SEMINAIRE SSF DU 19 AU 23 MAI 2015 TARGU MURES
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SEMINAIRE SSF DU 19 AU 23 MAI 2015 TARGU MURES
SEMINAIRE SSF DU 19 AU 23 MAI 2015 TARGU MURES (ROUMANIE) Jean-Paul WACK (France) LES PERSONNES TRES AGEES EN SITUATION D’ISOLEMENT Au préalable, quelle est la définition de « solitude » dans le petit Larousse français ? C’est la situation de quelqu’un qui est seul, sans compagnie, momentanément ou habituellement. On peut avoir choisi cette solitude, on peut y trouver son compte car le fait d’être seul peut permettre de se ressourcer, d’aspirer au calme, de méditer, de réfléchir…. On peut aussi « subir » cette solitude, dans ce cas elle est bien plus difficile à supporter et, bien souvent, elle finit par aigrir la personne qui en souffre. Pour ce qui est plus particulièrement des personnes âgées, l’exposé que je voudrais vous présenter aujourd’hui ne se veut en aucun cas scientifique, mais plutôt sociologique. Je ne suis en effet ni médecin ni soignant ni psychologue, en tant que directeur d’un établissement d’accueil pour personnes âgées je souhaiterais simplement vous faire part de mon ressenti avec un recul de 27 ans d’accompagnement de personnes âgées en institution. Dans la très grande majorité des cas, ces personnes âgées sont, justement, en situation d’isolement avant leur entrée en institution. Il s’agit de personnes vivant la plupart du temps seules à leur domicile et dont la situation de santé ou de dépendance physique ou psychique commence sérieusement à décliner. Très souvent, ce sont des personnes qui viennent de perdre leur conjoint ou compagnon, qui n’ont pas d’enfants, ou alors dont les enfants vivent ailleurs, dans des régions éloignées du fait de leur travail, ou encore qui ont eux-mêmes des enfants en bas âge et n’ont pas la possibilité matérielle de prendre en charge leurs aînés. Avec l’allongement de la durée de vie, il nous arrive de plus en plus fréquemment de nous retrouver en face de personnes qui ont largement 1 passé le cap des 85 ans, 90 ans et encore bien davantage, et dont les descendants sont eux-mêmes déjà des « personnes âgées » n’ayant plus la force physique de pouvoir prendre en charge ce parent qui, du jour au lendemain, peut poser problème parce qu’il ne peut plus rester seul à la maison. Cette solitude à la maison, avant l’entrée en institution, on peut la ressentir – ou plutôt la subir – plus particulièrement lorsqu’on commence à perdre son autonomie. On a besoin d’aide pour aller faire les courses, pour le ménage, pour préparer le repas…. Le logement dans lequel on habite n’est plus vraiment adapté. On a du mal à se déplacer, rentrer et sortir de chez soi commence à poser problème, la chambre à coucher ou la salle de bains se trouvant à l’étage supérieur devient difficilement – ou carrément plus du tout – accessible. Ensuite, et souvent ça va de pair, on n’arrive plus vraiment à se laver seul, à s’habiller, on n’est plus très sûr sur ses jambes, on fait des chutes, on se sent vulnérable et la crainte ou l’anxiété commence à vous envahir, et ce plus particulièrement encore la nuit. Dans ces cas-là, le rôle de la famille ou des aidants professionnels est bien évidemment absolument essentiel pour pouvoir permette à la personne âgée concernée de rester dans le milieu dans lequel elle vit quelquefois depuis plusieurs dizaines d’années. Depuis 15 ans environ, beaucoup d’efforts politiques ont été entrepris en France pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées, notamment par la mise en place d’une Allocation Personnalisée à l’Autonomie (APA) que versent les départements aux intéressés. Par cette allocation, les personnes concernées peuvent avoir des aides financières pour adapter leur logement à leur dépendance (lorsque c’est possible), mais aussi pour pouvoir payer des auxiliaires de vie professionnels qui viendront leur apporter une aide matérielle pour les courses, le ménage, la préparation des repas, etc… Parallèlement, sur prescription médicale et avec une prise en charge par la sécurité sociale, on peut faire appel à des infirmiers libéraux ou des services de soins à domicile pour tout ce qui touche à la toilette, à l’incontinence ou à la prise des médicaments. Cependant, toutes ces multiples possibilités d’aide, pour louables qu’elles soient, n’apportent qu’une réponse partielle à la solitude, ou plus simplement, aux besoins que peut éprouver la personne âgée en situation de perte d’autonomie. Mises bout à bout, toutes ces présences quotidiennes au domicile ne représentent qu’une petite partie des 24H que dure une journée. Là encore, si la famille ou les proches de la personne âgée concernée ne peuvent pas, eux aussi, assurer une présence quotidienne soutenue, tout 2 ce système trouvera vite ses limites, car il y a les nuits, les week-ends, les périodes de vacances, etc… Si, en plus, la personne âgée souffre de troubles cognitifs, de démence, la limite est encore bien plus vite atteinte. En effet, assurer une présence de 24h/24 et 7 jours/7 par des professionnels relève de l’impossible, malgré les aides de l’APA et de l’assurance maladie, le coût global du maintien à domicile reviendrait bien plus cher que l’entrée en institution. Et la solitude en institution ? Avec le recul de 27 ans de direction d’établissement déjà évoqué, je peux sans conteste dire que j’ai vécu une profonde et, malheureusement encore bien insuffisante, mutation des maisons de retraite en France, actuellement dénommées « Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes – EHPAD ». Dans les années 1980 et 1990, la grande majorité des personnes âgées qui venaient frapper à nos portes étaient des personnes en général âgées de 70 à 75 ans, voire 80 ans mais guère plus, et qui avaient envie de venir chez nous parce que, justement, elles se sentaient seules. Elles étaient la plupart du temps autonomes ou légèrement handicapées, et voulaient se retrouver avec des personnes de leur génération, pour ensemble, participer aux multiples activités ludiques que proposait l’établissement. Je dirais que c’était « la colonie de vacances pour personnes âgées ». Le coût d’hébergement était bien moins élevé qu’aujourd’hui, il y avait certes beaucoup moins de personnel, mais la prise en charge de la perte d’autonomie de certains ne posait pas trop de problèmes et on pouvait faire appel aux cabinets infirmiers pour les cas les plus lourds, avec prise en charge par la sécurité sociale. Et lorsque malheureusement, certains cas devenaient trop lourds, nous avions la possibilité de les transférer dans des structures plus adaptées, que l’on appelait « long séjour » et qui relevaient du système hospitalier et non pas du médico-social. Depuis le début des années 2000, la donne a beaucoup changé avec la mise en place de l’APA, avec l’avènement des services de soins et d’aide à domicile et la transformation des maisons de retraite en EHPAD comme je l’ai expliqué tout à l’heure. Certes, les établissements se sont vu octroyer des aides financières partielles de l’Etat et du département ; ces aides ont permis d’embaucher du personnel supplémentaire, dont surtout des soignants formés, mais que j’estime en nombre nettement insuffisant pour pouvoir assurer une prise en charge de qualité à de trop nombreuses personnes 3 fortement dépendantes. De plus, malgré les aides financières publiques, le coût du séjour pour les personnes âgées et/ou pour leurs familles devient de plus en plus difficile à supporter. Et pour en revenir à notre sujet, la solitude de la personne âgée en institution, bien sûr elle n’est pas seule « physiquement » puisqu’il y a du personnel compétent qui peut intervenir en cas de problème. Bien sûr, l’établissement lui prodiguera les soins qui lui sont nécessaires, la toilette sera faite, les médicaments dont elle a besoin lui seront administrés, elle aura un repas équilibré matin, midi et soir, et même la nuit il y aura une surveillance, au cas où il y aurait un problème. Sa famille, s’il y en a une, pourra par conséquent être rassurée. Cependant, mon constat par rapport à cette « solitude » est le suivant : Même ensemble, à 5 ou à 10 dans une pièce, les personnes âgées sont seules. Elles sont seules parce que, malheureusement, souvent, elles n’ont plus grand-chose à se dire entre elles, elles sont seules parce qu’elles n’entendent plus bien, elles ne voient plus bien. Souvent, elles ne peuvent plus lire ou regarder la télévision, lorsqu’on leur téléphone elles ne comprennent pas leur interlocuteur, lorsqu’il y a une conversation à table elles n’y participent pas ou peu parce qu’elles n’ont pas compris la moitié de ce qui se dit….. Ce qui, à mes yeux, est encore pire mais malheureusement tout à fait compréhensible, c’est un certain manque de solidarité entre les personnes âgées elles-mêmes, voire un rejet de l’autre. Sur 60 résidents que nous avons dans notre structure, et bien que notre établissement ne dispose pas d’une unité spécifique « Alzheimer », nous avons forcément quelques résidents qui n’ont plus toute leur tête, qui déambulent dans les couloirs en demandant 50 fois par jour la même chose, qui ne mangent pas toujours proprement, ou qui ont des comportements qui peuvent paraitre bizarres. Ces personnes-là se font rapidement exclure par les autres. Par dégoût ? Par peur de se voir soi-même dans cette situation dans 6 mois, dans un an ? Leurs familles elles même déclarent quelquefois forfait, et par conséquent la prise en charge de ces résidents n’est pas simple par les professionnels de nos équipes. Aussi, même en institution, malgré la présence de personnel qualifié et dévoué qui ne compte pas toujours ses heures pour un salaire pas forcément très attractif, sans l’aide 4 précieuse de bénévoles dévoués, sans l’aide de quelques familles compréhensives, il n’est pas possible de palier totalement à la solitude des personnes âgées qui, pourtant, imposent notre respect. Ces personnes nécessitent qu’on leur consacre beaucoup de temps et aussi de patience. En conclusion de tous ces constats, et c’est un sentiment tout à fait personnel, ma seule consolation est que j’ai l’impression que les personnes concernées ne souffrent pas trop de ce que moi j’appelle « leur solitude ». Elles sont en règle générale très âgées, diminuées, elles fonctionnent au ralenti, elles ne voient plus vraiment ce qui se passe autour d’elles, elles se recentrent sur leurs propres besoins essentiels, à savoir manger, boire, dormir, et finir leur vie le plus sereinement possible….. 5