Loi travail, un mois de négos secrètes

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Loi travail, un mois de négos secrètes
MARDI 14 JUIN 2016
2,00 € Première édition. No 10905
www.liberation.fr
Loi travail, un mois de négos secrètes
RÉCIT, PAGES 14-17
Veillée en hommage aux victimes d’Orlando, dimanche soir à Washington.
PHOTO JOSHUA ROBERTS . REUTERS
Des piquets de grève aux ministères, les coulisses de la crise.
Après la tuerie
homophobe, revendiquée
par l’EI, qui a fait 49 morts
dans un club gay de Floride,
le deuil et la colère envahissent
les communautés LGBT
du monde entier.
PAGES 2-9
ORLANDO
LA CIBLE ARC-EN-CIEL
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.
2 u
ÉDITORIAL
Par LAURENT JOFFRIN
Inhumanité
Tués parce qu’ils étaient libres… Le carnage d’Orlando, au-delà de la compassion fraternelle qu’on ressent pour les
victimes, frappe au cœur une communauté qui est l’amie de la tolérance, de la
dignité et du droit égal pour tous. Toujours la même cible : la liberté… Cette liberté pour laquelle les homosexuels, tout
au long de l’histoire, ont payé un prix
exorbitant, martyrs à répétition d’une
cause qui n’est pas seulement la leur,
mais celle de tous les hommes et de toutes les femmes persécutés parce qu’ils
sont différents, persécutés non pour ce
qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. Après
les journalistes de Charlie, tués parce
qu’ils étaient insolents, les Français juifs
de l’Hyper Cacher, tués pour leur religion, les victimes du 13 Novembre, assassinées pour leur mode de vie, voici la
communauté LGBT, coupable de vouloir
vivre sans avoir peur, visée à son tour.
Bien sûr, la tuerie d’Orlando découle de
circonstances particulières. L’instabilité
psychologique d’un homme, la facilité
avec laquelle on peut se procurer des armes de guerre aux Etats-Unis, la culture
de la violence plus prégnante dans cette
grande démocratie que dans la plupart
des autres, ont joué leur rôle. Mais ce sont
là facteurs généraux, qui ne sauraient
rendre compte à eux seuls de la causalité
à l’œuvre dans la plus grande tuerie de
l’histoire américaine récente. L’assassin
du Pulse s’est réclamé de l’Etat islamique
en Irak, qui s’est empressé de le reconnaître comme l’un des siens. Et parmi les
nombreux clubs ouverts de soir-là, Omar
Mateen a choisi le Pulse, connu dans tout
l’Etat comme un lieu LGBT, engagé depuis sa fondation en faveur de la cause
homosexuelle. Difficile de croire que ce
choix puisse être le fait du hasard… Le califat criminel dont il se réclame s’est distingué régulièrement par la cruauté barbare dont il fait preuve à l’égard des
homosexuels. Il ne fait d’ailleurs, en portant l’inhumanité à un degré supérieur,
que prolonger les pratiques déjà courantes chez tous les intégristes musulmans
au pouvoir à travers le monde et qui appliquent de manière sanglante leur version dogmatique de la loi islamique. Sur
les sept pays de la planète qui prévoient
la peine de mort pour les homosexuels,
sept sont musulmans, gouvernés par la
charia, même si la répression homophobe n’est pas le monopole de l’islam.
La plupart des musulmans, bien sûr, à
l’inverse de ce que dit Donald Trump,
condamnent ces actes moyenâgeux. Et
les autres religions ont, elles aussi, au fil
de leur histoire, diffusé à loisir une hostilité plus ou moins violente envers les homosexuels, ce qui devrait faire réfléchir
ceux qui veulent à toute force les imposer
dans l’espace public. Mais justement: par
cercles concentriques, du plus anodin au
plus criminel, le même préjugé ancestral
est à l’œuvre. Traditionnelle ou religieuse, populaire ou théologique, l’homophobie est une discrimination toujours
aussi dangereuse. Captée par les fanatiques, elle devient criminelle. Tel est le
sens de la juste colère arc-en-ciel. •
Libération Mardi 14 Juin 2016
L’onde
de choc
Depuis la tuerie dans
un club gay à Orlando,
revendiquée par l’Etat
islamique, le monde
LGBT exprime son
effroi et sa tristesse.
Mais aussi sa colère
face à ce «crime de
haine» qui ravive les
discriminations dont
la communauté
souffre au quotidien.
Par VIRGINIE BALLET,
ÉRIC FAVEREAU
et CATHERINE MALLAVAL
U
ne pluie d’arcs-en-ciel s’est
abattue sur la planète. Presque un déluge. Aux lendemains de la tuerie dans une boîte
gay d’Orlando qui a fait 49 morts,
le drapeau LGBT s’est affiché sur
Twitter, sur Facebook, sur Instagram. Jusqu’en haut de la tour Eiffel. Jusqu’en Corée du Sud lors de
l’un des multiples rassemblements
spontanés qui ont essaimé.
Dans le monde entier, c’est ainsi
que se sont exprimés effroi et solidarité. Les hashtags #loveislove,
#lovewins et #prayforOrlando ont
très vite mobilisé anonymes, politiques et célébrités. Hétéros ou homos. «Gay ou hétéro, pas de haine»,
a lancé Madonna sur Instagram
(avec une photo d’elle roulant une
pelle à Britney Spears). «Je rêve à
un monde qui réfléchisse à ce que
l’on peut faire pour surmonter cette
violence», a posté la chanteuse
Lady Gaga, engagée dans la cause
homosexuelle. Caitlyn Jenner, née
William Bruce Jenner, l’ancien beau
père de Kim Kardashian, a envoyé,
«le cœur brisé», «toutes ses pensées
à ses frères et sœurs d’Orlando».
Quant au chanteur portoricain
Ricky Martin, il a tenu à affirmer :
«Je suis gay et je n’ai pas peur.»
Comme après les attentats qui ont
visé Paris ou Bruxelles, c’est bien un
drapeau qui a été repris pour exprimer la douleur. Sauf que cette fois,
ce ne sont pas les couleurs d’un
pays qui sont brandies, mais celles
d’une communauté (parfois qualifiée de lobby par ses détracteurs).
Certes américaine, mais aussi internationale. Une communauté qui a
été soudée par la lutte contre le sida
dans les années 80. Et qui, bien que
dispersée, enchaîne rituellement
autour du mois de juin des marches
des fiertés (et de l’égalité), depuis
les émeutes de Stonewall aux EtatsUnis en 1969.
«Terrible rappel». Les représentants des gays n’hésitent pas un seul
instant sur le caractère homophobe
de la tuerie d’Orlando. Pour l’association internationale des gays
et lesbiennes (Ilga), aucun doute
possible sur la cible visée : «C’est
un terrible rappel du prix payé par
la communauté lesbienne-gay-bitrans-queer à travers le monde simplement pour ce qu’ils sont.» Et de
souligner le côté d’autant plus douloureux de «ce crime de haine» qu’il
survient en pleine période de célébration. Stuart Milk, neveu de l’activiste américain pour les droits homosexuels Harvey Milk (assassiné
en 1978) et président de la fondation
à son nom, met également l’accent
sur l’homophobie et la haine sousjacente à la tuerie de dimanche.
«Nous envoyons des torrents
d’amour à tous ceux Suite page 4
Libération Mardi 14 Juin 2016
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u 3
Lors d’une veillée à Orlando (Floride), lundi soir. PHOTO JOSHUA ROBERTS. REUTERS
«A chaque fois que j’entendais un coup de feu,
je pensais que c’était un ami qui mourait»
montent la garde devant le bâtion. A l’intérieur de la Joy MetropoCA
timent. «Juste après le début
litan Church, des rideaux aux
R
DU OLI
de la fusillade, nous avons
couleurs du drapeau arc-enS N
ÉTATS- UD E
commencé à recevoir des apciel avaient été disposés derALABAMA UNIS
pels de nos amis qui étaient
rière le podium, où se sont
GÉORGIE
Océan
Atlantique
au Pulse, raconte Yvonne
succédé les orateurs. Parmi
Tallahassee
Hernandez, employée au
eux, Orlando, l’un des rescaOrlando
endant plusieurs heures dimanche, Parliament House depuis
pés du Pulse, porte encore
Golfe du
FLORIDE
Mexique
abasourdis, effondrés, un peu effrayés onze ans. On entendait les
son bracelet de l’hôpital, dont
Miami
aussi, les responsables du Parliament coups de feu, les cris. J’avais
il était sorti quelques heures
House, un club gay d’Orlando, ont hésité à beaucoup d’amis à l’intérieur. Cerplus tôt. D’une voix entrecoupée
50 km
ouvrir leurs portes. Finalement, en hommage tains sont blessés, d’autres ne réponde sanglots, l’homme de 51 ans raaux victimes de l’attaque sanglante de samedi dent plus au téléphone. Je sais ce que cela veut conte son calvaire dans la discothèque : «A
soir contre le Pulse, ils ont décidé
dire.» Pour la première fois de sa chaque fois que j’entendais un coup de feu, je
que la vie devait continuer. «Si le REPORTAGE vie, Yvonne dit sentir la peur. «Je pensais que c’était un ami qui mourait. Je suis
Parliament House ferme, ils ont
redoute que cela donne des idées resté caché dans les toilettes pendant trois heugagné. Nous ne laisserons pas la haine et les à d’autres fous», confie la jeune femme aux res, je faisais le mort. Ce club, c’était un endroit
pertes infligées à notre communauté gagner, multiples tatouages. Quelques mètres plus de joie. Je connaissais tout le monde.»
jamais», a publié le club sur Facebook.
loin, Bill Taylor, 47 ans, se dit «profondément Dans la salle pleine à craquer, l’assistance est
Dès dimanche soir, des centaines d’habitants triste». Cet ingénieur informatique qui vit au bouleversée. Des boîtes de mouchoirs ont été
de la ville, pour la plupart membres de la com- sud d’Orlando a perdu deux amis dans la fu- disposées par terre. Au cours de la cérémonie,
munauté LGBT, se sont retrouvés sur place. sillade. «C’est pour ça que je suis ici, pour cher- la chorale gay de la ville a interprété plusieurs
Pour partager leur tristesse, leur douleur. cher du réconfort», confie-t-il.
titres, dont True Colors, de Cyndi Lauper, un
Pleurer. Se réconforter. Mais aussi boire un
des hymnes de la communauté homosexuelle.
verre et danser. A l’extérieur du complexe, qui Boîtes de mouchoirs. Un peu plus tôt Steven Haas est l’un des chanteurs : «Notre
abrite un motel, un bar et un théâtre, un pan- dans la soirée de dimanche, plusieurs veillées communauté gay a toujours été prise pour cineau géant résume l’état d’esprit ambiant : et cérémonies avaient été organisées à travers ble. Ce qui me surprend, c’est qu’un tel drame
«Pulse unbreakable» («Pulse incassable»). Plu- la ville, malgré les appels des autorités à limi- ne soit pas arrivé plus tôt. J’ai 61 ans, je me suis
sieurs voitures de police, gyrophares allumés, ter les rassemblements par mesure de précau- senti détesté toute ma vie. Nous avons encore
Depuis dimanche, les habitants
d’Orlando se réunissent pour
partager leur peine. Quand
d’autres continuent à chercher
leurs proches.
P
beaucoup de chemin à parcourir. Il y a toujours
des politiciens au Parti républicain qui tiennent des propos haineux contre notre communauté. Laissez-nous aimer librement.»
Message d’espoir. Pour les familles des
victimes, dont beaucoup attendent des nouvelles de leurs proches, l’incertitude est insupportable. Dans l’hôpital central d’Orlando, interdit à la presse, les équipes soignantes
communiquent au compte-gouttes l’identité
des blessés, parfois gravement touchés, lorsqu’ils ont été identifiés. «Les gens hurlent,
pleurent, crient parce que le nom de leur proche
n’est pas sur la liste, raconte Sarah, sans nouvelles de son frère Jimmy. Deux de ses amis qui
étaient avec lui disent l’avoir vu se faire tirer
dessus», ajoute-t-elle dans un sanglot. Devant
l’hôpital, l’imam Azhar est venu transmettre
un message d’espoir et de tolérance: «C’est notre communauté, nous sommes Floridiens,
nous sommes Américains. Nous essayons de
faire de notre mieux pour s’assurer que la paix
et la stabilité perdurent dans ce pays et que les
gens avec une idéologie obscurantiste ne réussissent pas à répandre la haine. Nous ne laisserons pas une personne nous diviser.»
FRÉDÉRIC AUTRAN
Envoyé spécial à Orlando
4 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
Suite de la page 2 qui souffrent[…].
La haine et la séparation continuent
d’être la source de trop de chagrins
et de vies volées à travers le monde.»
Pour mémoire, l’homosexualité est
toujours illégale dans plus de
80 pays, voire passible de la peine
de mort dans certains d’entre eux,
comme l’Iran, le Soudan ou le
Yémen.
«Histoire commune». En
France, pays qui a tant peiné
à adopter sa loi ouvrant le mariage
à tous trente ans après avoir dépénalisé l’homosexualité, le choc
d’Orlando s’est violemment répercuté. «On se sent tous attaqués, il y
a une histoire commune, affirme
Christophe Martet, un temps président d’Act Up et aujourd’hui directeur du site d’information LGBT
Yagg. Ce n’est pas que l’on s’y attendait, mais on le redoutait. Souvenezvous, à Paris, peu après les attentats
de novembre, dans le quartier
du Marais, il y a eu des pétards qui
ont explosé, et on a tous cru à un
nouvel attentat.»
«C’est la première fois que nous sommes attaqués en tant que communauté, de cette manière», enchaîne
Amandine Miguel, porte-parole de
l’Interassociative lesbienne, gay, bi
et transsexuelle (Inter-LGBT), qui
réunit 60 associations. «Hier, c’était
le droit à l’expression qui était visé,
là, c’est le droit de vivre comme on
veut», reprend Christophe Martet.
«Cela devait arriver, et c’est arrivé,
je ne voyais pas comment la communauté pouvait passer à travers»,
poursuit Michel Bourrelly, ancien
dirigeant de l’association Aides, et
qui s’occupe depuis des années de
la discrimination subie par les gays
à travers le monde. Partout, l’inquiétude est palpable. Matthieu Gatipon-Bachette, porte-parole de la
fédération Total Respect et président du centre LGBT de Metz, raconte: «J’ai eu des témoignages sur
le mode “pourquoi on nous fait ça?
Pourquoi on vient nous attaquer
dans nos lieux?” Le Pulse, c’est une
boîte emblématique engagée dans le
militantisme. Elle n’a pas été ciblée
pour rien.»
Pourtant, certains hommes politiques et médias occultent l’homophobie évidente. Et évitent d’utiliser
ce mot. C’est le cas de Donald Trump
qui, sur Twitter, s’est déchaîné sur le
problème du terrorisme (lire page 9).
En France, François Fillon, Alain
Juppé et d’autres candidats à la primaire à droite se sont abstenus
d’évoquer la sexualité des victimes.
Cette façon de faire du straightwashing (évacuer la sexualité) a, elle
aussi, suscité de l’indignation. Cela
serait, selon Ian Brossat, adjoint
communiste à la maire de Paris, le
signe que «le combat contre l’homophobie est loin d’être gagné». Quant
à François Hollande, sans doute soucieux d’appeler un chat un chat
après cet échauffement sur le
straight-washing, il a d’abord évoqué «la liberté de choisir son orientation sexuelle et son mode de vie». Moqué pour sa maladresse (non, on ne
choisit pas d’être gay), ce tweet est
devenu : «La liberté de vivre son
orientation sexuelle et de choisir son
mode de vie.» Bel effort. •
Savannah, qui a perdu un proche dans la tuerie de samedi, et son ami Ricky, lors d’une veillée à Orlando, lundi. PHOTO ADREES LATIF . REUTERS
A San Diego
(Californie), lundi.
PHOTO MIKE
BLAKE . REUTERS
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Sara et Leslie lors d’une marche de commémoration à Boulder (Colorado), lundi. PHOTO AUTUMN PARRY . DAILY CAMERA . AP
La classe politique française
montre sa carence honteuse
Pour Didier
Lestrade, figure
de la cause LGBT, les
réactions à la tuerie
d’Orlando soulignent
la non-dits de
la société française.
L
a communauté LGBT
internationale est sous le
choc. Orlando est désormais
la ville symbole de l’homophobie
et presque tous les médias, d’AlJezira à Sud-Ouest, parlent d’un
acte de haine commis contre les
homosexuels dans leur identité
commune. L’onde va se propager,
devenant un enjeu pour les élections américaines tout en radicalisant les clivages entre une droite
qui utilisera ce drame et un militantisme LGBT qui se recentrera
sur la défense des victimes, partout où elles sont. Orlando positionne les homosexuels dans la vague des attentats de Paris, de
Beyrouth, d’Istanbul et partout
ailleurs. C’est un tournant dans le
terrorisme qui ne doit pas occulter
ce qui se passe en Syrie et en Irak,
en Afrique aussi. Orlando nous
relie, en tant que personnes LGBT,
au conflit des extrémismes religieux, de l’impérialisme et de la
crise mondiale. Des drag-queens
d’un club à la guerre dans les
gays, ça vous dépasse?). C’est la
déserts: un bon pitch de film.
triste conséquence d’un pays déMalgré Trump, le mouvement
passé par ses voisins et qui déteste
LGBT américain parviendra à se
l’idée minoritaire. L’universalisme
mobiliser tout en réconfortant les
français, de droite ou de gauche,
familles des victimes. Le tissu ass’est tellement opposé au concept
sociatif américain est
communautaire qu’il a
dense, puissant. Le comTRIBUNE banni les mots qui l’acbat pour les droits des
compagnent. L’Etat se
personnes trans est sa nouvelle
prononce avec le vocabulaire de la
frontière. En France, c’est autre
Manif pour tous: une fausse trischose. Dès le lendemain du mastesse qui ne va pas au cœur du
sacre, les leaders politiques ne
drame, des formules toutes faites
sont pas parvenus à prononcer des qui semblent sorties d’un ordinamots pourtant simples comme
teur. Tout ça par peur électorale?
«gay» ou «homophobe». Les méLa classe politique française mondias ont du mal à désigner les victre ainsi sa carence honteuse dans
times sous l’angle de leur sexualité la représentation des minorités.
et encore moins leur ethnie (c’était On l’a vu avec les musulmans.
un club rempli de Latinos, c’est si
Aujourd’hui, c’est les pédés. Pas
compliqué à dire? Des Latinos
une seule figure politique crédi-
ble, à par Ian Brossat [adjoint PCF
à Paris, ndlr], qui puisse dire son
affect. C’est le résultat d’une
frayeur hexagonale envers le coming-out et l’affirmation que l’on
avait déjà vue lors du débat sur le
mariage pour tous où aucune figure politique n’était montée au
créneau pour s’emparer du sujet
–à part Christiane Taubira.
Il y a une usure, c’est évident. On
pourrait penser que notre pays ne
sait pas répondre à Orlando avec la
même ferveur que pour Charlie et
le Bataclan. Pour Charlie, Hollande et Valls sont allés dans une
synagogue. Pour le Bataclan, il y
avait un groupe de rock qui n’a pas
cessé de sortir des énormités pour
sa promo personnelle. Ici, il n’y
aura pas de porte-parole de la
communauté LGBT, car celle-ci
n’a pas de leader sincère puisqu’ils
sont tous inféodés au PS. Regardez
sur Twitter, nous sommes juste
une poignée à avoir un discours
transversal entre les gays et les
autres minorités, noirs, musulmans, syndicalistes et manifestants, tous bousculés par un état
d’urgence imposé pour motiver la
peur. Le gouvernement Hollande
est parvenu à étouffer le mouvement LGBT comme il l’a fait avec
les Verts et les frondeurs de son
parti. On s’est fait avoir avec Charlie et le Bataclan, instrumentalisés
depuis par l’Etat pour nous contrôler un peu plus; il n’y a pas de
raison pour que la société française puisse trouver les mots –et
surtout les actes, tout ce qu’il faut
faire contre l’homophobie, l’éducation sexuelle, le coming-out
pour vivre mieux– afin qu’Orlando ne soit pas qu’un symbole
supplémentaire de notre exclusion. Nous n’avions pas besoin de
cette boucherie pour exprimer notre espoir de vivre comme nous le
voulons. Nous n’avons pas besoin
d’être protégés par la police devant
nos clubs. Nous pouvons nous défendre par les idées, comme nous
l’avons toujours fait, contre le sida,
contre l’oubli. Mais Orlando marque l’incapacité de la société française à comprendre ce que nous
sommes, gays, lesbiennes, bi et
trans. Nous ne sommes pas égaux,
la droite nous déteste et la gauche
ne nous aime pas non plus. Les
lesbiennes qui attendent la PMA
promise par le candidat Hollande
vous le diront mieux que moi.
DIDIER LESTRADE
«Pourquoi les gays sont passés à droite»
(éd. Seuil, 2012)
LES PORTORICAINS TOUCHÉS AU CŒUR
Le principal quotidien portoricain El Nuevo Dia titrait
en une lundi «Deuil au cœur de la nouvelle diaspora».
Orlando compte en effet une importante
communauté originaire de l’archipel des Caraïbes,
au statut d’Etat librement associé aux Etats-Unis. Et
les victimes identifiées sont en majorité portoricaines.
Traditionnellement présents à New York, les Boricuas
(habitants de Borinquen, le nom aborigène de Porto
Rico) se sont installés en masse en Floride centrale
depuis une dizaine d’années. La crise économique sur
l’archipel, qui s’est déclarée en faillite le mois dernier
en raison d’un endettement colossal, a accéléré le
mouvement. Leur nombre dépasse désormais le
million pour la Floride, autant que dans l’Etat de
New York. Et la mégapole Orlando-KissimmeeSanford enregistre plus de 300 000 Boricuas.
Dimanche avait lieu à New York la parade de la fierté
portoricaine, cette année dédiée à la communauté
LGBT et aux liens familiaux. Le défilé a tourné à la
manifestation de deuil. La Mexicaine Brooke Cerda
Guzmán, militante des droits des transsexuels, a
résumé le sentiment des participants : «Nous,
personnes trans, devons fournir une attestation d’un
psychologue ou d’un psychiatre pour obtenir des
hormones. Mais on peut acquérir une arme à feu sans
qu’on vous pose la moindre question.» F.-X.G.
6 u
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Les clubs, lieux de refuge
et d’émancipation
Comme la culture disco,
les boîtes de nuit et les
bars sont aux Etats-Unis,
depuis cinquante ans, des
havres pour les minorités
homo, noire, latino…
P
armi le flot de réactions à chaud à la
tuerie d’Orlando parues sur les réseaux
sociaux dans la journée de dimanche,
une publication du label californien Dark Entries a réchauffé le cœur des amateurs de
dance music particulièrement touchés par ce
crime haineux: un vieux cliché photomaton
du producteur de disco électronique Patrick
Cowley embrassant à pleine bouche le chanteur Jorge Socarras, dont il était l’amant et le
collaborateur au sein du duo Catholic pendant la deuxième moitié des années 70.
Contre-culture. Cette publication faisait
suite à l’appel de l’écrivain K.M. Soehnlein de
«submerger le monde sous des photos d’hommes s’embrassant» en réponse au mobile
d’Omar Mateen, devenu enragé, d’après son
père, après avoir été spectateur d’un baiser
entre hommes dans la rue. Mais elle permet
aussi de préciser la partie de la population
américaine visée et le contexte très spécifique
dans lequel la tuerie a été perpétrée: un club
gay largement fréquenté par les latinos américains, c’est-à-dire un groupe doublement minoritaire. Et ce, dans un pays où la nation se
conçoit comme la somme de communautés
aux contours et caractères propres, plutôt que
comme un tout que cimenteraient les principes d’universalisme républicain, comme en
France.
Au-delà de la revendication de l’Etat islamique et de la folie de Mateen, l’image rappelle
à quel point le club dans ses diverses formes
(ballroom, bar, discothèque géante) constitue
un lieu de refuge et de convergence des luttes
fondamental pour les minorités américaines
Lundi matin, les rues étaient encore bloquées autour du Pulse, à Orlando. PHOTO DREW ANGERER .
depuis cinq décennies. Plusieurs ouvrages de
référence parus ces dernières années, comme
Love Saves the Day de Tim Lawrence ou Turn
the Beat Around de Peter Shapiro (édité en
France par Allia en 2008) racontent l’émergence de cette contre-culture et l’histoire sociale méconnue derrière l’hédonisme revendiqué du disco et de ses suites (Hi-NRG,
house, garage) ou les clichés flamboyants de
beautiful people au Studio 54 de New York.
Réinventée. Premier établissement privé
reconnu dans la chronologie des clubs disco
américains, le Loft, ouvert par David Mancuso
à son domicile de Greenwich Village en 1970,
était envisagé comme une échappatoire aux
discothèques traditionnelles, où les homosexuels étaient sujets aux harcèlements des
clients autant que du service d’ordre ou des
policiers. Grâce à leurs systèmes d’adhésion,
le Loft puis la Gallery de Nicky Siano ou l’utopique Paradise Garage fondé par Michael
Brody en 1977 sont devenus autant de havres
et de lieux d’expérimentation sexuelle, culturelle et sociale pour les populations les plus
précaires et les plus vulnérables de la communauté homosexuelle américaine, notamment
les Noirs et les Latinos.
L’émergence des sous-genres de dance music
qui ont suivi l’explosion du disco dans la culture grand public à partir de 1974 est presque
systématiquement liée à des lieux d’émancipation emblématiques de leur ville ou de leur
quartier : le EndUp de San Francisco d’où a
émergé la Hi-NRG, le Warehouse, le Music
Box et le Powerplant de Chicago où est née la
house music, le Zanzibar Club de Newark
dans le New-Jersey où furent plantées les
graines du garage. Sur leurs pistes de danse
ou dans leur backrooms, les danseurs et les
DJ ont accouché de musiques inédites et la
culture gay a communié, s’est extasiée, s’est
libérée. A l’abri du monde, elle a inventé et
s’est réinventée, sans cesse. Et elle continue
de le faire. Loin des grands raouts «EDM»
(electronic dance music) qui rassemblent régulièrement des centaines de milliers de jeunes wasps hétérosexuels, l’une des scènes les
plus vigoureuses et enragées de la musique
électronique actuelle est en train d’émerger
autour du producteur texan Lotic, jeune figure noire et gay aussi engagée dans la reconnaissance de sa musique aventureuse et débridée que de son identité : plurielle, queer,
transcommunautaire.
Parce qu’ils sont par définition des lieux
d’abandon et de plaisir, on a longtemps oublié
de regarder les clubs comme des avant-postes
de revendication et d’avant-garde sociétale.
La tuerie au Pulse vient rappeler qu’ils n’ont
jamais cessé de l’être, en toute insouciance.
OLIVIER LAMM
Le Pulse, boîte militante de la cause LGBT
L’établissement
d’Orlando, ouvert il y a
douze ans en mémoire
d’un jeune gay mort
du sida, incarnait
pour la communauté
homosexuelle
une famille symbolique.
E
n attaquant le Pulse, Omar
Mateen a frappé la communauté LGBT. Ce club, surtout
fréquenté par des gays, lesbiennes,
drag-queens et transgenres, se revendiquait comme «un lieu d’amour
et de tolérance pour la communauté
LGBTI», écrit Barbara Poma, copropriétaire du bar, sur le site de l’établissement. D’après le Huffington
Post, celle-ci a créé ce club en 2004,
en hommage à son frère John, emporté par le sida en 1991. Son frère,
qui avait dû se battre pour affirmer
son homosexualité.
«Dans une famille italienne stricte,
être gay était mal vu, écrit Barbara
Poma sur son site. Pourtant, quand
John a fait son coming out auprès de
sa famille et de ses amis, la dynamique familiale est passée d’une culture de respect strict de la tradition
à une culture de tolérance et
d’amour.» Alors, à la mort de son
frère, Barbara Poma a voulu lui rendre hommage. «C’était important
de créer une ambiance qui collait
au mode de vie gay, avec un décor
qui aurait rendu John fier, écrit-elle
encore. Et surtout, on a appelé le
club Pulse en hommage au battement de cœur de John. John a inspiré ce club, c’est ici qu’il restera en
vie dans les yeux de ses amis et de
sa famille.»
En douze ans d’existence, le
club s’est imposé comme un lieu
emblématique de la cause gay
aux Etats-Unis. Réputé pour ses
spectacles de drag-queens et ses
shows, le Pulse «est une des destinations les plus prisées par les personnes LGBT l’été», raconte Benjamin Di Costa, un ancien danseur
de l’établissement, interrogé par le
Miami Herald.
Ce samedi soir, avant l’attaque,
«la boîte de nuit la plus chaude de la
ville d’Orlando» organisait une
soirée latine, attirant une importante communauté gay et latino.
Classé deuxième meilleur bar gay
d’Orlando par GayCities, un site
dédié à la communauté gay, le Pulse
était «habituellement très fréquenté
après 23 heures», d’après les commentaires laissés sur TripAdvisor.
Le 28 mai, 121 personnes s’étaient
inscrites sur Facebook à la soirée
latine organisée par le Pulse. Parmi
les habitués, beaucoup appartiennent à la communauté LGBT. Cette
dernière s’est donc sentie visée
dans son ensemble par l’attaque revendiquée par l’Etat islamique :
comme le soulignait Barbara Poma
sur son site, le Pulse était plus qu’un
«simple club gay». C’était un club
militant.
MÉGANE DE AMORIM
Libération Mardi 14 Juin 2016
«Tous les fascismes,
et l’Etat islamique en
est un, s’attaquent aux
minorités sexuelles»
ESTELLE PATTÉE
et ISABELLE HANNE
L
udovic-Mohamed Zahed, fondateur de l’association HM2F
(Homosexuels musulmans de
France), milite pour réconcilier islam et homosexualité. Il est à l’initiative de la première salle de prière
de France ouverte en 2012 aux
croyants LGBT. Ouvertement homosexuel, pro-mariage gay, il vient
de soutenir sa thèse en anthropologie du fait religieux à l’EHESS.
L’islam est-elle une religion
homophobe ?
Plusieurs hadiths [qui désignent les
faits et gestes du Prophète, plus ou
moins apocryphes, ndlr] rapportent
comment le Prophète protégeait les
mukhannathun, ces hommes efféminés devant lesquels les femmes
ne se voilaient pas car ils n’avaient
pas de désir pour elles. Il accueillait
ces gens, les défendait contre ce
Ludovic-Mohamed Zahed, fondateur de
l’association Homosexuels musulmans de France
et chercheur en anthropologie, rappelle que
l’homosexualité n'est citée nulle part dans le
Coran. Pour lui, l’homophobie est affaire de
politique et non de tradition.
qu’on appelle l’homophobie. Certains de ses compagnons voulaient
les tuer parce qu’ils avaient des rapports sexuels avec des hommes, ils
s’habillaient comme des femmes,
mettaient du henné sur les mains,
donc l’équivalent du maquillage à
l’époque. Je ne sais pas si c’est vrai,
d’un point de vue historiographique, il faut prendre ces traditions
avec prudence. Cela dit, dans l’islam, on trouve de quoi défendre le
droit des minorités.
Que dit vraiment le Coran sur
l’homosexualité ?
L’homosexualité n’est citée nulle
part dans le Coran. Il y a des versets
qui font référence à des rapports
sexuels entre hommes. Et ce sont
toujours des versets sur Sodome et
Gomorrhe, dans un contexte de
guerre entre les Israélites et les Sodomites de l’époque. Ces derniers
ne sont pas des homosexuels. Ils
sont décrits comme des pirates, des
voleurs, des violeurs d’hommes et
de femmes. Il y a un verset qui dit:
«Aucun autre peuple avant vous ne
s’était adonné à cette abomination.»
Ce verset est très clair: par «abomination», le Coran désigne et condamne les viols rituels que pratiquaient Sodome et Gomorrhe. Et
non l’homosexualité, qui a toujours
existé. Ce ne sont pas les humains
qui l’ont inventé il y a 5 000 ans !
Le Licite et l’Illicite en islam,
écrit en 1960 par le théologien
des Frères musulmans Youssef
al-Qaradawi, indique comment
tuer les homosexuels. Si le Coran
ne condamne pas l’homosexualité, des théologiens se
sont chargés de le faire…
Tout peut être utilisé pour justifier
l’injustifiable. Ce n’est pas pour
autant qu’il faut croire ces abrutis.
Et d’ailleurs, l’auteur que vous citez
est l’objet d’un mandat d’arrêt international d’Interpol. Au nom de l’islam, les combattants de l’EI torturent et exécutent des homosexuels
dans les territoires qu’ils occupent.
Ils tuent parce que ce sont des fascistes qui sont dans une perspective
tribale. Tous les fascismes, et l’EI en est un,
s’attaquent aux minorités sexuelles, religieuses ou ethniques.
Ce n’est pas très politiquement correct de
dire que l’islam n’est
pas homophobe.
Le facteur déterminant commun entre
toute cette fascisation des identités,
qui pointent du doigt les minorités,
c’est la crise. Les gens vont s’enfermer dans un groupe et fantasmer,
idéaliser l’identité nationale. Très
peu de civilisations ne sont pas passées par la fascisation des identités,
le patriarcat et la violence envers les
femmes et les minorités. Dans le
monde arabo-musulman, ça prend
des proportions incroyables parce
que la crise est incroyable.
En Tunisie, de 60 à 70 personnes
sont condamnées chaque année
de six mois à trois ans de prison
pour homosexualité…
Ce sont des lois qui ont été élabo-
rées à l’époque de la colonisation. Je
ne dis pas que c’est la faute de l’Europe, mais quand les Européens ont
colonisé le monde arabo-musulman ou l’Inde, ils ont importé leurs
systèmes juridiques, où l’ordre passait par la répression des minorités.
Aujourd’hui, l’Europe a changé.
L’association Shams en Tunisie est
en train de lutter pour la décriminalisation de l’homosexualité. C’est la
première association officiellement
LGBT du monde arabo-musulman,
c’est porteur d’espoir.
N’y a-t-il pas une tradition
homophobe dans ces sociétés
contemporaines arabo-musulmanes ?
Il y a une homophobie d’Etat, pas
une homophobie traditionnelle. Si
on parle de tradition, c’est-à-dire
d’où l’on vient, il faut rappeler la
tradition homo-érotique qui existait dans les pays arabo-musulmans. Pourquoi cette homophobie
s’est-elle imposée aujourd’hui ? A
cause de la politique. L’homophobie, c’est une politique d’Etat. Et on
a un peu l’impression de se battre
contre des moulins à vent, quand
on voit le massacre d’Orlando au
nom de l’islam… Alors que le tueur
n’était même pas croyant, même
pas pratiquant, exactement comme
pour les attentats de Bruxelles et
de Paris.
Vous ne pouvez pas nier qu’il est
extrêmement difficile d’être homosexuel dans certaines sociétés arabo-musulmanes…
Evidemment. Mais j’essaie d’être
dans la déconstruction des préjugés, de voir ce qu’il y a derrière cette
façade arabo-islamiste. Il n’existe
pas de traces de tortures ou d’exécutions d’homosexuels dans la tradition du Prophète ou des califes. On
a vu pendant des siècles des califes
ottomans, mais aussi les Abbassides
et les Omeyyades, qui pratiquaient
l’homo-érotisme. L’un des derniers
sultans ottomans était bisexuel. Les
grands poètes européens du
XIXe siècle allaient vivre leur homosexualité au Maroc ou en Tunisie,
parce que c’était possible là-bas. Ici
non. On brûlait des homosexuels
jusqu’en 1750 sur la place de l’Hôtel
de ville à Paris. Il y a
vraiment une inversion des valeurs au
moment où l’équilibre
des pouvoirs a changé.
Quelle est la responsabilité des représentants musulmans ?
L’islam n’a pas de
clergé. Il est décentralisé, beaucoup moins clérical à travers les siècles que dans la religion
chrétienne. Mais aujourd’hui, ça
nous explose à la figure. A un moment donné, quand vous dites à vos
fidèles que l’homosexualité est une
abomination, que selon la tradition
il faut tuer les homosexuels, mais
en même temps qu’il ne faut pas appliquer cette tradition, il faut être
clair: d’autres vont l’appliquer à votre place. Le seul point positif des
horreurs comme celle d’Orlando,
c’est qu’au bout d’un moment, on va
devoir choisir clairement entre
l’islam de Daech et l’islam des lumières. •
DR
Prière à la mosquée Baitul Aafiyat d’Orlando, dimanche. PHOTO DREW ANGERER . GETTY IMAGES . AFP
Recueilli par
u 7
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8 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
Omar
Mateen,
«discret»
et «raciste»
Né en 1986 aux Etats-Unis,
d’origine afghane, le tueur du Pulse
semble avoir changé de personnalité
ces dernières années, après son
divorce. Il avait fait l’objet de deux
enquêtes du FBI, sans suite.
C
itoyen américain, Omar Mir Seddique est né
le 16 novembre 1986, de parents immigrés
afghans. Il vivait en Floride, à Fort Pierce,
à 200 kilomètres d’Orlando, et s’était déclaré démocrate. En 2006, diplômé de sciences criminelles, il entame des démarches pour ajouter à son nom le patronyme Mateen. En 2007, il est embauché comme agent
de sécurité par G4S, un géant du secteur. Détenteur
de deux permis de port d’armes, il n’avait pas de casier
judiciaire mais avait fait l’objet de deux enquêtes du
FBI, closes faute d’éléments tangibles après trois interrogatoires et une surveillance. L’une, en 2013, était liée
à des propos radicaux qu’il aurait tenus au travail, la
seconde, en 2014, à ses liens avec un Américain de Floride qui avait rejoint l’Etat islamique avant de mourir
dans un attentat-suicide. Omar Mateen a lui-même
prêté allégeance à l’organisation quelques minutes
avant l’attaque.
Ses collègues le décrivent comme très consciencieux,
fasciné par les forces de l’ordre, mais «raciste, belliqueux et toxique», ayant «toujours des choses méchantes
à dire sur les Noirs, les juifs, les gays, les politiciens, les
soldats». L’un d’eux précisant qu’il n’aimait pas les femmes, sauf pour le sexe. En 2009, il épouse Sitora Yusifiy.
Elle explique qu’après quelques mois de mariage, il est
devenu instable et violent, a montré des signes de «maladie mentale», «peut-être due aux stéroïdes». Elle parle
d’un homme davantage intéressé par la gym que par
la religion et qui rêvait de devenir policier. Terrorisée,
frappée, elle le quitte en 2011. Mateen serait devenu
plus religieux après son divorce, selon un ami, et il
aurait effectué son pèlerinage à La Mecque. «Il venait,
priait et partait. Il était très discret», affirme l’imam de
Fort Pierce. Son père, qui poste sur Internet des vidéos
assez incohérentes sur la politique afghane, pense que
l’attaque «n’a rien à voir avec la religion», mais avec
l’homophobie, son fils ne supportant pas de voir des
hommes s’embrasser.
Paradoxalement, un de ses amis de lycée ouvertement
homosexuel assure qu’il a beaucoup fréquenté Omar
Mateen, l’emmenant «une fois ou deux à un “drag
show”» sans qu’il ne manifeste d’hostilité envers la communauté LGBT. Un autre camarade de classe décrit de
son côté un garçon alors non violent, mal aimé, qui se
laissait intimider. Dans son allocution de dimanche,
Barack Obama, lui, a vu en Omar Mateen «une personne
emplie de haine».
LAURENCE DEFRANOUX
Les enquêteurs sur les lieux de la tuerie, lundi. PHOTO CARLO ALLEGRI .REUTERS
Une attaque sur le modèle
de celles prônées par l’EI
Le tueur d’Orlando
fait partie des
«terroristes de
l’intérieur» qui
suivent un mode
opératoire défendu
par l’Etat islamique.
S
i la nature exacte du lien entre
Omar Mateen et l’Etat islamique (EI) reste à déterminer, celui-ci
existe bel et bien. L’EI a revendiqué dimanche, via sa radio Al Bayan, l’un de
ses canaux de propagande, le massacre
dans la boîte de nuit d’Orlando. L’assaillant est qualifié de «soldat du califat».
L’organisation jihadiste n’a pas pour habitude de revendiquer des attentats sans
être impliquée.
Cela ne signifie pas pour autant que des
responsables de l’Etat islamique l’aient
organisé ou même commandité depuis
le califat autoproclamé, à cheval sur la
Syrie et l’Irak. L’attaque d’Orlando n’a pas
grand-chose à voir avec celle qui a visé
Paris et Saint-Denis le 13 novembre. Elle
n’a mobilisé qu’un assaillant, qui a frappé
une cible unique. Omar Mateen ne semble pas non plus avoir séjourné en Irak ou
en Syrie (lire ci-contre). Il a déclaré son
allégeance lors d’un coup de téléphone
au 911, les services d’urgence américains,
juste avant de débuter son carnage.
REUTERS
«Isolez l’Américain infidèle»
Son profil et le mode opératoire suivi
s’apparentent bien plus à ceux des
auteurs des attaques précédentes aux
Etats-Unis. Le 3 mai 2015, à Garland
(Texas), deux hommes avaient ouvert le
feu lors d’un concours de caricatures de
Mahomet organisé par un groupe d’ex-
trême droite. L’attaque, qui avait fait un
blessé léger et deux morts –les deux jihadistes –, avait été revendiquée par l’EI.
Sept mois plus tard, Tashfeen Malik et
Syed Rizwan Farook, un couple d’origine
pakistanaise, s’attaquait à un centre de
santé de San Bernardino (Californie),
tuant 14 personnes et blessant 21 autres.
Tashfeen Malik avait fait allégeance au
«calife» Abou Bakr al-Baghdadi sur Facebook. L’EI s’était félicité de l’attaque, qualifiant ses auteurs de «partisans».
Ces «terroristes de l’intérieur», comme
les nomme le département américain de
la Sécurité intérieure, répondent aux appels de l’Etat islamique à frapper partout
où il est possible de le faire, selon ses
moyens et son expérience. «Si vous ne
pouvez pas trouver d’engin explosif ou
de munitions, alors isolez l’Américain infidèle, le Français infidèle, ou n’importe
lequel de ses alliés. Ecrasez-lui la tête à
coups de pierre, tuez-le avec un couteau,
renversez-le avec votre voiture, jetez-le
dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez-le», avait déclaré Mohamed al-Adnani, porte-parole de l’organisation,
dans le magazine de propagande Dabiq
en septembre 2014, deux mois après la
L’EI reprend la théorie
du «troisième jihad»:
le jihad centralisé,
porté par Ben Laden,
est un échec puisqu’il
a provoqué la perte
du sanctuaire afghan,
elle préfère donc les
attaques conçues
localement.
proclamation du «califat». Un appel répété en mai, un mois avant le début du
ramadan.
«Un effet domino
L’Etat islamique ne fait en réalité que reprendre la théorie dite du «troisième jihad» d’Abou Moussab al-Souri. Syrien
d’origine, aussi détenteur de la nationalité
espagnole, il est l’auteur de l’«Appel à la
résistance islamique mondiale» publié sur
Internet en 2004. Son idée: le jihad centralisé, porté par Oussama ben Laden et
illustré par les attentats du 11 septembre 2001, est un échec puisqu’il a provoqué la perte du sanctuaire afghan.
A ces attaques massives, il préfère celles
conçues sans commandement central. A
force d’être répétées, espère-t-il, elles déclencheront des guerres civiles entre les
minorités musulmanes et le reste des populations occidentales. L’Etat islamique
mise donc à la fois sur ce jihad du pauvre,
tout en organisant des attaques plus élaborées, telles celles de Paris, Saint-Denis
et Bruxelles, qui ont mobilisé une quinzaine de jihadistes, dont plusieurs avaient
rejoint l’Europe depuis le «califat». Les cibles désignées restent les mêmes: les juifs,
les chrétiens, les «blasphémateurs» et les
homosexuels.
Qualifiés de «déviants», ces derniers sont
traqués dans les territoires de l’Etat islamique. «Quand ils capturent quelqu’un,
ils inspectent son téléphone, ses contacts
et ses amis sur Facebook. C’est un effet domino. Si un tombe, les autres aussi», a témoigné un Irakien devant le Conseil de
sécurité de l’ONU à l’été 2015. Dans le
«califat», les homosexuels risquent la
condamnation à mort pour «sodomie».
La peine est d’être précipité du haut d’un
immeuble. D’après l’ONG Outright Action International, au moins 36 personnes avaient subi ce sort en Syrie et en Irak
à la fin 2015.
LUC MATHIEU
Libération Mardi 14 Juin 2016
u 9
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Un massacre qui alimente
la présidentielle américaine
A cinq mois de l’élection, les
élus républicains multiplient
les saillies anti-islam tandis
que les démocrates relancent
le débat sur les armes.
P
as de retenue. Pas de trêve, comme on
en observe souvent à travers le monde
en cas de tragédie nationale. Quelques
heures seulement après le carnage perpétré
à Orlando, alors que les corps des victimes gisaient encore sur le sol ensanglanté du Pulse,
la récupération politique a débuté. A cinq
mois d’une élection présidentielle capitale,
il fallait s’y attendre. D’autant que cette nouvelle fusillade de masse, la plus meurtrière de
l’histoire américaine, réunit tous les ingré-
dients d’un débat politique acharné : terrorisme, lutte contre l’organisation Etat islamique, homophobie, contrôle des armes à feux.
Sans surprise, la première saillie est venue de
Donald Trump. Dans un tweet qui a suscité
à la fois réactions outragées de ses détracteurs
et applaudissements de ses partisans, le candidat républicain à la Maison Blanche a remercié ceux qui le félicitaient «pour avoir eu
raison sur le terrorisme islamique radical».
«Je ne veux pas de félicitations, je veux de la
sévérité et de la vigilance. Nous devons être
intelligents!» a commenté le magnat de l’immobilier. Ou comment placer à nouveau sa
campagne électorale et sa rhétorique antimusulmans au centre du débat. Après la fusillade
de San Bernardino, en décembre, au cours de
laquelle un Américain radicalisé et sa femme
pakistanaise avaient tué 14 personnes, Donald Trump avait suggéré d’interdire l’entrée
aux Etats-Unis à tous les musulmans «jusqu’à
nouvel ordre». Une proposition qu’il a renouvelée après le drame d’Orlando, mettant en
garde contre le risque de nouvelles attaques:
«Ce qui s’est passé à Orlando n’est que le début.
Notre direction est faible et inefficace. Je l’ai
appelée et ai demandé l’interdiction. Il faut
être dur.» Le milliardaire a également réclamé
la démission de Barack Obama, jugeant inacceptable que le président américain n’ait pas
prononcé les mots «islam radical» dans sa déclaration après la tuerie d’Orlando.
tière. C’est simplement dangereux.» D’une manière générale, les réactions de chaque camp,
républicain ou démocrate, illustrent les clivages qui traversent depuis des années la vie politique américaine. Côté républicain, l’accent
a été mis sur la menace terroriste. «A mesure
que nous guérirons, nous devons être lucides
sur qui est passé à l’acte. Nous sommes une nation en guerre contre les terroristes islamistes»,
a déclaré Paul Ryan, le président républicain
de la Chambre des représentants. Ton identique chez Ted Cruz, ancien candidat à l’investiture républicaine : «Notre nation est en
guerre. Le terrorisme islamiste radical a déclaré le jihad contre l’Amérique. Il est temps
«Lucides». La candidate démocrate Hillary d’agir. Nous avons besoin d’un commandant
Clinton a rétorqué: «On ne peut pas diaboliser en chef qui dira la vérité et qui déploiera toute
[…] et déclarer la guerre à une religion tout en- la force de l’armée américaine pour anéantir
l’Etat islamique et ses affiliés», a martelé le sénateur du Texas.
Prompts à dénoncer les dangers de l’islam radical, les élus républicains ont en revanche
très peu évoqué, voire totalement occulté, la
dimension homophobe de l’attaque. Il faut
dire que les conservateurs religieux, féroces
opposants au mariage homosexuel, se sont largement aliénés la communauté LGBT aux
Etats-Unis. A l’inverse, les démocrates n’ont pas manqué
d’afficher leur solidarité avec
une communauté qu’ils courtisent en vue des prochaines
élections, locales et nationales.
«Le tueur a attaqué une boîte
TED CRUZ
de nuit LGBT pendant le mois
ex-candidat de la fierté. A la communauté
républicain LGBT: vous devez savoir que
vous avez des millions d’alliés à
travers notre pays. Je suis l’un de ceux-là», a
commenté Hillary Clinton. Barack Obama, lui,
a martelé qu’une attaque «contre tout Américain, quels que soient sa race, son groupe ethnique, sa religion ou son orientation sexuelle»
était «une attaque contre nous tous».
«Le terrorisme
islamiste radical
a déclaré le jihad
contre l’Amérique.
Il est temps d’agir.»
Opposition. Enfin, la question des armes à
Inspection par les agents du FBI du mur situé à l’arrière du Pulse, lundi. PHOTO JOE RAEDLE . GETTY IMAGES . AFP
L’AR-15, une arme de guerre pour 1000 dollars
Le tueur a utilisé
un fusil automatique,
cousin du M-16, interdit
à la vente aux EtatsUnis de 1994 à 2004.
Lors de la fusillade, Omar Mateen a utilisé un AR-15, le même
type d’arme qui avait servi aux
tireurs d’Aurora (Colorado), de
Newtown (Connecticut) et de
San Bernardino (Californie). Pas
moins de 3,7 millions de person-
nes possèdent ce fusil d’assaut
aux Etats-Unis, cousin du M-16
utilisé par les militaires américains pendant la guerre du Vietnam. Semi-automatique, l’AR-15,
du fabriquant Colt, peut tirer jusqu’à 45 coups par minute.
Disponible sur des sites de vente
en ligne pour à peine 1000 dollars, ce fusil est libre d’accès en
Floride. Seule condition, ne pas
avoir de passé criminel. Il doit
son succès à son apparence, celle d’une arme de guerre, mais
aussi à son caractère personnali-
sable. Pointeur laser, lunette, visée nocturne, tout peut s’accrocher à son canon. «C’est ce qui
en fait une arme unique», vante
l’association pour le port des armes (National Rifle Association,
NRA). Elle a été interdite à la
vente de 1994 à 2004, par une loi
sur la commercialisation des
fusils d’assaut. Sous la pression
des lobbys, la législation a été
abandonnée. Ce qui n’empêche
pas que le débat soit relancé
à chaque fusillade. Depuis 2014,
des parents de victimes du
drame de Newtown poursuivent
l’entreprise Remington, qui
produit un dérivé de l’AR-15 :
«C’est un instrument de guerre
fait pour se battre sur un champ
de bataille mais vendu à grande
échelle», avait déploré Mark Barden, père d’une victime. Barack
Obama et Hillary Clinton ont de
nouveau appelé à l’interdiction
de l’AR-15 et à une législation.
Mais ce vœu du président américain est resté jusqu’à présent
sans résultat.
CYRIELLE CABOT
feu, sujet de discorde permanent entre les
deux partis, est revenue au centre des déclarations. Donald Trump a estimé que si les personnes avaient été armées sur la piste du
Pulse, «nous n’aurions pas eu cette tragédie-là». A l’opposé, Hillary Clinton a appelé à
«remettre en place l’interdiction des armes
d’assaut, qui a expiré». Barack Obama, qui a
échoué à durcir la législation sur les armes
face à l’opposition du Congrès républicain, a
souligné «combien il était facile pour quelqu’un
de mettre la main sur une arme qui lui permet
de tuer des gens dans une école, dans un lieu de
prière, dans un cinéma ou dans une boîte de
nuit». «Nous devons décider si c’est ce genre de
pays que nous voulons être», a-t-il ajouté.
Une déclaration rhétorique, tant l’opposition
farouche du Congrès républicain empêche
toute réforme sur ce sujet. Il y a trois ans et
demi, le drame de Newtown (Connecticut), où
20 enfants et 6 adultes avaient été massacrés
à l’école élémentaire de Sandy Hook, n’avait
pas provoqué de prise conscience sur ce dossier du gun control. Il n’y a aucune chance que
la tuerie du Pulse à Orlando, malgré son envergure et son horreur, change la donne.
FRÉDÉRIC AUTRAN
Envoyé spécial à Orlando
10 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Si les candidats à la primaire de la droite
étaient une équipe de rugby
Avec la déclaration de candidature d’Henri Guaino,
ce sont désormais quinze candidats (douze déclarés, trois présumés) qui sont en lice pour la primaire organisée par Les Républicains en novembre. De quoi faire une jolie mêlée et une ligne
arrière redoutable. ILLUSTRATION SIX PLUS
EXPRESSO/
Primaire à droite:
Henri Guaino lance
son appel du 13 juin
L’ancienne plume
de Nicolas Sarkozy
est, depuis lundi,
le douzième
prétendant officiel
à l’investiture LR
pour 2017, et ce au
nom d’un gaullisme
patriote et social,
qu’il dit oublié.
Par
ALAIN AUFFRAY
U
n gaulliste parle aux
Français. A quelques
jours de l’anniversaire
de l’appel du 18 Juin, Henri
Guaino n’a pas fait les choses
à moitié. Lundi matin, il s’est
carrément invité dans les
matinales de deux stations de
radio concurrentes, ce qui
n’est pas banal. D’abord sur
France Inter, à qui il avait réservé l’annonce de sa candidature à la primaire des 20
et 27 novembre. Ensuite sur
RMC-BFM TV, où il a pris,
trente minutes plus tard, le
temps de s’expliquer plus longuement sur sa décision.
Il fallait au moins ça pour
rencontrer un minimum
d’écho. D’Alain Juppé à
Jacques Myard, la droite alignait déjà onze prétendants
plus ou moins sérieux à l’investiture présidentielle. Pour
la moitié d’entre eux, il sera
très difficile de réunir d’ici
fin août les parrainages
de 250 élus (dont 20 parlementaires) requis pour valider chaque candidature.
LE CANDIDAT
DU JOUR
Henri Guaino est donc le douzième candidat. Après avoir
longuement pesé «le pour et
le contre», il explique en être
arrivé à la conclusion qu’il ne
pouvait pas «rester les bras
croisés» devant le spectacle
de cette primaire, qu’il assimile à «un hold-up sur l’élection présidentielle». Outre le
fait qu’il dénonce le principe
même de ce mode de sélection du candidat –le jugeant
peu conforme à la tradition
de la Ve République–, le député des Yvelines affirme que
le gaullisme, jadis au centre
de sa famille politique, a tout
bonnement «disparu». Dans
le parti Les Républicains (LR),
il ne resterait plus que des
centristes et des libéraux,
laissant «un vide qui se comble par les extrêmes».
«France du “non”». En
clair, Guaino se propose donc
de ramener au gaullisme
une partie de son électorat
égaré, faute de mieux, chez
Jean-Luc Mélenchon et plus
encore chez Marine Le Pen. Il
devrait pouvoir compter avec
le soutien des députés LR
Julien Aubert et Lionnel
Luca, qui regrettaient, dans
une tribune publiée le 16 mai
par l’Opinion, l’absence d’un
candidat de «la droite patriote, jacobine, sociale et
eurocritique» capable de convaincre «la France du “non”».
Proche de Guaino, dont il fut
l’élève à Sciences-Po, Aubert
récuse aussi bien Juppé, ce
«girondin néogaulliste», que
Fillon, «séguiniste génétiquement modifié qui aurait
accepté [le traité de] Maastricht», ou Le Maire et son
«conservatisme éthique». Il ne
croit pas non plus en Sarkozy,
même «débarrassé de ses
scories buissonniennes», car
les «orphelins du Kärcher»
– ceux qui ont cru au grand
ménage–, ont été trop déçus
entre 2007 et 2012.
Séduire l’électorat du FN,
n’est-ce pas justement ce que
se propose de faire Nicolas
Sarkozy quand il célèbre,
dans son discours du 8 juin,
«l’identité» de la France,
«pays chrétien dans sa culture
et dans ses mœurs»? «Certes,
répond Guaino à Libération,
mais toute la question est justement de savoir comment on
s’y prend.» Même s’il veille à
ne pas couper les ponts avec
l’ex-chef de l’Etat, son ancienne plume républicaine
laisse deviner tout le mal
qu’il pense de sa rechute
identitaire.
Avant de passer au service de
Sarkozy dans la campagne
de 2007, Guaino a surtout été
un proche de Philippe Séguin, ex-gardien de l’orthodoxie gaulliste. A ses côtés, il
a milité pour le «non» au référendum sur le traité de
Maastricht de 1992, avant de
souffler à Jacques Chirac l’argument de la mobilisation
contre la «fracture sociale»
dans la campagne présidentielle de 1995.
Cavalier seul. C’est au
nom de ce combat qu’il part
aujourd’hui en guerre contre
la «surenchère libérale» qui
fait rage dans sa famille politique. «Ce n’est pas en faisant
peur à ceux qui ont un emploi
stable qu’on trouvera du
travail pour ceux qui n’en ont
pas […]. Je n’irai pas à la
rencontre des Français en leur
disant: “Vous avez trop bien
vécu, maintenant il faut
S’il ne parvient
pas à réunir
les parrainages
nécessaires,
Henri Guaino
assure qu’il
se présentera
tout de même à
la présidentielle.
Henri Guaino, député LR des Yvelines, en mai 2014 à Paris.PHOTO LAURENT TROUDE
payer”», s’est-il emporté sur
RMC-BFMTV. Très logiquement, cela l’amène à refuser
aussi bien «les coupes claires»
dans les services publics
que la réforme du droit du
travail. Il ne votera pas la loi
El Khomri. Et encore moins la
version hard de cette réforme
défendue par tous les candidats à la primaire de la droite.
Le voilà, sur cette question,
plus proche du patron de la
CGT, Philippe Martinez,
que de celui de LR, Nicolas
Sarkozy… A priori fragilisé
par le cavalier seul de celui
qui fut son plus proche conseiller entre 2007 et 2012, l’exprésident peut toutefois y
trouver son compte si Guaino
devait décider de le rallier au
second tour de la primaire.
Une façon plutôt élégante de
récupérer des voix frontistes
sous la bannière du gaullisme. C’est ce que se propose
de faire, avec un peu moins
de crédibilité, Nadine Morano, autre candidate déclarée en quête de parrainages.
Accord. Pour avoir une
petite chance de participer
à la primaire, Guaino devra
se débarrasser de la concurrence des autres candidats
qui prétendent incarner le
«non» gaulliste. Un accord
avec le député LR Jacques
Myard, souverainiste mais
aussi diplomate, ne semble
pas hors de portée. Il faudra
aussi convaincre l’ex-ministre
Michèle Alliot-Marie, étoile
déclinante de l’ancien RPR,
qui s’est longtemps crue porteuse de vrais morceaux de la
croix gaulliste.
S’il ne parvient pas à réunir
les parrainages nécessaires,
Guaino estime qu’il aura fait
la démonstration que le système a été «verrouillé» pour
lui barrer la route. Il assure
qu’il en tirera les conséquences en se présentant tout de
même, en 2017, à l’élection
présidentielle. C’est ce que fit
jadis le père de la Ve République, Michel Debré. Pour
mémoire, celui qui se présentait contre Chirac en 1981 au
nom du gaullisme authentique avait recueilli 1,66% des
suffrages… •
Libération Mardi 14 Juin 2016
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SUR LIBÉRATION.FR
11
Document : LIB_16_06_14_CAR.pdf;Dateu
: 13. Jun 2016 - 14:38:42
Carnet
Blog «les 400 Culs» La firme Lelo a
présenté lundi le concept d’un préservatif
«indéchirable», le «HEX», issu de sept ans
de recherches : plutôt que de changer
le matériau, la structure du latex a été
modifiée pour former «une armure» en nid
d’abeilles. L’acteur Charlie Sheen, séropositif, va être son ambassadeur. PHOTO LELO
AnniversAires
Bon anniversaire GWEN
à bientôt à AUCH ou à
SOUBES
Michèle et Dominique
Décès
En cette année 2016, le 9 juin
La nouvelle campagne choc
de Médecins du monde censurée
Les affiches censurées de MDM. MÉDECINS DU MONDE
pharmaceutique sur le système de la brevetabilité doit
cesser. Les autorités laissent
les laboratoires dicter leurs
prix et abandonnent leur
mission, celle de protéger la
santé des populations. Il est
temps que Marisol Touraine
agisse.»
Lundi, le Leem, syndicat patronal des industries pharmaceutiques, a dénoncé une
«propagande mensongère».
«Imaginer que les entreprises
spéculent sur l’aggravation de
certaines maladies n’est pas
seulement injurieux pour les
industriels, c’est choquant et
196000
C’est le nombre de poules pondeuses menacées d’être abattues dans l’élevage du Perrat, dans
l’Ain. Le 25 mai, l’association L214 avait diffusé des
images révélant leurs terribles conditions de vie.
Depuis, le groupement agricole a vu son destin basculer: la préfecture a ordonné son «évacuation sous
trois semaines». Les particuliers se pressent désormais pour acheter ces poules déplumées mais bien
vivantes, vendues 2,50 euros et fourrées sans ménagement dans des cartons avant d’être tendues aux
clients. Une poignée d’associations de protection
animale, L214 en tête, tentent de sauver de l’abattoir au moins 3000 poules supplémentaires.
irrespectueux pour des
millions de [patients].»
Le prix du médicament
n’a plus rien à voir avec le
coût de la recherche, encore
moins avec celui de la production. De fait, les règles de
fixation des prix ne sont plus
opérantes. La Ligue nationale contre le cancer a lancé
une pétition pour alerter les
pouvoirs publics. En mai, au
Japon, François Hollande a
convaincu le G7 d’intégrer
dans la déclaration finale la
nécessité de remédier à l’emballement des prix. Dans les
faits, rien n’a évolué. É.F.
Les frondeurs délocalisent aussi leur
«rencontre d’été» à Nantes
Eux aussi déménagent. Par la force des
choses. L’aile gauche du PS rassemblée
depuis le congrès de Poitiers sous l’appellation «A gauche pour gagner» se
réunira fin août sous ses propres couleurs, à la veille de l’université d’été du
parti à Nantes. L’an passé, ils s’étaient donné rendez-vous
à Marennes, à quelques kilomètres de La Rochelle, où se
retrouvaient traditionnellement tous les socialistes. Mais
la direction du PS ayant décidé de quitter la Charente-Maritime pour migrer vers la Loire-Atlantique, ils seront eux
aussi à Nantes, pour leurs propres «Rencontres», les 25 et
26 juillet. «C’est aussi une manière de montrer que nous sommes dans le Parti socialiste», explique à Libération l’un de
leurs chefs de file, le député de la Nièvre Christian Paul. La
rentrée socialiste s’annonce donc chargée: Fête de la rose
de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire) autour d’Arnaud
Montebourg le 21 juillet, réunion des Amis de Martine
Aubry à Montpellier les 23 et 24 août, puis ces rencontres
du courant PS opposé au gouvernement Valls les 25 et 26
à Nantes, avant l’université de la «Belle Alliance populaire»
organisée par la direction du PS dans cette même ville. L.A.
Deux supporteurs anglais condamnés
à de la prison ferme à Marseille
Les premiers supporteurs britanniques
à comparaître pour leur participation
aux violences en marge d’AngleterreRussie à Marseille ont été condamnés lundi à de la prison
ferme, avec mandat de dépôt. L’un, infirmier psy de 41 ans,
a été condamné par le tribunal correctionnel de Marseille
à trois mois ferme et deux ans d’interdiction du territoire
français. L’autre, chef cuisinier de 20 ans, a écopé de
deux mois ferme et de deux ans d’interdiction de territoire.
Henry de Lesquen, trop extrême,
même pour Radio Courtoisie
Une guerre de tranchées menace Radio Courtoisie, la très
droitière antenne «du pays
réel et de la francophonie».
Dans un appel publié samedi
sur le blog catholique «le Salon beige», plusieurs collaborateurs de la radio demandent la démission de son
président, Henry de Lesquen.
En cause, ses «déclarations
publiques insupportables».
Candidat pour 2017, l’homme
mène sur Twitter une campagne faite d’invectives et
d’outrances. Son programme
mêle défense du «racisme
positif», réhabilitation de
l’esclavage, privatisation de
l’Education nationale, interdiction de l’avortement… En
avril, Lesquen s’est aussi fait
Stéphane
STRASEELE
est allé rejoindre les
musiciens qu'il aimait.
De la part de Véronique,
sa compagne.
Le Carnet
HOOLIGANISME
remarquer en s’étonnant
«de la longévité des “rescapés
de la Shoah” morts à plus
de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées?»
Des positions qui ne plaisent
guère à plusieurs animateurs
de Radio Courtoisie, pourtant
peu suspects de gauchisme:
ils menacent de démissionner si Lesquen refuse de cé-
FRANCE INTER
Avec sa campagne choc sur
le prix des nouveaux médicaments qui devait être lancée
lundi, Médecins du monde
(MDM) voulait provoquer le
débat. L’ONG a été aidée par
les propriétaires des panneaux publicitaires, qui ont
refusé d’afficher les slogans,
tels que : «Avec l’immobilier
et le pétrole, quel est l’un des
marchés les plus rentables ?
La maladie.» Ou: «1 milliard
d’euros de bénéfice, l’hépatite C on en vit très bien.»
Des affirmations qui avaient
le mérite de décrire une situation inquiétante: l’emballement ahurissant du prix des
médicaments innovants. «La
mise sur le marché du premier
des antiviraux à action directe efficace contre l’hépatite
virale C a agi comme un révélateur des dysfonctionnements, explique MDM. Le
traitement de douze semaines
est vendu 41000 euros par patient alors qu’il ne coûterait
que 100 euros à produire.»
«Ces prix exorbitants ne pourront bientôt plus être pris en
charge par la Sécurité sociale,
dit la présidente de MDM,
Françoise Sivignon. Demain,
qui pourra payer de telles
sommes pour se faire soigner?
La mainmise de l’industrie
HAPPY HOUR POLITIQUE
der son poste. «Nous ne pouvons pas, en conscience,
cautionner ces positions ni
nous rendre complices de leurs
conséquences désastreuses
pour la radio et, plus largement, pour une grande partie
des droites françaises qui courent le risque d’être “amalgamées” avec ces positions très
éloignées des leurs», écrivent
les signataires de l’appel.
Fondée en 1987, Radio Courtoisie se présente comme
l’antenne de «toutes les
droites». Dans les faits, ses
programmes font la part belle
à la droite radicale, identitaire et conservatrice. Pas au
point de cautionner la dérive
ultra du président. D.Al.
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Le Carnet
Emilie Rigaudias
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12 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Médias Défait en justice par le catcheur Hulk
Hogan et plombé par l’indemnité de 140 millions
de dollars qu’il doit lui payer, le site d’informations
Gawker, souvent sensationnaliste, créé par Nick
Denton (photo), a déposé le bilan vendredi.
Le groupe de médias Ziff Davis pourrait toutefois
lui sauver la mise en le rachetant, si la justice autorise la transaction. PHOTO STEVE NESIUS. AP
EXPRESSO/
26,2 mil iards
Jean-Marie Mokoko, opposant au président congolais Sassou-Nguesso, le 18 mars à Brazzaville. MARCO LONGARI. AFP
de dollars (23,3 milliards d’euros), c’est le prix
payé par Microsoft pour s’offrir LinkedIn, premier
réseau social professionnel mondial avec 433 millions
de membres, dont 11 millions en France. A 196 dollars
(173 euros) l’action, le prix d’achat représente une
prime de 49,5% par rapport au cours de clôture de LinkedIn vendredi, mais reste en deçà du pic de 270 dollars (239 euros) atteint par le réseau en 2015. Microsoft
va recourir à l’endettement pour financer la plus
grosse acquisition de son histoire. Ce rachat est le troisième plus important du secteur des nouvelles technologies, devant celui de WhatsApp par Facebook
en 2014 (22 milliards de dollars, 19 milliards d’euros).
Au Congo, l’opposant Mokoko
se dit lâché par la France
Derrière les fenêtres de sa
villa, située dans le centre de
Brazzaville, la coquette capitale du Congo, Jean-Marie
Michel Mokoko peut les
apercevoir, «des hommes en
tenue militaire ou en civil
postés tout autour de [sa]
maison et bien décidés à
[l’]empêcher de sortir», explique-t-il, joint ce week-end au
téléphone par Libération. Au
ton de sa voix, on dirait presque que ça l’amuse. «Disons
que depuis plus de deux mois
de réclusion forcée, j’ai fini
par m’habituer», soupire ce
général de 59 ans qui a fait
Saint-Cyr et qui, après avoir
été chef d’état-major des armées dans son pays, a multiplié ces dernières années les
missions de pacification au
nom de l’Union africaine.
Rejet. Jusqu’à ce mois de février, où il décide de rentrer
au Congo pour se présenter
à l’élection présidentielle
du 20 mars. La popularité de
cet outsider se mesure alors
autant à l’aune des foules qui
remplissent ses meetings
qu’à la virulence des réactions du régime. Lequel, dès
son retour à Brazzaville, multiplie les harcèlements judi-
ciaires, allant jusqu’à déterrer une vidéo censée prouver
un projet de coup d’Etat fomenté par le général.
Depuis le 4 avril, il est de
facto assigné à résidence,
«sans aucune notification
officielle», précise-t-il. Son
seul tort? Avoir contesté ce
jour-là l’annonce de la réélection du président sortant,
Denis Sassou-Nguesso, qui
en pleine nuit et dans un
pays brutalement coupé
d’Internet, s’est déclaré vainqueur dès le premier tour
avec 60% des voix. Personne
n’y a cru: ni les Etats-Unis, ni
l’UE, ni la France n’ont voulu
féliciter «le vainqueur», surnommé «Monsieur 8%» par
l’opposition, qui a compulsé
ses propres résultats, plaçant
Mokoko en tête.
«Je savais dès le départ qu’il
y aurait des tricheries. Sassou
a modifié la Constitution
pour se représenter. Ensuite,
il a anticipé l’élection de plusieurs mois. Reste qu’aucun
candidat ne pouvait gagner
dès le premier tour, le rejet
du système est trop flagrant»,
dit l’opposant de SassouNguesso. Lequel cumule
plus de trente ans à la tête
d’un pays doté de fabuleuses
ressources, mais où la moitié
de la population vit avec
moins d’un dollar par jour
(88 centimes d’euros). «Ce
que je n’avais pas prévu, en
revanche, c’est la coupure de
toutes les communications, la
capitale encerclée et quadrillée», avoue Mokoko. Il a
aussi entendu parler de l’envoi d’hélicoptères pilotés par
des mercenaires ukrainiens
et burundais pour bombarder la région du Pool (sudest). «Une région martyre où
se déroulent des massacres
à huis clos, soupire-t-il. Une
chape de peur s’est imposée
au pays : les gens sont
indignés, mais ils n’osent plus
protester publiquement.»
Cette répression ne suffit
plus pour imposer le retour à
la normale: selon la Lettre du
continent, éditée à Paris, «le
bras de fer Sassou-Mokoko
fait fuir les patrons et influe
sur l’économie du pays».
Mission. «S’il affirme qu’il
a gagné les élections, est-ce
moi qui l’empêche de gouverner le pays ?» ironise Mokoko, dont l’isolement a été
interrompu la semaine dernière par deux visites inattendues: celle de Jean-Yves
Ollivier, un homme d’affaires français proche de Sassou et faisant parfois office
de diplomate de l’ombre.
Puis celle de l’ambassadeur
de France Jean-Pierre Vidon.
Ces émissaires venaient-ils
lui apporter le soutien de la
France, ou du moins tenter
une médiation? Si ce fut le
cas, elle semble très orientée.
«Jean-Yves Ollivier s’est présenté chez moi en affirmant
qu’il était chargé d’une
mission par les autorités
françaises», dit Mokoko, ce
que démentent l’Elysée et
l’intéressé. «Il m’a expliqué
que la France allait reprendre sa collaboration avec Sassou et qu’elle ne soutiendrait
plus l’opposition», ajoute le
général reclus, précisant que
«c’est Ollivier qui [lui] a annoncé la visite de l’ambassadeur, dont le discours est allé
dans le même sens». Les deux
émissaires auraient exigé, en
vain, une lettre de l’opposant
reconnaissant la victoire de
Sassou. «Je ne vais pas dire le
contraire de ce que j’ai toujours dénoncé, tranche le
général. S’il m’arrive quelque
chose, de toute façon, on
saura d’où ça vient.»
MARIA MALAGARDIS
ISRAËL
QATAR
L’armée israélienne a levé
dans la nuit de dimanche à
lundi le bouclage des Territoires palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza
imposé depuis vendredi
après l’attentat qui a coûté la
vie à quatre Israéliens. Cependant, «les contrôles de sécurité
continuent» à Yatta, a précisé
une porte-parole de l’armée
à propos de la localité d’origine des auteurs de l’attentat.
Ce bouclage interdisait aux
Palestiniens d’entrer en Israël
et à Jérusalem-Est, sauf pour
la première grande prière
hebdomadaire du ramadan,
vendredi. Le gouvernement
Nétanyahou avait aussi annoncé jeudi l’annulation des
dizaines de milliers de permis
d’entrer en Israël délivrés
à des Palestiniens pour le
ramadan. Des mesures qui
ont suscité l’inquiétude
internationale : Paris avait
souligné qu’il fallait «faire
attention à tout ce qui peut
attiser les tensions», le hautcommissaire de l’ONU aux
droits de l’homme parlant,
lui, de «punition collective».
Un tribunal du Qatar a
condamné lundi à un an de
prison avec sursis pour
«adultère» une Néerlandaise de 22 ans qui avait été
arrêtée après avoir porté
plainte pour viol, selon une
source judiciaire. La jeune
femme va être expulsée
du pays une fois son amende
de 732 euros payée. Un homme a, lui, écopé de 100 coups
de fouet pour «adultère» et
de 40 autres pour «consommation d’alcool». La jeune
femme avait été arrêtée en
mars car elle était «suspectée
[…] de relations sexuelles en
dehors des liens du mariage»,
interdites au Qatar, a indiqué
à l’AFP son avocat. Elle s’était
rendue dans un hôtel où la
consommation d’alcool est
autorisée. On l’y aurait droguée. «Quand elle se réveille
dans un appartement inconnu, elle réalise, à sa plus
grande horreur, qu’elle a été
violée», raconte l’avocat. Elle
s’était enfuie et rendue à un
poste pour porter plainte,
mais les policiers avaient refusé de la laisser repartir.
Libération Mardi 14 Juin 2016
u 13
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SUR LIBÉRATION.FR
Led Zep en procès Accusés de plagiat
depuis 1997 par le groupe Spirit, Robert Plant
et Jimmy Page, les deux icônes de Led Zeppelin,
comparaissent ce mardi devant un tribunal
de Los Angeles. En cause : dix secondes de leur plus
grand succès, Stairway to Heaven (1971),
qu’ils auraient pompées sur un instrumental psyché
sorti trois ans plus tôt… PHOTO D.B.REDFERNS. GETTY
IRAK
PHILIPPINES
Des jihadistes se mêlent aux civils
pour fuir leur bastion de Fallouja
Des combattants du groupe Etat islamique (EI) ont tenté de fuir leur
bastion assiégé de Fallouja en se mêlant aux flots de civils, évacués par
milliers ces dernières heures après l’ouverture samedi d’un
couloir sécurisé par l’armée irakienne. «Nous avons arrêté 546 terroristes présumés qui ont fui en profitant des
mouvements des familles déplacées [ayant quitté la ville,
ndlr] au cours des deux dernières semaines», a déclaré lundi
le chef de la police de la province d’Al-Anbar. «Plusieurs
d’entre eux portaient de fausses cartes d’identité», a-t-il dit
à l’AFP. Le couloir d’évacuation sécurisé au sud-ouest de
la ville a permis à «plus de 4000 civils de quitter le centre
de Fallouja au cours des dernières quarante-huit heures»,
a déclaré Karl Schembri, du Conseil norvégien pour les réfugiés. Avant cette évacuation, l’ONG estimait à 50 000
le nombre de civils pris au piège dans Fallouja depuis le début de l’offensive, lancée le 23 mai par les forces irakiennes
pour déloger les jihadistes de cette ville à 50km à l’ouest
de Bagdad, qu’ils contrôlent depuis janvier 2014. Au
total, 4 596 familles, soit environ 27 580 personnes, ont
réussi à rejoindre des camps de déplacés.
Les islamistes ont
probablement tué
un otage canadien
Justin Trudeau a annoncé
lundi craindre que l’otage canadien Robert Hall, détenu
par les islamistes philippins
du groupe Abou Sayyaf, ait
finalement été exécuté. «C’est
avec une profonde tristesse
que tout me porte à croire
[que] Robert Hall, tenu en
otage aux Philippines depuis
le 21 septembre 2015, a été tué
par ses ravisseurs», a déclaré
le Premier ministre du Canada. Un premier otage,
John Ridsdel, avait été décapité le 25 avril. Trudeau avait
alors indiqué que le Canada
ne paierait pas de rançon
pour ses otages, comme le
réclamait Abou Sayyaf.
Les Japonais lancent une alerte aux
ours après plusieurs victimes en forêt
Le Japon invite les marcheurs
à la plus grande vigilance visà-vis des ours. Depuis le mois
dernier, quatre personnes ont
été retrouvées mortes et plusieurs blessées. Encore vendredi, un corps de femme a
été découvert dans une forêt
montagneuse. D’après la police, la femme de 74 ans était
présente dans ce village pour
cueillir des fruits et légumes
sauvages. Entre avril et juin,
de nombreux Japonais se
rendent dans les forêts pour
récupérer des pousses de
bambou –également prisées
par les ours– qu’ils cuisinent
pour leur repas. C’est souvent à ce moment-là que les
attaques interviennent.
Cité par le quotidien Mainichi Shimbun, un chercheur à
l’Institut de recherche sur la
forêt et les produits forestiers
avance que ces attaques dans
la préfecture d’Akita pourraient être attribuées au
même ours: «Comme les humains sont de grands mammifères, les ours noirs d’Asie
ont tendance à ne pas les attaquer intentionnellement.
Ils le font essentiellement
pour se défendre. Il est nécessaire de recueillir des poils d’e
l’animal laissé sur les lieux
pour identifier l’agresseur.»
VU DE KYOTO
Des mères et leurs petits ont
été aperçus en mai dans plusieurs préfectures du pays :
des cas de blessures ont été
notés. «Les femelles avec leurs
petits sont particulièrement
méfiantes vis-à-vis des humains et il y a des moments où
même les chasseurs les trouvent ingérables», expliquait
vendredi le président de la
Fédération nationale des
chasseurs. Si ces mammifères
restent relativement «petits»,
une «personne ordinaire serait sans défense contre leurs
attaques», selon lui.
D’habitude, ce sont les pénuries alimentaires qui sont
à l’origine d’attaques. Les
autorités alertent souvent
à l’automne les habitants des
communes proches des montagnes et des zones sauvages
à redoubler de prudence.
Moment où les ours, avant
d’hiverner, gagnent les communes rurales en quête de
nourriture pour remédier à la
pénurie de glands et de faînes
(fruits du hêtre). Cet
automne, les autorités de
Monbetsu ont abattu un ours
de 400 kilos qui s’était approché des habitations. Mais les
dernières attaques semblent
plutôt dues à une abondance
de faînes, qui a favorisé la
survie des oursons et donc
l’agressivité des mères. Les
ours s’approchent également
des habitations du fait que
certaines zones reculées sont
désertées par des populations vieillissantes.
Dans tous les cas, le ministère
de l’Environnement recommande de porter une cloche
pour manifester sa présence
et les faire fuir, et de surveiller les empreintes. Face à
un ours, il conseille de se retirer lentement, en regardant
l’animal tout le temps, sans
jamais lui tourner le dos.
Les ours noirs d’Asie font
partie des espèces menacées
d’extinction –plusieurs organisations environnementalistes mènent des programmes pour les comptabiliser.
L’ours brun l’est beaucoup
moins. Il y en aurait plusieurs milliers sur l’archipel,
notamment dans la région de
Hokkaido.
A.Va. (à Kyoto)
«On peut dire
d’Oscar
Pistorius
que c’est un
homme brisé.»
UN PSYCHOLOGUE
appelé par la défense,
lundi à Pretoria
Oscar Pistorius, qui a tué
sa petite amie la nuit de la
Saint-Valentin 2013, est un
homme en dépression qui
devrait être hospitalisé, a
estimé un psy appelé
lundi par la défense alors
que la justice doit déterminer cette semaine la
peine du Sud-Africain. Reconnu coupable du meurtre de la top-model Reeva
Steenkamp, l’ex-athlète
amputé des jambes risque
plus de quinze ans de prison. En première instance, Pistorius a écopé de
cinq ans de prison pour
«homicide involontaire».
En appel, le parquet l’a fait
condamner pour «meurtre». L’accusation estime
qu’il a cherché à tuer en tirant quatre balles à hauteur d’homme à travers la
porte des toilettes, où se
trouvait sa fiancée.
14 u
FRANCE
Libération Mardi 14 Juin 2016
LOI TRAVAIL GRANDES POSTURES,
PETITES MANŒUVRES
Par
LILIAN ALEMAGNA,
LAURE BRETTON,
AMANDINE CAILHOL
et LUC PEILLON
Conflit Face au durcissement voulu
par la CGT, l’exécutif, sourd aux appels
à modifier le projet El Khomri, s’est tenu
à un message de fermeté. Coulisses de
trois semaines de tractations alors qu’une
journée d’action est prévue ce mardi.
L
a CGT va-t-elle réussir son
pari? Ce mardi, la centrale de
Montreuil et trois autres syndicats organisent une nouvelle journée d’action contre la loi travail,
avec une forme de mobilisation inédite depuis le début du mouvement: une manifestation unique à
Paris. Le cortège, qui pourrait faire
preuve d’une affluence «comme
nous n’en avons jamais connue depuis quatre mois», selon le secrétaire général de la CGT, Philippe
Martinez, s’élancera de la place
d’Italie, en début d’après-midi, en
direction des Invalides. Et si le «si le
gouvernement s’entête», selon le
communiqué de l’intersyndicale
opposée au texte, deux autres journées d’action décentralisées sont
d’ores et déjà programmées, les 23
et 28 juin. Retour sur les trois dernières semaines du conflit, qui ont
vu le gouvernement tenter d’éteindre un à un les incendies déclenchés à la SNCF, dans les raffineries,
ou encore à la RATP. Avec une théâtralisation du bras de fer entre l’exécutif et les organisations syndicales,
comme la France en a le secret.
Lundi 23 mai
Après avoir tenté de déporter le
conflit sur les chauffeurs routiers
pendant le week-end, des militants
CGT bloquent la raffinerie de Fos-
u 15
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Page
de gauche :
le 20 mai,
des militants
CGT
bloquent
le pont
menant aux
raffineries, à
Gonfrevillel’Orcher
(SeineMaritime).
PHOTO JACOB
CHETRIT
Ci-contre:
Le 26 mai,
au Sénat,
Manuel
Valls,
et la
ministre
du Travail,
Myriam
El Khomri.
PHOTOS
ALBERT
FACELLY
JEAN GROSSET
MONSIEUR SOCIAL DU PS
Quand on lui demande le nombre de rendez-vous qu’il a consacrés à la loi travail
en quatre mois, Jean Grosset s’en tire par
une pirouette : «entre indéfini et infini».
Conseiller social du patron du PS, JeanChristophe Cambadélis, qu’il a rencontré
il y a quarante ans à l’Organisation communiste internationaliste
(OCI, trotskiste) –«hélas», sourit-il– cet ancien numéro 2 de l’Unsa
fait l’interface entre le monde syndical, les militants socialistes et
l’exécutif. Mais «il ne négocie pas à la place de qui que ce soit, il
nage dans son couloir», salue un conseiller gouvernemental. Au
total, depuis la mi-février, Jean Grosset a animé 38 réunions dans
les fédérations socialistes pour expliquer le texte. «La hiérarchie
des normes, c’est imbitable pour tout le monde», se marre celui qui
pilote l’agenda social de Cambadélis depuis son portable. Le 2 mai,
entre autres, Philippe Martinez est reçu à Solférino, alors qu’à la
même époque le leader de la CGT boycotte le ministère du Travail
et Matignon. «J’entends les doléances, je les fais remonter», dit simplement Jean Grosset. Son «ressenti» atterrit d’abord dans l’oreille
du premier secrétaire avant de ricocher vers le cabinet de Manuel
Valls ou l’Elysée, où son ami de trente ans, Michel Yahiel, officie
comme conseiller social depuis 2012. En plus des affaires sociales,
les deux hommes sont liés par leur soutien indéfectible à François
Hollande, membres du «club des 3 %», le tout petit groupe qui
croyait dès le début aux chances présidentielles du député de Corrèze, alors que tous les sondages le mettaient dans les choux. L.Br.
AFP
Libération Mardi 14 Juin 2016
répond depuis Israël: «La CGT trouvera une réponse extrêmement
ferme, nette, de la part du gouvernement.» Toute la journée, les députés
légitimistes se consultent et en début de soirée, le chef de l’Etat se fait
secouer. D’abord, par son ami dijonnais, François Rebsamen, au cours
d’un apéritif organisé avec des maires socialistes à l’Elysée. L’ex-ministre du Travail y va cash: «Avec ta loi
tu nous entraînes tous dans le mur.»
«Si tu bouges pas tu pourras plus
rattraper ton retard», lui prédit un
invité au dîner de la majorité juste
après. «Il faut une sortie de crise en
sifflet», prône un autre. Hollande
enregistre et va prendre le digestif
avec les élus PS de la région GrandEst. «Il nous a dit qu’il était prêt à
des améliorations dans le cadre parlementaire», raconte une convive.
Ne rien céder à la CGT, renvoyer
tout le débat à début juillet, quand
le texte revient à l’Assemblée… et
que les Français auront la tête à
l’Euro et aux vacances: le scénario
de l’exécutif se met en place. Sauf
que dans le même temps, le député
DR
sur-Mer, donnant le signal d’un souvenirs dans notre pays», décrypte gence des luttes» ne se fait pas et que
durcissement de la contestation. A un conseiller gouvernemental. Dès la situation dans les stations-service
quelques kilomètres de là, la minis- le samedi, sous la houlette d’Auré- est bien moins catastrophique que
tre du Travail est en visite de terrain lien Rousseau, directeur de cabinet ne le laissent entrevoir les télévià Marseille. Les membres du gou- adjoint de Manuel Valls, Matignon sions. «Il y avait un trop gros effet de
vernement ont des éléments de lan- a mis en place une cellule de crise décalage entre la réalité dans les dégage venus d’en haut et
avec les ministères de pôts et ce qui s’en disait», explique
ils se résument à un mot: ENQUÊTE l’Energie, des Transports un proche de Hollande.
«fermeté». Mais devant
et de l’Intérieur pour sui- Sur les ondes matinales, Martinez
les journalistes, Myriam El Khomri vre l’évolution de la crise des carbu- prône pourtant la «généralisation de
va jusqu’à dénoncer le fait que «des rants. «On n’a pas vu venir le conflit la grève à tous les secteurs», le scénasalariés, des Français soient pris en dans les raffineries», concède a pos- rio catastrophe pour l’exécutif qui
otage» par les blocages. Polémique teriori un conseiller de l’exécutif. Au sait que se profilent des négociasur les réseaux sociaux. Dans la voi- sommet de l’Etat pourtant, on est tions délicates à la SNCF, à l’Unédic
ture qui la convoie vers les Quar- assez vite convaincu que la «conver- ou avec les intermittents. Valls lui
tiers Nord, elle reçoit un coup de fil
du Premier ministre alors en voyage
en Israël, qui la félicite : «C’est très
AURÉLIEN ROUSSEAU LE DÉMINEUR DE MATIGNON
bien, Myriam. J’ai vu ta déclaration. C’est exactement ce qu’il fallait
dire.»
Un rouage de la loi travail l’assure :
de cabinet de Manuel Valls, VéroniEn début de soirée, les chefs de la
«Aurélien est là par conviction.» Il en
que Bédague-Hamilius, qu’il seconde
majorité établissent la stratégie avec
fallait, en effet, pour devenir directeur
aujourd’hui, cet ex-prof d’histoire-géo
Hollande, au téléphone. «Pour une
adjoint du cabinet du Premier minisdevenu énarque était jusqu’alors spéfois, on s’était tous mis d’accord, on
tre en charge des questions sociales
cialiste des questions de transports
avait fait un confcall, relate un haut
à moins de dix-huit mois de la présiet d’urbanisme. Ce qui a permis à cerdirigeant du PS. Hollande avait été
dentielle et à l’heure où le chômage
tains dirigeants syndicaux de prentrès clair: “la loi ne bouge pas, elle va
refuse de reculer et les sondages
dre le «petit nouveau» de haut. Parmi
passer et j’aurais tenu bon”».
de remonter sur fond de procès en
les démineurs de la crise, «il est plus
dérive libérale. Arrivé en octobre à Matignon, politique que les autres», relate un dirigeant sociaMardi 24 mai
Aurélien Rousseau n’a pas connu de période de liste, qui ajoute: «Son point fort, c’est l’analyse des
Au réveil, les journaux télévisés difgrâce. Passionné de théâtre et de littérature (il a rapports de forces.» Quand la CGT bloque les raffifusent les images de l’évacuation
deux pièces et un roman à son actif), ce quadra au neries et la sortie des journaux, c’est à lui qu’il remusclée de la raffinerie de Fos-surléger accent cévenol le reconnaît a posteriori : vient d’organiser le coup de fil entre Valls et MartiMer. Ce n’est pas la première mais
«Dans ma fiche de poste il n’y avait pas la loi tra- nez puis les autres dirigeants syndicaux. Tous ont
elle est spectaculaire et place la sevail.» Ni le conflit social le plus long et le plus dur son portable et, selon un collaborateur de Matimaine sous des auspices d’extrême
du quinquennat. Venu de la mairie de Paris, sous gnon, ils en font usage «jour et nuit, semaine et
fermeté. «Le manque d’essence, ça
Delanoë puis Hidalgo, où il a connu la directrice week-end». L.Br.
réveille instantanément de mauvais
PS de l’Hérault, Sébastien Denaja,
enclenche un mouvement chez les
«lignards», ces parlementaires progouvernement, en proposant de
«réenclencher un nouveau tour de
table» avec les partenaires sociaux
et en réclamant une «voie de compromis» à l’exécutif. Une brèche
s’ouvre dans laquelle ils seront
nombreux à s’engouffrer. Au grand
dam de Hollande.
Mercredi 25 mai
En Conseil des ministres, François
Hollande assure que «tout sera mis
en œuvre pour assurer l’approvisionnement» en carburant d’une manière «déterminée et sereine». Même
si les files d’attente s’allongent devant les stations-service, «on est
dans un moment paradoxal», décrypte l’entourage de Valls. «La
crise est à son maximum symbolique
et médiatique alors que nos informations font état d’une situation qui
a déjà fini de se dégrader. On ne fait
pas les malins mais on pense que le
plus gros de la crise est passé», assure-t-il. Mais voilà que le patron des
députés socialistes, Bruno Le Roux,
laisse entendre qu’une ouverture
est possible sur l’article 2, la clé de
voûte du texte qui prévoit de faire
primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Le Roux se fait
moucher par un autre hollandais, le
porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll : on ne touche à rien
et surtout pas maintenant. Une
autre fidèle du président, la sénatrice Frédérique Espagnac, appelle
à faire «évoluer» le texte, accréditant
l’idée qu’un petit groupe de proches
du chef de l’Etat cherche le point
d’atterrissage. «Ils agissent sur le
pressentiment que Hollande veut
bouger, à la recherche de gestes de
réconciliation à gauche», analyse un
ministre. Mauvais calcul. La journée se termine avec le blocage des
journaux pour le lendemain, sauf
ceux qui acceptent de faire paraître
une tribune de Suite page 16
16 u
FRANCE
Libération Mardi 14 Juin 2016
Le 27 mai, à Gonfreville-l’Orcher,
devant la raffinerie Total, où des
pneus ont été incendiés. PHOTO
AFP
JACOB CHETRIT
FABRICE ANGEI
LE CADRE CGT
Toujours membre de la direction de la fédération des
services publics, Fabrice
Angei, 56 ans, est entré au
bureau confédéral de la CGT
début 2015, à la suite du
départ de Thierry Lepaon.
Cadre territorial en détachement, l’homme à la voix posée était responsable de service au département du Var.
Bombardé sur le dossier de
l’emploi, c’est lui qui suit
aujourd’hui le projet de loi
travail. Un paradoxe pour un
fonctionnaire, catégorie non
concernée par le projet ?
«C’est le ministère du Travail, donc des agents publics
qui suivent l’application du
code du travail, explique-t-il
à Libération. Je ne vois pas
en quoi on serait moins compétents.» En accord «à 200%
avec Philippe Martinez», celui qui se dit «encarté nulle
part» refuse de commenter
les accointances avec le
Front de gauche qu’on lui
prête. «J’ai des idées progressistes, de transformation
sociale, celles de la CGT», répond-il. «Ce n’est pas un dur
de dur, il est beaucoup plus
légitimiste que certains et
moins caricatural, moins
lutte des classes, que
d’autres», note, de son côté,
un responsable CGT. L.P.
Le 8 juin, dans
le XIIe arrondissement
de Paris. PHOTO MARC
CHAUMEIL
Philippe Martinez. Jeudi matin, l’Humanité sera
le seul quotidien national dans les
kiosques. «Une énorme bêtise»,
souffle-t-on au ministère du Travail.
Dans ce maelström, les bons chiffres du chômage paraissent dans
l’indifférence générale.
Suite de la page 15
Jeudi 26 mai
Nouvelle journée de mobilisation,
nouveau raté de communication au
sommet. «Ni retrait ni remise en
cause de l’article 2. […] Notre but,
c’est que les Français ne subissent
pas les chantages, qu’ils retrouvent
leur quotidien au plus vite», déroule
Manuel Valls sur BFM. Quelques
minutes plus tard, Michel Sapin assure pourtant qu’il est possible de
revoir l’article 2. La confusion est totale. Au séminaire gouvernemental
qui suit à Matignon, le Premier ministre s’interroge sur ces sorties à
répétition de proches de Hollande:
«Ça veut dire quoi ?» La réunion,
glaciale, est expédiée en quarantecinq minutes sans déjeuner. Valls
passe en revue les blocages puis les
revendications des différents syndi-
cats. «C’était le coup de menton, rien
que le coup de menton. La suite de la
stratégie de passage en force», soupire un secrétaire d’Etat. «Avec Valls
c’est ça passe et ça casse», abonde un
député aubryste. Depuis la semaine
précédente, plusieurs proches de la
maire de Lille ont proposé à l’exécutif de monter un groupe chargé d’un
«go-between parallèle» avec la CGT
et Force ouvrière. Son patron, JeanClaude Mailly est un ami d’Aubry.
Mais «on n’a jamais eu de réponse»,
lâche un proche de l’ancienne ministre du Travail. «FO fait les bordures avec les réseaux PS, c’est assez logique, confirme un conseiller
élyséen. Mais ce ne sont pas des négociations à un niveau habilité.» En
fin de journée, les syndicats décomptent 153000 manifestants, un
chiffre en hausse. En marge des cortèges, les violences atteignent leur
paroxysme, à Rennes et à Nantes. A
Paris, un étudiant tombe dans le
coma. Martinez demande à être
reçu par Hollande, passant par-dessus la tête du chef du gouvernement. «Ce soir-là, on comprend la
nécessité de sortir de cette crise symbolique, se souvient-on à Matignon.
Il faut parler, se parler, reparler.»
Vendredi 27 mai
Depuis le Japon, Hollande tente
tant bien que mal de remettre l’exécutif d’aplomb : «Je tiendrai bon,
parce que je pense que c’est une
bonne réforme et que nous devons aller jusqu’à son adoption.» L’Elysée
refuse toute entrevue à Martinez :
«On dialogue avec ceux qui cherchent des compromis.» Pas question
de lâcher du lest : «Ce n’est pas en
étant faibles ou ambigus qu’on calmera les esprits, martèle un conseiller de Hollande. Le Président
sait que ce que les Français attendent de lui, c’est de la fermeté.» Face
aux casseurs, c’est certain. Sur le
fond du texte, c’est moins sûr. Devant les lecteurs du Parisien, Valls
tente la ligne «fermeté ne vaut pas
surdité» et dans la soirée, son directeur adjoint s’assure que tous les dirigeants syndicaux prendront Valls
le lendemain au téléphone.
Samedi 28 mai
A deux semaines du coup d’envoi de
l’Euro, le gouvernement voit rouge:
les négociations sur la future convention collective à la SNCF patinent, faisant planer la menace de
trains de supporteurs bloqués. Le
ministre des Transports, Alain Vidalies, convoque tout le monde. Un
«relevé de décisions», portant uniquement sur les points de désaccord, est enfin rédigé, mais il ne va
pas dans le sens de la direction de la
compagnie ferroviaire, à qui on a
«forcé la main», selon Didier Aubert,
secrétaire général de la CFDT cheminots. Au point de nourrir, deux
jours plus tard, des rumeurs de démission du président de la SNCF,
Libération Mardi 14 Juin 2016
u 17
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
A gauche :
Le 27 mai,
Philippe
Martinez,
à Bobigny.
A droite :
Le 2 juin,
François
Hollande,
à Paris.
PHOTOS
GONZALO
FUENTES.
REUTERS ;
MARC CHAUMEIL
Lundi 30 mai
Le dégel s’amorce côté syndicats. La
veille, le numéro 1 de la CGT a fait la
pub de son dialogue avec Valls –«un
bon signe»– même s’il réclame toujours le retrait du texte. Sur RTL ce
soir-là, Martinez va un cran (médiatique) plus loin : en débat avec son
homologue de la CFDT, Laurent
Berger, il parle désormais de retrait
de la «colonne vertébrale du projet
de loi». «Il fallait faire passer le message que la CGT n’est pas que dans la
contestation, mais aussi dans la proposition, tout en réaffirmant que le
projet de loi n’est pas bon», concède
l’entourage de Martinez. «Il ne voulait pas apparaître avec une image
caricaturale. Mais surtout il était
obligé de le faire face à un gouvernement aussi inflexible», souffle un
responsable de la CGT, étonné de la
posture très dure du gouvernement.
Rue de Grenelle, la ministre du Travail reçoit des journalistes à déjeuner. Toute en restant prudente sur
les violences et l’éventuelle cristallisation des revendications, Myriam El Khomri a retrouvé le sourire. Le projet de loi arrive mercredi
au Sénat, qui va «nous faire un beau
texte de droite». Un effet repoussoir
–un brin surestimé– qui va déciller
les yeux de la gauche, espère l’exécutif. Mais au cas où les frondeurs
ne tomberaient pas dans le panneau, la ministre en a encore sous
le sabot, évoquant deux concessions possibles lors du retour du
projet de loi à l’Assemblée, en
juillet : sortir les heures supplémentaires du principe de l’inversion de la hiérarchie des normes et
accepter un contrôle, a priori, des
accords d’entreprise par les branches. Avant cela, la ministre tient
bon, au prix d’un lapsus savoureux:
«Revoir les mesures du texte une par
une, c’est gnon ! Enfin, c’est niet et
non.» Alors que l’Elysée et Matignon réfutent tout «grand troc» social pour désamorcer les conflits
sectoriels, Matignon dégaine un
communiqué sur les intermittents
VÉRONIQUE DESCACQ LA VIGIE CFDT
Bosseuse et déterminée, la numéro 2
de la CFDT, 54 ans, est de tous les dossiers importants. Dont celui de la loi
travail, pour lequel elle représente la
confédération dans les négos et intersyndicales. Ancienne directrice d’une
agence Banque populaire, elle adhère
à la centrale réformiste en 1988, «par
admiration pour Edmond Maire», selon les Echos.
Légitimiste, elle sera l’une des rares à ne pas accabler François Chérèque, en 2003, lorsqu’il approuvera la réforme des retraites de François Fillon. De-
qui annonce que l’Etat allongera
une dizaine de millions pour combler les trous de l’accord de branche
signé fin avril par les syndicats et
employeurs du spectacle.
Mercredi 1er juin
A la CGT, Martinez réunit
ses 32 secrétaires généraux de fédérations. D’habitude, ces rendezvous hebdomadaires se font par téléphone, mais Martinez veut faire
le point en personne sur l’état des
échanges avec le gouvernement.
Son changement de ton de lundi
n’a pas plu aux plus radicaux de la
base. «On a été un peu surpris et on
a appelé la confédération pour être
rassurés. Ils nous ont dit que c’était
une stratégie de communication»,
raconte un responsable local. De
son côté, la CFE-CGC change de direction lors de son congrès réuni à
Lyon et exprime ouvertement ses
doutes sur le projet de loi. Un partenaire de moins pour le gouvernement ? «La CGC a toujours été tendue sur le sujet de la réforme,
notamment lors de la toute première intersyndicale. Mais entretemps, la CGC a subi des pressions
du gouvernement», témoigne un
membre de l’intersyndicale. En
tout cas pour la CGT, ce durcissement de la CGC contre la loi travail
est pain bénit. La preuve que les
deux blocs (réformistes et contestataires) mis en avant par le gouvernement n’existent pas.
Lundi 6 juin
Reprise de contact. Selon l’entourage de Myriam El Khomri, la ministre du Travail et le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez,
échangent à nouveau. «Ils se sont remis à textoter», assure-t-on rue de
Grenelle, précisant que l’envoi de
venue deux ans plus tard responsable
de la fédération CFDT des banques,
elle entre à la direction confédérale
en 2009, avant d’être propulsée secrétaire générale adjointe en 2014. Jugée
«abrupte», elle défend sans états d’âme
l’actuelle version du projet El Khomri.
Quitte à être soupçonnée de prendre
en otage la question des intermittents, qu’elle gère
aussi. «Elle est intransigeante sur ce sujet, Berger
lui-même à du mal à la contrôler», estime un proche
du dossier. L.P.
AFP
Guillaume Pepy. A Matignon, Valls
enquille les coups de fil avec les leaders syndicaux. Avec Martinez, c’est
la première conversation depuis début mars. Elle est «très dure», dixit
l’entourage du Premier ministre: le
désaccord est total sur le fond. Ils
n’évoquent pas la situation de
l’Euro, mais la CGT cheminots a
déjà laissé entendre qu’elle ne «touchera pas à la compétition».
messages se faisait, jusqu’ici, par directeurs de cabinet interposés. «Que
dalle !» répond-t-on à Montreuil.
Depuis le coup de fil passé par Valls
à Martinez, le 28 mai, le gouvernement n’a, selon la CGT, proposé
aucune rencontre au numéro 1 de la
centrale. Pour celle-ci, la reprise du
dialogue n’a lieu que le vendredi 9 juin, date à laquelle est envoyée une invitation pour un rendez-vous El Khomri-Martinez fixé
finalement le 17 juin.
Mardi 7 juin
En ce 80e anniversaire de la signature des accords de Matignon, François Hollande cite l’ex-patron des
communistes français, Maurice
Thorez: «Il y a un moment où, selon
une formule célèbre, il faut savoir
arrêter une grève.» Sauf que le chef
de l’Etat oublie la moitié de la
phrase prononcée en 1936 par le secrétaire général du PCF de l’époque
«dès que satisfaction a été obtenue».
Ce que, à la CGT comme à la gauche
du PS, on ne se prive pas de rappeler
à Hollande.
Mercredi 8 juin
A Paris, une partie du quartier de
Bercy est bouclée par les CRS. Une
centaine de personnes sont venues
manifester contre la loi travail un
soir où est organisé, au sous-sol
d’un centre de réceptions, un meeting socialiste en soutien au texte
El Khomri. A la tribune défilent
Jean-Christophe Cambadélis, Stéphane Le Foll, Myriam El Khomri
et Manuel Valls. «C’était un signal
envoyé à nos militants, comme à la
CGT pour dire : “On n’est pas impressionné”.» Valls fait du Valls :
«Nous ne serons pas le énième gouvernement qui recule devant une réforme essentielle, déclame-t-il. La
démocratie, ce n’est pas la rue ! La
démocratie c’est le vote !»
Vendredi 10 juin
Jour de match. L’Euro de football
débute dans une France gênée par
les grèves sporadiques dans les
transports publics. Soucieux de ne
pas voir l’opinion se retourner contre la CGT, Philippe Martinez assure
dans le Parisien qu’il n’y a aucune
consigne pour que les stades et les
matchs soient «perturbés». Accompagne-t-il le reflux de la mobilisation ou sonne-t-il la retraite? A Matignon, on choisit la deuxième
option: «Il donne l’instruction de ne
pas bloquer. Ça ne coûte pas cher. Il
n’y a pas qu’au gouvernement qu’on
fait de la com.» Le soir, le leader de
FO passe une heure et quart dans le
bureau de la ministre du Travail.
Une rencontre qui l’emplit d’optimisme, comme il le confiera le lendemain: «Il y a une dizaine de jours,
j’avais le sentiment que le gouvernement ne voulait pas bouger. [Là], je
l’ai trouvée [la ministre, ndlr] plus
attentive», explique Jean-Claude
Mailly.
Lundi 13 juin
La plupart des mouvements de
grève se sont éteints. Le dialogue
par radios interposées entre gouvernement et CGT se poursuit. Sur
France Inter, El Khomri insiste sur
«la position de la CGT [qui] a évolué
et c’est une bonne chose». Sur Europe 1, Martinez estime que le gouvernement sait ce qu’il faut faire
pour «se sortir d’un mouvement
d’une très grande ampleur […]. [Myriam El Khomri] a mon numéro de
téléphone, je suis disponible avant
vendredi». Devant le Sénat, la ministre du Travail assure : «Cette
réforme nécessaire, juste et équilibrée, il est encore temps de la faire
ensemble.» •
MARDI
POLITIQUE
MARDI
Annick
POLITIQUE
GIRARDIN
Annick
.JOJTUSFEFMB'PODUJPOQVCMJRVF
GIRARDIN
.JOJTUSFEFMB'PODUJPOQVCMJRVF
En direct à 18h10 sur RFI - Paris 89FM
FUFOWJEÃPTVSSåGSGSBODFDPN
FUMJCFSBUJPOGS
En direct à 18h10 sur RFI - Paris 89FM
FUFOWJEÃPTVSSåGSGSBODFDPN
FUMJCFSBUJPOGS
18 u
EURO 2016
Libération Mardi 14 Juin 2016
Foot
En difficulté
à la fois sur
le terrain
ou dans
le jeu des
questionsréponses face
à la presse,
l’attachant
défenseur
central,
longtemps
amateur
à Fréjus, peut
compter sur
sa force
de caractère.
Adil Rami
Défenseur sans filet
Par
GRÉGORY SCHNEIDER
S
cène 1, vendredi soir au Stade
de France, une bonne heure
après la victoire tricolore (2-1)
contre la sélection roumaine: Adil
Rami passe en zone mixte, un couloir délimité par des barrières permettant d’échanger entre joueurs et
journalistes après les matchs. Le
défenseur du FC Séville n’y tient
pas: il a l’oreille collée au téléphone
–«Allô, maman?»– mais personne
n’est dupe et les quolibets tombent:
«Ah non, pas le coup du téléphone»; quatre années de pénitence – fin
«tu nous prends pour des tanches?»; mai, une apparition devant les ca«attends, tu fais ça à chaque fois…» méras qu’on imagine vite conUn peu surpris, Rami file quand trainte : «Je regardais Suissemême sans demander son reste: le -Albanie à la télé quand vous êtes
sapeur à découvert qui atteint sans venu [pas nous, mais le préposé du
dommage (sans mot) la futaie.
staff qui est venu l’amener devant la
Scène 2, le lendemain à
presse, mais on voit l’idée,
Clairefontaine. Le joueur PROFIL ndlr] me déranger.» Sur le
est de service médiatique
match face aux Roumains:
pour la première fois depuis son ar- «Le sommeil a été difficile à trouver
rivée tardive dans le groupe – c’est ensuite. Tu repenses à ce que tu as
la blessure du vice-capitane Ra- fait de mal, de bien… Mais retrouver
phaël Varane qui lui a permis de re- Clairefontaine dans la nuit qui suit
prendre pied chez les Bleus après une rencontre au Stade de France,
c’est extraordinaire. C’est quelque
chose que vous ne pouvez pas imaginer.» Il parle du statut d’international, pas du cadre bucolique.
«LA PELOUSE»
Le reste fut un peu étrange. Même
son échauffement avant le match
d’ouverture l’avait vu frayer avec la
limite: le ballon qui file à 10 mètres
sur chaque contrôle ou qu’il n’arrive
carrément pas à maîtriser, son partenaire en défense centrale, Laurent
Koscielny, qui s’applique alors à lui
adresser des transversales de plus
en plus faciles pour le mettre en
confiance comme on met un gant
d’eau fraîche sur le front d’un enfant qui a mal au crâne. Du coup, le
plaidoyer pro domo du joueur tombait un peu à plat: «J’ai fait mon taf.
J’essaie d’être plus régulier, voilà ce
que je pense de moi.» Puis : «Il n’y a
pas que la pression du match
d’ouverture qui nous a entravés. La
pelouse du Stade de France n’est pas
à la hauteur de l’engouement des
Français pour l’Euro.» Il est le seul
à avoir défaussé de la sorte.
Il faut donc retenir qu’Adil Rami est
Libération Mardi 14 Juin 2016
u 19
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Adil Rami, 30 ans,
vendredi face à la
Roumanie. PHOTO
EXPRESS EURO
VLADIMIR PESNYA.
Pogba sur le banc contre l’Albanie ?
Quatre indices
SPUTNIK. AFP
Pogba ne s’est pas entraîné dimanche, ce qui ouvre
l’hypothèse d’une blessure pouvant éteindre la
polémique –«je ne pouvais pas le faire jouer»– inévitable
quand un élément aussi important est mis au tas.
1
aucun cas – ça vaut dans le foot
comme ailleurs– se comparer avantageusement à ses concurrents au
poste, l’attaquant des Bleus AndréPierre Gignac ayant poussé cette
règle jusqu’à l’absurde en s’estimant
publiquement «moins doué à l’origine» qu’Olivier Giroud alors que
tout le monde a compris le contraire
depuis longtemps.
«J’AI DE QUOI ÊTRE DÉÇU»
un homme et un joueur en difficulté. Ce n’est pas circonstancié: ces
difficultés sont une manière d’être
au monde, elles touchent son rapport aux mots, au ballon et même
au sélectionneur. Ecarté dans un
premier temps de la liste des vingttrois partants pour l’Euro, il allume
sur RMC : «Quand Didier Deschamps [le sélectionneur, ndlr] dit
qu’il privilégie le groupe plutôt
qu’autre chose, alors il insinue que
je ne suis pas un bon garçon ou alors
que je suis un voyou. Quand on parle
avec de vrais connaisseurs, j’ai de
quoi être déçu. C’est Deschamps qui
m’a conseillé de signer à Séville [en
juillet 2015] pour que je reste sélectionnable.»
Le coach tricolore est monté dans
les tours quand il a entendu ça,
avant de démentir : Deschamps
partageant le même agent que
Rami, l’accusation du défenseur est
gravissime puisqu’il sous-entend
qu’un sélectionneur national utilise
son pouvoir d’ouvrir ou de fermer la
porte des Bleus pour orienter la carrière –et les commissions qui vont
avec chaque transfert– d’un joueur.
Par ailleurs, Rami a brûlé sur RMC
un second feu rouge: si un joueur a
le droit de faire part de son malaise
quand il est écarté, il ne peut en
Rami ne comprend rien au système,
du coup, il nous permet de le voir :
en cela, c’est un garçon précieux. Un
journaliste l’ayant jugé mauvais lors
du match de préparation du 30 mai
face au Cameroun (3-2) a eu la surprise d’avoir un coup de fil agacé
d’un de ses confrères, qui avait interviewé Rami une dizaine de jours
plus tôt : cette interview accordée
par le joueur valait donc en quelque
sorte protection, le fait que Rami ait
par-dessus le marché admis sa
faillite face au Cameroun donnant
une touche bringuebalante, voire
sympathique à l’affaire. On se souvient d’un match de Lille, où le
défenseur évoluait à l’époque, à Monaco en mai 2011: après la rencontre, le joueur avait bondi sur le premier micro pour désosser ses
partenaires, «un comportement honteux», «j’en ai ras-le-bol», etc.
Dix minutes plus tard, Adil Rami
apparaissait contrit devant la
presse: «Je n’ai dit que de la merde.»
On ne sait s’il faut retenir l’impulsion initiale irréfléchie ou des rétropédalages qu’on imagine sous influence mais qui lui ressemblent
tout autant, sa mine désolée faisant
beaucoup pour son charme. Dans
l’Equipe, son ex-entraîneur Claude
Puel, d’une nature pour le moins réservée, a employé des mots vibrants
à son endroit: «Adil a connu des incidents de parcours à Valence [d’où
il s’est fait virer après avoir daubé
sur l’entraîneur et qualifié ses coéquipiers de flagorneurs, ndlr] ou à
Milan mais je trouve que ça correspond à l’homme, qui vit, qui bouge,
qui a du mal à avoir une certaine régularité mais qui, à chaque fois qu’il
a dû faire face à des difficultés, a su
relever le défi. Il fait preuve d’un caractère exceptionnel.»
Rami n’a pas eu n’importe quel parcours non plus. Elevé par sa mère
avec son frère et ses deux sœurs
dans le quartier de l’Agachon à Fréjus (Var), Rami est à la fois joueur de
CFA (4e échelon, 2e niveau amateur)
à l’Etoile sportive fréjusienne et
employé municipal quand le Lille
Olympique Sporting Club (Losc) le
repère avant de le faire signer
à 21 ans. Il lui faudra une saison
pour prendre pied dans le monde
professionnel, deux de plus pour
gagner une réputation d’ambianceur hors pair – ses fiestas lilloises
lui vaudront à de multiples reprises
le titre officieux de «joueur le plus
fou» de Ligue 1 – et encore une année pour être appelé en équipe de
France sur les cendres de l’épopée
sud-africaine et de la grève du bus.
En mai 2011, Rami est sacré champion de France avec le Losc. Trois
semaines plus tard, il se pointe à
un rassemblement des Bleus –qui
jouaient leur tête en Biélorussie –
avec une surcharge pondérale importante: un titre se fête, d’accord,
mais pendant trois semaines…
Rami est alors d’un abord facile et
euphorisant : un garçon transparent, s’amusant d’être élu «homme
le plus sexy de la Ligue 1» par les lecteurs du magazine Têtu et donnant
l’impression d’avoir gagné le gros
lot chaque jour qui passe. On en
avait conservé une lecture peut-être
biaisée puisqu’il faut se garder des
généralités, mais peut-être pas: les
joueurs pro sortis des rangs amateurs ont des difficultés non pas
avec le foot proprement dit –sinon
ils seraient restés amateurs– mais
avec son environnement.
2 Moussa Sissoko s’est présenté lundi devant la presse,
ce joueur étant le remplaçant naturel de Pogba au
poste de milieu droit. A 48 heures d’un match, ceux qui passent devant les micros sont rarement remplaçants, cette règle non écrite souffrant bien entendu des exceptions.
Sissoko s’est montré plutôt pointu quand il a décortiqué le jeu albanais, et surtout «ce côté gauche grâce
auquel les Albanais impulsent la plupart de leurs mouvements». Ce qui tombe bien pour Sissoko, dont le profil est
plus défensif que celui de son concurrent au poste de milieu droit des Bleus.
3
La configuration idéale du match des Bleus telle que
décrite par ce même Sissoko : «Leur sauter à la gorge,
exercer un gros pressing d’entrée». Ce qui favorise l’expression de son style dur et abrasif quand Paul Pogba est infiniment plus artiste, plus fin avec le ballon. Pour Didier
Deschamps, le virage est serré. G.S.
4
QUESTION DÉLICATE
En gros, il leur faut apprendre en
accéléré des à-côtés (diététique,
communication, vie sociale au sein
d’un vestiaire où coexistent des disparités salariales, par exemple) que
ceux qui viennent des centres de
formation ont absorbé sur plusieurs
années, à tel point que cela est devenu leur culture. D’une certaine façon, Rami sait faire aujourd’hui: sa
sœur tient sa communication d’une
main de fer, et il a su réapparaître
dans les médias à intervalles réguliers durant sa traversée du désert
en Bleu pour se rappeler au bon
souvenir du sélectionneur. Samedi,
on a vu se matérialiser devant nous
ce qui, de son point de vue, doit figurer la dernière frontière : seul, il
a encore du mal.
Rami a cherché tout du long des
signes de complicité dans la salle,
répondant en espagnol à un confrère étranger ou s’auto-dépréciant
pour éviter une question délicate
portant sur le rendement des milieux de terrain: «Oh, vous savez, la
tactique, ce n’est pas trop mon
truc…» Après deux saisons au Milan AC, 29 sélections chez les Bleus
et une Ligue Europa remportée en
mai avec le FC Séville? A ce stade, en
tout cas, les joueurs de ce niveau-là
ont appris depuis longtemps à se
sortir des questions qui fâchent avec
ce petit sourire entendu qui veut
dire: «Toi, je t’ai vu venir.» Rami ne
mange pas de ce pain-là. Il fait toujours comme il peut. •
Le tenant du titre espagnol d’une tête Piqué
L’affiche Espagne-République Tchèque, à Toulouse, nous rendait
par avance nostalgique. Un jour, dans pas si longtemps, on ne verra
plus sur un terrain Cech (34 ans), Rosicky (35) ou le chauve Iniesta
(32, à gauche sur la photo). Il faut en profiter un maximum et regarder avec des yeux grands ouverts, comme on déguste le dernier ourson à la guimauve du paquet. Comme à son habitude, l’Espagne a
posé le jeu, dominé outrageusement et multiplié les passes. En vain.
C’est au moment où on ne sentait plus l’Espagne capable de conclure
qu’elle est elle venue nous contredire. Iniesta centre dans la surface,
Piqué la pousse de la tête. 1-0 pour les doubles tenants du titre qui
peuvent respirer mais que cela a été compliqué contre la plus mauvaise défense, en théorie, des équipes qualifiées (14 buts encaissés
en éliminatoires). Q.G. PHOTO A. MEDICHINI. AP
COUP D’ENVOI
L’Islande fait son entrée en lice
L’Islande est le plus petit pays à atteindre la phase
finale d’un tournoi majeur de foot. Et dans son
cas, c’est le premier de son histoire. Longtemps
dévolue au rôle de punching-ball, elle a lancé au
début des années 2000 une révolution du foot (constructions de terrains, formation des coachs…), dont elle récolte les fruits aujourd’hui.
Une demi-surprise donc, à surveiller ce mardi, face au Portugal.
A lire en intégralité sur Libération.fr
LES MATCHS DU JOUR
mardi 14 juin
18h
21h
F
Bordeaux
AUTRICHE
HONGRIE
PORTUGAL
F St-Etienne
ISLANDE
BeIn 1
M6
BeIn 1
20 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
IDÉES/
Les «affaires»
devant le Conseil
constitutionnel
Q
uiconque se trouvait le 7 juin aux
alentours du Palais-Royal pouvait être
témoin d’une scène étonnante. Dans
la petite salle d’audience du Conseil constitutionnel, les avocats de deux des figures les
plus emblématiques de la «fraude fiscale»,
Jérôme Cahuzac et Guy Wildenstein, invoquaient devant les neuf «sages», la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
son article 8 pour réclamer l’annulation des
poursuites, pénale et fiscale, engagées à l’encontre de leurs clients. Ce même article avait
déjà fait mouche en mars 2015 en matière de
délit d’initiés mettant à bas l’ensemble du
L'ŒIL DE WILLEM
Par
ANTOINE
VAUCHEZ
DR
La question
prioritaire de
constitutionnalité
soulevée par l’avocat
de Jérôme Cahuzac
fait apparaître une
réalité gênante :
cette voie qui devait
profiter aux citoyens
est devenue le terrain
de jeu des avocats
d’affaires.
procès intenté à plusieurs hauts dirigeants
d’Airbus et d’EADS. La seconde manche s’est
ouverte mardi et l’on devrait savoir le 24 juin
si elle a les mêmes effets explosifs dans le cas
des poursuites engagées contre Cahuzac.
Mais laissons un instant le fond de cette querelle juridique et considérons plutôt l’étonnant champ de bataille qui se fait ainsi jour.
Commençons par le décor, construit à la faveur de la création d’une nouvelle voie de recours, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette disposition phare de la
révision constitutionnelle de juillet 2008 a
d’emblée été chargée de maintes promesses
politiques. En ouvrant le prétoire constitutionnel à la «société civile», le débat sur les
«droits et libertés garantis par la Constitution» ne serait ainsi plus réservé aux seuls
parlementaires de l’opposition et le Conseil
constitutionnel pourrait devenir l’instrument
d’une «démocratie continue» rééquilibrant
les pouvoirs au profit des citoyens.
Une scène aussi prometteuse ne pouvait rester longtemps inoccupée. Bien des éléments
indiquent aujourd’hui que, plus que tout
autre, ce sont les avocats d’affaires qui ont
trouvé là un terrain de jeu au service de leurs
stratégies contentieuses. Ils n’avaient jusque-là aucune raison particulière de s’intéresser à la Constitution. Mais les potentialités
considérables de cette nouvelle voie de recours les auront rapidement convaincus du
contraire. Au regard des procédures judiciaires ordinaires, la QPC est en effet peu coûteuse, très simple et extrêmement rapide
(moins de six mois). Et son efficacité peut
Directeur de
recherche
au CNRS.
Coauteur du blog
«Do you law ?»
sur Libé.fr
s’avérer redoutable, allant jusqu’à l’annulation pure et simple des poursuites comme
dans le cas de l’«affaire EADS» déjà évoquée.
Cette dernière affaire, spectaculaire, aura révélé une dimension encore peu connue mais
déjà bien établie de la QPC : les «droits et libertés garantis par la Constitution» ont
ouvert un nouvel arsenal juridique dans lequel les avocats d’affaires viennent
aujourd’hui puiser leurs arguments au service des entreprises dont ils assurent la défense. Ceux-ci ne se sont pas cantonnés à l’invocation des libertés économiques (liberté
d’entreprendre, droit de propriété, liberté
contractuelle). Ils ont aussi fait un large recours aux principes fondamentaux de la procédure, au principe d’égalité ou aux articles
de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, pour remettre en cause ici le code général des impôts, là le code monétaire et financier, ailleurs encore le code du travail. Et
le champ des possibles semble infini puisque
c’est toute la législation économique et fiscale
qui a en son temps «échappé» au contrôle du
Conseil par la voie parlementaire (ou bien qui
est antérieure à la Ve République) qui peut désormais se voir contestée.
Pourquoi s’en alarmer si c’est ainsi, finalement, «le droit (qui) triomphe !» ? Certains
usages ont du reste permis d’ouvrir de nouvelles brèches, comme ces diverses QPC soulevées par la Ligue des droits de l’homme
dans le contexte de l’état d’urgence. Mais il se
joue là bien plus qu’une simple «victoire du
droit». Loin d’avoir emmené le Conseil constitutionnel sur le terrain des «grandes décisions» de principe, les avocats d’affaires ont
conduit la QPC sur le terrain d’une bataille
«micro-constitutionnelle» aux enjeux juridiques et économiques considérables dans le
domaine de la fiscalité, du droit des sociétés,
comme du pouvoir des autorités publiques
chargées de la régulation économique (ministère de l’Economie, Autorité des marchés financiers, Autorité de la concurrence).
Et ce jeu micro-constitutionnel compte
aujourd’hui ses repeat players. Directement
intéressés par l’orientation générale de la jurisprudence du Conseil en matière de droit
économique, les cabinets d’avocats spécialisés
en droit fiscal ou en droit public des affaires
n’ont pas tardé à inclure cette «spécialité»
dans la palette des services «offerts» à leurs
clients. Forts d’une expertise constitutionnelle qu’ils étoffent à l’occasion par le recrutement d’anciens membres du Conseil d’Etat,
voire du Conseil constitutionnel, ces cabinets
sont aujourd’hui en position de suivre des
stratégies juridiques au long cours, décryptant
les inflexions de la jurisprudence et saisissant
les opportunités qu’elle ouvre pour consolider
ce «droit constitutionnel des affaires» qu’ils
contribuent si activement à faire exister.
Alors que l’Etat poursuit sa mue libérale, le
débat constitutionnel sur les droits et les libertés devient ainsi un champ de bataille où
se joue aussi la définition du rôle des institutions publiques dans le gouvernement des
marchés. En questionnant leur place et leurs
pouvoirs, «la QPC change peu à peu le rapport
de forces entre les entreprises et les personnes
publiques», pour reprendre les termes récents
d’un membre du Conseil d’Etat. En ce sens,
elle est le lieu d’un renforcement, par la voie
du droit et des grands cabinets d’avocats, de
la capacité politique des grands opérateurs de
marché (entreprises, groupes d’intérêts économiques et grands contribuables), eux qui
n’avaient pas à ce jour d’accès direct au débat
constitutionnel. Née pour garantir l’égal accès «aux droits garantis par la Constitution»,
la QPC risque de contribuer à inscrire dans le
marbre de la jurisprudence constitutionnelle
l’inégale capacité politique et sociale à en définir la portée pratique et les contours. •
Libération Mardi 14 Juin 2016
u 21
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RÉ/JOUISSANCES
Par
LUC LE VAILLANT
Missive imaginée d’Ibrahimovic, attaquant suédois,
volant au secours d’une CGT accusée de bloquer
un pays avide de se laisser transporter par l’Euro.
Cher Philippe Martinez,
Je suis allongé sur mon lit, reconfiguré pour ma grandeur de haute altitude. Depuis ma chambre du château des Tourelles, à Pornichet, je
vois les feux des cargos qui entrent
au port de Saint-Nazaire. C’est bien
la seule chose qui circule encore
dans ton pays de merde.
Je rigole ! Tu sais bien que je me
suis pris d’affection pour la France,
surtout depuis que vous avez fait
de moi un héros à chignon. Cette
histoire de «pays de merde» est une
bêtise dite sur le coup de la colère
et reproduite à l’infini par la volubilité des réseaux très spécieux qui
s’horrifient d’un rien et orgasment
pour une injure de cour d’école,
avides de savonner les bouches qui
parlent dru et cru.
Cela dit, j’ai cru comprendre, mon
cher Philippe, qu’avec ta CGT, tu
avais réussi à bloquer l’Hexagone.
Et que l’Euro de foot qui verra ma
dernière apparition sur ces terres
d’un exil qui me fut doux et rémunérateur, pouvait serrer le frein à
main juste après avoir démarré.
Les TGV restent à quai, les TER se
perdent dans la pampa et on les retrouve dans la toundra, les pilotes
d’avion tombent la chemise, les
raffineries ont pris un coup de
pompe et les poubelles dégorgent
leur bile sur la plus belle avenue du
monde, tout juste sauvée de la
montée des eaux.
Vraiment, chapeau ! Vu le faible
taux de syndicalisation des salariés, les bisbilles idéologiques qui
torpillent l’unité entre les centrales désertées et la facilité de la gauche à désenchanter son monde, il
Rien à foot!
Exploitation du
tiers-monde, exaltation
de passions tristes,
machine à décerveler,
tout est désolant dans
la religion totalitaire
du ballon rond.
R
écemment je me suis rendu à Toulouse où l’hôtel de ville, le Capitole,
est un bâtiment d’une grande
beauté sur une place elle-même très belle.
De grandes banderoles barraient sa façade
et exhortaient le public à communier dans
la nouvelle religion obligatoire, celle du
foot, et donc de l’Euro. Dans la ville, de
gros blocs de plastique appelaient à la
même vénération. Le foot est omniprésent, obligatoire, c’est la fête qui pioche
dans les poches de tous pour distribuer
les profits à quelques-uns.
Evidemment, Toulouse n’est qu’une illustration particulièrement parlante de la folie du foot. La beauté cède la place à la pub
vulgaire et le sport compétitif est notre religion totalitaire vendue par les médias et
les pouvoirs en place. Le foot, comme les
JO ou les grands raouts sportifs, est une
pompe à fric : joueurs surpayés (qui certes
n’atteignent pas les sommets des gratifications des rois de la finance), stades qui
coûtent la prunelle de nos yeux, souvent
dans des partenariats public-privé (PPP)
qui ruinent les communes mais enrichissent le privé (Bordeaux, Le Mans), pollution générée par les arrivées massives de
supporteurs, violence, nationalisme et
vandalisme qui sont mal contenus par des
forces policières qui elles-mêmes pèsent
fort lourd dans les budgets publics.
L’Euro de foot ne déroge pas à la règle du
sport de compétition. Il crée son lot de pollution supplémentaire, des encombrements titanesques dans des villes comme
Paris déjà surpolluées et encombrées en
temps ordinaire. Il sert de drogue douce
pour endormir tous ceux qui veulent penser ou manifester. L’Euro par ci, l’Euro par
là et les ondes sont pleines de l’excitation
artificielle alimentée par des associations
notoirement corrompues comme la Fifa.
Toutes les grandes organisations sportives
sont corrompues et vivent de l’argent des
gens ordinaires, le CIO, par exemple.
Tout, dans le monde du foot professionnel, est désolant : exploitation du tiersmonde pour les équipements vendus ici,
sommes dépensées en pub qui évidemment ne bénéficient qu’à une toute petite
minorité, exaltation des passions tristes
du chauvinisme et du nationalisme, machine à décerveler qui réduit les auditeurs
ou spectateurs, mêmes involontaires, au
plus petit commun dénominateur. La col-
riste à la Daech. Pourquoi pas de
«barbu» à grosse moustache tant
qu’on y est? Pour le Medef et pour
Valls, pour les éditorialistes libéraux comme pour Hollande, pour
la CFDT comme pour El Khomri, tu
représentes désormais le preneur
d’otage diabolique d’une France
angélique, l’archaïque qui sent le
pneu brûlé, le saboteur de festivités
mises en musique par David
Guetta, excusez du peu.
J’ai dit que, si je le voulais, je pouvais rendre Hollande populaire,
mais que je n’étais pas sûr de le
vouloir (2). A l’Elysée, ça les a énervés. Tu sais comme je suis, je ne
manque pas d’air. J’ai l’arrogance
flambleuse et la mégalo heureuse.
Mais, pour toi, je vais faire un effort. Voilà ce que je te propose. Le
temps que ta CGT obtienne gain de
cause, je vais faire baisser la grogne
de la société du spectacle sportif
qui réclame sa dose.
On va organiser un match de malfaisance dont les recettes n’iront à
personne car l’entrée y sera gratuite. Les joueurs convoqués et téléportés depuis les abysses où ils
croupissent seront tous les révoqués de cet Euro 2016. Il y aura
Benzema, Valbuena et surtout
Ben Arfa, coquelets sanctionnés ou
lectivité paie pour l’enrichissement de petits capricieux, les joueurs professionnels,
dont on suit toutes les déclarations plus ou
moins débiles, mais aussi celui de leurs
clubs, des médias qui attendent la manne
de la pub. Les pubards entubent les jobards.
Le foot nous fait les poches avec notre assentiment et soudain la compétition est
présentée comme la fête, la fête obligatoire qui abolit le clivage droite-gauche, la
fête qui fait oublier les inégalités criantes,
la fête qui n’a plus rien à voir avec la protection de l’environnement dont on nous
dit pourtant qu’il est au centre des préoccupations des édiles. La fête faussement
laïque qui est la nouvelle croyance d’Etat.
Le foot est populaire, nous dit-on, comme
la boxe ou la corrida, dont la violence destructrice n’est plus à prouver. Peut-être,
bien que l’on ait jamais voté en connaissance de cause sur l’organisation de grandes compétitions dispendieuses. Il n’est
pas sûr que sa popularité soit très grande
chez les femmes ou dans certains milieux.
Cependant, même populaire, il reste
totalitaire au sens où la folle fête du foot
est incontournable pour nos têtes
et nos portefeuilles.
Il ne suffit pas de ne pas regarder les
matchs, de se moquer de qui gagne,
d’ignorer les bisbilles ou bêtises des Bleus,
des rouges, des oranges ou des blancs.
L’information est polluée par le foot, l’argent coule à flots là où il n’est pas indispensable au détriment des lieux qui en ont
besoin de façon cruciale. Tout l’argent gâché des stades en PPP, tout l’argent gâché
en présence policière, tout l’argent gâché
brimés. Il y aura Platini, président
déchu, et Zidane, entraîneur comblé, qui auront enfin l’occasion de
régler leur querelle de préséance
entre meneurs de jeu des temps anciens. Je ferai aussi venir Cantona
qui m’expliquera comment faire à
Manchester United où je vais bientôt lui succéder pour éviter de régler les conflits façon kung-fu.
A ces notabilités abîmées s’adjoindront la jeunesse locale, les surfeurs et skateurs, les baigneurs et
les longe-côteurs. Et aussi toutes
les filles qui voudront. Le foot sera
mixte ou ne sera pas. Ça se jouera
pieds nus et avec goal volant. C’est
moi qui constituerai les équipes et
les déferai à ma guise.
Hollande portera le numéro 7
comme quand il jouait ailier droit
chez les Diables rouges du
FC Rouen. Pour toi, ex-entraîneurjoueur à Garches, j’ai pensé au numéro 17, histoire de faire bisquer
les anticommunistes. J’espère que
ça t’ira. Bien à toi.
Ton Zlatan.
P.-S. : ci-joint, un (joli) chèque de
cotisation qui devrait me valoir le
titre de secrétaire général d’honneur de ta CGT. •
(1) et (2) Le Monde du 8 juin.
en consommation accrue d’essence, tout
cela affecte tout le monde.
La folie du foot, comme celle des autres
sports de compétition, participe aussi à la
mise en condition idéologique prédisposant à l’acceptation de l’inégalité. Qu’un
joueur vedette, bête et capricieux en diable, joue à Paris et gagne des sommes folles n’est pas jugé scandaleux dans une ville
où les SDF sont légion. Le sport est une
fête, on oublie tout. Où est la taxe sur les
cachets des sportifs, sur les revenus accrus
de la pub, la taxe qui pourrait redistribuer
un peu la manne du sport ? Les supporteurs violents et racistes des clubs de foot
mettent en évidence que le sport est une
forme de guerre. Les partisans du foot
qui vénèrent les stars se font les chantres
de l’inégalité que par ailleurs ils désapprouvent. La folie partisane qui nous
coûte les yeux de la tête est aussi un délire
chauvin et réactionnaire.
Le seul bleu que j’ai envie de voir est celui
du ciel (assez rare depuis le début du printemps) et si «nos» footballeurs perdent, je
n’en ai rien à foot. Je réclame la séparation
du foot et de l’Etat et une vraie laïcité étendue au sport de compétition. •
Par
PIERRE GUERLAIN
DR
«Ma chère CGT, moi,
Zlatan, je te soutiens»
faut être de première force pour
zlataner un événement sportif
conçu comme une eucharistie profane d’après attentats religieux,
comme une fumerie d’opium à ciel
ouvert pour peuple en manque et
comme la relégitimation d’un pouvoir hagard qui ne pourra dire que
ça va mieux que si Griezmann et
Pogba en plantent deux.
Ne crois pas que je me moque ! Audelà de ton sens tactique que je salue et qui consiste à serrer le kiki à
l’adversaire au moment où il voudrait arranger les choses en douce
pour aller faire le beau devant l’Europe ébaubie, je comprends le sens
de ton action. Les acquis sociaux,
c’est pas du mou de veau. Je gagne
gros mais je paie moi-même mes
impôts (1). Je ne sais pas si, à cause
de mes origines, me remonte la
nostalgie du modèle suédois assez
démantibulé ou de l’autogestion
yougoslave à la Tito tout à fait démembrée, mais cela me plaît que tu
t’opposes aux donneurs d’ordre et
que tu leur foutes la honte. J’aime
quand ça sent le gnon et la baston
et que la battle fait rage. On verra
bien si ça se serre la main à la fin.
A mesure que tu fais l’unité contre
toi, je te trouve de plus en plus sympathique. Te voilà traité de terro-
Américaniste
22 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
Construction de
logements de colons
en Cisjordanie. PHOTO
BAZ RATNER . REUTERS
Les colonies israéliennes,
obstacle à la paix
L’Etat hébreu doit
admettre le droit
international et
reconnaître que les
territoires conquis
par la force doivent
être rendus. Cela
reste un préalable
aux discussions
pour trouver une
solution au conflit.
L
a Conférence de Paris, une
première étape vers la relance de la négociation sur
le conflit israélo-palestinien ?
Beaucoup dépendra de la capacité du nouveau processus à préparer et à encadrer la deuxième
étape, à laquelle devraient participer les Palestiniens et les Israéliens, s’ils reviennent sur leur refus. L’expérience le montre : pour
l’initiative française, nombreux
sont les risques d’échec. Le premier réside dans le renvoi à plus
tard du débat sur les dossiers de
fond qui conditionnent la naissance d’un Etat palestinien : les
frontières, la capitale, les colonies, les réfugiés et les richesses
naturelles. Le deuxième serait de
ne pas fonder ce débat sur le droit
international tel que le définissent les résolutions des Nations
unies. Le troisième découlerait
de l’absence d’un organisme
de contrôle – et, le cas échéant,
de sanction – de l’application
des accords éventuels.
La question, centrale, de la colonisation éclaire cette problématique. Comment ne pas tirer les leçons de l’«oubli» des
négociateurs de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP),
qui n’exigèrent pas l’inclusion
dans la «déclaration de principes
sur les arrangements intérimaires d’“autogouvernement”», de
septembre 1993, d’une clause interdisant tout développement
des implantations israéliennes
dans les Territoires occupés ? Depuis, en vingt-trois ans, le nombre de colons juifs est passé
de 120 000 à 450 000 en Cisjordanie et de 160 000 à 200 000 à
Jérusalem-Est.
La construction par Israël en
Cisjordanie d’un mur et d’une
barrière de près de 700 km qui
annexent de fait au territoire
israélien les principaux «blocs»
de colonisation, c’est-à-dire la
majeure partie de la population
israélienne des Territoires palestiniens occupés, aggrave les effets délétères de la colonisation.
Car elle impose sur le terrain une
frontière arbitrairement tracée.
Et ce fait accompli topographique déchire le tissu économique,
social, culturel de la société palestinienne et mine toute possibilité de négociation…
Or, le droit international considère la colonisation comme illégale. Avec sa résolution 242,
le Conseil de sécurité de l’ONU
a défini, le 22 novembre 1967,
plusieurs principes pour un
règlement pacifique du conflit,
à commencer par le retrait
israélien des territoires arabes
occupés pendant la guerre des
Six Jours. Et, dans ce texte fondamental, l’affirmation du caractère inadmissible de l’acquisition
de territoires par la force l’emporte sur l’ambiguïté, bien connue, entre les versions française
et anglaise sur le retrait «des» ou
«de» territoires occupés…
Israël a d’ailleurs, à plusieurs reprises dans le passé, officiellement reconnu l’application des
normes du droit international
dans les territoires qu’elle occupe. Quant à la Cour suprême
d’Israël, si elle n’a pas pris
position sur l’applicabilité de
la IVe Convention de Genève
de 1949, elle l’a régulièrement
invoquée considérant donc qu’il
s’agit bien de territoires occupés,
avec tout ce que cela implique.
Nombreuses sont les résolutions
du Conseil de sécurité statuant
dans le même sens, notamment
la résolution 446 du 22 mars 1979
concernant la Cisjordanie et la résolution 1860 du 8 janvier 2009
concernant la bande de Gaza,
toujours considérée comme territoire occupé malgré le retrait israélien de 2005. Concernant Jérusalem, il faut rappeler que le plan
de partage de l’ONU du 29 novembre 1947 faisait de la ville et
de ses environs un «corpus separatum sous régime international
spécial». C’est donc logiquement
que le Conseil de sécurité a condamné les décisions unilatérales
successives de la Knesset: en 1953
celle faisant de Jérusalem la capitale du jeune Etat; en juillet 1967,
le vote déclarant la ville «réunifiée
capitale éternelle d’Israël»;
en 1980, la loi fondamentale proclamant «Jérusalem entière et
réunifiée […] capitale de l’Etat
d’Israël» (1). La meilleure preuve
de l’unanimité de la communauté
internationale sur cette question:
Jérusalem n’accueille plus
aucune ambassade, elles se trouvent toutes à Tel-Aviv…
Autre organisme international
important : la Cour internationale de justice de La Haye. Appelée en 2004 à statuer sur la construction du mur, elle qualifie,
dans son avis, la Cisjordanie et
Jérusalem-Est de «territoire occupé» sur lequel le mur empiète
illégalement. Il faut citer aussi la
Cour de justice de l’Union européenne qui, le 25 février 2010,
dans l’affaire Brita, affirme que
l’accord d’association avec Israël
est inapplicable aux produits
provenant des territoires occupés
palestiniens. Enfin, la Commission européenne, dans un «avis
interprétatif» sur l’origine des
produits en provenance des
Territoires occupés en date
du 11 novembre 2015, confirme
l’exigence contenue dans ses
«lignes directrices» en vigueur
depuis janvier 2014 : les produits
des colonies doivent faire l’objet
Par
JEAN­PAUL CHAGNOLLAUD,
RENÉ BACKMANN,
GÉRAUD DE LA PRADELLE
et DOMINIQUE VIDAL
d’un étiquetage spécifique avec
indication d’origine.
Dès lors que la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza
constituent des territoires occupés, la IVe Convention de Genève
et notamment son article 49 s’appliquent : ils interdisent notamment toute implantation par la
puissance occupante de ses ressortissants. Quant au statut de
Rome de la Cour pénale internationale (CPI), il qualifie même
cette démarche de «crime de
guerre» dans son article 8-2-a
– applicable puisque l’Etat de
Palestine est membre de la CPI
depuis le 1er avril 2015 et peut déposer plainte pour des faits remontant jusqu’au 13 juin 2014.
Dans ces conditions, toute installation de colons est un crime de
guerre relevant non seulement
de la compétence de la CPI, mais
encore de celle de tribunaux nationaux, la compétence de la CPI
n’étant que subsidiaire.
Un dernier point souligne le caractère central de la question de
la colonisation : c’est l’évolution
de la composition du gouvernement israélien. On a noté, à juste
titre, que celui-ci avait connu
une nette radicalisation. Les coalitions entre la droite et le centre
ont cédé la place à des équipes
unissant la droite et l’extrême
droite. Mais ce déplacement du
centre de gravité de l’exécutif,
particulièrement sensible
depuis les élections législatives
du 17 mars 2015 et plus encore
récemment avec la nomination
d’Avigdor Lieberman comme
ministre de la Défense, signifie
aussi que les colons sont plus que
jamais au pouvoir en Israël. L’actuel gouvernement est leur gouvernement. Si elle veut agir
efficacement, la communauté
internationale doit en tenir
le plus grand compte. •
(1) Voir notamment les résolutions 252
Membres du bureau de l’iReMMO (Institut de Recherche et
d’études Méditerranée / Moyen-Orient).
du 21 mai 1967 ; 476 du 30 juin 1980 ;
478 du 20 août 1980.
IDÉES/
ÉCONOMIQUES
Par
PIERRE­YVES GEOFFARD
Professeur à l’Ecole d’économie de Paris,
directeur d’études à l’EHESS
Prévenir pour abolir
les inégalités de santé
Plus que le revenu, c’est le type
de médecine pratiquée qui maintient
en bonne santé le plus grand nombre.
L
es comparaisons internationales montrent clairement que
les pays les plus riches sont
aussi ceux où les indicateurs
de santé sont les meilleurs:
l’espérance de vie à la naissance est ainsi de 83 ans
au Japon, contre seulement 57 ans en Afrique du
Sud. Qui plus est, ce «gradient social» est également
présent au sein de chaque
pays: les inégalités se cumulent, puisque les individus
bénéficiant d’un meilleur
statut socio-économique
sont également plus fréquemment en bonne santé
que les autres. Ces inégalités
sociales de santé sont plus
fortes dans certains pays
que dans d’autres. Les comparaisons internationales
restent délicates puisque les
indicateurs de santé comme
les mesures de niveau socioéconomique diffèrent d’un
pays à l’autre. Toutefois, selon les études et les indicateurs retenus, la France se
situe au mieux dans la
moyenne des pays européens, au pire parmi les
pays les plus inégalitaires,
ceux où la différence de niveau de santé entre les plus
pauvres et les plus riches est
la plus nette. On retrouve
ainsi, semble-t-il, un phénomène également avéré en ce
qui concerne les inégalités
vis-à-vis de l’éducation, mesurées dans les enquêtes
Pisa: certes, les inégalités de
revenu peuvent être plus
faibles en France que dans
d’autres pays, mais elles
sont associées à de très fortes différences de résultats
scolaires.
Les raisons de ces inégalités
de santé sont mal connues.
En ce qui concerne le lien
entre revenu et santé, l’hypothèse longtemps dominante a fait peser la culpabilité sur l’accès aux soins,
mieux garanti pour les plus
riches lorsque ces derniers
sont payants. Mais l’analyse
d’une cohorte de fonctionnaires anglais a révélé dans
les années 80 que de très
fortes inégalités de santé
persistaient entre les catégories supérieures et subalternes, alors même que tous
bénéficiaient du même accès gratuit au système national de santé britannique. En
revanche, d’autres facteurs
comme la qualité du logement, de l’environnement
ou de l’alimentation améliorent la santé des mieux lotis.
Une autre explication propose une causalité inverse:
ce n’est pas tant le revenu
qui améliore la santé, mais
l’inverse. Ainsi, être en
meilleure santé confère une
meilleure productivité, une
capacité accrue à travailler,
et, en définitive, un revenu
plus élevé du travail.
L’analyse se complique,
mais s’affine aussi, lorsque
les données statistiques permettent de prendre en
compte d’autres éléments
du statut socio-économique,
notamment le niveau d’éducation. Celui-ci constituerait
un facteur commun, un diplôme plus élevé garantissant à la fois un meilleur revenu et une santé plus
favorable. Une fois pris en
compte le niveau d’éducation, le lien observé entre revenu et santé s’estompe en
grande partie. Mais cette explication soulève à son tour
de nombreuses questions :
pourquoi un meilleur niveau éducatif est-il bénéfique à la santé? Là encore, de
Selon
les études et
les indicateurs
retenus, la
France se situe
au mieux dans
la moyenne des
pays européens,
au pire parmi
les pays les plus
inégalitaires.
u 23
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nombreuses hypothèses,
souvent plausibles et pas
contradictoires: les comportements favorables à la
santé, comme une activité
physique régulière, une alimentation saine, une moindre consommation de tabac
et d’alcool, seraient encouragés par un niveau d’éducation plus élevé. Plusieurs
analyses se focalisent sur le
gradient de santé chez les
enfants. Là encore, les comparaisons internationales
sont délicates mais montrent de faibles performances françaises. Les travaux
que j’ai conduits avec Bénédicte Apouey indiquent
qu’au Royaume-Uni, les conditions socio-économiques
des parents n’affectent pas
la santé de l’enfant à la naissance; et si elles produisent
des effets sur ceux âgés
de 2 à 3 ans, ces effets restent modérés et ne s’accroissent pas avec l’âge de l’enfant. Dans le cas de la
France, en revanche, le gradient de santé semble déjà
présent à la naissance et
se creuse tout au long de
l’enfance.
On sait que le système national de santé britannique est
caractérisé par un accent
mis sur la prévention, allouant des moyens plus
importants aux cabinets
médicaux situés dans
les territoires les plus défavorisés, incitant les professionnels à y renforcer
l’éducation thérapeutique,
rémunérant le suivi des patients atteints de maladies
chroniques. On sait aussi
qu’en France, le paiement
des médecins à l’acte pénalise ceux qui s’engagent
dans de telles démarches
préventives car elles prennent souvent plus de temps,
notamment lorsqu’elles
s’adressent à des personnes
désavantagées. Tout indique qu’une telle organisation des soins primaires,
outre ses inefficacités amplement démontrées, prive
également les politiques de
santé d’instruments puissants de lutte contre les inégalités de santé. Cette lutte
doit pourtant figurer au premier rang des objectifs de
santé; mais qui aura le courage d’engager de telles réformes radicales ? •
Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte,
Ioana Marinescu, Bruno Amable et
Pierre-Yves Geoffard.
Mettre au pas
Grévistes, amateurs
de foot, collégiens,
étudiants, manifestants
encapuchonnés : tout
le monde doit se tenir à
carreau. Ne pas voir une
seule tête dépasser au
nom de l’ordre libéral ?
D
e mes années d’étudiant, je
n’ai vraiment retenu qu’une
chose importante : un fait ne
signifie rien en lui-même. Seuls plusieurs faits mis en convergence permettent de tirer une conclusion. Les
collégiens et leurs parents bastonnés par les flics devant un collège de
Saint-Malo ne protestaient pas contre la loi travail mais seulement contre la fermeture programmée de
l’établissement. Au même moment,
à Rennes, des journalistes – donc,
des témoins – étaient eux aussi cognés par d’autres flics lors d’une manif contre cette même loi travail.
Pourquoi ces violences ? Parce qu’il
faut mettre au pas toute forme de
contestation. En fait, il s’agit d’un
puzzle protéiforme n’ayant qu’un
but : imposer le libéralisme débridé
dont l’épanouissement nécessite un
périmètre «normalisé». Pour ça, il
faut mettre le pays au pas, faire taire
toute contestation. Aucun mal à imposer ce libéralisme en Asie ou en
Russie puisque la population déjà
mise au pas par un Etat militaro-policier espérait en tirer des avantages.
Ces mêmes systèmes politiques demeurés en place (ou habillés de nouveaux oripeaux) se contentent
aujourd’hui de contenir les contestations tout en se gavant d’une corruption à caractère mafieux (ce qui
ne choque pas grand monde, la corruption appartenant à ces pays depuis des siècles). Ici, la population
ne voit au contraire que des désavantages à un libéralisme dont elle
constate les dégâts. D’où la nécessité
de la mettre au pas. De multiples façons. Que ce soit par la répression
policière des manifestations, le climat militaire de l’état d’urgence
mais aussi d’innombrables signaux
afin d’obtenir la soumission. D’où,
pêle-mêle, les saillies morgueuses
de Macron, les coups de menton de
Valls mais aussi la nouvelle loi sur
l’usage des armes à feu par la police
et la gendarmerie, et, surtout ces
messages médiatiques induisant la
peur. Premier message transmis directement par le pouvoir : avec la
droite, ce sera pire. Et ensuite, en
vrac, peur de la pénurie d’essence,
des grèves, des inondations – le ciel
qui nous tombe sur la tête –, de Cantona, de Benzema, de la CGT, du
moustique tigre et surtout des attentats pendant l’Euro (sujet plus débattu que «les Bleus peuvent-ils gagner la compétition ?») ou le Tour de
France. Samedi matin, sur France
Inter, frère Bauer, criminologue en
peau de lapin, vigile en chef du clan
Valls, en agitait le spectre, telle une
crécelle de lépreux. Tout le monde
doit avoir peur, tout le monde doit se
tenir à carreau, collégiens, parents
d’élèves, étudiants, grévistes, amateurs de foot ou de vélo, manifestants porteurs de tee-shirt ou encapuchonnés. Ne voir qu’une tête et
pas une oreille qui bouge, c’est à ce
prix chinois que Macron (comme
Hervé Novelli, il y a quelques années) espère l’émergence une poignée de jeunes milliardaires.
Mais pourquoi des ministres qui se
détestent mutuellement et qui dans
moins d’un an passeront à la
broyeuse des élections tiennent-ils
donc à imposer par la force et la soumission des esprits une loi scélérate
qui n’aura pas même le temps de
produire un effet sur l’emploi ? Elle
constitue leur acte d’allégeance personnel au libéralisme et au patronat.
Jetés des ministères, ils mettront
alors leur carnet d’adresses à la disposition du privé. Ils pourront
même expliquer aux responsables
des ressources humaines comment
niquer la loi. Quelques-uns, redevenus députés ou sénateurs, prolongeront leur carrière de perroquet histrionique, façon de faire écho devant
les caméras au pire promis par la
droite. Accessoirement, ils représenteront au parlement les lobbys pour
lesquels travailleront leurs
ex-collègues.
En attendant, il faut que ça file
doux. Des carottes pour les profs et
les intermittents. Du bâton pour la
rue. Quitte à cogner des gosses. Ou
estropier un journaliste à coups de
grenade. Après tout, la mort de
Rémy Fraisse n’a pas entraîné une
déferlante d’indignation et le gendarme auteur du tir ne sera pas jugé.
Emmanuel Todd parle de «fascisme
rose». François Ruffin de «socialisme
en phase terminale». On peut aussi
reprendre le «Moulag», mot inventé
par Bernard Chapuis, rockeur
lettré. •
MICHEL
EMBARECK
Par
DR
Libération Mardi 14 Juin 2016
Ecrivain
Document
Jun 2016
- 1413:39:25
Mardi
Juin 2016
24 u: LIB_16_06_14_PA.pdf;Date : 13.Libération
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Culture et la Communication de décembre 2015.
75 parIs
Direction de l’Urbanisme Service de l’Action Foncière
Département de la Topographie et de la Documentation Foncière
RAPPEL - AVIS D’ENQUÊTE PUBLIQUE
Projet de déclassement du domaine public routier
communal d’une emprise située rue du Professeur
Hyacinthe Vincent et d’une emprise située à
l’intersection des avenues Paul Appell et de
la Porte d’Orléans à Paris 14ème.
Par arrêté du 20 avril 2016,
Madame la Maire de Paris ouvre une enquête publique à la Mairie du
14ème arrondissement
du lundi 13 juin 2016 au lundi 27 juin 2016 inclus
sur le projet de déclassement du domaine public routier communal
d’une emprise située rue du Professeur Hyacinthe Vincent et d’une emprise
située à l’intersection des avenues Paul Appell et de la Porte d’Orléans à
Paris 14ème.
Monsieur Daniel TOURNETTE a été désigné en qualité de commissaire
enquêteur.
Le dossier d’enquête, déposé à la Mairie du 14ème arrondissement, sera
mis à la disposition du public qui pourra en prendre connaissance et y
consigner éventuellement ses observations sur le registre d'enquête :
- les lundis, mardis, mercredis, vendredis de 8 h 30 à 17 h,
- les jeudis de 8 h 30 à 19 h 30, (bureaux fermés les samedis, dimanches et
jours fériés).
Afin d'informer et de recevoir les observations du public, le commissaire
enquêteur assurera les permanences à la Mairie du 14ème arrondissement les
jours et heures suivants :
le lundi 13 juin 2016
de 10 heures à 12 heures,
le jeudi 23 juin 2016
de 17 heures à 19 heures,
le lundi 27 juin 2016
de 15 heures à 17 heures.
Les observations pourront également être adressées par écrit et pendant
toute la durée de l'enquête au commissaire enquêteur. Elles seront annexées
au registre d'enquête.
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Libération Mardi 14 Juin 2016
SCREENSHOTS
a la tele ce soir
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22h50. UEFA Euro 2016,
le mag. Magazine.
20h55. Céline face à Dion.
Documentaire. 22h50.
Le vilain. Film.
20h55. Freaky friday - dans la
peau de ma mère. Comédie.
Avec : Jamie Lee Curtis, Lindsay Lohan. 22h50. L’amour
sans préavis. Film.
FRANCE 5
FRANCE 2
20h55. Aventures de médecine. Documentaire. Les
premiers pas de la pédiatrie.
22h50. Infrarouge. Documentaire. Ils sont médecins au
Samu 1 & 2/2.
FRANCE 3
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Les fantômes de la ligne de
touche. Du sang et de l’eau.
23h55. Grand Soir 3.
0h30. Couleurs outremers.
Documentaire.
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20h55. Jurassic world.
Aventures. Avec : Chris Pratt,
Bryce Dallas Howard. 23h00.
San Andreas. Film d'action.
Avec : Dwayne Johnson,
Alexandra Daddario.
20h50. Sur les toits de New
York. Documentaire. 21h55.
Venise, récit d’un naufrage
annoncé. Documentaire.
PARIS PREMIÈRE
20h45. Coluche fait son
cinéma. Documentaire.
21h55. Coluche, la France a
besoin de toi. Documentaire.
HD1
TMC
20h55. New York Section
Criminelle. Série. De fil en
aiguille. Dommages et intérêts.
Question de vie ou de mort.
23h35. 90’ Enquêtes.
M6
21h00. Pretty woman.
Comédie. Avec : Julia Roberts,
Richard Gere. 23h15. Nouveau
look pour une nouvelle vie.
Documentaire. Annick
et Bruno.
CHÉRIE 25
20h55. Jeux interdits. Drame.
Avec : Brigitte Fossey, Georges
Poujouly. 22h30. Éternellement femmes. Documentaire.
NUMÉRO 23
20h50. Il faut marier maman.
Téléfilm. Avec : Michèle Bernier, Morgane Cabot. 22h40.
Non élucidé. Magazine.
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21h00. Dr. Foster. Série.
Épisode 1. Avec : Suranne
Jones, Tom Taylor.
22h05. Dr. Foster. Série.
20h30. 36 : mes premières
vacances. Documentaire.
21h30. Débat. 22h00. On va
plus loin. Magazine.
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et de la rédaction
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des Editions
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Midi Print (Gallargues)
POP (La Courneuve)
Nancy Print (Jarville)
CILA (Nantes)
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Solutions des
grilles d’hier
ON S’EN GRILLE UNE?
Petites annonces. Carnet
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25, avenue Michelet
93405 Saint-Ouen cedex
tél.: 01 40 10 53 04
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Par GAËTAN
GORON
HORIZONTALEMENT
I. Il permet de passer de
l’éveil au sommeil II. Sur la
glace, on le voit double ou
triple ; Quatre voyelles à
l’écoute III. Un peu de repos ; Ils
sont cassés importunément
IV. Ils sont verts dans la
légion étrangère ; Modèle
réduit V. Sans prévision
VI. Peau de vache ; Convient
VII. Dépêches ; Celui qui
y est peut peut-être écrire
la réponse VIII. Agent de
liaison ; Dans un langage plus
châtié, Tartuffe s’offusque de
sa vision IX. Plat provençal ;
De l’eau sur terre X. Vieille
monnaie iranienne ; De la terre
sur l’eau XI. Malades
Grille n°320
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et financier
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Directrice Marketing
et Développement
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(édition), Grégoire Biseau
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Caen
Le Royaume-Uni se déchire sur le Brexit. Comme il s’est
toujours déchiré sur la question de son appartenance
à l’Union européenne. Il fallait toute la finesse d’un
Anglais pur malt, Don Kent, pour retracer de manière
non-hystérique cette histoire d’amour-haine qui fait
qu’il y a aujourd’hui autant d’opinions que d’habitants
sur ce référendum. Le film enchâsse interviews de
politiques, d’artistes, d’intellectuels et de quidams, en
revenant sur le long chemin cahoteux de l’adhésion
britannique à l’UE. Et comme souvent dans ce genre de
cas, les gens qui se sentent mal informés des enjeux
réels, voudraient des réponses simples à des questions
très compliquées. Au fil du documentaire, c’est une
tentative de définition de l’identité anglaise qui se
dessine. Il faut entendre ce chorégraphe d’origine
étrangère raconter que «c’est une chance de grandir au
milieu de plusieurs cultures». Ou cet agriculteur
expliquer que son «cœur lui dit de sortir de l’Europe»
mais que la raison lui rappelle que ses propres
bureaucrates lui feraient autant de mal. Ou encore
l’écrivain Irvine Welsh raconter pourquoi il sent
«écossais et européen, mais pas forcément britannique».
Simple quoi. DAVID CARZON
Directeur artistique
Nicolas Valoteau
Pluies et averses n'épargneront aucune
région. Des orages pourront éclater en
Languedoc-Roussillon.
L’APRÈS-MIDI Maintien d'un temps instable
avec des chutes et des averses de pluies
fréquentes. Risque d’orages près de la
Méditerranée.
Lille
0,3 m/13º
IP 04 91 27 01 16
20h55. La malédiction de la
pyramide. Téléfilm. Avec :
John Rhys-Davies, David Charvet. 22h35. Storage hunters.
20h55. Unreal. Série.
Raison ou sentiments.
Le grand jour (ou presque).
22h45. Alien, le huitième
passager. Film.
Il pleut sur les trois quarts du pays. Le
temps reste sec et le ciel bien dégagé dans
le sud-est avec un forte tramontane.
L’APRÈS-MIDI Le temps est instable sur la
majeure partie du pays à l'exception du
sud-est. Les averses sont localement
orageuses sur le nord du pays. Les vents
d'ouest restent assez soutenus au large des
côtes varoises.
Edité par la SARL
Libération
SARL au capital
de 15 560 250 €.
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
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Richard Karacian
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Cogérants
Laurent Joffrin
Marc Laufer
20h50. Section de
recherches. Série. Les chasseurs. Prise d’otages. 22h45.
Section de recherches. Série.
W9
20h55. Goodbye britain ?.
Documentaire. 22h25. Quelle
Europe sans les Anglais ?.
Documentaire.
0,3 m/13º
D17
20h50. Hashtag ou dièse :
à chacun sa génération.
Divertissement. 22h40.
Hashtag ou dièse : à chacun
sa génération. Divertissement.
20h55. Daniel balavoine :
vivre ou survivre. Documentaire. 22h50. La véritable
histoire des stars des
années 80. Documentaire.
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MONDE
MIN
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Alger
Bruxelles
Jérusalem
Londres
Berlin
Madrid
New York
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par mail : initiale du
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VERTICALEMENT
1. Jeu d’enfants 2. La force n’est pas avec elle 3. Lorsque les opposants à
une loi jouissent de leur victoire ; Elle veille à la protection de l’épargne
4. 150 à Rome ou en bouteille ; Mis en premier 5. Orange avant ; En
condition ; Amorce d’un pas 6. Pièces de charpente ; Elle est idéale
pour débuter la radio 7. Prise ; Lieu de reproduction 8. Mis en route, ils
sont dangereux 9. Elle a eu un César de la meilleure actrice ; Arrivées
Solutions de la grille d’hier
Horizontalement I. LAUDATIVE. II. OMNIVORES. III. NEES. FINS.
IV. GRS. JUSTE. V. MICROS. AN. VI. ÉCOIN. TNT. VII. TA. AGOUTI.
VIII. RIP. LOT. IX. ANONE. URL. X. GENOUX. OL. XI. ESTÉRIFIÉ.
Verticalement 1. LONG-MÉTRAGE. 2. AMÉRICAINES. 3. UNESCO. PONT.
4. DIS. RIA. NOÉ. 5. AV. JONGLEUR. 6. TOFUS. OÔ. XI. 7. IRIS. TUTU.
8. VENTANT. ROI. 9. ESSENTIELLE.
26 u
FUTURS
Libération Mardi 14 Juin 2016
INTERVIEW
«Pour que le jeu vidéo soit
intéressant, il faut s’y abîmer»
E3 A l’occasion de l’ouverture du salon international
des loisirs interactifs à Los Angeles, «Libération»
a rencontré le philosophe Mathieu Triclot, qui
analyse un phénomène devenu culture universelle.
Libération Mardi 14 Juin 2016
dire une pratique de masse, quasi universelle.
D’un point de vue démographique, on remarque aussi, par un effet lié aux smartphones et
epuis plus de vingt ans, c’est le rendez- aux tablettes, de nouveaux entrants dans les
vous incontournable de la planète jeux tranches plus âgées [plus de 45 ans]. Ça veut
vidéo. L’Electronic Entertainment dire que le vieux modèle de diffusion de la
Expo, ou E3, qui commence officiellement ce pratique –j’ai joué jeune et je continue à jouer,
mardi pour se conclure jeudi, se tient tous les mais de moins en moins – est en train de se
ans (sauf rares exceptions) à la même période, compléter avec de nouvelles pratiques. Dire
et ces deux jours sont avant tout l’occasion que le phénomène est massif, ça veut dire
pour l’industrie de gaver le cerveau des ga- aussi qu’il n’y a plus de moyenne, il n’y a plus
mers du monde entier avec des wagons d’an- de joueur type. L’ado masculin qui joue reste
nonces sur les jeux qui sortiront dans les mois un profil, bien sûr, mais parmi d’autres. Tout
et les années qui viennent.
le monde joue. Parfois sans le savoir, sans se
Très logiquement, l’intensité des E3 suit, avec déclarer joueur, sans investir sa pratique.
un temps d’avance, le grand cycle qui rythme L’autre raison, c’est que quand on joue, on
les progrès technologiques du secteur, à sa- joue avec un dispositif technique qui n’est
voir les sorties des nouvelles conpas neutre : des machines inforsoles. Il y a les années où les consmatiques. En termes d’histoire
tructeurs annoncent leurs futures
des formes culturelles, c’est quelmachines forcément révolutionque chose qui devrait nous frapnaires, et les autres. Cette année
per. Des formes culturelles branfait partie des autres. Même si
chées sur un dispositif technique
Sony et Microsoft travaillent chadécisif pour l’existence comcun à des évolutions de leur conmune, il n’y en a pas beaucoup.
sole de salon (la PlayStation 4 et la
Les cinémas, c’est important,
Xbox One) pour proposer des vermais le monde peut se passer des
sions plus puissantes et que Nin- INTERVIEW salles de cinéma et continuer à
tendo prépare en coulisse une
tourner. Le livre, évidemment,
nouvelle machine dont on ne connaît à est du même ordre, on manipule un disposil’heure actuelle que le nom de code, «la NX», tif technique –l’écrit, le livre, l’imprimerie–
rien de spectaculaire n’est attendu pour cette sans lequel le monde ne tourne plus. On enédition.
tretient dans les jeux vidéo une sorte de rapCe sont donc les jeux eux-mêmes qui seront port intime à la machine informatique, mais
les stars du salon. Bandes annonces, vidéos aussi à la mise en données du monde, aux
de jeux en action, interviews de créateurs algorithmes, aux paramètres, etc. C’est quel(à chaque fois disponibles en temps réel sur que chose d’extraordinaire parce qu’on joue
YouTube ou Twitch, il n’est plus guère néces- avec la matière technologique même du
saire d’être à Los Angeles pour suivre l’événe- monde contemporain.
ment en direct), chaque heure va amener avec Le jeu vidéo est vieux d’un bon demi-sièelle son lot de nouveautés. On trépigne donc cle, mais ces dernières années ont été
d’en apprendre plus sur les superproductions explosives, son écosystème a changé, et
de la fin de l’année (Mafia III, Watch Dogs 2, il semble aujourd’hui plus légitime…
Dishonored 2, Deus Ex : Mankind Divided, Cette impression d’explosion, c’est peut-être
Final Fantasy XV, The Last Guardian…), de une nouvelle forme de visibilité des pratidécouvrir, ébahi, les nouvelles promesses lu- ques, et le fait qu’elles peuvent aujourd’hui
diques, notamment celles autour de la réalité être assumées. Elles deviennent légitimes,
virtuelle, et de s’interroger sur le devenir de et accompagnant cette légitimité, il y a des
ce secteur en perpétuelle mutation. Bref, les formes de ce que j’appelle des mises en culjoueurs espèrent alimenter une fois de plus ture: des festivals, de la fan culture, de la culle moteur de leur passion par son carburant ture participative, dans lesquels on montre,
de toujours : l’impatience.
on partage. C’est ça qui est frappant et qui est
Au milieu de ce maelström dopé au marke- nouveau. Le cinéma donne un bon indicating, difficile de se rendre vraiment compte teur. Il faut combien de temps, à partir
de l’importance prise par le jeu vidéo ces der- de 1895, pour qu’on puisse dire que le cinéma
nières années. On connaissait sa puissance est quelque chose d’intéressant et pas juste
économique et son potentiel culturel, mais un divertissement à l’égal des courses de
il s’immisce aujourd’hui, notamment par les chevaux et des bals populaires? Il faut à peu
smartphones, dans toutes les couches de la près une cinquantaine d’années pour qu’on
société, devient un vecteur de consommation puisse le dire sans s’attendre à être contredit,
médiatique, voire un support pour des com- sans qu’il y ait polémique. Pour le jeu vidéo,
pétitions sportives. Protéiforme par nature, on est dans ce moment de bascule : quand
le jeu vidéo colonise tous les écrans. Mathieu quelqu’un va affirmer que le jeu vidéo est un
Triclot, maître de conférence à l’Université de truc de débile, il va recevoir un torrent de critechnologie de Belfort-Montbéliard et auteur tiques et être amené, parfois, à faire machine
de Philosophie des jeux vidéo (Zones, 2011), est arrière.
un observateur aguerri des usages liés au jeu Mais il continue pourtant à être mal
vidéo. Il a accepté de lâcher sa manette et compris par beaucoup d’observateurs…
dresse pour Libération un état des lieux des D’un côté, on peut dire que le jeu vidéo est
pratiques ludiques.
une magnifique illusion, en ce qu’il présente
Quelle est la place des jeux vidéo sous une forme simple et ludique quelque
aujourd’hui dans la société ?
chose qui est beaucoup plus complexe et qui
Il y a deux raisons pour lesquelles, même si transforme notre monde de manière radicale.
on ne s’intéresse pas au jeu vidéo, on ne Et non seulement on s’illusionne, mais on est
devrait pas pour autant le négliger. La pre- aliéné, là-dedans, parce qu’on est asservi au
mière, c’est l’intensité de la pratique. L’en- dispositif et parce qu’on fabrique du «fun» là
quête Ludespace, réalisée en 2012, qui est la où on devrait fabriquer de la pensée critique.
première étude quantitative de sociologie des Mais d’un autre côté, je crois que la force des
pratiques de jeux vidéo, montre que plus de jeux vidéo, c’est que la pensée critique sur le
six adultes sur dix sont joueurs. Certes, dispositif d’informatisation, sur le dispositif
«joueur», c’est une définition extrêmement de la data, on peut l’avoir en jouant avec.
large: «a joué à un jeu vidéo au moins une fois De toute manière, le jeu rend les gens mal à
sur les six derniers mois». Mais c’est le même l’aise, qu’il soit vidéo ou non. Le jeu, c’est une
type de comptage pour les autres activités disposition mentale qui est foncièrement insculturelles. Et avec six adultes sur dix, on est table. C’est tout simple: pour que je joue à un
dans les mêmes eaux que le cinéma, c’est-à- jeu, il faut que je joue à fond, sinon «je ne joue
Recueilli par
ERWAN CARIO
DR
D
A Los Angeles,
dimanche, après
la conférence
de l’éditeur de jeux
Electronic Arts.
PHOTO KEVORK
DJANSEZIAN. GETTY
IMAGES. AFP
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pas le jeu». Mais pour que je puisse y jouer
à fond, il faut aussi que je sache que ce n’est
qu’un jeu, c’est-à-dire que je peux m’en déprendre: «Ce n’est qu’un jeu.» Donc la liberté
et l’aliénation sont intégralement entremêlées. Ce qui peut avoir un côté extrêmement
inquiétant pour quelqu’un qui regarde de l’extérieur, qui peut penser que la machine a créé
une sorte de zombie aspiré par son écran ou
son téléphone. La condition pour que ce soit
aussi un élément de pensée critique, d’émancipation, c’est qu’on y soit à fond. C’est une
des raisons pour lesquelles le jeu vidéo est un
objet si mal commode pour tout le monde,
parce que la condition pour qu’il y ait quelque
chose d’intéressant, c’est qu’on s’y abîme.
Mais, on le voit aujourd’hui avec le phénomène de l’e-sport et la popularité des
services comme Twitch, on peut aussi se
contenter de simplement regarder…
Ça nous dit que le jeu vidéo, c’est toujours
plus que le jeu, plus que la relation individualisée de l’ordinateur à l’écran : c’est une culture à laquelle on participe. Regarder d’autres
jouer, c’est l’usage d’un public plutôt jeune.
Ce sont des pratiques de jeu par délégation.
Regarder quelqu’un de très bon jouer peut
parfois être mieux que de jouer soi-même. Du
coup, le jeu vidéo ne peut plus être défini par
son interaction, puisqu’il existe aujourd’hui
une pratique complètement passive… Il y a
quelque chose de contre-intuitif. Ces vidéos,
de très longue durée, font partie de cette nouvelle consommation fractionnée des médias
que les adolescents peuvent avoir et dont ils
sont le fer de lance. Il ne faut pas imaginer
qu’on regarde ces vidéos comme on regarderait un film. Pendant le «let’s play» [format de
vidéo populaire où un joueur commente sa
propre partie, ndlr], on tchatte, on est sur les
réseaux sociaux, on surfe sur d’autres sites.
Ça s’insère dans du multitâche. Toutes les
vertus que notre génération a prêtées à l’interactivité sont mises à mal par les joueurs
d’aujourd’hui qui redécouvrent les joies de la
passivité. Et ils ont raison, parce que l’interactivité n’est pas la forme ultime des consommations médiatiques. •
Les informés
de France Info
Une émission
de Jean-Mathieu Pernin,
du lundi au vendredi,
de 20h à 21h
Chaque mardi avec
28 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
ANTHONY
JOSEPH
prêcheur
des îles
Créolité Le chanteur
et poète trinidadien
sort «Caribbean Roots»,
un album dans lequel
il explore les sources
musicales de l’archipel
antillais. A goûter ce
vendredi sur la scène de
La Défense Jazz Festival.
mière. Un show brûlant dans le cadre de Banlieues bleues, festival
qu’il a plusieurs fois pratiqué. Deunivers finit toujours puis dix ans, le Londonien s’est dupar assembler de ma- rablement installé sur les scènes
nière harmonieuse les françaises, qu’il embrase régulièrechoses qui doivent être réunies.» ment avec son Spasm Band, un
Cette phrase d’Anthony Joseph, groupe réformé au fil du temps
prononcée en 2006
mais dont l’enjeu dealors qu’il n’a pas enNCONTRE meure le même. «EsRE
core publié son presayer de capturer l’esmier album, résonne du plus juste sence de la transe, la transcendance,
écho sur scène ce 29 mars 2016, où à travers la musique, saisir ce mole poète-chanteur vient présenter ment, ténu parfois, où tu perds le
Caribbean Roots en avant-pre- contrôle», confiait-il à Libération en
Par
JACQUES DENIS
«L’
Anthony Joseph a présenté son album en avant-première à Banlieues bleues, fin mars. MIRABEL WHITE
Libération Mardi 14 Juin 2016
u 29
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marge de ce concert printanier. Disque après disque, Anthony Joseph
piste cette sensation de spasme
qu’il a connue tout gamin auprès de
ses grands-parents, fervents pratiquants de la Spiritual Baptist
Church of Trinidad, un culte syncrétique qui rappelle le vaudou haïtien, le candomblé brésilien et la
santeria cubaine. «J’ai assisté aux
prières nocturnes du mercredi, aux
cérémonies et pèlerinages, aux baptêmes à l’aube dans la Manzanilla
Bay, aux offices dominicaux. J’ai
même vécu des exorcismes crépusculaires dans les champs de canne. J’ai
oublié beaucoup de choses, mais la
musique m’est restée.» Hasard ou incidence, Anthony Joseph est né à
Port Of Spain le 12 novembre 1966,
le jour de la fête de Diwali, un rituel
hindou qui célèbre le passage de
l’obscurité à la lumière. L’anecdote
éclaire l’esthétique de ce preacher
dont la musique se veut communion organique d’un tout cosmique.
VERSETS ÉSOTÉRIQUES
C’est dans cette île peuplée de légendes orales et des soubresauts du
carnaval qu’il grandit, avant d’atterrir outre-Atlantique, en 1989.
Dans l’ancienne capitale de l’Empire colonial, Anthony Joseph
creuse très tôt un singulier sillon,
à la jonction de l’écriture, le premier médium qui va le distinguer,
et de la musique,
où ce fondu de disques noirs s’illustre
dès les années 90
sur la scène black
rock et spoken
word. Il faudra attendre qu’il croise
la voie d’Antoine
Rajon, producteur
aux oreilles affûtées en matière de
great black music,
pour qu’il pose enfin sur bandes sa
version de ce que le
sociologue anglais
Paul Gilroy nomme
ANTHONY «l’Atlantique noir».
JOSEPH Entre jazz spirituel
et soul funk charnel, entre rythmiques telluriques et
versets ésotériques, cette vision synoptique qu’il consigne dans Leggo
De Lion, un disque où il entend
jouer «la bande-son d’un territoire
où toutes les diasporas noires se retrouvent», fait écho au livre qu’il
publie dans la foulée : The African
Origins Of UFOs. Le titre inscrit le
chanteur dans une longue généalogie de prophètes afro-américains et
autres messies surréalistes, un panthéon où se côtoient parmi tant
d’autres Lee Scratch Perry et
George Clinton, Sun Ra et Ishmael
Reed. «La poésie se doit d’être scandée, chantée, déclamée. Quand
j’écris, je pense toujours en termes
de sons», insiste depuis lors Anthony Joseph. Plus tombeur de
mots que chanteur, le Trinidadien
n’a cessé d’illustrer cette sentence
qui le situe du côté des slameurs,
«Mon écriture procède
de collisions, de
collages.
Des associations
étranges, parfois
surréalistes. Les mots
peuvent arriver
de nulle part,
pas forcément d’une
longue réflexion.».
néanmoins plus souple slalomeur
entre les maux que la plupart de
ceux qui s’essaient à ce genre de
pratiques.
ALLIÉ PRÉCIEUX
Dix ans après, c’est encore le verbe
haut et le phrasé haché qui donnent
le tempo (up ou plus mellow) de ce
disque, tout comme l’icône en guise
de couverture –une peinture de son
compatriote Che Lovelace, figurant
deux diables «blues» – fournit un
bon diapason des intentions qui se
trament en toile de fond. «Mon écriture procède de collisions, de collages. Des associations étranges, parfois surréalistes. Les mots peuvent
arriver de nulle part, pas forcément
d’une longue réflexion. Non, ils doivent sortir et je m’en sers ! Il n’y a
aucune intention politique sur le
moment, et pourtant en les relisant,
on peut avoir une lecture politique.
Les mots ont leur propre façon de
conjurer toute leur magie.»
S’il a grandi aux slogans de l’engagé
Linton Kwesi Johnson, le Trinidadien ne se considère néanmoins pas
comme un «militant». Un carcan
sans doute trop exigu pour (dis)cerner cet entendement au monde
qu’est l’idée –plus qu’identité– caribéenne. «Nous partageons depuis
longtemps une façon de regarder le
monde. Quand Roger [Raspail, percussionniste guadeloupéen, ndlr]
me parle, je peux le comprendre,
sans parler son créole. Le langage,
c’est aussi la nourriture, la musique,
les rythmes, l’attitude avec les
autres… Aujourd’hui, simplement,
les choses sont plus claires, plus évidentes, avec les mass media, Internet. Les pays sont indépendants depuis plus d’un demi-siècle.»
Après un album produit par la bassiste Meshell Ndegeocello, Anthony
Joseph recentre le propos sur l’archipel antillais, et donc l’ouvre par
là même à tout un champ d’investigation. «L’idée originale est venue
d’Antoine Rajon, lors de discussions
il y a trois ans. Il s’agissait d’explorer
les rythmes de la Guadeloupe,
d’Haïti et de la Martinique, que connaît sur le bout des doigts Roger Raspail.» Ce maître des tambours guadeloupéen sera le poteau mitan du
projet. Une première session a lieu
à Noël 2014 autour de thèmes de ce
dernier. Nom de code : Kumaka.
«C’est un arbre sacré que l’on trouve
dans les Caraïbes, qui représente
comme un symbole d’unification de
la région. Les esclaves se cachaient
dans ses racines.» Ce nom qui sonne
comme un seul homme était l’appellation toute trouvée du nouveau
groupe. Las, Courtney Jones, le batteur trinidadien à qui est dédié le
disque, décède au printemps 2015,
juste avant que le groupe ne parte
en Martinique. Anthony Joseph
n’ira pas –tout comme il n’a pas encore mis les pieds en Guadeloupe–
mais le disque s’enregistrera sous
un autre nom à Paris deux mois
plus tard.
Autour de lui, Anthony Joseph réunit donc une équipe à forte conso-
CULTURE/
nance caribéenne: le saxophoniste
barbadien Shabaka Hutchings, dont
le son fait bruisser le Londres swinguant; Andrew John, son fidèle bassiste originaire de Saint Kitts; l’élégant tromboniste martiniquais
Pierre Chabrèle; le guitariste guyanais Patrick Marie-Magdelaine… ou
encore Andy Narell, certes américain, mais reconnu comme le spécialiste du steelpan trinidadien.
Anthony Joseph s’offre aussi les services d’un précieux allié, le saxophoniste Jason Yarde, vétéran des Jazz
Warriors qui fréquenta l’ex-Specials
Jerry Dammers. «Je le voulais depuis
longtemps… Pour ce disque, sa clairvoyance est parfaite!» Au centre de
ce puzzle, on trouve Roger Raspail,
tout à la fois grand frère et alter ego
d’Anthony Joseph: «Quand Roger
joue un rythme bélé ou gwoka, je retrouve une parenté avec mes origines. Tout ce qu’il joue, je le connais.
Cela m’a fait prendre encore plus
conscience de nos liens. Le calypso est
le produit de la lutte contre le colonialisme et l’esclavage, comme le
gwoka est le son d’une résistance.»
FUNK TROPICALISÉ
Insatiable chercheur de sons trinidadiens – il a de longue date un
projet de compilation de soca et
vient par ailleurs de tomber sur un
gros lot de 45-tours calypso –, Anthony Joseph publie ces jours-ci
une biographie d’Aldwyn Roberts,
alias Lord Kitchener, un des plus fameux calypsoniens, dans le cadre
de sa thèse sur la «liminalité dans
la littérature des Caraïbes postcoloniales». Et son dernier album en
est, d’une certaine manière, la bande-son, où il interroge et interpelle
l’identité caribéenne : «J’ai beaucoup lu sur la question. De nombreux écrits, récits, font état d’îles
fragmentées. Différentes populations, différents langages, différentes cultures… Et pourtant, ce que
j’ai trouvé, ce sont surtout des points
communs entre tous. Néanmoins,
lorsque vous demandez à la plupart
des Caribéens où sont leurs racines,
ils vous répondront : “Nous venons
d’Afrique.” Non, elles sont ici, dans
ces îles. La terre où nous avons
grandi : affirmons-le ! Le dub poet
Michael Smith l’avait dit bien avant
moi : “Tu cherches tes racines,
homme noir. Tu dis l’Afrique, mais
tu es la racine.” Nous sommes ici depuis des siècles.»
Au fil des pistes, d’un funk tropicalisé à la gloire de la kora jusqu’au
long blues créolisé qui donne son titre à l’album, il traque ainsi la trace
commune de ce méta-archipel,
pour paraphraser l’essayiste cubain
Antonio Benítez Rojo. Et après une
bonne heure, le temps d’une minute finale qui clôt le disque, il en
revient à l’essence originelle de son
trip: un tambour, les lames du steeldrum, le souffle du sax. «Le calypso
est une musique matrice dont tu retrouves des éléments dans tout l’archipel: dans le reggae, dans le zouk,
dans la cadence… Même les rythmiques cubaines, latines, présentent
des similarités. C’est un truc qui me
passionne: comment le calypso s’est
frayé un chemin pour se diffuser
d’île en île. Un des tout premiers calypsoniens était un esclave africain,
maître de chant, propriété d’un
planteur français. Tout a commencé
notamment là, au XVIIIe siècle, dans
une petite cour…» •
ANTHONY JOSEPH
CARIBBEAN ROOTS
(Heavenly Sweetness).
En concert le 17 juin au festival
Jazz à La Défense (92). Rens. :
ladefensejazzfestival.hauts-deseine.fr
Puis le 2 juillet au Hangar, Ivry-surSeine (94), le 21 au festival Jazz
à Junas (30), le 22 au festival
Abracadagrasses, à Lagrasse (11).
AUX MARGES DU JAZZ
À LA DÉFENSE
Ouvrir la saison des festivals de jazz en Ile-de-France,
réchauffer la dalle du Parvis, orienter le projecteur sur les
futurs possibles d’un genre qu’on continue à déclarer décédé
en déni du bon sens : c’est la triple mission de La Défense Jazz
Festival depuis bientôt quarante ans. Cette année, la
programmation fait la part belle aux marges du genre et à ses
myriades de survivances dans les expressions les plus
inattendues, aux quatre coins du monde : folk au Brésil
(Tiganá Santana), afrobeat des Pays-Bas (Jungle by Night),
funk essentiel (le mythique Larry Graham de Sly and the
Family Stone)… On guettera tout particulièrement la
performance ce mardi soir du trio de Michael Wollny, pianiste
allemand héritier de Keith Jarrett et Paul Bley, autant capable
de jouer Berg ou Hindemith que de s’approprier Flaming Lips
ou les poèmes de Guillaume de Machaut. O.L.
La Défense Jazz Festival, Parvis de La Défense (92). Du 13 au 18 juin.
30 u
Libération Mardi 14 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Du genre classique Dans notre
chronique sur l’actualité de la grande
musique traitée en petites formes,
cette semaine, Gilles Apap et sa cohorte
de 220 folk violonistes ; le théorbiste
Romain Falik évoque guitare baroque, pandore et autre luth ; le triste destin des enfants
Schumann ne nous laisse pas insensible.
CULTURE/
MUSIQUES
RÉPERTOIRE
Dylan, crooner
à sa manière
Le septuagénaire
poursuit avec
«Fallen Angels»
ses reprises de
standards jadis
chantés par Sinatra.
Q
uand Bob Dylan a publié
Shadows in the Night
l’an passé, la critique a
fait grand cas de sa déclaration
d’amour tardive à Frank Sinatra
et à cet autre versant de la
«grande musique américaine»
que ce dernier représentait, a
priori inconciliable avec le folk
dont Dylan fut le fer de lance et
l’incendiaire dans les années 60:
les orfèvres de Tin Pan Alley,
dont les suites d’accords lustrés
tournaient en boucle dans les
foyers américains les plus réfractaires aux mouvements sociaux et aux folies de la contreculture. En reprenant des classiques du repertoire de Sinatra,
Dylan semblait passer d’un
songbook à un autre, et se trahir
en douceur: après l’Anthology of
American Folk Music de Harry
Smith dans laquelle il puisa l’essentiel de sa sauvagerie poétique
à 20 ans, le carnet de torch songs
du milieu du XXe siècle pour emballer les mamies ?
Enigmes. En vérité, le mouve-
Dans ce 37e album, Bob Dylan ravive la tradition. COLUMBIA. SONY MUSIC
ment est un peu plus compliqué.
Dylan a commencé à s’envisager
en crooner dès Nashville Skyline
en 1969, et son premier hommage à Sinatra s’écoute sur le
très critiqué (et aujourd’hui réhabilité) Self Portrait de 1970,
qui contenait une reprise émouvante du standard Blue Moon.
Point de reniement de vieillard,
donc, sur Fallen Angels. Dylan
continue à déclarer à qui veut
bien l’entendre qu’il n’a jamais
acheté un seul disque de Sinatra
et sa sélection de chansons n’a
rien à voir avec quelque souvenir
d’enfance intime, ni une volonté
mélancolique de revenir à cet
éden d’avant le rock’n’roll qu’il a
grandement contribué à démoder pour l’éternité.
Son geste n’a rien à voir non plus
avec celui des stars vieillissantes
de la variété internationale (Rod
Stewart, Linda Ronstadt) qui,
pour se renflouer, s’essayent depuis quelques années aux standards du Great American Songbook (le répertoire consacré des
chansons populaires d’avant la
pop) : Dylan ne reprend pas, il
s’approprie.
Les dylanologistes les plus pointilleux écouteront Fallen Angels
comme un album de Dylan de
plus (le 37e), avec ses idiosyncrasies, ses énigmes et ses perversions. Ils analyseront les partis
pris de production et le titre,
biblique en diable, qui forment
ensemble un réseau inédit de
mystères à déchiffrer, et une
ébauche de réflexion assez vertigineuse sur l’histoire de la chanson américaine à travers l’évolution de ses formes, ses
survivances et ses inventions des
cent dernières années. On peut
par exemple lire le choix des
standards comme une suite
d’éclairages sur ses propres
chansons, leurs racines et leurs
inspirations possibles: Young at
Heart de Johnny Richards et Carolyn Leigh pourrait être un précédent à la bluette post-natale
Forever Young; Maybe You’ll Be
There de Rube Bloom et Sammy
Gallop un modèle inconscient du
pétaradant Most Likely You’ll Go
Your Way and I’ll Go Mine ; ou
encore That Old Black Magic un
clin d’œil badin à la «old weird
America» où Dylan faillit perdre
son âme tant de fois…
Plaisir. Contraire diamétral
d’un retour morbide à la préhistoire de la pop américaine, Fallen Angels dépoussière, ravive,
trahit la tradition. Iconoclaste,
Dylan semble prendre un plaisir
tout particulier à chanter ces
classiques qu’il a si longtemps
ignorés, comme personne ne les
a chantés avant lui. De fait, si sa
voix d’homme de 75 ans semble
mieux adaptée pour «crooner»
ces standards que ses propres
classiques americana, c’est qu’il
a encore toute la marge pour inventer avec elle –inventer un futur possible pour la musique populaire américaine où, contre
toute attente, le plus étrange de
ses monstres sacrés a encore un
rôle décisif à jouer.
OLIVIER LAMM
BOB DYLAN FALLEN ANGELS
(Columbia/Sony).
SPACE OPERA
Torn Hawk, appel d’airs
Le vidéaste et musicien
propose une série de voyages
instrumentaux évaporés.
L
a pochette de Union and Return est
très belle. Figurant une Babel futuriste émergeant d’une mer de nuages, elle rappelle les couvertures des romans de SF à l’âge d’or de l’illustration
à l’aérographe, quand Paul Lehr ou Chris
Foss peignaient en toute liberté l’imaginaire des amateurs de space opera. Elle est
l’œuvre de Gregory Fromenteau, illustrateur renommé dans le milieu du jeu vidéo
qui a notamment participé à la très populaire saga Assassin’s Creed. Exilé à Berlin
pour ses bas loyers, le Washingtonien Luke
Wyatt, qui compose sous le nom de Torn
Hawk, narre le choc esthétique ressenti à
l’Alte Nationalgalerie face aux toiles
vertigineuses de Böcklin ou de Caspar
David Friedrich, et l’on peut aisément voir
dans ce paysage de synthèse une mise à
jour contemporaine, prête à l’usage en
fond d’écran Windows, des plus fameux
panoramas du romantisme allemand.
Aussi reconnu pour sa musique que pour
ses collages vidéo feuilletés (il manie
comme personne la technique du datamoshing, qui consiste à faire muter des
séquences vidéo en mettant à profit les
erreurs de la compression numérique),
Wyatt n’aime pas beaucoup associer sa
musique à des images, a fortiori quand elles peuvent faire office d’illustration ou de
métaphore à son insaisissable onirisme.
Force est pourtant de constater que celle
qui illustre Union and Return constitue
une porte d’entrée inespérée dans son pro-
jet musical : la mise au monde d’une utopie esthétique à la marge de tous les dogmes de la pop actuelle, cachée dans un pli
de l’espace-temps, aux confins de la mésosphère. C’est opportun, car ce qu’on
entend sur ces onze suites instrumentales
est très beau et évocateur de mille fantasmagories, mais résiste désespérément à
toutes les tentatives de décryptage, à
toutes les grilles de lecture théoriques.
Emblématique, au même titre qu’un
Oneohtrix Point Never, de cette génération
de musiciens qui a fait de ses fétichismes
la matrice et la raison d’être de musiques
éhontément arbitraires, Wyatt assemble
sans rime ni raison tout ce qui
lui passe par la tête, au mépris
de toute hiérarchie et de toute
tradition. Musiques nouvelles, new age, variété internationale de la seconde moitié
des années 80, musiques de
jeux vidéo, sonneries de téléphone portable : à l’instar du
jalon Far Side Virtual de James Ferraro
(2011) qui s’inspirait des rebuts musicaux
les plus incongrus de nos sociétés pour
accoucher d’un genre musical particulièrement pervers de musique électronique
(la vaporwave), Union and Return propose
des concertos pour guitare et timbres synthétiques scintillants dont il est impossible de décider s’ils ont été composés le
cœur sur la main, ou un rictus aux lèvres.
C’est cette ambivalence qui rend la musique de Torn Hawk si riche. A la fois orfèvre
et manipulateur, Luke Wyatt est un romantique radical, qui nous rappelle que
dans les premiers jours du romantisme, le
sentiment du sublime s’éprouvait le plus fort devant un
champ de ruines, un précipice
ou une scène de désastre.
O.L.
TORN HAWK
UNION AND RETURN
(Mexican Summer).
LES MONDES CELTES
ASTURIES, BRETAGNE, CORNOUAILLES, ECOSSE, GALICE, ILE DE MAN, IRLANDE, PAYS DE GALLES
15. 19 juin 2O16 toulouse
Licence 2e catégorie : 1078603 / Licence 3e catégorie : 1078604 - Illustration Cosmic Nuggets - Conception graphique : Ogham
PATRICK MOLARD - CRÉATION “CEÓL
MÓR / LIGHT & SHADE” Bretagne
MOORE MOSS RUTTER
Grande-Bretagne
HECTOR BIZERK Écosse
DENEZ Bretagne
THE CHIEFTAINS Irlande
CUARTETO CARAMUXO Galice
SAM LEE & FRIENDS Grande-Bretagne
KILA Irlande
DROPKICK MURPHYS
Irlande • États-Unis
ERIK MARCHAND & BOJAN Z Bretagne
THE MAGNETIC NORTH Écosse
DOOLIN’ France
CARLOS NÚÑEZ Galice
YOUNG FATHERS Écosse
“OFFSHORE QUARTET”
France • Bretagne
EMILY PORTMAN & THE CORACLE
BAND FEAT. ALASDAIR ROBERTS
Grande-Bretagne • Écosse
CAXADE & BANDA DE MÚSICA
DA BANDEIRA Galice
MIOSSEC Bretagne
OLIVIER MELLANO, BRENDAN PERRY
(DEAD CAN DANCE),
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“NO LAND” Bretagne
SUPER FURRY ANIMALS Pays de Galles
BAGAD CESSON Bretagne
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Gratuit – de 12 ans
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*sur internet ** sur place
Mécène des
plus belles scènes
Libération Mardi 14 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
L’art de l’action
Simon Njami Cette figure importante de la culture
contemporaine africaine multiplie les expositions
et déconstruit le concept de négritude.
I
l parle peu à la presse pour éviter de se voir coller des «étiquettes». A commencer par celle de l’Africain qui a réussi.
«Un machin ambigu, la réussite, comme à l’époque où ce
directeur de musée français s’étonnait de mes références grecques et latines. J’avais répondu que j’avais étudié à la Sorbonne.» Sur sa carte de visite d’un noir d’encre, comme la sempiternelle couleur de ses fringues, on lit le même refus. Sous
son nom figurent ces quelques mots: «The Man With No Job».
Esprit libre au tempérament froid, Simon Njami est l’une des
têtes de l’art contemporain africain. Mais lui se définit plutôt
comme écrivain, bien décidé à «ne travailler pour personne».
Ses activités, qui le font sans cesse quitter sa rue de Bagnolet,
dans le XXe à Paris, offrent surtout à sa matière grise de quoi
épancher sa soif d’écrire, dans l’avion ou entre deux vols.
Simon Njami a d’abord été suisse, né à Lausanne de parents
camerounais, avant d’être un adolescent parisien ayant suivi
sa mère psychiatre à Paris avec ses frères et sœurs. C’est là qu’il
se découvre noir, dans le regard de l’autre. Il veut d’abord être
avocat pour défendre son père, Simon Bolivar Njami-Nwandi,
prêtre protestant, essayiste et homme politique emprisonné
en 1976 et 1977 pour «délit d’opinion» au Cameroun. Mais tout
s’arrange avec la chute de la dictature. Simon senior devient
député, puis secrétaire d’Etat dans les années 90 sous la présidence de Paul Biya. Simon junior, entre-temps, laisse tomber
son groupe de rock et les disques de Santana pour aller vers
l’écriture. A 23 ans, il publie un vrai-faux polar sur les Noirs
de Paris, en forme d’hommage à Chester Himes et
Boris Vian. Suivent plusieurs romans, ainsi qu’un
essai sur James Baldwin, cosigné avec le grand
auteur noir américain. Il a eu le culot d’aller lui poser
ses questions en direct, comme plus tard à Léopold Sédar Senghor, dont il a écrit une biographie. Un poète président qu’il
détestait avant de le connaître, à cause de sa fameuse phrase:
«L’émotion est nègre, comme la raison est hellène.» «Une sorte
d’abdication», estime Simon Njami, qui rappelle avoir «subi,
comme tous ceux de ma génération, l’influence terrible du concept de négritude, devenu complètement caduc».
L’un des axes de sa vie sera de ne pas se laisser réduire à sa mélanine. Polyglotte parlant six langues, professeur de littérature
comparée aux Etats-Unis, il est embarqué à 29 ans dans une
autre aventure avec Revue Noire. Le voilà qui sillonne l’Afrique
pour en révéler au monde les talents artistiques dans un beau
magazine et des livres d’anthologie. De fil en aiguille, il devient
directeur des Rencontres africaines de la photographie à Bamako et commissaire d’expositions, dont «Africa Remix»
en 2004 à Paris. Il est l’un des «papes» de cet art africain contemporain qui ne cesse de grandir. Il a brigué la direction de
la Documenta 2017 à Kassel, sans la décrocher, mais travaille
sans relâche à plusieurs projets. Entre autres, sur un musée
d’art contemporain à Luanda. Il écrit aussi des scenarii avec
le cinéaste Jean-Pierre Bekolo, dont le dernier film, interdit
au Cameroun, s’intitule le Président – et pose la question:
«Comment sait-on qu’il est temps de partir?». Une réflexion
profonde et moqueuse sur Paul Biya, autre chef d’Etat indéboulonnable.
Voilà vingt ans que Simon Njami n’a pas publié de fiction
– mais il tient un manuscrit prêt à être édité, si possible par
une maison qui lui ferait grâce de tout effort de promotion
télévisé. Ecrivain donc, ce à quoi il accepte qu’on ajoute l’adjectif «africain», même si le mot ne va pas sans poser problème. «Africain, je ne sais pas ce que ça veut dire. J’ai passé
une bonne partie de ma vie à y réfléchir, et je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de gri-gri chez moi, et je préfère le champagne
au vin de palme!» Sa façon d’être «franco de port» fait qu’on
lui voue des haines tenaces. De celles, assez spéciales au sud
du Sahara, qui visent tous ceux qui ont l’audace de réussir. «Le
problème en Afrique, dit-il, ce
n’est pas l’argent, mais l’attitude. L’imagination des gens
n 1962 Naissance
est bloquée : un ouvrier veut
à Lausanne.
une maison, mais pas être pan 2001 Dirige les
tron. La plupart des diriRencontres africaines
geants africains sont lobotode la photographie
misés. Ce n’est pas qu’ils se
à Bamako.
trompent de stratégie. En fait,
n 2004 Commissaire
ils n’en ont pas!»
de l’exposition «Africa
Il énerve beaucoup, en enRemix» au centre
voyant qui bon lui semble
Pompidou.
dans les cordes. Les dépités et
n 2006 Publie C’était
les «mauvais coucheurs»,
Senghor (Fayard).
comme il les appelle, lui ren 2016 Commissaire
prochent à la fois son arrode Dak’Art, Biennale
gance made in France et de
de l’art africain
faire ce qu’ils pratiquent soucontemporain.
vent eux-mêmes: se servir de
sa couleur comme d’un passe-droit. Simon Njami, un imposteur? c’est aller un peu vite
en besogne. Car cette «tronche» incontestable fait son travail
–et plutôt bien. Un artiste et critique d’art sénégalais remarque
qu’il a été «l’homme de l’année» en 2015, avec trois expositions
de haut vol: l’une sur la Divine Comédie de Dante, revisitée par
des artistes africains, l’autre «Xenopolis», où plusieurs artistes
étrangers de tous horizons ont évoqué leur ville, et la dernière,
en octobre, «Après Eden», une rétrospective des photographies
africaines du collectionneur allemand Artur Walther. Pour
couronner le tout, il vient d’orchestrer la toute récente Biennale des arts de Dakar. Un ambitieux tourbillon dont il sort
lessivé mais satisfait, avec le sentiment d’une mission accomplie. «Pour moi, la Biennale est une vieille histoire dans laquelle
je voulais être pleinement pour voir ce qu’on peut y faire ou pas.»
Conclusion: «On peut y faire beaucoup.» La principale exposition porte un titre qu’il a voulu politique: «Réenchantement».
«Ce n’est pas un résultat, mais un processus, précise-t-il. Il s’agit
de rêver, d’avoir envie, de penser le monde et de réaliser qu’il
n’est pas nécessairement comme il nous apparaît ni comme on
nous dit qu’il est.»
Qu’est-ce qui fait courir Simon Njami? «Voir un gamin ingénieur venir chaque jour voir une expo, pendant sa pause déjeuner. Montrer aux gens que les choses impossibles peuvent se
faire. Qu’on peut décider d’être libre.» S’il a du pouvoir et se trouve extrêmement courtisé, c’est que l’art
est un champ politique. Il ne s’excuse pas d’en maîtriser les règles. «Quand on fait la révolution, on ne
se met pas à compter les soldats», dit-il, se voulant rassembleur
autour d’une vaste entreprise de décloisonnement de l’Afrique. Sans toujours l’être, parce qu’il a ses têtes. «Quand
je croise un pleurnicheur, je lui rappelle qu’il a les moyens de
sa politique», lâche-t-il. Si sa vie n’était pas un roman, elle serait peut-être un western. Dès qu’on tente de le prendre en
photo, il dégaine sa main vers l’objectif comme un flingue.
Avec lui, le monde se divise en deux catégories: ceux qui geignent et ceux qui avancent. Lui, il avance… •
Par SABINE CESSOU
Photo MATHIEU ZAZZO