Cabosse d`Alsacien - Chocolatier François Stahl
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Cabosse d`Alsacien - Chocolatier François Stahl
/ Région / Caractères No 259 - Dimanche 31 octobre 2010 REF TE 02 Région 2 François Stahl, auteur du chocolat 100% suisse Cabosse d’Alsacien Patience, passion et ténacité, il en a fallu à François Stahl, pâtissier formé dans le Kochersberg devenu inventeur du premier chocolat issu de cacaoyers poussés en Suisse. Histoire d’amour, qui a aussi son versant solidaire avec Madagascar. ■ Dans la stub de la ferme familiale de Gougenheim, calme village du Kochersberg, face à son père Joseph qui le couve l’œil attendri, François Stahl est détendu. Dos au poêle en fonte, il se raconte, souriant et disert. Puis, prenant conscience que le photographe pointe son objectif, il se lève d’un coup et file chercher sa veste, qu’il enfile tout en marchant et boutonne jusqu’au col. Sa veste noire, brodée à son nom, de pâtissier chocolatier et glacier. mures. Elles fourniront 2 kilos de fèves exploitables. « J’ai pensé que c’était de l’or » « Raison et sentiments à Berne » Aujourd’hui directeur adjoint de la recherche et développement chez Halba, la branche chocolat du groupe de distribution suisse Coop, François Stahl, 41 ans, sent que sa responsabilité est aussi devenue médiatique. Depuis qu’il a présenté aux journalistes zurichois éberlués, en septembre dernier, « l’or noir suisse » sorti de ses mains. Un chocolat pour la première fois élaboré entièrement en Suisse. Y compris la récolte des cabosses et fèves de cacao. Dans un pays davantage réputé pour son sérieux que pour son climat tropical. L’histoire du premier chocolat 100% helvétique commence il y a plus de trente ans en Alsace. Adolescent, François Stahl n’entend pas embrasser la tradition agricole familiale. Il se tourne vers un apprentissage de pâtissier chocolatier qu’il accomplit à la pâtisserie Simon de Mittelhausen, village voisin. « A 17 ans, mon CAP en poche, j’ai voulu partir, voir du pays. Le hasard a voulu que j’arrive à Berne. Je savais déjà que la pâtisserie suisse est réputée mondialement, même si elle reste classique. A l’époque, les Suisses avaient vraiment de l’avance sur nous », se souvient François Stahl. Pourquoi partir, alors que l’Alsace regorge de pâtisseries ? « Pour découvrir le monde, avec la fougue de la jeunesse », sourit-il. A vrai dire, le jeune homme a visé juste puisque c’est à Berne qu’il fera connaissance de sa future épouse suisse, Karin, dans le métier elle aussi. C’est « Raison et sentiments » à Berne. Mais n’anticipons pas. « Avec les Suisses, c’est très simple... » Le jeune Stahl n’était pas seul : « Nous avions répondu à une annonce de l’hôtel Sternen, à Muri, le premier à l’époque à avoir une certification ISO, très à la pointe en cuisine. Le côté hôtelier m’a beaucoup plu, dans un univers déjà passionnant. C’est un milieu bien plus créatif que la pâtisserie de ville. On peut faire tout ce qu’on veut, tester des tas de choses. Du moment que c’est bon ». Cette mise en bouche accomplie, François Stahl François Stahl, dans la maison familiale de Gougenheim, à l’ouest de Strasbourg. (Photo Jean-Christophe Dorn) revient en France remplir ses obligations militaires. Mais le virus helvétique est puissant, il va le reprendre. Le jeune pâtissier régale les clients de l’hôtel Hilton, à Strasbourg, le temps de décrocher une médaille d’or à la Foire européenne. Il se perfectionne chez Christian, la belle adresse prospérant à l’ombre du Temple Neuf. « En Suisse, nous avions des contrats de neuf mois, et puis il fallait ressortir quatre mois. J’ai eu la chance de signer un contrat avec le Dolder Grand Hôtel de Zurich. Ce qui m’a permis de suivre la filière des Leading Hôtels of the World. Ce qui m’a conduit au Martinez, à Cannes, en plein festival. Là aussi, j’ai eu de la chance ». François Stahl est nommé second pâtissier au Richemont de Genève avant de rejoindre le Schweizerhof dans la capitale fédérale, une institution : « C’est un peu l’hôtel des ministres de droite, à Berne. J’y suis resté cinq ans, chef pâtissier avec une brigade de six personnes ». Dans cette cité hyperpolitique, les praticiens de l’art du compromis fédéral résolvent leurs contradictions autour de tables nombreuses et excellentes. Un terrain de jeu idéal pour l’Alsacien qui participe en bande, avec le Cercle des chefs de cuisine de Berne, à une multitude de concours. Il comprend qu’il fera souche dans ce pays, à la fois si pro- che et aux antipodes de nos habitudes françaises. Cette Suisse étrange dont un habitant sur cinq vient de l’étranger, record en Europe. « La Suisse est très accueillante si vous vous adaptez et si vous bossez dur. Avec les Suisses, c’est très simple. Il faut travailler beaucoup, 41 heures par semaine, quatre semaines de congé... Venir de France m’a toujours servi », dit-il. Il souligne aussi que dans la mosaïque des cantons, on ne mange jamais mal : « Ils ont vraiment la culture des produits frais, même pour des plats très simples ». La restauration a ses contraintes. François Stahl découvre le monde de l’industrie en rejoignant Carma, fournisseur des pâtissiers, où il prend en charge la formation. « On était tellement dans le chocolat » L’entreprise est avalée par Barry Callebaut, leader mondial du cacao né d’une fusion franco-belge, où il grimpe en responsabilités : « Le chocolat, c’est très technique. C’est une question de température, de mouvement et de temps, autant de paramètres très délicats ». Enthousiasmé par la formation, il a l’idée de créer la Chocolate Academy qu’il dirige pendant douze ans : « Nous formions 1 200 personnes par an, j’avais monté une troupe d’ambassadeurs formée de spécialistes ». En 2009, changement de menu, François Stahl passe aux chocolats Halba, du groupe Coop. Un nain, avec ses 12 000 tonnes annuels, mais un pionnier. La société est en avance dans le commerce équitable, le bio, la notion de bilan carbone, autant de sujets difficiles pour la filière cacao. « L’objectif de Halba est d’atteindre un niveau carbone zéro en 2015 », souligne le chocolatier. Persuadé que l’industrie, longtemps filière coloniale au pire sens du terme, connaît un tournant éthique – sous la pression du consommateur. Entre temps, devenu père de trois enfants, il a installé son foyer à Wallisellen près de Zurich, sa femme travaillant pour un autre chocolatier, le groupe Rodolphe Lindt. « L’idée m’est venue comme ça... Avec ma femme, on était tellement dans le chocolat, j’ai eu l’idée de semer des cacaoyers et de les planter, pour eux, pour mes enfants ». Il commande en Équateur des graines qu’il fait germer chez lui, en 2004. La quinzaine de plants, un Trinitario prometteur, ayant pris de la vigueur, il les installe dans la grande serre tropicale Masoala du zoo de Zurich qui couvre 10 000 m². Les premières fleurs éclosent au bout de cinq ans, il pollinise à l’aide de pucerons. Les fruits, les fameuses cabosses, mûrissent, convoitées aussi par les lé- S’ensuit le processus habituel de fermentation déterminante pour le goût, sur feuille de bananier, torréfaction, conchage. A échelle micro. Utilisant une vanille issue de la même serre zurichoise et du lait suisse, François Stahl réussit à fabriquer 152 pièces de 4,5 grammes, moulées en forme de cabosse : « Le premier chocolat 100% suisse, j’ai pensé que c’était de l’or. Alors je l’ai proposé au prix de l’or, à 200 francs suisses pièce, soit 140 euros », sourit François Stahl. Vendus exclusivement à la boutique de la serre, 50% de ces goûteux petits luxes ont déjà été écoulés. Son but n’est pas de faire fortune. Les centaines d’heures consacrées par François Stahl à ce projet sont avant tout solidaires, ce qu’il fait connaître par un site dédié (www.cacaotree.ch). Le surplus dégagé par l’opération, plusieurs milliers d’euros, servira à aider la région de Masoala, dans l’île de Madagascar, à planter des cacaoyers de haute qualité et d’autres fruitiers, permettant d’accroître le revenu agricole local. L’Alsacien, qui a résolu toutes les difficultés une par une, a aussi démontré à son industrie que l’on pouvait faire des tests en très petits volumes, de manière très maîtrisée. Ce qui ouvre la voie à de nouvelles améliorations du chocolat. Même partiellement suisse, il reste de l’or. Antoine Latham Dans la serre tropicale Masoala de Zurich, au pied des premiers cacaoyers suisses. ( - )