Loi travail, un mois de négos secrètes
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Loi travail, un mois de négos secrètes
MARDI 14 JUIN 2016 2,00 € Première édition. No 10905 www.liberation.fr Loi travail, un mois de négos secrètes RÉCIT, PAGES 14-17 Veillée en hommage aux victimes d’Orlando, dimanche soir à Washington. PHOTO JOSHUA ROBERTS . REUTERS Des piquets de grève aux ministères, les coulisses de la crise. Après la tuerie homophobe, revendiquée par l’EI, qui a fait 49 morts dans un club gay de Floride, le deuil et la colère envahissent les communautés LGBT du monde entier. PAGES 2-9 ORLANDO LA CIBLE ARC-EN-CIEL IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA. 2 u ÉDITORIAL Par LAURENT JOFFRIN Inhumanité Tués parce qu’ils étaient libres… Le carnage d’Orlando, au-delà de la compassion fraternelle qu’on ressent pour les victimes, frappe au cœur une communauté qui est l’amie de la tolérance, de la dignité et du droit égal pour tous. Toujours la même cible : la liberté… Cette liberté pour laquelle les homosexuels, tout au long de l’histoire, ont payé un prix exorbitant, martyrs à répétition d’une cause qui n’est pas seulement la leur, mais celle de tous les hommes et de toutes les femmes persécutés parce qu’ils sont différents, persécutés non pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. Après les journalistes de Charlie, tués parce qu’ils étaient insolents, les Français juifs de l’Hyper Cacher, tués pour leur religion, les victimes du 13 Novembre, assassinées pour leur mode de vie, voici la communauté LGBT, coupable de vouloir vivre sans avoir peur, visée à son tour. Bien sûr, la tuerie d’Orlando découle de circonstances particulières. L’instabilité psychologique d’un homme, la facilité avec laquelle on peut se procurer des armes de guerre aux Etats-Unis, la culture de la violence plus prégnante dans cette grande démocratie que dans la plupart des autres, ont joué leur rôle. Mais ce sont là facteurs généraux, qui ne sauraient rendre compte à eux seuls de la causalité à l’œuvre dans la plus grande tuerie de l’histoire américaine récente. L’assassin du Pulse s’est réclamé de l’Etat islamique en Irak, qui s’est empressé de le reconnaître comme l’un des siens. Et parmi les nombreux clubs ouverts de soir-là, Omar Mateen a choisi le Pulse, connu dans tout l’Etat comme un lieu LGBT, engagé depuis sa fondation en faveur de la cause homosexuelle. Difficile de croire que ce choix puisse être le fait du hasard… Le califat criminel dont il se réclame s’est distingué régulièrement par la cruauté barbare dont il fait preuve à l’égard des homosexuels. Il ne fait d’ailleurs, en portant l’inhumanité à un degré supérieur, que prolonger les pratiques déjà courantes chez tous les intégristes musulmans au pouvoir à travers le monde et qui appliquent de manière sanglante leur version dogmatique de la loi islamique. Sur les sept pays de la planète qui prévoient la peine de mort pour les homosexuels, sept sont musulmans, gouvernés par la charia, même si la répression homophobe n’est pas le monopole de l’islam. La plupart des musulmans, bien sûr, à l’inverse de ce que dit Donald Trump, condamnent ces actes moyenâgeux. Et les autres religions ont, elles aussi, au fil de leur histoire, diffusé à loisir une hostilité plus ou moins violente envers les homosexuels, ce qui devrait faire réfléchir ceux qui veulent à toute force les imposer dans l’espace public. Mais justement: par cercles concentriques, du plus anodin au plus criminel, le même préjugé ancestral est à l’œuvre. Traditionnelle ou religieuse, populaire ou théologique, l’homophobie est une discrimination toujours aussi dangereuse. Captée par les fanatiques, elle devient criminelle. Tel est le sens de la juste colère arc-en-ciel. • Libération Mardi 14 Juin 2016 L’onde de choc Depuis la tuerie dans un club gay à Orlando, revendiquée par l’Etat islamique, le monde LGBT exprime son effroi et sa tristesse. Mais aussi sa colère face à ce «crime de haine» qui ravive les discriminations dont la communauté souffre au quotidien. Par VIRGINIE BALLET, ÉRIC FAVEREAU et CATHERINE MALLAVAL U ne pluie d’arcs-en-ciel s’est abattue sur la planète. Presque un déluge. Aux lendemains de la tuerie dans une boîte gay d’Orlando qui a fait 49 morts, le drapeau LGBT s’est affiché sur Twitter, sur Facebook, sur Instagram. Jusqu’en haut de la tour Eiffel. Jusqu’en Corée du Sud lors de l’un des multiples rassemblements spontanés qui ont essaimé. Dans le monde entier, c’est ainsi que se sont exprimés effroi et solidarité. Les hashtags #loveislove, #lovewins et #prayforOrlando ont très vite mobilisé anonymes, politiques et célébrités. Hétéros ou homos. «Gay ou hétéro, pas de haine», a lancé Madonna sur Instagram (avec une photo d’elle roulant une pelle à Britney Spears). «Je rêve à un monde qui réfléchisse à ce que l’on peut faire pour surmonter cette violence», a posté la chanteuse Lady Gaga, engagée dans la cause homosexuelle. Caitlyn Jenner, née William Bruce Jenner, l’ancien beau père de Kim Kardashian, a envoyé, «le cœur brisé», «toutes ses pensées à ses frères et sœurs d’Orlando». Quant au chanteur portoricain Ricky Martin, il a tenu à affirmer : «Je suis gay et je n’ai pas peur.» Comme après les attentats qui ont visé Paris ou Bruxelles, c’est bien un drapeau qui a été repris pour exprimer la douleur. Sauf que cette fois, ce ne sont pas les couleurs d’un pays qui sont brandies, mais celles d’une communauté (parfois qualifiée de lobby par ses détracteurs). Certes américaine, mais aussi internationale. Une communauté qui a été soudée par la lutte contre le sida dans les années 80. Et qui, bien que dispersée, enchaîne rituellement autour du mois de juin des marches des fiertés (et de l’égalité), depuis les émeutes de Stonewall aux EtatsUnis en 1969. «Terrible rappel». Les représentants des gays n’hésitent pas un seul instant sur le caractère homophobe de la tuerie d’Orlando. Pour l’association internationale des gays et lesbiennes (Ilga), aucun doute possible sur la cible visée : «C’est un terrible rappel du prix payé par la communauté lesbienne-gay-bitrans-queer à travers le monde simplement pour ce qu’ils sont.» Et de souligner le côté d’autant plus douloureux de «ce crime de haine» qu’il survient en pleine période de célébration. Stuart Milk, neveu de l’activiste américain pour les droits homosexuels Harvey Milk (assassiné en 1978) et président de la fondation à son nom, met également l’accent sur l’homophobie et la haine sousjacente à la tuerie de dimanche. «Nous envoyons des torrents d’amour à tous ceux Suite page 4 Libération Mardi 14 Juin 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 Lors d’une veillée à Orlando (Floride), lundi soir. PHOTO JOSHUA ROBERTS. REUTERS «A chaque fois que j’entendais un coup de feu, je pensais que c’était un ami qui mourait» montent la garde devant le bâtion. A l’intérieur de la Joy MetropoCA timent. «Juste après le début litan Church, des rideaux aux R DU OLI de la fusillade, nous avons couleurs du drapeau arc-enS N ÉTATS- UD E commencé à recevoir des apciel avaient été disposés derALABAMA UNIS pels de nos amis qui étaient rière le podium, où se sont GÉORGIE Océan Atlantique au Pulse, raconte Yvonne succédé les orateurs. Parmi Tallahassee Hernandez, employée au eux, Orlando, l’un des rescaOrlando endant plusieurs heures dimanche, Parliament House depuis pés du Pulse, porte encore Golfe du FLORIDE Mexique abasourdis, effondrés, un peu effrayés onze ans. On entendait les son bracelet de l’hôpital, dont Miami aussi, les responsables du Parliament coups de feu, les cris. J’avais il était sorti quelques heures House, un club gay d’Orlando, ont hésité à beaucoup d’amis à l’intérieur. Cerplus tôt. D’une voix entrecoupée 50 km ouvrir leurs portes. Finalement, en hommage tains sont blessés, d’autres ne réponde sanglots, l’homme de 51 ans raaux victimes de l’attaque sanglante de samedi dent plus au téléphone. Je sais ce que cela veut conte son calvaire dans la discothèque : «A soir contre le Pulse, ils ont décidé dire.» Pour la première fois de sa chaque fois que j’entendais un coup de feu, je que la vie devait continuer. «Si le REPORTAGE vie, Yvonne dit sentir la peur. «Je pensais que c’était un ami qui mourait. Je suis Parliament House ferme, ils ont redoute que cela donne des idées resté caché dans les toilettes pendant trois heugagné. Nous ne laisserons pas la haine et les à d’autres fous», confie la jeune femme aux res, je faisais le mort. Ce club, c’était un endroit pertes infligées à notre communauté gagner, multiples tatouages. Quelques mètres plus de joie. Je connaissais tout le monde.» jamais», a publié le club sur Facebook. loin, Bill Taylor, 47 ans, se dit «profondément Dans la salle pleine à craquer, l’assistance est Dès dimanche soir, des centaines d’habitants triste». Cet ingénieur informatique qui vit au bouleversée. Des boîtes de mouchoirs ont été de la ville, pour la plupart membres de la com- sud d’Orlando a perdu deux amis dans la fu- disposées par terre. Au cours de la cérémonie, munauté LGBT, se sont retrouvés sur place. sillade. «C’est pour ça que je suis ici, pour cher- la chorale gay de la ville a interprété plusieurs Pour partager leur tristesse, leur douleur. cher du réconfort», confie-t-il. titres, dont True Colors, de Cyndi Lauper, un Pleurer. Se réconforter. Mais aussi boire un des hymnes de la communauté homosexuelle. verre et danser. A l’extérieur du complexe, qui Boîtes de mouchoirs. Un peu plus tôt Steven Haas est l’un des chanteurs : «Notre abrite un motel, un bar et un théâtre, un pan- dans la soirée de dimanche, plusieurs veillées communauté gay a toujours été prise pour cineau géant résume l’état d’esprit ambiant : et cérémonies avaient été organisées à travers ble. Ce qui me surprend, c’est qu’un tel drame «Pulse unbreakable» («Pulse incassable»). Plu- la ville, malgré les appels des autorités à limi- ne soit pas arrivé plus tôt. J’ai 61 ans, je me suis sieurs voitures de police, gyrophares allumés, ter les rassemblements par mesure de précau- senti détesté toute ma vie. Nous avons encore Depuis dimanche, les habitants d’Orlando se réunissent pour partager leur peine. Quand d’autres continuent à chercher leurs proches. P beaucoup de chemin à parcourir. Il y a toujours des politiciens au Parti républicain qui tiennent des propos haineux contre notre communauté. Laissez-nous aimer librement.» Message d’espoir. Pour les familles des victimes, dont beaucoup attendent des nouvelles de leurs proches, l’incertitude est insupportable. Dans l’hôpital central d’Orlando, interdit à la presse, les équipes soignantes communiquent au compte-gouttes l’identité des blessés, parfois gravement touchés, lorsqu’ils ont été identifiés. «Les gens hurlent, pleurent, crient parce que le nom de leur proche n’est pas sur la liste, raconte Sarah, sans nouvelles de son frère Jimmy. Deux de ses amis qui étaient avec lui disent l’avoir vu se faire tirer dessus», ajoute-t-elle dans un sanglot. Devant l’hôpital, l’imam Azhar est venu transmettre un message d’espoir et de tolérance: «C’est notre communauté, nous sommes Floridiens, nous sommes Américains. Nous essayons de faire de notre mieux pour s’assurer que la paix et la stabilité perdurent dans ce pays et que les gens avec une idéologie obscurantiste ne réussissent pas à répandre la haine. Nous ne laisserons pas une personne nous diviser.» FRÉDÉRIC AUTRAN Envoyé spécial à Orlando 4 u Libération Mardi 14 Juin 2016 Suite de la page 2 qui souffrent[…]. La haine et la séparation continuent d’être la source de trop de chagrins et de vies volées à travers le monde.» Pour mémoire, l’homosexualité est toujours illégale dans plus de 80 pays, voire passible de la peine de mort dans certains d’entre eux, comme l’Iran, le Soudan ou le Yémen. «Histoire commune». En France, pays qui a tant peiné à adopter sa loi ouvrant le mariage à tous trente ans après avoir dépénalisé l’homosexualité, le choc d’Orlando s’est violemment répercuté. «On se sent tous attaqués, il y a une histoire commune, affirme Christophe Martet, un temps président d’Act Up et aujourd’hui directeur du site d’information LGBT Yagg. Ce n’est pas que l’on s’y attendait, mais on le redoutait. Souvenezvous, à Paris, peu après les attentats de novembre, dans le quartier du Marais, il y a eu des pétards qui ont explosé, et on a tous cru à un nouvel attentat.» «C’est la première fois que nous sommes attaqués en tant que communauté, de cette manière», enchaîne Amandine Miguel, porte-parole de l’Interassociative lesbienne, gay, bi et transsexuelle (Inter-LGBT), qui réunit 60 associations. «Hier, c’était le droit à l’expression qui était visé, là, c’est le droit de vivre comme on veut», reprend Christophe Martet. «Cela devait arriver, et c’est arrivé, je ne voyais pas comment la communauté pouvait passer à travers», poursuit Michel Bourrelly, ancien dirigeant de l’association Aides, et qui s’occupe depuis des années de la discrimination subie par les gays à travers le monde. Partout, l’inquiétude est palpable. Matthieu Gatipon-Bachette, porte-parole de la fédération Total Respect et président du centre LGBT de Metz, raconte: «J’ai eu des témoignages sur le mode “pourquoi on nous fait ça? Pourquoi on vient nous attaquer dans nos lieux?” Le Pulse, c’est une boîte emblématique engagée dans le militantisme. Elle n’a pas été ciblée pour rien.» Pourtant, certains hommes politiques et médias occultent l’homophobie évidente. Et évitent d’utiliser ce mot. C’est le cas de Donald Trump qui, sur Twitter, s’est déchaîné sur le problème du terrorisme (lire page 9). En France, François Fillon, Alain Juppé et d’autres candidats à la primaire à droite se sont abstenus d’évoquer la sexualité des victimes. Cette façon de faire du straightwashing (évacuer la sexualité) a, elle aussi, suscité de l’indignation. Cela serait, selon Ian Brossat, adjoint communiste à la maire de Paris, le signe que «le combat contre l’homophobie est loin d’être gagné». Quant à François Hollande, sans doute soucieux d’appeler un chat un chat après cet échauffement sur le straight-washing, il a d’abord évoqué «la liberté de choisir son orientation sexuelle et son mode de vie». Moqué pour sa maladresse (non, on ne choisit pas d’être gay), ce tweet est devenu : «La liberté de vivre son orientation sexuelle et de choisir son mode de vie.» Bel effort. • Savannah, qui a perdu un proche dans la tuerie de samedi, et son ami Ricky, lors d’une veillée à Orlando, lundi. PHOTO ADREES LATIF . REUTERS A San Diego (Californie), lundi. PHOTO MIKE BLAKE . REUTERS Libération Mardi 14 Juin 2016 u 5 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Sara et Leslie lors d’une marche de commémoration à Boulder (Colorado), lundi. PHOTO AUTUMN PARRY . DAILY CAMERA . AP La classe politique française montre sa carence honteuse Pour Didier Lestrade, figure de la cause LGBT, les réactions à la tuerie d’Orlando soulignent la non-dits de la société française. L a communauté LGBT internationale est sous le choc. Orlando est désormais la ville symbole de l’homophobie et presque tous les médias, d’AlJezira à Sud-Ouest, parlent d’un acte de haine commis contre les homosexuels dans leur identité commune. L’onde va se propager, devenant un enjeu pour les élections américaines tout en radicalisant les clivages entre une droite qui utilisera ce drame et un militantisme LGBT qui se recentrera sur la défense des victimes, partout où elles sont. Orlando positionne les homosexuels dans la vague des attentats de Paris, de Beyrouth, d’Istanbul et partout ailleurs. C’est un tournant dans le terrorisme qui ne doit pas occulter ce qui se passe en Syrie et en Irak, en Afrique aussi. Orlando nous relie, en tant que personnes LGBT, au conflit des extrémismes religieux, de l’impérialisme et de la crise mondiale. Des drag-queens d’un club à la guerre dans les gays, ça vous dépasse?). C’est la déserts: un bon pitch de film. triste conséquence d’un pays déMalgré Trump, le mouvement passé par ses voisins et qui déteste LGBT américain parviendra à se l’idée minoritaire. L’universalisme mobiliser tout en réconfortant les français, de droite ou de gauche, familles des victimes. Le tissu ass’est tellement opposé au concept sociatif américain est communautaire qu’il a dense, puissant. Le comTRIBUNE banni les mots qui l’acbat pour les droits des compagnent. L’Etat se personnes trans est sa nouvelle prononce avec le vocabulaire de la frontière. En France, c’est autre Manif pour tous: une fausse trischose. Dès le lendemain du mastesse qui ne va pas au cœur du sacre, les leaders politiques ne drame, des formules toutes faites sont pas parvenus à prononcer des qui semblent sorties d’un ordinamots pourtant simples comme teur. Tout ça par peur électorale? «gay» ou «homophobe». Les méLa classe politique française mondias ont du mal à désigner les victre ainsi sa carence honteuse dans times sous l’angle de leur sexualité la représentation des minorités. et encore moins leur ethnie (c’était On l’a vu avec les musulmans. un club rempli de Latinos, c’est si Aujourd’hui, c’est les pédés. Pas compliqué à dire? Des Latinos une seule figure politique crédi- ble, à par Ian Brossat [adjoint PCF à Paris, ndlr], qui puisse dire son affect. C’est le résultat d’une frayeur hexagonale envers le coming-out et l’affirmation que l’on avait déjà vue lors du débat sur le mariage pour tous où aucune figure politique n’était montée au créneau pour s’emparer du sujet –à part Christiane Taubira. Il y a une usure, c’est évident. On pourrait penser que notre pays ne sait pas répondre à Orlando avec la même ferveur que pour Charlie et le Bataclan. Pour Charlie, Hollande et Valls sont allés dans une synagogue. Pour le Bataclan, il y avait un groupe de rock qui n’a pas cessé de sortir des énormités pour sa promo personnelle. Ici, il n’y aura pas de porte-parole de la communauté LGBT, car celle-ci n’a pas de leader sincère puisqu’ils sont tous inféodés au PS. Regardez sur Twitter, nous sommes juste une poignée à avoir un discours transversal entre les gays et les autres minorités, noirs, musulmans, syndicalistes et manifestants, tous bousculés par un état d’urgence imposé pour motiver la peur. Le gouvernement Hollande est parvenu à étouffer le mouvement LGBT comme il l’a fait avec les Verts et les frondeurs de son parti. On s’est fait avoir avec Charlie et le Bataclan, instrumentalisés depuis par l’Etat pour nous contrôler un peu plus; il n’y a pas de raison pour que la société française puisse trouver les mots –et surtout les actes, tout ce qu’il faut faire contre l’homophobie, l’éducation sexuelle, le coming-out pour vivre mieux– afin qu’Orlando ne soit pas qu’un symbole supplémentaire de notre exclusion. Nous n’avions pas besoin de cette boucherie pour exprimer notre espoir de vivre comme nous le voulons. Nous n’avons pas besoin d’être protégés par la police devant nos clubs. Nous pouvons nous défendre par les idées, comme nous l’avons toujours fait, contre le sida, contre l’oubli. Mais Orlando marque l’incapacité de la société française à comprendre ce que nous sommes, gays, lesbiennes, bi et trans. Nous ne sommes pas égaux, la droite nous déteste et la gauche ne nous aime pas non plus. Les lesbiennes qui attendent la PMA promise par le candidat Hollande vous le diront mieux que moi. DIDIER LESTRADE «Pourquoi les gays sont passés à droite» (éd. Seuil, 2012) LES PORTORICAINS TOUCHÉS AU CŒUR Le principal quotidien portoricain El Nuevo Dia titrait en une lundi «Deuil au cœur de la nouvelle diaspora». Orlando compte en effet une importante communauté originaire de l’archipel des Caraïbes, au statut d’Etat librement associé aux Etats-Unis. Et les victimes identifiées sont en majorité portoricaines. Traditionnellement présents à New York, les Boricuas (habitants de Borinquen, le nom aborigène de Porto Rico) se sont installés en masse en Floride centrale depuis une dizaine d’années. La crise économique sur l’archipel, qui s’est déclarée en faillite le mois dernier en raison d’un endettement colossal, a accéléré le mouvement. Leur nombre dépasse désormais le million pour la Floride, autant que dans l’Etat de New York. Et la mégapole Orlando-KissimmeeSanford enregistre plus de 300 000 Boricuas. Dimanche avait lieu à New York la parade de la fierté portoricaine, cette année dédiée à la communauté LGBT et aux liens familiaux. Le défilé a tourné à la manifestation de deuil. La Mexicaine Brooke Cerda Guzmán, militante des droits des transsexuels, a résumé le sentiment des participants : «Nous, personnes trans, devons fournir une attestation d’un psychologue ou d’un psychiatre pour obtenir des hormones. Mais on peut acquérir une arme à feu sans qu’on vous pose la moindre question.» F.-X.G. 6 u Libération Mardi 14 Juin 2016 Les clubs, lieux de refuge et d’émancipation Comme la culture disco, les boîtes de nuit et les bars sont aux Etats-Unis, depuis cinquante ans, des havres pour les minorités homo, noire, latino… P armi le flot de réactions à chaud à la tuerie d’Orlando parues sur les réseaux sociaux dans la journée de dimanche, une publication du label californien Dark Entries a réchauffé le cœur des amateurs de dance music particulièrement touchés par ce crime haineux: un vieux cliché photomaton du producteur de disco électronique Patrick Cowley embrassant à pleine bouche le chanteur Jorge Socarras, dont il était l’amant et le collaborateur au sein du duo Catholic pendant la deuxième moitié des années 70. Contre-culture. Cette publication faisait suite à l’appel de l’écrivain K.M. Soehnlein de «submerger le monde sous des photos d’hommes s’embrassant» en réponse au mobile d’Omar Mateen, devenu enragé, d’après son père, après avoir été spectateur d’un baiser entre hommes dans la rue. Mais elle permet aussi de préciser la partie de la population américaine visée et le contexte très spécifique dans lequel la tuerie a été perpétrée: un club gay largement fréquenté par les latinos américains, c’est-à-dire un groupe doublement minoritaire. Et ce, dans un pays où la nation se conçoit comme la somme de communautés aux contours et caractères propres, plutôt que comme un tout que cimenteraient les principes d’universalisme républicain, comme en France. Au-delà de la revendication de l’Etat islamique et de la folie de Mateen, l’image rappelle à quel point le club dans ses diverses formes (ballroom, bar, discothèque géante) constitue un lieu de refuge et de convergence des luttes fondamental pour les minorités américaines Lundi matin, les rues étaient encore bloquées autour du Pulse, à Orlando. PHOTO DREW ANGERER . depuis cinq décennies. Plusieurs ouvrages de référence parus ces dernières années, comme Love Saves the Day de Tim Lawrence ou Turn the Beat Around de Peter Shapiro (édité en France par Allia en 2008) racontent l’émergence de cette contre-culture et l’histoire sociale méconnue derrière l’hédonisme revendiqué du disco et de ses suites (Hi-NRG, house, garage) ou les clichés flamboyants de beautiful people au Studio 54 de New York. Réinventée. Premier établissement privé reconnu dans la chronologie des clubs disco américains, le Loft, ouvert par David Mancuso à son domicile de Greenwich Village en 1970, était envisagé comme une échappatoire aux discothèques traditionnelles, où les homosexuels étaient sujets aux harcèlements des clients autant que du service d’ordre ou des policiers. Grâce à leurs systèmes d’adhésion, le Loft puis la Gallery de Nicky Siano ou l’utopique Paradise Garage fondé par Michael Brody en 1977 sont devenus autant de havres et de lieux d’expérimentation sexuelle, culturelle et sociale pour les populations les plus précaires et les plus vulnérables de la communauté homosexuelle américaine, notamment les Noirs et les Latinos. L’émergence des sous-genres de dance music qui ont suivi l’explosion du disco dans la culture grand public à partir de 1974 est presque systématiquement liée à des lieux d’émancipation emblématiques de leur ville ou de leur quartier : le EndUp de San Francisco d’où a émergé la Hi-NRG, le Warehouse, le Music Box et le Powerplant de Chicago où est née la house music, le Zanzibar Club de Newark dans le New-Jersey où furent plantées les graines du garage. Sur leurs pistes de danse ou dans leur backrooms, les danseurs et les DJ ont accouché de musiques inédites et la culture gay a communié, s’est extasiée, s’est libérée. A l’abri du monde, elle a inventé et s’est réinventée, sans cesse. Et elle continue de le faire. Loin des grands raouts «EDM» (electronic dance music) qui rassemblent régulièrement des centaines de milliers de jeunes wasps hétérosexuels, l’une des scènes les plus vigoureuses et enragées de la musique électronique actuelle est en train d’émerger autour du producteur texan Lotic, jeune figure noire et gay aussi engagée dans la reconnaissance de sa musique aventureuse et débridée que de son identité : plurielle, queer, transcommunautaire. Parce qu’ils sont par définition des lieux d’abandon et de plaisir, on a longtemps oublié de regarder les clubs comme des avant-postes de revendication et d’avant-garde sociétale. La tuerie au Pulse vient rappeler qu’ils n’ont jamais cessé de l’être, en toute insouciance. OLIVIER LAMM Le Pulse, boîte militante de la cause LGBT L’établissement d’Orlando, ouvert il y a douze ans en mémoire d’un jeune gay mort du sida, incarnait pour la communauté homosexuelle une famille symbolique. E n attaquant le Pulse, Omar Mateen a frappé la communauté LGBT. Ce club, surtout fréquenté par des gays, lesbiennes, drag-queens et transgenres, se revendiquait comme «un lieu d’amour et de tolérance pour la communauté LGBTI», écrit Barbara Poma, copropriétaire du bar, sur le site de l’établissement. D’après le Huffington Post, celle-ci a créé ce club en 2004, en hommage à son frère John, emporté par le sida en 1991. Son frère, qui avait dû se battre pour affirmer son homosexualité. «Dans une famille italienne stricte, être gay était mal vu, écrit Barbara Poma sur son site. Pourtant, quand John a fait son coming out auprès de sa famille et de ses amis, la dynamique familiale est passée d’une culture de respect strict de la tradition à une culture de tolérance et d’amour.» Alors, à la mort de son frère, Barbara Poma a voulu lui rendre hommage. «C’était important de créer une ambiance qui collait au mode de vie gay, avec un décor qui aurait rendu John fier, écrit-elle encore. Et surtout, on a appelé le club Pulse en hommage au battement de cœur de John. John a inspiré ce club, c’est ici qu’il restera en vie dans les yeux de ses amis et de sa famille.» En douze ans d’existence, le club s’est imposé comme un lieu emblématique de la cause gay aux Etats-Unis. Réputé pour ses spectacles de drag-queens et ses shows, le Pulse «est une des destinations les plus prisées par les personnes LGBT l’été», raconte Benjamin Di Costa, un ancien danseur de l’établissement, interrogé par le Miami Herald. Ce samedi soir, avant l’attaque, «la boîte de nuit la plus chaude de la ville d’Orlando» organisait une soirée latine, attirant une importante communauté gay et latino. Classé deuxième meilleur bar gay d’Orlando par GayCities, un site dédié à la communauté gay, le Pulse était «habituellement très fréquenté après 23 heures», d’après les commentaires laissés sur TripAdvisor. Le 28 mai, 121 personnes s’étaient inscrites sur Facebook à la soirée latine organisée par le Pulse. Parmi les habitués, beaucoup appartiennent à la communauté LGBT. Cette dernière s’est donc sentie visée dans son ensemble par l’attaque revendiquée par l’Etat islamique : comme le soulignait Barbara Poma sur son site, le Pulse était plus qu’un «simple club gay». C’était un club militant. MÉGANE DE AMORIM Libération Mardi 14 Juin 2016 «Tous les fascismes, et l’Etat islamique en est un, s’attaquent aux minorités sexuelles» ESTELLE PATTÉE et ISABELLE HANNE L udovic-Mohamed Zahed, fondateur de l’association HM2F (Homosexuels musulmans de France), milite pour réconcilier islam et homosexualité. Il est à l’initiative de la première salle de prière de France ouverte en 2012 aux croyants LGBT. Ouvertement homosexuel, pro-mariage gay, il vient de soutenir sa thèse en anthropologie du fait religieux à l’EHESS. L’islam est-elle une religion homophobe ? Plusieurs hadiths [qui désignent les faits et gestes du Prophète, plus ou moins apocryphes, ndlr] rapportent comment le Prophète protégeait les mukhannathun, ces hommes efféminés devant lesquels les femmes ne se voilaient pas car ils n’avaient pas de désir pour elles. Il accueillait ces gens, les défendait contre ce Ludovic-Mohamed Zahed, fondateur de l’association Homosexuels musulmans de France et chercheur en anthropologie, rappelle que l’homosexualité n'est citée nulle part dans le Coran. Pour lui, l’homophobie est affaire de politique et non de tradition. qu’on appelle l’homophobie. Certains de ses compagnons voulaient les tuer parce qu’ils avaient des rapports sexuels avec des hommes, ils s’habillaient comme des femmes, mettaient du henné sur les mains, donc l’équivalent du maquillage à l’époque. Je ne sais pas si c’est vrai, d’un point de vue historiographique, il faut prendre ces traditions avec prudence. Cela dit, dans l’islam, on trouve de quoi défendre le droit des minorités. Que dit vraiment le Coran sur l’homosexualité ? L’homosexualité n’est citée nulle part dans le Coran. Il y a des versets qui font référence à des rapports sexuels entre hommes. Et ce sont toujours des versets sur Sodome et Gomorrhe, dans un contexte de guerre entre les Israélites et les Sodomites de l’époque. Ces derniers ne sont pas des homosexuels. Ils sont décrits comme des pirates, des voleurs, des violeurs d’hommes et de femmes. Il y a un verset qui dit: «Aucun autre peuple avant vous ne s’était adonné à cette abomination.» Ce verset est très clair: par «abomination», le Coran désigne et condamne les viols rituels que pratiquaient Sodome et Gomorrhe. Et non l’homosexualité, qui a toujours existé. Ce ne sont pas les humains qui l’ont inventé il y a 5 000 ans ! Le Licite et l’Illicite en islam, écrit en 1960 par le théologien des Frères musulmans Youssef al-Qaradawi, indique comment tuer les homosexuels. Si le Coran ne condamne pas l’homosexualité, des théologiens se sont chargés de le faire… Tout peut être utilisé pour justifier l’injustifiable. Ce n’est pas pour autant qu’il faut croire ces abrutis. Et d’ailleurs, l’auteur que vous citez est l’objet d’un mandat d’arrêt international d’Interpol. Au nom de l’islam, les combattants de l’EI torturent et exécutent des homosexuels dans les territoires qu’ils occupent. Ils tuent parce que ce sont des fascistes qui sont dans une perspective tribale. Tous les fascismes, et l’EI en est un, s’attaquent aux minorités sexuelles, religieuses ou ethniques. Ce n’est pas très politiquement correct de dire que l’islam n’est pas homophobe. Le facteur déterminant commun entre toute cette fascisation des identités, qui pointent du doigt les minorités, c’est la crise. Les gens vont s’enfermer dans un groupe et fantasmer, idéaliser l’identité nationale. Très peu de civilisations ne sont pas passées par la fascisation des identités, le patriarcat et la violence envers les femmes et les minorités. Dans le monde arabo-musulman, ça prend des proportions incroyables parce que la crise est incroyable. En Tunisie, de 60 à 70 personnes sont condamnées chaque année de six mois à trois ans de prison pour homosexualité… Ce sont des lois qui ont été élabo- rées à l’époque de la colonisation. Je ne dis pas que c’est la faute de l’Europe, mais quand les Européens ont colonisé le monde arabo-musulman ou l’Inde, ils ont importé leurs systèmes juridiques, où l’ordre passait par la répression des minorités. Aujourd’hui, l’Europe a changé. L’association Shams en Tunisie est en train de lutter pour la décriminalisation de l’homosexualité. C’est la première association officiellement LGBT du monde arabo-musulman, c’est porteur d’espoir. N’y a-t-il pas une tradition homophobe dans ces sociétés contemporaines arabo-musulmanes ? Il y a une homophobie d’Etat, pas une homophobie traditionnelle. Si on parle de tradition, c’est-à-dire d’où l’on vient, il faut rappeler la tradition homo-érotique qui existait dans les pays arabo-musulmans. Pourquoi cette homophobie s’est-elle imposée aujourd’hui ? A cause de la politique. L’homophobie, c’est une politique d’Etat. Et on a un peu l’impression de se battre contre des moulins à vent, quand on voit le massacre d’Orlando au nom de l’islam… Alors que le tueur n’était même pas croyant, même pas pratiquant, exactement comme pour les attentats de Bruxelles et de Paris. Vous ne pouvez pas nier qu’il est extrêmement difficile d’être homosexuel dans certaines sociétés arabo-musulmanes… Evidemment. Mais j’essaie d’être dans la déconstruction des préjugés, de voir ce qu’il y a derrière cette façade arabo-islamiste. Il n’existe pas de traces de tortures ou d’exécutions d’homosexuels dans la tradition du Prophète ou des califes. On a vu pendant des siècles des califes ottomans, mais aussi les Abbassides et les Omeyyades, qui pratiquaient l’homo-érotisme. L’un des derniers sultans ottomans était bisexuel. Les grands poètes européens du XIXe siècle allaient vivre leur homosexualité au Maroc ou en Tunisie, parce que c’était possible là-bas. Ici non. On brûlait des homosexuels jusqu’en 1750 sur la place de l’Hôtel de ville à Paris. Il y a vraiment une inversion des valeurs au moment où l’équilibre des pouvoirs a changé. Quelle est la responsabilité des représentants musulmans ? L’islam n’a pas de clergé. Il est décentralisé, beaucoup moins clérical à travers les siècles que dans la religion chrétienne. Mais aujourd’hui, ça nous explose à la figure. A un moment donné, quand vous dites à vos fidèles que l’homosexualité est une abomination, que selon la tradition il faut tuer les homosexuels, mais en même temps qu’il ne faut pas appliquer cette tradition, il faut être clair: d’autres vont l’appliquer à votre place. Le seul point positif des horreurs comme celle d’Orlando, c’est qu’au bout d’un moment, on va devoir choisir clairement entre l’islam de Daech et l’islam des lumières. • DR Prière à la mosquée Baitul Aafiyat d’Orlando, dimanche. PHOTO DREW ANGERER . GETTY IMAGES . AFP Recueilli par u 7 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe 8 u Libération Mardi 14 Juin 2016 Omar Mateen, «discret» et «raciste» Né en 1986 aux Etats-Unis, d’origine afghane, le tueur du Pulse semble avoir changé de personnalité ces dernières années, après son divorce. Il avait fait l’objet de deux enquêtes du FBI, sans suite. C itoyen américain, Omar Mir Seddique est né le 16 novembre 1986, de parents immigrés afghans. Il vivait en Floride, à Fort Pierce, à 200 kilomètres d’Orlando, et s’était déclaré démocrate. En 2006, diplômé de sciences criminelles, il entame des démarches pour ajouter à son nom le patronyme Mateen. En 2007, il est embauché comme agent de sécurité par G4S, un géant du secteur. Détenteur de deux permis de port d’armes, il n’avait pas de casier judiciaire mais avait fait l’objet de deux enquêtes du FBI, closes faute d’éléments tangibles après trois interrogatoires et une surveillance. L’une, en 2013, était liée à des propos radicaux qu’il aurait tenus au travail, la seconde, en 2014, à ses liens avec un Américain de Floride qui avait rejoint l’Etat islamique avant de mourir dans un attentat-suicide. Omar Mateen a lui-même prêté allégeance à l’organisation quelques minutes avant l’attaque. Ses collègues le décrivent comme très consciencieux, fasciné par les forces de l’ordre, mais «raciste, belliqueux et toxique», ayant «toujours des choses méchantes à dire sur les Noirs, les juifs, les gays, les politiciens, les soldats». L’un d’eux précisant qu’il n’aimait pas les femmes, sauf pour le sexe. En 2009, il épouse Sitora Yusifiy. Elle explique qu’après quelques mois de mariage, il est devenu instable et violent, a montré des signes de «maladie mentale», «peut-être due aux stéroïdes». Elle parle d’un homme davantage intéressé par la gym que par la religion et qui rêvait de devenir policier. Terrorisée, frappée, elle le quitte en 2011. Mateen serait devenu plus religieux après son divorce, selon un ami, et il aurait effectué son pèlerinage à La Mecque. «Il venait, priait et partait. Il était très discret», affirme l’imam de Fort Pierce. Son père, qui poste sur Internet des vidéos assez incohérentes sur la politique afghane, pense que l’attaque «n’a rien à voir avec la religion», mais avec l’homophobie, son fils ne supportant pas de voir des hommes s’embrasser. Paradoxalement, un de ses amis de lycée ouvertement homosexuel assure qu’il a beaucoup fréquenté Omar Mateen, l’emmenant «une fois ou deux à un “drag show”» sans qu’il ne manifeste d’hostilité envers la communauté LGBT. Un autre camarade de classe décrit de son côté un garçon alors non violent, mal aimé, qui se laissait intimider. Dans son allocution de dimanche, Barack Obama, lui, a vu en Omar Mateen «une personne emplie de haine». LAURENCE DEFRANOUX Les enquêteurs sur les lieux de la tuerie, lundi. PHOTO CARLO ALLEGRI .REUTERS Une attaque sur le modèle de celles prônées par l’EI Le tueur d’Orlando fait partie des «terroristes de l’intérieur» qui suivent un mode opératoire défendu par l’Etat islamique. S i la nature exacte du lien entre Omar Mateen et l’Etat islamique (EI) reste à déterminer, celui-ci existe bel et bien. L’EI a revendiqué dimanche, via sa radio Al Bayan, l’un de ses canaux de propagande, le massacre dans la boîte de nuit d’Orlando. L’assaillant est qualifié de «soldat du califat». L’organisation jihadiste n’a pas pour habitude de revendiquer des attentats sans être impliquée. Cela ne signifie pas pour autant que des responsables de l’Etat islamique l’aient organisé ou même commandité depuis le califat autoproclamé, à cheval sur la Syrie et l’Irak. L’attaque d’Orlando n’a pas grand-chose à voir avec celle qui a visé Paris et Saint-Denis le 13 novembre. Elle n’a mobilisé qu’un assaillant, qui a frappé une cible unique. Omar Mateen ne semble pas non plus avoir séjourné en Irak ou en Syrie (lire ci-contre). Il a déclaré son allégeance lors d’un coup de téléphone au 911, les services d’urgence américains, juste avant de débuter son carnage. REUTERS «Isolez l’Américain infidèle» Son profil et le mode opératoire suivi s’apparentent bien plus à ceux des auteurs des attaques précédentes aux Etats-Unis. Le 3 mai 2015, à Garland (Texas), deux hommes avaient ouvert le feu lors d’un concours de caricatures de Mahomet organisé par un groupe d’ex- trême droite. L’attaque, qui avait fait un blessé léger et deux morts –les deux jihadistes –, avait été revendiquée par l’EI. Sept mois plus tard, Tashfeen Malik et Syed Rizwan Farook, un couple d’origine pakistanaise, s’attaquait à un centre de santé de San Bernardino (Californie), tuant 14 personnes et blessant 21 autres. Tashfeen Malik avait fait allégeance au «calife» Abou Bakr al-Baghdadi sur Facebook. L’EI s’était félicité de l’attaque, qualifiant ses auteurs de «partisans». Ces «terroristes de l’intérieur», comme les nomme le département américain de la Sécurité intérieure, répondent aux appels de l’Etat islamique à frapper partout où il est possible de le faire, selon ses moyens et son expérience. «Si vous ne pouvez pas trouver d’engin explosif ou de munitions, alors isolez l’Américain infidèle, le Français infidèle, ou n’importe lequel de ses alliés. Ecrasez-lui la tête à coups de pierre, tuez-le avec un couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez-le», avait déclaré Mohamed al-Adnani, porte-parole de l’organisation, dans le magazine de propagande Dabiq en septembre 2014, deux mois après la L’EI reprend la théorie du «troisième jihad»: le jihad centralisé, porté par Ben Laden, est un échec puisqu’il a provoqué la perte du sanctuaire afghan, elle préfère donc les attaques conçues localement. proclamation du «califat». Un appel répété en mai, un mois avant le début du ramadan. «Un effet domino L’Etat islamique ne fait en réalité que reprendre la théorie dite du «troisième jihad» d’Abou Moussab al-Souri. Syrien d’origine, aussi détenteur de la nationalité espagnole, il est l’auteur de l’«Appel à la résistance islamique mondiale» publié sur Internet en 2004. Son idée: le jihad centralisé, porté par Oussama ben Laden et illustré par les attentats du 11 septembre 2001, est un échec puisqu’il a provoqué la perte du sanctuaire afghan. A ces attaques massives, il préfère celles conçues sans commandement central. A force d’être répétées, espère-t-il, elles déclencheront des guerres civiles entre les minorités musulmanes et le reste des populations occidentales. L’Etat islamique mise donc à la fois sur ce jihad du pauvre, tout en organisant des attaques plus élaborées, telles celles de Paris, Saint-Denis et Bruxelles, qui ont mobilisé une quinzaine de jihadistes, dont plusieurs avaient rejoint l’Europe depuis le «califat». Les cibles désignées restent les mêmes: les juifs, les chrétiens, les «blasphémateurs» et les homosexuels. Qualifiés de «déviants», ces derniers sont traqués dans les territoires de l’Etat islamique. «Quand ils capturent quelqu’un, ils inspectent son téléphone, ses contacts et ses amis sur Facebook. C’est un effet domino. Si un tombe, les autres aussi», a témoigné un Irakien devant le Conseil de sécurité de l’ONU à l’été 2015. Dans le «califat», les homosexuels risquent la condamnation à mort pour «sodomie». La peine est d’être précipité du haut d’un immeuble. D’après l’ONG Outright Action International, au moins 36 personnes avaient subi ce sort en Syrie et en Irak à la fin 2015. LUC MATHIEU Libération Mardi 14 Juin 2016 u 9 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Un massacre qui alimente la présidentielle américaine A cinq mois de l’élection, les élus républicains multiplient les saillies anti-islam tandis que les démocrates relancent le débat sur les armes. P as de retenue. Pas de trêve, comme on en observe souvent à travers le monde en cas de tragédie nationale. Quelques heures seulement après le carnage perpétré à Orlando, alors que les corps des victimes gisaient encore sur le sol ensanglanté du Pulse, la récupération politique a débuté. A cinq mois d’une élection présidentielle capitale, il fallait s’y attendre. D’autant que cette nouvelle fusillade de masse, la plus meurtrière de l’histoire américaine, réunit tous les ingré- dients d’un débat politique acharné : terrorisme, lutte contre l’organisation Etat islamique, homophobie, contrôle des armes à feux. Sans surprise, la première saillie est venue de Donald Trump. Dans un tweet qui a suscité à la fois réactions outragées de ses détracteurs et applaudissements de ses partisans, le candidat républicain à la Maison Blanche a remercié ceux qui le félicitaient «pour avoir eu raison sur le terrorisme islamique radical». «Je ne veux pas de félicitations, je veux de la sévérité et de la vigilance. Nous devons être intelligents!» a commenté le magnat de l’immobilier. Ou comment placer à nouveau sa campagne électorale et sa rhétorique antimusulmans au centre du débat. Après la fusillade de San Bernardino, en décembre, au cours de laquelle un Américain radicalisé et sa femme pakistanaise avaient tué 14 personnes, Donald Trump avait suggéré d’interdire l’entrée aux Etats-Unis à tous les musulmans «jusqu’à nouvel ordre». Une proposition qu’il a renouvelée après le drame d’Orlando, mettant en garde contre le risque de nouvelles attaques: «Ce qui s’est passé à Orlando n’est que le début. Notre direction est faible et inefficace. Je l’ai appelée et ai demandé l’interdiction. Il faut être dur.» Le milliardaire a également réclamé la démission de Barack Obama, jugeant inacceptable que le président américain n’ait pas prononcé les mots «islam radical» dans sa déclaration après la tuerie d’Orlando. tière. C’est simplement dangereux.» D’une manière générale, les réactions de chaque camp, républicain ou démocrate, illustrent les clivages qui traversent depuis des années la vie politique américaine. Côté républicain, l’accent a été mis sur la menace terroriste. «A mesure que nous guérirons, nous devons être lucides sur qui est passé à l’acte. Nous sommes une nation en guerre contre les terroristes islamistes», a déclaré Paul Ryan, le président républicain de la Chambre des représentants. Ton identique chez Ted Cruz, ancien candidat à l’investiture républicaine : «Notre nation est en guerre. Le terrorisme islamiste radical a déclaré le jihad contre l’Amérique. Il est temps «Lucides». La candidate démocrate Hillary d’agir. Nous avons besoin d’un commandant Clinton a rétorqué: «On ne peut pas diaboliser en chef qui dira la vérité et qui déploiera toute […] et déclarer la guerre à une religion tout en- la force de l’armée américaine pour anéantir l’Etat islamique et ses affiliés», a martelé le sénateur du Texas. Prompts à dénoncer les dangers de l’islam radical, les élus républicains ont en revanche très peu évoqué, voire totalement occulté, la dimension homophobe de l’attaque. Il faut dire que les conservateurs religieux, féroces opposants au mariage homosexuel, se sont largement aliénés la communauté LGBT aux Etats-Unis. A l’inverse, les démocrates n’ont pas manqué d’afficher leur solidarité avec une communauté qu’ils courtisent en vue des prochaines élections, locales et nationales. «Le tueur a attaqué une boîte TED CRUZ de nuit LGBT pendant le mois ex-candidat de la fierté. A la communauté républicain LGBT: vous devez savoir que vous avez des millions d’alliés à travers notre pays. Je suis l’un de ceux-là», a commenté Hillary Clinton. Barack Obama, lui, a martelé qu’une attaque «contre tout Américain, quels que soient sa race, son groupe ethnique, sa religion ou son orientation sexuelle» était «une attaque contre nous tous». «Le terrorisme islamiste radical a déclaré le jihad contre l’Amérique. Il est temps d’agir.» Opposition. Enfin, la question des armes à Inspection par les agents du FBI du mur situé à l’arrière du Pulse, lundi. PHOTO JOE RAEDLE . GETTY IMAGES . AFP L’AR-15, une arme de guerre pour 1000 dollars Le tueur a utilisé un fusil automatique, cousin du M-16, interdit à la vente aux EtatsUnis de 1994 à 2004. Lors de la fusillade, Omar Mateen a utilisé un AR-15, le même type d’arme qui avait servi aux tireurs d’Aurora (Colorado), de Newtown (Connecticut) et de San Bernardino (Californie). Pas moins de 3,7 millions de person- nes possèdent ce fusil d’assaut aux Etats-Unis, cousin du M-16 utilisé par les militaires américains pendant la guerre du Vietnam. Semi-automatique, l’AR-15, du fabriquant Colt, peut tirer jusqu’à 45 coups par minute. Disponible sur des sites de vente en ligne pour à peine 1000 dollars, ce fusil est libre d’accès en Floride. Seule condition, ne pas avoir de passé criminel. Il doit son succès à son apparence, celle d’une arme de guerre, mais aussi à son caractère personnali- sable. Pointeur laser, lunette, visée nocturne, tout peut s’accrocher à son canon. «C’est ce qui en fait une arme unique», vante l’association pour le port des armes (National Rifle Association, NRA). Elle a été interdite à la vente de 1994 à 2004, par une loi sur la commercialisation des fusils d’assaut. Sous la pression des lobbys, la législation a été abandonnée. Ce qui n’empêche pas que le débat soit relancé à chaque fusillade. Depuis 2014, des parents de victimes du drame de Newtown poursuivent l’entreprise Remington, qui produit un dérivé de l’AR-15 : «C’est un instrument de guerre fait pour se battre sur un champ de bataille mais vendu à grande échelle», avait déploré Mark Barden, père d’une victime. Barack Obama et Hillary Clinton ont de nouveau appelé à l’interdiction de l’AR-15 et à une législation. Mais ce vœu du président américain est resté jusqu’à présent sans résultat. CYRIELLE CABOT feu, sujet de discorde permanent entre les deux partis, est revenue au centre des déclarations. Donald Trump a estimé que si les personnes avaient été armées sur la piste du Pulse, «nous n’aurions pas eu cette tragédie-là». A l’opposé, Hillary Clinton a appelé à «remettre en place l’interdiction des armes d’assaut, qui a expiré». Barack Obama, qui a échoué à durcir la législation sur les armes face à l’opposition du Congrès républicain, a souligné «combien il était facile pour quelqu’un de mettre la main sur une arme qui lui permet de tuer des gens dans une école, dans un lieu de prière, dans un cinéma ou dans une boîte de nuit». «Nous devons décider si c’est ce genre de pays que nous voulons être», a-t-il ajouté. Une déclaration rhétorique, tant l’opposition farouche du Congrès républicain empêche toute réforme sur ce sujet. Il y a trois ans et demi, le drame de Newtown (Connecticut), où 20 enfants et 6 adultes avaient été massacrés à l’école élémentaire de Sandy Hook, n’avait pas provoqué de prise conscience sur ce dossier du gun control. Il n’y a aucune chance que la tuerie du Pulse à Orlando, malgré son envergure et son horreur, change la donne. FRÉDÉRIC AUTRAN Envoyé spécial à Orlando 10 u Libération Mardi 14 Juin 2016 SUR LIBÉRATION.FR Si les candidats à la primaire de la droite étaient une équipe de rugby Avec la déclaration de candidature d’Henri Guaino, ce sont désormais quinze candidats (douze déclarés, trois présumés) qui sont en lice pour la primaire organisée par Les Républicains en novembre. De quoi faire une jolie mêlée et une ligne arrière redoutable. ILLUSTRATION SIX PLUS EXPRESSO/ Primaire à droite: Henri Guaino lance son appel du 13 juin L’ancienne plume de Nicolas Sarkozy est, depuis lundi, le douzième prétendant officiel à l’investiture LR pour 2017, et ce au nom d’un gaullisme patriote et social, qu’il dit oublié. Par ALAIN AUFFRAY U n gaulliste parle aux Français. A quelques jours de l’anniversaire de l’appel du 18 Juin, Henri Guaino n’a pas fait les choses à moitié. Lundi matin, il s’est carrément invité dans les matinales de deux stations de radio concurrentes, ce qui n’est pas banal. D’abord sur France Inter, à qui il avait réservé l’annonce de sa candidature à la primaire des 20 et 27 novembre. Ensuite sur RMC-BFM TV, où il a pris, trente minutes plus tard, le temps de s’expliquer plus longuement sur sa décision. Il fallait au moins ça pour rencontrer un minimum d’écho. D’Alain Juppé à Jacques Myard, la droite alignait déjà onze prétendants plus ou moins sérieux à l’investiture présidentielle. Pour la moitié d’entre eux, il sera très difficile de réunir d’ici fin août les parrainages de 250 élus (dont 20 parlementaires) requis pour valider chaque candidature. LE CANDIDAT DU JOUR Henri Guaino est donc le douzième candidat. Après avoir longuement pesé «le pour et le contre», il explique en être arrivé à la conclusion qu’il ne pouvait pas «rester les bras croisés» devant le spectacle de cette primaire, qu’il assimile à «un hold-up sur l’élection présidentielle». Outre le fait qu’il dénonce le principe même de ce mode de sélection du candidat –le jugeant peu conforme à la tradition de la Ve République–, le député des Yvelines affirme que le gaullisme, jadis au centre de sa famille politique, a tout bonnement «disparu». Dans le parti Les Républicains (LR), il ne resterait plus que des centristes et des libéraux, laissant «un vide qui se comble par les extrêmes». «France du “non”». En clair, Guaino se propose donc de ramener au gaullisme une partie de son électorat égaré, faute de mieux, chez Jean-Luc Mélenchon et plus encore chez Marine Le Pen. Il devrait pouvoir compter avec le soutien des députés LR Julien Aubert et Lionnel Luca, qui regrettaient, dans une tribune publiée le 16 mai par l’Opinion, l’absence d’un candidat de «la droite patriote, jacobine, sociale et eurocritique» capable de convaincre «la France du “non”». Proche de Guaino, dont il fut l’élève à Sciences-Po, Aubert récuse aussi bien Juppé, ce «girondin néogaulliste», que Fillon, «séguiniste génétiquement modifié qui aurait accepté [le traité de] Maastricht», ou Le Maire et son «conservatisme éthique». Il ne croit pas non plus en Sarkozy, même «débarrassé de ses scories buissonniennes», car les «orphelins du Kärcher» – ceux qui ont cru au grand ménage–, ont été trop déçus entre 2007 et 2012. Séduire l’électorat du FN, n’est-ce pas justement ce que se propose de faire Nicolas Sarkozy quand il célèbre, dans son discours du 8 juin, «l’identité» de la France, «pays chrétien dans sa culture et dans ses mœurs»? «Certes, répond Guaino à Libération, mais toute la question est justement de savoir comment on s’y prend.» Même s’il veille à ne pas couper les ponts avec l’ex-chef de l’Etat, son ancienne plume républicaine laisse deviner tout le mal qu’il pense de sa rechute identitaire. Avant de passer au service de Sarkozy dans la campagne de 2007, Guaino a surtout été un proche de Philippe Séguin, ex-gardien de l’orthodoxie gaulliste. A ses côtés, il a milité pour le «non» au référendum sur le traité de Maastricht de 1992, avant de souffler à Jacques Chirac l’argument de la mobilisation contre la «fracture sociale» dans la campagne présidentielle de 1995. Cavalier seul. C’est au nom de ce combat qu’il part aujourd’hui en guerre contre la «surenchère libérale» qui fait rage dans sa famille politique. «Ce n’est pas en faisant peur à ceux qui ont un emploi stable qu’on trouvera du travail pour ceux qui n’en ont pas […]. Je n’irai pas à la rencontre des Français en leur disant: “Vous avez trop bien vécu, maintenant il faut S’il ne parvient pas à réunir les parrainages nécessaires, Henri Guaino assure qu’il se présentera tout de même à la présidentielle. Henri Guaino, député LR des Yvelines, en mai 2014 à Paris.PHOTO LAURENT TROUDE payer”», s’est-il emporté sur RMC-BFMTV. Très logiquement, cela l’amène à refuser aussi bien «les coupes claires» dans les services publics que la réforme du droit du travail. Il ne votera pas la loi El Khomri. Et encore moins la version hard de cette réforme défendue par tous les candidats à la primaire de la droite. Le voilà, sur cette question, plus proche du patron de la CGT, Philippe Martinez, que de celui de LR, Nicolas Sarkozy… A priori fragilisé par le cavalier seul de celui qui fut son plus proche conseiller entre 2007 et 2012, l’exprésident peut toutefois y trouver son compte si Guaino devait décider de le rallier au second tour de la primaire. Une façon plutôt élégante de récupérer des voix frontistes sous la bannière du gaullisme. C’est ce que se propose de faire, avec un peu moins de crédibilité, Nadine Morano, autre candidate déclarée en quête de parrainages. Accord. Pour avoir une petite chance de participer à la primaire, Guaino devra se débarrasser de la concurrence des autres candidats qui prétendent incarner le «non» gaulliste. Un accord avec le député LR Jacques Myard, souverainiste mais aussi diplomate, ne semble pas hors de portée. Il faudra aussi convaincre l’ex-ministre Michèle Alliot-Marie, étoile déclinante de l’ancien RPR, qui s’est longtemps crue porteuse de vrais morceaux de la croix gaulliste. S’il ne parvient pas à réunir les parrainages nécessaires, Guaino estime qu’il aura fait la démonstration que le système a été «verrouillé» pour lui barrer la route. Il assure qu’il en tirera les conséquences en se présentant tout de même, en 2017, à l’élection présidentielle. C’est ce que fit jadis le père de la Ve République, Michel Debré. Pour mémoire, celui qui se présentait contre Chirac en 1981 au nom du gaullisme authentique avait recueilli 1,66% des suffrages… • Libération Mardi 14 Juin 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe SUR LIBÉRATION.FR 11 Document : LIB_16_06_14_CAR.pdf;Dateu : 13. Jun 2016 - 14:38:42 Carnet Blog «les 400 Culs» La firme Lelo a présenté lundi le concept d’un préservatif «indéchirable», le «HEX», issu de sept ans de recherches : plutôt que de changer le matériau, la structure du latex a été modifiée pour former «une armure» en nid d’abeilles. L’acteur Charlie Sheen, séropositif, va être son ambassadeur. PHOTO LELO AnniversAires Bon anniversaire GWEN à bientôt à AUCH ou à SOUBES Michèle et Dominique Décès En cette année 2016, le 9 juin La nouvelle campagne choc de Médecins du monde censurée Les affiches censurées de MDM. MÉDECINS DU MONDE pharmaceutique sur le système de la brevetabilité doit cesser. Les autorités laissent les laboratoires dicter leurs prix et abandonnent leur mission, celle de protéger la santé des populations. Il est temps que Marisol Touraine agisse.» Lundi, le Leem, syndicat patronal des industries pharmaceutiques, a dénoncé une «propagande mensongère». «Imaginer que les entreprises spéculent sur l’aggravation de certaines maladies n’est pas seulement injurieux pour les industriels, c’est choquant et 196000 C’est le nombre de poules pondeuses menacées d’être abattues dans l’élevage du Perrat, dans l’Ain. Le 25 mai, l’association L214 avait diffusé des images révélant leurs terribles conditions de vie. Depuis, le groupement agricole a vu son destin basculer: la préfecture a ordonné son «évacuation sous trois semaines». Les particuliers se pressent désormais pour acheter ces poules déplumées mais bien vivantes, vendues 2,50 euros et fourrées sans ménagement dans des cartons avant d’être tendues aux clients. Une poignée d’associations de protection animale, L214 en tête, tentent de sauver de l’abattoir au moins 3000 poules supplémentaires. irrespectueux pour des millions de [patients].» Le prix du médicament n’a plus rien à voir avec le coût de la recherche, encore moins avec celui de la production. De fait, les règles de fixation des prix ne sont plus opérantes. La Ligue nationale contre le cancer a lancé une pétition pour alerter les pouvoirs publics. En mai, au Japon, François Hollande a convaincu le G7 d’intégrer dans la déclaration finale la nécessité de remédier à l’emballement des prix. Dans les faits, rien n’a évolué. É.F. Les frondeurs délocalisent aussi leur «rencontre d’été» à Nantes Eux aussi déménagent. Par la force des choses. L’aile gauche du PS rassemblée depuis le congrès de Poitiers sous l’appellation «A gauche pour gagner» se réunira fin août sous ses propres couleurs, à la veille de l’université d’été du parti à Nantes. L’an passé, ils s’étaient donné rendez-vous à Marennes, à quelques kilomètres de La Rochelle, où se retrouvaient traditionnellement tous les socialistes. Mais la direction du PS ayant décidé de quitter la Charente-Maritime pour migrer vers la Loire-Atlantique, ils seront eux aussi à Nantes, pour leurs propres «Rencontres», les 25 et 26 juillet. «C’est aussi une manière de montrer que nous sommes dans le Parti socialiste», explique à Libération l’un de leurs chefs de file, le député de la Nièvre Christian Paul. La rentrée socialiste s’annonce donc chargée: Fête de la rose de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire) autour d’Arnaud Montebourg le 21 juillet, réunion des Amis de Martine Aubry à Montpellier les 23 et 24 août, puis ces rencontres du courant PS opposé au gouvernement Valls les 25 et 26 à Nantes, avant l’université de la «Belle Alliance populaire» organisée par la direction du PS dans cette même ville. L.A. Deux supporteurs anglais condamnés à de la prison ferme à Marseille Les premiers supporteurs britanniques à comparaître pour leur participation aux violences en marge d’AngleterreRussie à Marseille ont été condamnés lundi à de la prison ferme, avec mandat de dépôt. L’un, infirmier psy de 41 ans, a été condamné par le tribunal correctionnel de Marseille à trois mois ferme et deux ans d’interdiction du territoire français. L’autre, chef cuisinier de 20 ans, a écopé de deux mois ferme et de deux ans d’interdiction de territoire. Henry de Lesquen, trop extrême, même pour Radio Courtoisie Une guerre de tranchées menace Radio Courtoisie, la très droitière antenne «du pays réel et de la francophonie». Dans un appel publié samedi sur le blog catholique «le Salon beige», plusieurs collaborateurs de la radio demandent la démission de son président, Henry de Lesquen. En cause, ses «déclarations publiques insupportables». Candidat pour 2017, l’homme mène sur Twitter une campagne faite d’invectives et d’outrances. Son programme mêle défense du «racisme positif», réhabilitation de l’esclavage, privatisation de l’Education nationale, interdiction de l’avortement… En avril, Lesquen s’est aussi fait Stéphane STRASEELE est allé rejoindre les musiciens qu'il aimait. De la part de Véronique, sa compagne. Le Carnet HOOLIGANISME remarquer en s’étonnant «de la longévité des “rescapés de la Shoah” morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées?» Des positions qui ne plaisent guère à plusieurs animateurs de Radio Courtoisie, pourtant peu suspects de gauchisme: ils menacent de démissionner si Lesquen refuse de cé- FRANCE INTER Avec sa campagne choc sur le prix des nouveaux médicaments qui devait être lancée lundi, Médecins du monde (MDM) voulait provoquer le débat. L’ONG a été aidée par les propriétaires des panneaux publicitaires, qui ont refusé d’afficher les slogans, tels que : «Avec l’immobilier et le pétrole, quel est l’un des marchés les plus rentables ? La maladie.» Ou: «1 milliard d’euros de bénéfice, l’hépatite C on en vit très bien.» Des affirmations qui avaient le mérite de décrire une situation inquiétante: l’emballement ahurissant du prix des médicaments innovants. «La mise sur le marché du premier des antiviraux à action directe efficace contre l’hépatite virale C a agi comme un révélateur des dysfonctionnements, explique MDM. Le traitement de douze semaines est vendu 41000 euros par patient alors qu’il ne coûterait que 100 euros à produire.» «Ces prix exorbitants ne pourront bientôt plus être pris en charge par la Sécurité sociale, dit la présidente de MDM, Françoise Sivignon. Demain, qui pourra payer de telles sommes pour se faire soigner? La mainmise de l’industrie HAPPY HOUR POLITIQUE der son poste. «Nous ne pouvons pas, en conscience, cautionner ces positions ni nous rendre complices de leurs conséquences désastreuses pour la radio et, plus largement, pour une grande partie des droites françaises qui courent le risque d’être “amalgamées” avec ces positions très éloignées des leurs», écrivent les signataires de l’appel. Fondée en 1987, Radio Courtoisie se présente comme l’antenne de «toutes les droites». Dans les faits, ses programmes font la part belle à la droite radicale, identitaire et conservatrice. Pas au point de cautionner la dérive ultra du président. D.Al. A lire en intégralité sur Libé.fr Vous organisez un colloque, un séminaire, une conférence… Contactez-nous Réservations et insertions la veille de 9h à 11h pour une parution le lendemain Tarifs : 16,30 € TTC la ligne Forfait 10 lignes : 153 € TTC pour une parution (15,30 € TTC la ligne supplémentaire) Abonnés et associations : -10% Tél. 01 40 10 52 45 Fax. 01 40 10 52 35 Vous pouvez nous faire parvenir vos textes par e.mail : [email protected] La reproduction de nos petites annonces est interdite Le Carnet Emilie Rigaudias 01 40 10 52 45 [email protected] 12 u Libération Mardi 14 Juin 2016 SUR LIBÉRATION.FR Médias Défait en justice par le catcheur Hulk Hogan et plombé par l’indemnité de 140 millions de dollars qu’il doit lui payer, le site d’informations Gawker, souvent sensationnaliste, créé par Nick Denton (photo), a déposé le bilan vendredi. Le groupe de médias Ziff Davis pourrait toutefois lui sauver la mise en le rachetant, si la justice autorise la transaction. PHOTO STEVE NESIUS. AP EXPRESSO/ 26,2 mil iards Jean-Marie Mokoko, opposant au président congolais Sassou-Nguesso, le 18 mars à Brazzaville. MARCO LONGARI. AFP de dollars (23,3 milliards d’euros), c’est le prix payé par Microsoft pour s’offrir LinkedIn, premier réseau social professionnel mondial avec 433 millions de membres, dont 11 millions en France. A 196 dollars (173 euros) l’action, le prix d’achat représente une prime de 49,5% par rapport au cours de clôture de LinkedIn vendredi, mais reste en deçà du pic de 270 dollars (239 euros) atteint par le réseau en 2015. Microsoft va recourir à l’endettement pour financer la plus grosse acquisition de son histoire. Ce rachat est le troisième plus important du secteur des nouvelles technologies, devant celui de WhatsApp par Facebook en 2014 (22 milliards de dollars, 19 milliards d’euros). Au Congo, l’opposant Mokoko se dit lâché par la France Derrière les fenêtres de sa villa, située dans le centre de Brazzaville, la coquette capitale du Congo, Jean-Marie Michel Mokoko peut les apercevoir, «des hommes en tenue militaire ou en civil postés tout autour de [sa] maison et bien décidés à [l’]empêcher de sortir», explique-t-il, joint ce week-end au téléphone par Libération. Au ton de sa voix, on dirait presque que ça l’amuse. «Disons que depuis plus de deux mois de réclusion forcée, j’ai fini par m’habituer», soupire ce général de 59 ans qui a fait Saint-Cyr et qui, après avoir été chef d’état-major des armées dans son pays, a multiplié ces dernières années les missions de pacification au nom de l’Union africaine. Rejet. Jusqu’à ce mois de février, où il décide de rentrer au Congo pour se présenter à l’élection présidentielle du 20 mars. La popularité de cet outsider se mesure alors autant à l’aune des foules qui remplissent ses meetings qu’à la virulence des réactions du régime. Lequel, dès son retour à Brazzaville, multiplie les harcèlements judi- ciaires, allant jusqu’à déterrer une vidéo censée prouver un projet de coup d’Etat fomenté par le général. Depuis le 4 avril, il est de facto assigné à résidence, «sans aucune notification officielle», précise-t-il. Son seul tort? Avoir contesté ce jour-là l’annonce de la réélection du président sortant, Denis Sassou-Nguesso, qui en pleine nuit et dans un pays brutalement coupé d’Internet, s’est déclaré vainqueur dès le premier tour avec 60% des voix. Personne n’y a cru: ni les Etats-Unis, ni l’UE, ni la France n’ont voulu féliciter «le vainqueur», surnommé «Monsieur 8%» par l’opposition, qui a compulsé ses propres résultats, plaçant Mokoko en tête. «Je savais dès le départ qu’il y aurait des tricheries. Sassou a modifié la Constitution pour se représenter. Ensuite, il a anticipé l’élection de plusieurs mois. Reste qu’aucun candidat ne pouvait gagner dès le premier tour, le rejet du système est trop flagrant», dit l’opposant de SassouNguesso. Lequel cumule plus de trente ans à la tête d’un pays doté de fabuleuses ressources, mais où la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour (88 centimes d’euros). «Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’est la coupure de toutes les communications, la capitale encerclée et quadrillée», avoue Mokoko. Il a aussi entendu parler de l’envoi d’hélicoptères pilotés par des mercenaires ukrainiens et burundais pour bombarder la région du Pool (sudest). «Une région martyre où se déroulent des massacres à huis clos, soupire-t-il. Une chape de peur s’est imposée au pays : les gens sont indignés, mais ils n’osent plus protester publiquement.» Cette répression ne suffit plus pour imposer le retour à la normale: selon la Lettre du continent, éditée à Paris, «le bras de fer Sassou-Mokoko fait fuir les patrons et influe sur l’économie du pays». Mission. «S’il affirme qu’il a gagné les élections, est-ce moi qui l’empêche de gouverner le pays ?» ironise Mokoko, dont l’isolement a été interrompu la semaine dernière par deux visites inattendues: celle de Jean-Yves Ollivier, un homme d’affaires français proche de Sassou et faisant parfois office de diplomate de l’ombre. Puis celle de l’ambassadeur de France Jean-Pierre Vidon. Ces émissaires venaient-ils lui apporter le soutien de la France, ou du moins tenter une médiation? Si ce fut le cas, elle semble très orientée. «Jean-Yves Ollivier s’est présenté chez moi en affirmant qu’il était chargé d’une mission par les autorités françaises», dit Mokoko, ce que démentent l’Elysée et l’intéressé. «Il m’a expliqué que la France allait reprendre sa collaboration avec Sassou et qu’elle ne soutiendrait plus l’opposition», ajoute le général reclus, précisant que «c’est Ollivier qui [lui] a annoncé la visite de l’ambassadeur, dont le discours est allé dans le même sens». Les deux émissaires auraient exigé, en vain, une lettre de l’opposant reconnaissant la victoire de Sassou. «Je ne vais pas dire le contraire de ce que j’ai toujours dénoncé, tranche le général. S’il m’arrive quelque chose, de toute façon, on saura d’où ça vient.» MARIA MALAGARDIS ISRAËL QATAR L’armée israélienne a levé dans la nuit de dimanche à lundi le bouclage des Territoires palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza imposé depuis vendredi après l’attentat qui a coûté la vie à quatre Israéliens. Cependant, «les contrôles de sécurité continuent» à Yatta, a précisé une porte-parole de l’armée à propos de la localité d’origine des auteurs de l’attentat. Ce bouclage interdisait aux Palestiniens d’entrer en Israël et à Jérusalem-Est, sauf pour la première grande prière hebdomadaire du ramadan, vendredi. Le gouvernement Nétanyahou avait aussi annoncé jeudi l’annulation des dizaines de milliers de permis d’entrer en Israël délivrés à des Palestiniens pour le ramadan. Des mesures qui ont suscité l’inquiétude internationale : Paris avait souligné qu’il fallait «faire attention à tout ce qui peut attiser les tensions», le hautcommissaire de l’ONU aux droits de l’homme parlant, lui, de «punition collective». Un tribunal du Qatar a condamné lundi à un an de prison avec sursis pour «adultère» une Néerlandaise de 22 ans qui avait été arrêtée après avoir porté plainte pour viol, selon une source judiciaire. La jeune femme va être expulsée du pays une fois son amende de 732 euros payée. Un homme a, lui, écopé de 100 coups de fouet pour «adultère» et de 40 autres pour «consommation d’alcool». La jeune femme avait été arrêtée en mars car elle était «suspectée […] de relations sexuelles en dehors des liens du mariage», interdites au Qatar, a indiqué à l’AFP son avocat. Elle s’était rendue dans un hôtel où la consommation d’alcool est autorisée. On l’y aurait droguée. «Quand elle se réveille dans un appartement inconnu, elle réalise, à sa plus grande horreur, qu’elle a été violée», raconte l’avocat. Elle s’était enfuie et rendue à un poste pour porter plainte, mais les policiers avaient refusé de la laisser repartir. Libération Mardi 14 Juin 2016 u 13 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe SUR LIBÉRATION.FR Led Zep en procès Accusés de plagiat depuis 1997 par le groupe Spirit, Robert Plant et Jimmy Page, les deux icônes de Led Zeppelin, comparaissent ce mardi devant un tribunal de Los Angeles. En cause : dix secondes de leur plus grand succès, Stairway to Heaven (1971), qu’ils auraient pompées sur un instrumental psyché sorti trois ans plus tôt… PHOTO D.B.REDFERNS. GETTY IRAK PHILIPPINES Des jihadistes se mêlent aux civils pour fuir leur bastion de Fallouja Des combattants du groupe Etat islamique (EI) ont tenté de fuir leur bastion assiégé de Fallouja en se mêlant aux flots de civils, évacués par milliers ces dernières heures après l’ouverture samedi d’un couloir sécurisé par l’armée irakienne. «Nous avons arrêté 546 terroristes présumés qui ont fui en profitant des mouvements des familles déplacées [ayant quitté la ville, ndlr] au cours des deux dernières semaines», a déclaré lundi le chef de la police de la province d’Al-Anbar. «Plusieurs d’entre eux portaient de fausses cartes d’identité», a-t-il dit à l’AFP. Le couloir d’évacuation sécurisé au sud-ouest de la ville a permis à «plus de 4000 civils de quitter le centre de Fallouja au cours des dernières quarante-huit heures», a déclaré Karl Schembri, du Conseil norvégien pour les réfugiés. Avant cette évacuation, l’ONG estimait à 50 000 le nombre de civils pris au piège dans Fallouja depuis le début de l’offensive, lancée le 23 mai par les forces irakiennes pour déloger les jihadistes de cette ville à 50km à l’ouest de Bagdad, qu’ils contrôlent depuis janvier 2014. Au total, 4 596 familles, soit environ 27 580 personnes, ont réussi à rejoindre des camps de déplacés. Les islamistes ont probablement tué un otage canadien Justin Trudeau a annoncé lundi craindre que l’otage canadien Robert Hall, détenu par les islamistes philippins du groupe Abou Sayyaf, ait finalement été exécuté. «C’est avec une profonde tristesse que tout me porte à croire [que] Robert Hall, tenu en otage aux Philippines depuis le 21 septembre 2015, a été tué par ses ravisseurs», a déclaré le Premier ministre du Canada. Un premier otage, John Ridsdel, avait été décapité le 25 avril. Trudeau avait alors indiqué que le Canada ne paierait pas de rançon pour ses otages, comme le réclamait Abou Sayyaf. Les Japonais lancent une alerte aux ours après plusieurs victimes en forêt Le Japon invite les marcheurs à la plus grande vigilance visà-vis des ours. Depuis le mois dernier, quatre personnes ont été retrouvées mortes et plusieurs blessées. Encore vendredi, un corps de femme a été découvert dans une forêt montagneuse. D’après la police, la femme de 74 ans était présente dans ce village pour cueillir des fruits et légumes sauvages. Entre avril et juin, de nombreux Japonais se rendent dans les forêts pour récupérer des pousses de bambou –également prisées par les ours– qu’ils cuisinent pour leur repas. C’est souvent à ce moment-là que les attaques interviennent. Cité par le quotidien Mainichi Shimbun, un chercheur à l’Institut de recherche sur la forêt et les produits forestiers avance que ces attaques dans la préfecture d’Akita pourraient être attribuées au même ours: «Comme les humains sont de grands mammifères, les ours noirs d’Asie ont tendance à ne pas les attaquer intentionnellement. Ils le font essentiellement pour se défendre. Il est nécessaire de recueillir des poils d’e l’animal laissé sur les lieux pour identifier l’agresseur.» VU DE KYOTO Des mères et leurs petits ont été aperçus en mai dans plusieurs préfectures du pays : des cas de blessures ont été notés. «Les femelles avec leurs petits sont particulièrement méfiantes vis-à-vis des humains et il y a des moments où même les chasseurs les trouvent ingérables», expliquait vendredi le président de la Fédération nationale des chasseurs. Si ces mammifères restent relativement «petits», une «personne ordinaire serait sans défense contre leurs attaques», selon lui. D’habitude, ce sont les pénuries alimentaires qui sont à l’origine d’attaques. Les autorités alertent souvent à l’automne les habitants des communes proches des montagnes et des zones sauvages à redoubler de prudence. Moment où les ours, avant d’hiverner, gagnent les communes rurales en quête de nourriture pour remédier à la pénurie de glands et de faînes (fruits du hêtre). Cet automne, les autorités de Monbetsu ont abattu un ours de 400 kilos qui s’était approché des habitations. Mais les dernières attaques semblent plutôt dues à une abondance de faînes, qui a favorisé la survie des oursons et donc l’agressivité des mères. Les ours s’approchent également des habitations du fait que certaines zones reculées sont désertées par des populations vieillissantes. Dans tous les cas, le ministère de l’Environnement recommande de porter une cloche pour manifester sa présence et les faire fuir, et de surveiller les empreintes. Face à un ours, il conseille de se retirer lentement, en regardant l’animal tout le temps, sans jamais lui tourner le dos. Les ours noirs d’Asie font partie des espèces menacées d’extinction –plusieurs organisations environnementalistes mènent des programmes pour les comptabiliser. L’ours brun l’est beaucoup moins. Il y en aurait plusieurs milliers sur l’archipel, notamment dans la région de Hokkaido. A.Va. (à Kyoto) «On peut dire d’Oscar Pistorius que c’est un homme brisé.» UN PSYCHOLOGUE appelé par la défense, lundi à Pretoria Oscar Pistorius, qui a tué sa petite amie la nuit de la Saint-Valentin 2013, est un homme en dépression qui devrait être hospitalisé, a estimé un psy appelé lundi par la défense alors que la justice doit déterminer cette semaine la peine du Sud-Africain. Reconnu coupable du meurtre de la top-model Reeva Steenkamp, l’ex-athlète amputé des jambes risque plus de quinze ans de prison. En première instance, Pistorius a écopé de cinq ans de prison pour «homicide involontaire». En appel, le parquet l’a fait condamner pour «meurtre». L’accusation estime qu’il a cherché à tuer en tirant quatre balles à hauteur d’homme à travers la porte des toilettes, où se trouvait sa fiancée. 14 u FRANCE Libération Mardi 14 Juin 2016 LOI TRAVAIL GRANDES POSTURES, PETITES MANŒUVRES Par LILIAN ALEMAGNA, LAURE BRETTON, AMANDINE CAILHOL et LUC PEILLON Conflit Face au durcissement voulu par la CGT, l’exécutif, sourd aux appels à modifier le projet El Khomri, s’est tenu à un message de fermeté. Coulisses de trois semaines de tractations alors qu’une journée d’action est prévue ce mardi. L a CGT va-t-elle réussir son pari? Ce mardi, la centrale de Montreuil et trois autres syndicats organisent une nouvelle journée d’action contre la loi travail, avec une forme de mobilisation inédite depuis le début du mouvement: une manifestation unique à Paris. Le cortège, qui pourrait faire preuve d’une affluence «comme nous n’en avons jamais connue depuis quatre mois», selon le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, s’élancera de la place d’Italie, en début d’après-midi, en direction des Invalides. Et si le «si le gouvernement s’entête», selon le communiqué de l’intersyndicale opposée au texte, deux autres journées d’action décentralisées sont d’ores et déjà programmées, les 23 et 28 juin. Retour sur les trois dernières semaines du conflit, qui ont vu le gouvernement tenter d’éteindre un à un les incendies déclenchés à la SNCF, dans les raffineries, ou encore à la RATP. Avec une théâtralisation du bras de fer entre l’exécutif et les organisations syndicales, comme la France en a le secret. Lundi 23 mai Après avoir tenté de déporter le conflit sur les chauffeurs routiers pendant le week-end, des militants CGT bloquent la raffinerie de Fos- u 15 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Page de gauche : le 20 mai, des militants CGT bloquent le pont menant aux raffineries, à Gonfrevillel’Orcher (SeineMaritime). PHOTO JACOB CHETRIT Ci-contre: Le 26 mai, au Sénat, Manuel Valls, et la ministre du Travail, Myriam El Khomri. PHOTOS ALBERT FACELLY JEAN GROSSET MONSIEUR SOCIAL DU PS Quand on lui demande le nombre de rendez-vous qu’il a consacrés à la loi travail en quatre mois, Jean Grosset s’en tire par une pirouette : «entre indéfini et infini». Conseiller social du patron du PS, JeanChristophe Cambadélis, qu’il a rencontré il y a quarante ans à l’Organisation communiste internationaliste (OCI, trotskiste) –«hélas», sourit-il– cet ancien numéro 2 de l’Unsa fait l’interface entre le monde syndical, les militants socialistes et l’exécutif. Mais «il ne négocie pas à la place de qui que ce soit, il nage dans son couloir», salue un conseiller gouvernemental. Au total, depuis la mi-février, Jean Grosset a animé 38 réunions dans les fédérations socialistes pour expliquer le texte. «La hiérarchie des normes, c’est imbitable pour tout le monde», se marre celui qui pilote l’agenda social de Cambadélis depuis son portable. Le 2 mai, entre autres, Philippe Martinez est reçu à Solférino, alors qu’à la même époque le leader de la CGT boycotte le ministère du Travail et Matignon. «J’entends les doléances, je les fais remonter», dit simplement Jean Grosset. Son «ressenti» atterrit d’abord dans l’oreille du premier secrétaire avant de ricocher vers le cabinet de Manuel Valls ou l’Elysée, où son ami de trente ans, Michel Yahiel, officie comme conseiller social depuis 2012. En plus des affaires sociales, les deux hommes sont liés par leur soutien indéfectible à François Hollande, membres du «club des 3 %», le tout petit groupe qui croyait dès le début aux chances présidentielles du député de Corrèze, alors que tous les sondages le mettaient dans les choux. L.Br. AFP Libération Mardi 14 Juin 2016 répond depuis Israël: «La CGT trouvera une réponse extrêmement ferme, nette, de la part du gouvernement.» Toute la journée, les députés légitimistes se consultent et en début de soirée, le chef de l’Etat se fait secouer. D’abord, par son ami dijonnais, François Rebsamen, au cours d’un apéritif organisé avec des maires socialistes à l’Elysée. L’ex-ministre du Travail y va cash: «Avec ta loi tu nous entraînes tous dans le mur.» «Si tu bouges pas tu pourras plus rattraper ton retard», lui prédit un invité au dîner de la majorité juste après. «Il faut une sortie de crise en sifflet», prône un autre. Hollande enregistre et va prendre le digestif avec les élus PS de la région GrandEst. «Il nous a dit qu’il était prêt à des améliorations dans le cadre parlementaire», raconte une convive. Ne rien céder à la CGT, renvoyer tout le débat à début juillet, quand le texte revient à l’Assemblée… et que les Français auront la tête à l’Euro et aux vacances: le scénario de l’exécutif se met en place. Sauf que dans le même temps, le député DR sur-Mer, donnant le signal d’un souvenirs dans notre pays», décrypte gence des luttes» ne se fait pas et que durcissement de la contestation. A un conseiller gouvernemental. Dès la situation dans les stations-service quelques kilomètres de là, la minis- le samedi, sous la houlette d’Auré- est bien moins catastrophique que tre du Travail est en visite de terrain lien Rousseau, directeur de cabinet ne le laissent entrevoir les télévià Marseille. Les membres du gou- adjoint de Manuel Valls, Matignon sions. «Il y avait un trop gros effet de vernement ont des éléments de lan- a mis en place une cellule de crise décalage entre la réalité dans les dégage venus d’en haut et avec les ministères de pôts et ce qui s’en disait», explique ils se résument à un mot: ENQUÊTE l’Energie, des Transports un proche de Hollande. «fermeté». Mais devant et de l’Intérieur pour sui- Sur les ondes matinales, Martinez les journalistes, Myriam El Khomri vre l’évolution de la crise des carbu- prône pourtant la «généralisation de va jusqu’à dénoncer le fait que «des rants. «On n’a pas vu venir le conflit la grève à tous les secteurs», le scénasalariés, des Français soient pris en dans les raffineries», concède a pos- rio catastrophe pour l’exécutif qui otage» par les blocages. Polémique teriori un conseiller de l’exécutif. Au sait que se profilent des négociasur les réseaux sociaux. Dans la voi- sommet de l’Etat pourtant, on est tions délicates à la SNCF, à l’Unédic ture qui la convoie vers les Quar- assez vite convaincu que la «conver- ou avec les intermittents. Valls lui tiers Nord, elle reçoit un coup de fil du Premier ministre alors en voyage en Israël, qui la félicite : «C’est très AURÉLIEN ROUSSEAU LE DÉMINEUR DE MATIGNON bien, Myriam. J’ai vu ta déclaration. C’est exactement ce qu’il fallait dire.» Un rouage de la loi travail l’assure : de cabinet de Manuel Valls, VéroniEn début de soirée, les chefs de la «Aurélien est là par conviction.» Il en que Bédague-Hamilius, qu’il seconde majorité établissent la stratégie avec fallait, en effet, pour devenir directeur aujourd’hui, cet ex-prof d’histoire-géo Hollande, au téléphone. «Pour une adjoint du cabinet du Premier minisdevenu énarque était jusqu’alors spéfois, on s’était tous mis d’accord, on tre en charge des questions sociales cialiste des questions de transports avait fait un confcall, relate un haut à moins de dix-huit mois de la présiet d’urbanisme. Ce qui a permis à cerdirigeant du PS. Hollande avait été dentielle et à l’heure où le chômage tains dirigeants syndicaux de prentrès clair: “la loi ne bouge pas, elle va refuse de reculer et les sondages dre le «petit nouveau» de haut. Parmi passer et j’aurais tenu bon”». de remonter sur fond de procès en les démineurs de la crise, «il est plus dérive libérale. Arrivé en octobre à Matignon, politique que les autres», relate un dirigeant sociaMardi 24 mai Aurélien Rousseau n’a pas connu de période de liste, qui ajoute: «Son point fort, c’est l’analyse des Au réveil, les journaux télévisés difgrâce. Passionné de théâtre et de littérature (il a rapports de forces.» Quand la CGT bloque les raffifusent les images de l’évacuation deux pièces et un roman à son actif), ce quadra au neries et la sortie des journaux, c’est à lui qu’il remusclée de la raffinerie de Fos-surléger accent cévenol le reconnaît a posteriori : vient d’organiser le coup de fil entre Valls et MartiMer. Ce n’est pas la première mais «Dans ma fiche de poste il n’y avait pas la loi tra- nez puis les autres dirigeants syndicaux. Tous ont elle est spectaculaire et place la sevail.» Ni le conflit social le plus long et le plus dur son portable et, selon un collaborateur de Matimaine sous des auspices d’extrême du quinquennat. Venu de la mairie de Paris, sous gnon, ils en font usage «jour et nuit, semaine et fermeté. «Le manque d’essence, ça Delanoë puis Hidalgo, où il a connu la directrice week-end». L.Br. réveille instantanément de mauvais PS de l’Hérault, Sébastien Denaja, enclenche un mouvement chez les «lignards», ces parlementaires progouvernement, en proposant de «réenclencher un nouveau tour de table» avec les partenaires sociaux et en réclamant une «voie de compromis» à l’exécutif. Une brèche s’ouvre dans laquelle ils seront nombreux à s’engouffrer. Au grand dam de Hollande. Mercredi 25 mai En Conseil des ministres, François Hollande assure que «tout sera mis en œuvre pour assurer l’approvisionnement» en carburant d’une manière «déterminée et sereine». Même si les files d’attente s’allongent devant les stations-service, «on est dans un moment paradoxal», décrypte l’entourage de Valls. «La crise est à son maximum symbolique et médiatique alors que nos informations font état d’une situation qui a déjà fini de se dégrader. On ne fait pas les malins mais on pense que le plus gros de la crise est passé», assure-t-il. Mais voilà que le patron des députés socialistes, Bruno Le Roux, laisse entendre qu’une ouverture est possible sur l’article 2, la clé de voûte du texte qui prévoit de faire primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Le Roux se fait moucher par un autre hollandais, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll : on ne touche à rien et surtout pas maintenant. Une autre fidèle du président, la sénatrice Frédérique Espagnac, appelle à faire «évoluer» le texte, accréditant l’idée qu’un petit groupe de proches du chef de l’Etat cherche le point d’atterrissage. «Ils agissent sur le pressentiment que Hollande veut bouger, à la recherche de gestes de réconciliation à gauche», analyse un ministre. Mauvais calcul. La journée se termine avec le blocage des journaux pour le lendemain, sauf ceux qui acceptent de faire paraître une tribune de Suite page 16 16 u FRANCE Libération Mardi 14 Juin 2016 Le 27 mai, à Gonfreville-l’Orcher, devant la raffinerie Total, où des pneus ont été incendiés. PHOTO AFP JACOB CHETRIT FABRICE ANGEI LE CADRE CGT Toujours membre de la direction de la fédération des services publics, Fabrice Angei, 56 ans, est entré au bureau confédéral de la CGT début 2015, à la suite du départ de Thierry Lepaon. Cadre territorial en détachement, l’homme à la voix posée était responsable de service au département du Var. Bombardé sur le dossier de l’emploi, c’est lui qui suit aujourd’hui le projet de loi travail. Un paradoxe pour un fonctionnaire, catégorie non concernée par le projet ? «C’est le ministère du Travail, donc des agents publics qui suivent l’application du code du travail, explique-t-il à Libération. Je ne vois pas en quoi on serait moins compétents.» En accord «à 200% avec Philippe Martinez», celui qui se dit «encarté nulle part» refuse de commenter les accointances avec le Front de gauche qu’on lui prête. «J’ai des idées progressistes, de transformation sociale, celles de la CGT», répond-il. «Ce n’est pas un dur de dur, il est beaucoup plus légitimiste que certains et moins caricatural, moins lutte des classes, que d’autres», note, de son côté, un responsable CGT. L.P. Le 8 juin, dans le XIIe arrondissement de Paris. PHOTO MARC CHAUMEIL Philippe Martinez. Jeudi matin, l’Humanité sera le seul quotidien national dans les kiosques. «Une énorme bêtise», souffle-t-on au ministère du Travail. Dans ce maelström, les bons chiffres du chômage paraissent dans l’indifférence générale. Suite de la page 15 Jeudi 26 mai Nouvelle journée de mobilisation, nouveau raté de communication au sommet. «Ni retrait ni remise en cause de l’article 2. […] Notre but, c’est que les Français ne subissent pas les chantages, qu’ils retrouvent leur quotidien au plus vite», déroule Manuel Valls sur BFM. Quelques minutes plus tard, Michel Sapin assure pourtant qu’il est possible de revoir l’article 2. La confusion est totale. Au séminaire gouvernemental qui suit à Matignon, le Premier ministre s’interroge sur ces sorties à répétition de proches de Hollande: «Ça veut dire quoi ?» La réunion, glaciale, est expédiée en quarantecinq minutes sans déjeuner. Valls passe en revue les blocages puis les revendications des différents syndi- cats. «C’était le coup de menton, rien que le coup de menton. La suite de la stratégie de passage en force», soupire un secrétaire d’Etat. «Avec Valls c’est ça passe et ça casse», abonde un député aubryste. Depuis la semaine précédente, plusieurs proches de la maire de Lille ont proposé à l’exécutif de monter un groupe chargé d’un «go-between parallèle» avec la CGT et Force ouvrière. Son patron, JeanClaude Mailly est un ami d’Aubry. Mais «on n’a jamais eu de réponse», lâche un proche de l’ancienne ministre du Travail. «FO fait les bordures avec les réseaux PS, c’est assez logique, confirme un conseiller élyséen. Mais ce ne sont pas des négociations à un niveau habilité.» En fin de journée, les syndicats décomptent 153000 manifestants, un chiffre en hausse. En marge des cortèges, les violences atteignent leur paroxysme, à Rennes et à Nantes. A Paris, un étudiant tombe dans le coma. Martinez demande à être reçu par Hollande, passant par-dessus la tête du chef du gouvernement. «Ce soir-là, on comprend la nécessité de sortir de cette crise symbolique, se souvient-on à Matignon. Il faut parler, se parler, reparler.» Vendredi 27 mai Depuis le Japon, Hollande tente tant bien que mal de remettre l’exécutif d’aplomb : «Je tiendrai bon, parce que je pense que c’est une bonne réforme et que nous devons aller jusqu’à son adoption.» L’Elysée refuse toute entrevue à Martinez : «On dialogue avec ceux qui cherchent des compromis.» Pas question de lâcher du lest : «Ce n’est pas en étant faibles ou ambigus qu’on calmera les esprits, martèle un conseiller de Hollande. Le Président sait que ce que les Français attendent de lui, c’est de la fermeté.» Face aux casseurs, c’est certain. Sur le fond du texte, c’est moins sûr. Devant les lecteurs du Parisien, Valls tente la ligne «fermeté ne vaut pas surdité» et dans la soirée, son directeur adjoint s’assure que tous les dirigeants syndicaux prendront Valls le lendemain au téléphone. Samedi 28 mai A deux semaines du coup d’envoi de l’Euro, le gouvernement voit rouge: les négociations sur la future convention collective à la SNCF patinent, faisant planer la menace de trains de supporteurs bloqués. Le ministre des Transports, Alain Vidalies, convoque tout le monde. Un «relevé de décisions», portant uniquement sur les points de désaccord, est enfin rédigé, mais il ne va pas dans le sens de la direction de la compagnie ferroviaire, à qui on a «forcé la main», selon Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT cheminots. Au point de nourrir, deux jours plus tard, des rumeurs de démission du président de la SNCF, Libération Mardi 14 Juin 2016 u 17 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe A gauche : Le 27 mai, Philippe Martinez, à Bobigny. A droite : Le 2 juin, François Hollande, à Paris. PHOTOS GONZALO FUENTES. REUTERS ; MARC CHAUMEIL Lundi 30 mai Le dégel s’amorce côté syndicats. La veille, le numéro 1 de la CGT a fait la pub de son dialogue avec Valls –«un bon signe»– même s’il réclame toujours le retrait du texte. Sur RTL ce soir-là, Martinez va un cran (médiatique) plus loin : en débat avec son homologue de la CFDT, Laurent Berger, il parle désormais de retrait de la «colonne vertébrale du projet de loi». «Il fallait faire passer le message que la CGT n’est pas que dans la contestation, mais aussi dans la proposition, tout en réaffirmant que le projet de loi n’est pas bon», concède l’entourage de Martinez. «Il ne voulait pas apparaître avec une image caricaturale. Mais surtout il était obligé de le faire face à un gouvernement aussi inflexible», souffle un responsable de la CGT, étonné de la posture très dure du gouvernement. Rue de Grenelle, la ministre du Travail reçoit des journalistes à déjeuner. Toute en restant prudente sur les violences et l’éventuelle cristallisation des revendications, Myriam El Khomri a retrouvé le sourire. Le projet de loi arrive mercredi au Sénat, qui va «nous faire un beau texte de droite». Un effet repoussoir –un brin surestimé– qui va déciller les yeux de la gauche, espère l’exécutif. Mais au cas où les frondeurs ne tomberaient pas dans le panneau, la ministre en a encore sous le sabot, évoquant deux concessions possibles lors du retour du projet de loi à l’Assemblée, en juillet : sortir les heures supplémentaires du principe de l’inversion de la hiérarchie des normes et accepter un contrôle, a priori, des accords d’entreprise par les branches. Avant cela, la ministre tient bon, au prix d’un lapsus savoureux: «Revoir les mesures du texte une par une, c’est gnon ! Enfin, c’est niet et non.» Alors que l’Elysée et Matignon réfutent tout «grand troc» social pour désamorcer les conflits sectoriels, Matignon dégaine un communiqué sur les intermittents VÉRONIQUE DESCACQ LA VIGIE CFDT Bosseuse et déterminée, la numéro 2 de la CFDT, 54 ans, est de tous les dossiers importants. Dont celui de la loi travail, pour lequel elle représente la confédération dans les négos et intersyndicales. Ancienne directrice d’une agence Banque populaire, elle adhère à la centrale réformiste en 1988, «par admiration pour Edmond Maire», selon les Echos. Légitimiste, elle sera l’une des rares à ne pas accabler François Chérèque, en 2003, lorsqu’il approuvera la réforme des retraites de François Fillon. De- qui annonce que l’Etat allongera une dizaine de millions pour combler les trous de l’accord de branche signé fin avril par les syndicats et employeurs du spectacle. Mercredi 1er juin A la CGT, Martinez réunit ses 32 secrétaires généraux de fédérations. D’habitude, ces rendezvous hebdomadaires se font par téléphone, mais Martinez veut faire le point en personne sur l’état des échanges avec le gouvernement. Son changement de ton de lundi n’a pas plu aux plus radicaux de la base. «On a été un peu surpris et on a appelé la confédération pour être rassurés. Ils nous ont dit que c’était une stratégie de communication», raconte un responsable local. De son côté, la CFE-CGC change de direction lors de son congrès réuni à Lyon et exprime ouvertement ses doutes sur le projet de loi. Un partenaire de moins pour le gouvernement ? «La CGC a toujours été tendue sur le sujet de la réforme, notamment lors de la toute première intersyndicale. Mais entretemps, la CGC a subi des pressions du gouvernement», témoigne un membre de l’intersyndicale. En tout cas pour la CGT, ce durcissement de la CGC contre la loi travail est pain bénit. La preuve que les deux blocs (réformistes et contestataires) mis en avant par le gouvernement n’existent pas. Lundi 6 juin Reprise de contact. Selon l’entourage de Myriam El Khomri, la ministre du Travail et le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, échangent à nouveau. «Ils se sont remis à textoter», assure-t-on rue de Grenelle, précisant que l’envoi de venue deux ans plus tard responsable de la fédération CFDT des banques, elle entre à la direction confédérale en 2009, avant d’être propulsée secrétaire générale adjointe en 2014. Jugée «abrupte», elle défend sans états d’âme l’actuelle version du projet El Khomri. Quitte à être soupçonnée de prendre en otage la question des intermittents, qu’elle gère aussi. «Elle est intransigeante sur ce sujet, Berger lui-même à du mal à la contrôler», estime un proche du dossier. L.P. AFP Guillaume Pepy. A Matignon, Valls enquille les coups de fil avec les leaders syndicaux. Avec Martinez, c’est la première conversation depuis début mars. Elle est «très dure», dixit l’entourage du Premier ministre: le désaccord est total sur le fond. Ils n’évoquent pas la situation de l’Euro, mais la CGT cheminots a déjà laissé entendre qu’elle ne «touchera pas à la compétition». messages se faisait, jusqu’ici, par directeurs de cabinet interposés. «Que dalle !» répond-t-on à Montreuil. Depuis le coup de fil passé par Valls à Martinez, le 28 mai, le gouvernement n’a, selon la CGT, proposé aucune rencontre au numéro 1 de la centrale. Pour celle-ci, la reprise du dialogue n’a lieu que le vendredi 9 juin, date à laquelle est envoyée une invitation pour un rendez-vous El Khomri-Martinez fixé finalement le 17 juin. Mardi 7 juin En ce 80e anniversaire de la signature des accords de Matignon, François Hollande cite l’ex-patron des communistes français, Maurice Thorez: «Il y a un moment où, selon une formule célèbre, il faut savoir arrêter une grève.» Sauf que le chef de l’Etat oublie la moitié de la phrase prononcée en 1936 par le secrétaire général du PCF de l’époque «dès que satisfaction a été obtenue». Ce que, à la CGT comme à la gauche du PS, on ne se prive pas de rappeler à Hollande. Mercredi 8 juin A Paris, une partie du quartier de Bercy est bouclée par les CRS. Une centaine de personnes sont venues manifester contre la loi travail un soir où est organisé, au sous-sol d’un centre de réceptions, un meeting socialiste en soutien au texte El Khomri. A la tribune défilent Jean-Christophe Cambadélis, Stéphane Le Foll, Myriam El Khomri et Manuel Valls. «C’était un signal envoyé à nos militants, comme à la CGT pour dire : “On n’est pas impressionné”.» Valls fait du Valls : «Nous ne serons pas le énième gouvernement qui recule devant une réforme essentielle, déclame-t-il. La démocratie, ce n’est pas la rue ! La démocratie c’est le vote !» Vendredi 10 juin Jour de match. L’Euro de football débute dans une France gênée par les grèves sporadiques dans les transports publics. Soucieux de ne pas voir l’opinion se retourner contre la CGT, Philippe Martinez assure dans le Parisien qu’il n’y a aucune consigne pour que les stades et les matchs soient «perturbés». Accompagne-t-il le reflux de la mobilisation ou sonne-t-il la retraite? A Matignon, on choisit la deuxième option: «Il donne l’instruction de ne pas bloquer. Ça ne coûte pas cher. Il n’y a pas qu’au gouvernement qu’on fait de la com.» Le soir, le leader de FO passe une heure et quart dans le bureau de la ministre du Travail. Une rencontre qui l’emplit d’optimisme, comme il le confiera le lendemain: «Il y a une dizaine de jours, j’avais le sentiment que le gouvernement ne voulait pas bouger. [Là], je l’ai trouvée [la ministre, ndlr] plus attentive», explique Jean-Claude Mailly. Lundi 13 juin La plupart des mouvements de grève se sont éteints. Le dialogue par radios interposées entre gouvernement et CGT se poursuit. Sur France Inter, El Khomri insiste sur «la position de la CGT [qui] a évolué et c’est une bonne chose». Sur Europe 1, Martinez estime que le gouvernement sait ce qu’il faut faire pour «se sortir d’un mouvement d’une très grande ampleur […]. [Myriam El Khomri] a mon numéro de téléphone, je suis disponible avant vendredi». Devant le Sénat, la ministre du Travail assure : «Cette réforme nécessaire, juste et équilibrée, il est encore temps de la faire ensemble.» • MARDI POLITIQUE MARDI Annick POLITIQUE GIRARDIN Annick .JOJTUSFEFMB'PODUJPOQVCMJRVF GIRARDIN .JOJTUSFEFMB'PODUJPOQVCMJRVF En direct à 18h10 sur RFI - Paris 89FM FUFOWJEÃPTVSSåGSGSBODFDPN FUMJCFSBUJPOGS En direct à 18h10 sur RFI - Paris 89FM FUFOWJEÃPTVSSåGSGSBODFDPN FUMJCFSBUJPOGS 18 u EURO 2016 Libération Mardi 14 Juin 2016 Foot En difficulté à la fois sur le terrain ou dans le jeu des questionsréponses face à la presse, l’attachant défenseur central, longtemps amateur à Fréjus, peut compter sur sa force de caractère. Adil Rami Défenseur sans filet Par GRÉGORY SCHNEIDER S cène 1, vendredi soir au Stade de France, une bonne heure après la victoire tricolore (2-1) contre la sélection roumaine: Adil Rami passe en zone mixte, un couloir délimité par des barrières permettant d’échanger entre joueurs et journalistes après les matchs. Le défenseur du FC Séville n’y tient pas: il a l’oreille collée au téléphone –«Allô, maman?»– mais personne n’est dupe et les quolibets tombent: «Ah non, pas le coup du téléphone»; quatre années de pénitence – fin «tu nous prends pour des tanches?»; mai, une apparition devant les ca«attends, tu fais ça à chaque fois…» méras qu’on imagine vite conUn peu surpris, Rami file quand trainte : «Je regardais Suissemême sans demander son reste: le -Albanie à la télé quand vous êtes sapeur à découvert qui atteint sans venu [pas nous, mais le préposé du dommage (sans mot) la futaie. staff qui est venu l’amener devant la Scène 2, le lendemain à presse, mais on voit l’idée, Clairefontaine. Le joueur PROFIL ndlr] me déranger.» Sur le est de service médiatique match face aux Roumains: pour la première fois depuis son ar- «Le sommeil a été difficile à trouver rivée tardive dans le groupe – c’est ensuite. Tu repenses à ce que tu as la blessure du vice-capitane Ra- fait de mal, de bien… Mais retrouver phaël Varane qui lui a permis de re- Clairefontaine dans la nuit qui suit prendre pied chez les Bleus après une rencontre au Stade de France, c’est extraordinaire. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas imaginer.» Il parle du statut d’international, pas du cadre bucolique. «LA PELOUSE» Le reste fut un peu étrange. Même son échauffement avant le match d’ouverture l’avait vu frayer avec la limite: le ballon qui file à 10 mètres sur chaque contrôle ou qu’il n’arrive carrément pas à maîtriser, son partenaire en défense centrale, Laurent Koscielny, qui s’applique alors à lui adresser des transversales de plus en plus faciles pour le mettre en confiance comme on met un gant d’eau fraîche sur le front d’un enfant qui a mal au crâne. Du coup, le plaidoyer pro domo du joueur tombait un peu à plat: «J’ai fait mon taf. J’essaie d’être plus régulier, voilà ce que je pense de moi.» Puis : «Il n’y a pas que la pression du match d’ouverture qui nous a entravés. La pelouse du Stade de France n’est pas à la hauteur de l’engouement des Français pour l’Euro.» Il est le seul à avoir défaussé de la sorte. Il faut donc retenir qu’Adil Rami est Libération Mardi 14 Juin 2016 u 19 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Adil Rami, 30 ans, vendredi face à la Roumanie. PHOTO EXPRESS EURO VLADIMIR PESNYA. Pogba sur le banc contre l’Albanie ? Quatre indices SPUTNIK. AFP Pogba ne s’est pas entraîné dimanche, ce qui ouvre l’hypothèse d’une blessure pouvant éteindre la polémique –«je ne pouvais pas le faire jouer»– inévitable quand un élément aussi important est mis au tas. 1 aucun cas – ça vaut dans le foot comme ailleurs– se comparer avantageusement à ses concurrents au poste, l’attaquant des Bleus AndréPierre Gignac ayant poussé cette règle jusqu’à l’absurde en s’estimant publiquement «moins doué à l’origine» qu’Olivier Giroud alors que tout le monde a compris le contraire depuis longtemps. «J’AI DE QUOI ÊTRE DÉÇU» un homme et un joueur en difficulté. Ce n’est pas circonstancié: ces difficultés sont une manière d’être au monde, elles touchent son rapport aux mots, au ballon et même au sélectionneur. Ecarté dans un premier temps de la liste des vingttrois partants pour l’Euro, il allume sur RMC : «Quand Didier Deschamps [le sélectionneur, ndlr] dit qu’il privilégie le groupe plutôt qu’autre chose, alors il insinue que je ne suis pas un bon garçon ou alors que je suis un voyou. Quand on parle avec de vrais connaisseurs, j’ai de quoi être déçu. C’est Deschamps qui m’a conseillé de signer à Séville [en juillet 2015] pour que je reste sélectionnable.» Le coach tricolore est monté dans les tours quand il a entendu ça, avant de démentir : Deschamps partageant le même agent que Rami, l’accusation du défenseur est gravissime puisqu’il sous-entend qu’un sélectionneur national utilise son pouvoir d’ouvrir ou de fermer la porte des Bleus pour orienter la carrière –et les commissions qui vont avec chaque transfert– d’un joueur. Par ailleurs, Rami a brûlé sur RMC un second feu rouge: si un joueur a le droit de faire part de son malaise quand il est écarté, il ne peut en Rami ne comprend rien au système, du coup, il nous permet de le voir : en cela, c’est un garçon précieux. Un journaliste l’ayant jugé mauvais lors du match de préparation du 30 mai face au Cameroun (3-2) a eu la surprise d’avoir un coup de fil agacé d’un de ses confrères, qui avait interviewé Rami une dizaine de jours plus tôt : cette interview accordée par le joueur valait donc en quelque sorte protection, le fait que Rami ait par-dessus le marché admis sa faillite face au Cameroun donnant une touche bringuebalante, voire sympathique à l’affaire. On se souvient d’un match de Lille, où le défenseur évoluait à l’époque, à Monaco en mai 2011: après la rencontre, le joueur avait bondi sur le premier micro pour désosser ses partenaires, «un comportement honteux», «j’en ai ras-le-bol», etc. Dix minutes plus tard, Adil Rami apparaissait contrit devant la presse: «Je n’ai dit que de la merde.» On ne sait s’il faut retenir l’impulsion initiale irréfléchie ou des rétropédalages qu’on imagine sous influence mais qui lui ressemblent tout autant, sa mine désolée faisant beaucoup pour son charme. Dans l’Equipe, son ex-entraîneur Claude Puel, d’une nature pour le moins réservée, a employé des mots vibrants à son endroit: «Adil a connu des incidents de parcours à Valence [d’où il s’est fait virer après avoir daubé sur l’entraîneur et qualifié ses coéquipiers de flagorneurs, ndlr] ou à Milan mais je trouve que ça correspond à l’homme, qui vit, qui bouge, qui a du mal à avoir une certaine régularité mais qui, à chaque fois qu’il a dû faire face à des difficultés, a su relever le défi. Il fait preuve d’un caractère exceptionnel.» Rami n’a pas eu n’importe quel parcours non plus. Elevé par sa mère avec son frère et ses deux sœurs dans le quartier de l’Agachon à Fréjus (Var), Rami est à la fois joueur de CFA (4e échelon, 2e niveau amateur) à l’Etoile sportive fréjusienne et employé municipal quand le Lille Olympique Sporting Club (Losc) le repère avant de le faire signer à 21 ans. Il lui faudra une saison pour prendre pied dans le monde professionnel, deux de plus pour gagner une réputation d’ambianceur hors pair – ses fiestas lilloises lui vaudront à de multiples reprises le titre officieux de «joueur le plus fou» de Ligue 1 – et encore une année pour être appelé en équipe de France sur les cendres de l’épopée sud-africaine et de la grève du bus. En mai 2011, Rami est sacré champion de France avec le Losc. Trois semaines plus tard, il se pointe à un rassemblement des Bleus –qui jouaient leur tête en Biélorussie – avec une surcharge pondérale importante: un titre se fête, d’accord, mais pendant trois semaines… Rami est alors d’un abord facile et euphorisant : un garçon transparent, s’amusant d’être élu «homme le plus sexy de la Ligue 1» par les lecteurs du magazine Têtu et donnant l’impression d’avoir gagné le gros lot chaque jour qui passe. On en avait conservé une lecture peut-être biaisée puisqu’il faut se garder des généralités, mais peut-être pas: les joueurs pro sortis des rangs amateurs ont des difficultés non pas avec le foot proprement dit –sinon ils seraient restés amateurs– mais avec son environnement. 2 Moussa Sissoko s’est présenté lundi devant la presse, ce joueur étant le remplaçant naturel de Pogba au poste de milieu droit. A 48 heures d’un match, ceux qui passent devant les micros sont rarement remplaçants, cette règle non écrite souffrant bien entendu des exceptions. Sissoko s’est montré plutôt pointu quand il a décortiqué le jeu albanais, et surtout «ce côté gauche grâce auquel les Albanais impulsent la plupart de leurs mouvements». Ce qui tombe bien pour Sissoko, dont le profil est plus défensif que celui de son concurrent au poste de milieu droit des Bleus. 3 La configuration idéale du match des Bleus telle que décrite par ce même Sissoko : «Leur sauter à la gorge, exercer un gros pressing d’entrée». Ce qui favorise l’expression de son style dur et abrasif quand Paul Pogba est infiniment plus artiste, plus fin avec le ballon. Pour Didier Deschamps, le virage est serré. G.S. 4 QUESTION DÉLICATE En gros, il leur faut apprendre en accéléré des à-côtés (diététique, communication, vie sociale au sein d’un vestiaire où coexistent des disparités salariales, par exemple) que ceux qui viennent des centres de formation ont absorbé sur plusieurs années, à tel point que cela est devenu leur culture. D’une certaine façon, Rami sait faire aujourd’hui: sa sœur tient sa communication d’une main de fer, et il a su réapparaître dans les médias à intervalles réguliers durant sa traversée du désert en Bleu pour se rappeler au bon souvenir du sélectionneur. Samedi, on a vu se matérialiser devant nous ce qui, de son point de vue, doit figurer la dernière frontière : seul, il a encore du mal. Rami a cherché tout du long des signes de complicité dans la salle, répondant en espagnol à un confrère étranger ou s’auto-dépréciant pour éviter une question délicate portant sur le rendement des milieux de terrain: «Oh, vous savez, la tactique, ce n’est pas trop mon truc…» Après deux saisons au Milan AC, 29 sélections chez les Bleus et une Ligue Europa remportée en mai avec le FC Séville? A ce stade, en tout cas, les joueurs de ce niveau-là ont appris depuis longtemps à se sortir des questions qui fâchent avec ce petit sourire entendu qui veut dire: «Toi, je t’ai vu venir.» Rami ne mange pas de ce pain-là. Il fait toujours comme il peut. • Le tenant du titre espagnol d’une tête Piqué L’affiche Espagne-République Tchèque, à Toulouse, nous rendait par avance nostalgique. Un jour, dans pas si longtemps, on ne verra plus sur un terrain Cech (34 ans), Rosicky (35) ou le chauve Iniesta (32, à gauche sur la photo). Il faut en profiter un maximum et regarder avec des yeux grands ouverts, comme on déguste le dernier ourson à la guimauve du paquet. Comme à son habitude, l’Espagne a posé le jeu, dominé outrageusement et multiplié les passes. En vain. C’est au moment où on ne sentait plus l’Espagne capable de conclure qu’elle est elle venue nous contredire. Iniesta centre dans la surface, Piqué la pousse de la tête. 1-0 pour les doubles tenants du titre qui peuvent respirer mais que cela a été compliqué contre la plus mauvaise défense, en théorie, des équipes qualifiées (14 buts encaissés en éliminatoires). Q.G. PHOTO A. MEDICHINI. AP COUP D’ENVOI L’Islande fait son entrée en lice L’Islande est le plus petit pays à atteindre la phase finale d’un tournoi majeur de foot. Et dans son cas, c’est le premier de son histoire. Longtemps dévolue au rôle de punching-ball, elle a lancé au début des années 2000 une révolution du foot (constructions de terrains, formation des coachs…), dont elle récolte les fruits aujourd’hui. Une demi-surprise donc, à surveiller ce mardi, face au Portugal. A lire en intégralité sur Libération.fr LES MATCHS DU JOUR mardi 14 juin 18h 21h F Bordeaux AUTRICHE HONGRIE PORTUGAL F St-Etienne ISLANDE BeIn 1 M6 BeIn 1 20 u Libération Mardi 14 Juin 2016 IDÉES/ Les «affaires» devant le Conseil constitutionnel Q uiconque se trouvait le 7 juin aux alentours du Palais-Royal pouvait être témoin d’une scène étonnante. Dans la petite salle d’audience du Conseil constitutionnel, les avocats de deux des figures les plus emblématiques de la «fraude fiscale», Jérôme Cahuzac et Guy Wildenstein, invoquaient devant les neuf «sages», la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et son article 8 pour réclamer l’annulation des poursuites, pénale et fiscale, engagées à l’encontre de leurs clients. Ce même article avait déjà fait mouche en mars 2015 en matière de délit d’initiés mettant à bas l’ensemble du L'ŒIL DE WILLEM Par ANTOINE VAUCHEZ DR La question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’avocat de Jérôme Cahuzac fait apparaître une réalité gênante : cette voie qui devait profiter aux citoyens est devenue le terrain de jeu des avocats d’affaires. procès intenté à plusieurs hauts dirigeants d’Airbus et d’EADS. La seconde manche s’est ouverte mardi et l’on devrait savoir le 24 juin si elle a les mêmes effets explosifs dans le cas des poursuites engagées contre Cahuzac. Mais laissons un instant le fond de cette querelle juridique et considérons plutôt l’étonnant champ de bataille qui se fait ainsi jour. Commençons par le décor, construit à la faveur de la création d’une nouvelle voie de recours, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette disposition phare de la révision constitutionnelle de juillet 2008 a d’emblée été chargée de maintes promesses politiques. En ouvrant le prétoire constitutionnel à la «société civile», le débat sur les «droits et libertés garantis par la Constitution» ne serait ainsi plus réservé aux seuls parlementaires de l’opposition et le Conseil constitutionnel pourrait devenir l’instrument d’une «démocratie continue» rééquilibrant les pouvoirs au profit des citoyens. Une scène aussi prometteuse ne pouvait rester longtemps inoccupée. Bien des éléments indiquent aujourd’hui que, plus que tout autre, ce sont les avocats d’affaires qui ont trouvé là un terrain de jeu au service de leurs stratégies contentieuses. Ils n’avaient jusque-là aucune raison particulière de s’intéresser à la Constitution. Mais les potentialités considérables de cette nouvelle voie de recours les auront rapidement convaincus du contraire. Au regard des procédures judiciaires ordinaires, la QPC est en effet peu coûteuse, très simple et extrêmement rapide (moins de six mois). Et son efficacité peut Directeur de recherche au CNRS. Coauteur du blog «Do you law ?» sur Libé.fr s’avérer redoutable, allant jusqu’à l’annulation pure et simple des poursuites comme dans le cas de l’«affaire EADS» déjà évoquée. Cette dernière affaire, spectaculaire, aura révélé une dimension encore peu connue mais déjà bien établie de la QPC : les «droits et libertés garantis par la Constitution» ont ouvert un nouvel arsenal juridique dans lequel les avocats d’affaires viennent aujourd’hui puiser leurs arguments au service des entreprises dont ils assurent la défense. Ceux-ci ne se sont pas cantonnés à l’invocation des libertés économiques (liberté d’entreprendre, droit de propriété, liberté contractuelle). Ils ont aussi fait un large recours aux principes fondamentaux de la procédure, au principe d’égalité ou aux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour remettre en cause ici le code général des impôts, là le code monétaire et financier, ailleurs encore le code du travail. Et le champ des possibles semble infini puisque c’est toute la législation économique et fiscale qui a en son temps «échappé» au contrôle du Conseil par la voie parlementaire (ou bien qui est antérieure à la Ve République) qui peut désormais se voir contestée. Pourquoi s’en alarmer si c’est ainsi, finalement, «le droit (qui) triomphe !» ? Certains usages ont du reste permis d’ouvrir de nouvelles brèches, comme ces diverses QPC soulevées par la Ligue des droits de l’homme dans le contexte de l’état d’urgence. Mais il se joue là bien plus qu’une simple «victoire du droit». Loin d’avoir emmené le Conseil constitutionnel sur le terrain des «grandes décisions» de principe, les avocats d’affaires ont conduit la QPC sur le terrain d’une bataille «micro-constitutionnelle» aux enjeux juridiques et économiques considérables dans le domaine de la fiscalité, du droit des sociétés, comme du pouvoir des autorités publiques chargées de la régulation économique (ministère de l’Economie, Autorité des marchés financiers, Autorité de la concurrence). Et ce jeu micro-constitutionnel compte aujourd’hui ses repeat players. Directement intéressés par l’orientation générale de la jurisprudence du Conseil en matière de droit économique, les cabinets d’avocats spécialisés en droit fiscal ou en droit public des affaires n’ont pas tardé à inclure cette «spécialité» dans la palette des services «offerts» à leurs clients. Forts d’une expertise constitutionnelle qu’ils étoffent à l’occasion par le recrutement d’anciens membres du Conseil d’Etat, voire du Conseil constitutionnel, ces cabinets sont aujourd’hui en position de suivre des stratégies juridiques au long cours, décryptant les inflexions de la jurisprudence et saisissant les opportunités qu’elle ouvre pour consolider ce «droit constitutionnel des affaires» qu’ils contribuent si activement à faire exister. Alors que l’Etat poursuit sa mue libérale, le débat constitutionnel sur les droits et les libertés devient ainsi un champ de bataille où se joue aussi la définition du rôle des institutions publiques dans le gouvernement des marchés. En questionnant leur place et leurs pouvoirs, «la QPC change peu à peu le rapport de forces entre les entreprises et les personnes publiques», pour reprendre les termes récents d’un membre du Conseil d’Etat. En ce sens, elle est le lieu d’un renforcement, par la voie du droit et des grands cabinets d’avocats, de la capacité politique des grands opérateurs de marché (entreprises, groupes d’intérêts économiques et grands contribuables), eux qui n’avaient pas à ce jour d’accès direct au débat constitutionnel. Née pour garantir l’égal accès «aux droits garantis par la Constitution», la QPC risque de contribuer à inscrire dans le marbre de la jurisprudence constitutionnelle l’inégale capacité politique et sociale à en définir la portée pratique et les contours. • Libération Mardi 14 Juin 2016 u 21 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe RÉ/JOUISSANCES Par LUC LE VAILLANT Missive imaginée d’Ibrahimovic, attaquant suédois, volant au secours d’une CGT accusée de bloquer un pays avide de se laisser transporter par l’Euro. Cher Philippe Martinez, Je suis allongé sur mon lit, reconfiguré pour ma grandeur de haute altitude. Depuis ma chambre du château des Tourelles, à Pornichet, je vois les feux des cargos qui entrent au port de Saint-Nazaire. C’est bien la seule chose qui circule encore dans ton pays de merde. Je rigole ! Tu sais bien que je me suis pris d’affection pour la France, surtout depuis que vous avez fait de moi un héros à chignon. Cette histoire de «pays de merde» est une bêtise dite sur le coup de la colère et reproduite à l’infini par la volubilité des réseaux très spécieux qui s’horrifient d’un rien et orgasment pour une injure de cour d’école, avides de savonner les bouches qui parlent dru et cru. Cela dit, j’ai cru comprendre, mon cher Philippe, qu’avec ta CGT, tu avais réussi à bloquer l’Hexagone. Et que l’Euro de foot qui verra ma dernière apparition sur ces terres d’un exil qui me fut doux et rémunérateur, pouvait serrer le frein à main juste après avoir démarré. Les TGV restent à quai, les TER se perdent dans la pampa et on les retrouve dans la toundra, les pilotes d’avion tombent la chemise, les raffineries ont pris un coup de pompe et les poubelles dégorgent leur bile sur la plus belle avenue du monde, tout juste sauvée de la montée des eaux. Vraiment, chapeau ! Vu le faible taux de syndicalisation des salariés, les bisbilles idéologiques qui torpillent l’unité entre les centrales désertées et la facilité de la gauche à désenchanter son monde, il Rien à foot! Exploitation du tiers-monde, exaltation de passions tristes, machine à décerveler, tout est désolant dans la religion totalitaire du ballon rond. R écemment je me suis rendu à Toulouse où l’hôtel de ville, le Capitole, est un bâtiment d’une grande beauté sur une place elle-même très belle. De grandes banderoles barraient sa façade et exhortaient le public à communier dans la nouvelle religion obligatoire, celle du foot, et donc de l’Euro. Dans la ville, de gros blocs de plastique appelaient à la même vénération. Le foot est omniprésent, obligatoire, c’est la fête qui pioche dans les poches de tous pour distribuer les profits à quelques-uns. Evidemment, Toulouse n’est qu’une illustration particulièrement parlante de la folie du foot. La beauté cède la place à la pub vulgaire et le sport compétitif est notre religion totalitaire vendue par les médias et les pouvoirs en place. Le foot, comme les JO ou les grands raouts sportifs, est une pompe à fric : joueurs surpayés (qui certes n’atteignent pas les sommets des gratifications des rois de la finance), stades qui coûtent la prunelle de nos yeux, souvent dans des partenariats public-privé (PPP) qui ruinent les communes mais enrichissent le privé (Bordeaux, Le Mans), pollution générée par les arrivées massives de supporteurs, violence, nationalisme et vandalisme qui sont mal contenus par des forces policières qui elles-mêmes pèsent fort lourd dans les budgets publics. L’Euro de foot ne déroge pas à la règle du sport de compétition. Il crée son lot de pollution supplémentaire, des encombrements titanesques dans des villes comme Paris déjà surpolluées et encombrées en temps ordinaire. Il sert de drogue douce pour endormir tous ceux qui veulent penser ou manifester. L’Euro par ci, l’Euro par là et les ondes sont pleines de l’excitation artificielle alimentée par des associations notoirement corrompues comme la Fifa. Toutes les grandes organisations sportives sont corrompues et vivent de l’argent des gens ordinaires, le CIO, par exemple. Tout, dans le monde du foot professionnel, est désolant : exploitation du tiersmonde pour les équipements vendus ici, sommes dépensées en pub qui évidemment ne bénéficient qu’à une toute petite minorité, exaltation des passions tristes du chauvinisme et du nationalisme, machine à décerveler qui réduit les auditeurs ou spectateurs, mêmes involontaires, au plus petit commun dénominateur. La col- riste à la Daech. Pourquoi pas de «barbu» à grosse moustache tant qu’on y est? Pour le Medef et pour Valls, pour les éditorialistes libéraux comme pour Hollande, pour la CFDT comme pour El Khomri, tu représentes désormais le preneur d’otage diabolique d’une France angélique, l’archaïque qui sent le pneu brûlé, le saboteur de festivités mises en musique par David Guetta, excusez du peu. J’ai dit que, si je le voulais, je pouvais rendre Hollande populaire, mais que je n’étais pas sûr de le vouloir (2). A l’Elysée, ça les a énervés. Tu sais comme je suis, je ne manque pas d’air. J’ai l’arrogance flambleuse et la mégalo heureuse. Mais, pour toi, je vais faire un effort. Voilà ce que je te propose. Le temps que ta CGT obtienne gain de cause, je vais faire baisser la grogne de la société du spectacle sportif qui réclame sa dose. On va organiser un match de malfaisance dont les recettes n’iront à personne car l’entrée y sera gratuite. Les joueurs convoqués et téléportés depuis les abysses où ils croupissent seront tous les révoqués de cet Euro 2016. Il y aura Benzema, Valbuena et surtout Ben Arfa, coquelets sanctionnés ou lectivité paie pour l’enrichissement de petits capricieux, les joueurs professionnels, dont on suit toutes les déclarations plus ou moins débiles, mais aussi celui de leurs clubs, des médias qui attendent la manne de la pub. Les pubards entubent les jobards. Le foot nous fait les poches avec notre assentiment et soudain la compétition est présentée comme la fête, la fête obligatoire qui abolit le clivage droite-gauche, la fête qui fait oublier les inégalités criantes, la fête qui n’a plus rien à voir avec la protection de l’environnement dont on nous dit pourtant qu’il est au centre des préoccupations des édiles. La fête faussement laïque qui est la nouvelle croyance d’Etat. Le foot est populaire, nous dit-on, comme la boxe ou la corrida, dont la violence destructrice n’est plus à prouver. Peut-être, bien que l’on ait jamais voté en connaissance de cause sur l’organisation de grandes compétitions dispendieuses. Il n’est pas sûr que sa popularité soit très grande chez les femmes ou dans certains milieux. Cependant, même populaire, il reste totalitaire au sens où la folle fête du foot est incontournable pour nos têtes et nos portefeuilles. Il ne suffit pas de ne pas regarder les matchs, de se moquer de qui gagne, d’ignorer les bisbilles ou bêtises des Bleus, des rouges, des oranges ou des blancs. L’information est polluée par le foot, l’argent coule à flots là où il n’est pas indispensable au détriment des lieux qui en ont besoin de façon cruciale. Tout l’argent gâché des stades en PPP, tout l’argent gâché en présence policière, tout l’argent gâché brimés. Il y aura Platini, président déchu, et Zidane, entraîneur comblé, qui auront enfin l’occasion de régler leur querelle de préséance entre meneurs de jeu des temps anciens. Je ferai aussi venir Cantona qui m’expliquera comment faire à Manchester United où je vais bientôt lui succéder pour éviter de régler les conflits façon kung-fu. A ces notabilités abîmées s’adjoindront la jeunesse locale, les surfeurs et skateurs, les baigneurs et les longe-côteurs. Et aussi toutes les filles qui voudront. Le foot sera mixte ou ne sera pas. Ça se jouera pieds nus et avec goal volant. C’est moi qui constituerai les équipes et les déferai à ma guise. Hollande portera le numéro 7 comme quand il jouait ailier droit chez les Diables rouges du FC Rouen. Pour toi, ex-entraîneurjoueur à Garches, j’ai pensé au numéro 17, histoire de faire bisquer les anticommunistes. J’espère que ça t’ira. Bien à toi. Ton Zlatan. P.-S. : ci-joint, un (joli) chèque de cotisation qui devrait me valoir le titre de secrétaire général d’honneur de ta CGT. • (1) et (2) Le Monde du 8 juin. en consommation accrue d’essence, tout cela affecte tout le monde. La folie du foot, comme celle des autres sports de compétition, participe aussi à la mise en condition idéologique prédisposant à l’acceptation de l’inégalité. Qu’un joueur vedette, bête et capricieux en diable, joue à Paris et gagne des sommes folles n’est pas jugé scandaleux dans une ville où les SDF sont légion. Le sport est une fête, on oublie tout. Où est la taxe sur les cachets des sportifs, sur les revenus accrus de la pub, la taxe qui pourrait redistribuer un peu la manne du sport ? Les supporteurs violents et racistes des clubs de foot mettent en évidence que le sport est une forme de guerre. Les partisans du foot qui vénèrent les stars se font les chantres de l’inégalité que par ailleurs ils désapprouvent. La folie partisane qui nous coûte les yeux de la tête est aussi un délire chauvin et réactionnaire. Le seul bleu que j’ai envie de voir est celui du ciel (assez rare depuis le début du printemps) et si «nos» footballeurs perdent, je n’en ai rien à foot. Je réclame la séparation du foot et de l’Etat et une vraie laïcité étendue au sport de compétition. • Par PIERRE GUERLAIN DR «Ma chère CGT, moi, Zlatan, je te soutiens» faut être de première force pour zlataner un événement sportif conçu comme une eucharistie profane d’après attentats religieux, comme une fumerie d’opium à ciel ouvert pour peuple en manque et comme la relégitimation d’un pouvoir hagard qui ne pourra dire que ça va mieux que si Griezmann et Pogba en plantent deux. Ne crois pas que je me moque ! Audelà de ton sens tactique que je salue et qui consiste à serrer le kiki à l’adversaire au moment où il voudrait arranger les choses en douce pour aller faire le beau devant l’Europe ébaubie, je comprends le sens de ton action. Les acquis sociaux, c’est pas du mou de veau. Je gagne gros mais je paie moi-même mes impôts (1). Je ne sais pas si, à cause de mes origines, me remonte la nostalgie du modèle suédois assez démantibulé ou de l’autogestion yougoslave à la Tito tout à fait démembrée, mais cela me plaît que tu t’opposes aux donneurs d’ordre et que tu leur foutes la honte. J’aime quand ça sent le gnon et la baston et que la battle fait rage. On verra bien si ça se serre la main à la fin. A mesure que tu fais l’unité contre toi, je te trouve de plus en plus sympathique. Te voilà traité de terro- Américaniste 22 u Libération Mardi 14 Juin 2016 Construction de logements de colons en Cisjordanie. PHOTO BAZ RATNER . REUTERS Les colonies israéliennes, obstacle à la paix L’Etat hébreu doit admettre le droit international et reconnaître que les territoires conquis par la force doivent être rendus. Cela reste un préalable aux discussions pour trouver une solution au conflit. L a Conférence de Paris, une première étape vers la relance de la négociation sur le conflit israélo-palestinien ? Beaucoup dépendra de la capacité du nouveau processus à préparer et à encadrer la deuxième étape, à laquelle devraient participer les Palestiniens et les Israéliens, s’ils reviennent sur leur refus. L’expérience le montre : pour l’initiative française, nombreux sont les risques d’échec. Le premier réside dans le renvoi à plus tard du débat sur les dossiers de fond qui conditionnent la naissance d’un Etat palestinien : les frontières, la capitale, les colonies, les réfugiés et les richesses naturelles. Le deuxième serait de ne pas fonder ce débat sur le droit international tel que le définissent les résolutions des Nations unies. Le troisième découlerait de l’absence d’un organisme de contrôle – et, le cas échéant, de sanction – de l’application des accords éventuels. La question, centrale, de la colonisation éclaire cette problématique. Comment ne pas tirer les leçons de l’«oubli» des négociateurs de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui n’exigèrent pas l’inclusion dans la «déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d’“autogouvernement”», de septembre 1993, d’une clause interdisant tout développement des implantations israéliennes dans les Territoires occupés ? Depuis, en vingt-trois ans, le nombre de colons juifs est passé de 120 000 à 450 000 en Cisjordanie et de 160 000 à 200 000 à Jérusalem-Est. La construction par Israël en Cisjordanie d’un mur et d’une barrière de près de 700 km qui annexent de fait au territoire israélien les principaux «blocs» de colonisation, c’est-à-dire la majeure partie de la population israélienne des Territoires palestiniens occupés, aggrave les effets délétères de la colonisation. Car elle impose sur le terrain une frontière arbitrairement tracée. Et ce fait accompli topographique déchire le tissu économique, social, culturel de la société palestinienne et mine toute possibilité de négociation… Or, le droit international considère la colonisation comme illégale. Avec sa résolution 242, le Conseil de sécurité de l’ONU a défini, le 22 novembre 1967, plusieurs principes pour un règlement pacifique du conflit, à commencer par le retrait israélien des territoires arabes occupés pendant la guerre des Six Jours. Et, dans ce texte fondamental, l’affirmation du caractère inadmissible de l’acquisition de territoires par la force l’emporte sur l’ambiguïté, bien connue, entre les versions française et anglaise sur le retrait «des» ou «de» territoires occupés… Israël a d’ailleurs, à plusieurs reprises dans le passé, officiellement reconnu l’application des normes du droit international dans les territoires qu’elle occupe. Quant à la Cour suprême d’Israël, si elle n’a pas pris position sur l’applicabilité de la IVe Convention de Genève de 1949, elle l’a régulièrement invoquée considérant donc qu’il s’agit bien de territoires occupés, avec tout ce que cela implique. Nombreuses sont les résolutions du Conseil de sécurité statuant dans le même sens, notamment la résolution 446 du 22 mars 1979 concernant la Cisjordanie et la résolution 1860 du 8 janvier 2009 concernant la bande de Gaza, toujours considérée comme territoire occupé malgré le retrait israélien de 2005. Concernant Jérusalem, il faut rappeler que le plan de partage de l’ONU du 29 novembre 1947 faisait de la ville et de ses environs un «corpus separatum sous régime international spécial». C’est donc logiquement que le Conseil de sécurité a condamné les décisions unilatérales successives de la Knesset: en 1953 celle faisant de Jérusalem la capitale du jeune Etat; en juillet 1967, le vote déclarant la ville «réunifiée capitale éternelle d’Israël»; en 1980, la loi fondamentale proclamant «Jérusalem entière et réunifiée […] capitale de l’Etat d’Israël» (1). La meilleure preuve de l’unanimité de la communauté internationale sur cette question: Jérusalem n’accueille plus aucune ambassade, elles se trouvent toutes à Tel-Aviv… Autre organisme international important : la Cour internationale de justice de La Haye. Appelée en 2004 à statuer sur la construction du mur, elle qualifie, dans son avis, la Cisjordanie et Jérusalem-Est de «territoire occupé» sur lequel le mur empiète illégalement. Il faut citer aussi la Cour de justice de l’Union européenne qui, le 25 février 2010, dans l’affaire Brita, affirme que l’accord d’association avec Israël est inapplicable aux produits provenant des territoires occupés palestiniens. Enfin, la Commission européenne, dans un «avis interprétatif» sur l’origine des produits en provenance des Territoires occupés en date du 11 novembre 2015, confirme l’exigence contenue dans ses «lignes directrices» en vigueur depuis janvier 2014 : les produits des colonies doivent faire l’objet Par JEANPAUL CHAGNOLLAUD, RENÉ BACKMANN, GÉRAUD DE LA PRADELLE et DOMINIQUE VIDAL d’un étiquetage spécifique avec indication d’origine. Dès lors que la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza constituent des territoires occupés, la IVe Convention de Genève et notamment son article 49 s’appliquent : ils interdisent notamment toute implantation par la puissance occupante de ses ressortissants. Quant au statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), il qualifie même cette démarche de «crime de guerre» dans son article 8-2-a – applicable puisque l’Etat de Palestine est membre de la CPI depuis le 1er avril 2015 et peut déposer plainte pour des faits remontant jusqu’au 13 juin 2014. Dans ces conditions, toute installation de colons est un crime de guerre relevant non seulement de la compétence de la CPI, mais encore de celle de tribunaux nationaux, la compétence de la CPI n’étant que subsidiaire. Un dernier point souligne le caractère central de la question de la colonisation : c’est l’évolution de la composition du gouvernement israélien. On a noté, à juste titre, que celui-ci avait connu une nette radicalisation. Les coalitions entre la droite et le centre ont cédé la place à des équipes unissant la droite et l’extrême droite. Mais ce déplacement du centre de gravité de l’exécutif, particulièrement sensible depuis les élections législatives du 17 mars 2015 et plus encore récemment avec la nomination d’Avigdor Lieberman comme ministre de la Défense, signifie aussi que les colons sont plus que jamais au pouvoir en Israël. L’actuel gouvernement est leur gouvernement. Si elle veut agir efficacement, la communauté internationale doit en tenir le plus grand compte. • (1) Voir notamment les résolutions 252 Membres du bureau de l’iReMMO (Institut de Recherche et d’études Méditerranée / Moyen-Orient). du 21 mai 1967 ; 476 du 30 juin 1980 ; 478 du 20 août 1980. IDÉES/ ÉCONOMIQUES Par PIERREYVES GEOFFARD Professeur à l’Ecole d’économie de Paris, directeur d’études à l’EHESS Prévenir pour abolir les inégalités de santé Plus que le revenu, c’est le type de médecine pratiquée qui maintient en bonne santé le plus grand nombre. L es comparaisons internationales montrent clairement que les pays les plus riches sont aussi ceux où les indicateurs de santé sont les meilleurs: l’espérance de vie à la naissance est ainsi de 83 ans au Japon, contre seulement 57 ans en Afrique du Sud. Qui plus est, ce «gradient social» est également présent au sein de chaque pays: les inégalités se cumulent, puisque les individus bénéficiant d’un meilleur statut socio-économique sont également plus fréquemment en bonne santé que les autres. Ces inégalités sociales de santé sont plus fortes dans certains pays que dans d’autres. Les comparaisons internationales restent délicates puisque les indicateurs de santé comme les mesures de niveau socioéconomique diffèrent d’un pays à l’autre. Toutefois, selon les études et les indicateurs retenus, la France se situe au mieux dans la moyenne des pays européens, au pire parmi les pays les plus inégalitaires, ceux où la différence de niveau de santé entre les plus pauvres et les plus riches est la plus nette. On retrouve ainsi, semble-t-il, un phénomène également avéré en ce qui concerne les inégalités vis-à-vis de l’éducation, mesurées dans les enquêtes Pisa: certes, les inégalités de revenu peuvent être plus faibles en France que dans d’autres pays, mais elles sont associées à de très fortes différences de résultats scolaires. Les raisons de ces inégalités de santé sont mal connues. En ce qui concerne le lien entre revenu et santé, l’hypothèse longtemps dominante a fait peser la culpabilité sur l’accès aux soins, mieux garanti pour les plus riches lorsque ces derniers sont payants. Mais l’analyse d’une cohorte de fonctionnaires anglais a révélé dans les années 80 que de très fortes inégalités de santé persistaient entre les catégories supérieures et subalternes, alors même que tous bénéficiaient du même accès gratuit au système national de santé britannique. En revanche, d’autres facteurs comme la qualité du logement, de l’environnement ou de l’alimentation améliorent la santé des mieux lotis. Une autre explication propose une causalité inverse: ce n’est pas tant le revenu qui améliore la santé, mais l’inverse. Ainsi, être en meilleure santé confère une meilleure productivité, une capacité accrue à travailler, et, en définitive, un revenu plus élevé du travail. L’analyse se complique, mais s’affine aussi, lorsque les données statistiques permettent de prendre en compte d’autres éléments du statut socio-économique, notamment le niveau d’éducation. Celui-ci constituerait un facteur commun, un diplôme plus élevé garantissant à la fois un meilleur revenu et une santé plus favorable. Une fois pris en compte le niveau d’éducation, le lien observé entre revenu et santé s’estompe en grande partie. Mais cette explication soulève à son tour de nombreuses questions : pourquoi un meilleur niveau éducatif est-il bénéfique à la santé? Là encore, de Selon les études et les indicateurs retenus, la France se situe au mieux dans la moyenne des pays européens, au pire parmi les pays les plus inégalitaires. u 23 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe nombreuses hypothèses, souvent plausibles et pas contradictoires: les comportements favorables à la santé, comme une activité physique régulière, une alimentation saine, une moindre consommation de tabac et d’alcool, seraient encouragés par un niveau d’éducation plus élevé. Plusieurs analyses se focalisent sur le gradient de santé chez les enfants. Là encore, les comparaisons internationales sont délicates mais montrent de faibles performances françaises. Les travaux que j’ai conduits avec Bénédicte Apouey indiquent qu’au Royaume-Uni, les conditions socio-économiques des parents n’affectent pas la santé de l’enfant à la naissance; et si elles produisent des effets sur ceux âgés de 2 à 3 ans, ces effets restent modérés et ne s’accroissent pas avec l’âge de l’enfant. Dans le cas de la France, en revanche, le gradient de santé semble déjà présent à la naissance et se creuse tout au long de l’enfance. On sait que le système national de santé britannique est caractérisé par un accent mis sur la prévention, allouant des moyens plus importants aux cabinets médicaux situés dans les territoires les plus défavorisés, incitant les professionnels à y renforcer l’éducation thérapeutique, rémunérant le suivi des patients atteints de maladies chroniques. On sait aussi qu’en France, le paiement des médecins à l’acte pénalise ceux qui s’engagent dans de telles démarches préventives car elles prennent souvent plus de temps, notamment lorsqu’elles s’adressent à des personnes désavantagées. Tout indique qu’une telle organisation des soins primaires, outre ses inefficacités amplement démontrées, prive également les politiques de santé d’instruments puissants de lutte contre les inégalités de santé. Cette lutte doit pourtant figurer au premier rang des objectifs de santé; mais qui aura le courage d’engager de telles réformes radicales ? • Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard. Mettre au pas Grévistes, amateurs de foot, collégiens, étudiants, manifestants encapuchonnés : tout le monde doit se tenir à carreau. Ne pas voir une seule tête dépasser au nom de l’ordre libéral ? D e mes années d’étudiant, je n’ai vraiment retenu qu’une chose importante : un fait ne signifie rien en lui-même. Seuls plusieurs faits mis en convergence permettent de tirer une conclusion. Les collégiens et leurs parents bastonnés par les flics devant un collège de Saint-Malo ne protestaient pas contre la loi travail mais seulement contre la fermeture programmée de l’établissement. Au même moment, à Rennes, des journalistes – donc, des témoins – étaient eux aussi cognés par d’autres flics lors d’une manif contre cette même loi travail. Pourquoi ces violences ? Parce qu’il faut mettre au pas toute forme de contestation. En fait, il s’agit d’un puzzle protéiforme n’ayant qu’un but : imposer le libéralisme débridé dont l’épanouissement nécessite un périmètre «normalisé». Pour ça, il faut mettre le pays au pas, faire taire toute contestation. Aucun mal à imposer ce libéralisme en Asie ou en Russie puisque la population déjà mise au pas par un Etat militaro-policier espérait en tirer des avantages. Ces mêmes systèmes politiques demeurés en place (ou habillés de nouveaux oripeaux) se contentent aujourd’hui de contenir les contestations tout en se gavant d’une corruption à caractère mafieux (ce qui ne choque pas grand monde, la corruption appartenant à ces pays depuis des siècles). Ici, la population ne voit au contraire que des désavantages à un libéralisme dont elle constate les dégâts. D’où la nécessité de la mettre au pas. De multiples façons. Que ce soit par la répression policière des manifestations, le climat militaire de l’état d’urgence mais aussi d’innombrables signaux afin d’obtenir la soumission. D’où, pêle-mêle, les saillies morgueuses de Macron, les coups de menton de Valls mais aussi la nouvelle loi sur l’usage des armes à feu par la police et la gendarmerie, et, surtout ces messages médiatiques induisant la peur. Premier message transmis directement par le pouvoir : avec la droite, ce sera pire. Et ensuite, en vrac, peur de la pénurie d’essence, des grèves, des inondations – le ciel qui nous tombe sur la tête –, de Cantona, de Benzema, de la CGT, du moustique tigre et surtout des attentats pendant l’Euro (sujet plus débattu que «les Bleus peuvent-ils gagner la compétition ?») ou le Tour de France. Samedi matin, sur France Inter, frère Bauer, criminologue en peau de lapin, vigile en chef du clan Valls, en agitait le spectre, telle une crécelle de lépreux. Tout le monde doit avoir peur, tout le monde doit se tenir à carreau, collégiens, parents d’élèves, étudiants, grévistes, amateurs de foot ou de vélo, manifestants porteurs de tee-shirt ou encapuchonnés. Ne voir qu’une tête et pas une oreille qui bouge, c’est à ce prix chinois que Macron (comme Hervé Novelli, il y a quelques années) espère l’émergence une poignée de jeunes milliardaires. Mais pourquoi des ministres qui se détestent mutuellement et qui dans moins d’un an passeront à la broyeuse des élections tiennent-ils donc à imposer par la force et la soumission des esprits une loi scélérate qui n’aura pas même le temps de produire un effet sur l’emploi ? Elle constitue leur acte d’allégeance personnel au libéralisme et au patronat. Jetés des ministères, ils mettront alors leur carnet d’adresses à la disposition du privé. Ils pourront même expliquer aux responsables des ressources humaines comment niquer la loi. Quelques-uns, redevenus députés ou sénateurs, prolongeront leur carrière de perroquet histrionique, façon de faire écho devant les caméras au pire promis par la droite. Accessoirement, ils représenteront au parlement les lobbys pour lesquels travailleront leurs ex-collègues. En attendant, il faut que ça file doux. Des carottes pour les profs et les intermittents. Du bâton pour la rue. Quitte à cogner des gosses. Ou estropier un journaliste à coups de grenade. Après tout, la mort de Rémy Fraisse n’a pas entraîné une déferlante d’indignation et le gendarme auteur du tir ne sera pas jugé. Emmanuel Todd parle de «fascisme rose». François Ruffin de «socialisme en phase terminale». On peut aussi reprendre le «Moulag», mot inventé par Bernard Chapuis, rockeur lettré. • MICHEL EMBARECK Par DR Libération Mardi 14 Juin 2016 Ecrivain Document Jun 2016 - 1413:39:25 Mardi Juin 2016 24 u: LIB_16_06_14_PA.pdf;Date : 13.Libération Répertoire repertoire-libe @teamedia.fr 01 40 50 51 66 DÉmÉnageUrs "DÉMÉNAGEMENT URGENT" MICHEL TRANSPORT Devis gratuit. Prix très intéressant. 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Annonces légales [email protected] 01 40 10 51 51 Libération est officiellement habilité pour l’année 2016 pour la publication des annonces légales et judiciaires par arrêté de chaque préfet concerné dans les départements : 75 (5,50 €) - 91 (5,24 €) 92 (5,50 €) - 93 (5,50 €) - 94 (5,50 €) tarifs HT à la ligne définis par l’arrêté du ministère de la Culture et la Communication de décembre 2015. 75 parIs Direction de l’Urbanisme Service de l’Action Foncière Département de la Topographie et de la Documentation Foncière RAPPEL - AVIS D’ENQUÊTE PUBLIQUE Projet de déclassement du domaine public routier communal d’une emprise située rue du Professeur Hyacinthe Vincent et d’une emprise située à l’intersection des avenues Paul Appell et de la Porte d’Orléans à Paris 14ème. Par arrêté du 20 avril 2016, Madame la Maire de Paris ouvre une enquête publique à la Mairie du 14ème arrondissement du lundi 13 juin 2016 au lundi 27 juin 2016 inclus sur le projet de déclassement du domaine public routier communal d’une emprise située rue du Professeur Hyacinthe Vincent et d’une emprise située à l’intersection des avenues Paul Appell et de la Porte d’Orléans à Paris 14ème. Monsieur Daniel TOURNETTE a été désigné en qualité de commissaire enquêteur. Le dossier d’enquête, déposé à la Mairie du 14ème arrondissement, sera mis à la disposition du public qui pourra en prendre connaissance et y consigner éventuellement ses observations sur le registre d'enquête : - les lundis, mardis, mercredis, vendredis de 8 h 30 à 17 h, - les jeudis de 8 h 30 à 19 h 30, (bureaux fermés les samedis, dimanches et jours fériés). Afin d'informer et de recevoir les observations du public, le commissaire enquêteur assurera les permanences à la Mairie du 14ème arrondissement les jours et heures suivants : le lundi 13 juin 2016 de 10 heures à 12 heures, le jeudi 23 juin 2016 de 17 heures à 19 heures, le lundi 27 juin 2016 de 15 heures à 17 heures. Les observations pourront également être adressées par écrit et pendant toute la durée de l'enquête au commissaire enquêteur. Elles seront annexées au registre d'enquête. EP 16-092 [email protected] ABONNEZ VOUS Offre intégrale 33€ 8IZUWQ[(1)[WQ\XT][LMLM ZuL]K\QWVXIZZIXXWZ\I]XZQ` LM^MV\MMVSQW[Y]M Estimation gratuite EXPERT MEMBRE DE LA CECOA [email protected] 06 07 03 23 16 Entre-nous entrenous-libe@ teamedia.fr 01 40 10 51 66 messages personnels 7ЄZMoL]ZuMTQJZM[IV[MVOIOMUMV\ NOUVEAU ABONNEZ-VOUS À LIBÉRATION ²LuKW]XMZM\ZMV^WaMZ[W][MV^MTWXXMIЄZIVKPQMo4QJuZI\QWV [MZ^QKMIJWVVMUMV\Z]MLM+Pp\MI]L]V!8IZQ[7ЄZMZu[MZ^uMI]`XIZ\QK]TQMZ[ Votre journal Oui AUTLIB16 , je m’abonne à l’offre intégrale Libération. Mon abonnement intégral comprend la livraison chaque jour de Libération et chaque samedi de Libération week-end par portage(1) + l’accès aux services numériques payants de liberation.fr et au journal complet sur iPhone et iPad. 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Documentaire. 22h50. Le vilain. Film. 20h55. Freaky friday - dans la peau de ma mère. Comédie. Avec : Jamie Lee Curtis, Lindsay Lohan. 22h50. L’amour sans préavis. Film. FRANCE 5 FRANCE 2 20h55. Aventures de médecine. Documentaire. Les premiers pas de la pédiatrie. 22h50. Infrarouge. Documentaire. Ils sont médecins au Samu 1 & 2/2. FRANCE 3 20h55. Brokenwood. Téléfilm. Les fantômes de la ligne de touche. Du sang et de l’eau. 23h55. Grand Soir 3. 0h30. Couleurs outremers. Documentaire. CANAL + 20h55. Jurassic world. Aventures. Avec : Chris Pratt, Bryce Dallas Howard. 23h00. San Andreas. Film d'action. Avec : Dwayne Johnson, Alexandra Daddario. 20h50. Sur les toits de New York. Documentaire. 21h55. Venise, récit d’un naufrage annoncé. Documentaire. PARIS PREMIÈRE 20h45. Coluche fait son cinéma. Documentaire. 21h55. Coluche, la France a besoin de toi. Documentaire. HD1 TMC 20h55. New York Section Criminelle. Série. De fil en aiguille. Dommages et intérêts. Question de vie ou de mort. 23h35. 90’ Enquêtes. M6 21h00. Pretty woman. Comédie. Avec : Julia Roberts, Richard Gere. 23h15. Nouveau look pour une nouvelle vie. Documentaire. Annick et Bruno. CHÉRIE 25 20h55. Jeux interdits. Drame. Avec : Brigitte Fossey, Georges Poujouly. 22h30. Éternellement femmes. Documentaire. NUMÉRO 23 20h50. Il faut marier maman. Téléfilm. Avec : Michèle Bernier, Morgane Cabot. 22h40. Non élucidé. Magazine. D8 LCP 21h00. Dr. Foster. Série. Épisode 1. Avec : Suranne Jones, Tom Taylor. 22h05. Dr. Foster. Série. 20h30. 36 : mes premières vacances. Documentaire. 21h30. Débat. 22h00. On va plus loin. Magazine. MARDI 14 MERCREDI 15 0,6 m/13º Caen Paris Strasbourg Brest Paris Dijon IP 1,5 m/16º 1,5 m/16º Lyon Lyon Bordeaux Bordeaux Toulouse Dijon Nantes 0,6 m/19º Nice Montpellier Toulouse Marseille Nice Montpellier Directeur de la publication et de la rédaction Laurent Joffrin Directeur en charge des Editions Johan Hufnagel Directeurs adjoints de la rédaction Stéphanie Aubert David Carzon Alexandra Schwartzbrod Marseille ◗ SUDOKU 3067 MOYEN 6 1/5° 6/10° 11/15° 0,3 m/17º 16/20° 21/25° 26/30° 31/35° 36/40° Éclaircies Peu agitée Nuageux Calme Fort Pluie Modéré Couvert Orage Pluie/neige 8 9 8 4 Lille Caen Brest Nantes Paris Nice Strasbourg MIN MAX 11 10 12 14 13 18 12 17 18 18 18 19 24 19 FRANCE 1 Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille MAX 11 13 15 18 13 15 17 18 23 20 25 21 25 26 6 1 7 6 1 3 7 9 2 1 3 7 6 4 5 1 5 8 6 2 7 3 9 4 1 3 5 6 9 4 2 7 8 6 2 3 9 1 4 5 7 8 4 6 7 2 8 5 9 1 3 4 9 7 8 3 5 1 2 6 2 7 3 5 4 1 8 9 6 3 4 9 5 8 1 2 6 7 9 4 6 7 2 8 5 3 1 2 1 6 7 4 9 8 3 5 5 8 1 9 6 3 4 2 7 7 8 5 2 6 3 9 4 1 3 1 9 8 5 2 7 6 4 9 6 1 4 5 2 7 8 3 7 2 8 4 1 6 3 5 9 5 7 4 3 9 8 6 1 2 6 5 4 3 7 9 1 8 2 8 3 2 1 7 6 4 5 9 4 II III IV IMPRESSION Midi Print (Gallargues) POP (La Courneuve) Nancy Print (Jarville) CILA (Nantes) VIII V VI IX X XI 4 SUDOKU 3066 DIFFICILE 8 I 8 5 8 7 8 5 2 Solutions des grilles d’hier ON S’EN GRILLE UNE? Petites annonces. Carnet Team Media 25, avenue Michelet 93405 Saint-Ouen cedex tél.: 01 40 10 53 04 [email protected] 4 6 2 2 8 9 2 3 7 8 9 9 SUDOKU 3066 MOYEN 5 6 7 8 9 Par GAËTAN GORON HORIZONTALEMENT I. Il permet de passer de l’éveil au sommeil II. Sur la glace, on le voit double ou triple ; Quatre voyelles à l’écoute III. Un peu de repos ; Ils sont cassés importunément IV. Ils sont verts dans la légion étrangère ; Modèle réduit V. Sans prévision VI. Peau de vache ; Convient VII. Dépêches ; Celui qui y est peut peut-être écrire la réponse VIII. Agent de liaison ; Dans un langage plus châtié, Tartuffe s’offusque de sa vision IX. Plat provençal ; De l’eau sur terre X. Vieille monnaie iranienne ; De la terre sur l’eau XI. Malades Grille n°320 Neige Faible MIN 9 5 3 1 5 2 6 3 6 2 2 1 1 5 6 7 5 6 Directeur administratif et financier Grégoire de Vaissière Directrice Marketing et Développement Valérie Bruschini Service commercial [email protected] 15 FRANCE 5 1 2 1 4 6 Rédacteurs en chef adjoints Michel Becquembois (édition), Grégoire Biseau (France), Lionel Charrier (photo), Cécile Daumas (idées), Matthieu Ecoiffier (web), Jean-Christophe Féraud (futurs), Elisabeth Franck-Dumas (culture), Didier Péron (culture), Sibylle Vincendon et Fabrice Drouzy (spéciaux). Imprimé en France Soleil ◗ SUDOKU 3067 DIFFICILE 5 9 VII 0,6 m/17º -10/0° Agitée GOODBYE BRITAIN ce soir sur Arte à 20 h 55 Rédacteurs en chef Christophe Boulard (technique), Sabrina Champenois, Guillaume Launay (web). PUBLICITÉ Libération Medias 23, rue de Châteaudun, 75009 Paris tél.: 01 44 78 30 67 Orléans Nantes 1 m/19º Strasbourg Brest Orléans Principal actionnaire Altice Média Group France ABONNEMENTS abonnements.liberation.fr [email protected] tarif abonnement 1 an France métropolitaine: 391€ tél.: 01 55 56 71 40 Lille 0,3 m/13º Caen Le Royaume-Uni se déchire sur le Brexit. Comme il s’est toujours déchiré sur la question de son appartenance à l’Union européenne. Il fallait toute la finesse d’un Anglais pur malt, Don Kent, pour retracer de manière non-hystérique cette histoire d’amour-haine qui fait qu’il y a aujourd’hui autant d’opinions que d’habitants sur ce référendum. Le film enchâsse interviews de politiques, d’artistes, d’intellectuels et de quidams, en revenant sur le long chemin cahoteux de l’adhésion britannique à l’UE. Et comme souvent dans ce genre de cas, les gens qui se sentent mal informés des enjeux réels, voudraient des réponses simples à des questions très compliquées. Au fil du documentaire, c’est une tentative de définition de l’identité anglaise qui se dessine. Il faut entendre ce chorégraphe d’origine étrangère raconter que «c’est une chance de grandir au milieu de plusieurs cultures». Ou cet agriculteur expliquer que son «cœur lui dit de sortir de l’Europe» mais que la raison lui rappelle que ses propres bureaucrates lui feraient autant de mal. Ou encore l’écrivain Irvine Welsh raconter pourquoi il sent «écossais et européen, mais pas forcément britannique». Simple quoi. DAVID CARZON Directeur artistique Nicolas Valoteau Pluies et averses n'épargneront aucune région. Des orages pourront éclater en Languedoc-Roussillon. L’APRÈS-MIDI Maintien d'un temps instable avec des chutes et des averses de pluies fréquentes. Risque d’orages près de la Méditerranée. Lille 0,3 m/13º IP 04 91 27 01 16 20h55. La malédiction de la pyramide. Téléfilm. Avec : John Rhys-Davies, David Charvet. 22h35. Storage hunters. 20h55. Unreal. Série. Raison ou sentiments. Le grand jour (ou presque). 22h45. Alien, le huitième passager. Film. Il pleut sur les trois quarts du pays. Le temps reste sec et le ciel bien dégagé dans le sud-est avec un forte tramontane. L’APRÈS-MIDI Le temps est instable sur la majeure partie du pays à l'exception du sud-est. Les averses sont localement orageuses sur le nord du pays. Les vents d'ouest restent assez soutenus au large des côtes varoises. Edité par la SARL Libération SARL au capital de 15 560 250 €. 23, rue de Châteaudun 75009 Paris RCS Paris: 382.028.199 Directeur général Richard Karacian 6 TER NRJ12 Brexit et angry Brits www.liberation.fr 23, rue de Châteaudun 75009 Paris tél.: 01 42 76 17 89 Cogérants Laurent Joffrin Marc Laufer 20h50. Section de recherches. Série. Les chasseurs. Prise d’otages. 22h45. Section de recherches. Série. W9 20h55. Goodbye britain ?. Documentaire. 22h25. Quelle Europe sans les Anglais ?. Documentaire. 0,3 m/13º D17 20h50. Hashtag ou dièse : à chacun sa génération. Divertissement. 22h40. Hashtag ou dièse : à chacun sa génération. Divertissement. 20h55. Daniel balavoine : vivre ou survivre. Documentaire. 22h50. La véritable histoire des stars des années 80. Documentaire. ARTE u 25 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe MONDE MIN MAX Alger Bruxelles Jérusalem Londres Berlin Madrid New York 23 12 25 15 15 16 16 26 18 36 19 21 27 26 Membre de OJD-Diffusion Contrôle. CPPAP: 1120 C 80064. ISSN 0335-1793. La responsabilité du journal ne saurait être engagée en cas de nonrestitution de documents. Pour joindre un journaliste par mail : initiale du pré[email protected] VERTICALEMENT 1. Jeu d’enfants 2. La force n’est pas avec elle 3. Lorsque les opposants à une loi jouissent de leur victoire ; Elle veille à la protection de l’épargne 4. 150 à Rome ou en bouteille ; Mis en premier 5. Orange avant ; En condition ; Amorce d’un pas 6. Pièces de charpente ; Elle est idéale pour débuter la radio 7. Prise ; Lieu de reproduction 8. Mis en route, ils sont dangereux 9. Elle a eu un César de la meilleure actrice ; Arrivées Solutions de la grille d’hier Horizontalement I. LAUDATIVE. II. OMNIVORES. III. NEES. FINS. IV. GRS. JUSTE. V. MICROS. AN. VI. ÉCOIN. TNT. VII. TA. AGOUTI. VIII. RIP. LOT. IX. ANONE. URL. X. GENOUX. OL. XI. ESTÉRIFIÉ. Verticalement 1. LONG-MÉTRAGE. 2. AMÉRICAINES. 3. UNESCO. PONT. 4. DIS. RIA. NOÉ. 5. AV. JONGLEUR. 6. TOFUS. OÔ. XI. 7. IRIS. TUTU. 8. VENTANT. ROI. 9. ESSENTIELLE. 26 u FUTURS Libération Mardi 14 Juin 2016 INTERVIEW «Pour que le jeu vidéo soit intéressant, il faut s’y abîmer» E3 A l’occasion de l’ouverture du salon international des loisirs interactifs à Los Angeles, «Libération» a rencontré le philosophe Mathieu Triclot, qui analyse un phénomène devenu culture universelle. Libération Mardi 14 Juin 2016 dire une pratique de masse, quasi universelle. D’un point de vue démographique, on remarque aussi, par un effet lié aux smartphones et epuis plus de vingt ans, c’est le rendez- aux tablettes, de nouveaux entrants dans les vous incontournable de la planète jeux tranches plus âgées [plus de 45 ans]. Ça veut vidéo. L’Electronic Entertainment dire que le vieux modèle de diffusion de la Expo, ou E3, qui commence officiellement ce pratique –j’ai joué jeune et je continue à jouer, mardi pour se conclure jeudi, se tient tous les mais de moins en moins – est en train de se ans (sauf rares exceptions) à la même période, compléter avec de nouvelles pratiques. Dire et ces deux jours sont avant tout l’occasion que le phénomène est massif, ça veut dire pour l’industrie de gaver le cerveau des ga- aussi qu’il n’y a plus de moyenne, il n’y a plus mers du monde entier avec des wagons d’an- de joueur type. L’ado masculin qui joue reste nonces sur les jeux qui sortiront dans les mois un profil, bien sûr, mais parmi d’autres. Tout et les années qui viennent. le monde joue. Parfois sans le savoir, sans se Très logiquement, l’intensité des E3 suit, avec déclarer joueur, sans investir sa pratique. un temps d’avance, le grand cycle qui rythme L’autre raison, c’est que quand on joue, on les progrès technologiques du secteur, à sa- joue avec un dispositif technique qui n’est voir les sorties des nouvelles conpas neutre : des machines inforsoles. Il y a les années où les consmatiques. En termes d’histoire tructeurs annoncent leurs futures des formes culturelles, c’est quelmachines forcément révolutionque chose qui devrait nous frapnaires, et les autres. Cette année per. Des formes culturelles branfait partie des autres. Même si chées sur un dispositif technique Sony et Microsoft travaillent chadécisif pour l’existence comcun à des évolutions de leur conmune, il n’y en a pas beaucoup. sole de salon (la PlayStation 4 et la Les cinémas, c’est important, Xbox One) pour proposer des vermais le monde peut se passer des sions plus puissantes et que Nin- INTERVIEW salles de cinéma et continuer à tendo prépare en coulisse une tourner. Le livre, évidemment, nouvelle machine dont on ne connaît à est du même ordre, on manipule un disposil’heure actuelle que le nom de code, «la NX», tif technique –l’écrit, le livre, l’imprimerie– rien de spectaculaire n’est attendu pour cette sans lequel le monde ne tourne plus. On enédition. tretient dans les jeux vidéo une sorte de rapCe sont donc les jeux eux-mêmes qui seront port intime à la machine informatique, mais les stars du salon. Bandes annonces, vidéos aussi à la mise en données du monde, aux de jeux en action, interviews de créateurs algorithmes, aux paramètres, etc. C’est quel(à chaque fois disponibles en temps réel sur que chose d’extraordinaire parce qu’on joue YouTube ou Twitch, il n’est plus guère néces- avec la matière technologique même du saire d’être à Los Angeles pour suivre l’événe- monde contemporain. ment en direct), chaque heure va amener avec Le jeu vidéo est vieux d’un bon demi-sièelle son lot de nouveautés. On trépigne donc cle, mais ces dernières années ont été d’en apprendre plus sur les superproductions explosives, son écosystème a changé, et de la fin de l’année (Mafia III, Watch Dogs 2, il semble aujourd’hui plus légitime… Dishonored 2, Deus Ex : Mankind Divided, Cette impression d’explosion, c’est peut-être Final Fantasy XV, The Last Guardian…), de une nouvelle forme de visibilité des pratidécouvrir, ébahi, les nouvelles promesses lu- ques, et le fait qu’elles peuvent aujourd’hui diques, notamment celles autour de la réalité être assumées. Elles deviennent légitimes, virtuelle, et de s’interroger sur le devenir de et accompagnant cette légitimité, il y a des ce secteur en perpétuelle mutation. Bref, les formes de ce que j’appelle des mises en culjoueurs espèrent alimenter une fois de plus ture: des festivals, de la fan culture, de la culle moteur de leur passion par son carburant ture participative, dans lesquels on montre, de toujours : l’impatience. on partage. C’est ça qui est frappant et qui est Au milieu de ce maelström dopé au marke- nouveau. Le cinéma donne un bon indicating, difficile de se rendre vraiment compte teur. Il faut combien de temps, à partir de l’importance prise par le jeu vidéo ces der- de 1895, pour qu’on puisse dire que le cinéma nières années. On connaissait sa puissance est quelque chose d’intéressant et pas juste économique et son potentiel culturel, mais un divertissement à l’égal des courses de il s’immisce aujourd’hui, notamment par les chevaux et des bals populaires? Il faut à peu smartphones, dans toutes les couches de la près une cinquantaine d’années pour qu’on société, devient un vecteur de consommation puisse le dire sans s’attendre à être contredit, médiatique, voire un support pour des com- sans qu’il y ait polémique. Pour le jeu vidéo, pétitions sportives. Protéiforme par nature, on est dans ce moment de bascule : quand le jeu vidéo colonise tous les écrans. Mathieu quelqu’un va affirmer que le jeu vidéo est un Triclot, maître de conférence à l’Université de truc de débile, il va recevoir un torrent de critechnologie de Belfort-Montbéliard et auteur tiques et être amené, parfois, à faire machine de Philosophie des jeux vidéo (Zones, 2011), est arrière. un observateur aguerri des usages liés au jeu Mais il continue pourtant à être mal vidéo. Il a accepté de lâcher sa manette et compris par beaucoup d’observateurs… dresse pour Libération un état des lieux des D’un côté, on peut dire que le jeu vidéo est pratiques ludiques. une magnifique illusion, en ce qu’il présente Quelle est la place des jeux vidéo sous une forme simple et ludique quelque aujourd’hui dans la société ? chose qui est beaucoup plus complexe et qui Il y a deux raisons pour lesquelles, même si transforme notre monde de manière radicale. on ne s’intéresse pas au jeu vidéo, on ne Et non seulement on s’illusionne, mais on est devrait pas pour autant le négliger. La pre- aliéné, là-dedans, parce qu’on est asservi au mière, c’est l’intensité de la pratique. L’en- dispositif et parce qu’on fabrique du «fun» là quête Ludespace, réalisée en 2012, qui est la où on devrait fabriquer de la pensée critique. première étude quantitative de sociologie des Mais d’un autre côté, je crois que la force des pratiques de jeux vidéo, montre que plus de jeux vidéo, c’est que la pensée critique sur le six adultes sur dix sont joueurs. Certes, dispositif d’informatisation, sur le dispositif «joueur», c’est une définition extrêmement de la data, on peut l’avoir en jouant avec. large: «a joué à un jeu vidéo au moins une fois De toute manière, le jeu rend les gens mal à sur les six derniers mois». Mais c’est le même l’aise, qu’il soit vidéo ou non. Le jeu, c’est une type de comptage pour les autres activités disposition mentale qui est foncièrement insculturelles. Et avec six adultes sur dix, on est table. C’est tout simple: pour que je joue à un dans les mêmes eaux que le cinéma, c’est-à- jeu, il faut que je joue à fond, sinon «je ne joue Recueilli par ERWAN CARIO DR D A Los Angeles, dimanche, après la conférence de l’éditeur de jeux Electronic Arts. PHOTO KEVORK DJANSEZIAN. GETTY IMAGES. AFP u 27 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe pas le jeu». Mais pour que je puisse y jouer à fond, il faut aussi que je sache que ce n’est qu’un jeu, c’est-à-dire que je peux m’en déprendre: «Ce n’est qu’un jeu.» Donc la liberté et l’aliénation sont intégralement entremêlées. Ce qui peut avoir un côté extrêmement inquiétant pour quelqu’un qui regarde de l’extérieur, qui peut penser que la machine a créé une sorte de zombie aspiré par son écran ou son téléphone. La condition pour que ce soit aussi un élément de pensée critique, d’émancipation, c’est qu’on y soit à fond. C’est une des raisons pour lesquelles le jeu vidéo est un objet si mal commode pour tout le monde, parce que la condition pour qu’il y ait quelque chose d’intéressant, c’est qu’on s’y abîme. Mais, on le voit aujourd’hui avec le phénomène de l’e-sport et la popularité des services comme Twitch, on peut aussi se contenter de simplement regarder… Ça nous dit que le jeu vidéo, c’est toujours plus que le jeu, plus que la relation individualisée de l’ordinateur à l’écran : c’est une culture à laquelle on participe. Regarder d’autres jouer, c’est l’usage d’un public plutôt jeune. Ce sont des pratiques de jeu par délégation. Regarder quelqu’un de très bon jouer peut parfois être mieux que de jouer soi-même. Du coup, le jeu vidéo ne peut plus être défini par son interaction, puisqu’il existe aujourd’hui une pratique complètement passive… Il y a quelque chose de contre-intuitif. Ces vidéos, de très longue durée, font partie de cette nouvelle consommation fractionnée des médias que les adolescents peuvent avoir et dont ils sont le fer de lance. Il ne faut pas imaginer qu’on regarde ces vidéos comme on regarderait un film. Pendant le «let’s play» [format de vidéo populaire où un joueur commente sa propre partie, ndlr], on tchatte, on est sur les réseaux sociaux, on surfe sur d’autres sites. Ça s’insère dans du multitâche. Toutes les vertus que notre génération a prêtées à l’interactivité sont mises à mal par les joueurs d’aujourd’hui qui redécouvrent les joies de la passivité. Et ils ont raison, parce que l’interactivité n’est pas la forme ultime des consommations médiatiques. • Les informés de France Info Une émission de Jean-Mathieu Pernin, du lundi au vendredi, de 20h à 21h Chaque mardi avec 28 u Libération Mardi 14 Juin 2016 ANTHONY JOSEPH prêcheur des îles Créolité Le chanteur et poète trinidadien sort «Caribbean Roots», un album dans lequel il explore les sources musicales de l’archipel antillais. A goûter ce vendredi sur la scène de La Défense Jazz Festival. mière. Un show brûlant dans le cadre de Banlieues bleues, festival qu’il a plusieurs fois pratiqué. Deunivers finit toujours puis dix ans, le Londonien s’est dupar assembler de ma- rablement installé sur les scènes nière harmonieuse les françaises, qu’il embrase régulièrechoses qui doivent être réunies.» ment avec son Spasm Band, un Cette phrase d’Anthony Joseph, groupe réformé au fil du temps prononcée en 2006 mais dont l’enjeu dealors qu’il n’a pas enNCONTRE meure le même. «EsRE core publié son presayer de capturer l’esmier album, résonne du plus juste sence de la transe, la transcendance, écho sur scène ce 29 mars 2016, où à travers la musique, saisir ce mole poète-chanteur vient présenter ment, ténu parfois, où tu perds le Caribbean Roots en avant-pre- contrôle», confiait-il à Libération en Par JACQUES DENIS «L’ Anthony Joseph a présenté son album en avant-première à Banlieues bleues, fin mars. MIRABEL WHITE Libération Mardi 14 Juin 2016 u 29 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe marge de ce concert printanier. Disque après disque, Anthony Joseph piste cette sensation de spasme qu’il a connue tout gamin auprès de ses grands-parents, fervents pratiquants de la Spiritual Baptist Church of Trinidad, un culte syncrétique qui rappelle le vaudou haïtien, le candomblé brésilien et la santeria cubaine. «J’ai assisté aux prières nocturnes du mercredi, aux cérémonies et pèlerinages, aux baptêmes à l’aube dans la Manzanilla Bay, aux offices dominicaux. J’ai même vécu des exorcismes crépusculaires dans les champs de canne. J’ai oublié beaucoup de choses, mais la musique m’est restée.» Hasard ou incidence, Anthony Joseph est né à Port Of Spain le 12 novembre 1966, le jour de la fête de Diwali, un rituel hindou qui célèbre le passage de l’obscurité à la lumière. L’anecdote éclaire l’esthétique de ce preacher dont la musique se veut communion organique d’un tout cosmique. VERSETS ÉSOTÉRIQUES C’est dans cette île peuplée de légendes orales et des soubresauts du carnaval qu’il grandit, avant d’atterrir outre-Atlantique, en 1989. Dans l’ancienne capitale de l’Empire colonial, Anthony Joseph creuse très tôt un singulier sillon, à la jonction de l’écriture, le premier médium qui va le distinguer, et de la musique, où ce fondu de disques noirs s’illustre dès les années 90 sur la scène black rock et spoken word. Il faudra attendre qu’il croise la voie d’Antoine Rajon, producteur aux oreilles affûtées en matière de great black music, pour qu’il pose enfin sur bandes sa version de ce que le sociologue anglais Paul Gilroy nomme ANTHONY «l’Atlantique noir». JOSEPH Entre jazz spirituel et soul funk charnel, entre rythmiques telluriques et versets ésotériques, cette vision synoptique qu’il consigne dans Leggo De Lion, un disque où il entend jouer «la bande-son d’un territoire où toutes les diasporas noires se retrouvent», fait écho au livre qu’il publie dans la foulée : The African Origins Of UFOs. Le titre inscrit le chanteur dans une longue généalogie de prophètes afro-américains et autres messies surréalistes, un panthéon où se côtoient parmi tant d’autres Lee Scratch Perry et George Clinton, Sun Ra et Ishmael Reed. «La poésie se doit d’être scandée, chantée, déclamée. Quand j’écris, je pense toujours en termes de sons», insiste depuis lors Anthony Joseph. Plus tombeur de mots que chanteur, le Trinidadien n’a cessé d’illustrer cette sentence qui le situe du côté des slameurs, «Mon écriture procède de collisions, de collages. Des associations étranges, parfois surréalistes. Les mots peuvent arriver de nulle part, pas forcément d’une longue réflexion.». néanmoins plus souple slalomeur entre les maux que la plupart de ceux qui s’essaient à ce genre de pratiques. ALLIÉ PRÉCIEUX Dix ans après, c’est encore le verbe haut et le phrasé haché qui donnent le tempo (up ou plus mellow) de ce disque, tout comme l’icône en guise de couverture –une peinture de son compatriote Che Lovelace, figurant deux diables «blues» – fournit un bon diapason des intentions qui se trament en toile de fond. «Mon écriture procède de collisions, de collages. Des associations étranges, parfois surréalistes. Les mots peuvent arriver de nulle part, pas forcément d’une longue réflexion. Non, ils doivent sortir et je m’en sers ! Il n’y a aucune intention politique sur le moment, et pourtant en les relisant, on peut avoir une lecture politique. Les mots ont leur propre façon de conjurer toute leur magie.» S’il a grandi aux slogans de l’engagé Linton Kwesi Johnson, le Trinidadien ne se considère néanmoins pas comme un «militant». Un carcan sans doute trop exigu pour (dis)cerner cet entendement au monde qu’est l’idée –plus qu’identité– caribéenne. «Nous partageons depuis longtemps une façon de regarder le monde. Quand Roger [Raspail, percussionniste guadeloupéen, ndlr] me parle, je peux le comprendre, sans parler son créole. Le langage, c’est aussi la nourriture, la musique, les rythmes, l’attitude avec les autres… Aujourd’hui, simplement, les choses sont plus claires, plus évidentes, avec les mass media, Internet. Les pays sont indépendants depuis plus d’un demi-siècle.» Après un album produit par la bassiste Meshell Ndegeocello, Anthony Joseph recentre le propos sur l’archipel antillais, et donc l’ouvre par là même à tout un champ d’investigation. «L’idée originale est venue d’Antoine Rajon, lors de discussions il y a trois ans. Il s’agissait d’explorer les rythmes de la Guadeloupe, d’Haïti et de la Martinique, que connaît sur le bout des doigts Roger Raspail.» Ce maître des tambours guadeloupéen sera le poteau mitan du projet. Une première session a lieu à Noël 2014 autour de thèmes de ce dernier. Nom de code : Kumaka. «C’est un arbre sacré que l’on trouve dans les Caraïbes, qui représente comme un symbole d’unification de la région. Les esclaves se cachaient dans ses racines.» Ce nom qui sonne comme un seul homme était l’appellation toute trouvée du nouveau groupe. Las, Courtney Jones, le batteur trinidadien à qui est dédié le disque, décède au printemps 2015, juste avant que le groupe ne parte en Martinique. Anthony Joseph n’ira pas –tout comme il n’a pas encore mis les pieds en Guadeloupe– mais le disque s’enregistrera sous un autre nom à Paris deux mois plus tard. Autour de lui, Anthony Joseph réunit donc une équipe à forte conso- CULTURE/ nance caribéenne: le saxophoniste barbadien Shabaka Hutchings, dont le son fait bruisser le Londres swinguant; Andrew John, son fidèle bassiste originaire de Saint Kitts; l’élégant tromboniste martiniquais Pierre Chabrèle; le guitariste guyanais Patrick Marie-Magdelaine… ou encore Andy Narell, certes américain, mais reconnu comme le spécialiste du steelpan trinidadien. Anthony Joseph s’offre aussi les services d’un précieux allié, le saxophoniste Jason Yarde, vétéran des Jazz Warriors qui fréquenta l’ex-Specials Jerry Dammers. «Je le voulais depuis longtemps… Pour ce disque, sa clairvoyance est parfaite!» Au centre de ce puzzle, on trouve Roger Raspail, tout à la fois grand frère et alter ego d’Anthony Joseph: «Quand Roger joue un rythme bélé ou gwoka, je retrouve une parenté avec mes origines. Tout ce qu’il joue, je le connais. Cela m’a fait prendre encore plus conscience de nos liens. Le calypso est le produit de la lutte contre le colonialisme et l’esclavage, comme le gwoka est le son d’une résistance.» FUNK TROPICALISÉ Insatiable chercheur de sons trinidadiens – il a de longue date un projet de compilation de soca et vient par ailleurs de tomber sur un gros lot de 45-tours calypso –, Anthony Joseph publie ces jours-ci une biographie d’Aldwyn Roberts, alias Lord Kitchener, un des plus fameux calypsoniens, dans le cadre de sa thèse sur la «liminalité dans la littérature des Caraïbes postcoloniales». Et son dernier album en est, d’une certaine manière, la bande-son, où il interroge et interpelle l’identité caribéenne : «J’ai beaucoup lu sur la question. De nombreux écrits, récits, font état d’îles fragmentées. Différentes populations, différents langages, différentes cultures… Et pourtant, ce que j’ai trouvé, ce sont surtout des points communs entre tous. Néanmoins, lorsque vous demandez à la plupart des Caribéens où sont leurs racines, ils vous répondront : “Nous venons d’Afrique.” Non, elles sont ici, dans ces îles. La terre où nous avons grandi : affirmons-le ! Le dub poet Michael Smith l’avait dit bien avant moi : “Tu cherches tes racines, homme noir. Tu dis l’Afrique, mais tu es la racine.” Nous sommes ici depuis des siècles.» Au fil des pistes, d’un funk tropicalisé à la gloire de la kora jusqu’au long blues créolisé qui donne son titre à l’album, il traque ainsi la trace commune de ce méta-archipel, pour paraphraser l’essayiste cubain Antonio Benítez Rojo. Et après une bonne heure, le temps d’une minute finale qui clôt le disque, il en revient à l’essence originelle de son trip: un tambour, les lames du steeldrum, le souffle du sax. «Le calypso est une musique matrice dont tu retrouves des éléments dans tout l’archipel: dans le reggae, dans le zouk, dans la cadence… Même les rythmiques cubaines, latines, présentent des similarités. C’est un truc qui me passionne: comment le calypso s’est frayé un chemin pour se diffuser d’île en île. Un des tout premiers calypsoniens était un esclave africain, maître de chant, propriété d’un planteur français. Tout a commencé notamment là, au XVIIIe siècle, dans une petite cour…» • ANTHONY JOSEPH CARIBBEAN ROOTS (Heavenly Sweetness). En concert le 17 juin au festival Jazz à La Défense (92). Rens. : ladefensejazzfestival.hauts-deseine.fr Puis le 2 juillet au Hangar, Ivry-surSeine (94), le 21 au festival Jazz à Junas (30), le 22 au festival Abracadagrasses, à Lagrasse (11). AUX MARGES DU JAZZ À LA DÉFENSE Ouvrir la saison des festivals de jazz en Ile-de-France, réchauffer la dalle du Parvis, orienter le projecteur sur les futurs possibles d’un genre qu’on continue à déclarer décédé en déni du bon sens : c’est la triple mission de La Défense Jazz Festival depuis bientôt quarante ans. Cette année, la programmation fait la part belle aux marges du genre et à ses myriades de survivances dans les expressions les plus inattendues, aux quatre coins du monde : folk au Brésil (Tiganá Santana), afrobeat des Pays-Bas (Jungle by Night), funk essentiel (le mythique Larry Graham de Sly and the Family Stone)… On guettera tout particulièrement la performance ce mardi soir du trio de Michael Wollny, pianiste allemand héritier de Keith Jarrett et Paul Bley, autant capable de jouer Berg ou Hindemith que de s’approprier Flaming Lips ou les poèmes de Guillaume de Machaut. O.L. La Défense Jazz Festival, Parvis de La Défense (92). Du 13 au 18 juin. 30 u Libération Mardi 14 Juin 2016 SUR LIBÉRATION.FR Du genre classique Dans notre chronique sur l’actualité de la grande musique traitée en petites formes, cette semaine, Gilles Apap et sa cohorte de 220 folk violonistes ; le théorbiste Romain Falik évoque guitare baroque, pandore et autre luth ; le triste destin des enfants Schumann ne nous laisse pas insensible. CULTURE/ MUSIQUES RÉPERTOIRE Dylan, crooner à sa manière Le septuagénaire poursuit avec «Fallen Angels» ses reprises de standards jadis chantés par Sinatra. Q uand Bob Dylan a publié Shadows in the Night l’an passé, la critique a fait grand cas de sa déclaration d’amour tardive à Frank Sinatra et à cet autre versant de la «grande musique américaine» que ce dernier représentait, a priori inconciliable avec le folk dont Dylan fut le fer de lance et l’incendiaire dans les années 60: les orfèvres de Tin Pan Alley, dont les suites d’accords lustrés tournaient en boucle dans les foyers américains les plus réfractaires aux mouvements sociaux et aux folies de la contreculture. En reprenant des classiques du repertoire de Sinatra, Dylan semblait passer d’un songbook à un autre, et se trahir en douceur: après l’Anthology of American Folk Music de Harry Smith dans laquelle il puisa l’essentiel de sa sauvagerie poétique à 20 ans, le carnet de torch songs du milieu du XXe siècle pour emballer les mamies ? Enigmes. En vérité, le mouve- Dans ce 37e album, Bob Dylan ravive la tradition. COLUMBIA. SONY MUSIC ment est un peu plus compliqué. Dylan a commencé à s’envisager en crooner dès Nashville Skyline en 1969, et son premier hommage à Sinatra s’écoute sur le très critiqué (et aujourd’hui réhabilité) Self Portrait de 1970, qui contenait une reprise émouvante du standard Blue Moon. Point de reniement de vieillard, donc, sur Fallen Angels. Dylan continue à déclarer à qui veut bien l’entendre qu’il n’a jamais acheté un seul disque de Sinatra et sa sélection de chansons n’a rien à voir avec quelque souvenir d’enfance intime, ni une volonté mélancolique de revenir à cet éden d’avant le rock’n’roll qu’il a grandement contribué à démoder pour l’éternité. Son geste n’a rien à voir non plus avec celui des stars vieillissantes de la variété internationale (Rod Stewart, Linda Ronstadt) qui, pour se renflouer, s’essayent depuis quelques années aux standards du Great American Songbook (le répertoire consacré des chansons populaires d’avant la pop) : Dylan ne reprend pas, il s’approprie. Les dylanologistes les plus pointilleux écouteront Fallen Angels comme un album de Dylan de plus (le 37e), avec ses idiosyncrasies, ses énigmes et ses perversions. Ils analyseront les partis pris de production et le titre, biblique en diable, qui forment ensemble un réseau inédit de mystères à déchiffrer, et une ébauche de réflexion assez vertigineuse sur l’histoire de la chanson américaine à travers l’évolution de ses formes, ses survivances et ses inventions des cent dernières années. On peut par exemple lire le choix des standards comme une suite d’éclairages sur ses propres chansons, leurs racines et leurs inspirations possibles: Young at Heart de Johnny Richards et Carolyn Leigh pourrait être un précédent à la bluette post-natale Forever Young; Maybe You’ll Be There de Rube Bloom et Sammy Gallop un modèle inconscient du pétaradant Most Likely You’ll Go Your Way and I’ll Go Mine ; ou encore That Old Black Magic un clin d’œil badin à la «old weird America» où Dylan faillit perdre son âme tant de fois… Plaisir. Contraire diamétral d’un retour morbide à la préhistoire de la pop américaine, Fallen Angels dépoussière, ravive, trahit la tradition. Iconoclaste, Dylan semble prendre un plaisir tout particulier à chanter ces classiques qu’il a si longtemps ignorés, comme personne ne les a chantés avant lui. De fait, si sa voix d’homme de 75 ans semble mieux adaptée pour «crooner» ces standards que ses propres classiques americana, c’est qu’il a encore toute la marge pour inventer avec elle –inventer un futur possible pour la musique populaire américaine où, contre toute attente, le plus étrange de ses monstres sacrés a encore un rôle décisif à jouer. OLIVIER LAMM BOB DYLAN FALLEN ANGELS (Columbia/Sony). SPACE OPERA Torn Hawk, appel d’airs Le vidéaste et musicien propose une série de voyages instrumentaux évaporés. L a pochette de Union and Return est très belle. Figurant une Babel futuriste émergeant d’une mer de nuages, elle rappelle les couvertures des romans de SF à l’âge d’or de l’illustration à l’aérographe, quand Paul Lehr ou Chris Foss peignaient en toute liberté l’imaginaire des amateurs de space opera. Elle est l’œuvre de Gregory Fromenteau, illustrateur renommé dans le milieu du jeu vidéo qui a notamment participé à la très populaire saga Assassin’s Creed. Exilé à Berlin pour ses bas loyers, le Washingtonien Luke Wyatt, qui compose sous le nom de Torn Hawk, narre le choc esthétique ressenti à l’Alte Nationalgalerie face aux toiles vertigineuses de Böcklin ou de Caspar David Friedrich, et l’on peut aisément voir dans ce paysage de synthèse une mise à jour contemporaine, prête à l’usage en fond d’écran Windows, des plus fameux panoramas du romantisme allemand. Aussi reconnu pour sa musique que pour ses collages vidéo feuilletés (il manie comme personne la technique du datamoshing, qui consiste à faire muter des séquences vidéo en mettant à profit les erreurs de la compression numérique), Wyatt n’aime pas beaucoup associer sa musique à des images, a fortiori quand elles peuvent faire office d’illustration ou de métaphore à son insaisissable onirisme. Force est pourtant de constater que celle qui illustre Union and Return constitue une porte d’entrée inespérée dans son pro- jet musical : la mise au monde d’une utopie esthétique à la marge de tous les dogmes de la pop actuelle, cachée dans un pli de l’espace-temps, aux confins de la mésosphère. C’est opportun, car ce qu’on entend sur ces onze suites instrumentales est très beau et évocateur de mille fantasmagories, mais résiste désespérément à toutes les tentatives de décryptage, à toutes les grilles de lecture théoriques. Emblématique, au même titre qu’un Oneohtrix Point Never, de cette génération de musiciens qui a fait de ses fétichismes la matrice et la raison d’être de musiques éhontément arbitraires, Wyatt assemble sans rime ni raison tout ce qui lui passe par la tête, au mépris de toute hiérarchie et de toute tradition. Musiques nouvelles, new age, variété internationale de la seconde moitié des années 80, musiques de jeux vidéo, sonneries de téléphone portable : à l’instar du jalon Far Side Virtual de James Ferraro (2011) qui s’inspirait des rebuts musicaux les plus incongrus de nos sociétés pour accoucher d’un genre musical particulièrement pervers de musique électronique (la vaporwave), Union and Return propose des concertos pour guitare et timbres synthétiques scintillants dont il est impossible de décider s’ils ont été composés le cœur sur la main, ou un rictus aux lèvres. C’est cette ambivalence qui rend la musique de Torn Hawk si riche. A la fois orfèvre et manipulateur, Luke Wyatt est un romantique radical, qui nous rappelle que dans les premiers jours du romantisme, le sentiment du sublime s’éprouvait le plus fort devant un champ de ruines, un précipice ou une scène de désastre. O.L. TORN HAWK UNION AND RETURN (Mexican Summer). LES MONDES CELTES ASTURIES, BRETAGNE, CORNOUAILLES, ECOSSE, GALICE, ILE DE MAN, IRLANDE, PAYS DE GALLES 15. 19 juin 2O16 toulouse Licence 2e catégorie : 1078603 / Licence 3e catégorie : 1078604 - Illustration Cosmic Nuggets - Conception graphique : Ogham PATRICK MOLARD - CRÉATION “CEÓL MÓR / LIGHT & SHADE” Bretagne MOORE MOSS RUTTER Grande-Bretagne HECTOR BIZERK Écosse DENEZ Bretagne THE CHIEFTAINS Irlande CUARTETO CARAMUXO Galice SAM LEE & FRIENDS Grande-Bretagne KILA Irlande DROPKICK MURPHYS Irlande • États-Unis ERIK MARCHAND & BOJAN Z Bretagne THE MAGNETIC NORTH Écosse DOOLIN’ France CARLOS NÚÑEZ Galice YOUNG FATHERS Écosse “OFFSHORE QUARTET” France • Bretagne EMILY PORTMAN & THE CORACLE BAND FEAT. ALASDAIR ROBERTS Grande-Bretagne • Écosse CAXADE & BANDA DE MÚSICA DA BANDEIRA Galice MIOSSEC Bretagne OLIVIER MELLANO, BRENDAN PERRY (DEAD CAN DANCE), BAGAD CESSON - CRÉATION “NO LAND” Bretagne SUPER FURRY ANIMALS Pays de Galles BAGAD CESSON Bretagne TRIO CORNEMUSE(S) : ERWAN KERAVEC Bretagne SAEID SHANBEHZADEH Iran & BACHIR TEMTAOUI Algérie Prairie des Filtres 7,5€*/ 10€** Pass 4 jours 25 €*/ 30 €** Entrée 1 jour Gratuit – de 12 ans www.rio-loco.org *sur internet ** sur place Mécène des plus belles scènes Libération Mardi 14 Juin 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe L’art de l’action Simon Njami Cette figure importante de la culture contemporaine africaine multiplie les expositions et déconstruit le concept de négritude. I l parle peu à la presse pour éviter de se voir coller des «étiquettes». A commencer par celle de l’Africain qui a réussi. «Un machin ambigu, la réussite, comme à l’époque où ce directeur de musée français s’étonnait de mes références grecques et latines. J’avais répondu que j’avais étudié à la Sorbonne.» Sur sa carte de visite d’un noir d’encre, comme la sempiternelle couleur de ses fringues, on lit le même refus. Sous son nom figurent ces quelques mots: «The Man With No Job». Esprit libre au tempérament froid, Simon Njami est l’une des têtes de l’art contemporain africain. Mais lui se définit plutôt comme écrivain, bien décidé à «ne travailler pour personne». Ses activités, qui le font sans cesse quitter sa rue de Bagnolet, dans le XXe à Paris, offrent surtout à sa matière grise de quoi épancher sa soif d’écrire, dans l’avion ou entre deux vols. Simon Njami a d’abord été suisse, né à Lausanne de parents camerounais, avant d’être un adolescent parisien ayant suivi sa mère psychiatre à Paris avec ses frères et sœurs. C’est là qu’il se découvre noir, dans le regard de l’autre. Il veut d’abord être avocat pour défendre son père, Simon Bolivar Njami-Nwandi, prêtre protestant, essayiste et homme politique emprisonné en 1976 et 1977 pour «délit d’opinion» au Cameroun. Mais tout s’arrange avec la chute de la dictature. Simon senior devient député, puis secrétaire d’Etat dans les années 90 sous la présidence de Paul Biya. Simon junior, entre-temps, laisse tomber son groupe de rock et les disques de Santana pour aller vers l’écriture. A 23 ans, il publie un vrai-faux polar sur les Noirs de Paris, en forme d’hommage à Chester Himes et Boris Vian. Suivent plusieurs romans, ainsi qu’un essai sur James Baldwin, cosigné avec le grand auteur noir américain. Il a eu le culot d’aller lui poser ses questions en direct, comme plus tard à Léopold Sédar Senghor, dont il a écrit une biographie. Un poète président qu’il détestait avant de le connaître, à cause de sa fameuse phrase: «L’émotion est nègre, comme la raison est hellène.» «Une sorte d’abdication», estime Simon Njami, qui rappelle avoir «subi, comme tous ceux de ma génération, l’influence terrible du concept de négritude, devenu complètement caduc». L’un des axes de sa vie sera de ne pas se laisser réduire à sa mélanine. Polyglotte parlant six langues, professeur de littérature comparée aux Etats-Unis, il est embarqué à 29 ans dans une autre aventure avec Revue Noire. Le voilà qui sillonne l’Afrique pour en révéler au monde les talents artistiques dans un beau magazine et des livres d’anthologie. De fil en aiguille, il devient directeur des Rencontres africaines de la photographie à Bamako et commissaire d’expositions, dont «Africa Remix» en 2004 à Paris. Il est l’un des «papes» de cet art africain contemporain qui ne cesse de grandir. Il a brigué la direction de la Documenta 2017 à Kassel, sans la décrocher, mais travaille sans relâche à plusieurs projets. Entre autres, sur un musée d’art contemporain à Luanda. Il écrit aussi des scenarii avec le cinéaste Jean-Pierre Bekolo, dont le dernier film, interdit au Cameroun, s’intitule le Président – et pose la question: «Comment sait-on qu’il est temps de partir?». Une réflexion profonde et moqueuse sur Paul Biya, autre chef d’Etat indéboulonnable. Voilà vingt ans que Simon Njami n’a pas publié de fiction – mais il tient un manuscrit prêt à être édité, si possible par une maison qui lui ferait grâce de tout effort de promotion télévisé. Ecrivain donc, ce à quoi il accepte qu’on ajoute l’adjectif «africain», même si le mot ne va pas sans poser problème. «Africain, je ne sais pas ce que ça veut dire. J’ai passé une bonne partie de ma vie à y réfléchir, et je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de gri-gri chez moi, et je préfère le champagne au vin de palme!» Sa façon d’être «franco de port» fait qu’on lui voue des haines tenaces. De celles, assez spéciales au sud du Sahara, qui visent tous ceux qui ont l’audace de réussir. «Le problème en Afrique, dit-il, ce n’est pas l’argent, mais l’attitude. L’imagination des gens n 1962 Naissance est bloquée : un ouvrier veut à Lausanne. une maison, mais pas être pan 2001 Dirige les tron. La plupart des diriRencontres africaines geants africains sont lobotode la photographie misés. Ce n’est pas qu’ils se à Bamako. trompent de stratégie. En fait, n 2004 Commissaire ils n’en ont pas!» de l’exposition «Africa Il énerve beaucoup, en enRemix» au centre voyant qui bon lui semble Pompidou. dans les cordes. Les dépités et n 2006 Publie C’était les «mauvais coucheurs», Senghor (Fayard). comme il les appelle, lui ren 2016 Commissaire prochent à la fois son arrode Dak’Art, Biennale gance made in France et de de l’art africain faire ce qu’ils pratiquent soucontemporain. vent eux-mêmes: se servir de sa couleur comme d’un passe-droit. Simon Njami, un imposteur? c’est aller un peu vite en besogne. Car cette «tronche» incontestable fait son travail –et plutôt bien. Un artiste et critique d’art sénégalais remarque qu’il a été «l’homme de l’année» en 2015, avec trois expositions de haut vol: l’une sur la Divine Comédie de Dante, revisitée par des artistes africains, l’autre «Xenopolis», où plusieurs artistes étrangers de tous horizons ont évoqué leur ville, et la dernière, en octobre, «Après Eden», une rétrospective des photographies africaines du collectionneur allemand Artur Walther. Pour couronner le tout, il vient d’orchestrer la toute récente Biennale des arts de Dakar. Un ambitieux tourbillon dont il sort lessivé mais satisfait, avec le sentiment d’une mission accomplie. «Pour moi, la Biennale est une vieille histoire dans laquelle je voulais être pleinement pour voir ce qu’on peut y faire ou pas.» Conclusion: «On peut y faire beaucoup.» La principale exposition porte un titre qu’il a voulu politique: «Réenchantement». «Ce n’est pas un résultat, mais un processus, précise-t-il. Il s’agit de rêver, d’avoir envie, de penser le monde et de réaliser qu’il n’est pas nécessairement comme il nous apparaît ni comme on nous dit qu’il est.» Qu’est-ce qui fait courir Simon Njami? «Voir un gamin ingénieur venir chaque jour voir une expo, pendant sa pause déjeuner. Montrer aux gens que les choses impossibles peuvent se faire. Qu’on peut décider d’être libre.» S’il a du pouvoir et se trouve extrêmement courtisé, c’est que l’art est un champ politique. Il ne s’excuse pas d’en maîtriser les règles. «Quand on fait la révolution, on ne se met pas à compter les soldats», dit-il, se voulant rassembleur autour d’une vaste entreprise de décloisonnement de l’Afrique. Sans toujours l’être, parce qu’il a ses têtes. «Quand je croise un pleurnicheur, je lui rappelle qu’il a les moyens de sa politique», lâche-t-il. Si sa vie n’était pas un roman, elle serait peut-être un western. Dès qu’on tente de le prendre en photo, il dégaine sa main vers l’objectif comme un flingue. Avec lui, le monde se divise en deux catégories: ceux qui geignent et ceux qui avancent. Lui, il avance… • Par SABINE CESSOU Photo MATHIEU ZAZZO