Arthrose, instabilité chronique de la cheville

Transcription

Arthrose, instabilité chronique de la cheville
Rhumatologue (Mantes-la-ville)
Expert-visiteur de la Haute Autorité de Santé
La mauvaise prise en charge de la pathologie traumatique
de la cheville entraîne des séquelles difficiles à traiter.
Arthrose, instabilité
chronique de la cheville
■ Quelle place pour une orthèse ?
Q
proposer par des moyens orthopédiques
chez un patient présentant une cheville
douloureuse et instable à la suite d’une
arthrose ou d’une instabilité chronique,
séquellaire habituellement d’entorses à
répétition ? La chirurgie n’étant souvent
pas la réponse attendue…
ue ce soit une arthrose tibiotalienne ou une instabilité de la
cheville, la conséquence est la
même : une douleur parfois invalidante à la marche, de type mécanique,
empêchant toute activité physique et
sportive.
À partir d’un cas clinique à la fin de cet
article, quelle prise en charge peut-on
L’articulation tibio-talienne
ou talo-crurale
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Jean-Luc Renevier
■ Les cahiers
deuxième trimestre 2015
Les articulations de la cheville comprennent
l’os de la cheville ainsi que ceux qui se
trouvent à l’extrémité inférieure de la
jambe. Le maintien de ces os est assuré par
des ligaments qui ont également pour rôle
de soutenir les muscles et les tissus qui à
leur tour interviennent pour propulser le
corps grâce à des mouvements harmonieux
du membre inférieur.
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de cet article, il suffit de vous rendre
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Très solides, ces articulations fonctionnent
à la manière d’une charnière quand nous
effectuons un pas, supportant près du
double du poids de notre corps en position
debout et jusqu’à huit fois plus le poids de
notre corps pendant la course.
Structure complexe, la cheville est apte à
encaisser d’importants stress dus à des
accidents ou des blessures pouvant survenir au fil du temps. Néanmoins, quand
des accidents surviennent, ou lors du vieillissement des structures osseuses, cartilagineuses, ligamentaires et tendineuses, des
déformations et une instabilité s’installent
qui seront plus ou moins importantes selon
la morphologie du pied.
L’articulation tibio-talienne ou talo-crurale :
c’est là où tout se joue ! Cette articulation
présente une forme particulière en mortaise qui lui donne sa résistance en limitant
essentiellement le mouvement dans une
flexion-extension. De plus, le cartilage
recouvrant l’articulation est particulièrement dense et résistant.
L’arthrose de cheville
et l’instabilité chronique
L’arthrose tibio-talienne : elle est rarement
primitive. Le plus souvent, elle fait suite à
une lésion articulaire traumatique ancienne
(classiquement, une fracture bi ou tri-
malléolaire). Il existe des formes centrées
habituellement bien tolérées pendant
de nombreuses années et des formes
excentrées avec souvent une double origine, talo-crurale et sub-talaire que nous ne
traiterons pas ici.
Instabilité chronique : le mode d’instabilité
est sous la dépendance de contraintes frontales et horizontales avec une résultante de
type rotatoire assurant l’équilibre.
Si la prise en charge de l’arthrose talocrurale et de l’instabilité chronique est
complexe, la place de la chirurgie doit
rester modeste.
Le traitement médical classiquement
comporte des moyens médicamenteux et
non médicamenteux. Parmi ces derniers, la
physiothérapie, la kinésithérapie ont une
place importante mais certans préconisent
aussi des orthèses correctrices, amortissantes ou semi-rigides… Mais qu’en est-il
en pratique ?
Une pauvreté
de la littérature médicale
Curieusement, la revue de la littérature est
pauvre sur ce sujet… On trouve en fait de
très nombreux articles sur les entorses
aiguës et subaiguës mais pas grand-chose
sur les instabilités chroniques et quasiment rien sur l’arthrose de cheville et
orthèses…
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Quid des orthèses semi-rigides
de cheville ?
Un des premiers travaux avec une méthodologie « acceptable » (mais de puissance
statistique faible car peu de patients) date
de 1993. L’idée était de mesurer l’influence
d’une orthèse de cheville semi-rigide (de
l’époque !) sur les symptômes d’instabilité
de cheville mesurée par stéréophotogrammétrie (procédé utilisant la stéréoscopie et
permettant de transformer des photographies aériennes en cartes topographiques).
Les auteurs ont mesuré chez 14 patients
la réduction éventuelle des mouvements de
rotation de l’astragale ou talus et du calcanéum avec et sans orthèse. Ils ont montré
effectivement une réduction significative
de la flexion plantaire, rotation interne et
varus de l’astragale et du calcanéum
lorsque l’orthèse est appliquée. Les résultats de cette étude suggèrent que l’orthèse
semi-rigide pourrait fournir suffisamment
 caligaloc de Bauerfeind
(orthèse de la cheville et du pied)
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de soutien externe pour éviter les récidives
des entorses de cheville et d’éviter les
reconstructions ligamentaires [1].
En 1997, une approche un peu similaire a
été réalisée chez 22 patients [2] montrant
qu’une orthèse semi-rigide pouvait être
bénéfique pour réduire la fréquence des
blessures en cas d’instabilité chronique de
la cheville.
Cette action pourrait d’ailleurs être liée à
l’amélioration des sensations de positionnement de la cheville par stimulation des
récepteurs de la peau [3].
En 2012, vingt joueurs de basket-ball avec
une instabilité chronique de cheville et
quinze athlètes sans instabilité se sont
portés volontaires pour participer à un travail expérimental. En effet, l’entorse de la
cheville est l’une des blessures les plus
courantes chez ces athlètes et l’instabilité
séquellaire pouvant en résulter est responsable d’une baisse des performances
physiques. La prévention de blessures ultérieures aggravantes est donc une préoccupation et l’utilisation d’une orthèse de
cheville, un moyen pour réduire le nombre
de blessures à la cheville.
La présente étude visait à étudier les effets
d’orthèses de cheville sur la stabilité posturale chez les athlètes avec instabilité
chronique de la cheville [6]. Les analyses
statistiques ont révélé un effet significatif
de soutien de la cheville sur la stabilité
posturale dans les deux groupes et les
résultats indiquent qu’il n’y avait pas de
différence significative entre les groupes.
Les auteurs ont conclu que les orthèses
améliorent la stabilité posturale et peuvent
prévenir ainsi les blessures ultérieures.
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Malheureusement, on constate que dans
aucun des travaux sus-cités, on ne parle
d’amélioration de la douleur qui reste
quand même le principal objectif lors de la
prise en charge…
Quid du « taping » ?
En 2008, avec l’arrivée de la mode du
« taping », des chercheurs ont réalisé une
revue de la littérature afin d’étudier les
effets de la réadaptation proprioceptive et
des techniques de « taping » sur l’instabilité
chronique de la cheville [4]. Ainsi, neuf
études ont examiné les effets de l’entraînement physique proprioceptif et quatre
études ont étudié les effets du « taping ».
Cependant, en raison des différences de
méthodologie et de la qualité médiocre des
études, aucune recommandation spécifique
pratique ne peut être faite, aussi bien pour
la rédaptation que pour le « taping ». Et
comme souvent après une revue de la littérature, les auteurs concluent que d’autres
essais cliniques de haute qualité méthodologique sont nécessaires pour mettre en
Quid des orthèses plantaires ?
Un travail récent s’est intéressé aux instabilités chroniques de cheville [7]. En partant du principe qu’il existe deux grandes
causes responsables d’une instabilité chronique de la cheville :
• une cause mécanique causée par les
lésions ligamentaires répétées [8],
• et une cause par instabilité fonctionnelle
causée par la perte de contrôle neuromusculaire après une blessure [9].
Les auteurs ont comparé l’utilisation
d’orthèses plantaires et la rééducation
proprioceptive chez des athlètes avec une
instabilité chronique de cheville. Cette
recherche a été effectuée chez 50 athlètes
masculins pendant 4 semaines. Leur âge
était compris entre 17 et 32 ans. En
termes de sports pratiqués, 36 étaient des
joueurs de football, 3 étaient des joueurs
de volley-ball, 1 était un joueur de tennis,
et 1 était un judoka. Leur taille moyenne
était de 178 cm pour un poids moyen de
72 kg...
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avant des éléments de preuve significative
permettant d’aider les thérapeutes dans le
choix de stratégies appropriées et efficaces
dans la gestion des instabilités chroniques
de cheville…
Il en ressort quand même, comme l’a
montré aussi Delahunt en 2010 [5], que le
« taping » rassurait les participants ayant
une instabilité chronique de cheville mais
n’apportait aucun changement sur leur stabilité posturale dynamique. Le « taping »
aurait donc un effet purement « psychologique ».
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>>> L’angle entre l’avant-pied et l’arrièrepied et l’angle de position de repos du calcanéum ont été mesurés lors de l’évaluation biomécanique du pied.
Cette étude a mis en évidence chez ces
athlètes avec une instabilité chronique de
la cheville, et qui avaient porté des orthèses
plantaires pendant quatre semaines, une
amélioration de leurs capacités proprioceptives mais ni plus ni moins qu’avec des
excercices de rééducation. En revanche, et
c’est intéressant, cette étude a aussi
démontré que les effets bénéfiques des
orthèses plantaires diminuent une fois les
orthèses enlevées, même après une utilisation durant plusieurs semaines.
Paradoxalement, il n’existe pas d’études
publiées sur le traitement de l’arthrose
talo-crurale avec des orthèses plantaires ou
une chevillière…
Et la plupart des études anciennes ou
récentes sont réalisées sur des athlètes : ce
qui est loin de la « vraie vie » car tous nos
patients ne font pas 178 cm pour 72 kg !
Enfin, on ne retrouve aucune publication
sur l’amélioration des douleurs en utilisant
un traitement orthopédique.
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Voici l’exemple d’un patient vu en consultation. Il s’agit d’un homme de 56 ans,
mesurant 172 cm pour 85 kg, agriculteur
toujours en activité et qui a présenté une
fracture bi-malléollaire de cheville droite il
y a maintenant 18 ans, traitée par immobilisation plâtrée.
Son médecin traitant me l’adresse afin de
réaliser une « infiltration » souhaitée aussi
par le patient car il a mal tous les jours
depuis quelques mois, ne peut plus monter
et descendre facilement de son tracteur et
peine à marcher.
Effectivement, il marche avec une boiterie
à droite liée à une raideur modérée de
l’articulation tibio-talienne.
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Alors comment faire avec
un patient dans la vraie vie ?
 Photo 1
À l’examen en décubitus, on note un discret empâtement de la cheville droite
(photo 1) et il existe une raideur d’environ
50 % par rapport au côté gauche avec
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d’après le patient, une « impression que le
pied va se tordre… » que l’on peut traduire
comme un défaut probable de proprioception avec instabilité…
Le patient apporte des radiographies
récentes qui montrent un net pincement
de l’interligne tibio-tarsien avec une
condensation de l’os sous-chondral mais
sans avoir l’impression d’un stade très
évolué…
En revanche, les images de son IRM
font apparaître des « dégâts » importants
avec des géodes et un œdème de l’os souschondral traduisant une souffrance
osseuse.
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>>> Le pincement de l’interligne et
l’absence d’épanchement intra-articulaire
rendent illusoire ou peu probable l’efficacité d’une infiltration de corticoïdes ou
d’acide hyaluronique (cette injection n’étant
pas remboursée dans cette indication).
Le jeune âge, l’activité professionnelle et
l’existence d’une mobilité limitée, contreindiquent une chirurgie de type arthrodèse
ou prothèse…
Il faut donc trouver un(e) orthopédisteorthésiste qui délivrera dans un premier
temps une orthèse semi-rigide, confortable,
que le patient pourra porter toute la journée sans risque pour la peau, pouvant être
mise avec des bottes en caoutchouc ou des
sabots…
Dans un deuxième temps, il sera toujours
possible de faire faire une orthèse semirigide sur-mesure si l’orthèse de série ne
convient pas.
À bon entendeur… ! ■
■ Les cahiers
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 attelle stabilisatrice de cheville
malleo dynastab thuasne
1. Löfvenberg R, Kärrholm J. The influence of
an ankle orthosis on the talar and calcaneal
motions in chronic lateral instability of the
ankle. A stereophotogrammetric analysis.
Am J Sports Med. 1993 Mar-Apr;21(2):
224-30.
2. Hartsell HD, Spaulding SJ. Effectiveness of
external orthotic support on passive soft
tissue resistance of the chronically unstable
ankle. Foot Ankle Int. 1997 Mar;18(3):
144-50.
3. Feuerbach JW, Grabiner MD, Koh TJ,
Weiker GG. Effect of an ankle orthosis and
ankle ligament anesthesia on ankle joint
proprioception. Am J Sports Med. 1994;22:
223-9.
4. Hughes T, Rochester P. The effects of proprioceptive exercise and taping on proprioception in subjects with functional ankle
instability: a review of the literature. Phys
Ther Sport. 2008 Aug;9(3):136-47.
5. Delahunt E, McGrath A, Doran N,
Coughlan GF. Effect of taping on actual and
perceived dynamic postural stability in persons with chronic ankle instability. Arch
Phys Med Rehabil. 2010 Sep;91(9):1383-9.
6. Faraji E, Daneshmandi H, Atri AE, Onvani V,
Namjoo FR. Effets des orthèses de cheville
préfabriqués sur la stabilité posturale chez
les joueurs de basket-ball avec instabilité
chronique de la cheville. J Sports Med Asie.
2012 déc;3(4):274-8.
7. Hong-Jae L, Kil-Byung L, Tae-Ho J, DugYoung K and Kyung-Rok P. Changes in
Balancing Ability of Athletes With Chronic
Ankle Instability After Foot Orthotics
Application and Rehabilitation Exercises.
Ann Rehabil Med. 2013 Aug;37(4):523-33.
8. Hertel J, Denegar CR, Monroe MM,
Stokes WL. Talocrural and subtalar joint
instability after lateral ankle sprain. Med
Sci Sports Exerc. 1999;31:1501-8.
9. Jerosch J, Bischof M. Proprioceptive capabilities of the ankle in stable and unstable
joints. Sports Exerc Inj. 1996;2:167-71.
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Références
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