israël - Consistoire de Paris

Transcription

israël - Consistoire de Paris
Avec
Benny Levy
Par Rémi Soulié
Etre juif :
Mon kaddish
pour Lévi-Strauss
Histoire :
Les juifs
du pape
Israël :
Le Royaume
des saints
Diasporas :
Tolède
l'inoubliable
N°296 - DECEMBRE 2009 - 3€
M 01907 - 296 - F: 3,00 E
3:HIKLTA=\UXUUU:?a@c@t@g@k;
N°296 - DÉCEMBRE 2009
AU SOMMAIRE D’
EDITO
4- Mon kaddish pour Lévi-Strauss par Josy Eisenberg
DOSSIER
6- L'histoire des relations franco-israéliennes
par Miriam Rosman et Laurence Coulon
4
11- Les petites manœuvres de France2 par Luc Rosenzweig
6
ISRAËL
13- Le Royaume des saints par Ami Bouganim
LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI
11
16- Comment on écrit l'histoire
HUMEUR
18- Interrogations par V.M
13
BONNES FEUILLES
20- Nous avons des choses à vous dire par Tareq Oubrou
LA VIE DU CONSISTORIE - 24
PHILOSOPHIE
27- "L'histoire du retour de Benny Lévy" Un entretien avec Rémi Soulié
20
24
HISTOIRE
29- Les juifs du pape par Simone Mrejen Ohana
TOURISME
32- Eilat : soleil et détente par Esther Hecht
33
REPÈRES - 33
DIASPORAS
33- Tolède l'inoubliable par Odette Lang
LIVRES
34- par Paul Giniewski
29
32
EN BREF - 38
CINÉMA
39- Le récit captivant d'un grand patron capturé par Elie Korchia
THÉATRE
40- Rencontre avec Lionel Abelanski par Hélène Hadas-Lebel
COURRIER / CARNET - 41
27
39
40
VERBATIM - 42
Edité par S.a.r.l. Information Juive
le journal des communautés
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Les
manuscrits nonJUIVE
retenusJuin 2008 3
INFORMATION
ne sont pas renvoyés.
EDITO
Mon kaddish
pour Lévi-Strauss
PAR JOSY EISENBERG
L
a disparition de Claude
Lévi-Strauss n’a pas
frappé très longtemps
l’opinion publique. Moins
en tout cas que celle de
Michaël Jackson. On a
tout juste entendu quelques voix
suggérer de le faire entrer au Panthéon
sous l’enseigne « aux grands noms de
la patrie reconnaissante”.
Je ne suis pas qualifié pour dire si
l’œuvre du grand anthropologue
méritait la reconnaissance de la patrie.
Il a diffusé dans le monde des
intellectuels des idées nouvelles sur ce
qu’il était convenu d’appeler les
“civilisations primitives” et remis en
question le modèle de l’universalité de
l’homme occidental. Longtemps, il
sembla faire l’éloge du multiculturalisme, pour apporter finalement
divers bémols à cette idée susceptible
de susciter quelques dérives. Quel que
soit l’intérêt de cette pensée, elle ne
concerne qu’un vase clos de chercheurs
trahison à l’égard de la France, les juifs
français qui soutenaient trop
inconditionnellement le sionisme. De
l’autre, sur le peu de cas qu’il a fait du
judaïsme dans la célébration des
“mythologies” qui ont enrichi la
civilisation. En fait, le judaïsme est tout
simplement rayé de la carte. Alors
qu’après la Shoah, nombre d’éminents
intellectuels juifs décidèrent d’assumer
leur judéité, tels Raymond Aron et
Georges Friedman, cette idée ne semble
Claude Lévi-Strauss
Nous devons aussi apprendre à accepter l'autre
facette de la perte : un juif assimilé n'est
quelquefois pas perdu pour tout le monde.
et n’a guère changé le cours de
l’histoire. On ne peut pas dire, comme
on pourrait le faire pour Freud et
Einstein, qu’il y avait un avant et un
après. D’ailleurs, Lévi-Strauss n’a pas
eu de chance. A cause d’un homonyme
américain, quand on prononce son
nom, la plupart des gens pensent
davantage aux blue-jeans qu’à
l’anthropologie.
Ce n’est pas l’essentiel. Pour le
peuple juif, Claude Lévi-Strauss
constitue un intéressant sujet de
réflexion. Je passe, non sans tristesse,
d’une part, sur les navrantes
déclarations qu’il a faites concernant
l’Etat d’Israël, allant jusqu’à traiter de
4 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
pas l’avoir effleuré. Claude Lévi-Strauss
constitue la parfaite illustration du verset
du Cantique des Cantiques :
“On m’a mise à garder les vignes ;
ma propre vigne, je ne l’ai pas gardée.”
Les Amérindiens, oui. Les Juifs, non!
On peut légitimement parler de
négationnisme du judaïsme, dans le
droit fil de Marx ou de Chomsky.
On parle souvent de juifs perdus. J’ai
toujours considéré qu’un juif qui a
perdu le judaïsme perd davantage que
ce que le peuple juif a perdu. Je n’ai
jamais eu de mépris pour les juifs
assimilés : seulement une grande
compassion. Cependant, le cas de
Claude Lévi-Strauss constitue une
intéressante opportunité d’enrichir le
débat sur l’assimilation.
Bien entendu, le premier devoir d’un
juif est de rester juif. Toute perte de
substance, surtout après la saignée que
nous avons subie, est une vraie perte.
Il faut cependant savoir jeter un autre
regard sur cette perte : elle n’est pas
totale. Le peuple juif a une double
vocation, sur laquelle David Ben
Gourion avait jadis fondé sa vision du
monde, en commentant le verset
d’Isaïe: “Je ferai de toi une alliance de
peuple et une lumière pour les
nations”. Alliance de peuple : l’unité
potentielle du peuple juif. Lumière des
nations : contribuer à diffuser des
valeurs universelles.
Il y a toujours eu deux messianismes
dans la pensée juive : celui de David
et celui de Joseph. David, c’est la foi.
Joseph, qui sauva l’Egypte de la
famine, représente pour sa part le juif
qui se voue à améliorer la condition
humaine et le monde des Gentils. La
liste est longue de penseurs et de
savants issus d’Israël qui ont changé
le monde, ce qui, soit dit en passant,
n’est pas vraiment le cas de
l’anthropologie. Eussent-ils été plus
utiles s’ils avaient vécu dans une
yéchivah ? Chi lo sa !
Certes, savoir concilier les deux
cultures, garder sa vigne tout en
s’occupant de celle des autres, c’est ce
que nous avons toujours prôné et
souhaité. Mais, quoi que nous en
ayons, nous devons aussi apprendre à
accepter l’autre facette de la perte : un
juif assimilé n’est quelquefois pas
perdu pour tout le monde.
C’était mon kaddish pour Claude
Lévi-Strauss.
DOSSIER
L'histoire des relations
franco-israéliennes
Deux jeunes femmes, toutes deux chercheuses, toutes deux
docteurs en Histoire et toutes deux habitant Israël, ont mené durant
des années de longues recherches sur l'évolution des relations
franco-israéliennes. Mme Miriam Rosman publie le résultat de ses
recherches dans un livre intitulé " La France et Israël 1947-1970.
De la création de l'Etat d'Israël au départ des vedettes de Cherbourg
" ( Editions Honoré Champion). Mme Laurence Coulon, quant à
elle, enseigne au lycée français de Tel Aviv. L'ouvrage qu'elle publie
de son côté chez le même éditeur a pour titre " L'opinion française,
Laurence Coulon
Miriam Rosman
Israël et le conflit israélo-arabe. 1947-1987 "
Nous publions ci-dessous un entretien avec les deux auteurs. Deux sensibilités, deux démarches et peut-être
aussi deux regards différents sur les relations entre Paris et Jérusalem qui ont toujours été marquées - nos
deux invitées sont d'accord là-dessus - par un climat passionnel.
Ce que disent les archives
UN ENTRETIEN AVEC MIRIAM ROSMAN
Vous consacrez votre recherche historique
aux premières années des relations francoisraéliennes. On a parfois considéré ces
premières années comme une “véritable
idylle” entre les deux pays . Est-ce votre
sentiment ?
Je ne sais pas si, personnellement,
j’utiliserais le mot idylle mais il a, sans
conteste, à cette période, existé des
amitiés et des liens très proches et très
sincères, qui ont favorisé des relations
exceptionnellement étroites entre les
deux pays, même si évidemment
chacun défendait ses intérêts propres.
Mais la convergence de certains de
ces intérêts, conjuguées aux
circonstances particulières notamment
issues de la seconde guerre mondiale,
ont contribué à l’établissement de ces
liens étroits. J’ai essayé pour ma part
d’expliquer
comment
ces
convergences associées aux liens
personnels qui se sont tissés entre des
individus appelés à évoluer dans les
hautes sphères politique et militaire,
ont favorisé très tôt les envois
d’armements et de matériels
militaires. Cette “lune de miel”
atteindra son apogée avec la guerre
de Suez.
Pourquoi avoir arrêté la période que vous
étudiez à 1970 ? Est-ce parce que, selon
vous, l’épisode du départ des vedettes de
Cherbourg est plus important que la guerre
de six jours ?
Mon analyse relativise ce tournant
de 1967. En dépit de la guerre, les
relations et les échanges se sont
poursuivis – même parfois intensifiés
- et de nombreux responsables
militaires français restaient proches
des Israéliens. Le départ des vedettes
de Cherbourg et le fait que Moka
Limon ait été déclaré persona non
La consultation des archives israéliennes
fut un atout considérable.
Vedette lance-missiles MIVTACH
6 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
DOSSIER
grata, marquent à partir de 1970 une
dégradation profonde et durable des
relations entre les deux pays. Côté
français, on se sent trahi ; côté
israélien on ne compte plus sur l’aide
française. On peut dater de là, le
non vers la Norvège Leur disparition
plonge les autorités françaises dans
une rage folle. Le président Pompidou
est ulcéré. Son ministre de la Défense,
Michel Debré, fulmine, lance des
ordres inconsidérés, veut punir les
La proximité de la France avec de nombreux pays
arabes n'est pas sans influence
sur les relations entre la France et Israël,
cela a été et reste une constante.
début de l’ère de grand froid qui se
poursuivra sous Pompidou et Giscard.
Rappelez à nos lecteurs ce qu’a été cette
affaire des vedettes de Cherbourg.
Au printemps 1965, la France
accepte de construire pour la marine
israélienne, des vedettes lancemissiles très sophistiquées. Le
chantier naval de Cherbourg est choisi
pour cette construction, et pendant
deux ans des équipes françaises et
israéliennes collaborent à la
construction de ces nouveaux navires.
L’embargo vient compromettre toute
l’affaire. Israël a un besoin vital de ces
douze vedettes de la dernière
génération, il les a achetées
légalement et les a payées. Cinq
vedettes ont été livrées avant
l’embargo. Israël en récupère deux
autres à l’arrachée. Cinq sont encore
à livrer bloquées par l’embargo
français. Israël commence alors à
réfléchir à un moyen de les récupérer.
En novembre 1969 une société
norvégienne spécialisée dans le
forage pétrolier en mer commande
aux chantiers de Cherbourg des
bateaux dont les caractéristiques
techniques, mis à part l’armement,
correspondent étrangement aux
fameuses vedettes commandées par
Israël. On demande aux Israéliens
s’ils acceptent de céder leurs vedettes,
à cette société.Les Norvégiens
demandent alors à leurs vendeurs de
leur fournir des équipages ce qui, un
mois plus tard, justifie la présence à
Cherbourg d’une centaine de matelots
israéliens formés à manœuvrer ces
vedettes. Dans la nuit du 24 décembre
1969, vers deux heures du matin,
l’amiral Limon donne ordre de quitter
le mouillage. En moins de vingt
minutes, les vedettes franchissent les
passes et disparaissent au regard
d’une capitainerie encore engourdie
par
la
veillée
de
Noël.
La France a vite compris que les
vedettes faisaient route vers Israël et
responsables. L’Amirauté en fait les
frais, mais les cinq bateaux sont à
Haïfa pour le jour de l’An. L’affront
sera long à digérer.
sa politique israélienne dans la
continuité de celle de ses
prédécesseurs. Entre 1958 et 1962 les
échanges, les visites de délégations,
militaires
ou
politiques,
se
poursuivent. Des militaires israéliens
de tous grades suivent des cours dans
les écoles de guerre françaises, des
amitiés continuent de se nouer, et Ben
Gourion se rend à Paris en visite
officielle en 1960 et 1961.
La dégradation est progressive. Au
début des années soixante, il n’y a pas
une seule ambassade arabe à Paris exception faite de celle du Liban - en
raison de la situation en Algérie et du
soutien du monde arabe au combat
des forces nationalistes algériennes.
Avec les accords d’Evian et
l’Indépendance de l’Algérie, il n’en
va plus de même. Mais le
changement n’est pas brutal car les
liens sont étroits et anciens entre les
différents organismes de la Défense,
les
compagnies
françaises
d’armement et leurs homologues
israéliens.
Parallèlement,
la
reconstruction des relations francoarabes prend du temps.
Vous avez, pour vos recherches,
bénéficié de l’ouverture de nombreux fonds
d’archives importants et qui n’avaient pas
été explorés jusque là. Que vous ont appris
ces archives ?
La consultation des archives
israéliennes fut un atout considérable.
Peu de travaux de recherche effectués
en français se réfèrent à ces archives.
J’ai pu les confronter aux souvenirs
des témoins, entreprendre une
analyse comparative des versions
française et israélienne des mêmes
événements. Les différents éclairages,
parfois convergents, parfois au
contraire contradictoires, permettent
un meilleur recul face à la complexité
de
certaines
problématiques.
Confronter ainsi sources françaises et
israéliennes, offre la possibilité de
croiser nombres d’informations et
aboutit à un tableau plus complet.
David Ben Gourion et
le Général Charles de Gaulle
Est-ce que les premiers signes de la
dégradation des relations entre Paris et
Jérusalem sont apparus à partir de
l’indépendance algérienne ?
Le retour du Général De Gaulle au
pouvoir ne modifie en rien les
relations étroites entre les deux pays.
Du moins pas immédiatement. Les
collaborations se poursuivent. Dans
un premier temps, De Gaulle inscrit
Que disent sur toute cette époque les
archives de Tsahal, l’armée israélienne que
vous avez pu consulter ?
Les archives de l’armée israélienne
ne sont que partiellement ouvertes.
J’y ai trouvé des comptes-rendus
détaillés sur la formation des
militaires israéliens dans les écoles de
guerres françaises, sur les délégations,
les attachés militaires, les échanges
diplomatiques, les envois d’armement.
Cependant, en raison des règles de
censure et des délais d’ouverture à la
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 7
DOSSIER
consultation, il s’avère que les
archives de l’armée françaises sont
plus accessibles que les archives
israéliennes, même par dérogation.
Vous évoquez des documents inédits que
vous avez pu consulter. De quels types de
documents s’agit-il ?
Outre les pièces d’archives
officielles j’ai pu travailler sur nombre
de documents : correspondances,
fonds privés ou archives personnelles
de responsables de l’époque. J’ai par
exemple consulté le fond de Christian
Pineau qui n’est pas ouvert au public
et où j’ai notamment trouvé des
précisions sur les préparatifs de la
guerre de Suez.
Qu’avez-vous retiré de la lecture des
comptes-rendus intégraux, français et
israéliens, des rencontres Ben GourionDe Gaulle ?
Ces deux visites ont à chaque fois
été perçues de manière très différente
par les deux hommes et leurs
entourages respectifs. Et interprétées
tout aussi différemment dans les deux
pays. C’est frappant tant dans les
comptes- rendu israéliens que
français. Chacun avait sa vision des
choses, ses propres objectifs et a
campé sur ses positions. Par exemple,
bien que Ben Gourion n’ait rien
obtenu, il a quitté la France satisfait
et les Israéliens ont particulièrement
focalisé sur l’amitié avec laquelle Ben
Gourion avait été reçu.
Et quelles que soient les
incompréhensions, une relation
sincère et forte basée sur le respect et
l’estime réciproques s’est nouée entre
les
deux
hommes.
Leur
correspondance a continué au-delà
de 1968, alors que les relations entre
les deux pays s’étaient déjà
dégradées.
Comment vous apparaissent les relations
entre les deux pays aujourd’hui ?
La proximité de la France avec de
nombreux pays arabes n’est pas sans
influence sur les relations entre la
France et Israël, cela a été et reste une
constante.
Cependant, depuis 2003, on note un
changement, notamment sur le plan
économique. La visite d’Ariel Sharon
à Paris en 2005 et sa rencontre avec
le président Jacques Chirac
constituent un tournant majeur.
Depuis, l’arrivée de Nicolas Sarkozy
au pouvoir, rapidement suivie de deux
visites officielles - celle de Shimon
Peres à Paris en mars 2008 et celle de
8 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
Sarkozy en Israël en juin 2008 - a
marqué un rapprochement plus net
encore entre les deux pays. Et même
si l’image d’Israël dans le monde est
altérée (notamment depuis la guerre
à Gaza de l’hiver 2009), la France
reste proche d’Israël, par exemple, sur
le dossier iranien et la libération de
Guilad Shalit. Les échanges aux
niveaux commercial, académique,
culturel se multiplient. Certains
estiment même qu’avec la présidence
Sarkozy, les relations entre nos deux
pays aujourd’hui rappellent celles de
l’age d’or des années cinquante et
soixante. L’histoire se répèterait-elle
? Si c’est le cas, ce soutien pourrait
être déterminant dans un avenir
immédiat face à la menace d’une
bombe nucléaire iranienne.
“La longue mutation
de l'image d'Israël”
UN ENTRETIEN AVEC LAURENCE COULON
Votre travail sur l’opinion française porte
sur les années 1947-1987. Qu’est-ce
qui justifie, chez vous, le choix de ces
dates ?
Dans cette étude, il s’agissait pour
moi de mesurer l’impact réel de la
guerre des Six jours sur l’opinion
française. Ce faisant, j’ai été amenée,
d’une part, à analyser l’évolution du
discours sur Israël et les différentes
perceptions de cet État et, d’autre part,
à dégager les grandes tendances de
l’opinion. Privilégiant une approche sur
le
long
terme,
les
bornes
aurait eu cours de 1948 à 1967 ; le
second, de l’après- guerre des Six jours
à aujourd’hui, synthétiserait les
sentiments opposés, entre critique et
réprobation. De sorte que les Français
auraient révisé leur jugement après
avoir compris que, les hostilités ayant
été ouvertes par l’État d’Israël, celui-ci
pratiquait en réalité une politique
belliciste. En conséquence, ils auraient
immédia-tement
condamné
l’occupation des territoires palestiniens
par l’armée israélienne.
Or, cette vision de l’opinion est
Les médias et les discours publics
ont tellement simplifié la présentation du conflit
israélo-arabe / palestinien, au point de le rendre
caricatural, que l'État d'Israël a bien du mal
à se faire entendre et comprendre.
chronologiques se sont imposées
d’elles-mêmes. En ouverture, l’année
1947 et la découverte par un large
public de la question de la Palestine,
notamment à travers l’épisode de
l’Exodus. En fermeture, l’année 1987
et le premier soulèvement national
palestinien, événement dont les effets
perdurent encore aujourd’hui.
Vous avez cherché à déceler les courants
qui, durant ces quatre décennies, ont
traversé l’opinion française à propos d’Israël
et du conflit israélo-arabe. Qu’est-ce qui les
caractérise essentiellement ?
On tend souvent à opposer deux
courants enracinés dans deux périodes
bien distinctes. Le premier, bienveillant,
caricaturale et erronée. S’il est vrai que
la première division chronologique est
caractérisée par une montée des
inclinations favorables à Israël, ce
courant – dont il est nécessaire de
préciser les différentes nuances - n’a
probable-ment jamais été majoritaire
(sauf durant la guerre et l’immédiat
après-guerre). Il en est de même de
celui regroupant les tendances malveillantes depuis 1967. En réalité, les
indifférents et les sceptiques ont
constitué depuis 1947 un troisième
courant, majoritaire, qui s’est exprimé
en faveur d’une voie moyenne,
politiquement et humainement
respectable pour toutes les parties
concernées au Proche-Orient.
DOSSIER
Les années 1968-1972 vous semblent
être “une période de transition”. Que voulezvous dire ?
C’est précisément à partir de cet
intervalle de quatre années que l’image
d’Israël a commencé sa longue
mutation et que son capital de
sympathie s’est érodé. La politique
toujours plus inamicale des autorités
françaises, les représailles israéliennes
qui ont fait craindre une détérioration
de la situation et qui ont remis en cause
le mythe du petit État pacifique, la
naissance d’un contre-courant animé
par des militants progressistes et, enfin,
la lente prise de conscience du
problème palestinien – tous ces facteurs
ont contribué à modifier la perception
que les Français se faisaient des
événements au Proche-Orient aux
dépens, le plus souvent, de l’État
d’Israël.
Pour quelles raisons l’Etat d’Israël est-il,
aujourd’hui encore, victime d’une
dépréciation sensible de son image et de
son capital de sympathie dans l’opinion
française ?
Les médias et les discours publics ont
tellement simplifié la présentation du
conflit israélo-arabe/ palestinien, au
point de le rendre caricatural, que l’État
d’Israël a bien du mal à se faire
entendre et comprendre. Il faut
également tenir compte de l’évolution
des
mentalités
en
France :
condamnation du nationalisme et du
militarisme, apologie du pacifisme et
de la compassion pour l’Autre, perçu
comme le plus faible.
Qu’appelez-vous la christianisation par
les chrétiens du peuple palestinien après
1967 ?
Ce
phénomène
se
limite
principalement aux militants de
l’extrême-gauche chrétienne, autour
de la mouvance de l’hebdomadaire
Témoignage Chrétien. Ils comparent
par exemple, les réfugiés palestiniens
aux pauvres et affirment que “c’est
parmi eux que Jésus, aujourd’hui,
comme il y a des siècles, au Calvaire,
avait voulu souffrir à Jérusalem, saints
innocents de toujours.” (“Jérusalem et
le sang des pauvres, 47e cahier de
Témoignage Chrétien). Le 18 décembre
1969, l’éditorial de Georges Montaron
soutient, qui plus est, que les réfugiés
palestiniens sont “les vrais lieux saints
de Palestine, les véritables témoins de
Dieu toujours vivant.”
Cette dialectique poursuit un double
but. Premièrement, sacraliser les
Palestiniens afin de mieux alléguer que
le peuple juif est rejeté de l’Election.
Ces militants contestent donc la
légitimité historique et biblique de
celui-ci à réclamer et à créer un État
sur sa terre. Deuxièmement, insinuer,
en jouant sur l’ambiguïté du mot
“Palestine - historique/ palestinien”,
que le Christ n’est pas fils du peuple
juif de sorte qu’ils nient les racines
juives du christianisme, résolution
pourtant adoptée lors du concile
Vatican II.
Comment expliquez-vous que les relations
entre les deux pays aient de tout temps été
marquées
par
“une
atmosphère
passionnelle” ?
C’est en effet une caractéristique bien
singulière des relations francoisraéliennes. La France n’est
certainement pas la démocratie
occidentale dont la politique est la
moins bien disposée à l’égard de l’État
d’Israël – c’est une évidence ! – et
pourtant c’est entre Paris et Jérusalem
que les coups d’éclat - des “petites
phrases” en forme de coup de boutoir
- ont été les plus violents et les plus
fréquents. L’historien et ancien
ambassadeur de l’État d’Israël en
France Elie Barnavi a justement
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 9
DOSSIER
anti-israélienne concerne une partie
certes
minoritaire
mais
non
négligeable de la population française.
C’est quoi Israël pour les Français
aujourd’hui ?
Une énigme pour beaucoup, un
objet de fantasmes pour certains. Plus
généralement, les Français ont d’Israël
une image ambivalente. D’un côté,
une démocratie de type occidental
habitée par un peuple courageux et
bâtisseur. De l’autre, un État dans
lequel la religion joue encore un rôle
jugé excessif lui donnant un aspect
arriéré et extrémiste et dont la
politique vis-à-vis de son voisin
palestinien prête, au mieux, à
controverse en raison d’une utilisation
parfois inconsidérée et illégitime de la
force.
Shimon Pérès et Nicolas Sarkozy
remarqué que le rééquilibrage de la
politique proche-orientale voulu en son
temps par le général de Gaulle
“n’impliquait nullement une crise
majeure” entre les deux pays. Mais, il
faut bien l’avouer, les raisons qui
expliquent cet état de fait restent encore
assez obscures. Il faut probablement les
chercher du côté des mentalités.
Dans votre conclusion, vous notez
d’ailleurs que la question d’Israël provoque,
aujourd’hui encore, des débats aux accents
passionnels.
Il est indéniable que cet État occupe
une place à part dans les médias et les
discours publics. Il crée le plus souvent
l’événement et provoque un
affrontement des minorités agissantes
particulièrement remarquable. Il est,
avec les Etats-Unis, le seul pays
étranger à pouvoir mobiliser ainsi des
secteurs élargis de l’opinion.
Dans quels secteurs de l’opinion française
trouve-t-on aujourd’hui, selon vous,
l’expression d’un antisionisme radical ?
Sans surprise, c’est dans les
mouvements extrémistes de gauche
comme de droite que l’antisionisme
radical est le plus répandu. Dès les
années 1930, les formations d’extrêmedroite avaient puisé leurs rengaines
haineuses dans les thèmes véhiculés
par la propagande arabe. Durant les
années 1970-1980, les deux extrêmes
ont opéré des rapprochements transidéologiques avant de se rapprocher,
depuis une vingtaine d’années, de
l’islamisme militant. En définitive,
notamment en raison de sa fonction
identitaire, cette attitude violemment
Time : La marque de Sarkozy
Le magazine Time – cité par l’hebdomadaire Courrier
International du 26 novembre – s’interroge sur le fait de
savoir si l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy n’est
pas une mauvaise affaire pour les pays arabes. Voici ce
qu’il écrit :
“Nulle part sa marque n’a été aussi perceptible qu’au
Proche-Orient, où il a contrebalancé les positions
traditionnelles pro-arabes de la France par un
réchauffement significatif vis-à-vis d’Israël, un Etat que
ses prédécesseurs, glaciaux, regardaient comme un
fauteur de troubles”.
10 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
Comment pourriez-vous caractériser les
relations entre les deux pays sous la
présidence Sarkozy ?
Habitant maintenant depuis plus de
six ans à Tel Aviv mais effectuant de
nombreux voyages en France, j’ai pu
d’autant mieux constater un réel
réchauffement entre les deux pays.
L’image de l’Autre a été rectifiée dans
un sens plus favorable alors que les
relations bilatérales se sont apaisées.
Il faut cependant préciser que cette
volonté de changement date, en
réalité, de la présidence de Jacques
Chirac, tout au moins, sur un plan
culturel. S’il reste encore beaucoup à
faire pour rétablir un réel climat de
confiance – l’atmosphère toujours
délétère en France en témoigne – il est
indéniable que Paris et Jérusalem se
sont rapprochées et cherchent à mieux
se comprendre à défaut de s’entendre.
Preuve que les pouvoirs publics jouent
un rôle capital dans la formation des
opinions.
“Au cours des quatre dernières décennies, Paris a sans
doute été le plus sûr allié et avocat des régimes arabes.
Aujourd’hui,le principal objectif de Sarkozy dans la région
est d’établir une paix durable, via la création d’un Etat
palestinien et la garantie de la sécurité d’Israël – un but
qui ne peut être atteint tant que resteront distants ses
rapports avec Israël”
“Ce serait se méprendre qu’interpréter le réchauffement
envers Israël comme un revirement de stratégie. Après
tout, les intérêts de la France incluent des relations
étroites avec les pays arabes, et celles-ci ont continué
d’être approfondies alors que Sarkozy se rapprochait
d’Israël”
DOSSIER
Les petites manœuvres de France 2
pour sauver le soldat Enderlin
PAR LUC ROSENZWEIG
C
ela fait maintenant plus
de neuf ans qu'un
reportage de France 2
filmé à Gaza par le
cameraman palestinien
Talal Abou Rahma, puis
monté et commenté par Charles
Enderlin, le correspondant de la
chaîne en Israël alimente une polémique médiatique et l'actualité judiciaire.
Il s'agit, on l'aura compris, de cette
fameuse affaire Al Dura, où l'on aurait
vu, au journal du 20h de France 2 un
enfant mourir à Gaza dans les bras de
son père fauché par des balles en provenance d'une position militaire israélienne, le père étant, lui, grièvement
blessé.
Le retentissement mondial de ces
images, et leurs conséquences dans le
conflit israélo-arabe (déclenchement
de l'Intifada, montée de haine antiisraélienne dans tout le monde arabomusulman, exécution du journaliste
américain Daniel Pearl sur un fond de
photos d'Al Dura père et fils) leur
confèrent le statut d'icône d'un
moment intense de l'histoire.
Aujourd'hui, avec le recul, on peut affirmer qu'à chaque stade de cette affaire,
la direction de France 2 a mis tous les
moyens en œuvre pour empêcher la
vérité de surgir. Dissimulation des rushes, présentation de " preuves " de blessures de Jamal Al Dura qui se révèleront ensuite être dues à d'autres causes, diffamation des contradicteurs
qualifiés " d'extrémistes sionistes ", et
enfin sabotage conscient - et organisé
? - d'une commission d'enquête concédée de mauvaise grâce au président
du CRIF, voilà la liste non exhaustive
des manœuvres de la chaîne publique
française pour sauver sa réputation, et
le soldat Enderlin du déshonneur professionnel qui l'attend.
La stratégie de France 2 dans cette
affaire a d'abord été celle du " circulez, y a rien à voir " lorsque les pre-
miers doutes émis par des militaires
israéliens sur l'authenticité de la scène
ont été formulés. Ceux qui contestent
le reportage de France 2 sont, pour les
dirigeants de la chaîne publique, des
excités sionistes extrémistes, des "
négationnistes " qui veulent salir la
réputation d'un journaliste. Ce dernier
n'est pas avare de déclarations dans la
presse internationale, où il affirme,
entre autres, qu'il avait coupé au montage, des scènes d'agonie de l'enfant
car elles étaient trop insupportables.
Jusqu'au mois d'octobre 2004, la direction de France 2 refusera de montrer
ces rushes (images tournées mais non
diffusées) à ceux qui en faisaient la
demande, notamment Stéphane Juffa,
animateur de Metula News Agency,
un site internet israélien francophone
qui avait, le premier rendu, publics ses
doutes sur l'authenticité du reportage.
Lorsque, en octobre 2004, des journa-
assistant à la projection. Dès ce jour là,
pour mettre fin à la controverse, je suggérais à la direction de France 2 de
faire effectuer une expertise médicolégale indépendante de Jamal Al Dura.
En lieu et place de cette expertise,
Arlette Chabot demanda à Charles
Enderlin et Talal Abou Rahma d'aller
filmer les cicatrices de Jamal Al Dura,
ce qui fut fait. La projection de ce
"reportage " eut lieu en novembre 2004
dans les locaux de France 2 devant des
journalistes triés sur le volet. Cette projection eut l'effet escompté : même les
plus sceptiques des journalistes présents ne pouvaient nier que le corps
de la "victime" présentait des stigmates impressionnants, preuves, selon
France 2, des blessures subies le 30
septembre 2000. Parallèlement, France
2 engageait une série de procédures
contre des sites internet qui avaient
Aujourd'hui, avec le recul, on peut affirmer qu'à
chaque stade de cette affaire, la direction de
France 2 a mis tous les moyens en œuvre pour
empêcher la vérité de surgir.
listes établis, comme le directeur de
l'Express Denis Jeambar, le producteur
de documentaires Daniel Leconte et
moi-même émirent le souhait de
visionner ces rushes, Arlette Chabot,
directrice de l'information de France 2,
ne put faire autrement que de les présenter. Il s'avéra que dans ces 27 minutes d'images, aucune des scènes prétendument insupportables d'agonie
n'était présente, et qu'au contraire,
l'image finale coupée par Charles
Enderlin montrait l'enfant, supposé
mort, levant la jambe et tournant la tête
en direction de la caméra. Par ailleurs,
d'autres scènes montrant des manifestants blessés étaient purement et simplement jouées, ce que reconnaissaient
même les représentants de France 2
repris les informations de Metula
News Agency. C'est ainsi, qu'en première instance, France 2 parvint à faire
condamner pour diffamation Philippe
Karsenty, animateur du site MediasRatings. Dès lors, pour France 2, cette
affaire était terminée, les détracteurs
d'Enderlin confondus et condamnés,
l'honneur de la chaîne définitivement
sauf. Dans cette perspective, l'appel
interjeté par Karsenty ne serait qu'une
formalité, confirmant le premier jugement et mettant un point final judiciaire à une affaire qui n'avait que trop
duré.
Or, les choses ont tourné autrement.
D'abord, face aux nombreuses incohérences de la version de France 2 releINFORMATION JUIVE Décembre 2009 11
DOSSIER
vées à l'audience, la présidente de la
Cour d'appel exige la projection des
rushes à l'audience suivante. La
chaîne s'exécute de mauvaise grâce,
présentant au tribunal un film de 18
minutes sur 27, donc amputé de 9
organisées sous l'égide de Patrick Gaubert, président de la LICRA, entre des
représentants du CRIF et de France
Télévisions pour mettre au point un
protocole de mise en place et de fonctionnement de cette commission.
Ceux qui contestent le reportage de France 2 sont,
pour les dirigeants de la chaîne publique, des
excités sionistes extrémistes, des “négationnistes”
qui veulent salir la réputation d'un journaliste.
minutes. Les passages coupés étaient
ceux où les mises en scène de fausses
blessures sur des manifestants étaient
par trop flagrantes. D'autre part, un
élément nouveau était intervenu entre
le procès en première instance et l'appel : un chirurgien israélien d'origine
française, le docteur Yehuda David,
devant l'utilisation mensongère faite
par France 2 des cicatrices de Jamal
al Dura, se décide à violer le secret
professionnel. Il prouve, dossier médical à l'appui, qu'il avait en 1994 pratiqué plusieurs opérations chirurgicales sur Jamal Al Dura à l'hôpital Tel
Hashomer de Tel Aviv à la suite d'une
agression à la hache dont ce dernier
avait été victime à Gaza en 1992.. Cet
élément, ajoutée à une expertise balistique accablante pour la thèse de
France 2, conduisent la Cour d'appel
de Paris à débouter France 2 de sa
plainte contre Philippe Karsenty le 21
mai 2008.
Mais France 2, suivant un adage
bien connu de la vie politique française, croit avoir enterré l'affaire en
créant une commission.?C'était sans
Pour France 2, c'est la catastrophe :
non seulement l'affaire n'est pas close,
mais le doute sur l'authenticité du
reportage gagne maintenant des
milieux qui, jusque là, avaient accepté
la version de la chaîne publique,
comme les journalistes Elisabeth Lévy
et Gil Mihaely. En juin 2008, ces derniers prennent contact avec Richard
Prasquier, président du CRIF, qui
organise le 2 juillet une conférence de
presse où sont présentés des éléments
(films, images, témoignages d'experts)
qui mettent sérieusement en question
la thèse de France 2. Richard Prasquier invite France 2 à constituer, avec
le CRIF, une commission d'experts qui
sera à même de faire toute la lumière
possible sur cette ténébreuse affaire.
Dans un premier temps, Patrick de
Carolis rejette cette idée, puis accepte
à contre- cœur cette procédure. En
septembre 2008, des réunions sont
Patrick de Carolis
12 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
compter sur la ténacité de Richard
Prasquier qui insiste pour que celle-ci
se mette en place.
Au bout de plus de six mois d'inaction, les dirigeants de France Télévisions affirment qu'ils vont entreprendre
les démarches permettant à Jamal al
Dura de venir en France pour être soumis à des examens médicaux. Les mois
passent, et ne voyant rien venir, au mois
de juin 2009 Richard le Crif s'enquiert
auprès de Patrick de Carolis de l'avancement de la procédure visant à faire
venir Jamal al Dura à Paris. Dans sa
réponse, datée du 5 août 2009, Patrick
de Carolis explique le retard pris dans
l'organisation de la venue en France de
Jamal al Dura par " sa sédentarité
contrainte à Gaza ", entendez le blocage
du territoire par Israël, qui l'empêche-
rait de venir faire renouveler son passeport à Ramallah. Renseignement pris,
il se révèle qu'aucune demande de laissez-passer pour Jamal Al Dura n'a été
sollicitée auprès de l'administration
israélienne par France 2. Cette dernière,
par la voix du ministère des affaires
étrangères, informe Richard Prasquier
qu'elle ne mettrait aucun obstacle aux
déplacements de M. Al Dura.
Malgré tout cela, au cours de l'été
2009, Charles Enderlin est décoré de la
Légion d'honneur, un signe que le pouvoir soutient le journaliste de France 2.
Patrick de Carolis, qui brigue un nouveau mandat à la tête de France Télévisions a pris bonne note de la position
officielle. Au diable, donc, les accords
avec le CRIF, il faut tenir jusqu'à ce que
la Cour de cassation se prononce sur
l'arrêt de la cour d'appel défavorable à
France 2, une décision que l'on espère,
cette fois ci conforme aux vœux de la
chaîne.
Comme par hasard, en septembre
2008, alors que les discussions sur la
commission d'enquête entre le CRIF et
France 2 vont bon train, une plainte en
diffamation est déposée au parquet de
Paris par… Jamal Al Dura contre le journaliste Clément Weill-Raynal et le docteur Yehouda David, qui, dans un article contestent la réalité des blessures
prétendument subies par Jamal Al
Dura. Dans cette procédure, Jamal al
Dura est représenté par Me Orly Rezlan. En dépit de son réel talent, elle aura
du mal à faire croire au tribunal et au
public que c'est de sa propre initiative
que M. Al Dura, de son domicile de
Gaza, ait pris la mouche à la lecture en français ! - d'un article d'une publication qui n'est pas diffusée dans le territoire… En fait, Charles Enderlin ne
pouvait pas attaquer directement Clément Weill-Raynal, par ailleurs rédacteur en chef à France 3, une entreprise
du groupe France Télévisions. Alors, il
instrumentalise Jamal Al Dura pour
régler des comptes qu'il n'ose pas régler
à visage découvert… Les avocats de
Yehuda David et de Clément Weill-Raynal ne vont pas manquer de demander
une expertise médico-légale de Jamal
Al Dura pour apporter des preuves de
la bonne foi de leurs clients. S'il est fait
droit à cette demande d'expertise, ce
sera alors le bout du chemin pour
France 2 et son correspondant en Israël,
et il n'est pas sûr qu'il les mène à la
gloire.
ISRAËL
Le royaume
des saints
PAR AMI BOUGANIM
L
e commerce de la sainteté
est encore l’un des plus
florissants en Israël. Le plus
sûr ; le plus rentable. Les
saints poussent comme des
champignons dans le
sillage des vents kabbalistiques. Ils se
revendiquent d’un père rabbin. Ils se
donnent toutes sortes de pouvoirs
miraculeux. Ils ne guérissent rien
moins que les malades incurables ;
n’ensemencent rien moins que les
entrailles stériles ; ne marient rien
moins que les célibataires endurcis. Ils
lisent les pensées ; devinent les
intentions ; perçoivent les désirs ;
ravalent les mélancolies ; préviennent
les catastrophes. Pour rien, pour la
gloire du ciel, pour un petit don destiné
à l’une des nombreuses œuvres de
charité dont ils sont souvent les
principaux bénéficiaires. L’air de la
Terre promise est si sacré que la
sainteté est à la portée du premier venu.
Ni diplômes ni titres ; ni signes ni voix
; ni possession ni révélation. Un arbre
généalogique plus ou moins truqué est
vivement recommandé. Ah ! les saints
! On en trouve de plus en plus en
Galilée et dans le Néguev. Certains ne
portent pas moins de sept châles, les
uns sur les autres, desquels pendent
vingt-huit cordons qui constituent
comme une traîne de sainteté. De ces
êtres ascétiques qui bredouillent
d’humilité, psalmodient de piété et
attendent avec impatience leur
investiture messianique.
pour répéter leur terrible cérémonie de
pulsa de nura. Du moins quand ils ne
sont pas en mission sacrée dans un
avion survolant le pays pour réclamer
un taux de précipitation qui remplirait
la mer de Galilée, verdirait le Néguev
et ressusciterait la mer Morte ou pour
le protéger contre la très sacrilège
grippe porcine. Je les aime bien mes
kabbalistes, leurs livres surtout, qui me
apocalyptiques,
de
prédictions
messianiques et de bavures politiques.
La lecture assidue du Zohar me permet,
pour tout dire, de m’émerveiller chaque
jour de nouveau de la splendeur de
l’aube que dans sa grande mansuétude
le Saint béni soit-Il reconduit pour moi
depuis bientôt soixante ans. La Kabbale
– je vous la recommande – délasse,
déride et déraille et rien ne distrait
Etant donné que tout ce que je
pourrai dire du phénomène sera retenu
contre moi dans le procès kabbalistique
qu’on ne manquera pas de m’intenter,
je ne parlerai que sous couvert
rabbinique et, comme l’on dit
rituellement, “celui qui comprend
comprendra”. C’est que je dois me
garder contre les collèges de
kabbalistes qui se cherchent
régulièrement une victime propitiatoire
reposent de toutes ces théories sur le
Big Bang et le Great Crash, sur les
merveilles du cerveau qui menacent de
remplacer les pauvres mortels, voués
au sable et à la vermine, par des
immortels, condamnés à l’ennui
éternel, sur les manipulations transgénétiques, qui me permettront bientôt
d’avoir un cœur de cochon à la place
de mon pauvre cœur harassé par
soixante
ans
de
menaces
autant de ce monde de vanité et de
poursuite du vent.
Le premier saint vivant à avoir
conquis les masses populaires en Israël
au cours du 20e siècle a été sans
conteste le célèbre R. Israël
Abouhassira dit Baba Salé (1890-1984).
Il est né au Tafilalet où dès l’âge de six
ans, il ne s’arrachait à ses livres et ne
sortait dans la rue que les yeux cachés
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 13
ISRAËL
par le bord de sa capuche pour les
préserver de l’impureté. A neuf ans, il
passait déjà pour morigéner tout Juif
dont le comportement laissait à désirer
et bientôt il orchestrait une campagne
Baba Salé, des dizaines de milliers de
pèlerins affluent des quatre coins du
globe à Nétivot pour célébrer la hiloula,
brûlant des tonnes de bougies et
achetant tout ce qui se vend sur les
Les saints poussent comme des champignons
dans le sillage des vents kabbalistiques.
contre la corruption des innocentes
âmes d’Israël par la diabolique Alliance
israélite universelle assimilée pourtant
par le grand rabbin de Fès à “la sainte
patrie” (Hevra kedosha à ne pas
confondre avec Hevra kadisha) des
Juifs du Maroc. Le jeune homme
pratiquait tous les rites ascétiques
répertoriés dans nos manuels de la
sainteté et au bout de je ne sais
combien d’années d’études, de
réclusions et de mortifications, il passait
pour un homme miraculeux. Sitôt
installé en Israël, il devient le
consolateur de ses malheureux
compatriotes déchus de leur condition
de dignitaires de Dieu. Il persiste dans
un mode de vie monacal et on ne
trouve rien à lui reprocher sinon de
s’être commandé une tunique brodée
d’or pour accueillir le Messie. Quand
il mourut à Nétivot, il était devenu une
icône. Un père – Baba – des Marocains
sinon de la nation ; un intercesseur
patenté par sa longue lignée
rabbinique, ses vastes connaissances
kabbalistiques, ses relations avec des
Rebbé ashkénazes, non moins
miraculeux quoique plus discrets, et
des ablutions qui n’engageaient que la
foi des fidèles.
lieux, des célèbres fils rouges protègemauvais-œil aux châles protègesuaires, des photos de Baba Salé à ses
biographies, des bouteilles d’eau sainte
aux cierges bénies. Baba Baroukh
trouve bientôt une certaine légitimité
à ce commerce des indulgences, de
Le jour de sa mort, son fils, ex-maire
adjoint d’Ashkélon, est en prison. Il
purge une peine de cinq ans pour
corruption. On l’autorise, comme il se
doit, à participer à l’enterrement de son
père et même à respecter le deuil de
rigueur dans son domicile où il
s’empresse de revêtir la tunique de
sainteté et de se déclarer Baba à la
place de son père. Bien sûr, on ricane ;
bien sûr, on plaisante.
Baba Salé
A sa sortie de prison, Baba Baroukh
peine pour s’imposer. Il doit collecter
des fonds, auprès des Juifs de Diaspora
surtout, pour construire un mausolée,
se donner des institutions d’étude et
bientôt… toute une cité. Tous les ans,
à la date anniversaire de la mort de
14 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
même qu’à ses activités politiques
puisqu’il passe pour soutenir le Chass.
On lui concède le titre de Baba pour les
mérites de son père…
Un Baba irréprochable, c’était
glorieux ; un Baba repenti, c’était
encore tolérable. Mais bientôt on en
avait un à Béer-Shéva et un à Naharya
(tous deux petits-fils de Baba Salé). Et
puis il n’était pas dit que le Tafilalet était
le seul terreau rabbinique du Maroc.
Bientôt les Pinto aussi s’établissaient à
Kiryat Malachie et à Ashdod. Puis un
certain Israël Ifergan se souvint qu’à
sa circoncision, son parrain n’était nul
autre que Baba Salé. Son père, le
désormais très vénéré Baba Chalom
dont la lignée rabbinique remonte,
disons, à un demi millénaire,
remplissait une tâche très poétique et
délicate dans l’entourage du Baba Salé
: il était chargé de la rédaction des
amulettes ! Le brave Chalom Ifergan
n’aurait pas suscité de remous de
sainteté si son fils ne s’était pas avisé
de l’introniser Baba à sa mort et de
prendre sa place. Il montre tant
d’entregent qu’il s’installe, lui aussi, à
Netivot où est enterré son père. Il
incarne la nouvelle génération qui ne
badine pas avec la sainteté. Les troncs
de charité – c’est bien ; les grands dons
– c’est mieux. Les petites gens – c’est
attachant ; les grandes gens – ça vous
propulse dans le monde. La hiloula où
l’on brûle des bougies – c’est la tradition
; la soirée de gala où l’on rivalise de
dons – c’est l’innovation. Les
Marocains, c’est toujours ça de gagné.
En moins d’une dizaine d’années, le
nouveau Baba s’entoure d’une cour
comme on n’en a jamais vu autour d’un
Baba. Des politiciens, des ministres, des
officiers supérieurs, des directeurs des
services secrets, des journalistes, des
joueurs de foot, des acteurs… des
celebs comme on dit par là de cette
crème qui a mal tourné dans un pays
qui ne s’entend, pour reprendre Ahad
Ha-Am, qu’à s’illustrer dans l’imitation
et le pastiche de ce que les autres
sociétés de parvenus proposent de
mieux en matière de mauvais goût.
La nouvelle vedette de la sainteté ne
distribue pas des cartes de visite à la
gare routière de Tel-Aviv ni ne publie
des annonces dans la presse. Sa galerie
de solliciteurs lui assure la meilleure
des publicités. Elle comprend Nochi
Dankner, l’un des hommes les plus
riches et les plus incultes au monde,
Sherry Harisson, l’une des femmes les
plus riches et les plus sensitives au
monde, G. Yafit, publicitaire qui réussit
régulièrement la prouesse de
promouvoir deux marques de lessive
ou deux analgésiques concurrents.
Sans parler de l’ex-président de l’Etat
Moshé Katsav, l’ex-Premier ministre
Ariel Sharon, l’ex-vedette de télé
Doudou Topaz. On assure qu’il a prévu
la maladie du président Moubarak,
qu’il a fécondé – sans la toucher bien
sûr ! – une femme stérile, qu’il a rendu
la vue à nombre d’aveugles. Ses
amulettes passent pour protéger contre
ISRAËL
tous les maux et pour régler tous les
litiges. Tous les ans, il organise une
soirée de gala – avec séparation des
sexes ! – où se pressent tous les grands
noms de la Philistie qui s’étend
d’Ashdod à Haïfa… C’est que le
nouveau Baba passe pour établir un
diagnostic sans voir son patient et le
guérir sans le toucher. Il a un regard si
inconditionnels. On comprend son
besoin de réclusion ; on partage son
souci de recueillement ; on soutient sa
mission d’intercession. Une année
passe ; une deuxième ; une troisième.
On ne le voit pas ; on n’entend rien de
lui. Sa longue absence n’en suscite pas
moins des soupçons. Ses proches, ses
disciples, ses voisins s’interrogent. On
La Kabbale délasse, déride et déraille
et rien ne distrait autant de ce monde de vanité
et de poursuite du vent.
pénétrant qu’il voit de loin, qu’il voit
tout et qu’il voit de l’intérieur autant
que de l’extérieur. On ne le désigne
plus que comme Le Rentgen – c’est dire
qu’il n’a plus besoin du titre de Baba.
Devant ce manège, le Rav Ovadia
Yossef, patron du Chass, n’a pas
ménagé ses mots. Il se serait écrié :
“Depuis quand croyons nous aux
sorcelleries et aux feux de camp ?” Les
plus grandes sommités rabbiniques,
dont le Rav Elyashiv, l’aurait
pratiquement
excommunié
en
déclarant : “Quiconque entretient des
relations avec lui est à considérer
comme un déviant s’écartant de la voie
commune qui n’a pas part au monde à
venir.”
Ah ! ça vous amuse ?! Moi, ça me
désole. Car ce ne sont pas les histoires
qui manquent. Du “rabbin sadique”
qui vient d’être extradé par le Brésil à
“la mère Taliban” qui avait ses
méthodes made in Afghanistan. Il en
est même un – on ne me croira jamais
– qui a poussé la sainteté jusqu’à quitter
sa famille, sa maison et sa communauté
pour se retirer à Tibériade dans le but
de hâter la venue du Messie.
C’était au départ un brave tractoriste
qui présentait l’insigne mérite de voir
– voir ! – les conduites sous terre et de
les éviter. Bientôt, il voyait – voir ! – les
rouages des âmes, leurs pérégrinations,
les encombres des destins. Il s’installe
comme saint homme dans un moshav
et bien vite une secte se constitue
autour de lui. On sollicite ses conseils,
on reçoit ses bénédictions, on lui baise
la main. Des barons de la finance et de
l’industrie se pressent autour de lui. Il
se donne à son tour des œuvres
caritatives à la tête desquelles il place
ses disciples et partisans les plus
leur répète qu’il est occupé à un long
et délicat acte de réparation
cosmogonique, réparant le péché
d’Adam, préparant la venue du Messie.
On ne peut que le laisser à sa mission
sacrée. Sans le déranger. Sans le
solliciter. Sans entraver sa mission avec
de plates et dérisoires questions
domestiques. Il promettait de ne
reparaître qu’aux côtés du Messie et
nul ne doutait qu’ils chevaucheraient
ensemble le célèbre âne blanc du
sauveur. Pendant trois ans, on attendit
stoïquement son retour. Ses mécènes
et ses donateurs aussi qui continuaient
de contribuer généreusement à ses
œuvres. Un beau jour, trouvant que le
Messie s’attardait et qu’on ne pouvait
permettre davantage au saint homme
de se mortifier pour rien, on s’avisa de
le ramener au bercail. Le peuple juif
prophètes. Je me souviens de l’un d’eux
qui donnait l’air de planer, d’un pas
léger, comme s’il était en élévation
constante. Il portait la veste ou la
redingote ouverte et l’on avait
l’impression que ses pans étaient autant
d’ailes noires. Il n’était pas à Jérusalem,
il était au Royaume. Il ne demandait
rien, il réclamait tout. Il avait des droits
qu’on ne pouvait lui contester. On ne
savait lesquels. Peut-être ceux que
s’arrogent les repentis de la dernière
heure. Revenus des plus vénérables
philosophies et sauvés des plus
dévastatrices révolutions. Il venait de
loin, du maoïsme ; il était allé très loin,
à l’ultra-orthodoxie. Un adage
rabbinique déclare que “là se tient un
repenti, un disciple-de-sage ne peut
tenir”. Il prenait l’adage à la lettre, au
point de ne s’entourer que de disciples
et d’exclure tous ceux qui contestaient
son autorité. Il avait gardé l’accent
imprécatoire des grands militants
révolutionnaires et dans la voix cette
intransigeance qui ne cédait que pour
mieux contourner la résistance de ses
interlocuteurs. Il n’était plus marxiste
ni maoïste ; il n’était pas davantage
talmudiste que kabbaliste.
Selon des psychiatres qui ne
comprennent rien à la possession, ces
vibrants caractères prophétiques
seraient atteints du syndrome de
Jérusalem. On déplore près de cent
cinquante cas par an. On en a trouvé
L'inextricable écheveau de l'histoire. L'embrouille
dans les esprits. L'embouteillage dans les rues.
avait attendu deux mille ans, il pouvait
attendre encore dix ans. On découvre
alors qu’il n’était pas plus en
compagnie du Messie que d’Adam
mais retenu prisonnier par le trio de ses
disciples et partisans les plus
inconditionnels qui vivaient largement
des œuvres qu’ils dirigeaient.
La Galilée et le Néguev ne sont pas
les seules régions religieusement
atteintes. Jérusalem est hantée de
personnages plus étranges et
merveilleux les uns que les autres en
lesquels un œil averti décèlerait nombre
de dérèglements qui garantissent leur
prédisposition messianique. Il en est
pour se pavaner dans les rues en
un qui se prenant pour Samson, animé
de vigueur divine, tentait de déplacer
une des pierres du Mur des
Lamentations.
Les
thérapeutes
incriminent l’écart entre l’image
biblique, somme toute idyllique que
l’on a de la ville et sa réalité prosaïque
jusqu’à la désolation. On s’attend à voir
une ville pure et sereine et l’on se
heurte à l’encombrement des religions.
L’entassement du sacré. L’inextricable
écheveau de l’histoire. L’embrouille
dans les esprits. L’embouteillage dans
les rues. Plus généralement, ce pays est
hanté par des créatures qui sont
passées d’une rive à l’autre et ne
regrettent l’autre rive que pour la
maudire ou la bénir.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 15
LA CHRONIQUE
Comment
on écrit l'histoire
À
l'occasion
de
l'anniversaire
du
déclenchement de la
Seconde
Guerre
mondiale, Le Figaro
publie une série de
livres et de films avec l'ambition de
retracer l'ensemble des événements.
L'ouvrage fait la part un peu trop belle
à l'histoire militaire, jusque dans ses
aspects techniques, mais il y a sans
doute un public qui s'intéresse à
l'équipement du soldat allemand, au
nombre d'obus embarqués à bord d'un
panzer ou au calibre des mitrailleuses
du Stuka. Cette insistance sur les
moyens mécaniques suggère tout de
même que l'Allemagne nazie disposait
d'une supériorité technologique, ce
l'insuffisance de ses armes, aux
défauts des bombardiers Marcel
Bloch, lequel n'avait pas encore le
pseudonyme de Dassault.
qui est non seulement faux, mais pour
le moins surprenant de la part d'une
publication éditée par Serge Dassault.
Ce fut l'une des justifications des
capitulards vichystes que d'attribuer
la défaite française de 1940 à
à Hitler de mettre la main sur les
industries
mécaniques
de
Tchécoslovaquie. Cependant, la
France et l'Angleterre n'accusaient
aucun retard technologique. Le seul
obstacle à la modernisation de l'armée
16 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
En vérité, le défaut des bombardiers
Bloch était de n'avoir pas été utilisés
dans une stratégie offensive contre
l'Allemagne.
La
propagande
antisémite de Vichy fit de Marcel
Bloch l'un des responsable de la
défaite, alors qu'il avait fourni à la
France des moyens de combats que
les Pétain, Weygand et autres
hiérarques militaires refusaient de
déployer. La récupération de
technologie de pointe par l'Allemagne
nazie fut aussi une affaire politique :
les accords de Munich avaient permis
française, c'était l'état-major de
l'armée, qui refusait de s'adapter et
n'était guère pressé de combattre le
nazisme.
L
es descriptions de matériels ont
au moins le mérite de rappeler
le nom des firmes qui
profitèrent du nazisme, BMW, Benz,
Opel et bien d'autres. L'histoire de la
guerre est bien évidemment autre
chose. Or, le volume consacré à la
guerre en Pologne réserve de fort
désagréables surprises s'agissant d'un
ouvrage publié sous le contrôle du
Figaro. Passons sur les multiples
erreurs géographiques et historiques,
qui font, par exemple, de la ville
polonaise de Brest-Litovsk une ville
ukrainienne. Il est vrai qu'une grande
partie de la Pologne est aujourd'hui
annexée à l'Ukraine, mais BrestLitovsk se trouve en Biélorussie. Mais
ce n'est rien … Le volume " La guerre
commence en Pologne " de
l'encyclopédie du Figaro se termine
sur deux conséquences tragiques de
la double occupation de 1939 : côté
soviétique le massacre des officiers
polonais à Katyn, côté allemand le
regroupement et l'extermination des
juifs dans le Ghetto de Varsovie. Or le
récit de la création de ce Ghetto est
bien étrange. C'est au conditionnel
que les auteurs évoquent la décision
prise par les nazis d'exterminer les
juifs d'Europe. Le texte parle bien la
conférence de Wansee, en précisant
que pour certains historiens, tous juifs,
elle semble avoir décidé de la
destruction des juifs. Mais on précise
aussitôt que le mot extermination ne
figure ni dans les minutes de Wansee,
ni dans le discours du chef SS
Heydrich qui présidait la réunion et
parlait seulement de déportation à
l'Est. Il y aurait donc comme un doute!
DE GUY KONOPNICKI
Puis, nos auteurs décrivent le
Ghetto de Varsovie. Admettons que le
résultat de l'insurrection puisse être
considéré d'un point de vue
strictement militaire. Ce serait donc
une défaite. Rien, dans ce récit, sur
les coups portés à la Wehrmacht par
une poignée de juifs, dont l'armement
était dérisoire. Rien sur la portée de
cette insurrection, sur l'écho quelle
rencontra, en montrant qu'une
poignée de combattants déterminés
pouvaient affronter les Allemands, qui
mirent plusieurs semaines à réduire
les combattants juifs et ne gagnèrent
la bataille qu'en détruisant la totalité
du Ghetto.
L
'extermination des derniers juifs
du Ghetto de Varsovie est
décrite comme une conséquence de la révolte alors qu'elle en
est la cause. On lira que des dizaines
de milliers de juifs ont été déportés de
Varsovie à Treblinka " où ils trouvèrent
la mort ", sans aucune précision sur
la manière dont ils furent assassinés,
sans commentaire sur ce qu'était
Treblinka. Sans un seul mot pour
décrire la chaîne d'extermination dont
Treblinka était un maillon, comme
Auschwitz, Maidanek, Sobibor ou
Belzec.
Mais le pire tient en une phrase.
Au détour d'une description de
l'organisation du Ghetto et d'une
évocation de la misère qui y règne,
nous lisons ceci : " le marché noir
permet à un petit nombre de
s'enrichir avec la complicité de gardes
allemands et ukrainiens ". Des juifs
auraient donc trouvé le moyen de
faire fortune dans le Ghetto de
Varsovie ! Cette petite phrase relève
de l'antisémitisme le plus sordide.
Elle est d'autant plus meurtrière
qu'elle se situe au milieu d'un récit
historique censé dépasser la
compassion pour rétablir les faits. Il
y avait certainement des trafiquants
dans le Ghetto, des juifs qui
espéraient s'en sortir, comme d'autres
imaginaient qu'ils sauveraient une
partie des leurs en acceptant la fiction
d'un Conseil juif et d'une police juive.
Mais on ne peut évoquer ces
manifestations dérisoires de l'instinct
de survie sans dire leur vanité. Aucun
juif n'a trouvé à Varsovie le moyen de
s'enrichir. Tous furent assassinés.
Ce n'est qu'une phrase, au milieu
d'un long ouvrage, mêlant, plus ou
moins adroitement, les différents
aspects de la guerre. Une phrase qui
préfaces viennent apposer la marque
du Figaro. S'il s'agissait d'un
supplément ornithologique, ce ne
serait pas grave. Mais il s'agit de la
Seconde Guerre mondiale et Serge
Dassault, propriétaire du Figaro,
devrait se méfier des sous-traitants.
Car, enfin, quand on écrit que des juifs
Le récit de la création de ce Ghetto est bien étrange.
C'est au conditionnel que les auteurs
évoquent la décision prise par les nazis
d'exterminer les juifs d'Europe.
répète simplement que même au
Ghetto de Varsovie, des juifs
parvenaient à s'enrichir ! Et, pourquoi
pas à Auschwitz ?
L'ouvrage n'est pas l'œuvre de la
rédaction du Figaro. C'est un produit
dérivé, réalisé par une société
extérieure. Quelques ajouts et
s'enrichissaient à Varsovie en 1943,
on insulte la mémoire de tous ceux
qui ont souffert parce que
juifs, comme Marcel Bloch Dassault,
calomnié par les journaux de la
collaboration
avant
d'être
déporté à Buchenwald, où il vit arriver
les rescapés des marches de
la mort.
ODASEJ
L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E
est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919
Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x
devient un adulte qui a de meilleures chances
de construire son avenir et celui
de la communauté
L’ODASEJ a pour mission
d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou
en difficulté sur le territoire national
Leur avenir
est entre vos
Transmettez
mains
votre nom à un programme
de solidarité…
Perpétuez la mémoire de vos parents …
… Faites un legs ou une donation à l’ODASEJ
Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire
un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ
en exonération des droits de succession ou de mutation
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Tél. : 01 42 17 07 57 • Fax : 01 42 17 07 67
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INFORMATION JUIVE Décembre 2009 17
HUMEUR
Interrogations
OOOC olloque, ce 19 novembre en
Tunisie à Kairouan, considérée dans
l’historiographie musulmane, à l’instar de Fès au Maroc, comme la ville
des lumières. Des dizaines de professeurs d’universités, des intellectuels
et des penseurs ont été invités par le
docteur Mohamed Ghannem, un cardiologue parisien, chef de service à
Le docteur Ghannem avec La secrétaire d'Etat
tunisienne à la Santé, Mme Najoua Miladi
l’hôpital, à débattre sur le thème
Science et éthique. Un mot d’abord
de ce médecin charismatique, sympathique en diable et qui n’a aucun
mal à vous avouer, au détour d’une
phrase, que trois de ses confrères
juifs, les docteurs Guy Hanania,
Robert Slama et Robert Haïat ont
veillé fraternellement et avec exigence , à l’aube de sa carrière professionnelle , sur sa formation. Seraitce pour cela qu’il n’y a pas en lui un
milligramme de méfiance ou de prévention à l’égard des juifs et du
judaïsme ? Ce serait mal le connaître. L’homme est spontanément
ouvert à toutes les idées, toutes les
sciences et toutes les éthiques. Il
considère les juifs comme ses frères
et ne fait pas mystère de ce que,
invité naguère à un congrès de cardiologie à Jérusalem, il a été heureux
de partager avec ses collègues israéliens ses expériences, ses doutes et
ses interrogations. Et il s’est entretenu avec eux l’esprit libre et avec un
18 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
franc parler qui est sa marque de
fabrique.
Chargé de mettre sur pieds ce
colloque (placé sous le haut
patronage du président de la
République tunisienne ), et dont il
est tout à la fois l’inspirateur et le
maître d’œuvre, il a considéré comme
une ardente nécessité d’inviter parmi
nombre de spécialistes de l’islam
(Mohammed
Arkoun,
Ghaleb
Bencheikh, Mohammed Moussaoui
), un intellectuel juif à évoquer le
point de vue du judaïsme sur la
question. C’est peu de dire que
l’accueil fut chaleureux et fraternel.
On s’est pourtant contenté, en guise
de point de vue, de raconter
quelques légendes de la littérature
du midrach. On a simplement mis
l’accent, en l’occurrence, sur ce que
pouvaient avoir de commun les dits
du hadith musulman et ceux de
l’aggada. Pour souligner une même
vision, de part et d’autre, de la vie
sociale et de la démarche
théologique.
On sait que la Tunisie, comme le
Maroc, ne manifeste aujourd’hui à
l’égard des juifs et du judaïsme
aucune crispation ni aucun
sentiment de méfiance. On y
constate, au contraire, sollicitude,
confiance et amitié. Et pour que ces
sentiments
ne
restent
pas
clandestins, le seul juif participant
au colloque du docteur Ghannem fut
reçu par la télévision nationale en
son journal du soir.
Le docteur Ghannem : un homme
de cœur et qui fait aujourd’hui du
rapprochement entre juifs et
musulmans, entre autres, un idéal
et une vocation.
OOO Il arrive parfois que des sondages, au lieu de corroborer des
idées convenues ou établies, parviennent, au contraire, à les réduire à
néant. C’est ce qui vient de se passer avec l’enquête d’opinion que
vient de réaliser, en Israël, une
importante institution sous la direction du professeur Joël Cohen. Cet
universitaire a voulu savoir si les
milieux religieux avaient raison de
considérer que les journalistes qui
ont pour mission d’informer les
citoyens israéliens sont, ainsi qu’on
le prétend souvent, dans leur grande
majorité “des mécréants” ou, pire
encore, des militants anti-religieux.
Il a donc procédé à un sondage
auprès de 240 professionnels de la
presse et les résultats ont véritablement frappé de stupeur les citoyens
tant ils sont inattendus et surprenants. (Voir le quotidien Yédioth Aharonot du 24 novembre 2009 ).
Il a ainsi été établi que 60 % des
journalistes israéliens croient en
l’existence de Dieu ; 43 % d’entre
eux croient que les juifs sont le
peuple élu. 57 % jeûnent à Kippour
et 32 % ne consomment pas du lait
après de la viande. 41 % des
journalistes interrogés affirment que,
pour eux, la Torah et les mitzvot ont
une origine divine. Par ailleurs,
95 % d’entre eux observent en famille
le séder de Pessah.
Comment expliquer alors qu’il y
ait, depuis des années, une telle
incompréhension entre les milieux
religieux et traditionnels dans le pays
et les responsables des media, au
point que ceux-ci ont toujours été
considérés comme résolument antireligieux ? A cette question, le
responsable de l’enquête répond qu’il
est regrettable que les rabbins ne
HUMEUR
connaissent pas le fonctionnement
du monde de l’information.
C’est en tout cas pour faciliter le
nécessaire dialogue entre le monde
religieux et celui des responsables de
l’information que vient de s’ouvrir, à
Tel Aviv, un “Bet Hamidrache”
spécial pour les journalistes et les
gens de medias israéliens.
Une initiative qu’il faut saluer : tout
ce qui peut rapprocher juifs religieux
et juifs laïques doit être encouragé.
OOO Un ancien champion de boxe
rabbin ? C’est ce qu’annoncent les
journaux. Youri Forman vient de remporter à Las Vegas le championnat du
monde WBA des super-welters. Il est
devenu ainsi le premier Israélien à
décrocher le titre de champion du
monde de boxe. Il n’est certes pas le
premier boxeur juif à porter une étoile
de David sur son short puisque ce fut
le cas en France, il y a quelques
années, avec un jeune boxeur juif du
nom de Bénichou, sauf erreur.
Si Foreman a défrayé la chronique
c’est que c’est la première fois dans
les annales du rabbinat et sans doute
également du sport qu’un sportif de
ce niveau et dans une telle discipline
a décidé de devenir rabbin après ses
études dans une yéshiva de Brooklyn.
“Boxer est mon job et dans le
judaïsme on doit faire son travail
correctement” aurait déclaré Foreman
pour justifier son curieux et double
choix.
Un rabbin ex-boxeur ? Pourquoi
pas? Il est vrai qu’on n’exige pas les
mêmes vertus dans les deux
disciplines. D’un rabbin on attend
qu’il ait la crainte de Dieu, de la
dévotion, un peu de science, l’amour
d’Israël, des valeurs morales, le don
de soi et l’ouverture vers les autres et
singulièrement vers les petites gens.
Peut-on rappeler que notre maître
Moïse a, d’un seul coup, tué un
Egyptien, que le roi David s’est battu
avec un lion. Quant au maître du
Talmud Chimon Ben Lakish ( que la
tradition appelle Rèche Lakish ) on lui
a souvent attribué les métiers – au
statut social peu honorable, on en
conviendra – de brigand, de voleur de
grands chemins et d’homme de cirque
entre autres. Mais c’était évidemment
avant qu’il décide, sur les conseils de
son maître rabbi Yohanane, de
consacrer sa vie au monde de la
Torah.
Ce qui signifie que M.Foreman
devra – s’il veut être pris au sérieux
dans ses nouvelles fonctions de rabbi
– renoncer une fois pour toutes à avoir
recours à la violence de ses poings
pour se faire entendre. Dans le monde
du Talmud c’est d’intelligence et de
raison qu’il devra faire montre.
C’est une affaire de respect :
noblesse oblige, comme on dit !
OOO On savait depuis des lustres
que le cinéaste Jean-Luc Godard
était fanatiquement antisioniste. Il
n’en faisait guère mystère et il est
peu de films qu’il ait signés et qui ne
portent pas, peu ou prou, trace de
cette antipathie profonde qu’il porte
tout à la fois à l’Etat d’Israël, au projet de son existence, à ses fondateurs
et à ses défenseurs. On se souvient
que ce provocateur professionnel
avait, en 1974, dans Ici et ailleurs,
fait chevaucher une image de Mme
Golda Méir, premier ministre israélien avec celle d’Adolf Hitler. On
savait aussi certes que la délicatesse
et la mesure ne sont pas les qualités
premières du cinéaste suisse. De
plus, au cours d’une conversation
qu’il a eue avec l’ancien rédacteur
en chef des Cahiers du Cinéma, Jean
Narboni, Godard a accusé “les Israéliens d’être arrivés sur un territoire
qui est celui de leur fiction éternelle
depuis les temps bibliques”. Narboni
lui fait observer que le mot “fiction”
est choquant mais le cinéaste n’en
a cure…
Mais voici que Jean-Luc Godard
verse, à en croire l’écrivain Alain
Fleicsher , dans un antisémitisme
insupportable quand il déclare : “Les
attentats suicides des Palestiniens
pour parvenir à faire exister un Etat
palestinien ressemblent en fin de
Jean-Luc Godard
compte à ce que firent les juifs en se
laissant conduire comme des
moutons et exterminer dans les
chambres à gaz, se sacrifiant ainsi
pour parvenir à faire exister l’Etat
d’Israël”.
Que M.Godard ignore à ce point
l’histoire du sionisme est sans doute
son affaire. Mais qu’il insulte ainsi,
de manière aussi délibérée et aussi
mensongère, la mémoire des victimes
de la Shoah voilà qui est révoltant.
OOOLe regretté rabbi David Bouzaglo fut un des grands poètes contemporains du judaïsme marocain. C’est
lui qui, durant des décennies, jusqu’à
son départ en Israël, anima à Casablanca les traditionnelles séances de
bakkachot ( les supplications ) du
vendredi soir. Une biographie qui lui
est consacrée va paraître au début
de l’année prochaine aux éditions
Koutoubia. Son fils le docteur Méir
Bouzaglo est philosophe et enseigne
à l’université hébraïque à Jérusalem.
Dans un livre qui vient de paraître
en Israël, ce spécialiste de Kant,
réfléchit à la notion de tradition dans
le judaïsme. Et on trouve dans son
ouvrage cette petite perle qui vaut
de l’or : “La fidélité de l’homme au
monde de ses parents est la clef du
judaïsme”.
V.M
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 19
BONNES FEUILLES
“Nous avons des choses
à vous dire”
PAR TAREQ OUBROU
Tareq Oubrou est un des imâms de France les plus connus. Philosophe et théologien
illui est souvent arrivé d'exprimer sa détermination à conduire un dialogue fructueux
avec les juifs et les chrétiens de France. Dans le livre d'entretiens qu'il vient de publier
aux éditions Albin Michel ( Profession imâm. Entretiens avec Michaël Privot et Cédric
Baylocq ) il s'adresse à différentes reprises aux responsables ainsi qu'aux membres de
la communauté juive. Et ce qu'il dit ne ressemble en rien à de la langue de bois. Le
devoir de nos communautés est, nous semble-t-il, d'écouter ce qu'un des grands
dignitaires de l'islam en France a aujourd'hui à nous dire. Y compris quand il s'agit de
raisonnements qui nous paraissent discutables.
Avec l'autorisation des éditions Albin Michel, nous publions ici, à titre d'information, un extrait du livre de
Tareq Oubrou.
Le président Sarkozy a annoncé en
février 2008, lors d'un discours devant
des représentants de la communauté juive,
qu'il souhaitait que chaque élève de CM2
" prenne en charge la mémoire d'un enfant
déporté ", avant d'y renoncer. On sait les
problèmes croissants que pose l'enseignement de la Shoah dans les quartiers
où la population d'origine maghrébine est
nombreuse. Ce type de gestion de la
mémoire nationale vous parait-il pouvoir
juguler ces problèmes ?
Comme j'ai eu l'occasion de vous le
dire, il faut éviter à tout prix d'importer un quelconque conflit, notamment
israélo-palestinien, sur le territoire
français. Conscient de ce genre de
dérive, j'ai moi-même participé à l'initiative d'un voyage à Auschwitz, par-
ment, en tant que citoyens européens
désormais, nous devons assumer
cette histoire tragique de l'Europe.
Cela n'a rien à voir avec la position
que l'on pourrait avoir les uns et les
autres à l'égard du conflit politique
israélo-palestinien, notamment à
l'égard des gouvernements israéliens
ou responsables politiques palestiniens.
Ceci dit, je ne suis pas pour cette
surenchère des mémoires à laquelle
nous assistons ces dernières années.
Je crains que l'inflation de la victimisation de tout bord ne déchire le tissu
de notre identité nationale française
commune. Aussi est-il vrai que trop
de mémoire nuit à la mémoire, sur-
Nous sommes dans un destin commun au sein de la
République, qui a établi des valeurs communes que
nous devons partager.
ticipé au Yom Ha-Shoah avec mes
deux filles qui ont pris part à la lecture des noms d'enfants déportés…
La Shoah est un drame humain, que
les musulmans doivent reconnaître à
double titre : tout d'abord en tant que
musulmans en principe sensibles aux
drames qui frappent l'humanité - et
la Shoah est un drame qui n'honore
pas notre humanité - ; et deuxième20 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
tout quand il s'agit d'y impliquer les
enfants par rapport à un passé très
violent dont il n'est pas sûr qu'ils en
assumeraient psychologiquement les
conséquences. Bien des spécialistes,
y compris certains intellectuels juifs,
se sont opposés à cette idée lancée
par le président de la République. Je
pense que face à ces problèmes de
société, nos politiques doivent pren-
dre le temps de penser les choses graves avant de les annoncer et ne pas
procéder à un exercice de réflexion à
voix haute et jeter au public des idées
sous le feu de l'action et de l'émotion,
sans vision claire et cohérente.
Lors du déclenchement de la deuxième
intifada, un quotidien vous propose un
entretien croisé avec le directeur du Centre communautaire juif de Bordeaux Hervé
Rhebby, que vous venez d'ailleurs d'évoquer. Vous commencez par dire que ce
serait une erreur d'importer le conflit sous
nos cieux, puis vous terminez en demandant aux " responsables juifs " de France
de dénoncer " ce qu'Israël fait en Palestine … " Comment un imâm de la République peut-il gérer ce dilemme : d'un côté
essayer de ne pas souffler sur les braises
du (res)sentiment communautaire afin de
maintenir un semblant de vivre-ensemble
sous nos cieux, mais par ailleurs montrer
une empathie vis-à-vis du peuple palestinien, qui peut se transformer de proche
en proche en invectives contre Israël,
puis contre les juifs en général, et parfois
pire ?
Dans toute situation, il faut essayer
de chercher la position la plus juste
possible. Et c'est délicat. D'un côté,
nous sommes dans un destin commun au sein de la République, qui a
établi des valeurs communes que
nous devons partager. Cela implique
que nous devons aller dans le sens de
BONNES FEUILLES
la construction d'une société harmonieuse, paisible, mais en même temps
nous sommes confrontés à des " dossiers étrangers " parmi lesquels celui
du Proche-Orient. C'est un dossier
international assez sensible. Il
dépasse le seul registre des communautés juives et musulmanes de
France. Chacun a le droit d'avoir l'avis
qu'il estime le plus juste, mais il ne
faut pas que cela se répercute sur le bien vivre et la
paix sociale ici en France.
Ceci dit, je ne vois pas
l'utilité pour les musulmans
de France de lier leur destin
à la question palestinienne.
Il n'y a pas de consubstantialité de destin entre les
musulmans de France et la
question palestinienne : il
ne faut pas que la Palestine
soit un déterminant de notre
vie religieuse, ni même
sociale, ici en France, ni ne
détermine notre rapport
avec les juifs de France.
Qu'elle ne soit pas un obstacle qui s'érige entre nos
communautés respectives !
En conséquence, il faut se
rencontrer, dialoguer avec
les institutions représentatives de la communauté juive,
même si l'on n'est pas d'accord. On peut manifester
son désaccord dans l'art de
la démocratie, de la liberté
et du respect mutuel. On
peut aller même au-delà de
nos divergences sur cette question
jusqu'à l'amitié voire la fraternité.
À ce propos, j'aimerais parallèlement souligner que s'il faut condamner les déclarations des musulmans
qui attisent le feu de la haine, il faut
également condamner celles de certains responsables juifs qui ne contribuent pas à résoudre le problème :
soutenir la politique inhumaine d'un
gouvernement, ce n'est pas rendre
service au peuple juif qui dépasse le
cadre des frontières de l'État d'Israël.
Ce serait une erreur fatale pour les
juifs de se considérer comme prenant
part à un système politique circonscrit, pour la simple raison que toute
erreur politique israélienne pourrait
alors se répercuter sur n'importe quel
juif dans le monde. Je suis donc partisan de dissocier le judaïsme en tant
que nation et/ou religion et culture
de l'État d'Israël comme système politique. De plus, condamner à cet
égard un gouvernement israélien
n'est pas forcément une remise en
cause de la légitimité politique de fait
de l'État d'Israël. L'erreur d'un gouvernement n'est pas forcément erreur
de l'État. De même que l'aberration
d'un État ne doit pas être imputable
à une religion, à un peuple et à une
La grande Mosquée de Paris
nation. Je dirai la même chose pour
l'islam en tant que religion : il ne doit
pas être identifiable à un État. Il est
une religion et une spiritualité qui
circulent dans le monde au-delà des
frontières, et dans des cultures et des
systèmes politiques différents auxquels elles s'adaptent. Cette sécularisation est salvatrice pour tout le
monde, car elle permet de mettre les
religions et les cultures en dehors des
conflits, si ce n'est en tant que modératrices et artisanes de la paix et de
la justice entre les hommes et les peuples.
En effet, on nous somme toujours,
nous musulmans, de condamner l'injustice quand elle vient du monde
musulman… comme si nous étions
les représentants et les porte-parole
de tous les musulmans du monde !
On passe presque tout notre temps à
condamner le terrorisme islamiste,
certaines déclarations de tel ou tel
président ou responsable politique du
" monde musulman "… C'est devenu
un rituel, un sixième pilier de l'islam.
En plus, personne ne nous entend,
car cela n'intéresse pas nos mass
médias, même ceux qui relèvent du
service public, ce qui est dommageable. Car cela laisse entendre
que les musulmans de France
sont complices. C'est très violent comme situation. Et c'est
dangereux pour la paix civile
de notre société. En tout cas,
nous ne cessons de nous exprimer sur un certain nombre de
choses qui sont faites au nom
de l'islam malgré la surdité de
nos mass médias. Ce n'est pas
autre chose que nous demandons aux instances juives.
Lorsque l'État d'Israël fait des
" gaffes ", il faut que les responsables officiels en France
dénoncent cela de temps en
temps. Ce n'est pas la mer à
boire, d'autant plus que cela
leur fera honneur et ce sera
dans l'intérêt de leur communauté ainsi que de toute la
société française.
Vous avez l'impression qu'ils ne
se prononcent pas assez ?
La défense d'Israël est systématique et radicale, comme si
cet État était gouverné par des
anges ! On n'est pas obligé de
défendre systématiquement
des gouvernements et des politiques.
Ce sont des hommes avec leurs ambitions personnelles électoralistes, qui
parfois embarquent leur nation dans
des guerres et des conflits sans issue
pour détourner les regards de leur
peuple sur les vrais problèmes intérieurs de leur société. Ce procédé
politique est vieux comme le monde.
Et il faut pouvoir condamner cela !
On est presque dans une théologie
de l'infaillibilité. Ce qui est absurde
pour une religion et une civilisation
comme le judaïsme. On connaît la
pensée talmudique foisonnante de
discussions et de débats caractéristiques de la pensée juive qui va
jusqu'à la critique même des
commandements
scripturaires.
On est aujourd'hui dans un vrai paradoxe devant la situation au MoyenOrient.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 21
BONNES FEUILLES
Ne serait-ce que pour nous qui
sommes engagés dans le dialogue
avec les juifs : il faut nous donner
une marge de manœuvre en tant
qu'acteurs de ce dialogue, autrement
nous serons devant des difficultés
insurmontables. Je le dis souvent à
mes interlocuteurs et amis juifs : " Si
vous voulez participer à la paix civile,
si vous voulez que nous travaillions
ensemble, il faut que vous fassiez un
geste. " Nous essayons de tout faire
pour que les musulmans dialoguent
avec les juifs, mais certaines déclarations ne vont pas du tout dans le
sens de notre travail sur le terrain et
ne nous facilitent pas du tout la
tâche. C'est pour cette raison que
beaucoup de musulmans et d'institutions musulmanes voudraient bien
avoir un dialogue, avec le CRIF par
exemple, mais ils ne le peuvent pas.
Ils ne veulent pas se " mouiller " à ce
point vis-à-vis d'une communauté
musulmane qui s'identifie, de façon
affective et intense - que personnellement je trouve parfois démesurée
-, à la cause palestinienne. Et si ces
institutions juives et certains intellectuels juifs continuent à défendre
l'indéfendable, non seulement ils risquent de perdre beaucoup d'amis
musulmans, mais beaucoup de juifs
et beaucoup d'autres concitoyens
22 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
français également. C'est un conseil
d'ami.
Concrètement, vous considérez donc
que la situation au Proche-Orient n'est pas
un obstacle infranchissable à l'établissement d'une concorde judéo-musulmane
en France ?
Tout dépendra de notre sincérité
dans l'engagement pour un dialogue
judéo-musulman qui doit aussi être
pragmatique et à visée citoyenne et
pour une cause commune : la paix
civile. La seule garantie est la rencontre d'hommes au-delà de leurs
convictions.
Quand vous parlez de " rencontres des
hommes au-delà de leur convictions ",
cela signifie-t-il qu'il serait nécessaire de
dégager un espace ou la religion, l'islam
en l'occurrence, cesserait d'être surdéterminant ?
Non, non, non, en faisant ça, je
reste totalement, théologiquement et
éthiquement musulman. C'est ma foi
qui me pousse à surmonter les obstacles pour rencontrer l'autre. " Dieu ne
vous interdit pas d'être bons et justes
envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont
pas chassés de vos demeures. Car
Dieu aime les justes " (60:8). Le
conflit israélo-palestinien est un pro-
blème politique ! Même en temps de
guerre, pendant les Croisades, il y
avait toujours des négociations, le
commerce continuait… Il n'y a pas de
guerre totale, comme il n'y a pas d'ennemi éternel et absolu : " Il se peut
que Dieu établisse de l'affection entre
vous et ceux envers qui vous avez de
l'animosité, Dieu est Tout Pardon et
Dieu est certes Capable " (60:7). D'autant plus que théologiquement parlant beaucoup de choses nous lient
au judaïsme et au peuple juif malgré
les vicissitudes de l'histoire passée et
présente.
Mais vous dégagez néanmoins un
espace autonome où la dimension religieuse de chacun ne devient plus déterminante…
Je propose mieux : au lieu que la
religion ne s'efface, et la nature ayant,
vous le savez, horreur du vide, et
étant dès lors invitée à agir positivement, je préfère par conséquent sans
vouloir faire de la théologie appliquée
et concordiste, que la religion soit un
modérateur politique, un régulateur
des relations interreligieuses et interethniques, sinon elle sera utilisée par
d'autres pour déclencher ou aggraver
les conflits.
(Copyright Editions Albin Michel)
LA VIE DU CONSISTOIRE
Elections au Consistoire
de Paris : les résultats
A
u terme d'un mois de
campagne officielle qui
a permis aux nombreux
candidats en lice de
débattre et d'exposer
leurs propositions sur les
principaux sujets relatifs aux missions du
Consistoire (débat dans nos colonnes le
mois dernier) et de partir à la rencontre
de la plupart des communautés pour
dialoguer avec le plus grand nombre, les
élections au Consistoire de Paris Ile de
France se sont déroulées le dimanche 29
novembre dernier.
Conformément à ses statuts, il s'agissait
pour
l'ACIP
de
procéder
au
renouvellement de la moitié des 26
membres que compte son Conseil
d'Administration. 53 candidats étaient
présents pour 13 postes d'administrateurs
à pourvoir. Durant la campagne, les 53
candidats étaient répartis en quatre
regroupements (un regroupement, AJC,
défendant le bilan des quatre années
passées et proposant la poursuite des
actions engagées, et trois regroupements
proposant d'autres directions, ARC, Tous
Ensemble, l'Union des Présidents) et
quatre candidats indépendants. L'élection
s'est déroulée selon un mode uninominal
à un tour.
Ont été élus 6 candidats du
regroupement Tous Ensemble (Clément
Weill-Raynal, Dov Zerah, Laurence Botbol
Lalou, Gérard Pariente, David Tibi, David
Revcolevschi)
5
candidats
du
regroupement AJC (Michel Gurfinkiel,
David Amar, Evelyne Gougenheim, JackYves Bohbot, Max-David Ghozlan), une
candidate du regroupement ARC (Janine
Riveline) et un candidat indépendant
(Moïse Cohen).
Le nombre de votants a été de 5013,
avec 4881 suffrages exprimés, sur un total
de 31000 électeurs.
Les résultats globaux sont les suivants :
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 23
LA VIE DU CONSISTOIRE
Les 13 nouveaux administrateurs
élus pour un mandat de huit ans
rejoindront en janvier les 13 administrateurs élus lors du scrutin du
27 novembre 2005 (Joël Mergui,
Michèle Rotman, Sammy Ghozlan,
Gil Taieb, Muriel Schor, Elie Korchia,
André
Benayoun,
Yves-Victor
Kamami, Daniel Vaniche, Haim
Nisenbaum, Philippe Meyer, Françoise Atlan, Alberto Gabai) pour
former le nouveau Conseil d'Administration de 26 membres qui élira alors
le Président du Consistoire de Paris
et son Bureau.
A tous les nouveaux élus, nous
adressons nos plus sincères félicitations.
Le “Concert de la Joie”
pour la Tsedaka
P
our la deuxième année consécutive, un concert exceptionnel à
été donné le dimanche 15 novembre dans la grande synagogue
de la Victoire pour le lancement de la campagne nationale pour
la Tsedaka. La grande synagogue, ornée aux couleurs de la
musique et décorée spécialement pour l'occasion, était remplie
d'un très nombreux public venu écouter ce grand moment de
musique classique. L'orchestre de grande qualité était dirigé par le maestro
Vsevolod Polonsky. Après
des mots très chaleureux
de bien-venue de Dorothy
Benichou Katz, l'organisatrice de la soirée, ce fut
au tour du Grand Rabbin
de
France
Gilles
Bernheim, du Président
du
Consistoire
Joël
Mergui et du Président de
l'Appel National pour la
Tsedaka Gil Taieb de
s'exprimer pour rappeler
l'importance de cette
action de solidarité en faveur de la lutte conter le handicap, l'exclusion et
la grande pauvreté, qui constitue un socle fondamental du judaïsme et
sensibiliser l'assistance, et bien au-delà, à la nécessité de participer chacun
à sa manière à ce grand élan de générosité de la communauté juive.
Place fut alors donnée à la musique avec une succession de grands airs
interprétés par la trentaine de virtuoses présents dans la synagogue.
Ce très beau concert a constitué le coup d'envoi de la campagne nationale
pour la Tsadaka qui aura une fois de plus connu des grands moments de
solidarité en faveur de celles et de ceux qui souffrent de situations
particulièrement difficiles et éprouvantes, et qui se sera achevée comme
chaque année avec le
grand spectacle du
14 décembre au Palais
des Congrès de Paris en
présence
de
très
nombreux artistes venus
spécialement pour cette
grande cause qui aura
tout
naturellement
mobilisé pendant un
mois l'ensemble de la
communauté juive.
24 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
Séminaire pour
les enseignants
des Talmudé Torah
de Rhône-Alpes
L
e dimanche 1er novembre,
une
soixantaine
de
rabbins, d'administrateurs
de communautés, de
directeurs et d'enseignants des
Talmudé Torah du grand Lyon, de
Grenoble et de Clermont-Ferrand
ont répondu présents à l'invitation
du Grand rabbinat et du Consistoire
de la région, à la grande synagogue
de Lyon, quai Tilsitt en présence de
Monsieur
Marcel
Dreyfuss,
Président du Consistoire régional et
vice-Président du Consistoire
Central,
Monsieur
Charles
Choukroun, président de la
communauté de Vénissieux, et
responsable de la commission
pédagogique du CIRRAC et du
Docteur Philippe Aknin, président
de la commission Talmud Torah du
Consistoire de Lyon. Monsieur Méïr
Moaty, Directeur des services
éducatifs du Consistoire de Paris
était invité pour animer cette
journée. Le thème retenu par le
Grand Rabbin Richard Wertenschlag était "l'expérience d'une
programmation pour toutes les
classes du Talmud Torah et la
présentation des nouveaux ouvrages
destinés aux élèves des Talmudé
Torah de Paris et de l'IDF".
Monsieur Moaty présenta un film
sur les activités des Talmudé Torah
de la région parisienne, et
notamment
les
tests
de
connaissances et le voyage éducatif
en Israël. Il s'est réjouit de la parfaite
symbiose entre le Grand Rabbin de
Paris, le Président et la commission
pédagogique du Consistoire de
Paris, source du renouveau et de
l'augmentation des effectifs. Les
nouveaux manuels pédagogiques
furent présentés et pris d'assaut. Un
déjeuner fut offert par l'association
Robert Gamzon, agrémenté d'un
Dvar Torah du Grand Rabbin de
Lyon sur l'importance de la
transmission de nos valeurs.
LA VIE DU CONSISTOIRE
Fleg Allume l'Alhambra
P
our la Deuxième année consécutive, le Centre des
Etudiants Edmond Fleg organise à l’occasion de
Hanouccah et pour marquer son deuxième anniversaire
un grand concert spectacle entre rires et chansons le
mercredi 16 décembre 2009 à l’Alhambra.
Le ton est donné par le duo de présentateurs Alexandre DARMON
– étudiant humoriste - et DJ TROOP ONE, avec la présence
exceptionnelle de Philippe LELLOUCHE.
Le Centre recevra en guest star exceptionnelle un maître du
Kosher GOSPEL Mister Joshua NELSON, juif noir américain,
venu tout droit de Chicago et qui se décrit lui-même comme « le cauchemar du KKK », mais aussi Pierre DARMON
à l’univers artistique pop, Mickael MIRO ou encore David SERERO, chanteur d’opéra qui interpréte les grands airs
de Broadway.
Clin d’œil aux miracles de Hanoucca, Eric ANTOINE, illusionniste et humoriste, actuellement en représentation
au Palace, fait l’exclusivité d’un tour de magie spécialement mis au point pour le Centre Fleg. A ses côtés Jérôme
DARAN, chroniqueur pour Michel DRUCKER est présent pour donner la réplique. Sans oublier les talentueux Kev
ADAMS jeune comique de 18 ans ou encore John ELDJAM.
Comme l’an passé, le Centre Fleg a souhaité afficher un spectacle entre culture et divertissement.
Installation du nouveau
Grand Rabbin du Haut-Rhin,
Yaacov Fhima
C
'est dans une synagogue aussi
remplie que le jour de Kippour que
s'est tenue le 8 novembre à Colmar
l'installation du nouveau Grand
Rabbin du Haut-Rhin Yaacov Fhima, par le
Grand Rabbin de France Gilles Bernheim. Le
Grand Rabbin Yaakov Fhima, natif lui-même de
Colmar, succède au Grand Rabbin Jacky
Dreyfus qui prennait là sa retraite. Les autorités
civiles et religieuses étaient largement
représentées dont le Maire de la ville et les
représentants des cultes catholiques,
musulmans et protestants. La parole fut
successivement prise par Jean-Pierre Weill,
Président de la Communauté juive de Colmar,
Ivan Geismar, Président du Consistoire du HautRhin, Frédéric Attali, Directeur Général du
Consistoire Central, représentant le Président
du Consistoire Joël Mergui, le Grand Rabbin
de France Gilles Bernheim, puis le Grand
Rabbin Yaacov Fhima. Un hommage particulier
fut rendu au père du Grand Rabbin Fhima
(zatsal), ainsi qu'à tous ses maîtres et à sa
famille. Son ancienne communauté de
Sarreguemine avait affreté spécialement un car
pour l'occasion. Une cérémonie particulièrement
émouvante et qui restera longtemps gravée dans
la mémoire de ses nombreux participants.
Grand spectacle
de Hanouccah
pour les enfants
du Talmud Torah
U
n grand spectacle est
proposé dimanche 13
décembre par les
services éducatifs de
l’ACIP à tous les enfants des
Talmudé Torah du Consistoire de
Paris pour apprendre l'histoire de
Hanoucah dans un cirque loué
pour l'occasion. Des comédiens,
des jongleurs, des lions, des
éléphants, des clowns refont vivre l'histoire de la fête. Un orchestre
de 12 musiciens accompagnera les acteurs et un chanteur de grand
renom viendra chanter quelques "tubes" Hassidiques pour le plus
grand plaisir des enfants.
Au programme également, l’allumage de la Menorah, une
distribution des cadeaux aux enfants, des chants entonnés par la
chorale d’enfants de la « Haftara Club » et la remise de prix aux
dix lauréats du concours des Talmudé Torah du 14 juin dernier par
le grand rabbin de Paris David Messas, le Président Joël Mergui
et le Président de la Commission Talmud Torah David Amar. Des
enfants du Talmud Torah de la Place des Vosges raconteront leur
expérience sur l'utilisation des nouveaux manuels édités par l'ACIP
cette année.
Ce spectacle fait partie des projets éducatifs et pédagogiques
mis en place au cours des dernières années par le Consistoire de
Paris pour que les enfants puissent apprendre et vivre les fêtes
juives dans la joie d'un lieu féérique.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 25
PHILOSOPHIE
“L'histoire du retour
de Benny Lévy”
UN ENTRETIEN AVEC RÉMI SOULIÉ
Le philosophe catholique Rémi Soulié consacre une longue étude à celui qu'il considère
comme un anti-philosophe juif orthodoxe : Benny Lévy. Ce livre ( " Avec Benny Lévy ",
éditions du Cerf 17 E ) constitue à la fois une plongée dans l'itinéraire et la pensée du
regretté maître du judaïsme et un dialogue " fraternel " entre un penseur catholique et
un penseur juif. Rémi Soulié s'explique ici sur le rapport qu'il entretient avec l'œuvre et
les positions de Benny Lévy.
OOO I.J : Pour vous, Benny Lévy c'est d'abord
l'homme qui a toujours cherché
l'absolu ?
Rémi Soulié : Je crois, en effet, que ce
fut la quête et la finalité de son existence.
Outre qu'il n'appartenait pas à l'immense
corporation des médiocres justement
stigmatisée par un Bloy ou un Bernanos,
Benny Lévy s'est toujours situé dans le
domaine de la mystique - au sens de
Péguy, cette fois - c'est-à-dire qu'il
n'a jamais triché. L'élan du Pierre
Victor de la Gauche prolétarienne
était sans douté dévoyé mais tout
était en place pour qu'un
redressement ou un rattrapage ("
Dieu m'a rattrapé ", disait-il) soit
effectué. Dès lors que la tension
vers la vérité demeure, tout est
possible.
I.J : On a souvent parlé de lui en
disant qu'il est passé "de Mao à Moïse".
Pour vous son itinéraire va plutôt " de
Moïse à Moïse en passant par Mao".
R.S. : C'est une formule de
Benny Lévy lui-même et elle me
semble on ne peut plus exacte :
l'ignorait-il substantiellement dans
son enfance et son adolescence,
Benny Lévy était né juif. Or, le fait
contingent de la naissance est
un absolu, comme en conviennent
toutes les pensées un peu
sérieuses - pour notre temps, celles
qui ne s'inscrivent pas dans la
postérité du sartrisme. " Etre Juif "
n'a rien de contractuel - d'où la
26 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
haine plus ou moins sourde de quiconque
adopte les postulats du monde moderne
à l'endroit d'Israël. Aucun moderne, par
exemple, ne peut admettre - quoi qu'il
s'en défende par des sophismes et des
arguties - l'existence de l'Etat d'Israël en
tant qu'Etat juif. C'est impossible ! Pour
cela, il faut ne pas avoir renoncé à cette
tension vers la vérité que j'évoquais. " Il
ne dépend pas de moi, écrit Pierre
Benny Levy
Boutang dans ce livre éminemment "
pastoral ", au sens de Benny Lévy, qu'est
La Politique, que la spiritualité humaine
et la civilisation ne se manifestent pas
comme un système de volontés mais
comme une histoire ". Je préciserais : une
Histoire sainte. On n'imagine pas le
nombre de ceux qui sont intéressés à en
finir avec elle !
I.J : Comment expliquez-vous le fait
qu'il ait jeûné un jour de Kippour
alors même qu'il s'affirmait athée et
qu'après coup il soit allé en faire
l'aveu à Sartre ?
R.S. : Par la grâce. Benny Lévy
a peu à peu retrouvé le sens
pratique et spirituel des mitsvot
après avoir ouvert son cœur, son
esprit et son âme. Comme il ne
faisait pas les choses à moitié, il
s'est ensuite abandonné, en
grand spirituel - ce qui
n'implique évidemment ni
passivité ni " quiétisme ", si l'on
me passe un vovabulaire qui
n'est pas tout à fait adéquat pour
le judaïsme. Par ailleurs, autant
que je puisse formuler un
jugement en ce domaine, le
premier problème n'est pas tant
celui de l'athéisme que celui de
l'ignorance : dès lors que Benny
Lévy a accepté d'étudier, il a
accepté de se laisser saisir par
Dieu. Enfin, s' il s'est ouvert de
son jeûne à Jean-Paul Sartre,
c'est que ce dernier était encore
PHILOSOPHIE
Jean-Paul Sartre
son " maître " - à mon sens, son mauvais
maître, bien que les derniers entretiens
avec lui montrent qu'il ne faut jamais
désespérer. Après avoir rencontré le Rav
Moshé Shapira, Benny Lévy dira
significativement que, comparativement
à lui, Sartre est tout petit.
I.J : Pour vous, le moment de son Retour à
la tradition juive se passe le jour où il découvre
dans un petit livre consacré à la kabbale cette
formule : "Le monde a été créé avec les
lettres". Qu'est-ce qui le frappe dans cette
formule au point de révolutionner sa vie ?
R.S. : Il me semble que l'intellectuel
qu'était Benny Lévy, le khâgneux puis le
normalien, le disciple d'Althusser qui met
en fiche les Œuvres de Moscou de
Lénine, l'étudiant studieux qui apprend
des pages et des pages de vocabulaire
grec ne pouvait qu'être attiré ou interpellé
par cette phrase qui n'est pas sans
rappeler celle de Mallarmé sur le monde
fait pour aboutir à un beau livre. Je crois,
également, que tout est dans le Verbe,
que les juifs et les chrétiens le savent par
la Lettre ou par l'Esprit.
I.J : Installé en Israël, il va y fonder l'Institut
d'études lévinasiennes. Dans quel but ?
R.S. : Dans un bref et admirable
manifeste, Benny Lévy en trace le
programme : " Qu'est-ce que j'attends de
l'Institut
d'études
lévinassiennes ? Que ce
soit un institut de guerim
tochavim, un institut
d'étrangéisation
du
sekhel, de l'intellect !
Qu'est-ce que cela veut
dire, "étrangéisation de
l'intellect", aujourd'hui ?
Cela veut dire : lutte
impitoyable contre la
doxa, contre l'opinion. Il
y a une dictature
généralisée de l'opinion,
en particulier sous la
forme d'une vision
politique du monde ; il
faut et il suffit d'être
étranger à cela pour
appartenir à l'esprit
même de l'Institut
d'études lévinassiennes!
C'est tout. " Et c'est
admirable : Benny Lévy ose poser à
nouveaux - et à éternels - frais la question
de la vérité pour chacun et pour tous.
Autant dire que toutes les superstitions
contemporaines sur le progrès ou la
démocratie passent à la moulinette.
Benny Lévy fut trop idolâtre, dans sa
jeunesse, pour accepter de s'en laisser
compter par l' "opinion",
laquelle peut alternati-vement
défendre la dictature du
prolétariat ou la démocratie sur
un même mode "religieux". En
ceci et quoiqu'il s'en défende
parfois, il est resté platonicien.
Il considérait d'ailleurs avec
raison que Platon était, pour
l'Occident, le seul philosophe
par lequel nous sommes
potentiellement reliés à la
vérité. En ce qui me concerne,
je crois en effet avec Joseph de
Maistre que l'œuvre de Platon
est la préface humaine à
l'Evangile.
I.J : Qu'y a-t-il réellement de
commun entre sa pensée et celle
de Lévinas ?
R.S. : Il m'est difficile de
répondre à votre question faute
de connaître suffisamment bien
l'œuvre de Lévinas mais il me
semble que ce qui les sépare est plus
important que ce qui les réunit. Même
s'il ne renonce pas aux Grecs et au grec
dans son enseignement universitaire,
Benny Lévy tient qu'il est non seulement
possible mais nécessaire, pour un juif, de
penser avec la seule Jérusalem - mutatis
mutandis, comme Heidegger considérait
que seul le grec, dont l'allemand hérite,
constitue le seul site universel de la
pensée. Le "retour" de Benny Lévy, une
fois encore, se caractérise par sa radicalité
- mais il est vrai que Lévinas ne s'était
jamais autant éloigné que lui du Talmud
et de la Torah.
I.J : Selon vous, Israël doit rester avec
Abraham Hébreu : "Cela signifie, ajoutez-vous,
qu'il doit perpétuer l'étude s'il veut se sauver
et contribuer à sauver le monde". N'est-ce pas
le cas aujourd'hui ?
R.S. : Israël n'a jamais tenu que par
l'étude : qu'elle disparaisse et les juifs
disparaîtront. Léon Bloy disait que le
monde ne tient que par la prière de
quelques enfants. Je crois que les rabbins
assurent qu'il ne tient que par le souffle
de dix d'entre eux, penchés sur les Livres.
C'est également ce que je crois : l'envers
de l'histoire contemporaine, c'est ce que
nous appelons la communion des saints.
Emmanuel Levinas
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 27
HISTOIRE
" Les juifs du pape " :
C'était à Carpentras,
au XVIIIème siècle
UN ENTRETIEN AVEC SIMONE MREJEN-O'HANA
Mme Simone Mrejen O'hana a consacré une quinzaine d'années à reconstituer ce que fut l'histoire des juifs
à Carpentras au 18ème siècle. C'était une époque où Avignon, Cavaillon, L'Isle sur la Sorgue et Carpentras
appartenaient au Saint Siège. Elle vient de publier le résultat de ses recherches dans un livre en hébreu.
Elle répond ici aux questions d'Information juive.
I.J : Pendant quinze ans, vous avez mené
des recherches sur la communauté juive
de Carpentras au 18ème siècle. On croyait
tout savoir de l’histoire de ces “juifs du
Pape”. Vous semblez penser le contraire.
Simone Mrejen-O'hana : J’apporte
un complément non négligeable aux
travaux de mes prédécesseurs – celui
des sources inédites produites par la
communauté juive en elle-même.
Donc des documents de première
main, qui pour la plupart, ont la
particularité d’être rédigés en hébreu
avec des apports des langues locales
: le provençal et le français. La pièce
maîtresse en est le registre d’Elie
Crémieux de Carpentras : le Séfer
ha-yahas (Le Livre de la généalogie)
qui relate les éphémérides et les
événements importants de la
communauté juive de Carpentras
ainsi que tous les instants du cycle de
la vie : naissance, mariage et décès
(ces derniers sont consignés dans un
autre registre : hazkarat ha-nefashot,
La commémoration des âmes). J’ai
joints à ces sources des multitudes de
données de toutes sortes que j’ai
glanées dans les archives françaises,
américaines et israéliennes. Le Séfer
ha-yahas livre la conscience d’une
communauté juive de près d’un
millier de personnes vivant en
diaspora, selon leur propre expression
“bné gola” sur les rives de l’Ouvèze.
On a ici un prisme direct, celui des
protagonistes qui livrent leurs heurs
et malheurs. Cette banque de données
m’a permis de reconstituer la
28 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
communauté juive telle qu’elle a
existé, et ce à une époque charnière
de son histoire – celle du 18e siècle
tout en l’examinant sur la longue
durée historique.
I.J : Les quatre communautés dont il est
question (Carpentras, Cavaillon, Avignon
et l’Isle sur Sorgue) vivaient
à l’époque, écrivez-vous, comme
de véritables républiques. Qu’est-ce à
dire ?
S. M-O : Les juifs vivaient dans un
espace défini et clos appelé mesila,
“carrière”, une forme de ghetto
constituant la cité juive et ce autour
de la synagogue (l’Escole). Dans cet
espace assez restreint tout était très
agencé et hiérarchisé avec une
oligarchie tripartite (trois mains
réparties selon leur niveau de
richesse) qui assurait la gestion et la
il faut préciser que ces “petites
républiques” étaient assujetties au
pouvoir ecclésiastique ainsi qu’en
témoigne leur appellation : les juifs
du pape. A ce titre, elles devaient
s’acquitter de diverses taxes dont
celle du droit de famille : les juifs qui
souhaitaient fonder un foyer ne
pouvaient le faire sans l’autorisation
préalable des autorités ecclésiastiques…
I.J : Entretenaient-elles des relations
entre elles et avec d’autres communautés
juives ?
S. M-O : Il convient de préciser au
préalable le lien qui unit chaque
membre à sa communauté : celui-ci
“appartenait” corps et âme à sa
communauté, au terreau dans lequel
il est né. Ce droit du sol consiste à
circonscrire, inclure et exclure pour
Outre la fonction de registre d'état-civil, le Séfer
ha-yahas d'Elie Crémieux contient en effet
une multitude de renseignements.
survie du groupe tout en le
représentant auprès des instances
locales. Ces “petites républiques”
étaient dotées de dispositifs législatifs,
d’ordonnances
(taquanot)
qui
règlementaient leur quotidien. Elles
possédaient leurs propres tribunaux
et confréries qui prenaient en charge
tous les instants de la vie, l’instruction,
les indigents, les malades. Toutefois,
assurer la survie et la notoriété de la
communauté. C’est ce que j’ai appelé:
“le naître et en être”. C’est là
l’expression d’une forme identitaire
très forte qui apparaît dans le registre
dans lequel il est notifié l’origine de
chaque individu. Dès lors, il est très
intéressant d’observer les rapports
qu’entretenaient entre elles ces
“quatre saintes communautés” que
HISTOIRE
l’on présente comme un groupe
homogène. Avant tout, il n’existait pas
de fédération regroupant ces
communautés. Carpentras – la petite
Lyon,
Meyrargues,
Milhaud,
Monteux, Valabrègues, Roquemartine,
Lunel – des toponymes. On y trouve
également des Alphandéry, des Ispir
Ces gens ont acquis un savoir faire qui,
transmis de génération en génération,
préserve la mémoire collective.
Jérusalem – qui est la communauté la
plus importante privilégiait les
relations avec l’Isle sur la Sorgue qui
est géographiquement la plus proche
alors qu’à l’égard d’Avignon, les
rapports étaient bien plus distants et
même presque inexistants. Tandis
que nous percevons des liens avec
Nice qui abritent certaines familles
originaires du Comtat et qui leur
expédient les loulavim et les
’etroguim pour la fête des
Tabernacles ; avec Livourne qui
leur procure des éditions de rituels.
Enfin, les “quatre saintes
communautés juives du Pape”
entretenaient des contacts avec les
quatre saintes communautés de
Terre sainte (Jérusalem, Safed,
Tibériade et Hébron) auxquelles
elles se réfèrent.
I.J : Que sait-on des origines
historiques de ces communautés ?
S. M-O : La légende relate que
les juifs auraient été exilés après la
chute de Jérusalem et seraient des
descendants de la Maison de
David et de la tribu de Juda. Les
découvertes archéologiques, elles,
attestent de leur présence à Orgon
(près de Cavaillon) au premier
siècle de l’ère chrétienne. Il faut
néanmoins attendre le 13e siècle, date
à laquelle le Comtat Venaissin fut
acquis par le Saint-Siège (Avignon le
fut en 1348) pour disposer de données
plus étoffées. Dès lors, cette enclave
pontificale (réduite aux quatre
carrières en 1624) devint une terre de
refuge pour les juifs bannis du
royaume de France en 1394 et ceux
de Provence un siècle plus tard. Leur
onomastique témoigne de leur origine
: Beaucaire, Cavaillon, Carcassonne,
Crémieux, Delpuget, Digne, Lattes,
à côté de noms bibliques : Abram,
Cohen, Lévi, Mossé, Samuel.
I.J : Votre travail se concentre sur Séfer
ha-yahas d’Elie Crémieux. Il s’agit
essentiellement d’une sorte de registre de
qui s’y déroulent comme la venue et
réjouissances à l’égard des autorités
ou encore l’accueil des émissaires de
Terre sainte. D’autres relatent les
conditions de vie : tonnerre,
tremblement de terre et inondation ;
confiscation des livres en hébreu,
institution de jeûnes, baptêmes des
enfants juifs…
I.J : Crémieux y raconte entre autres
comment un de ses fils, Sem, lui a été
enlevé pour être baptisé. Etait-ce courant
à l’époque ?
S. M-O : Oui, c’était un réel
traumatisme pour les parents. C’est là
un des facteurs qui incita les parents
à quitter définitivement leur
communauté afin de protéger
leur progéniture.
Il faut dire que l’Eglise a joué
un rôle assez paradoxal : d’un
côté elle prônait l’interdiction de
baptiser les juifs par la force, d’un
autre elle le pratiquait. Le seul
fait qu’un chrétien, même un
enfant, aspergeait de quelques
gouttes d’eau un enfant juif
plongeait ce dernier dans la
chrétienté.
la vie de la communauté juive de
Carpentras entre 1736 et 1769. Mais on
n’y trouve pas que des informations
relevant de l’état civil.
S. M-O : Outre la fonction de
registre d’état civil, le Séfer ha-yahas
d’Elie Crémieux contient en effet une
multitude
de
renseignements.
Certains sont relatifs à l’agencement
de la communauté, tels l’élection des
administrateurs ; à la synagogue :
destruction, reconstruction, inauguration et dons, intronisation des
chantres, ainsi que toutes les festivités
Le cas de Sem, est assez
particulier puisqu’il fut enlevé en
1762 à sa famille par Aïn de
Cavaillon, une crapule en voie
de conversion qui faisait chanter
ses coreligionnaires juifs. En
dépit du statut spécifique du
kidnappeur, le pape refusa de
rendre cet enfant âgé de sept
ans. Sem devint Josephus
Vignoli, cardinal-évêque de
Foligno (Italie).
I.J : Vous notez que la rencontre avec
les émissaires venus de Terre Sainte a
contribué à transformer certaines traditions
religieuses.
S. M-O : En effet, parmi les
émissaires de Terre sainte venus
collecter des fonds, on distingue
l’éminent rabbin Abraham Guedalia
de Hébron qui fait autorité . Il
sermonne les fidèles qui perturbent
le déroulement des offices par leurs
bavardages et proclame à leur
encontre une exclusion de trente jours
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 29
HISTOIRE
en sus de la tsédaka. Il décrète de
formuler l’expression zakhour lé-tov
lorsqu’on évoquait le nom du
prophète Elie.
I.J : Comment expliquez-vous qu’on ait
pu, à l’époque, procéder à des mariages
religieux y compris le jour du samedi et
même à Kippour ?
S. M-O : Cela surprend ! Il faut
remettre l’histoire dans son contexte.
En fait la houppa se déroulait après
shabbat et après les fêtes mais le
cérémonial débutait soit le shabbat
soit les jours de fêtes avec la
Par ailleurs, les pères de famille
voyageaient pour leurs affaires, ils
étaient donc absents de la carrière et
n’y revenaient que pour les samedis
et les fêtes, période durant laquelle
les mariages étaient célébrés. Enfin,
sans doute, faudrait-il également
considérer l’influence des usages du
monde chrétien.
I.J : A l’époque, Carpentras abritait, selon
vous,
les
meilleurs
mohalim
(circonciseurs). Au point que l’on venait
de partout pour y faire circoncire son fils.
De plus, ce sont ces mohalim qui payaient
Synagogue de Carpentras
“olabatora” : la montée au Séfer Tora.
Les registres de la communauté
stipulaient ces jours là comme jour du
mariage.
Il faut préciser qu’à l’époque, le
mariage se déroulait en deux étapes:
les
’iroussin/quiddoushin
(les
fiançailles) et les nissou’in (le
mariage). La première phase avait
valeur halakhique de mariage. Elle
engageait, des jeunes, âgés de 12/13
ans, à une donation de corps jusqu’à
la confirmation des noces à une date
butoir avoisinant parfois plus d’une
décennie.
30 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
pour avoir l’honneur de procéder à ce rite
religieux.
S. M-O : Le nombre de mohalim,
des péritomistes m’a en effet
interpellé : 54 praticiens entre 1736
et 1792 dont près de 80 % sont
originaires de Carpentras. C’est en
quelque sorte une “ville de mohalim”.
Il faut dire que c’est là une noble
fonction qui incombait soit au père,
soit au grand-père mais également à
des dignitaires et à des érudits. Leur
renommée était telle que les gens
venaient
de
communautés
avoisinantes mais également de
Pologne, d’Allemagne, d’Amsterdam,
de Londres et de Lyon… Il existait une
confrérie des péritomistes qui
désignait par tirage au sort celui qui
devait circoncire les étrangers et il
était d’usage de gratifier de quelques
deniers le père du circoncis.
I.J : En vous lisant, on apprend
également que les fonctions de hazane,
de darchane (prédicateur) et même de
chamach (bedeau) étaient héréditaires.
Curieux, non ?
S. M-O : Les professions à l’époque
se transmettaient de père en fils. Ici,
il faut préciser qu’il s’agit du culte
divin. C’est donc un privilège
d’être affecté au service de Dieu.
En même temps, ces gens ont
acquis un savoir faire qui,
transmis de génération en
génération,
préserve la
mémoire collective.
I.J : Quand Carpentras commence
à perdre sa vitalité ce sont les
communautés juives d’Aix en
Provence et de Marseille qui se
développent.
S. M-O : Les juifs (en tous les
cas les nantis parmi eux)
profitent de l’édit de tolérance
pour émigrer vers Aix, Nîmes,
Marseille où ils étaient déjà bien
établis puisqu’ils s’y rendaient
pour leur commerce.
Des notoriétés rabbiniques
essaiment
dans
ces
communautés. Citons le rabbin
Mardochée Crémieux à Aix, le
rabbin Roquemartine à Marseille.
Les juifs de Carpentras ont émigré
un peu partout : on les trouve à Nice,
comme à Nîmes mais aussi au
Mexique, en Tunisie, en Palestine. On
les trouve également bien représentés
au Grand Sanhédrin constitué par
Napoléon.
Cependant
cette
dissémination amorcée annonce la
dislocation d’une communauté qui fut
le berceau du judaïsme français.
--Simone Mrejen-O’Hana ,Le Registre
d’Elie Crémieux : Éphémérides de la
communauté juive de Carpentras
(1736-1769).( en hébreu ) Jérusalem,
Institut Bialik, Université hébraïque de
Jérusalem, Institut Ben Zvi, 2009.
TOURISME
Eilat :
soleil et détente
PAR ESTHER HECHT
A
l’extrémité méridionale
d’Israël, où l’or des
sables rencontre les
eaux bleues de la Mer
Rouge, s’étend Eilat. Ici,
les visiteurs défont leur
chevelure pour s’adonner aux plaisirs
annuels de la mer et du soleil. A l’instar
des riverains, dont la majorité s’est
installée ici pour fuir les pressions
politiques, sécuritaires et urbaines, les
touristes de cette calme baie environnée
de montagnes granitiques peuvent ainsi
se mettre à l’écoute de leurs corps et de
la nature prodigue : des coraux aux
mille nuances et des poissons tropicaux
bariolés ; des oiseaux par millions
byzantine, la ville a été un foyer
important de commerce et de paix. Une
communauté juive y demeurait à
proximité jusqu’au milieu du Xe siècle.
Le site de l’ancien port a été localisé au
nord de celui d’Aqaba, en Jordanie.
passant par là, en vol migratoire pour
l’Afrique ; et tout près, plusieurs espèces
d’animaux sauvages qui parcouraient
aux temps bibliques déjà les régions du
Sud d’Israël. Sur la rive nord de la Mer
Rouge, au carrefour de l’Afrique, de
l’Asie et de l’Europe, Eilat a toujours été
d’une importance stratégique. Elle est
mentionnée à plusieurs reprises dans la
Bible sous le nom d’Elath, par laquelle
passèrent les Bné Israël pendant leur
errance dans le désert. De la
construction par Salomon en ces lieux
d’un port et d’une marine jusqu’à l’ère
installé en bord de mer en décembre
1949 s’est déplacé trois kilomètres au
nord pour devenir Kibboutz Eilot. Les
premières maisons d’Eilat ont été
construites en 1950. Cependant la ville
se développa à un rythme lent, le détroit
de Tiran étant fermé aux navires à
destination d’Israël. La campagne du
Sinaï a ouvert le détroit en 1956, et la
même année, la route de Beersheva, via
Mitzpe Ramon, a été inaugurée. Eilat a
obtenu le statut officiel de ville en 1959,
forte de seulement 3 500 habitants. Ces
derniers travaillaient au port, dans les
L’actuel Eilat se situe à cinq kilomètres
à l’Ouest d’Aqaba. Bien que le plan de
partage de 1947 de l’ONU ait compris
Eilat, l’endroit restait à conquérir. En
mars 1949, à la suite de l’opération
Ouvda – dernier combat de la Guerre
d’Indépendance- les Israéliens élevèrent
un drapeau de fortune, confectionné
d’un drap, sur lequel un Maguen David
avait été inscrit à l’encre. Un kibboutz
mines de cuivre de Timna ; ils
pêchaient, étaient industriels dans
l’électricité ou la construction, ou
faisaient affaire dans le tourisme. La
fermeture du détroit par l’Egypte en
1967 conduisit à la guerre des Six Jours,
après quoi la ville connut une véritable
floraison.
Le tourisme a longtemps été un
bastion pour l’économie de la ville ;
300 000 étrangers et deux millions
d’Israéliens y sont allés faire un tour en
2008. En 1970, on comptait 2000 lits
d’hôtel (en comparaison des 10 000 à
l’heure actuelle). Mais la guerre du
Kippour a fait subir un coup sévère à la
ville, ce qui eut pour conséquence la
fermeture des mines de cuivre. En 1975,
les vols charters en Europe faisant florès,
Eilat devient dorénavant une destination
du tourisme international. Dans les
années 80, la ville s’agrandit à 20 000
habitants. En 1985, elle se transforme
en zone de libre-échange : tout y est
duty-free. Après la signature du traité de
paix avec la Jordanie en 1994, la douane
d’Arava s’ouvre pour les touristes
souhaitant visiter les deux pays. Les
années 90 ont vu une large expansion
des zones résidentielles ainsi que des
hôtels. En 2002, une annexe de
l’Université Ben Gourion du Neguev y
a été créée.
Le premier rabbin, Moshe Hidaya,
s’est installé dans la ville en 1957. A ce
moment-là, se rappelle-t-il, il n’y avait
rien excepté le ciel, la mer, le sable doré,
les coraux, et 1 200 habitants. Il était
venu à Eilat pour un an et y est resté ,
créant une communauté de fidèles à la
synagogue de Pahad Yitzhak. Lior
Mucznik, lui, est arrivé en 1983, pour
passer une année à la plonge.
Aujourd’hui, il s’est trouvé propulsé
directeur général du Dan Panorama
Hôtel et déclare qu’Eilat est un endroit
formidable pour y élever des enfants.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 31
TOURISME
60.000 habitants
Aujourd’hui, Eilat compte plus de 60
000 habitants, mais la plupart sont des
nouveaux venus ; moins de la moitié y
a vécu depuis plus de cinq ans, et il
existe un renouvellement constant
d’anciens conscrits de l’armée. Parmi
les résidents, on dénombre 3000
immigrants de l’ex-URSS, 1000
étudiants de l’Université Ben Gourion
et 700 réfugiés soudanais. Par ailleurs,
chaque jour, entre 200 et 300 jordaniens
viennent de la ville voisine d’Aqaba pour
y travailler.
Requins, tortues, pastenagues, coraux
et poissons de toutes formes et couleurs
attendent les visiteurs à l’Observatoire
sous-marin de Marine Park, à Coral
Beach. Chaque strate du récif possède
sa propre faune et flore. Elles sont
exposées au sein des 40 aquariums de
l’observatoire. Dans une salle obscure,
on peut découvrir des poissonslanternes. Les visiteurs sont également
conviés à naviguer sur un bateau à cale
translucide, à voyager dans un sousmarin jaune ou à regarder un film dans
l’Oceanorium, assis sur des sièges qui
tanguent et rebondissent pour simuler
la navigation. Clou du séjour : la
Réserve Naturelle de Coral Beach,
adjacente aux attractions. On y trouve
poissons-papillons
et
poissonsperroquets parmi des centaines d’autres
espèces domiciliées dans le récif
corallien, le plus septentrional au
monde. On atteint l’eau par des ponts,
histoire de ne pas endommager le récif
parallèle à la rive. Des nageurs le
parcourent dans sa longueur et, s’ils font
attention, ils apercevront les vestiges
d’une cité engloutie…
Bien qu’Eilat ait longtemps été connue
pour son effervescente vie marine, le
Centre de recherche international sur
les oiseaux se révèle tout aussi
enthousiasmant. Un demi-million
d’oiseaux venus d’aussi loin que le nord
sibérien volent vers l’Afrique pour la
morte saison, mais ils doivent marquer
une halte pour faire des réserves en
nourriture avant de traverser le désert
au Sud de la ville, long de 3 300
kilomètres. Le Centre a graduellement
amendé les marais salants d’Eilat,
lesquels étaient devenus une décharge
32 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
publique. Aujourd’hui, ils sont le gardemanger choisi de ces oiseaux en danger.
Les atours naturels d’Eilat vont jusqu’à
être célébrés dans la plus grande
synagogue de la ville, Pahad Yitzhak.
Dans ce sanctuaire hexagonal de 350
places aux murs couleur d’azur, la bima
et l’Aron Kodech sont fastueusement
ornées, dans des teintes bleu-argent, de
vagues et de coquillages. Dans la galerie
des femmes, des pierres vertes et
turquoises, extraites de la région, sont
incrustées en creux des balustrades.
Légendes
Un autre passe-temps agréable, tout
particulièrement en soirée : déambuler
le long de la promenade nord et goûter
aux amusements et produits des divers
commerces et restaurants. Et tant est sec
l’air du désert, les visiteurs ne doivent
pas oublier de boire. Ils peuvent profiter
de le faire au Ice Space , un bar fantaisie
de forme arrondie, façonné de glace et
rempli de sculptures tout aussi glacées,
ours polaires ou pingouins. Ice Space
fournit des vêtements chauds, sert des
boissons dans des verres de gel et
possède un lounge extérieur pour, tout
de même, y retourner se chauffer un
peu.
Les mines du Roi Salomon sont
matière à légende. On dit qu’elles
devaient se situer à Timna, à 25km au
nord d’Eilat. La réalité est bien
différente. En revanche, ici se trouvèrent
les plus anciennes mines de cuivres au
monde.
Le Timna Park, large de plus de 6000
hectares, offre un film d’introduction sur
les mines. On peut y louer une voiture
pour aller visiter les formations minérales
sculptées par le vent, dont le
champignon, les arches et les Piliers de
Salomon. Les vestiges des mines et des
camps de mineurs, une reconstitution du
tabernacle portatif évoqué dans la Bible,
des circuits nocturnes, des activités
sportives telles que vélo en montagne,
descente en rappel et tir-à-l’arc, comptent
parmi les activités proposées. Beaucoup
des animaux qui occupaient le sud
d’Israël aux temps bibliques – ânes
sauvages, antilopes blanches et vautours
oricous- étaient déjà éteints ou en voie
d’extinction en 1968, époque à laquelle
la réserve de Hai-Bar Yotvata a été
installée en vue de réintroduire ces
animaux dans la région. Les visiteurs
peuvent faire un circuit sur les 12 km2
du site, au nord du Parc, pour y explorer
cette riche faune.
A moins d’une heure de vol ou de
quatre heures en voiture de Tel-Aviv, Eilat
constitue une attache reposante pour des
courts séjours à Petra, ou dans la
péninsule du Sinaï, au même titre que
des excursions en Israël. Les vols charters
en provenance de l’Europe atterrissent
au tout proche Uvda Airport. D’octobre
à avril, le climat y est doux. Eilat accueille
un festival de jazz extrêmement
populaire au mois d’août, un festival de
musique classique en février ainsi qu’un
festival de cinéma en mai. (Extrait de
Hadassah Magazine, février 2009, traduit
et adapté par Léa Philpott)
REPÈRES
Egypte :
Le mensonge
et l'humour
Le journal de Beyrouth Al
Mostaqbal, traduit et cité dans le
numéro du 5 novembre de
Courrier International consacre
une étude à ce qu'il appelle le
mensonge comme arme de
survie". Le journal écrit que "les
trois quarts des Egyptiens ont
l'impression que l'on ment de plus
en plus dans leur pays et 70 %
d'entre eux pensent que leurs
compatriotes agissent avec
duplicité ". Dans cet article, Noha
Atef rappelle que les Egyptiens
sont " le deuxième peuple le plus
pessimiste du monde, selon une
étude de l'université du Kansas
aux Etats-Unis mais cela n'a pas
entamé leur humour ".
Notre confrère termine ainsi son
étude : "Le mensonge est une
arme pour survivre dans un
monde où règnent la pauvreté, la
maladie, et la peur de l'avenir. Il
y a deux ans, l'université de
Hélouan (dans la banlieue du
Caire) avait publié une étude
montrant que 40 % des Egyptiens
étaient dépressifs. Là encore, les
Egyptiens n'ont pas cru ce qu'on
leur disait. Ils ont eu pour tout
commentaire : 40 % seulement ?
Une radio
francophone
israélienne
Oz Radio Yeroushalaim est la
première
radio
numérique
israélienne émettant en français
depuis Israë l. Dés sa création,
elle s’est imposée un objectif de
rigueur : professionnalisme et
qualité. Emettant de Jérusalem, elle
est le pôle de ralliement de toutes les
communautés juives dans le monde,
leur émetteur et récepteur. Le lien
indestructible qui les relie ! Elle
défend le judaïsme et Israël en
De l'usage d'Auschwitz
Auschwitz comme antidote à la récidive : sous ce titre l'hebdomadaire Courrier
International ( 3 décembre 2009 ) publie la traduction d'un article extrait du
journal de Varsovie Gazeta Wyborcza. On y apprend que des détenus
prochainement libérables sont conviés à visiter l'ancien camp de la mort et que
les autorités judiciaires espèrent ainsi susciter chez eux une réflexion sur le mal.
Selon les organisateurs, ces visites sont en effet de nature à faciliter la réinsertion
des prisonniers après leur libération.
Le directeur d'une prison déclare : " Nous offrons à nos détenus la possibilité de
découvrir l'histoire tragique d'Auschwitz. Nous espérons provoquer chez eux
une réflexion sur les conséquences d'une idéologie criminelle et sur ce que peut
devenir l'existence quand des hommes font tant de mal à d'autres ".
Un prisonnier de 42 ans déclare au journal polonais : "Avant d'aller en prison,
j'étais directeur d'une piscine ; j'ai beaucoup travaillé avec des jeunes. Je crois
qu'ils devraient tous visiter Auschwitz. J'espère que ce programme de réinsertion
me permettra d'être un homme meilleur une fois que j'aurai retrouvé ma liberté".
Réaction d'un responsable du centre pédagogique international sur Auschwitz:
" Nous sommes curieux des résultats de ce travail effectué avec les prisonniers".
particulier face à toutes les
désinformations. Elle permet ainsi
un contact direct avec la réalité de
la vie israélienne tant sur le plan
culturel, cultuel, social, économique
et politique.
Oz Radio Yeroushalaim est un lieu
de rencontres ouvert sur un monde
qui aime Israël et s’y intéresse.
Oz Radio Yeroushalaim permet un
accès direct à un portail regroupant
l’info, la musique, l’économie, le
divertissement, le sport et la culture
en Israël en français. Trois grands
journaux d’information sont proposés
ainsi que des flash toutes les heures.
Oz Radio Yeroushalaim privilégie la
différence en offrant un panel
d’émissions tant sur le plan politique,
religieux, culturel et économique
animées par des journalistes connus.
Sa vocation est de développer
simultanément tous ces secteurs et
elle a pour règles ; la rigueur, le
pluralisme et l’ouverture.
Oz Radio Yeroushalaim est une radio
à la pointe des nouvelles
technologies : numérique en haute
définition, elle offre une qualité
d’écoute supérieure à celle d’une
radio “traditionnelle”. Elle émet sur
internet, mais peut être écoutée
également à partir des téléphones
mobiles dotés d’une connexion
internet, en France sur FreeBox et
Numéricâble, sur boîtier radio Wifi
et prochainement sur les auto radio
Wifi.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 33
DIASPORAS
Tolède,
l'inoubliable
PAR ODETTE LANG
T
olède, la ville des trois
cultures et des trois
religions, l'un des lieux les
plus
prestigieux
de
l'Espagne juive d'autre-fois
est "un luxe que possède
l'Espagne" comme l'écrivait autrefois
Julio Caro Baroja. De la terrasse du
Parador de Tourisme, la vue sur la ville
bordée par le Tage est exceptionnelle,
inoubliable. Au centre de la cité s'élève
la cathédrale - la seconde plus vaste
d'Espagne après Séville - fondée dès le
6ème siècle et reconstruite en 1226 dans
son état actuel. A l'ouest se trouvait
l'ancien quartier juif formé de la Juderia
Menor (le petit quartier juif) et de la
Juderia Mayor (le grand quartier juif).
A l'époque de sa splendeur, Tolède était
un exemple reconnu de cohabitation
pacifique et de développement
culturel et social entre les trois
communautés monothéistes:
juive - chrétienne - musulmane.
Elle servit de cadre à l'écrivain
Noah Gordon pour son livre "Le
dernier juif" traitant de
l'expulsion de 1492.
En cette belle journée
d'automne ensoleillée le groupe
de la Jeunesse juive d'Europe,
pénétrons dans l'enceinte de la
ville par le pont de San Martin
qui enjambe le Tage puis
entrons dans l'ancien quartier
juif par la porte Cambron qui
menait à la Medinat al Yahud à l'époque
de l'arrivée des musulmans. Devant
nous, des petites ruelles en pente,
certaines très étroites, des maisons aux
pierres anciennes reflétant encore un
peu de la sagesse d'autrefois, des noms
retenus "Traversia de la Juderia"
"Traversia del Judio" "Calle de Samuel
Levi". Au 15 de la Calle del Angel se
trouve la Casa de Jacob, librairie et
centre d'information juive. Nous y
sommes reçus par la très courageuse
Maria-Thérésa. A l'intérieur, sa vaste
librairie regorge d'ouvrages en toutes
langues. Au mur du fond un grand
34 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
écran projette des vidéos sur l'histoire
de la ville. Les affaires ne sont pas
faciles, nous confie-t-elle, mais je
m'accroche de toute mon âme à ce
travail. Au 4 de la Traversia de la
Juderia, des ouvriers rénovent une
ancienne habitation dont le sous-sol
regorge de traces juives. Tout près, la
Maison-Musée du Gréco, ancienne
habitation de Samuel Ha-Levi qui fut
ministre des finances de Pierre 1er de
Castille au 14ème siècle et dont une
statue orne une des places du quartier,
est elle aussi en restauration.
Des onze synagogues que comptait
la ville seules deux, transformées en
musées, ont survécu à l'Inquisition. Au
4 de la Calle Reyes Catolicos, la
synagogue Santa Maria la Blanca, très
sobre à l'extérieur, est une merveille
d'harmonie et de beauté à l'intérieur
composé de cinq nefs blanches séparées
par des arcs en fer à cheval avec des
chapiteaux ornés de pommes de pin.
Fondée en 1180, partiellement
reconstruite au 13ème siècle suite à un
incendie, transformée en église, elle
passa aux Chevaliers de l'ordre de
Calatrava et elle est aujourd'hui un
musée déclaré Monument national. La
seconde, la Sinagoga Transito qui a été
construite début de la seconde moitié
du 14ème siècle sous Pierre 1er de
Castille, est composée d'une seule et
large nef. Sa décoration intérieure est
splendide avec ses panneaux et ses
frises en plâtre sculpté. Le plafond est
en bois de mélèze incrusté d'ivoire, avec
en bandeaux des inscriptions en hébreu
et en arabe. Les fenêtres sont taillées
dans une seule dalle de pierre sculptée.
De la Galerie des femmes la vue
plongeante est magnifique. Après 1492
les Rois catholiques l'attribuèrent aux
Chevaliers de l'ordre d'Alcantara qui la
transformèrent en une église dédiée à
St-Benedict. Au 17ème siècle elle est
connue sous le nom de " Transito " suite
à une peinture placée sur l'autel
dépeignant l'Assomption de la Vierge.
Au 19ème siècle le bâtiment est utilisé
comme baraquement militaire durant
les guerres napoléoniennes et fortement
détérioré. Le 1er mai 1877 elle est
déclarée Monument national
et sa restauration débute. En
1964 sera créé le Museo
Sefardi, inauguré en 1971. Les
collections du musée retracent
l'historique des juifs d'Espagne,
de leur arrivée à l'époque
romaine jusqu'à l'expulsion.
Dans le patio ont été
regroupées
d'émouvantes
pierres tombales.
Tolède
s'enorgueillit
également de sa célèbre Ecole
des traducteurs fondée au
12ème siècle, et toujours en
activité Place Ste-Isabel,
spécialisée de nos jours dans les
traductions arabe et hébreu vers
l'espagnol.
En 711 cette ville tombe aux mains
des musulmans - le 25 mai 1085
Alphonse VI de Castille la reprend Entre le 12ème et le 16ème elle est
capitale en Castille - En 1561 sa capitale
est transférée à Madrid par Philippe II
- mais en 2009, toujours présente,
toujours belle, elle continue de
transmettre avec art et science son passé
et son héritage des trois cultures aux
visiteurs éblouis qui la parcourent.
LIVRES
On peut enseigner
le bien et le mal
U
ne des questions
majeures que pose la
Shoah est celle de son
caractère unique :
peut-on la comparer à
d'autres massacres de
masse ? Et les comportements individuels et collectifs des Allemands et des
témoins plus ou moins indifférents peuvent-ils s'expliquer à la lumière d'autres
comportements agressifs et lâches ou au contraire- compassionnels et altruistes ?
David R.Blumenthal, un universitaire
américain, spécialiste de la théologie
juive, répond à ces questions en les
situant dans un cadre général que
résume le titre de son livre : La banalité
du Bien et du Mal (1).
L'auteur se livre à une vaste enquête
sociologique, psychologique, morale,
faisant largement appel à la Bible
hébraïque, au Talmud et à la littérature
rabbinique, autant qu'aux écrits contemporains des théoriciens de la science
sociale, des hommes politiques et à la
littérature sur la Shoah.
Les sources du Mal sont infiniment
variées. Notamment l'obéissance à la
hiérarchie ; le recours au bouc émissaire, qui permet à l'individu de croire
que ses problèmes peuvent être maîtrisés en éludant sa propre responsabilité
; l'éducation autoritaire, dont Hitler avait
ainsi résumé la finalité par cette tirade:
L'auteur part d'un constat a-priori
paradoxal : les malfaiteurs nazis se justifient, et ceux qui ont aidé leurs victimes s'expliquent " presque de la même
manière. 'Je n'ai fait que ce que l'on m'a
demandé, je n'ai fait que mon devoir' ".
En effet, on avait appris aux uns à haïr
et à assassiner, aux autres, à compatir
et à aider. Et le succès de l'apprentissage auquel ils ont été soumis est dû au
fait que le penchant au Bien comme le
penchant au Mal, le Yetzer ha-tov et le
yetzer ha-rah de la civilisation juive,
coexistent en l'homme.
Blumenthal explore donc les deux
potentialités, afin " d'identifier les facteurs psychologiques et historiques qui
facilitent la pratique du bien et celle du
mal " et de recommander " des attitudes
pro-sociales, de conseiller des procédés
" qui y conduisent.
Notre époque en a évidemment un
grand besoin, car ce sont " les gens ordinaires (qui) font le bien ou le mal",
comme l'avait déjà constaté Hannah
Arendt dans son magistral Eichmann à
Jérusalem.
" Je veux une jeunesse brutale, vaillante
et cruelle (qui) ne cède (ni) à la faiblesse
ni à la douceur. La lumière de l'animal
de proie doit à nouveau briller dans ses
yeux " ; la progressivité dans la pratique du mal, commençant par des actes
minimes et aboutissant à des actes de
plus en plus sérieux, et s'emparant peu
à peu de tout l'espace public, " des écoles, des syndicats, des universités, de la
médecine, du monde juridique, des
affaires, des églises ", etc. et surtout, facteurs universels de l'abdication de
l'homme, sa nature portée à la passivité.
Dans l'autre sens, les sources du Bien,
des attitudes pro-sociales sont infiniment vastes aussi. Sans doute l'auteur
étend-il très loin - trop loin ?- le champ
de ces comportements altruistes,
puisqu'il y inclut le don du sang, " être
volontaire dans des organisations caritatives, rendre visite aux malades, aider
les pauvres et les personnes âgées, soigner les animaux, procurer un gîte aux
sans-abri, l'objection de conscience " et
d'autres encore. Et même, et nous dirons
franchement notre désaccord, " faire
partie du mouvement pour la paix et
pour les droits civiques ", étant donné
la perversion de ces nobles visées dans
le cadre des menées anti-israéliennes.
Ceci-dit, le bien virtuel en nous est
actualisé par une pédagogie (dans la
tradition juive, la Rorah est le remède
au yetzer ha-rah) et Blumenthal s'étend
abondamment sur les injonctions bibliques et rabbiniques qui organisent les
actes de sollicitude et de bonté. Il
recourt aux histoires édifiantes, notamment celles du hassidisme. Qui ne
connaît ce rebbè qui disparaissait la nuit
pour monter " plus haut que le ciel", se
rendant dans la maison d'une paysanne
invalide pour lui couper du bois et allumer un feu pour elle " ? Il cite le code
éthique de Tsahal, qui enjoint " d'accomplir uniquement les ordres légaux et de
désavouer de manière manifeste les
ordres illégaux " et la " pureté des armes
" qui consiste à " limiter l'usage de la
force de sorte à ne pas porter inutilement atteinte à la vie humaine, à la
dignité et à la propriété".
L'érudition de Blumenthal est si vaste
qu'aucun détail de la Bible et de la tradition juive n'est négligé par lui.
Cependant, cette érudition qui pourrait lasser le lecteur est à chaque pas et
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 35
LIVRES
opportunément interrompue et éclairée
par une série de " contre-textes ", minifragments de la chronique de la Shoah,
montrant qu'il ne s'agit ni de philosophie
ni de théorie, mais de l'histoire toute
récente et d'actualité.
Par exemple, le cas typique de ces
habitants de Dachau qui, aujourd'hui
encore, plaident que " nous ne savions
pas ce qui se passait réellement là-bas".
Ou celui des " milliers de prisonniers de
Gunskirchen, où il n'y avait que vingt
latrines. Les SS tiraient à vue sur quiconque était surpris à se soulager ailleurs. Leurs corps restaient là dans leurs
excréments ".
Ou le cas de ce soldat américain,
parmi les libérateurs des camps qui donnaient aux squelettes ambulants de la
nourriture et des cigarettes : " C'était
étrange de les voir manger les cigarettes au lieu de les fumer. Ils n'en ont pas
fumé une seule. Elles furent toutes avalées avec avidité ". Ou encore, le cas de
cette dizaine de SS qui gardaient des
milliers de Juifs dans le ghetto. Comment faisaient-ils ? " Ils ouvraient le feu,
tuant quelques personnes et disaient :
'Le premier qui bouge, je lui fais exploser la tête'. Croyez-vous que vous auriez
osé bouger ? "
Ou encore ce récit de l'odyssée d'un
train de la mort. Du gel s'était formé au
coin de la voiture. Un homme a
demandé " qu'on le soulève afin d'en
mordre un morceau. Lorsqu'il descendit
il n'avait plus de lèvres. A ce momentlà, nous sommes arrivés à Buchenwald
; c'était au bout de huit jours environ et
nous n'étions plus que huit, sur plus
d'une centaine, à être encore en vie ".
Ou encore la cruauté de ce SS qui liait
les jambes des femmes en couches, afin
qu'elles meurent, avec leur enfant, dans
d'atroces souffrances.
Avec ces brèves évocations de la vie
quotidienne dans l'univers-enfer nazi,
Blumenthal nous rappelle que les puissants éclairages apportés par lui pour
fouiller les mystères de l'hitlérisme ne
l'ont pas élucidé. Préalablement, il ne le
sera jamais.
Paul Giniewski
-David R.Blumenthal, La banalité du
Bien et du Mal, traduit par Alain Blum,
Les éditions de Cerf, 2009, 454 p, 43€.
The Banality of Good and Evil, Georgetown University Press, 2007.
Un livre-cri d'alarme :
Pour que vivent Israël et la civilisation
Magdi Allam, citoyen italien,
collaborateur éminent du Corriere della
Sera, est un condamné à mort en sursis.
Qu'a-t-il fait pour mériter le châtiment
suprême ? Arabe d'origine égyptienne
et musulman, il a commis des crimes
abominables. Il s'est converti au
catholicisme. Il a été baptisé par Benoît
XVI en personne en la basilique de
Saint-Pierre de Rome. Et il dénonce les
" nazis islamistes " et soutient le droit
d'Israël à l'existence.
Aussi Magdi Allam a-t-il été visé par
d'innombrables fatwas, ces décrets
homicides, " en tant qu'apostat, ennemi
de l'Islam, espion d'Israël, vendu à
l'Amérique et j'en passe ", par le Hamas,
l'Iran de Khomeyni et de Khamenei, la
Libye de Khadafi. Ces donneurs de
leçons, ces distributeurs de la peine
capitale rêvent d'imposer au monde
civilisé le régime de la perfection
suprême et en donnent l'exemple en
lapidant des femmes et en massacrant
des innocents par milliers dans les
autobus et les supermarchés. Magdi
Allam, comme le fut Zalman Rushdie et
le sont d'autres encore à travers le
monde, vit traqué, veillé nuit et jour par
des gardes du corps.
Comment en est-il arrivé là ? Il relate
son histoire et son parcours intellectuel
et politique dans un livre paru en Italie
36 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
et récemment en France : Pour que vive
Israël (1).
La haine de l'Etat juif :
un prétexte
Au départ, comme presque tous les
égyptiens, Allam a vécu intoxiqué par
la propagande des extrémistes, " le culte
du mensonge, de la dictature, de la
haine, de la violence et de l'idéologie de
la mort ". Il croyait à la criminalité
d'Israël, ce " cancer causé par le
colonialisme occidental " qu'il " fallait
extirper et détruire par la force des
armes, jusqu'à la restitution du dernier
pouce de territoire arabe occupé ".
Etudiant en philosophie à l'université de
la Sapienza, il a défilé dans les rues de
Rome la keffia noire et blanche nouée
autour du cou, criant " Palestine libre !",
" Vive la résistance palestinienne ! ",
"Vive Lénine ! ", "Vive Mao Tsé Toung !".
Pour lui, comme pour une grande partie
des Italiens, les Palestiniens avaient
systématiquement raison et les Israéliens
toujours tort. Il croyait que " si l'Etat
hébreu devait enfin être rayé de la carte,
cela aurait été un grand jour, le triomphe
de la justice et l'avènement d'une paix
définitive au Moyen-Orient et dans le
monde ".
Ses positions étaient donc, d'abord,
conformes à celles des ennemis d'Israël,
mais peu à peu il a réalisé que le conflit
israélo-arabe s'insère dans un contexte
plus large : il s'agit d'un aspect, d'un front
du conflit, de deux conceptions du
monde et de la vie. Son évolution n'était
donc pas le fruit d'un penchant larvé
pour Israël, mais la prise de conscience
de ce qu'étaient et voulaient en vérité
ses ennemis.
Correspondant de presse en Israël
pendant la "deuxième intifada", il
découvre les dérives et les outrances de
la "campagne forcenée d'endoctrinement
des enfants à la violence et à la haine
menée au nom de l'Islam" qui amalgame
Israël et les juifs : " l'assassinat des
enfants fait partie de la foi juive ".
Il s'est aperçu que le pan-arabisme
avait détruit l'Egypte, en masquant les
diversités culturelles, ethniques,
historiques du monde arabe, avait
engendré la débâcle des économies et
la paupérisation générale, pour
déboucher sur la dictature de la pensée
unique, de la violence et de la mort.
Aujourd'hui, la croisade contre Israël est
le prétexte qui sert aux dictatures arabes
de justification à leur existence et à "
escamoter la tyrannie et le sousdéveloppement intérieur ". Ainsi, les
diverses formes d'extrémisme et
d'intégrisme dans le monde arabe
étaient les ennemis des peuples arabes,
LIVRES
englobant tout dans leur djihad : les
hétérodoxes, les ennemis intérieurs et
extérieurs présumés, mes apostats, les
chrétiens, les juifs, tous ceux qu'à des
titres divers on considère et on
stigmatiser comme " infidèles ", tous
ceux qui " flottent dans l'erreur ". Seuls
les djihadistes sont détenteurs de la
vérité.
Les dangereux modérés
et complices
Ce qui a dessillé les yeux de Magdi
Allam, c'est l'incitation directe à
l'assassinat indiscriminé d'innocents par
les plus hautes autorités islamiques, la
perversion de sa propre culture d'origine.
Par exemple la fatwa su mufti d'Egypte
en 2002, appelant à la " multiplication
d'actes suicidaires qui répandent la
terreur dans le cœur des ennemis
d'Allah. Les pays, les gouvernements et
les souverains islamiques se doivent de
soutenir ces attentats de martyrs ". Ou
encore, la légitimation de la destruction
des fœtus des mères israéliennes par un
membre du Conseil européen de la
fatwa, "parce que quand ils naîtront et
grandiront, ils deviendront des soldats
dans l'armée israélienne ".
Plus dangereuse que ces incitations
directes sont les approbations déguisées
et hypocrites de l'inadmissible par des
modérés. L'un des plus représentatifs est
leur porte-parole en Europe, invité dans
les symposiums et dont un membre d'un
gouvernement européen a fait son
conseiller. Oui, les actes de terrorisme
sont " condamnables en soi ". Mais ils
sont explicables : les Palestiniens sont
dans une situation où ils se disent : "
Nous n'avons pas d'armes, nous n'avons
rien et donc nous ne pouvons que faire
cela. " Ou encore, ce " modéré " ne
demande pas la destruction d'Israël.
Mais deux Etats sur la base des
frontières de 1967 n'est qu'une étape :
le but, c'est un Etat commun. Autrement
dit, le remplacement de l'Etat juif par un
Etat à majorité arabe.
Et superlativement dangereuse est la
connivence plus ou moins inconsciente
d'une partie de la population d'Israël
avec ceux qui veulent le détruire. En
témoigne ce titre du Haaretz sur le
tournant historique qu'aurait été la
déclaration d'un dirigeant du Hamas : "
un retour aux frontières de 1967 mènera
à la paix ". Mais le chef terroriste avait
tenu un tout autre langage : " Si Israël
se retire sur les frontières de 1967, nous
respecterons un cessez-le-feu pendant
de nombreuses années ".
est devenu l'élément discriminant entre
l'idéologie de la mort et la culture de la
vie, entre la civilisation et la barbarie,
entre le Bien et le Mal ". Et qu' " il est
En fin de compte, de quoi témoigne le livre de
Magdi Allam ? Il existe au cœur du “monde arabe”
ou du “monde de l'Islam”, des lucidités, des
révoltes contre l'extrémisme nivelateur.
Car pour les terroristes, la " paix "
qu'on fait miroiter aux yeux d'Israël et
de l'univers abusé est le contraire de la
paix : une simple trêve permettant de
restaurer ses propres forces pour achever
l'ennemi dans un deuxième temps.
L'intérêt de ces analyses s'applique au
conflit israélo-arabe et vis-à-vis de
l'islamisme et du monde.
On assiste, en effet, au niveau
international, à la focalisation de tous
les anti-quelque chose "(anti-Amérique,
certains secteurs du christianisme, de la
droite et de la gauche) contre le boucémissaire traditionnel, le juif et par
conséquent l'Etat juif, pour tisser
ensemble la toile de fond sur laquelle se
meut l'extrémisme islamiste. Même une
minorité influente de Juifs occidentaux
se joint à ce concert, obtenant par là une
" attestation de 'bons Juifs' intégrés et
acceptables ". ainsi, " l'Occident
ressemble de plus en plus à celui qui
nourrit le crocodile afin de sauver sa
propre peau, insensible au fait que
l'animal continue à dévorer des victimes
innocentes et qu'immanquablement son
tour viendra, sinon le sien, certainement
celui de ses enfants et de ses petitsenfants. Ce crocodile est le mouvement
islamiste ".
Peut-être le titre
du livre de Magdi
Allam est-il mal
choisi. Il semble
suggérer qu'il a
pour but unique la
défense d'Israël.
Or Magdi Allam
a compris et veut
nous montrer "que
pour sauvegarder le
droit à la vie de tous
les hommes, il faut
spécialement
préserver l'existence
d'Israël", qu' " ignorer le droit à
l'existence d'Israël
temps que les nations civilisées
considèrent comme un crime contre
l'humanité la négation du droit à
l'existence d'Israël et la condamnation
des Juifs comme mécréants et ennemis
de Dieu ".
Il eût donc fallu, correctement,
intituler le livre : " Pour que vive la
civilisation ".
En fin de compte, de quoi témoigne
le livre de Magdi Allam ? Il existe au
cœur du " monde arabe " ou du " monde
de l'Islam ", des lucidités, des révoltes
contre l'extrémisme nivelateur. Certes,
de
faible
envergure,
isolées,
insuffisamment connues et reconnues,
donc mal appuyées dans le monde
libre, qui devrait amplifier et propager
leur appel.
Elles sont l'espoir.
Paul Giniewski
--(1) Magdi Allam, Viva Israele,
Dall'ideologia della morte alla civiltà
della vita : la mia storia, Arnoldo
Mondadori
(2) Editore, 2007. Pour que vive Israël,
Edit. du Rocher, 2008
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 37
EN BREF
Le Source de Vie est une des
émissions les plus anciennes de la
télévision française. Elle est dirigée
et animée avec l’exceptionnel talent
qu’on lui connaît par le rabbin Josy
Eisenberg, par ailleurs éditorialiste
d’Information juive. En près d’un
demi-siècle, Eisenberg a reçu les
penseurs les plus éminents, les
écrivains les plus connus et les
personnalités les plus représentatives
du judaïsme français et international.
OOO
On sait que les éditions Albin
Michel ont entrepris de faire d’un
certain nombre de ces émissions des
livres.
conflictuelle entretenue par la
fréquence des éruptions de violence
qui frappent régulièrement cet
espace qui ne laisse personne
indifférent”.
Le livre est divisé en cinq parties :
Avant Israël, portraits de groupes,
figures, médias et envois.
Parmi les contributeurs on trouve
notamment les noms d’Alain
Finkielkraut, Eric Marty, Pierre
Birnbaum, Monique Jutrin, Antoine
Compagnon, David Lazar…(Editions
de l’Eclat. 22 euros )
Le recueil qui paraît au début
janvier réunit les entretiens que Josy
a eus avec un certain nombre
d’écrivains parmi lesquels des
“monstres sacrés” tels que Jean
d’Ormesson, Claude Lanzmann,
Albert Cohen , Marcel Pagnol, Jean
Blot, Jacques Attali, Robert Badinter
ou Claude Hagège.
Dans la brève introduction qu’il a
donnée à ce recueil, Gilles Werndofer
écrit notamment : “Dans ces
quelques pages, c’est ainsi près d’un
demi-siècle de lettres françaises qui
revit, nous montrant combien la
littérature transcende les barrières
culturelles pour unir
tous les
amoureux du Beau et du Bien”.
OOO Les intellectuels français et
Israël. Sous ce titre les Editions de
l’Eclat
publient
dans
leur
Bibliothèque des fondations, les actes
de deux colloques qui se sont tenus
à l’université de Tel Aviv en 2007 et
2008.
Le livre est dirigé par Denis
Charbit qui écrit dans
sa
présentation : “Longtemps, la
“question juive” a été un thème
important de la réflexion et de la
passion intellectuelle…Mais c’est
bien entendu le conflit israélo-arabe
qui a transformé la curiosité en
controverse et fait de cette question
israélienne un enjeu intellectuel
franco-français, sinon une passion
38 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
OOO Voici, traduit de l’allemand par
Claudine Layre, ce que l’on a appelé
“le rapport Scurla”. Retrouvé par
l’historien Klaus-Detlev Grothusen,
ce rapport constitue l’unique
témoignage sur le travail mené en
Turquie par un certain nombre
d’universitaires juifs qui ont été
accueillis par la Turquie.
Ce rapport est publié pour la
première fois en français, sous le titre
“Exil sous le croissant et l’étoile”.
L’avant propos de ce livre insiste
sur le fait que l’opinion publique doit
continuer à avoir accès au
“document historique probablement
le plus important concernant cette
phase tout à fait mémorable des
échanges scientifiques et culturels
germano-turcs, à savoir l’exil
d’artistes et de scientifiques
allemands en Turquie pendant le
nazisme”.
OOO L’excellente revue Politique
Internationale que dirige notre ami
Patrick Wajsman publie dans sa
livraison de l’automne 2009, une
longue interview – recueillie par
Alexandre Del Valle – de Magdi
Cristiano Allam, l’auteur de “Pour
que vive Israël” (lire par ailleurs
l’article de Paul Giniewski ).
Voici de brefs extraits des
déclarations de cet ancien dirigeant
du Corriere della Sera, aujourd’hui
député européen. On sait qu’il a
abandonné l’islam pour se convertir
au catholicisme. “La reconnaissance
du droit d’Israël à l’existence est, à
mes yeux, le fondement éthique
d’une politique qui défend le droit
à la vie de toute personne…Le
terrorisme qui prenait initialement
pour cible le seul Etat d’Israël, s’est
progressivement étendu à tous les
juifs, puis aux chrétiens, après la
défaite arabe de la guerre de
1967….Aujourd’hui, le peuple juif est
la seule nation au monde dont le
droit d’existence même est remis en
question. Israël est le seul Etat dont
des pays membres de l’ONU
déclarent vouloir la destruction, sans
que l’ONU ne réagisse…La haine à
l’égard d’Israël et des juifs est
enseignée aux enfants dans les
écoles et omniprésente dans les
médias de nombreux pays arabes….
J’apprécie le courage et le
dynamisme de M. Sarkozy et
j’applaudis certaines de ses
déclarations en matière de politique
intérieure – comme par exemple son
opposition à la burqa(..) mais j’avoue
ne pas l’avoir approuvé lorsqu’il a
contribué à réintroduire la Libye dans
le jeu international en recevant
Kadhafi en grande pompe à Paris”.
(Politique Internationale. 11 rue du
Bois de Boulogne. 75116 Paris)
CINEMA
Le récit captivant
d'un grand patron capturé
A
u moyen d'un scénario au
scalpel et d'un titre
tranchant, le cinéaste et
acteur belge Lucas
Belvaux a entendu
s'inspirer librement de
l'enlèvement du Baron Edouard-Jean
Empain, qui fut enlevé pour mémoire le
23 janvier 1978 à la sortie de son domicile
parisien, avenue Foch, et fut détenu
pendant plus de 2 mois par un
commando de ravisseurs qui demandait
une rançon exorbitante de 80 millions de
francs, avant d'être finalement relâché et
de les voir condamnés à 15 et 20 ans de
réclusion criminelle.
Transposée en 2009 - ce qui permet à
Belvaux d'éviter une fastidieuse
reconstitution et de s'adonner pleinement
à son talent de chroniqueur de notre
société contemporaine, cette histoire est
ici traitée sous la forme d'un polar social
et constitue à l'évidence une brillante suite
de son précédent film, La raison du plus
faible (sorti en 2006).
En outre, si le film s'ancre totalement
dans le présent en s'affranchissant de
certaines
données
historiques
(concernant certains détails relatifs à
l'aspect physique des protagonistes de
l'époque ou encore aux conditions
dantesques dans lesquelles l'arrestation
des ravisseurs a eu lieu) Lucas Belvaux
reste fidèle à la chronologie des faits et
restitue avec une indéniable force la
détermination et le sadisme des
ravisseurs, qui n'hésitent pas (comme ce
fut le cas dans la réalité) à couper un doigt
à leur otage afin de pousser la famille et
l'entreprise de celui-ci à régler la rançon
qu'ils réclament.
Rappelons donc que le baron Empain
était alors Président du Groupe EmpainSchneider, un fleuron de l'industrie
française qui comptait 130.000 salariés,
et que son enlèvement se doubla à
l'époque d'un véritable scandale puisque
celui que tout le monde appelait "
Président " avait une personnalité peu ou
pas compatible avec le profil que l'on se
faisait de l'otage modèle, menant une
double vie entre son rôle de bon père de
famille et ses multiples maîtresses, sans
PAR ELIE KORCHIA
parler des somme astronomiques qu'il
pouvait perdre au poker ou dans certains
casinos.
Manifestement passionné par cette
histoire et tout ce qu'elle contient, Lucas
Belvaux s'attarde avec intelligence sur les
conditions de détention du prisonnier,
dans la première partie du film, avant de
s'attacher à dépeindre les conséquences
et les dégâts de cet enlèvement sur sa
famille et son entreprise, au travers d'une
métaphore implacable sur le pouvoir
démesuré et déstabilisant de l'argent, qui
fait rapidement de Stanislas Graff un
accusé et non plus une victime.
Ainsi, après avoir évoqué avec brio une
sorte de guerre sociale dans La raison du
plus faible, celle d'un groupe ouvrier
écrasé par un contexte économique
difficile qui décide de monter un hold-up
afin de prendre l'argent dont ils ont
cruellement besoin dans les caisses de
leur parton, Belvaux s'attaque cette foisci à son thème de prédilection sous un
autre prisme, celui de la raison du plus
fort, c'est-à-dire celle des voyous
professionnels, des actionnaires tout
puissants et autres médias racoleurs.
Et nous conte l'histoire d'un Puissant
qui se retrouve humilié, torturé et rabaissé
alors même qu'il est bien loin d'imaginer,
du fond de sa geôle, qu'il est victime d'un
autre déclassement à l'extérieur de son
lieu de captivité, puisque sa vie privée
est jetée en pâture et que l'enchainement
spectaculaire des révélations sur son
intimité fera qu'il ne pourra plus jamais
être le même, une fois revenu parmi les
siens.
Il faut d'ailleurs reconnaître que c'est
dans cette seconde partie que la fiction
se révèle être la plus efficace et la plus
dérangeante, le réalisateur faisant montre
d'un recul salvateur et d'une certaine
empathie pour ce capitaine d'industrie
déchu, qui survit entre souffrance et
culpabilité, même s'il représente sans
doute aux yeux du cinéaste les dérives
d'une certaine forme de capitalisme et
d'un système fondé tout à la fois sur
l'apparence, les faux semblants et
l'hypocrisie.
Un metteur en scène qui démontre une
nouvelle fois qu'il est un grand directeur
d'acteurs et nous donne à réfléchir grâce
à un subtil jeu de miroirs déformants, qui
met en perspective au travers de ce rapt
le gâchis d'une richesse outrancière face
à la détresse résignée d'une classe
ouvrière désabusée, précédemment
dépeinte dans La raison du plus faible.
Comment aussi ne pas saluer, dans le
rôle de cet homme dont les blessures ne
pourront jamais vraiment se refermer,
clamant in fine la tête haute que sa vie
lui appartient, la prestation bouleversante
d'Yvan Attal qui réalise une grande
performance d'acteur, grâce à un jeu de
scène d'une incroyable densité, et dont
l'impressionnante
transformation
physique (18 kilos perdus) va de pair
avec l'énorme talent qui est le sien.
Enfin, et même si cela n'a pas été l'une
des raisons du choix d'Attal pour ce rôle,
il parait important de souligner qu'avec
sa silhouette typiquement méditerranéenne (aux antipodes de l'allure
beaucoup plus nordique et physique du
célèbre baron belge), on ne peut
s'empêcher de penser ici à la fin tragique
d'Ilan Halimi, qui fut capturé près de 30
ans après l'enlèvement du patron
millionnaire pour la simple raison qu'il
était juif et qu'il était donc forcément
riche dans l'esprit de ses effroyables
ravisseurs.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 39
THÉÂTRE
Rencontre avec Lionel Abelanski
Lionel Abelanski est jusqu'à fin décembre, à l'affiche du Studio des Champs-Elysées, dans une pièce de
l'Israélien Hanokh Levin : Les Insatiables. L'histoire de trois quarantenaires - Yonathan, Shmuel et Bella - qui
rêvent de sortir de leur solitude, pour construire, aimer, se marier. Pas si simple quand l'un s'accroche à ses
petites économies, l'autre à un héritage paternel très encombrant et la troisième à sa pharmacie.
Une comédie existentielle et grinçante sur la quête d'amour, la solitude, les tréfonds de l'âme humaine, avec
ses désirs immenses et ses petites médiocrités.
I.J : Hanokh Levin est un habitué des
satires politiques, pourtant dans les
Insatiables, il n'en est jamais question.
L.A : Il est vrai qu'Hanokh Levin
est connu en Israël pour son
engagement
communiste.
Les
Insatiables est une pièce sur les
rapports humains, le sens de la vie.
Tout le monde veut recevoir mais
qu'est-on prêt à donner ?
Les trois personnages ne sont pas
dans le même espace temporel d'où
leur impossibilité à se rencontrer.
Shmuel est un homme du passé,
encombré par son héritage qu'il
n'arrive pas à abandonner, véritable
dot empoisonnée. Bella vit dans le
présent de sa pharmacie rassurante
et de la vie qu'elle veut mordre à
pleines dents et Yonathan projette un
avenir idéal, une vie de couple, avec
des enfants, tout en ayant peur de
lâcher la proie pour l'ombre.
Cette pièce raconte le repli sur soi,
la volonté de ne pas prendre de risque
qui fait que l'on passe à côté de sa vie.
Qu'est-on prêt à lâcher pour vivre, tout
simplement ? On pourrait transposer
cela au conflit du Proche-Orient, vous
ne pensez pas ? !
l'héritage encombrant de Shmuel,
légué par son père, qu'il traîne
misérablement et l'empêche d'avancer.
C'est une pièce universelle sur la
difficulté à rencontrer l'autre. Comme
dans les comédies noires italiennes
des années 1970, avec des
personnages
redoutables
et
attachants, comme dans " Affreux,
sales et méchants ".
I.J : Quel est votre lien à Israël ?
L.A : J'ai un lien très ancien, par
mon père qui a vécu en Israël dans sa
petite enfance. Il était orphelin de la
Shoah, de parents biélorusses et
polonais, arrêtés en France et morts à
Auschwitz. Lui et deux de ses frères
40 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
I.J : Qu'est-ce que ça vous a fait de
retrouver le cinéaste Radu Mihaileanu pour
Le Concert, dix ans après Train de vie ?
L.A : Pour Radu, j'aurais accepté
n'importe quel rôle ! Mon expérience
avec lui dans Train de vie avait été
tellement forte… Mon personnage de
Schlomo était si proche de moi. Il m'a
énormément apporté en tant
qu'acteur, mais aussi à titre personnel,
J'ai redécouvert un pays d'une diversité, d'une
richesse, d'une complexité immenses, à mille lieux
du tableau que nous renvoient les médias.
ont été cachés dans une ferme de la
Sarthe pendant la guerre, et ils sont
partis en 1945 avec une maison
d'enfants au Kibboutz. Plus tard, ils
sont revenus vivre en France. Enfant,
je suis allé quelquefois en Israël, en
I.J : Depuis quelques années, on
remarque à Paris un réel engouement pour
le théâtre de Levin. Comment l'expliquezvous ?
L.A : Je ne sais pas : peut-être ce
regard à la fois lucide et désenchanté
sur le monde. Cela va peut-être aussi
avec la découverte de la vitalité
artistique de Tel Aviv, et du cinéma
israélien en général…
J'étais d'ailleurs heureux qu'un
théâtre privé prenne le risque de
monter du Levin, car certains
spectateurs sont désorientés par le
langage cru de la pièce ; du coup, ils
passent à côté du propos.
I.J : Diriez-vous que Les Insatiables est
une pièce juive ?
L.A : Pas vraiment, mis à part
touriste. Puis, il y a dix ans pour le
travail, à l'occasion du tournage du
Syndrôme de Jérusalem : là, j'ai
redécouvert un pays d'une diversité,
d'une richesse, d'une complexité
immenses, à mille lieux du tableau
que nous renvoient les médias.
par rapport à ce que cela racontait,
sur mes racines familiales. J'étais
aussi sur le point d'être père pour la
première fois. C'est un souvenir à part
dans ma carrière.
I.J : Vous attendiez-vous à ce que Le
Concert rencontre un tel succès ?
L.A : On ne peut jamais prévoir ces
choses là. La seule chose que je peux
dire est que, lors des premières
projections,
les
spectateurs
ressortaient bouleversés, tremblants
d'émotion. Je n'avais jamais vu ça et
cela faisait plaisir à voir !
Propos recueillis par
Hélène Hadas-Lebel
Lionel Abelanski
----" Les insatiables " de Hanokh Levin,
mise en scène par Guila Braoudé,
avec Lionel Abelanski, Marianne
James et Patrick Braoudé. ,Jusqu'au
31 décembre, du mardi au samedi à
21h, le dimanche à 16h. Studio des
Champs-Elysées : 01 53 23 99 19
COURRIER
La mémoire et le mur
Je suis un ronchon : je n'ai pas participé
aux festivités de l'anniversaire de la chute
du mur de Berlin et je ne m'en suis même
pas réjoui ! D'abord et pour des raisons
historiques, dans ma famille on aimait
tellement l'Allemagne qu'on était content
d'en avoir deux. Mais surtout, le 9
novembre évoque pour moi avant tout
l'anniversaire de la Nuit de Cristal.
Qui parmi les journalistes et les hommes
politiques a évoqué le 9 novembre 1938 ?
Personne : Comme si le monde avait déjà
oublié. On préfère se réjouir de la chute
du communisme d'une Europe unie
incluant des pays comme la Lettonie qui
vient de rendre hommage aux anciens
combattants volontaires des 15e et 19e
division de la Waffen SS, responsables de
massacres de milliers de juifs ; et que dire
de l'Ukraine qui vient d'ériger en héros de
la nation un grand massacreur de juifs !
Les raisonnements fallacieux sont ne
sont pas admissibles .On entend en effet
: " puisque nous venons de fêter la chute
du Mur de la honte, faisons chuter
également les autres murs qui séparent
les populations et les empêchent de vivre
en paix ensemble".
S'agit-il de la barrière coupant Chypre
en deux et séparant populations d'origine
grecque et turque ou du mur électrifié
séparant le Mexique des Etats-Unis ?
Rien de tout cela. Le nouveau mur de la
honte, celui qu'il faut abattre est ce mur
qui sépare Israéliens et Palestiniens : le
mur qui, à lui seul, représente tous les
pêchés de l'humanité : le racisme, le
colonialisme, la civilisation occidentale et
qui, bien sûr, n'a pas pour fonction
essentielle de protéger les Israéliens du
terrorisme et des kamikazes.
Les âmes bien pensantes préfèrent sans
doute qu'on supprime ce nouveau mur
quitte, pour cela, à avoir comme
dommages collatéraux l'assassinat de
quelques juifs. Voilà que le 9 novembre
2009 a rejoint le 9 novembre 1938.
Guy Czertok
75014 PARIS
Espionner les juifs du Maroc
J'observe souvent dans les colonnes de
votre journal une sympathie certaine pour
les autorités marocaines et la sollicitude
dont elles feraient preuve à l'égard des juifs
qui habitent encore dans le pays ou de
ceux qui se sont installés en Europe ou en
Amérique.
Je trouve cependant une histoire
étonnante dans le journal de Londres
Elaph. Un citoyen égyptien du nom de
Hazem Makram Boutros
installé
aujourd'hui en Turquie raconte avoir été
poursuivi par les services intérieurs de son
pays parce qu'il a refusé d'espionner les
juifs du Maroc " ne voulant pas trahir ceux
qui l'avaient accueilli et qui l'avaient
beaucoup aidé dans son métier :la
joaillerie ". En 1992 il d' "était installé à
Casablanca et avait réussi à se faire
connaître comme joaillier. " Grâce à mon
expérience, j'ai réussi, dit-il, à m'imposer
sur le marché local. J'ai gagné l'estime des
marchands dont la plupart sont des juifs
marocains "
Cet homme ajoute qu'à son retour en
Egypte, en 1999, les services de
renseignement intérieurs égyptiens l'ont
convoqué et lui ont proposé de retourner
au Maroc pour y espionner la
communauté juive locale. " Comment, dit
M.Boutros, pourrais-je faire du tort à
quelqu'un qui m'a tendu la main, qui m'a
aidé et qui m'a accueilli dans sa maison
avec sa famille et ses enfants ? Je ne crois
pas Que les juifs méritent la mort pour le
simple fait d'être juif ".
Cet homme qui est copte a depuis été
obligé de fuir l'Egypte grâce à l'aide d'un
fonctionnaire. Curieux non ?
S. Chétrit
Bagneux
CARNET
Naissance
OOO Raphaël
Moshé Samuel
est né au foyer de nos amis Jeanne et Jérôme Chétrit. La cérémonie de la Brith a
eu lieu le 18 novembre à Levallois.
Nous présentons nos félicitations et nos meilleurs vœux de mazal tov aux parents
et aux grands parents.
Nous voulons évoquer à cette occasion la mémoire de notre amie Mme Allègre
Pinto, l'arrière grand-mère du nouveau-né.
Bar Mitzva
OOO Noam
Fedida
le fils de nos amis Chantal et Robert Fedida a célébré sa bar mitzva
le jeudi 12 novembre à la synagogue Rambam à Strasbourg.
Notre ami Robert Fedida est très actif au sein de la communauté israélite de la
capitale de l'Alsace, notamment au sein du groupe voué à sauvegarder les
piyoutim (les chants religieux) de laliturgie marocaine.
A son frère David et à ses sœurs Sarah et Eden, à ses parents et à sa grandmère, Mme Jeanine Ghebali ainsi qu'aux familles Fedida et Ghebali, Information
juive présente un très sincère Mazal tov.
Distinction
OOO Nous
sommes heureux de présenter nos félicitations à notre ami
Yamine Tolédano, à l'occasion de sa nomination comme chevalier dans l'ordre
des Palmes académiques.
Cette distinction a lui a été remise au cours d'une cérémonie dans les locaux
de l'ORT à Strasbourg, une institution au sein de laquelle M.Tolédano a été,
durant des décennies, professeur.
INFORMATION JUIVE Décembre 2009 41
VERBATIM
MICHEL WINOCK.
Historien :
" Etre français ce n'est pas seulement
être né et habiter en France , c'est
vouloir faire partie de la
communauté historique et politique
qui s'appelle la France ".
JEAN DANIEL.
Fondateur du Nouvel Observateur. A
propos de la mort de José Aboulker,
Compagnon de la Libération :
" Jean était l'un des héritiers de la
dynastie Aboulker. Une famille de
juifs algériens où tout le monde était
médecin depuis des générations et
qui concentrait l'aisance, le savoir, le
courage et toujours la dignité ".
ERIC BESSON.
Ministre de l'immigration :
" De multiples formes de
discrimination qui ne se limitent ni à
la religion ni à l'immigration minent
le lien national…Je constate une
chose : le seul pays en Europe qui
échappe à la montée de l'extrême
drouite c'est la France ".
ERIC CANTONA.
Ex- footballeur :
" Domenech c'est l'entraîneur le plus
nul du football français depuis Louis
XVI ".
DIDIER DECOIN.
Auteur du Dictionnaire amoureux
de la Bible :
" Le sens de la vie, c'est le grand souci
d'Abraham. Je ne le vois pas comme un
vieux patriarche lointain, je le sens
terriblement humain. Il nous est très proche. Mais il ose
discuter avec Dieu. Sa vie est un film extraordinaire qui se
termine par un acte de foi inouï ".
Souhaitons que, pour une fois au
moins, il se soit vraiment trompé "
TIMOTHY RADCHIFFE.
Dominicain anglais :
" Il faut avoir une relation honnête
avec Dieu. Quand un ami ose
exprimer sa colère, c'est une preuve
de confiance. Les juifs savent
exprimer la leur ; les chrétiens pas
beaucoup "
LOUIS NICOLLIN.
Président du club de football de
Montpellier :
" Il n'y a qu'un truc contre lequel je
me battrai, c'est le racisme "
PHILIPPE BOUVARD.
Journaliste :
DAVID MILIBAND.
Chef de la diplomatie britannique :
" Notre but n'est pas de combattre
jusqu'à la mort, mais de montrer que
les talibans ne vont pas gagner ".
SILVAN SHALOM.
Vice- premier ministre d'Israël :
" Israël veut un processus de paix
mais il faut être deux pour un tango "
JEAN-CLAUDE MICHÉA.
" A 18 ans, je nourrissais deux
ambitions : publier un chef d'œuvre
et mourir jeune. Double échec : j'ai
vécu longtemps sans devenir
écrivain en dépit d'une pyramide de
livres… "
BERNADETTE CHIRAC :
" Catholique, je prie très souvent et
pas seulement le dimanche à la
messe "
42 INFORMATION JUIVE Décembre 2009
1er Secrétaire du PS :
" La France est un pays qui s'apprend
plus qu'il ne s'hérite "
GILLES BERNHEIM.
Grand rabbin de France :
"L'Europe doit changer son regard
sur l'islam "
FRANZ- OLIVIER GIESBERT.
PDG du Point :
" La Suisse est peut-être le pays le
plus cosmopolite du monde, mais il
ne supporte pas les étrangers,
surtout quand ils ont les poches et
les comptes vides ".
DANIEL COHN- BENDIT.
Député européen :
" En politique, les mots comme les
actes sont bien plus que des détails "
PIETRO CITATI.
Ecrivain italien :
" Le progrès est la plus stupide des
religions. La seule chose qui compte,
ce sont les origines, et garder la foi
en toutes les origines..
HERTA MÜLLER.
Philosophe :
" Dans l'un de ses rares accès de
pessimisme, Orwell avait écrit qu'il
se pourrait un jour " qu'on crée une
race d'hommes n'aspirant pas à la
liberté, comme on pourrait créer une
race de vaches sans cornes ".
MARTINE AUBRY.
ANDRÉ COMPTE-SPONVILLE.
Prix Nobel de littérature :
Philosophe :
" Sous les nazis, les juifs devaient
partir et tout laisser. Il faut se
représenter ce que cela signifie
d'être jeté dans le monde sans
aucune protection. "
" Révéler des comportements racistes
dans une entreprise ou les mauvais
traitements infligés à un enfant
relève du devoir moral.

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