies dans le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et dans les autres instruments pertinents »
s’agissant du respect du principe d’impartialité.
Pour toutes ces raisons, ils avaient déconseillé le recours aux tribunaux nationaux, et
cela même si une part conséquente du personnel était international.
Dans un tel contexte, les procès d’anciens Khmers rouges (si possible avant le décès de tous
les responsables!) risquent très fortement de violer les droits des victimes comme ceux de la
défense. Dans un pays où l’impunité est la principale cause d’inquiétude en matière de droits
de l’Homme, de tels procès risquent d’aggraver la conjoncture actuelle. La réconciliation
nationale ne peut pas avoir lieu dans ces conditions. Les Nations Unies ne pouvaient pas
cautionner un tel processus juridique international, elles avaient plutôt le devoir de le
dénoncer.
1
Après avoir reconnu son incapacité à poursuivre les anciens dirigeants khmers rouges
et demandé une assistance aux Nations Unies, les autorités cambodgiennes ont finalement fait
en sorte de s’assurer le contrôle judiciaire de leur procès bien que la situation de la justice ne
se soit pas améliorée dans le pays. Privées de marge de manœuvre et de réelle influence dans
ces négociations, les Nations Unies en ont tiré les conséquences et ont décidé de se retirer
d’un processus judiciaire inacceptable.
Face au « risque de parodie de justice et d’impunité » des principaux responsables des
crimes internationaux commis entre 1975 et 1979, deux possibilités étaient encore
envisageables : l’intervention des autres organes des Nations Unies ou celle des Etats
membres.
En effet, le Secrétariat général n’avait pas seul les moyens d’influencer les autorités
cambodgiennes comme le démontre sa décision du 8 février dernier : l’Assemblée générale et
le Conseil de sécurité auraient pu avoir plus de poids.
Par ailleurs, les Etats entretenant des relations diplomatiques régulières avec le
Cambodge auraient du proposé leur assistance et tout mettre en œuvre pour que le
déroulement du procès des anciens Khmers rouges se déroule de manière indépendante,
impartiale et objective.
II/ Le déroulement du procès dans la pratique et les
interrogations juridiques qui subsistent.
1. La question de la qualification des crimes commis
sous le régime des khmers rouges.
Deux millions de personnes sont mortes au Cambodge entre 1975 et 1979. 17 juges
cambodgiens et 10 juges étrangers (3 juges étrangers vont les rejoindre) sont titulaires du
tribunal du génocide cambodgien et ont prêté serment lors d'une cérémonie officielle au
Cambodge. Ces magistrats ont juré de « juger les crimes commis sous le règne du Kampuchea
démocratique avec dignité, honnêteté, transparence, indépendance et dans le respect de la
Constitution et de l'ensemble des lois ». Cette cérémonie est un événement symbolique pour
montrer que le processus légal est lancé. L'ensemble de la procédure devrait durer trois ans à
partir de cette année. Une période longue vu l’âge des anciens responsables Khmers qui sont
âgés et ont une santé précaire. Le tribunal s’installera dans un complexe militaire, à Kambol, à
quinze de kilomètres de Phnom Penh, la capitale du Cambodge.
Durant le régime khmer, des centres de torture et d'exécution furent crées tel que Tuol
Sleng, également appelé S-21. Il s'agit d'un ancien lycée transformé en prison où ont transités
200 000 personnes. Il n'y aura que 7 survivants. Le nombre exact de victimes du régime
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Khmer rouge est encore débattu par les pays occidentaux mais les spécialistes estiment ce
nombre entre 1 million et 3 millions de morts
Il y a quatre génocides reconnus par les Nations unies. Les massacres du Cambodge
n'en font pas partie, mais cette qualification est discutée. La question de l'ampleur n'est pas un
critère fondamental. Il existe au sujet de l'ampleur la notion de massacre de masse. L'article 6
du statut de la cour pénale internationale, qui a repris ce qui a été défini par les Nations unies
à la suite de la shoah, précise dans quel cas on peut parler de génocide.
Le comportement des "Khmers rouges" (ou, selon leur terminologie, des
Kampuchéens révolutionnaires) correspond à l'idéologie des gardes rouges de la Chine, qui
les a précédés, mais est doublée d'une désorganisation qui a conduit à une catastrophe
humanitaire, en plus de tous les massacres politiques. Il n'y a pas eu de racisme mais une
population politiquement (mais pas forcément économiquement) déclassée sur des critères
purement sociaux.
La qualification de génocide est remise en question par certains historiens (Sacha
Sher, Steve Heder, Philip Short) et par certains juristes (Ong Sophinie, David Boyle).
Par exemple pour Sacha Sher, le terme de génocide pourrait ne pas être écarté « s’il est
rapporté à une volonté de faire disparaître un groupe culturellement, ce qu'envisageait au
départ l'inventeur du mot, Raphael Lemkin pour ce qui est de l'assimilation des Juifs, et ce qui
s'est produit avec les musulmans et certaines minorités ethniques des plateaux cambodgiens.
Seulement, ce sens a été abandonné par les définitions de l'ONU, étant donné que cela risquait
d'inclure trop de crimes coloniaux et autres contre la pensée et les traditions de maints peuples
ou minorités. On pourrait en fait tout cataloguer sous ce terme de génocide selon le sens qu'on
veut bien lui prêter (...). Mais si l'on s'en tient aux définitions juridiques reconnues
internationalement, ce qui s'est produit au Cambodge ne s'y rapporte pas. »
En tout cas, tout le monde semble d'accord pour dire qu'il y a eu crimes contre
l'humanité (notamment des déplacements forcés de population) et crimes de guerre (contre les
officiers civils et militaires de l'ancien régime).
Seuls deux d'entre eux sont en détention : Ta Mok, 80 ans, surnommé « le boucher » et
Kang Kek Ieu (64 ans). Les autres anciens cadres Khmers vivent librement au Cambodge :
l'ancien chef de la diplomatie Leng Sary (77 ans), l'ancien bras droit de Pol Pot, Nuon Chea
(79 ans), ainsi que l'ex-chef d'Etat Khieu Samphan (75 ans). Quant à Pol Pot, le dirigeant des
Khmers rouges à l'époque du génocide, il est mort en 1998. Plus de huit ans de préparation
auront été nécessaires pour aboutir à la décision d'installer ce tribunal, avec l'appui de l’ONU.
D’autres anciens hauts responsables du régime khmer rouge vivent librement au
Cambodge et pourraient comparaître devant le tribunal. Nuon Chea, 79 ans, était le bras droit
de Pol Pot. Nuon Chea était également le secrétaire général adjoint du Parti communiste au
pouvoir. Fin 1998, il s’est rallié au gouvernement de Hun Sen.
Khieu Sampan passera certainement devant ce tribunal. Il fut chef d’Etat du
Kampuchea démocratique et incarnait le régime khmer rouge à l’étranger. Comme Ieng Sary,
il s’est rallié au gouvernement. Khieu Sampan a 75 ans et n’est pas malade.
La classe dirigeante cambodgienne a la réputation d’avoir une attitude ambiguë sur ce
passé khmer rouge. Le Premier ministre lui-même affirmait, en 1999, que son pays n’avait pas
besoin d’un procès de ce genre, le risque étant de plonger le pays dans une nouvelle guerre
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civile. Même la population est partagée sur ce « déballage ». Certains Cambodgiens ont suivi
Pol Pot parce qu’ils n’avaient pas le choix et sans forcément savoir que le régime était
sanguinaire.
Pendant la répression, Hun Sen, l’actuel chef du gouvernement cambodgien, était
officier khmer rouge et réputé pro-vietnamien. Depuis 1985, il est sans interruption le Premier
ministre du Cambodge. On peut imaginer qu’il ne souhaitait guère la tenue de ce procès qui
va ressusciter une époque difficile. Le Cambodge a de plus la réputation d’être un pays très
corrompu. Les travaux juridiques qui démarrent pourraient bien donner lieu à des « tractations
souterraines », au nom de la réconciliation nationale.
2. La structure organique des Chambres
extraordinaires au sein des Tribunaux nationaux et
l’organisation de la coopération internationale.
La structure de ces CEC est déterminée à la fois par l'Accord de 2003 et la Loi de
2001, telle que modifiée en 2004. La phase d’instruction est assurée par des co-procureurs et
co-juges d’instruction internationaux et cambodgiens. Tout désaccord entre eux est réglé par
une Chambre préliminaire.
Les procès se déroulent devant une Chambre Extraordinaire du Tribunal municipal de
Phnom Penh. Les appels seront entendus par une Chambre Extraordinaire de la Cour
Suprême.
Les CEC sont des tribunaux cambodgiens établis par la Loi de 2001 modifiée en tant
que chambres spécialisées au sein de l'hiérarchie judiciaire existante. Elles ne sont pas des
tribunaux internationaux: l’Accord de 2003 ne règle que les questions de coopération
internationale avec les CEC et de respect des standards internationaux.
Puisque les deux textes ont le statut d’une loi au Cambodge, il n’est pas clair si l’un
des deux devrait prévaloir en cas de conflit. Cependant, au moins en ce qui concerne la
participation internationale, l’Accord de 2003 (un accord international) devrait prévaloir.
Au stade de l’instruction, la participation internationale sera une participation
« paritaire », c’est-à-dire que deux co-procureurs auront des pouvoirs identiques, un
international et un cambodgien et une Chambre préliminaire pourra résoudre tout différend
entre les co-procureurs ou le co-juges d’instruction.
Au stade du procès, la participation internationale sera minoritaire. Il y aura une
Chambre de première instance comprenant 5 juges dont 2 internationaux et 3 cambodgiens.
Toutes décisions au sein de cette chambre requièrent une majorité qualifiée d'au moins 4
juges.
La Chambre d’appel sera composée de 7 juges, dont 3 internationaux et 4
cambodgiens, la décisions requérant une majorité qualifiée d'au moins 5 juges
Du point de vue de l’organisation de la coopération internationale, conformément à la
Constitution cambodgienne, le Conseil Suprême de la Magistrature nommera tous les juges
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cambodgiens, ainsi que le personnel judiciaire international, sur des listes fournies par le
Secrétaire Général de l’ONU.
En ce qui concerne la compétence matérielle de ces Chambres Extraordinaires, elle
englobe les crimes internationaux tels que le génocide, les Crimes contre l'humanité, les
violations graves des Conventions de Genève de 1949 (tels que les crimes de guerre), de la
Convention de la Haye de 1954 sur la protection de la propriété culturelle et de la Convention
de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques (Loi de 2001 modifiée, Articles 4 à 8).
Cette compétence matérielle comprend également les crimes graves qui violent le droit
cambodgien (selon le Code pénal de 1956), c’est-à-dire l’homicide, la torture et les atteintes à
la religion (selon la Loi de 2001 modifiée, Art. 3).
La compétence personnelle de ces CEC concerne deux groupes de personnes : les plus
hauts dirigeants du Kampuchéa démocratique et ceux qui portent la plus grande responsabilité
pour les crimes relevant de la compétence des CEC. Les estimations varient quant au nombre
de personnes concernées par ces deux critères, mais les CEC n'ont pas de budget suffisant
pour poursuivre beaucoup de personnes.
Quant à la compétence temporelle des CEC, elle est strictement limitée à la période du
17 avril 1975 à 6 janvier 1979, pendant lequel le régime du Kampuchéa démocratique était au
pouvoir. Selon le Principe de « nullum crimen sine lege », il est important d’appliquer la
définition des faits au moment précité.
La compétence territoriale des CEC n'a pas été précisée par les textes législatifs et
internationaux, ainsi les Chambres devront décider si elles peuvent poursuivre tous les crimes
relevant de leur compétence, indépendamment du lieu où ils étaient commis (comme le
tribunal pour la Sierra Leone), ou si elles appliqueront le droit cambodgien, qui semble limiter
la compétence aux crimes commis sur le territoire cambodgien.
La procédure suivra le droit cambodgien en vigueur au moment des procès (le projet
de Code de procédure pénale actuellement en discussion au Cambodge sera inclut dans le
droit en vigueur sil est adopté rapidement).
Cependant et il s’agit d’un élément de grande importance, les CEC sont autorisées à
s’inspirer des « règles de procédure établies au niveau international » en cas de lacune,
d’incertitude, ou d’incompatibilité de la procédure cambodgienne avec des normes
internationales (selon l’accord de 2003, Article 12 § 1).
Du point de vue des victimes des crimes et en vertu du droit cambodgien, les victimes
ont le droit de participer au procès pénal en tant que « parties civiles », afin de contribuer aux
poursuites et de demander des dommages intérêts. Ce droit devrait être respecté devant les
CEC.
Le 19 septembre 2007, Nuon Chea, un des principaux dirigeants du régime de Pol Pot
a été arreté. Connu sous le titre de "Frère numéro deux", Nuon Chea (dont le com original est
Long Bunruot) a été le principal lieutenant de Pol Pot, leader du régime des Khmers rouges
décédé en 1998. Considéré comme l'idéologue de l'ancien pouvoir, Nuon Chea serait le
principal responsable de la plupart des purges du parti communiste cambodgien.
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Conclusion
Le régime de Pol Pot est cité par la presse des pays occidentaux comme « l’une des
incarnations de la cruauté contemporaine ».
Cependant il faut noté que depuis 1993, la vie politique du Cambodge est entrée dans
une nouvelle ère démocratique et les critiques à l’encontre du pouvoir en place deviennent
aujourd’hui « monnaie courante ».
Imprégné progressivement de cette culture moderne, le paysage politique du
Cambodge connaît un grand changement. La naissance de la pluralité des opinions, l’édition
de journaux issus de toutes les tendances, ainsi que la concurrence entre adversaires politiques
en est la preuve. Mais du point de vue de la liberté d’expression, il existe un grand écart entre
la critique et l’acceptation de celle-ci, par confusion ou par intérêt politique.
Pour que la démocratie fonctionne d’une manière cohérente, il faudrait nécessairement
que la critique soit bien admise par tous, les hommes politiques cambodgiens inclus.
La paix et la stabilité politique sont deux choses très précieuses pour les Cambodgiens
qui ont suffisamment souffert de la guerre. Pour les maintenir, il s’agit de construire une
véritable histoire collective de la population cambodgienne et cet immense espoir est permis à
travers la croyance en les résultats et retombées du procès hybride qui s’est ouvert au
Cambodge, mêlant souveraineté juridique nationale et coopération internationale onusienne,
qui jugera des crimes commis sous le régime des khmers rouges entre 1975 et 1979.
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WEBOGRAPHIE et sources diverses.
UNAKRT (assistance des Nations Unies au procès des khmers rouges) :
http://www.unakrt-online.org/index.htm
Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (gouvernement
Cambodge) :
http://www.eccc.gov.kh/french/
La Documentation Française :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/justice-penaleinternationale/index.shtm
CDPIAC (Centre de Droit Pénal International et d'Analyse des Conflits) :
http://www.cdpiac.org/
Ressources sur les chambres extraordinaires cambodgiennes :
http://www.ridi.org/boyle/index.html
Site de l’INA : dossier « Cambodge, histoire, mémoire » :
http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php
Site de Wikipédia, rubrique « Histoire du Cambodge » et « khmers rouges » :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil
Site de Cambodge Soir, quotidien d’information francophone au Cambodge :
http://www.cambodgesoir.info/
David Boyle et Julie Lengrand – « Le retrait des négociations pour un
tribunal mixte au Cambodge : Les Nations Unies avaient-elles véritablement le
choix ? ». - Actualité et Droit International, mars 2002. [http://www.ridi.org/adi].
Raoul-Marc Jennar- « Justice tardive et sélective au Cambodge ».- Archives
du Monde Diplomatique, octobre 2006.
Christian Leverchy- « Le khmer rouge : Homo bellicus versus Homo
economicus ».-dans la revue Cultures et Conflits n°8 (1993), pp. 24-39.
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