En Corée, les hommes du Sud cherchent des femmes venues du Nord

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En Corée, les hommes du Sud cherchent des femmes venues du Nord
2,00 € Première édition. No 10914
VENDREDI 24 JUIN 2016
www.liberation.fr
Pas
d’incidents
lors du défilé
circulaire
à Paris:
la nouvelle
manifestation
contre la loi
El Khomri a
réenclenché le
bras de fer entre
syndicats et
gouvernement.
LOI TRAVAIL
ÇA TOURNE EN ROND
EUROPE PLUS
RIEN NE SERA
COMME AVANT
Comment refonder l’UE mise à mal par le
référendum anglais et en proie aux populismes ? INTERVIEW DE DANIEL COHNBENDIT ET SYLVIE GOULARD, PAGES 12-13
LIRE AUSSI NOS TRIBUNES, PAGES 20-21
NEIL HALL . REUTERS
Hier, à Paris. PHOTO CYRIL ZANNETACCI
PAGES 2-4
Montebourg
En Corée,
les hommes du en campagne
Sud cherchent à la campagne
des femmes
Il ne l’a pas encore officiellement
annoncé, mais l’ancien ministre
venues
de l’Economie vise la primaire
PS. «Libé» l’a suivi en tournée en
du Nord
Indre-et-Loire.
PAGE 6
PAGES 14-15
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,
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2 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
«On voulait
une manif,
pas un tour
de manège»
Finalement autorisé dans un
périmètre réduit et sous très haute
surveillance, le cortège parisien
contre la loi travail a réuni environ
20000 personnes jeudi, sans
débordements notables.
Par
AMANDINE CAILHOL,
MARINE GIRAUD,
ROZENN MORGAT,
et LUC PEILLON
Photos CYRIL ZANNETACCI
«N
asse party», «zoo»,
«cage à hamster» : les
participants au cortège
parisien contre la loi travail, jeudi,
ne manquaient pas d’ironie pour
qualifier cette dixième manifestation organisée dans la capitale depuis le début du mouvement. En
cause: les conditions drastiques imposées par la préfecture de police
pour ce défilé très encadré autour
du bassin de l’arsenal, à Bastille, et
que le gouvernement avait envisagé, dans un premier temps, d’interdire. Selon le ministère de l’Intérieur, quelque 20000 personnes ont
néanmoins répondu présent à Paris
(sur 70 000 dans toute la France),
soit moins que la journée nationale
du 14 juin, mais autant que les défi-
Grilles anti-émeutes, canon à eau, fouille des manifestants avant leur entrée dans le
lés précédents dans la capitale.
réponse à la lettre envoyée à FranFoulards et masques prohibés, dou- çois Hollande le 20 mai». Puis le
ble fouille des sacs, parcours circu- cortège s’ébranle sur le boulevard
laire réduit à 1,6 kilomètre, zone du Bourdon, qui longe le bassin de
cortège entièrement entourée par la l’arsenal. Pas l’ombre d’un «autopolice et des grilles de protection, nome» en vue.
le dispositif sécuritaire (lire ci-con- Marie, venue de l’Yonne, s’exclame
tre) a provoqué l’amertume de plus au milieu de son petit groupe
d’un participant. «J’ai failli ne pas d’amis: «C’est scandaleux que cette
venir, explique François, la cin- manifestation ait failli être interquantaine, qui se dit
dite. C’est anticonstitunon encarté. Les syndi- REPORTAGE tionnel. Mais ce qui est
cats n’auraient jamais
bien, c’est que cet épidû accepter d’être enfermés sode a renforcé notre déterminacomme ça, c’est une honte.» Sa tion.» Même sentiment pour
voisine opine: «Moi aussi, j’ai hésité. Maxime, étudiant à Sciences-Po PaC’est vraiment pas normal, on est ris et membre de l’Unef : «Ce qui
où là ?»
change dans la lutte depuis
le 14 juin, c’est qu’il y a une crise.
«C’EST UNE FARCE !»
Aujourd’hui, le gouvernement nous
La place de la Bastille se remplit taxe de mouvement antidémocratiprogressivement. En tête de cor- que, alors que c’est lui qui a recours
tège, Philippe Martinez, secrétaire à de telles pratiques! C’est d’autant
général de la CGT, tente de répon- plus important de continuer la
dre à la forêt de micros devant lui. lutte.» Yvan, membre du NPA, a, lui,
«Non, je ne suis pas lassé», dit l’impression d’avoir été «trahi» et
l’homme qui attend «toujours une «provoqué» de façon croissante de-
puis le début de la lutte : «Il y a eu
le 49.3, les violences policières, et
maintenant cette menace d’interdiction. C’est une farce !» Avant de lâcher, presque réjoui: «Le gouvernement est allé plus loin que tout ce
qu’on pouvait imaginer…» Reste que
pour lui, les «intimidations» de
l’exécutif semblent avoir insufflé
une nouvelle énergie au mouvement: «Il y a un climat d’intimidation, mais notre lutte rebondit. On
disait qu’avec l’Euro, les inondations etc., ça allait s’arrêter. Mais on
est toujours là ! Ce mouvement, ça
fait quatre mois qu’il nous surprend.
Notre colère lui donne toujours plus
d’énergie», s’exclame-t-il.
«OS À RONGER»
Le trajet est si court que, trente minutes plus tard, le cortège entame
le retour, de l’autre côté du bassin.
«On voulait faire une vraie manif,
pas un tour de manège», s’agace
Grégory, militant de la CGT Santé
de Clermont, dans l’Oise. Avec ses
deux comparses, Carole et Valérie,
il sont déçus de s’être déplacés
«pour ça». «On a l’impression qu’on
veut nous donner un os à ronger,
s’énerve Carole. Mais on ne compte
pas s’en contenter.» Tous trois songent à des actions plus longues, sur
plusieurs jours, en participant notamment à des blocages. «On
tourne en rond, comme si on nous
avait mis dans une bergerie», se désole également Alex, street medic,
alors que la tête de cortège se déverse maintenant place de la Bastille. Le jeune homme de 23 ans explique faire de «la médecine de rue»
et porte une croix rouge sur un
brassard, une autre sur le sac à dos.
«Ça a été compliqué pour passer
tous les contrôles policiers. Dès que
tu as du matériel de protection, c’est
vu comme un signe de volonté de
confrontation avec la police. Il y a
un climat de suspicion», pointe-t-il.
Mais certains n’auraient pas pu entrer avec leur matériel, explique
Alex, qui regrette que «les flics em-
Libération Vendredi 24 Juin 2016
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www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Côté Intérieur,
une opération
rondement
menée
Face à des
manifestants amers
d’avoir été parqués,
Cazeneuve peut se
féciliter d’avoir réussi
son pari.
Q
uelle étrange sensation
que de manifester en
vase clos ! A fortiori en
tournant autour du bassin de
l’Arsenal (IVe arrondissement),
cadre bucolique se prêtant plus
volontiers aux premiers rencards… Jeudi, après à peine une
heure de parade, le cortège antiloi travail s’est dispersé sans
heurt aucun. De ce point de vue,
la réussite est totale pour la préfecture de police, son taulier Michel Cadot, et le ministère de
l’Intérieur. En début de soirée,
Bernard Cazeneuve s’en est
d’ailleurs félicité, soulignant
«qu’il n’y avait pas eu de casse,
aucun blessé, et qu’aucune grenade lacrymogène n’avait été tirée». Mais pour les manifestants,
remontés comme des coucous,
la pilule est terriblement amère.
Souricière. A 14 heures, alors
périmètre, interpellations... Le dispositif policier était imposant, jeudi, autour du port de l’Arsenal.
pêchent souvent les street medics de
faire leur boulot. C’est de la répression politique.» Un autre évoque
trois arrestations aux points de contrôle. Les présents, eux, s’accordent
sur un même constat: «C’est calme
aujourd’hui.» «Tant mieux», conclut Alex.
BALLONS ROUGES
Journaliste au chômage, Hélène, la
quarantaine, a, elle, pris «le compromis proposé par Cazeneuve comme
un recul». Alors cette manif, elle
l’accepte «pour l’instant». Car «le
mouvement se joue sur le long terme,
c’est loin d’être fini». Ce défilé exceptionnellement réduit lui semble
donc préférable au rassemblement
statique proposé, un temps, par
la préfecture de police. «Etre coincés
avec des milliers de personnes à
un endroit, c’est un cauchemar», argumente-elle.
Au début de la rue de Lyon,
vers 16 heures, une centaine de militants se regroupent et marchent à
«Le gouvernement
nous taxe de
mouvement
antidémocratique
alors que c’est lui
qui a recours à de
telles pratiques!»
MAXIME étudiant
et membre de l’Unef
contresens de la manif, autour
d’une fanfare et d’une banderole
«Liberté». «Des gens de Nuit debout,
pour beaucoup», précise l’un. «Ils
nous la mettent à l’envers, alors on la
fait à l’envers», explique un autre.
Pour eux aussi, le mini-parcours
proposé par la préfecture a du mal
à passer. «Super, le tour de manège»,
s’agace un troisième. En face, le cortège «officiel» des syndicats arrive
droit devant, avec ses ballons rouges. Entre eux: un cordon de CRS.
L’ambiance est bon enfant. «Paris,
debout, soulève-toi», chante le petit
groupe de manifestants indépendants, en attendant l’arrivée
des syndicalistes. «Rendez-vous !
Vous êtes cernés», lâchent-ils
ensuite, un peu plus piquants, avant
d’être autorisés à avancer vers eux.
S’ensuivent quelques – légères –
échauffourées entre manifestants
indépendants et le service d’ordre
syndical (lire page 4), au son
de «SO collabos!» et «tout le monde
déteste le PS!»
En tête de cortège, Jean-Claude
Mailly et Philippe Martinez, les
numéros 1 de FO et de la CGT,
grillent une cigarette. Avant d’arriver, tant bien que mal, place de
la Bastille, devancés par les militants de Nuit debout. Prochain
rendez-vous mardi, pour une nouvelle manifestation, dont les
contours et modalités restent
encore à négocier. •
que les gendarmes mobiles procèdent aux premières fouilles
minutieuses des sacs à dos, une
pancarte, tenue par un golgoth
tatoué, annonce la couleur :
«Bienvenue au zoo !» Sur le bitume brûlant, on peut lire: «Par
ici le tour de manège.» Cette ironie ne quittera jamais les quelque 20 000 contestataires présents. Il faut dire que les
autorités avaient mis les petits
plats dans les grands. Des grilles
anti-émeutes étirées tout autour
de la place de la Bastille dessinaient une souricière ultraserrée. Plus de 2 000 policiers et
gendarmes encadraient le cortège. Des caméras avaient été
installées en sus de celles du
parc de la ville de Paris. Et le ca-
non à eau confirmait son grand
retour sur la scène parisienne.
A sa vue, le cortège de Solidaires
s’époumone : «On a chaud, envoyez le canon à eau !» Certains
n’hésitant pas, ensuite, à poser
devant pour enchaîner les selfies. Derrière, les cheminots de
SUD Rail craquent des fumigènes et parachèvent les railleries
en hurlant «Allez les Bleus, allez
les Bleus.» Alors que le cortège
conquiert les deux rives du bassin de l’Arsenal, un homme, la
quarantaine fatiguée, s’esclaffe:
«On est les babouins, de l’autre
côté, ce sont les chimpanzés !»
Stoïques, les unités de forces
mobiles ne bronchent pas.
Escalade. Vers 15 h 30, le gros
des troupes file déjà dans les
grandes largeurs. Les camions
de merguez remballent leurs
poêles à frire et une fanfare tournoie autour de la colonne de la
Bastille. C’est alors qu’un groupe
refuse d’obéir aux injonctions de
quitter la place. Immédiatement, les CRS les encerclent vigoureusement. Durant plusieurs
minutes, une centaine de personnes se retrouve acculée au
pied du monument. Les plus
kamikazes se lancent dans une
escalade hasardeuse. En vain.
A 17 h 30, hormis quelques invectives et le sempiternel slogan
«tout le monde déteste la police»,
le trafic automobile reprend peu
à peu.
En début de soirée, un bilan provisoire faisait état de 100 interpellations à Paris, surtout en
amont de la manifestation pour
détention de projectiles. Onze
personnes ont tout de même été
placées en garde à vue : deux
pour «port d’arme», deux pour
«dégradations», une pour «violence», quatre pour «attroupements armés» et deux pour «possession d’engins pyrotechniques».
WILLY LE DEVIN
IIIE
IV
E
PARIS
Place
de la
Bastille
XIE
Bassin
de l’Arsenal
XIIE
200 m
VE
4 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
ÉDITORIAL
Par
LAURENT JOFFRIN
Il est temps
Après les heurts du 17 mai, les syndicats étaient particulièrement sous pression, jeudi. PHOTO CYRIL ZANNETACCI
Les services d’ordre des
syndicats pris entre deux feux
Accusés par certains
manifestants de se plier aux
desiderata de l’exécutif, les gros
bras de la CGT et de FO défendent
leur place sur le terrain.
I
ls sont en civil, portent un brassard et veulent
voir notre carte de presse avant de nous répondre. Ce ne sont pas des policiers de la BAC
mais des membres des services d’ordre (SO) des
syndicats, très présents lors de la manifestation
de jeudi contre la loi travail. Il faut dire que la
préfecture de police leur avait mis la pression, la
veille, lors des rudes négociations ayant abouti
à ce drôle de défilé en forme de manège de 1,6 km
de long. «Les autorités voulaient qu’on protège des
bâtiments, des agences immobilières qui sont sur
l’itinéraire. On a refusé», raconte Jacques Girod,
secrétaire général adjoint de Force ouvrière à Paris. Les SO n’étaient pas non plus sur les barrages
filtrants, mis en place aux abords de la place de
la Bastille, comme l’aurait souhaité la préfecture
de police de Paris. «On n’est pas des collabos!» se
défend-il, en référence à des slogans scandés par
des manifestants non syndiqués dans de précédents défilés. Le 17 mai, des heurts avaient éclaté
entre des manifestants masqués et le SO de
la CGT, dont certains membres étaient équipés
de bâtons, de gourdins et de matraques.
tants, tout équipement est proscrit et confisqué
aux barrages. Chaque SO est accompagné d’un
officier de liaison de la préfecture.
Au départ de la manifestation, Ahmed, fonctionnaire au ministère de la Justice dans le Val-deMarne et membre du service d’ordre de la CGT,
a rejoint l’équipe chargée d’entourer le carré de
tête. Il a fait toutes les manifestations du mouvement. «Je viens pour assurer la sécurité des camarades que les forces de l’ordre n’assument pas délibérément», lance ce solide trentenaire, lunettes
de piscine autour du cou. A quelques minutes du
départ de la manif, il n’a pas d’appréhension particulière: «Tout est fait pour que ça se passe bien.»
Le SO de la CGT s’est positionné aux deux extrémités de la passerelle du bassin de l’arsenal,
autour duquel circule la manifestation. Quand
le défilé passe, les visages des hommes aux brassards sont fermés. Personne ne répond. Un jeune
leur lance : «Y a pas besoin de vous les gars !» Il
poursuit son chemin sans entendre la réplique
d’un grand baraqué du SO: «Sans nous, il y avait
pas de manif aujourd’hui ! Charlot, va !»
«Charlot, va !» Jacques Girod est venu avec
«Les autorités voulaient
qu’on protège des
bâtiments, des agences
immobilières qui sont sur
l’itinéraire. On a refusé.»
une casquette renforcée. D’autres avec des casques de motos et des lunettes de plongée, voire
des gants de moto, alors que pour les manifes-
JACQUES GIROD Secrétaire général
adjoint de Force ouvrière à Paris
Le service d’ordre de FO est, lui, chargé de sécuriser les deux virages du parcours qui ramène le
défilé à la Bastille. Un cortège hétéroclite, sans
drapeau, s’est entre-temps formé devant le carré.
Le groupe de quelques centaines de personnes
veut aller tout droit. Problème: ils font face à des
grilles antiémeute surmontées d’un canon à eau.
Les SO se placent 30 mètres devant les forces de
l’ordre pour faire tourner le cortège syndical sans
qu’il s’en approche. Lorsqu’il passe, des manifestants huent le barrage syndical en criant: «Une
manifestation, c’est pas tourner en rond !» Un
membre du SO se justifie auprès d’un militant:
«On est là pour faire retirer la loi.»
«SO, fachos!» Avec ses comparses à gros bras
de la CGT, Ahmed est venu en renfort de FO dans
le virage. Il accuse les forces de l’ordre de «provoquer» les manifestants. Quand un collectif féministe «issu des luttes du syndicalisme de précaires», le Glumf, chante «SO-Patrons, même
combat», puis «SO, fachos, on aura ta peau»,
Ahmed ne cille pas: «On sait pourquoi on est là,
on assure même leur sécurité.» Le passage de ses
camarades de la CGT Val-de-Marne sera plus
chaleureux. Le micro demande de les acclamer.
Applaudissements. A 15h43, tous les camions de
la CGT sont passés. Le SO quitte le virage et remonte le défilé jusqu’à la Bastille. Brassard CGT
au bras, D., qui ne veut pas donner plus qu’une
initiale de son prénom, trouve que «la manif s’est
bien déroulée» et s’en réjouit: «On est fatigués. Depuis trois mois, il y a presque deux manifs par semaine.» La prochaine est prévue mardi.
PIERRE ALONSO
Une manifestation sans
violences : on n’osait plus y
croire. L’action de petites
minorités agressives une
fois prévenue, la règle démocratique reprend le dessus. Chacun peut afficher
sa satisfaction devant une
journée qui ressemble
– Euro oblige – à un match
nul. La palinodie gouvernementale de mercredi
aurait pu coûter très cher :
une manifestation interdite se tenant tout de
même, une police épuisée
et débordée, un cortège
syndical dispersé à coups
de matraques… On a
échappé au pire.
Les leaders syndicaux ont
fait, en l’espèce, preuve de
responsabilité en acceptant ce défilé en forme de
tour de stade. L’exécutif a
rattrapé in extremis une
fausse manœuvre difficilement compréhensible en
autorisant ce qu’il se disposait à interdire. Les syndicats peuvent revendiquer
une mobilisation toujours
vivace, ranimée par la menace d’interdiction. Et le
gouvernement constater
que les grèves se sont pratiquement arrêtées – elles
n’ont jamais réuni une
grande proportion de salariés – et que les manifestations ne progressent pas en
nombre.
Ce retour à la normale protestataire augure-t-il d’un
compromis ? Rien n’est
moins sûr. Jean-Claude
Mailly en appelle au président de la République, en
passant par-dessus la tête
de Manuel Valls. Mais
l’Elysée et Matignon ont
passé un pacte discret avec
la CFDT, qui soutient la loi
El Khomri à ses risques et
périls et qui n’admettrait
pas d’être soudain prise
à revers par Hollande et
Valls. La partie se jouera
en fait au Parlement en
juillet, dans un tête-à-tête
de la gauche avec ellemême, sous l’œil de syndicalistes méfiants. Il est
temps qu’elle se termine :
on a rarement vu un courant politique aussi
acharné à sa propre perte,
à un an d’une élection majeure où la droite, sûre
d’elle-même, décidée à la
rupture libérale, se
retrouve en position de
grande favorite. •
Libération Vendredi 24 Juin 2016
ÉDITOS/
ANALYSE
Le cas Balkany
gâche la fête
sarkozyste
Par
ALAIN AUFFRAY
Journaliste au service France
@alainauffray
vestitures précoces des candidats aux législatives. Pour Juppé, Fillon et Le Maire, il fallait
naturellement attendre la désignation du
candidat de la droite à la présidentielle avant
d’engager, en décembre, le travail de la CNI.
Nicolas Sarkozy, lui, voulait absolument que
ce processus soit bouclé avant le conseil
national LR qui doit se réunir le 2 juillet.
De sorte qu’à l’automne prochain, les candidats choisis sous son autorité seront naturellement enclins à le soutenir dans la campagne de la primaire. Pour réussir cette
opération, le chef de Les Républicains a im-
posé à la CNI, instance majoritairement
sarkozyste présidée par Christian Estrosi, un
rythme de travail effréné depuis le début de
ses travaux, le 6 juin. Pour boucler les 577 investitures, chaque département est expédié
en moins d’un quart d’heure. «C’est de l’abattage», commente un proche de Bruno
Le Maire. Comme tous les non-sarkozystes,
il note que l’engagement pris de «réserver»
les circonscriptions où il n’y a pas consensus
sur le nom du candidat n’est pas respecté et
que la CNI a souvent choisi le passage en
force. Dans le camp Juppé, on se contente
d’indiquer que la vraie liste des candidats
Les Républicains aux législatives ne sera validée qu’en décembre. En attendant on ne se
sent «pas lié» par les pré-investitures décidées ce mois-ci. Voilà Patrick Balkany ou
Georges Tron, lui aussi investi, prévenus. Nicolas Sarkozy se serait évidemment bien
passé de cette controverse autour du prolongement de la carrière politique de son ami.
De la désignation précipitée des candidats
aux législatives, il espérait faire une éclatante
démonstration de son leadership. Ce n’est pas
exactement ce qu’il en ressort. •
Sur la loi El Khomri, le Front national
incapable de travailler en équipe
Par
DOMINIQUE ALBERTINI
Journaliste au service France
@dom_albertini
«Les positions économiques du Front
national ? On ne les connaît pas, tellement il y a à boire et à manger», jugeait un entrepreneur présent au
«rendez-vous de Béziers», ce colloque
de la «vraie droite» organisé fin mai
par Robert Ménard. A coup sûr, l’attitude du Front national vis-à-vis de la
loi travail n’aura pas dissipé cette perplexité. La position officielle du parti
est pourtant simple : opposé à une loi
«dictée par Bruxelles», le mouvement
d’extrême droite réclame son retrait
pur et simple. Dans le détail, toutefois, les choses sont moins claires,
tant revirements et contradictions se
multiplient parmi les figures frontistes. Signe d’un certain opportunisme,
mais aussi d’une diversité interne
que le parti tente vainement de glisser sous le tapis.
Dernier exemple en date : la tenue ou
non du défilé syndical organisé jeudi.
Le 20 mai, sur Europe 1, Marine
Le Pen se déclarait favorable aux
interdictions de manifestation : «En
situation d’état d’urgence, il n’y a pas
de manifestation», tranchait-elle. Un
mois plus tard, volte-face : «Moi je respecte la loi et notamment les grandes
libertés publiques», a finalement décidé la présidente du FN sur TF1,
mardi soir.
Le Front national est-il plus cohérent
sur le fond du débat ? Derrière l’unanime rejet de la loi travail, le choix
des mots varie beaucoup selon l’ora-
teur. Tandis que Marine Le Pen et
Florian Philippot dénonçaient un
«choc de précarisation» pour les salariés, le vice-président, Louis Aliot, jugeait que, même décevante dans son
contenu, la loi était «issue de bonnes
réflexions du monde de l’entreprise».
De leur côté, les députés Marion
Maréchal-Le Pen et Gilbert
Collard déploraient par
communiqué que la
loi n’aille pas assez
loin et laisse subsister de «multiples entraves à
l’embauche et à
l’investissement».
Comble de la confusion : le sort de
ces amendements
préparés par les
parlementaires
frontistes et visant
à modifier le texte
dans un sens favorable aux chefs
d’entreprise. Des contributions finalement retirées sur ordre de la direction
frontiste : «trop libéraux» et inutiles, puisque le FN exige le retrait
de la loi et pas son «amélioration».
En fait de ligne économique, c’est donc une étonnante cacophonie qu’a affichée le Front national. C’est
que la position du parti est
délicate. Ses sympathisants sont largement
hostiles à la loi
El Khomri : selon une récente enquête Ifop, 72 % d’entre eux jugent
«justifié» le mouvement de protestation contre celle-ci, contre 59 % pour
l’ensemble des sondés. Ce sentiment
est relayé à la tête du FN par son numéro 2, Florian Philippot. Mais une
partie des cadres frontistes,
sceptique vis-à-vis du slogan «ni droite, ni gauche», lui préférerait
un positionnement
plus identitaire et
libéral.
Conséquence: au
Front national, on
aura entendu tout
et son contraire. Une
habitude chez ce
parti chantre de la
laïcité, mais aussi
des racines chrétiennes de la France;
opposé au mariage homosexuel, mais «bouclier»
des minorités sexuelles face
à l’islamisme; ou encore,
comme l’a expliqué Florian Philippot sur
France Inter, jeudi, «ni
libéral, ni pas libéral».
Ce grand écart n’empêche certes
pas le FN de multiplier les performances électorales, tant la
répulsion est aujourd’hui forte
vis-à-vis de ses concurrents.
Mais outre que la négation
systématique par le Front
de ces divergences confine au ridicule, elles le
contraignent à des «synthèses» aussi précaires
qu’improbables. •
NA
ÑE
RA
SG
LUI
Patrick et Nicolas, inusable romance. Cette
ancestrale amitié vient de s’enrichir d’un nouveau témoignage : sous la présidence de
Sarkozy, le parti LR a décidé d’accorder à Balkany son investiture pour les législatives de
l’année prochaine. Le député sortant des
Hauts-de-Seine, élu pour la première fois
en 1988, va donc pouvoir se lancer, en
juin 2017, dans sa 7e campagne législative! Et
puisque Sarkozy a promis de rétablir le cumul
des mandats s’il redevient chef de l’Etat
en 2017, son vieux complice a bon espoir de
pouvoir continuer à cumuler son mandat de
parlementaire avec celui de maire des Levalloisiens, ces derniers l’ayant réélu, en 2014,
dès le premier tour. S’ils parviennent tous
deux à se faire élire, Patrick et Nicolas pourront célébrer, en 2022, près d’un demi-siècle
d’amitié politique. C’est en effet au début des
années 70 que le premier – qui avait ses entrées au palais de l’Elysée– avait accompagné
les tout premiers pas politiques du second,
son cadet de six ans.
Mais à droite, cette belle histoire n’est pas du
goût de tous. Inexistant dans le travail parlementaire, Balkany est en revanche omniprésent sur le front judiciaire où il cumule quatre
mises en examen: pour fraude fiscale, blanchiment, corruption passive et déclaration
mensongère de patrimoine. Il est, par ailleurs,
l’une des vedettes des «Panama Papers», où
l’on trouve la trace de sociétés écrans, propriétaires de son désormais célèbre riad marocain. A l’Assemblée nationale, ceux qui siègent à ses côtés sur les bancs de l’opposition
trouvent que cela commence à faire beaucoup. «Je désapprouve l’investiture de Patrick
Balkany. Toujours la même vieille politique!»
a tweeté mercredi Bruno Le Maire, député LR
de l’Eure, candidat du «renouveau» dans la
primaire à droite. Autre candidat à la primaire, Hervé Mariton renchérit jeudi
France Info: «La manière de faire de la politique de Patrick Balkany est totalement contraire à mes principes. Il est parfaitement choquant que notre parti politique continue
d’accorder sa confiance dans un tel contexte.»
Pour le reste, les parlementaires LR de toutes
obédiences sont gênés aux entournures. Sur
le principe, juppéistes, fillonistes, lemairistes
et sarkozystes étaient d’accord pour que la
Commission nationale d’investiture (CNI) valide la réinvestiture quasi automatique des
sortants.
Chacun convient, par ailleurs, que le parti Les
Républicains doit respecter le principe de la
présomption d’innocence. Il est vrai que dans
le cas contraire, Nicolas Sarkozy lui-même,
doublement mis en examen, ne pourrait pas
être candidat à la primaire de novembre… En
revanche, les adversaires de l’ancien chef de
l’Etat s’étaient tous prononcés contre les in-
u 5
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
6 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Les Pages jeunes Tous les vendredis,
Libération fait le point sur l’actualité du livre
jeunesse. Cette semaine, un album estival,
sublime conte écologique aux couleurs éclatantes et subtiles, qui raconte l’histoire tendre
et contrariée d’une méduse et d’une jeune
baigneuse. Je suis la méduse (éd. les Fourmis
rouges). Dès 5 ans.
EXPRESSO/
Les deux Corées
(ré)unies par les liens
du mariage
Se disant effrayés ou rejetés par des
femmes de plus en plus émancipées,
les Sud-Coréens sont nombreux
à se tourner vers des réfugiées
nord-coréennes.
Par
EVA JOHN
Correspondante à Séoul
«L
es hommes les
plus beaux viennent du Sud, les
femmes les plus belles du
Nord.» Ce proverbe coréen
date de bien avant la division
de la péninsule après la Seconde Guerre mondiale. Mais
alors que Nord et Sud sont
ennemis, il a pris une tout
autre signification et renvoie
à des agences matrimoniales
qui présentent des réfugiées
du Nord à des célibataires
sud-coréens. Celle de Hong
Seung-woo, l’une des plus
anciennes, fête cette année
ses 10 ans d’existence et se
targue d’avoir organisé près
de 560 mariages.
Transfuges. Visage rond et
cheveux gominés, Hong gère
ce business avec sa troisième
épouse, une Nord-Coréenne.
En 2006, quand il a créé
l’agence, il était marié à une
autre réfugiée nord-coréenne, qu’il avait rencontrée
par l’intermédiaire d’un ami:
«Quand il m’a proposé de me
la présenter, j’ai d’abord eu
peur. Je n’avais encore jamais
rencontré de Nord-Coréens et
je les associais au diable,
comme on me l’avait appris
depuis l’enfance. Je les suspectais d’être des espions et je
craignais qu’on m’accuse
d’être pro-Pyongyang.» Rapidement, Hong oublie ses préjugés et entre, via son épouse,
dans la communauté des réfugiés. Après avoir plusieurs
fois joué l’intermédiaire pour
des amis, il entrevoit une opportunité d’affaires.
Pour un peu moins de
2 300 euros, les clients se
voient présenter jusqu’à cinq
femmes. Les deux parties
sont ensuite libres de donner
suite ou non au premier rendez-vous. «Généralement, les
refus viennent des femmes»,
précise Hong. Kim Ji-hae,
35 ans, fluette et timide infirmière en formation, épousera bientôt un professeur
d’anglais originaire de Busan,
ville portuaire du Sud. Elle l’a
rencontré en mars 2015 grâce
à l’agence. «Mon fiancé a une
situation stable. Il m’aide et
essaye de me comprendre. Les
hommes nord-coréens sont
plus machos.» Son seul regret: qu’aucun membre de sa
famille, restée au nord du
38e parallèle, ne pourra assister à la cérémonie.
Les femmes constituent la
maj eure
par tie
de s
29000 transfuges installés au
Sud et 80% de ceux qui sont
arrivés l’an dernier. Elles peuvent fuir le régime des Kim
plus facilement que les hommes, qui pointent à l’usine, et
peuvent survivre en Chine en
épousant des paysans qui les
rachètent. Pour celles qui
s’installent au Sud, le mariage constitue une promesse
d’intégration au sein d’une
société ultramoderne, aux
antipodes de ce qu’elles ont
connu auparavant, et encore
peu ouverte aux réfugiés.
«C’est leur extrême solitude
L’HISTOIRE
DU JOUR
qui les pousse à s’inscrire dans
ces agences», estime Kim
Seok-hyang, du département
d’études nord-coréennes de
l’Université pour femmes
Ewha de Séoul.
Quant aux hommes, ils ont
des profils très variés, si l’on
en croit Hong. Certains viennent des campagnes désertées par les jeunes filles,
d’autres sont des citadins et
des divorcés «déçus par les
Sud-Coréennes», assure-t-il.
Ce dernier est étonnamment
remonté contre les femmes
de son pays, qui ont, selon
lui, «pris le pouvoir». «Les
Sud-Coréennes sont si exi-
«Les SudCoréennes sont
si exigeantes
et vénales.
De vraies
croqueuses
de diamants.»
HONG SEUNG-WOO
patron d’une agence
matrimoniale
geantes et vénales. De vraies
croqueuses de diamants»,
poursuit-il. Son agence,
comme une poignée d’autres
qui officient, vante à l’inverse
les «mérites» des Nord-Coréennes, qui seraient des
épouses plus traditionnelles,
entendez douces et dociles. Il
y a deux ans, l’une de ces
agences avait suscité la polémique en les décrivant dans
une publicité comme «belles,
sincères et gentilles, au contraire des Sud-Coréennes
aux visages refaits, calculatrices et rusées».
Pour des raisons similaires,
les mariages «mixtes» avec
des étrangères, venues principalement d’Asie du SudEst, sont devenus courants.
Le phénomène est tel qu’il est
encadré et même encouragé
Un couple qui s’est rencontré via une agence matrimoniale intercoréenne. EVA JOHN
par le gouvernement sud-coréen. Moins nombreuses et
plus confidentielles (aucune
donnée officielle et peu de
littérature sur le sujet), les
unions «intercoréennes» ont
l’avantage de ne se heurter à
aucune barrière de langue.
«Désirs». Mais tout n’est pas
rose pour autant. «Nous sommes très différents. Les SudCoréens ne peuvent pas nous
comprendre complètement.
Au début de notre mariage, ça
n’a pas toujours été facile»,
confie Lee Hana (1), l’actuelle
épouse de Hong Seung-woo.
Arrivée au Sud en 2011 après
avoir vécu pendant six ans en
Chine, elle a décidé de rejoindre Séoul, laissant derrière
elle son enfant pour qu’il travaille à la ferme. A l’agence,
c’est elle qui se charge d’assortir les couples. «Beaucoup
de Sud-Coréens dénigrent les
Nord-Coréennes. Ils pensent
que tant qu’elles ont à manger,
elles seront contentes. Or, elles
ont bien sûr d’autres désirs.
C’est justement parce qu’elles
ont connu des situations difficiles qu’elles ont envie de vivre
mieux», regrette-t-elle. Une
dizaine d’unions nées à cette
agence se seraient soldées
par un divorce. •
(1) Le prénom a été modifié.
Libération Vendredi 24 Juin 2016
u 7
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Bientôt un vaccin contre Zika ? Des chercheurs européens
L’ESPOIR
ont annoncé jeudi avoir découvert de «puissants» anticorps capables de «neutraliser» le virus Zika, une découverte ouvrant la voie
à un vaccin contre ce virus à l’origine de lésions cérébrales chez le
fœtus. Dans des travaux menés en laboratoire, les anticorps ont
permis de «neutraliser» à la fois Zika et le virus voisin de la dengue,
«ce qui pourrait aboutir au développement d’un vaccin universel»
protégeant contre les deux maladies, ont indiqué les chercheurs
dans la revue scientifique Nature. PHOTO AP
10
Etats-Unis: sit-in
démocrate pour
le contrôle des armes
Dix jours après le carnage
dans un club gay d’Orlando,
des démocrates américains
ont occupé l’hémicycle de
la Chambre des
représentants de
mercredi midi à
jeudi midi. Objectif: protester contre le refus
de la majorité républicaine
de mettre au vote une législation sur le contrôle des armes à feu. Une exaspération qui montait depuis
lundi, après le rejet de quatre textes par le Sénat, lui
aussi aux mains de la
droite. La voix grave de
John Lewis (assis au centre), figure du mouvement
milliards, c’est, en
dollars, le montant du
plan de Volkswagen
pour régler le litige dû à
ses moteurs diesels truqués aux Etats-Unis. Le
groupe proposera plus
de 6000 euros en liquide
aux propriétaires des voitures affectées et contribuera à un fonds de lutte
contre la pollution de
l’air. Le plan sera présenté à la justice américaine mardi.
Appuyées par les raids de
l’aviation de la coalition,
les forces de l’alliance arabo-kurde syrienne ont atteint le carrefour Al-Kitab, à
l’entrée sud-ouest de Manbij
en venant d’Alep, soit 2 kilomètres du centre de la
ville. Leur progression est
ralentie par les combats féroces qu’ils doivent livrer
contre les hommes de l’Etat
islamique. «Ceux-là les ont
accueillis par des explosions
successives de trois voitures
piégées», rapporte Ahmad
Mohamad, jeune activiste
de Manbij qui, depuis le sud
de la Turquie, est en contact
régulier avec les siens restés
dans la ville.
«Les préparatifs qu’on a pu
voir ces dernières semaines
indiquent que les hommes de
Daech sont déterminés à ré-
TURQUIE
sister, affirme Ahmad. Ils
ont réquisitionné toutes les
maisons des civils à l’entrée
de la ville pour installer
leurs combattants et positionné leurs armes. Les habitants expulsés se sont repliés vers le centre logeant
tant bien que mal chez des
amis, dans des magasins ou
logements abandonnés.» Ils
sont en tout cas interdits de
sortir de la ville et pris
comme boucliers humains
par l’Etat islamique. Les
frappes aériennes de la coalition occidentale comme
les combattants des Forces
démocratiques syriennes (FDS) ont le souci,
autant que possible, d’épargner les civils. Il resterait
encore pas loin de
200 000 habitants dans
Manbij. «Tous terrés chez
Kobané
Hassaké
Mer
Méditerranée
Alep
Manbij
Raqqa
SYRIE
Homs
Deir el-Zor
IRAK
Palmyre
50 km
LIBAN
eux par peur des raids aériens et des combats», indique Ahmad. Ils ont pu, ces
derniers jours se procurer
du pain, puisque les hommes de l’Etat islamique ont
livré aux boulangeries le
carburant nécessaire, après
avoir entretenu la pénurie
pendant plusieurs jours. Le
prix du pain vendu par
l’Etat islamique a même été
divisé par trois ces derniers
jours.
Carrefour important sur la
route de ravitaillement des
jihadistes entre la frontière
turque et leur bastion de
Raqqa, Manbij est contrôlé
par l’EI depuis début 2014.
La bataille lancée le 31 mai
par les FDS pour l’arracher à
l’Etat islamique a commencé en même temps que
celle de Fallouja, en Irak. Les
hommes de l’Etat islamique
ont opposé dans les deux
cas une résistance déterminée à l’offensive soutenue
par les puissants moyens de
la coalition occidentale.
Plus de 2 000 combattants
de l’EI seraient à Manbij. Ils
ont eu le temps de préparer
le terrain en plantant des
mines et en creusant des
tunnels bourrés d’explosifs.
HALA KODMANI
À CHAUD
IL A OSÉ
«Hillary Clinton est peut-être
la personne la plus corrompue
à s’être jamais présentée
à la présidence.»
DONALD TRUMP
candidat
républicain à la
présidentielle
américaine
REUTERS
En Syrie, l’offensive contre l’Etat
islamique progresse à Manbij
des droits civiques et représentant de Géorgie, a tonné
au micro : «Nous avons
perdu des centaines de milliers d’innocents à
cause de la violence des armes.
Combien de mères, de pères devront encore
verser des larmes de douleur
avant que nous agissions.
Laissez-nous voter !» a-t-il
exhorté avant que les républicains ne coupent la retransmission télévisée de la
séance… et que Periscope
ne prenne le relais. Furieux,
des républicains ont quitté
le bâtiment sous les huées.
M.É. PHOTO REUTERS
A la recherche d’un nouvel élan pour sa campagne, Donald
Trump a fait feu de tout bois mercredi contre la candidate
démocrate, Hillary Clinton, accusée d’être une «menteuse
de première classe», incompétente pour diriger les EtatsUnis. A la peine financièrement et devancé de 6 points
dans les sondages par sa rivale, le candidat républicain n’y
est pas allé de main morte lors d’un discours à la tour
Trump Soho de Manhattan.
Quarante-huit heures après le départ de son directeur
de campagne, Corey Lewandowski, remplacé par Paul Manafort, ancien conseiller de Ronald Reagan et George
W. Bush, le ton était nouveau, calme, se voulant présidentiel. Mais les propos étaient particulièrement virulents.
Donald Trump a accusé Hillary Clinton d’avoir dirigé le
département d’Etat entre 2009 et 2013 comme son «fonds
spéculatif personnel, rendant des faveurs à des régimes
d’oppression et à beaucoup d’autres pour du cash».
Et d’avoir réussi, en quatre ans, et «presque seule, à déstabiliser tout le Moyen-Orient». La riposte de la démocrate ne
s’est pas fait attendre: «Il m’attaque personnellement car
il n’a pas de réponses sur le fond», a-t-elle déclaré lors d’un
meeting à Raleigh, en Caroline du Nord, le même jour. Dénonçant les «mensonges extravagants et théories du complot» du milliardaire républicain, elle a prédit «une “Trump
recession”» s’il accédait à la Maison Blanche. M.É.
En Allemagne,
un homme tué
après avoir
pénétré armé
dans un cinéma
Un homme armé qui s’était
retranché jeudi après-midi
dans un cinéma de l’ouest de
l’Allemagne a été tué par la
police, ont indiqué les autorités locales. «L’assaillant se
déplaçait dans le cinéplex et
donnait l’impression d’être
perturbé, […] il a été combattu et c’est ainsi qu’il a
trouvé la mort», a résumé le
ministre de l’Intérieur de la
région de Hesse, Peter Beuth.
Selon le site internet de Bild,
c’est avec un pistolet
d’alarme que l’homme aurait
tiré dans la salle de cinéma.
Il n’y a «pas d’indication que
de tierces personnes ont subi
des dommages», a précisé de
son côté Peter Beuth, ajoutant que l’homme avait «pris
des otages».
Aucune indication n’a été
donnée sur l’identité ou les
motivations de l’assaillant.
Selon l’agence de presse DPA,
des sources sécuritaires
auraient assuré qu’il n’y avait
«pas de lien avec le terrorisme».
8 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Claude Perdriel réinvestit dans la presse
Le propriétaire de Challenges et Sciences & Avenir,
cofondateur de l’Obs (par ailleurs partiellement en
grève depuis ce jeudi et un vote du site et du Plus),
âgé de 89 ans, prend le contrôle de Sophia Publications, qui édite notamment l’Histoire et la Recherche,
pour un peu plus d’un million d’euros.
PHOTO V. NGUYEN. RIVA PRESS
EXPRESSO/
Pesticides et huile de palme: double recul à l’Assemblée
Abeilles, orangs-outangs et
Homo sapiens : 0. Lobbys : 1.
En reportant une nouvelle
fois l’interdiction des néonicotinoïdes et en renonçant à
taxer davantage l’huile de
palme, le projet de loi biodiversité a subi deux gros reculs dans la nuit de mercredi
à jeudi à l’Assemblée nationale. Les députés ont certes
interdit les pesticides tueurs
d’abeilles à partir de septembre 2018. Mais ils ont assorti
cette date de dérogations
jusqu’en 2020. Soutenu par la
ministre Ségolène Royal, cet
amendement inquiète.
«In fine, l’interdiction totale
ne sera réellement effective
qu’en 2020», déplore l’Union
nationale de l’apiculture française (Unaf), qui explique
qu’une telle dérogation
DROIT DE SUITE
«maintiendra l’exposition [des
pollinisateurs] aux résidus de
néonicotinoïdes jusqu’en 2022
au moins». Pour le président
de l’Unaf, Gilles Lanio, «c’est
potentiellement 1,2 million de
ruches supplémentaires décimées». Pourtant, selon les apiculteurs, «de nombreux agriculteurs […] font déjà le choix
de se passer de ces pesticides.
[…] Les alternatives existent:
ce n’est qu’une question de volonté des pouvoirs publics et
du monde agricole de les diffuser et de les accompagner».
L’ONG Générations futures a
dénoncé un recul «inacceptable face aux pressions de la
FNSEA et des lobbys agrochimiques». Ces derniers
étaient en effet très présents
au Parlement pour défendre
leurs positions. Céréaliers et
betteraviers ont par exemple
transmis mardi aux députés
un projet de texte préécrit
plaidant pour une interdiction en 2021, au cas par cas et
uniquement après avis scientifique. «D’ici à 2020, Bayer et
Syngenta peuvent dormir
tranquilles: et les abeilles continueront de mourir…» a résumé sur Twitter la députée
(PS) Delphine Batho.
Le lobbying de l’Indonésie
s’est aussi montré payant à
l’Assemblée. Son ambassadeur en France s’est démené
pour tenter d’éviter une taxa-
tion de l’huile de palme – à
hauteur de celle appliquée à
l’huile d’olive–, dont le pays
est un gros producteur. Parmi
les menaces brandies face à
cette mesure «arrogante»
pouvant «mettre en danger les
relations entre les deux pays»,
de possibles annulations
d’achats d’Airbus ou de satellites. «Sans parler de pressions plus indirectes selon lesquelles des Français en
Indonésie pourraient se
retrouver en difficulté», a déclaré la députée (EE-LV) Laurence Abeille. Las, les députés
ont renoncé à cette «surtaxation», revenant sur de précédents votes. «Nous légiférons
avec le couteau sous la gorge.
Le Parlement français fait
l’objet d’un chantage», a déploré Delphine Batho. C.Sc.
PROCÈS
Terroristes «courageux» : Jean-Marc
Rouillan devant le tribunal
Il risque sept ans de prison et la révocation de sa libération conditionnelle. Jean-Marc Rouillan, ex-dirigeant d’Action directe, sorti de
prison depuis 2012, condamné à perpétuité en 1989 pour complicité d’assassinat de l’ingénieur
général de la Défense René Audran et du PDG de Renault
Georges Besse, est jugé pour «apologie du terrorisme» ce
vendredi devant la 16e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Le 23 février, dans une interview sur l’antenne marseillaise Radio Grenouille reprise par le mensuel
le Ravi, Rouillan qualifiait de «courageux» les auteurs des
attentats parisiens. «Ils se sont battus très courageusement.
Ils se battent dans les rues de Paris, ils savent qu’il y a 2 000
ou 3 000 flics derrière eux.» Les propos de Rouillan, 63 ans,
ne sont pas passés inaperçus. «Je comprends que des phrases sorties de leur contexte aient pu choquer des familles touchées par le deuil», se défend Rouillan, rencontré par Libération avant son procès. «Le délit d’apologie du terrorisme
est constitué», réagit l’avocat Olivier Morice, défenseur
d’une trentaine de victimes des attentats du 13 Novembre,
partie civile.
Le Parlement européen réclame
320 000 euros à Jean-Marie Le Pen
Yves Saint Laurent: Hedi Slimane
veut en découdre avec Kering
Soupçonné d’avoir couvert un emploi fictif, l’eurodéputé
Jean-Marie Le Pen pourrait passer à la caisse. Selon l’AFP,
le Parlement européen lui réclame 320000 euros pour avoir
employé un assistant aux frais du contribuable européen
sans pouvoir fournir «la preuve [de son] travail». Les faits
reprochés portent sur la mandature 2009-2014, durant laquelle l’assistant de Le Pen n’était autre qu’un vice-président du Front national, Jean-François Jalkh. Selon un document du Parlement consulté par l’AFP, l’ex-président du
FN «ne fournit ni explication ni preuve du travail d’assistance parlementaire réalisé par monsieur Jalkh». L’institution lui réclame donc le remboursement des sommes correspondant à la rémunération de Jalkh à cette période.
Un autre eurodéputé FN devrait 200000 euros au Parlement pour les mêmes motifs: Bruno Gollnisch. Jeudi matin, il contestait «formellement» faire l’objet d’un «ordre de
reversement de quelque somme que ce soit», mais selon nos
informations, il se verra
bien réclamer une
somme équivalente aux
salaires versés pendant
la mandature 20092014. Des faits similaires sont reprochés à d’autres
eurodéputés FN
sur la mandature
entamée en
2014: l’organisme
antifraude de l’UE
et le parquet de Paris enquêtent sur une
vingtaine d’assistants
soupçonnés de s’être
consacrés à des tâches
internes au FN en étant
rémunérés sur des fonds
européens. D.Al.
Quatre mois après son départ
de la maison Saint Laurent,
Hedi Slimane assigne Kering,
propriétaire de la marque, en
référé. La procédure aurait
été lancée le 26 mai au tribunal de commerce de Paris. Le
styliste demande au groupe
pour lequel il a travaillé
de 2011 à 2016 «une très importante indemnité, de plusieurs millions d’euros, pour
rupture abusive de contrat»,
selon une source citée par
l’agence Reuters. La procédure concerne «les obligations de non-concurrence
d’usage». Contacté par Libération, Kering a confirmé
qu’il avait, à l’échéance du
contrat, levé la clause de nonconcurrence du styliste tandis que celui-ci en demande
l’application avec le paiement des indemnités qui y
sont assorties: «La procédure
concerne les obligations de
non-concurrence d’usage dont
la collaboration de Hedi Slimane à la maison Yves Saint
Laurent était assortie. Kering
a levé cette clause à l’échéance
du contrat, libérant ainsi
Hedi Slimane de cette possible
contrainte. Hedi Slimane demande l’application de cette
clause et le paiement par
Kering de l’indemnité corres-
A
RAÑEN
LUIS G
À L’AMENDE
Hedi Slimane, le 10 février, à Los Angeles. PHOTO SIPA
pondante. Ce différend n’altère en rien la grande reconnaissance du groupe envers
Hedi Slimane pour avoir, aux
côtés des équipes d’Yves Saint
Laurent, mené à bien une réforme holistique de la maison
durant ses quatre années à la
tête de la création et de
l’image de la marque.»
Il est d’usage dans le milieu
de la mode d’imposer à un
couturier de ne pas œuvrer
pour une marque ou un
groupe concurrent pendant
une ou plusieurs saisons.
Slimane préfère donc toucher
cette indemnité, dont le montant et la durée n’ont pas été
communiqués. Il balaye, de
fait, les rumeurs qui le disaient prêt à prendre prochai-
nement la suite de Karl Lagerfeld chez Chanel ou la tête
de Dior, après le départ de Raf
Simons en octobre, même si
c’est le nom de Maria Grazia
Chiuri, actuellement chez Valentino, qui circule le plus.
L’attaque de Slimane contre
le groupe de luxe, dirigé par
François-Henri Pinault,
prouve par ailleurs que les relations s’étaient sérieusement dégradées entre les
deux parties malgré les ventes tonitruantes enregistrées
par Yves Saint Laurent depuis l’arrivée du couturier
(+ 30 % par an). Antony Vaccarello, son successeur, devra
faire oublier cet imbroglio juridique lors de son premier
défilé, en septembre. M.Ott.
RÉGION
Wauquiez recule
sur la révision
du règlement
intérieur
Laurent Wauquiez n’est
plus à une reculade près.
Le président de la région
Auvergne-Rhône-Alpes
vient de laisser tomber,
lors de la commission plénière de jeudi, sa proposition de modification du
règlement intérieur. Très
contrarié par des messages d’élus de l’opposition
dénonçant sur Twitter
certaines de ses orientations budgétaires, le numéro 2 du parti Les Républicains avait décidé de
couper le sifflet aux gazouilleurs impétueux et
de punir toute «fuite»
d’une sanction financière.
Or, avant même les questions préalables à cet
amendement, il a préféré
faire machine arrière «au
nom du dialogue», a-t-il
justifié. Au nom de la légalité et d’une «grande fébrilité», persiflent ses adversaires. Qui, pour
commenter la nouvelle,
s’en sont donné à cœur
joie… sur Twitter.
Libération Vendredi 24 Juin 2016
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u 9
SUR LIBÉRATION.FR
Polnareff se paye un faux sosie Face à la campagne publici-
LE DÉTAIL
QUI TUE
«Inique»
C’est le terme employé par Bernard Ripert, l’ancien avocat d’Action directe, pour commenter
jeudi sa condamnation à trois ans d’interdiction
d’exercer, dont un avec sursis, dans le cadre de poursuites disciplinaires par la cour d’appel de Grenoble.
«Leur décision correspond pour moi à une radiation.
Une fois de plus, les magistrats se sont vautrés dans
l’illégalité comme certains animaux le font dans leurs
déjections», a dénoncé Me Ripert, 66 ans, qui avait été
illégalement interné d’office en psychiatrie fin mai.
Le pénaliste était notamment poursuivi pour avoir
osé lancer à un président de cour d’assises qu’il était
«préférable de connaître le code avant l’audience que
de le découvrir pendant ou après».
À LA BARRE
«[Fabienne Kabou] souffre d’une
psychose délirante chronique
à dimension persécutive. Quand
elle parle de sorcellerie, c’est
pour donner un sens commun,
partageable à son délire.»
DANIEL ZAGURY
expert psychiatre au procès de Fabienne Kabou
Cela fait quatre jours que les jurés de la cour d’assises de SaintOmer (Pas-de-Calais) tentent de cerner la personnalité singulière de Fabienne Kabou, 39 ans, jugée pour avoir tué sa fille
de 15 mois à Berck-sur-Mer fin 2013. Pour la présidente, l’accusée «ment beaucoup et depuis longtemps». Notamment à son
compagnon, Michel Lafon, de 30 ans son aîné. Elle attendra
notamment plusieurs mois avant de l’informer de sa grossesse,
certifiera avoir accouché à la maternité quand elle le fera à domicile, soutiendra à tort avoir déclaré Adélaïde à l’état civil.
«Tant de mensonges qu’elle est au pied du mur, suggère la présidente. Soit elle dit tout, soit c’est le passage à l’acte: faire disparaître cette enfant, c’est faire disparaître ses problèmes.»
«Si on suit cette interprétation, on passe à côté d’un cas historique, lui répond le psychiatre Daniel Zagury. On ferait de Fabienne Kabou une petite menteuse alors que c’est une grande
délirante. On est, ici, dans la pathologie psychiatrique.» Avec
Roland Coutanceau et Maroussia Wilquin, ils ont mené une
contre-expertise qui conclut à l’altération du discernement
de l’accusée, comme un premier groupe d’experts. Persuadée
de «ne pas être seule dans sa tête», Fabienne Kabou vivrait dans
un conflit permanent entre elle-même et l’extérieur. Si elle
n’a jamais dit qu’elle était enceinte à son entourage ou n’a jamais déclaré sa fille, c’est parce qu’«elle pense que nommer l’enfant, c’est la mettre en danger». A plusieurs reprises, l’intéressée a effectivement évoqué «un danger pire que la mort».
Maroussia Wilquin confirme: «Elle ne supprime pas l’enfant,
elle supprime le danger qu’elle perçoit.» J.Br. (à Saint-Omer)
taire de Cetelem, qui met en scène son sosie raté, Michel Polnareff a
fait non. Dans la pub, un sosie en marcel s’évertuait à ressembler à la
mascotte de l’organisme de crédit. Si l’homme «présente effectivement un certain ridicule, il ne peut être considéré que ce ridicule
rejaillit sur Michel Polnareff, dès lors le personnage se distingue
du chanteur», a estimé le tribunal, qui n’a alloué à ce dernier que
10000 euros sur le million qu’il réclamait. CAPTURE YOUTUBE
Recalé de la fac par tirage au sort, il gagne en justice
C’est une décision passée
quasiment inaperçue. Elle
pourrait pourtant donner
des idées aux élèves recalés
des bancs de la fac par manque de place… Et embarrasse
le ministère de l’Education
nationale en pleine procédure APB (admission post-
bac). La semaine dernière, le
tribunal administratif de
Bordeaux a donné raison à
un élève, ancien joueur professionnel de basket, qui
contestait son refus d’inscription en Staps (sport) à
l’université de Bordeaux en
septembre 2015. Faute de
capacité d’accueil suffisante,
l’université avait départagé
les candidats en procédant à
un tirage au sort, pratiqué
dans 189 établissements
l’année dernière. Dans sa
décision, le juge a considéré
que le tirage au sort n’avait
pas de fondement légal. «Il
ne ressort d’aucune pièce du
dossier qu’une telle réglementation, permettant de fonder
la procédure de tirage au sort
mise en œuvre en l’espèce,
existerait.» Et que le recteur
de l’académie de Bordeaux
avait commis «une erreur de
droit». M.Pi.
L’E SSENTIEL
COMMUNIQUÉ DU VENDREDI 24 JUIN 2016
SPÉCIAL MARSEILLE
“Marseille, un bouillonnement de culture-s- !”
ÉDITO
Si je vous dis Marseille…
L
e Vieux-Port, le pastis (toujours
avec modération), l’OM (prononcez
Ohème), la bouillabaisse, 13, l’aïoli, la
sieste, les calanques, le soleil, Cassis,
les boules, “Fada !”, l’accent, la Canebière, JPP, la Marseillaise, Marcel
Pagnol, Plus belle la vie, Basile Boli
(surtout sa tête), IAM, les minots, les
cigales, les cagoles, la Bonne Mère,
“Peuchère”, Fernandel, l’huile d’olive,
le savon, 26 mai 1993 (A jamais les
premiers !), la sardine qui bloqua le
port, le stade Vélodrome...
ÂGÉE DE 2 600 ANS, MARSEILLE EST LA PLUS VIEILLE VILLE DE FRANCE, UNE DES PLUS VIEILLES D’EUROPE !
AUJOURD’HUI, LA VILLE SAIT TIRER PARTI DE SES ATOUTS HISTORIQUES ET NATURELS POUR DEMEURER ATTRACTIVE
POUR LES TOURISTES. UN SECTEUR QUI REPRÉSENTE ICI 15 000 EMPLOIS DIRECTS ET UN CHIFFRE D’AFFAIRES D’UN
MILLIARDS D’EUROS. RENCONTRE AVEC MAXIME TISSOT, DIRECTEUR DE L’OFFICE DE TOURISME.
Marseille est aussi candidat pour l’exposition universelle 2025.
Vous l’avez compris, à chacun son
Marseille. A vous de venir découvrir
le vôtre ! Q
Par Gérald Hoarau
Balade, nature, animaux…
Pourquoi choisir ?
ÉVÉNEMENTS EN CE MOIS DE JUIN : LA NAISSANCE D’UNE PETITE GIRAFE ET L’ARRIVÉE
DE DEUX PANDAS ROUX AU ZOO DE LA BARBEN ! ET SI VOUS ALLIEZ À LEUR RENCONTRE ?
I
ci, on glapit, on hulule, on feule, on
siffle, on barrit, et parfois même on
rugit ! Ici, c’est le parc zoologique de la
Barben ! Niché dans un écrin de verdure,
l’équipe dynamique vous accueille sur son
site remarquable de 33 hectares, entre
Salon-de-Provence et Aix-en-Provence.
Lové sur un piton rocheux, richement
doté d’une végétation typiquement méditerranéenne, le parc sait valoriser Dame
Nature. Une promenade de 9 kilomètres
sur des sentiers aménagés à l’ombre de
ses chênes verts et autres pins, le visage
et le corps rafraîchis par une brise légère.
Petits et grands observent et écoutent.
700 animaux, 130 espèces ! Ici un lion,
là une girafe, un peu plus loin un majestueux éléphant et un rhinocéros. Des perroquets, des aras ou encore des vautours,
en volière ou lors d’animations en vol
libre. Pour les plus téméraires, une bergerie du XIe siècle abrite le vivarium : boas,
anacondas ou caïmans, ils sont tous là !
Chaque jour, l’équipe de soigneurs vous
raconte les histoires et les petits secrets de ces
animaux fascinants. Lequel et à quelle date ?
Des infos à retrouver sur le site Internet du
zoo, régulièrement mis à jour, pour prépa-
rer au mieux votre visite ! Venez vivre cette
expérience unique, au gré d’une balade à
votre rythme, ponctuée d’un pique-nique
bucolique et romantique ! Faites une pause
sur une des aires de jeux pour enfants ou
prenez le petit train. A noter l’excellent service restauration sur place.
Le zoo de la Barben soutient différents
programmes de protection des animaux
dans le milieu naturel. Ainsi, le projet
Kalaweit, avec l’achat de plusieurs hectares dans le village de Supayang, district de Solok, dans la province ouest
de Sumatra pour la préservation des
gibbons,ou l’ASGN, association de sauvegarde des girafes du Niger. Q
www.zoolabarben.com
QUE RESTE-T-IL DE MARSEILLE,
CAPITALE EUROPÉENNE DE LA
CULTURE EN 2013 ?
Cet événement d’envergure nous a
permis tout au long de l’année 2013
de développer un programme culturel
important, avec les festivités, animations, festivals et expositions, mais aussi
de créer des lieux nouveaux, pérennes,
dont le projet emblématique du Musée
des Civilisations de l’Europe et de
la Méditerranée. Le MuCEM attire
aujourd’hui à lui seul 20% des touristes.
Surtout, on a su capitaliser sur cette
manifestation pour apprendre à travailler ensemble sur l’ensemble du territoire, en organisant des parcours croisés
et des programmes culturels cohérents
avec Arles, Cassis, La Ciotat ou Aix-enProvence.
SOUS L’IMPULSION DU MAIRE
JEAN-CLAUDE GAUDIN, MARSEILLE
SE POSITIONNE AU NIVEAU
INTERNATIONAL...
L’ambition est de faire évoluer la ville
pour l’inscrire dans le XXIe siècle.
Ainsi, Marseille a été désignée pour
être capitale européenne du sport en
2017. Nous préparons actuellement la
programmation qui sera dévoilée cet
automne. Il est important de rebondir sur des événements inter nationaux pour présenter l’offre de notre
ville. En 2020, Marseille organisera un
grand événement culturel : Manifesta,
biennale d’art contemporain, sur une
période de 4 à 5 mois autour de l’été.
Si Manifesta se pose à Marseille, c’est
qu’ils ont senti un potentiel énorme.
MARSEILLE, C’EST LA BONNE
MÈRE, LE COURS JULIEN... MAIS
AUSSI 57 KILOMÈTRES DE FAÇADES
MARITIMES DONT 20 KILOMÈTRES DE
CALANQUES...
Ces falaises calcaires de haute montagne
plongent dans la mer et offrent des paysages grandioses connus dans le monde
entier. Pour préserver le Parc National
des Calanques, nous avons une gestion
cohérente et coordonnée avec La Ciotat
et Cassis. Attention, préserver ne veut
pas dire sanctuariser ! Nous souhaitons
que les deux millions de touristes annuels
puissent continuer de visiter ces espaces
terrestres et maritimes. Il en va de même
pour la population locale. Sur notre
1,5 millions d’habitants, tout le monde
est unanime : nos aïeux y allaient, nous
souhaitons que nos enfants continuent
d’en profiter. Il faut trouver le juste milieu
entre protection et interdiction. Q
Propos recueillis par Gérald Hoarau
15
En 2015, avec 1,5 million de passagers et
450 escales, Marseille est dans le Top 15
des ports mondiaux devant New York.
Agenda non exhaustif !
O
Picasso, “Un génie sans piédestal”, du
27 avril au 29 août, MuCEM
O
Marseille Jazz des cinq continents,
du 20 au 29 juillet, Marseille
O
Festival Acontraluz, 22-23 juillet,
plages du Prado
O
Festival International d’Art Lyrique,
du 30 juin au 20 juillet, Aix-enProvence
O
OM – TFC, 13 août, Orange Vélodrome
L’Essentiel est édité par la SARL Execopress5&63DULVşUXH$ULVWLGH%ULDQG/HYDOORLV3HUUHWšTél. :šE-mail : [email protected]
Directeur général :'DYLG-RXUQRšRédacteur en chef :*ÜUDOG+RDUDXšCréation/réalisation :0DUF3HUD]]LšChargé de mission : Jessica Benayoun.
La Rédaction de Libération n’a pas participé à la réalisation de ce dossier.
L’ESSENTIEL
SPÉCIAL MARSEILLE – VENDREDI 24 JUIN 2016
Des sports de glisse originaux à
pratiquer tout l’été à Marseille
LE PALAIS OMNISPORTS MARSEILLE GRAND-EST A OUVERT SES PORTES À LA FIN DE L’ANNÉE
2009. L’ÉQUIPEMENT, INSTALLÉ AU SEIN DU 10E ARRONDISSEMENT DE MARSEILLE, DANS LE
QUARTIER DE LA CAPELETTE, ACCUEILLE TOUTE L’ANNÉE LES AMATEURS ET PASSIONNÉS DES
SPORTS DE GLISSE ET DE GLACE.
ser libre cours à toutes ses envies.
Débutant ou confirmé, en couple
ou entre amis, chacun peut venir
s’essayer au patinage ! Pour les
plus téméraires, pourquoi ne pas
venir avec votre équipe en défier
d’autres lors de la première édition du Summer Ice Battle. Cet
événement se déroulera samedi
16 juillet, avec en compétition
des teams de 2 et de 4 breakeurs,
en patins à glace !
PROFITEZ DE LA PATINOIRE
CET ÉTÉ
Pour un été original, le Palais
Omnisports Marseille Grand-Est
accueille le grand public dans sa
patinoire ludique. Un vaste parc
de glace – d’un diamètre de
40 mètres ! – qui permet de lais-
LE SKATEPARK QUE TOUTE
L’EUROPE ENVIE
Plus qu’une patinoire, il s’agit
aussi d’un espace dédié aux
amateurs de glisse urbaine :
trottinettes, skates, rollers ou
BMX, il y en a pour tous les
“La Criée, théâtre d’art et de réjouissance”
©Jean-Baptiste Millot
qui se dessine. La Criée a une force symbolique incroyable, c’est un théâtre d’art
et de réjouissance.
QUE REPRÉSENTE POUR VOUS,
MARSEILLAISE DE NAISSANCE,
D'ÊTRE LA DIRECTRICE DU THÉÂTRE
NATIONAL DE MARSEILLE LA CRIÉE ?
Macha Makeïeff : Je suis heureuse de
faire vivre ce bâtiment emblématique
situé sur le Vieux-Port. Il doit résonner
de tout ce qu’il y a de plus beau dans la
ville, dans la Région ou nationalement. Il
doit à la fois être un théâtre de proximité
et de rayonnement national. Au sein de la
ville, il répond à la Friche, au MuCEM...
le long d’un parcours culturel heureux
QUEL PROGRAMME EN 2016-2017 ?
Nous sommes un théâtre de création, on
y voit donc des spectacles inédits. C’est
notre mission, et j’y tiens beaucoup.
Des œuvres d’un grand éclectisme, avec
une soixantaine de propositions dont 47
spectacles ainsi que plusieurs festivals
et des expositions. Le retour des “invasions”, rendez-vous annuel pour lequel
le public est immergé dans un univers
artistique, avec des spectacles sur le grand
et le petit plateau et dans le hall nouveau. Des événements étonnants alliant
théâtre et installation spectaculaire, avec
STEREOPTIK et “Carmen en Turakie”.
QUELLE PLACE POUR LES MINOTS À
LA CRIÉE ?
Il n’est pas question de leur proposer
une sous-programmation. Si on n’a pas
de belles premières quand on est enfant
ou adolescent, si on est pris par l’ennui,
on est un public perdu. C’est criminel de
faire ça. Donc nous continuons le festival
En Ribambelle !, des contes, spectacles et
ateliers pour le jeune public, avec l’intensification des séances scolaires pour les
collégiens et les lycéens, avec une action
forte en direction des étudiants. Q
goûts. Avec ses 3 500 m², le
Palais Omnisports Marseille
Grand-Est est un des plus beaux
skateparks en bois couverts de
France. Il détient également
la plus grande rampe de skate
haute de 3,5 mètres, approuvée
par le skateur Tony Hawk.
EN ROUTE POUR LE
CHAMPIONNAT DU MONDE
Doté de la plus grande patinoire olympique de France
avec ses 5 600 places assises, le
Palais accueille un événement
très attendu : la grande finale
du championnat du monde de
patinage artistique, le Grand
Prix ISU ! Du 7 au 11 décembre
2016, Marseille va vibrer à
A chacun
sa glisse !
L’UCPA, qui anime et gère le
Palais Omnisports Marseille
Grand-Est, propose durant
l’été une quarantaine de
stages sportifs pour s’initier
ou se perfectionner, à partir de
7 ans et en toute sécurité, aux
sports de glisse et de glace.
Pour en savoir plus :
www.palaisomnisportsmarseille.com
la vue des triples Axel ou des
doubles Lutz… avec la présence
des 100 meilleurs patineurs
mondiaux. Q
12 u
BREXIT
Libération Vendredi 24 Juin 2016
Europe
Nous avons besoin d’une
“Nouvelle Frontière”»
JEAN QUATREMER
Correspondant à Bruxelles
I
n ou out, plus rien ne sera comme
avant: la succession de référendums
perdus sur les questions européennes
et le fait qu’un pays s’interroge sur son
maintien dans l’Union montrent que le rêve est, sinon
brisé, du moins ébréché.
Comment redonner du sens à
une construction qui a pourtant réussi à maintenir la paix
sur le continent depuis 1950?
Deux europhiles, l’eurodéputée libérale Sylvie Goulard
– qui vient de publier Goodbye Europe (Flammarion)–
et son ex-collègue écologiste
Daniel Cohn-Bendit, député européen
entre 1994 et 2014, livrent leur diagnostic
croisé sur l’état de l’Union et sur la
meilleure façon de rebondir. Bref, «soyez
réalistes, demandez l’impossible»…
Ce référendum marque-t-il un tournant dans l’histoire de l’UE ?
Daniel Cohn-Bendit : Absolument !
Quel que soit le résultat, même si le remain l’emporte, l’Europe a failli sombrer
et elle sombrera si l’on continue comme
avant: l’UE n’est plus désirable, car elle
n’est pas à la hauteur des défis auxquels
nous sommes confrontés.
Sylvie Goulard: Ce référendum est un
événement majeur qui n’a pas été traité
comme il le méritait. Jusqu’à présent,
le processus d’élargissement et d’appro-
fondissement de l’Union, quoique chaotique, a été continu. Personne ne l’a jamais remis en cause au point de vouloir
quitter l’Union. Si c’est un non clair, ce
sera la première dislocation de l’Union.
On pourra peut-être l’endiguer, car le
Royaume-Uni a une relation spéciale
avec l’UE. Mais on peut se retrouver
dans un scénario intermédiaire, avec un petit oui qui
rencontrerait des résistances
extrêmement fortes, notamment au sein du Parlement
britannique, ou un petit non
incitant Londres à négocier
des dérogations supplémentaires. David Cameron y sera
d’autant plus enclin que
nous sommes déjà tombés
dans le piège du chantage: la
sortie de l’UE prévue par les traités ne
doit pas être un instrument de menace
pour obtenir un statut privilégié. Si on
sort, on sort.
Y a-t-il un risque d’effet domino ?
DR
Par
ALBERT FACELLY
UE Le référendum
au Royaume-Uni
intervient dans une
Union en plein doute.
L’eurodéputée Sylvie
Goulard et son excollègue Daniel CohnBendit croisent leurs
analyses et leurs
espoirs pour le projet
communautaire.
Libération Vendredi 24 Juin 2016
u 13
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Au siège du Conseil
européen, à Bruxelles.
PHOTO WIKTOR DABKOWSKI.
ZUMA. REA
la nature de l’Europe a changé et les
Européens ne comprennent plus pourquoi on fait l’Europe. On est resté au milieu du gué sans achever la construction
communautaire, ce qui la laisse démunie face aux crises que nous affrontons:
certains croient donc que la souveraineté nationale nous protégera mieux
contre les crises. C’est l’indécision des
Etats qui fait le lit des populismes.
S.G.: En Europe, beaucoup a été promis,
peu a été tenu et, dans le même temps,
le monde a changé.
Les citoyens votant contre l’Europe
ont des profils similaires: des hommes âgés, peu formés, hors des grandes villes et se sentant oubliés du
progrès économique. N’est-ce pas inquiétant pour le projet européen ?
S.G.: C’est surtout inquiétant pour nos
sociétés. Les Etats peinent à produire de
la cohésion. Ils restent responsables des
politiques économiques, sociales, d’éducation et de formation, qu’ils soient dans
la zone euro ou non. Le Royaume-Uni,
dont les performances agrégées sont
bonnes, connaît de fortes inégalités de
revenus, de territoires, d’accès à la culture, de formation. En France, il y a infiniment trop de jeunes sans formation,
livrés à eux-mêmes sans outils de compréhension du monde. C’est la faillite
des Etats, pas de l’Europe. C’est tout le
problème: le projet européen est pris en
tenaille entre les niveaux nationaux et
S.G. : Oui, on ne peut pas l’exclure.
le niveau mondial. Même sans l’Europe,
D.C.-B.: Si la Hongrie veut suivre, grand l’incapacité des Etats à assurer l’égalité
bien lui fasse ! Il y a des limites au des chances demeurerait et la mondialibashing européen : si on pense que sation continuerait à produire ses effets.
l’Union, comme l’affirme Viktor Orbán, N’y a-t-il pas une ambiguïté du projet
c’est l’URSS, il vaut mieux en partir. Et européen, qui a longtemps dissimulé
là, pas de risque que l’Europe envoie ses ses objectifs politiques derrière des
chars, ce qui n’est pas mal pour un es- objectifs purement économiques?
pace prétendument dictatorial…
D.C.-B.: L’idée était effectivement d’uniPourquoi assiste-t-on à une telle fier le continent par l’économie, le charmontée de l’euroscepticisme ?
bon et l’acier, puis le marché unique, en
D.C.-B.: Le projet européen est en rup- évitant les grands projets politiques qui
ture avec trois siècles d’histoire conflic- risquaient de crisper les Etats. D’ailleurs,
tuelle entre Etats: il ne peut donc pas se l’armée européenne a échoué en 1954. Il
faire sans douleur et sans va-et-vient. fallait donc d’abord apprendre à vivre en
Après les deux guerres mondiales, les commun avant toute intégration politiélites européennes se sont demandé que. C’est au moment de la création de
comment éviter que cela se
l’euro, en 1991, qu’on est toreproduise. La réponse a été INTERVIEW
talement passé à côté du
la construction communaumomentum politique. On
taire. Mais elle ne pouvait être lancée aurait dû clarifier le projet: d’un côté un
avec l’accord des peuples. Si en 1950, on marché, de l’autre une Europe politicoavait demandé aux Français s’ils vou- économico-sociale. Car il ne faut pas s’y
laient se réconcilier avec les Allemands, tromper: la justification de l’euro n’était
le non l’aurait emporté très largement. pas du tout économique, mais politique.
Mais il a fallu attendre l’effondrement Pour éviter l’hégémonie d’une Allemades empires coloniaux qui rendait im- gne unifiée au centre du continent, il falpossible toute tentation hégémonique lait renforcer l’intégration. Mais, à Maaspour que le projet européen soit vérita- tricht, les chefs d’Etat et de
blement lancé. Trente ans après, l’Union gouvernement ont fait du marxisme baa été confrontée à la chute du commu- sique : ils ont posé les bases d’une Eunisme et au désir des Etats d’Europe rope économique et financière en pencentrale et orientale de participer au sant que le politique, c’est-à-dire la
bien-être européen. L’Union a été prise structure, suivrait automatiquement.
dans un piège politique exactement C’est le type même de pensée magique.
comme l’Allemagne après l’unification, Résultat: le projet politique qui doit goulorsque Helmut Kohl a décidé de la pa- verner l’Europe économique et finanrité entre le mark de l’Ouest et le mark cière n’a jamais été mis en place. On en
de l’Est. C’était une aberration économi- est resté à une addition d’Etats souveque, mais il ne pouvait pas faire autre- rains qui, même avec la monnaie uniment, sinon des millions d’Allemands de que, sont toujours aussi jaloux de leur
l’Est seraient passés à l’Ouest. Et on n’al- souveraineté alors même qu’ils auraient
lait pas construire un mur! L’Europe n’a dû en transférer une bonne partie à un
pas pu faire autrement avec l’Est et a dû espace commun qui s’appelle l’Union
accepter l’élargissement. Mais ce faisant, européenne.
S.G.: Les Français doivent se souvenir
que leur Parlement a rejeté la Communauté de défense en 1954 et que Mitterrand a refusé le projet d’union politique proposé à Maastricht par la
présidence néerlandaise, en accord avec
l’Allemagne. Ceci dit, il faut regarder devant. Il pourrait y avoir dans le référendum britannique un aspect positif: inciter à mettre au clair le projet européen
et à répondre aux inquiétudes et interrogations des citoyens. L’UE n’est pas une
entité abstraite: elle est ce que nous en
faisons. Personne n’est satisfait, mais
aucun Etat ne propose de changements.
En France, où est pourtant né le projet
européen, le gouvernement ne cherche
pas à perfectionner la démocratie au
sein de la zone euro alors que les Européens sont avides d’avoir leur mot à dire.
Nous avons besoin d’une «Nouvelle
Frontière», d’un nouveau rêve, comme
en son temps le défi américain d’aller sur
la Lune: un projet touchant aux nouvelles technologies, à la culture, une grande
avancée scientifique, par exemple la
création de nouveaux antibiotiques.
L’UE mérite mieux que d’être vendue par
la peur ou le coût de sa dislocation.
L’Union est faite par les Etats : or,
plus aucun responsable politique
national n’est prêt à aller plus loin.
S.G. : De fait, le projet européen est en
déshérence. Mais attention au piège! Si
l’Union s’effondrait, les Etats européens
qui se sépareraient n’en sortiraient pas
grandis. Il est illusoire de croire que
nous avons le choix entre, d’un côté, une
voie européenne et, de l’autre, une voie
nationale. Sur bien des sujets, la voie nationale est une escroquerie ou, au
mieux, une nostalgie. La chute de l’UE
entraînerait les Etats à sa suite, car il y a
une interaction entre les deux. Le comportement des générations au pouvoir
rappelle celui des enfants gâtés de familles fortunées: le grand-père bâtit la
maison, le fils l’entretient, le petit-fils se
laisse vivre et dilapide le patrimoine.
D.C.-B.: On le voit en France avec François Hollande, qui se tient totalement en
retrait du débat européen. Quand j’entends les ministres de l’Intérieur affirmer que l’Europe est un échec en matière de lutte antiterroriste alors que les
Etats refusent de lui donner des compétences dans le domaine de la police et du
renseignement, c’est fort de café. Il faut
sortir de ce cercle vicieux. Aujourd’hui,
on est dans la situation de ceux qui ont
lancé l’Europe dans les années 50 : ils
n’étaient pas majoritaires, mais ils ont
tenu le coup, ils sont partis à la conquête
idéologique des sociétés. Il ne faut pas
reculer, il faut briser cette armure d’illusions sur la capacité des Etats à agir dans
un monde qui n’est plus celui des années 20.
N’est-on pas à la fin du cycle de la
construction, et au début de celui de
la défense des intérêts nationaux ?
S.G. : Le repli national, comme
avant 1945 ? Cela mérite d’y réfléchir
deux minutes. D’abord, la mondialisation, vous pouvez la nier, elle peut se
rappeler à vous, à une terrasse de café du
XIe arrondissement de Paris, quand un
fanatique entraîné en Syrie vient vous tirer dessus. Notre devoir est de dire que
le monde actuel est inhospitalier et que
nous ne répondrons pas aux
défis qui se posent à nous,
que ce soit dans le commerce,
le changement climatique ou
le terrorisme, en s’enfermant
dans le pré carré national.
Ensuite, «le monde
d’avant» 1950 n’était pas terrible. Le nationalisme des uns
exacerbait celui des autres,
d’où la confrontation et la
haine. Nous ne devrions pas
nous croire plus malins que
ceux qui, par le passé, ont
payé l’illusion nationale au
prix fort. Des millions d’Européens en sont morts. Enfin, et
surtout, pourquoi désespé- DANIEL COHN-BENDIT
rer ? Pourquoi ne pas croire
que la majorité des êtres humains veulent vivre libres et en paix?
D.C.-B. : Il faut prendre le risque de se
projeter dans l’avenir, imaginer une renaissance du projet européen autour
d’une constitution créant une fédération, ce qui ne veut absolument pas dire
un super-Etat, mais tout simplement
une meilleure organisation des compétences et de leur contrôle démocratique.
Seule une Europe forte nous permettra
d’affronter la mondialisation, qui
change complètement la donne : qui
peut décemment croire que les Etats
européens peuvent peser sur l’avenir du
monde s’ils sont divisés? •
«On est dans
la situation
de ceux qui ont
lancé l’Europe:
ils n’étaient pas
majoritaires
mais sont partis
à la conquête
idéologique
des sociétés.»
Suivez sur Libération.fr notre
couverture du référendum
britannique sur une sortie de l’UE,
et retrouvez toute la journée sur
notre direct résultats, analyses, revues de presse, témoignages…
patricia martin
le 7/9
du week-end
Retrouvez Laurent Joffrin chaque samedi à 8h40,
dans Le Journal de la semaine politique
en partenariat avec
14 u
FRANCE
Libération Vendredi 24 Juin 2016
Primaire
MONTEBOURG
REDOUBLE
2017 Il ne l’officialisera que
dans quelques mois, mais
le troisième homme du
scrutin de 2011 est déjà parti
en campagne: «Libé» l’a suivi
mercredi en Indre-et-Loire.
LILIAN ALEMAGNA
Envoyé spécial en Indre­et­Loire
Photos ALBERT FACELLY
H
RT
SA
LO
I
E
RET
-C
HE
MA
ET- INELOI
RE
R
Tours
Nouzilly
Saint-Pierredes-Corps
BallanMiré Joué-lès-Tours
INDREET-LOIRE
INDRE
VIENNE
10 km
hut… Ne le dites pas trop fort: Arnaud 9 h 05 TGV n°08407
Montebourg est en campagne. Prési- Paris-Bordeaux
dentielle, bien sûr. A l’instar du chef de «Ils n’avaient pas le choix.» Calé entre le bar
l’Etat, l’ex-ministre de l’Economie ne devrait de la voiture 14 et ses nouveaux lieutenants
rien officialiser avant la fin de l’année et le dé- –les socialistes Laurent Baumel et François
pôt des candidatures à la primaire ouverte Kalfon –, Montebourg savoure : la primaire
lancée le week-end dernier par un PS dont il dont il fut l’inspirateur en 2008 s’est imposée
n’a pas rendu sa carte. Mais le voilà reparti pour 2017, même avec un président sortant.
dans son exercice favori. Après
Mais celui qui avait fini troisième
avoir rameuté les médias pour
PORTAGE en 2011 avec 17% des voix, et ralRE
gravir le mont Beuvray mi-mai,
lié François Hollande, prévient
Montebourg fait du terrain à petits pas. Quel- d’emblée: «Je ne me présenterai pas à une priques journalistes à calepins dans son sillage. maire où on se ridiculise.» La stratégie est
Peu de radios. Aucune télé. Mercredi, il était claire: il va laisser planer le doute sur sa préen Indre-et-Loire sur les terres du député sence jusqu’au 1er décembre, date d’ouverture
frondeur Laurent Baumel. Pour retâter le mu- des candidatures, et menacer de partir direct
seau des vaches devant les photographes, dans la course présidentielle. Tout ça pour gacauser avec des éleveurs qui en ont «marre» rantir une primaire «loyale», «à la hauteur de
des «normes» ou de «Bruxelles», rendre visite celle de 2011». Soit 10000 bureaux de vote. Pas
à de petits entrepreneurs parfaitement dans moins. En attendant, «il faut d’abord être cason cœur de cible électoral «made in France» pable de rassembler ses propres» amis. Comet organiser une première réunion publique prendre : tout ce que le PS compte d’opposous la bannière du «Projet France».
sants à François Hollande et à Manuel Valls.
C
Par
«Avec Benoît [Hamon], on est quand même
sortis ensemble du gouvernement!» lance-t-il.
Comme à l’été 2014, lorsqu’il s’est mis à exprimer publiquement des critiques contre la politique économique et européenne de Hollande tout en étant son ministre de
l’Economie, Montebourg insiste sur l’«alternative» qu’il compte porter. Sans se laisser aller au jeu de la petite phrase sur son successeur à Bercy, Emmanuel Macron. Enfin
presque… «Je n’ai pas de problème avec Emmanuel, je trouve très bien qu’il trace son chemin, dit-il. Mais je n’ai pas compris ce que ça
voulait dire “ni de droite ni de gauche”. On ne
se définit pas par une double négation! On se
définit par une affirmation!» On lui demande
aussi comment il compte allier une représentation politique et ses nouvelles fonctions
d’entrepreneur, dont celle de vice-président
du conseil d’administration d’Habitat.
«Quand j’exprimerai une candidature, je me
mettrai en retrait, répond-t-il. Je ne veux pas
engager une marque grand public.»
Libération Vendredi 24 Juin 2016
Visite
d’une ferme
de vaches
laitières
à Nouzilly,
avec Fabien
Moussu, son
exploitant.
Avec
le député
«frondeur»
d’Indre-etLoire Laurent
Baumel,
dans sa
permanence
de Joué-lèsTours.
rive plus à en vivre.» Les pieds bien plantés, les
jambes formant un V renversé, les bras le long
du corps, l’ex-élu de Saône-et-Loire enquille
les questions : «Qui vous achète votre lait ?
Comment ça marche? Et votre cheptel, vous
l’avez constitué comment?» Fabien Moussu se
plaint d’avoir respecté les mises aux normes
et de ne pas avoir été aidé. Montebourg acquiesce, fustige la bureaucratie française et
européenne. Il s’approche des vaches. L’une
d’elles recule. «Elles n’ont pas l’habitude de voir
des hommes politiques !» s’amuse Michel
Le Pape, dirigeant de la Coordination rurale
en Indre-et-Loire. Fabien Moussu poursuit:
«C’est le costard qui fait peur!» Montebourg rebondit: «Excusez-moi de porter un costard,
j’aurais pu mettre un tee-shirt !» Et une
deuxième pour Macron. Retour au sérieux.
L’ex-ministre écoute attentivement le mal-être
d’éleveurs qui ont beaucoup à reprocher aux
coopératives, aux industriels, au patron de la
FNSEA (premier syndicat agricole), Xavier
Beulin, ou aux «Chinois» qui achètent des terres agricoles ici. «Le gouvernement parle de sécurité alimentaire, j’aimerais qu’on parle de
souveraineté», leur explique-t-il, les encourageant à participer au «plan» sur lequel il «travaille». «Nous avons 1500 milliards d’euros
d’encours d’épargne non utilisés, fait-il valoir.
Nous avons autant d’argent que les Chinois!»
15 h 40 Parc technologique
de la Châtaigneraie,
Ballan-Miré
Les «petites boîtes», ça lui plaît. Celui qui était
chargé du Redressement productif au gouvernement parle leur langue: «rupture BFR [Besoin en fonds de roulement]», «sinistralité»,
«affacturage», «pontage»… Il prend des notes,
anticipe le propos du patron de ce sous-traitant automobile: «En France, on ne sait pas financer des projets», lui dit ce dernier. «Je vous
confirme!» rétorque Montebourg, avant de lister les raisons des difficultés économiques du
pays: «Pas de solidarité patriotique» et «un système bancaire défaillant». Le chef d’entreprise
offre deux bons points au gouvernement: la
création de la Banque publique d’investissement et les commissaires au redressement
productif. Plus le crédit d’impôt compétitivité
emploi (CICE). «Sans ça, on ne serait plus là»,
dit-il. Montebourg en profite: «On l’a fait pour
des gens comme vous. Ce ne devait pas être
pour Carrefour ou les banques!»
Réunion
publique
à Joué-lèsTours.
Soudain, sorti du wagon d’à côté, l’écrivain
Gonzague Saint-Bris apparaît. «On m’a dit que
vous étiez là», lance à Arnaud Montebourg
celui qui rentre chez lui en Touraine. Il salue
l’engagement de l’ex-ministre du Redressement productif pour le «produire français».
Les deux hommes échangent leur carte de
visite. Montebourg, hilare, avant de descendre du train en gare de Saint-Pierre-desCorps, lance :«Je like !»
u 15
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
10 h 34 Ferme de
la Foucaudière, Nouzilly
Le costume bleu marine et les chaussures en
cuir noir sont impeccables. La chemise blanche aussi. Il fait déjà chaud. «Vous nous amenez
le beau temps!» chambre Fabien Moussu, gérant de la ferme de la Foucaudière. L’éleveur
de vaches laitières attaque d’emblée: «Tous les
matins, on se lève pour brûler un billet
de 200 euros. On aime nos vaches, mais on n’ar-
16 h 30 ZAC Carrefour
en Touraine, Ballan-Miré
Quelques kilomètres plus loin, arrêt dans une
entreprise de bâtiment et travaux publics.
Jean-Claude Brossier, ex-président de Jérôme BTP, fait une longue intervention et prévient son invité du jour : «Ici, vous n’êtes pas
dans une entreprise de pleureurs.» Taillé pour
plaire à Montebourg, il dénonce «l’austérité»,
cette «politique imbécile». Montebourg embraye sur le besoin de «commande publique»
et s’emporte contre «les Allemands qui refusent de faire des choix d’investissement». «La
question est: comment on sort de la crise?» interroge-t-il, prenant exemple sur les EtatsUnis et le Royaume-Uni qui, avec leurs politiques monétaires et budgétaires volontaristes,
ont «fait baisser le chômage». «On a fait des
choix qui ont prolongé la crise inutilement»,
poursuit-il, rôdant son discours du soir :
«Pour remonter ce pays, va falloir se retrousser
les manches, un peu de courage et s’accrocher
au bastingage!» Il donne son numéro de portable à haute voix. Un salarié: «On ne vous voit
plus beaucoup au niveau national!» Montebourg tente de la jouer «simple citoyen», dont
la présidentielle n’est pas le «sujet»: «J’ai fait
le choix de reconstruire ma vie. Je travaille…»
Le même salarié a flairé l’embrouille. Il le
coupe: «Vous reviendrez?» «Si je suis là, c’est
qu’il y a du vrai dans ce que vous dites», répond le politique, sourire en coin.
18 h 21 Permanence
parlementaire de Laurent
Baumel, Joué-lès-Tours
Avec la petite dizaine de journalistes venus
en Indre-et-Loire, Montebourg découvre sur
un téléphone l’itinéraire de la manifestation
de jeudi, finalement autorisée à Paris. Il explose de rire. Une journaliste: «Ça résume le
quinquennat ?» «C’est ça, ça résume le quinquennat, se désole-t-il. C’est symptomatique
des luttes qui se sont engagées au sommet de
l’Etat. Il n’y a pas de stabilité entre les faucons
et les colombes.» Il enfonce Hollande et Valls:
«Je ne comprends pas cette politique du coup
de force permanent.» Il rappelle qu’il «ne soutient pas» ce gouvernement avec lequel il est
en «désaccord». Et trompette sur ses chances
dans une primaire: «Je n’ai pas besoin d’être
rassuré. D’autres oui. Moi pas.»
19 h 13 Rue du Petit-Paris,
Joué-lès-Tours
Il y a du monde pour la première réunion publique de son «Projet France». Sur un air de
campagne : badges, fond bleu-blanc-rouge,
affichettes collées vite fait au mur avec des
passages du discours de Montebourg au mont
Beuvray. Baumel officialise son ralliement:
«Les idées que tu as portées sont aussi les miennes.» Montebourg s’en prend à la gestion Hollande : «On ne peut pas diriger la France et
l’Etat comme des courants du PS […]. La gauche a besoin de retrouver des valeurs, mais
aussi son honneur.» S’il n’est pas sur une tribune – mais sur une chaise puis debout devant le public qui déborde de cette salle de
200 personnes–, l’exercice est un peu moins
original que ses stand-up de rue en 2011.
Vingt minutes de discours, parole à la salle.
Les propositions sont reprises pour la «plateforme» de son «projet». Ce mercredi soir, Montebourg confirme qu’il va reprendre la bataille
avec Hollande là où il l’avait laissée : sur le
front européen. «On peut douter de l’Europe
sans être anti-européen. C’est mon cas», assume-t-il, comme il compte s’assumer «patriote»
pour ne pas laisser le mot au FN. «L’UE est devenu un pudding bureaucratico-politique» :
il s’agit donc de «rétrécir» le périmètre de
l’Union, d’avoir moins de politiques communes et de parler «coopération» plutôt qu’«intégration». A l’extérieur, le lieutenant Kalfon savoure: «La campagne est partie. Ils ont tout à
perdre dans une primaire. Nous, on engrange.
Arnaud sait faire, ça se voit.» •
LA REPRISE DU PALMARÈS
DE CHAMPS-éLYSÉES FILM FESTIVAL
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MARDI 28 JUIN À 20H30
2016
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16 u
FRANCE
Par
MARINE GIRAUD
et ROZENN MORGAT
Envoyées spéciales en Seine­et­Marne
Photos ALBERT FACELLY
T
Libération Vendredi 24 Juin 2016
mot trois-quatre mois de travaux !»
Installée à Nemours depuis dix-sept
ans, la quinquagénaire se souvient
des années fastes et se désole des
conséquences de la crise, du «décrochage» qu’elle a constaté depuis janvier et de la désertification des centres-villes. «La crue a agi comme un
coup de grâce» pour les petits commerces locaux.
rois semaines se sont écoulées depuis la catastrophe. Si
le Loing a repris sa place dans
son lit, il laisse derrière lui des vies
durablement bouleversées. L’urgence de la crue est certes passée,
CASSE-TÊTE
mais les insomnies perdurent face La ville de Bagneaux-sur-Loing est
aux défis de «l’après». Revenir sur les davantage marquée par le ralentisselieux, constater les dégâts, recons- ment des usines, elles aussi noyées
truire les villes et se reconstruire soi- par le canal. Chez Keraglass, les
même.
fours nécessaires à la fabrication des
Dans la rue principale de Nemours, plaques de cuisson vitrocéramiques
la quasi-totalité des commerces ont prennent du temps à retrouver leur
baissé leur rideau. «Momo» est l’un bonne température, et les locaux
des rares à avoir décidé de ne pas at- n’ont pas fini d’être nettoyés. Parmi
tendre les indemnisales 246 personnes y trations pour reprendre REPORTAGE vaillant, «70 environ deson activité. L’épicier n’a
vront poser des jours de
«pas le choix» : «Il faut bien tra- chômage technique en juin», explivailler, j’ai deux enfants qui font des que le directeur général adjoint,
études.» La crue a noyé sous 1,50 m Gilles Grandpierre. Double peine
d’eau toutes ses réserves entrepo- pour les salariés dont les maisons
sées dans la cave. Alors Momo s’or- ont été inondées. Pour les aider,
ganise comme il peut, empruntant leurs collègues ont décidé de leur
la voiture de son fils pour faire ses li- redistribuer des jours de RTT.
vraisons ou profitant des délais de Retour à Nemours, dans le lavomatic
paiement des grosses commandes qui a lui aussi rouvert ses portes: les
chez le grossiste Metro.
sinistrés viennent y laver et sécher
Quelques centaines de mètres plus leur linge, parfois imprégné de
loin, Isabelle et son compagnon n’en l’odeur «insupportable» du fioul qui
sont pas au même stade. Si leur dé- s’est propagé depuis les cuves des
pôt-vente est ouvert, c’est pour éva- maisons ou les voitures noyées sous
cuer les meubles et les bibelots qu’ils l’eau. Une occasion d’échanger sur
n’ont pu sauver. Pourront-ils rou- les événements et d’évoquer le pasvrir ? Isabelle n’en est pas convain- sage redouté de l’expert, qui doit stacue. «Même si le montant des indem- tuer sur la hauteur des dégâts maténisations est important, peut-on riels, donc sur le montant des
ensuite redémarrer dans une ville si- indemnisations. Armand le verra sanistrée? Aucun commerce de bouche medi. En attendant, il enchaîne les
n’est ouvert, et il faut partout au bas lessives : «C’est la seule chose que je
Inondations :
le pire, c’est
le jour d’après
Vallée du Loing La crue qui a ravagé il y a
trois semaines Nemours et ses environs
reste très présente dans la tête des
habitants. Ils vivent entre peurs et précarité.
Libération Vendredi 24 Juin 2016
u 17
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Document : LIB_16_06_24_CAR.pdf;Date : 23. Jun 2016 - 16:03:30
mes très vigilants, car le plus dur, c’est
toujours l’après.» Swanny évoque les
difficultés qu’affrontent les sinistrés
en rentrant: «Ça veut dire constater
l’ampleur des dégâts, et trouver des
solutions. C’est extrêmement difficile.
Surtout pour les personnes de
40-50 ans, qui venaient juste de finir
de rembourser leur maison.»
RUMEURS
A Nemours,
le 16 juin, quinze
jours après la
crue du Loing.
«L’expert va
rembourser,
mais il ne peut
rien faire pour
les choses
de valeur
sentimentale»,
explique une
sinistrée.
«Certains ont une
fragilité antérieure,
à laquelle s’ajoute
le traumatisme
de l’inondation.»
Bagneaux-sur-Loing est lui aussi indirectement victime du chômage
technique. «Je ne sais juste pas comment faire. Il y avait une frayeur pendant la crue, mais maintenant c’est
un énorme stress de gérer l’après.»
ANXIOLYTIQUES
Sur la place de la République, à Souppes-sur-Loing, le café-restaurant
Chez Pato semble désert. A l’intérieur, un groupe d’amis sinistrés
siège au milieu des dégâts, laissés
Yannick, qui habite également à tels quels. «On a pleuré tout ce qu’on
Souppes-sur-Loing, a appris qu’il a pu. Maintenant, il faut aller de
faudrait «au moins quatre mois» de l’avant», martèle la gérante en tapant
nettoyage et de rénovation chez lui. du poing sur la table. Comme plus
Il doit non seulement vider les lieux, de 80% de la population de Souppesmais aussi chercher un dépôt pour sur-Loing, Martine a «tout perdu»:
stocker ses affaires et un toit sous le- «Quand j’ai vu le chiffre des dégâts, je
quel habiter en attendant. Seule- suis tombée à la renverse. Entre 15 et
ment, les conditions définies par l’as- 20000 euros.» Un coup d’autant plus
surance sont précises et très difficiles difficile à encaisser après le rétablisà remplir, avec la forte demande due sement de son mari malade : «Le peaux inondations: «J’ai trouvé un lo- tit café commençait juste à bien margement, mais il ne correspond pas au cher…» Le couple a refusé de
prix estimé par l’expert, c’est-à-dire bénéficier du suivi psychologique
un deux-pièces à 450 euros.» S’il qui leur était proposé. Outre les antrouve un endroit plus grand, la dif- tennes d’écoute créées dans chaque
férence de prix sera à sa charge. commune, une cellule de crise a été
Alors Yannick va aux distributions mise en place dès le début de la cade vêtements et de nourriture, à la tastrophe et restera «ouverte aussi
salle des fêtes de
longtemps que nécessaire»,
sa commune.
soutient Swanny, infir«C’est mis à nomière de nuit au sertre disposition,
vice de psychiatrie
SEINEET-MARNE
autant en profide l’hôpital de Neg
ter un peu pour
mours. Un accomin
Lo
Montcourt
faire des écopagnement qu’elle
Nemours
nomies», explijuge essentiel :
Bagneaux-sur-Loing
que-t-il.
Et
«Certains ont une
comme si cela ne
fragilité psycholoSouppes-sur-Loing
suffisait pas, ce
gique antérieure,
consultant prestasur laquelle vient
LOIRET
taire auprès d’une des
s’ajouter le traumatisme
3 km
usines noyées de
de l’inondation. Nous som-
SWANNY infirmière de nuit
à l’hôpital de Nemours
Sein
e
peux faire pour l’instant. Je n’ai pas
de visibilité sur le reste. J’en ai déjà
eu pour 730 euros de pressing, rien
que pour les vêtements.» Même si la
procédure se fait longue, cet habitant
de la commune de Montcourt prend
son mal en patience: «On ne leur en
veut pas, on sait qu’ils sont très occupés et que tout le monde est dans le besoin.» Chez Françoise, qui habite le
même quartier qu’Armand, c’est fait :
«Notre échange a été très rapide.
[L’expert] reste une heure par client,
trajet compris. Il a pris quelques photos et a constaté les dégâts, mais rien
n’a été fixé.» Soulagée, elle «peut commencer à vider [sa] maison».
Mais le tri et le rangement des affaires personnelles sont des tâches tout
aussi éprouvantes: «L’expert va rembourser, mais il ne peut rien faire
pour les choses de valeur sentimentale. J’avais tous les souvenirs de mon
fils décédé», explique avec émotion
Carole, qui vit à Bagneaux-sur-Loing.
Pour Maud, les cartons sont remplis
et prêts à être emportés. Le petit appartement qu’elle loue au rez-dechaussée d’un immeuble de Souppes-sur-Loing a été inondé par «au
moins 50 cm d’eau». Le temps des rénovations, son bailleur lui propose
un hébergement dans un meublé,
sur les hauteurs de la ville. «Le contrat, c’est trois mois renouvelables,
explique la quinquagénaire, mais je
ne compte rien déballer. Mon appartement est petit, alors j’espère que ça
va aller vite.» Si, dans l’urgence,
beaucoup de sinistrés ont dormi chez
des proches, il faut désormais rechercher des solutions durables pour se
loger. Les assurances proposent des
aides, mais celles-ci peuvent constituer de véritables casse-tête, coûteux
en temps, en énergie et en argent.
A Bagneaux-sur-Loing, Doriane ne
dort pas plus de quatre heures par
nuit depuis qu’elle est retournée chez
elle. Pour soulager ses angoisses, elle
s’est fait prescrire des anxiolytiques.
«Je crois que le plus traumatisant, ça
a été le fait que l’on ne soit pas prévenus de la crue, et aussi que l’eau ait
monté si vite», explique celle qui a été
réveillée en sursaut par ses voisins.
Elle peine à répondre aux questions
de son fils de 5 ans: «Je pense qu’il va
falloir faire très attention à un éventuel besoin de soutien psychologique,
surtout à cet âge.»
L’atmosphère est anxiogène. D’une
commune à l’autre, les rumeurs circulent vite dans cette vallée du
Loing. «Il paraît qu’il va y avoir une
nouvelle crue», s’inquiète Doriane.
A Nemours, ce sentiment est partagé
par Véronique, qui relève une «certaine psychose» : «On nous parle de
seconde vague, on a même appelé à
Montargis pour vérifier si c’était une
rumeur. On parlait de trois fois le volume d’eau qu’on a eu, mais ils ont dit
que ce n’était pas vrai.» Face au choc
du drame, une rumeur prospère: «On
sait très bien qu’on a servi de réservoir
pour Paris», explique Nicolas en nettoyant sa maison où, pendant deux
jours, l’eau est montée. «Le Loing
était un lac dont on laissait monter le
niveau, et quand ils ont vu que Paris
ne craignait plus rien, ils ont rouvert
les vannes.»
Claude Jamet, le maire de Bagneauxsur-Loing, partage cette impression,
même s’il admet ne pas pouvoir apporter d’éléments de preuve. Face au
manque d’informations et d’explications des autorités locales, les habitants sont restés solidaires : «Nous
avons dû improviser au moment des
inondations. Ça a créé des liens. Sans
les jeunes qui habitent dans les logements en face, je ne sais pas comment
nous serions sortis, avec mon fils», explique Doriane. La jeune femme a
rencontré des «personnes formidables» qui habitaient depuis deux ans
à quelques mètres de chez elle mais
qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici.
Jérôme, qui vit dans les résidences
HLM de Bagneaux-sur-Loing, a fait
«plus de trente allers-retours» pour
venir en aide à ses voisins. A Souppes-sur-Loing, la crue a aussi rapproché les habitants. Chez Pato, Martine
et son mari discutent avec les habitués: «Ici, les sinistrés viennent pour
parler, on est entre amis. C’est dans
notre café que l’on se soigne, en riant,
en parlant. C’est comme ça qu’on tient
au jour le jour. Qu’est-ce que l’on peut
faire d’autre après tout?» Autour de
la table, les autres acquiescent. Son
mari ajoute à la cantonade: «Lorsque
l’expert sera passé, on pète tout dans
ce bar. On veut repartir de zéro,
oublier cette histoire. On fera un
grand barbecue sur la place de la République aussi!» •
Carnet
NaissaNce
"Seul celui qui s'est mêlé
à l'horizon peut ouvrir
un chemin"
Bienvenue à
Eugène,
fils d'Alice et Noémie,
né le 20 juin 2016.
RemeRciemeNts
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vous remercient
chaleureusement
de leur avoir donné la force
de traverser cette première
étape grâce à vos nombreux
témoignages d'amour et
d'amitié.
Aujourd'hui, nous les lisons
avec tristesse, demain,
nous les relirons avec fierté.
Vivez comme Hervé, plein
d'humour, d'amour, de
couleurs et de lumière.
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18 u
EURO 2016
Libération Vendredi 24 Juin 2016
PATRICE EVRA
Grand frère
à dépasser
Par
GRÉGORY SCHNEIDER
C’
est toujours sur lui que le
regard frissonne. L’escouade tricolore engagée
dans ce championnat d’Europe –la
République d’Irlande à venir, en
huitième de finale au Grand Stade
de Lyon, dimanche– a beau voir ses
lignes de force bouger à chaque
match, signe qu’elle se cherche, elle
recèle toujours en son sein un pôle
stable et irradiant: ce bon vieux Patrice Evra, international depuis les
premiers pas de Raymond Domenech à la tête de la sélection,
en 2004, et capitaine sans brassard
depuis ce retour du Mondial sudafricain de 2010 (Knysna, la grève
du bus en mondovision, la déréalisation) où, juste avant de débarquer
sur le tarmac de l’aéroport du Bourget, il s’était adressé à chaque
joueur sur le ton de la confidence :
«Ne t’inquiète pas, tu peux partir en
vacances tranquille. C’est moi qui
vais tout prendre.»
POMPIER
Evra, c’est le 3 en 1 du football français : son histoire à lui se confond
avec l’Histoire, mais aussi avec les
histoires. Il le sait, et les moments
qu’il passe avec les journalistes
ressemblent à ces retrouvailles avec
un ami de longue date où personne
n’a vraiment besoin de parler, mais
où on discute un peu quand même,
les questions posées au joueur étant
très en-deçà du feeling qui traverse
les deux parties. Le natif de Dakar
(Sénégal) aime bien parler à la
presse. C’est pour ça qu’il l’a
longtemps fait aussi peu, le plaisir
qu’il y prend pouvant l’emmener
plus loin qu’il le souhaite. On peut
comprendre sa griserie: ses vis-à-vis
lui renvoient une sorte de bienveillance respectueuse même
quand Evra pousse le bouchon
France Le seul acteur
de l’affaire Knysna encore
en bleu est sorti de sa
posture sacrificielle pour
se poser en guide de la
nouvelle génération.
–«On a mis le bleu de chauffe, c’était prodigalité pose question. Le Patrice
beau», après le match raté (2-1 Evra de la Juventus –depuis 2014,
quand même) face aux Roumains–, huit saisons à Manchester United
et il le pousse souvent.
avant ça, une carrière de géant– est
Quant au fond, son discours n’est resté mutique : invisible dans la
pas révolutionnaire, et pour cause: presse, à son boulot, se confondant
à ce stade, la stature d’Evra lui per- avec l’institution turinoise. Il y a
met d’écrire l’histoire offibien des choses à comprencielle des Bleus, de tran- PROFIL dre. La première: l’Euro 2016
cher les débats en cours et
lui appartient. On s’est fait
de lancer les grandes orientations ici l’écho dès 2013 d’une lecture
de la geste tricolore. On y trouve un communément admise depuis: en
peu tout. Un jour, il raconte «l’ap- convaincant ses équipiers d’opter
préhension, la gorge sèche» qui s’em- pour la grève de l’entraînement en
pare d’une équipe surmontant Afrique du Sud plutôt que pour un
difficilement les attentes et le con- boycott du match suivant, ce qui
texte. Un autre, il vole au secours aurait valu de lourdes sanctions à la
d’Olivier Giroud: «Quand le public Fédération française de foot (FFF),
le siffle, il siffle tous les joueurs. On le à commencer par une mise au banc
compare [défavorablement] à des compétitions internationales, le
d’autres. Mais c’est lui qui est là.» Et joueur a sauvé l’organisation de ce
encore un autre, il profite du cas Di- championnat d’Europe dans l’Hexamitri Payet pour jouer au pompier: gone.
«Je vous en supplie : n’enflammez
pas les joueurs», manière de dire ART DE L’EMBROUILLE
qu’aucun d’entre eux, et pas plus le Ce n’est pas rien. Les édiles fédéRéunionnais qu’un autre, n’a les raux parlent ainsi du joueur comme
reins assez solides pour porter la sé- s’il était affublé d’une sorte de lélection comme Michel Platini ou Zi- gion d’honneur informelle. Evra se
nédine Zidane dans le passé.
promène avec : toujours cette posDe la part d’un joueur observant un ture patriotique un peu raide et les
carême médiatique quasi ininter- mots qui vont avec, même s’il faut
rompu depuis 2010, cette brusque noter que c’est l’équipe de France,
et non la France elle-même, qui revient dans le discours de dévotion
du joueur. Evra a reconnu récemment son rôle positif à Knysna et
c’est comme s’il était sorti du placard: pendant six ans, il a adopté la
posture doloriste et sacrificielle de
l’homme qui souffre en silence, endossant les fautes commises par
d’autres que lui. Pour le reste, on jurerait qu’Evra se livre parce qu’il sait
proche la fin de sa vie en bleu. Son
état civil (35 ans) dit ça. Le fait que
la Juventus de Turin ne lui propose
plus que des contrats d’un an, l’offre
étant formulée chaque mois de mai,
le confirme. Et les performances du
gaillard lors de cet Euro vont sans
doute au-delà, même si un certain
flou règne : l’expérience est la
meilleure compagne de l’usure. Un
joueur à près de 100 matchs de Ligue des champions passe forcément
maître dans l’art de l’embrouille, ce
qui rend la lisibilité de ses performances malaisée.
Evra explique qu’il s’en fout, qu’il
est dans le monde d’après. «J’arrive
à un âge où ce n’est même plus ma
performance qui m’intéresse, explique-t-il dans l’Equipe. Ce que je
veux, c’est transmettre à mes coéquipiers cette envie de tout casser. Je
n’ai jamais été touché par aucune
critique. J’ai d’autres chats à fouetter. Je fais de la méditation, je suis
quelqu’un de religieux.» Dans la
même interview, le joueur donne
une clé: «Après 2010, je n’ai pas pris
mon jet pour partir en vacances. Au
contraire, j’allais manger en plein
centre de Paris. Quand elle a vu l’attitude des gens envers moi, ma
femme m’a dit : “Mais ce n’est pas
possible, tu ne te rends pas compte
de ce qu’ils disaient sur toi.” Je n’ai
pas ressenti cette virulence envers
moi. Jamais. Après, il faut dire aussi
que mes proches n’ont pas le droit de
me rapporter ce qu’on dit de moi.»
A l’époque, pourtant, Evra racontait
Patrice Evra, lors du match France-
partout que les gens l’arrêtaient au
pied du Sacré-Cœur pour le féliciter, qu’ils avaient compris, qu’il était
relié au public par télépathie pardelà ce que racontait la presse. Ça
pose la question du rapport du
joueur à la réalité, tout en confirmant la règle: la légende s’écrit souvent à bonne distance des faits, que
le temps tord progressivement dans
le sens de ceux qui racontent.
Il faut sans doute revisiter la carrière
d’Evra à cette aune, depuis ses débuts, qu’il voudrait héroïques, en
série B italienne (la deuxième division française) au SC Marsala, où il
coupait «les escalopes en quatre, une
fois dans le sens de la longueur, une
fois dans les sens de l’épaisseur, pour
faire quatre repas au lieu d’un», jusqu’à cette folle nuit du 19 au
20 juin 2010 dans l’hôtel Pezula de
Knysna, où il était le missus dominicus d’une équipe devenue folle.
Kingsley Coman et Anthony Martial
avaient alors 14 ans, Paul Pogba 17:
on est assez curieux de savoir ce
qu’Evra leur dit de lui, et à quel
point l’équipier disparaît derrière la
statue du Commandeur.
Même la mort sportive est conceptualisée par l’intéressé dans une optique de transmission: «Je ne prendrai pas ma retraite internationale:
ce sont les autres qui devront me
pousser dehors, ou plutôt faire les efforts nécessaires [comprendre: progresser suffisamment] pour que le
sélectionneur ne fasse plus appel à
moi.» Pour avoir un jour théorisé les
joueurs de Manchester United
–dont lui– comme des hommes et
ceux d’Arsenal comme des enfants,
Evra sait bien que sa relève au
poste, Lucas Digne ici, n’est pas
prête: autant comparer le boy next
door toujours dispo pour tondre votre pelouse à l’œil au roi Lear. On
imagine quand même une forme de
délectation.
Roumanie, le 10 juin.
PHOTO EIBNER EUROPA.IMAGO
u 19
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GISANT FARCEUR
ASSIS DANS SON CERCUEIL
Propulsé nouvelle star de l’équipe
de France sur la foi de ses buts de
fin de match, Dimitri Payet a ainsi
entendu Patrice Evra, dans le vestiaire, lui seriner sa première mitemps lamentable face à l’Albanie
(0-1) en juin 2015, mi-temps qui
avait mis un terme à la carrière
internationale de l’attaquant tricolore avant qu’un exil anglais et la
concurrence effrénée qui règne
outre-Manche (50 joueurs sous
contrat par club, mais on joue aussi
à onze) ne remettent Payet dans la
barque.
Lors du Mondial 2014, Evra était le
berger biblique, qui guide son
prochain dans la nuit. Aujourd’hui,
il est un gisant farceur assis dans
son cercueil, qui jette un œil noir
–histoire d’impressionner– sur une
relève se demandant qui est ce
type : le passé troublé de la sélection, le paratonnerre d’aujourd’hui
ou le cadre technique ou fédéral de
demain, un cadre paradoxal qui a
brûlé les ponts avec nombre de
consultants et de vieilles gloires
faisant l’opinion. Evra est un gars
courageux. Qui finira bien par se
demander un jour où ce courage
mène. •
LES HUITIÈMES DE FINALE
Quarts de finale
samedi 25 juin
15h
18h
21h
St-Etienne
SUISSE
POLOGNE
TF1
Paris
GALLES
IRLANDE
DU NORD
TF1
Lens
CROATIE
PORTUGAL
M6
IRLANDE
TF1
SLOVAQUIE
TF1
BELGIQUE
TF1
ITALIE
ESPAGNE
TF1
Nice ANGLETERRE
ISLANDE
dimanche 26 juin
15h
18h
21h
Lyon
Lille
FRANCE
ALLEMAGNE
Toulouse HONGRIE
lundi 27 juin
18h
21h
St-Denis
Tous les matchs sont également diffusés sur BeIn Sports
M6
Source : UEFA
20
Le nombre de titres majeurs (Mondial ou Euro),
que pèsent les équipes dans la partie «forte» du
tableau: France-Irlande, Angleterre-Islande, ItalieEspagne, Allemagne-Slovaquie. Les équipes de la
partie «faible» n’ont rien gagné du tout.
BLAGUE BELGE
«Ce qu’il manque à l’équipe.
Je ne sais pas. Et je m’en bats
les couilles si on gagne…»
KEVIN
DE BRUYNE
milieu
de terrain de
l’équipe belge
AP
Libération Vendredi 24 Juin 2016
Depuis le début de l’Euro, la Belgique, armada de très bons
footballeurs, joue de manière totalement décousue, ce qui
rend ses matchs totalement incompréhensibles. Parmi ses
stars, Kevin De Bruyne, l’attaquant de Manchester City.
Interrogé après la victoire contre la Suède sur les prestations
de sa sélection et sur les solutions possibles, il a répondu sans
s’énerver (vraiment) : «Ce qu’il manque à l’équipe. Je ne sais
pas. Et je m’en bats les couilles si on gagne…» A voir dimanche
soir, face à la Hongrie.
L’ADVERSAIRE
Pour les Bleus, des Irlandais rugueux
Les Bleus ont longtemps pensé affronter l’Irlande du Nord en
huitièmes. Ce sera finalement les cousins (plus forts) de la
République d’Irlande, surprenante vainqueure de l’Italie (1-0)
mercredi. A quoi s’attendre? Dans cet Euro, l’équipe entraînée
par Martin O’Neill n’a pris l’eau qu’une fois (3-0 face à la Belgique), au moment où elle a essayé d’ouvrir le jeu et s’est prise
pour une autre. Dimanche, face à l’équipe de France, elle ne
devrait pas renier ses fondamentaux. Gros bloc, grosse défense et défi physique jusqu’à la fin, en restant à l’affût d’un
bon contre. La République d’Irlande est l’une des six équipes
de cet Euro à s’être qualifiée avec moins de 50% de possession
de balle. Et l’une des moins pourvue en talents individuels,
ce qui ne l’empêche pas d’être sacrément embêtante.
20 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
Europe : populisme
ou expression
des peuples ?
IDÉES/
Des militants
célèbrent la victoire
de Virginia Raggi,
dimanche, à Rome.
PHOTO ANTONIO
MASIELLO. NURPHOTO. AFP
Les victoires
de Virginia Raggi
et de Chiara
Appendino,
membres
du Mouvement
Cinq Etoiles
(M5S), à Rome
et à Turin sont
l’expression
d’une
insatisfaction
démocratique
qu’il est temps
de prendre
en compte.
En Italie, la tentation
des cinq étoiles
rence budgétaire et l’honnêteté, des mesures en faveur des transports, du ramassage
des déchets, de l’école, ou des propos
ambigus sur l’immigration. A Turin, ville
fort différente de Rome que l’on considère
généralement bien gérée, Chiara Appendino a opposé «les Turinois dans les files
d’attente devant les musées» à ceux qui font
la queue «parce qu’ils sont pauvres». Fustigeant l’establishment local, elle s’est
Par
MARC LAZAR
DAUMERIE
L
es succès du Mouvement Cinq Etoiles («Movimento 5 Stelle», M5S) dans
la capitale de l’Italie et celle du Piémont obéissent à des raisons locales, et
revêtent une dimension nationale. Les
deux nouvelles élues ont des points communs. Elles sont femmes alors que la politique italienne reste dominée par les hommes, jeunes dans un pays gérontocratique,
novices ou presque en politique (Chiara
Appendino était conseillère municipale
depuis cinq ans) donc en mesure d’incarner la nouveauté, l’authenticité et le changement recherchés par des Italiens critiques de leur classe politique. A Rome,
Virginia Raggi, qui partait favorite, a exploité une situation désastreuse : échec du
maire précédent, Ignazio Marino, membre
du Parti démocrate (PD), scandales de corruption qui ont aussi éclaboussé ce parti,
dégradation continue de la ville, administration inefficace, endettement record.
Elle avançait un programme vague avec
quelques formules fétiches sur la transpa-
Directeur du Centre d’histoire
de Sciences- Po
adressée aux électeurs de la périphérie de
la ville, à la jeunesse en situation de précarité, aux démunis, et s’est prononcée pour
une politique d’accueil des immigrés.
Il y a une leçon plus générale à tirer des
résultats dans ces deux villes. Le M5S, au
second tour, peut agréger des suffrages
venus de la droite, de la Ligue du Nord et
de la gauche. Autant d’électeurs et de partis désireux de sanctionner le PD pour des
raisons variées (la crise sociale pas encore
résolue malgré la création d’emplois et la
profonde défiance envers les politiques)
et Matteo Renzi. Lui, qui se présentait
comme un outsider, se voit associé au
reste de la classe politique. Sa première
défaite atteste une limite de son positionnement consistant à pratiquer ce que l’on
pourrait appeler du populismo-centrisme
afin, entre autres, d’assécher le vivier
du M5S. Peine perdue donc, d’autant que
le M5S reste à un haut niveau dans les intentions de vote pour d’éventuelles élections politiques. Le référendum sur la ré-
forme constitutionnelle, prévu en octobre,
risque de se transformer en un vote pour
ou contre sa personne et sa politique.
Le M5S apporte-t-il donc une nouvelle
preuve de la montée en puissance des populistes ? Les populismes reposent sur un
système de croyances dichotomiques
(pour ou contre, oui ou non) porté le plus
souvent par un leader charismatique. Ils
ont en commun l’exaltation du peuple
comme une entité homogène, porteuse
par définition de vérité, le rejet de toutes
les élites supposées former une classe dominante unie, en dépit de ses apparences,
et complotant en permanence contre le
peuple, la dénonciation des partis de gouvernement et le rejet de l’Union européenne. Ils prennent néanmoins des formes très variées. Il existe des populismes
de gauche et d’extrême gauche (le parti de
gauche de Mélenchon, Die Linke en Allemagne), de droite et d’extrême droite (la
liste est innombrable), un populisme des
entrepreneurs tel Silvio Berlusconi, enfin
des populismes qui refusent de se situer
sur le clivage opposant la droite et la gauche, parce qu’ils privilégient les intérêts
régionaux, comme en Flandre avec le
Vlaams Belang, ou parce que cela correspond à leur stratégie. C’est ce qu’a tenté le
Front national (FN) dans le passé et qu’il
réessaye aujourd’hui. Ces distinctions sont
labiles et susceptibles d’évoluer, comme
lll
en atteste Podemos, fondé par des
Libération Vendredi 24 Juin 2016
lll
militants venus de l’extrême gauche qui ont d’abord tenu à opposer le peuple à «la caste», refusant de se situer à gauche mais qui, en vue du scrutin du 26 juin,
ont scellé une alliance avec Izquierda
Unida. D’un autre côté, ces mouvements
diffèrent sur l’Union européenne, l’euro,
l’immigration, l’islam, le terrorisme jihadiste, leurs conceptions du peuple, les sujets de mœurs et d’identité, ou encore du
fait de la sociologie de leurs électorats respectifs. Dans cette galaxie, le M5S se singularise. Contestant «le système», s’opposant
à tous les partis, il ratisse large sur tout le
territoire et attire les jeunes. Son programme associe des mesures de gauche
classique (revenu de citoyenneté
de 780 euros pour les plus pauvres), d’écologie (pour la gestion publique de l’eau, de
l’environnement, la décroissance), de moralité (l’honnêteté constitue l’une de ses
valeurs cardiales) et des positions fermes
sur l’immigration (ce qui divise en interne)
ou contre l’Union européenne et l’euro.
Il veut promouvoir la transparence démocratique et prône la démocratie participative, ce qui est souvent démenti par le pouvoir exorbitant de son directoire. Après
avoir obtenu 109 députés et 54 sénateurs
en 2013 qui ont surtout fait de l’obstruction (37 d’entre eux sont sortis du groupe
ou en ont été bannis), conquis deux villes
moyennes, Parme (le maire a été suspendu
du parti) et Livourne, les voilà à la tête de
deux villes de la péninsule. L’heure de
vérité a donc sonné pour le mouvement.
Que sera-t-il capable de faire ? Concrétisera-t-il son irréductible différence qu’il ne
cesse de revendiquer ? Les populismes ne
sont pas un problème en soi. Ils sont l’expression de problèmes. Ceux de la politique, de la démocratie, de l’Union européenne, de la crise sociale. Reste à voir
comment ces partis qui exploitent ces
questions et contribuent à les formuler
les résoudront une fois en situation
de responsabilité. •
Le programme de M5S
associe des mesures
de gauche (revenu
de citoyenneté
de 780 euros pour
les plus pauvres),
d’écologie (gestion
publique de l’eau,
de l’environnement,
décroissance),
de moralité et des
positions fermes sur
l’immigration (ce qui
divise en interne) ou
contre l’UE et l’euro.
élections municipales italiennes dimanche a vu
la victoire spectaculaire de deux candidates du
Mouvement Cinq Etoiles à Rome et à Turin, et les
élections législatives de ce week-end en Espagne
verront peut-être le nouveau parti de gauche Podemos passer devant le Parti socialiste espagnol.
Même si les positions de ces nouvelles formations divergent sur l’Europe ou l’économie, cer-
tains thèmes sont récurrents : démocratie
participative, transparence, rejet des élites, lutte
contre la corruption, écologie… Et, selon Marc
Lazar, spécialiste de la vie politique transalpine,
«les populismes ne sont pas un problème en soi.
Ils sont l’expression des problèmes. Ceux de la politique, de la démocratie, de l’Union européenne,
de la crise sociale».
Podemos ou la possibilité
d’un tournant historique
Après six mois de crise politique, de nouvelles
élections législatives ont lieu dimanche en
Espagne. La stratégie de Podemos, qui a
abandonné le «ni gauche ni droite» pour s’allier
avec les écolo-communistes, sera-t-elle payante ?
L
e 20 décembre 2015, les Espagnols se rendaient aux urnes
pour élire leurs députés, chargés ensuite de désigner le chef du
gouvernement. Mais, fait inédit dans
l’histoire, aucun parti n’obtint de
majorité absolue (176 voix sur 350) et,
six mois plus tard, le pays reste sans
gouvernement. Le Partido Popular
(PP, 123 voix) et le Partido Socialista
Obrero Español (PSOE, 90 voix)
obtinrent à eux deux à peine 53 % des
suffrages alors que l’addition de leurs
scores oscillait jusqu’alors entre 70 %
et 80 %. Leurs voix ont été siphonnées par deux nouveaux entrants :
Ciudadanos (libéral et hostile à l’indépendantisme catalan, 40 voix) et
Podemos (né dans le prolongement
des Indignés, 69 voix). Après trentecinq années d’alternance, c’est l’explosion du bipartisme. Cette reconfiguration de l’arène partisane débouche pour l’instant sur une paralysie
institutionnelle.
Afin de débloquer la situation, le roi
Felipe VI a convoqué de nouvelles
élections le 26 juin. Environ 70 % des
citoyens déplorent cette obligation
de retourner aux urnes. Cette seconde convocation aurait pu être évitée si une coalition avait vu le jour.
Par conséquent, la campagne électorale en cours se polarise autour du
débat sur la responsabilité du blocage. A qui doit-on l’absence de gouvernement ? Chaque parti accuse les
autres d’intransigeance et se présente comme souple et ouvert à des
compromis.
Un rapide historique des faits permet
de sortir de ces considérations politiciennes et de se faire une idée plus
nette de la situation. Mais précisons
d’abord deux éléments. D’abord,
Podemos est peut-être moins un facteur qu’un révélateur de la crise politique espagnole, puisque son succès
fulgurant n’aurait pas été possible
sans les nombreuses affaires de corruption qui ont miné le crédit des
élus espagnols auprès de leurs électeurs. Ensuite, la source du blocage
n’est pas imputable à un des acteurs
en particulier, mais à la logique
même de la situation. Pour des raisons arithmétiques de base, aucun
parti n’est en mesure de gouverner
seul. Et l’absence d’une tradition de
négociation au sein de la culture politique espagnole complique fortement la formation d’une coalition
gouvernementale. A ce titre, Podemos n’est pas davantage responsable
du blocage que ses trois principaux
rivaux. Pourtant, cette analyse ne fait
pas consensus.
En mars, Podemos était en baisse
dans les intentions de vote, et les
Espagnols le tenaient comme principal responsable du blocage. Au lendemain des élections, le parti de
Pablo Iglesias avait tendu la main au
Partido Socialista Obrero Español
tout en formulant des exigences
strictes (poste de vice-président pour
Pablo Iglesias, quatre ministères clés
pour son parti, référendum
d’autodétermination en Catalogne).
Cette proposition fut qualifiée de
«chantage» et d’«humiliation» par les
dirigeants socialistes, qui eurent
beau jeu de la décliner.
Peu après, en avril, le Partido Socialista Obrero Español de Pedro Sánchez parvint à établir un accord de
gouvernement avec Ciudadanos, le
parti de centre droit arrivé quatrième
le 20 décembre. Ces deux acteurs démontraient ainsi leur bonne volonté
et leur pragmatisme auprès de l’opinion publique espagnole. Mais leur
alliance ne permit pas d’atteindre le
seuil décisif des 176 députés. L’Espagne restait sans gouvernement, et
Podemos en était jugé responsable,
en raison de son refus de rejoindre
l’alliance Partido Socialista Obrero
Español – Ciudadanos.
Par
MANUEL
CERVERA­MARZAL
DR
Le continent européen traverse un moment
politique très volatil, surtout aux périphéries.
Entre référendum en Grande-Bretagne et émergence de nouvelles formations politiques comme
Podemos en Espagne ou le Mouvement
Cinq Etoiles en Italie, il semble que la notion de
«populisme» soit un peu courte pour expliquer
ces différentes évolutions. Le second tour des
u 21
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Chercheur à l’Ecole des hautes études
en sciences sociales (EHESS)
Alors que la course aux élections
du 26 juin semblait mal engagée,
Podemos parvint à inverser la tendance, et est désormais en passe de
dépasser le Partido Socialista Obrero
Español et de devenir la première
force politique de gauche en Espagne. Début mai, le parti de Pablo Iglesias opéra un revirement stratégique
important. Il prônait jusqu’alors un
discours transversal «ni droite ni gauche» et, par conséquent, le refus de
s’enfermer dans une alliance encombrante avec d’autres forces d’extrême
gauche.
Or, Podemos a récemment changé de
rhétorique en assumant désormais
son identité «progressiste de sensibilité social-démocrate», et a changé de
stratégie en s’alliant avec les écolocommunistes d’Izquierda Unida. Le
pari était risqué (beaucoup prédisaient que l’alliance avec les communistes ferait fuir la frange modérée
des électeurs de Podemos), mais il
semble s’avérer payant puisque les
sondages annoncent désormais que
la coalition Unidos Podemos emportera plus de voix le 26 juin que l’addition des scores de Podemos et de
Izquierda Unida du 20 décembre 2015.
Cette alliance générerait ainsi un effet démultiplicateur et permettrait à
Podemos de soutirer toujours plus
d’électeurs au Partido Socialista
Obrero Español, dont la dégringolade
s’apparente de plus en plus à celle de
son homologue grec.
Les élections du 26 juin déboucheront-elles sur la formation d’un gouvernement ? Personne n’est en
mesure de l’affirmer tant les paramètres du jeu électoral espagnol sont
nombreux et complexes. Bien qu’annoncé en tête (29 % des voix), le Partido Popular de Mariano Rajoy est
fortement isolé. Aucun des trois
autres partis ne souhaite se compromettre dans une alliance avec le
gouvernement sortant, que la majorité des Espagnols perçoivent
comme corrompu et au service des
banquiers.
Seule autre option sérieusement
envisageable : un «gouvernement
du changement» réunissant les
deux forces de la gauche, Partido
Socialista Obrero Español et Unidos
Podemos. Pour cela, leur score
cumulé doit impérativement
atteindre les 176 députés. S’ils y
parviennent, l’Espagne serait aux
portes d’un tournant historique.
L’Europe également ? •
22 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
IDÉES/
Peter Kuper,
National Rifle
Association
«NRA» (paru
dans
le Washington
City Paper).
PETER KUPER
Par
Alors que les tueurs
de masse profitent de
moyens légaux pour
commettre leurs
crimes, le contrôle
des armes n’est
toujours pas voté.
Un projet durcissant
les conditions de
vente vient d’être
rejeté lundi 20 juin
par le Sénat, à
majorité
républicaine.
Provoquant un sit-in
des élus démocrates.
DR
JONATHAN
METZL
Sociologue et psychiatre.
Directeur du Centre médecine
santé et société à l’université
Vanderbilt (Tennessee).
A
ux Etats-Unis, nous voilà
une fois de plus traumatisés par le spectre du
meurtre de masse. Le 12 juin,
Omar Mateen, armé d’un fusil
d’assaut et d’une arme de poing
semi-automatiques tire dans la
foule d’une boîte de nuit homosexuelle : 49 morts et 53 blessés
avant que le meurtrier soit abattu
par la police. L’attaque d’Orlando
est le meurtre de masse le plus
terrible de même que l’agression
la plus violente à l’encontre de la
communauté LGBT jamais
commise dans le pays.
La nation est en deuil. A travers
les Etats-Unis, ces massacres
sont de plus en plus fréquents et
de plus en plus meurtriers. Ils
sont d’autant plus choquants
qu’ils détruisent notre illusion de
sécurité dans des lieux où la menace de violence devrait être la
dernière des préoccupations
dans la tête des gens : une salle de
cinéma dans le Colorado, une
école dans le Connecticut ou une
boîte de nuit à Orlando. Ces lieux
sont naturellement vécus comme
des espaces de sécurité où les
gens viennent s’amuser, s’instruire ou être eux-mêmes en
toute simplicité. Qu’un certain
nombre d’entre eux, ces dernières années, soit devenu des sites
de carnages, n’a pas manqué
d’alimenter un sentiment de
peur et d’insécurité dans la population. Mais notre deuil est aussi,
malheureusement, politique. Au
fur et à mesure qu’augmente le
nombre de ces massacres absurdes, le récit que nous en faisons
devient de plus en plus clivant.
Pour des hommes politiques de
droite, comme Donald Trump, la
tuerie d’Orlando est interprétée
comme le résultat d’une menace
extérieure au mode de vie américain. Donald Trump dénonce
une crise existentielle nourrie par
ce qu’il appelle de façon problématique et provocante «l’islam
radical». Posture qui place la responsabilité du crime sur une menace extérieure et une religion
Après Orlando,
les armes toujours
tout entière. Par conséquent,
il appelle à interdire l’entrée du
pays à tous les musulmans.
Absurdité manifeste, d’autant
qu’Omar Mateen est natif de
New York. Cette forme de boucémissairisation est devenue
monnaie courante à la suite de
l’augmentation des tueries de
masse. Après les massacres du
Colorado et du Connecticut, des
politiciens conservateurs se sont
empressés de condamner les
«malades mentaux», allant jusqu’à réclamer la mise en place de
«bases de données» nationales
pour les surveiller, négligeant
toute autre forme d’explications
pour ce type de crimes.
Bien entendu, ces arguments
vont de pair avec une rhétorique
alarmiste amplifiée par la NRA
(National Rifle Association), le
puissant lobby pro-armes qui
trouve là un moyen d’alimenter
l’angoisse de l’insécurité et d’augmenter les ventes d’armes chez
les particuliers. Au lendemain du
massacre d’Orlando, un porte-parole de la NRA a réussi, dans une
même déclaration, à condamner
les crimes par armes à feu commis par «les malades mentaux et
les terroristes» tout en affirmant
qu’il fallait encore plus d’armes
pour «protéger le droit des Américains respectueux des lois» à se
défendre eux-mêmes. Un certain
nombre de données confirme
que ces stratégies alarmistes sont
puissamment efficaces : au lendemain des massacres de masse,
les ventes d’armes à feu explosent.
Bien entendu, des actes violents
ont été commis au nom de l’islam. Beaucoup de New-Yorkais et
de Parisiens en savent douloureusement quelque chose. Mais à
la différence des attaques de
Paris en novembre 2015, ou du
11 Septembre à New York qui ont
été organisées et mises en œuvre
par des organisations terroristes
– les meurtres de masse américains y compris de toute évidence la tuerie d’Orlando – sont
largement le fait d’actions individuelles. Loin de fonctionner en
dehors de la loi, la plupart de ces
tueurs ont planifié et ont commis
leur crime au travers de moyens
légaux. Ceci pour une large part
parce que, aux Etats-Unis, ces
quinze dernières années, il est
devenu de plus en plus facile
d’acheter des armes, des armes
semi-automatiques et des munitions. En réalité, la grande majorité des armes utilisées au cours
des 15 derniers massacres de
masse, y compris les deux revolvers de la tuerie d’Orlando, ont
été acquises légalement. Cette
facilité d’accès est la raison pour
laquelle les Etats-Unis sont de
loin le pays dont les particuliers
détiennent le plus grand nombre
d’armes à feu.
Les enjeux de cette bipolarité: lire
Orlando comme une menace
extérieure, ou comme le reflet de
notre politique nationale, est
d’autant plus crucial qu’il ne détermine pas seulement deux
façons distinctes de traiter le
trauma, mais bien deux façons
distinctes d’aller de l’avant. Est-ce
que, comme le suggèrent les républicains et la NRA, on fait son
deuil en construisant des murs et
en armant de plus en plus de gens
dans nos tours d’ivoire complètement illusoires ou est-ce qu’on
regarde à l’intérieur de nous-mêmes et, avec force bon sens, on
place au centre la question des
armes et de la violence par armes
à feu aux Etats-Unis ? En d’autres
termes, est-ce que l’ennemi est à
nos portes ou est-ce qu’il est, en
partie, «nous-mêmes»?
Dans les mois qui viennent la façon
dont les électeurs américains poseront ces questions à leurs représentants donnera forme au récit que
nous ferons du terrible massacre
d’Orlando. Et, aux élections de
novembre, la réponse à ces questions déterminera dans quelle sorte
de pays nous souhaitons vivre. •
Traduit par Florence Illouz.
Libération Vendredi 24 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
PHILOSOPHIQUES
Par
SANDRA LAUGIER
Professeure de philosophie à l’université
Paris­I Panthéon­Sorbonne.
A quoi servent
les «connasses»?
Si on redouble de sévérité à l’égard des deux
nouvelles élues du Mouvement Cinq Etoiles en
Italie, c’est qu’elles nous obligent à repenser le
populisme, devenu l’outil de ceux qui refusent
l’extension de la démocratie.
L
a femme parfaite est une connasse, énonçait
le titre d’un excellent ouvrage publié en 2013
(suivi d’un volume 2 qui n’a pas été à la hauteur). Les femmes ont gagné le droit d’être imparfaites, comme le sont par tradition les hommes ; les
femmes politiques peuvent être corrompues (Dilma
Rousseff), antipathiques (Hillary Clinton) et maltraitées dans les slogans (Myriam El Khomri)… et
des connasses, oui, juste comme eux ; même si on
redouble pour elles de sévérité et qu’on en rajoute,
par habitude. Chacune de ces situations a évidemment sa part de sexisme.
Elles peuvent aussi être victimes d’assassinat politique ignoble, comme la députée britannique Jo Cox
la semaine dernière. C’est là
une forme d’égalité, durement
conquise. Mais, si tout va bien,
on aura bientôt une première
présidente états-unienne au
lieu d’une première dame, et
peu m’importe si elle est critiquée et mal-aimée. Car tout le
monde est d’accord en principe
pour une femme présidente,
mais, comme par hasard, ce
n’est jamais la bonne (oui «mais
pas elle»).
On se souvient des mots de
Bertrand Delanoë soulignant,
il y a deux ans, le caractère historique de la victoire d’Anne
Hidalgo à Paris. Lors de son
élection dimanche, Virginia
Raggi a déclaré aussi: «C’est la
première fois qu’une femme occupera la fonction de maire de
Rome.» Ce succès, a-t-elle
ajouté, on le doit au Mouvement Cinq Etoiles (M5S). A elle
et sa compagne de victoire de
Turin, Chiara Appendino,
trentenaire aussi, il est clair
qu’on ne passera rien, tant on
insiste désormais dans la
presse –ici (Libé compris) et en
Italie– sur leur inexpérience: «novices» –oubliant
qu’il s’agit de femmes diplômées, engagées, professionnelles.
On les qualifie aussi de «populistes» mais cette accusation immédiate ne suffit plus à déconsidérer M5S.
Le mouvement refuse, certes, la ligne de clivage traditionnelle droite – gauche. Mais les adhérents au
M5S se recrutent parmi des citoyens et des activistes
engagés dans des luttes locales contre l’incapacité
et la corruption des gouvernants, l’absence d’avenir
pour les jeunes, l’impuissance publique ou la mainmise du pouvoir de la finance sur les affaires concernant le bien commun. On retrouve les thèmes de
Nuit debout, sur lesquels nos politiques et intellectuels ricanent (sans encore les qualifier de «populistes»).
Les élus de M5S sont
jeunes, disposant
d’une expertise
et ils connaissent
leurs dossiers.
Comparez à la France
et à son personnel
politique issu
des grandes écoles,
où les cabinets
ministériels sont
étanches au monde
universitaire
et où les docteurs
sont l’exception.
Comparez au paysage
de nos primaires.
Parmi les propositions affichées par M5S: la limitation du nombre de mandats et l’interdiction du cumul, l’inéligibilité des citoyens condamnés, le développement des renouvelables, le développement du
planning familial, le mariage homosexuel. Rien de
conservateur mais rien qui ressemble à un classique
programme politique «de gauche»: plutôt celui de
l’aspiration démocratique ordinaire, d’une forme
de vie politique où on prend au moins en compte la
réalité des ressources politiques, en particulier les
femmes.
Lors des élections législatives italiennes de 2014, ce
qui se présentait comme un «non-parti», sans projet,
sans leader (j’oublie l’humoriste Beppe Grillo), avait
obtenu des résultats étonnants et 8,5 millions d’électeurs avaient choisi d’envoyer 162 citoyens ordinaires, «novices», siéger à la Chambre et au Sénat. Déjà
les experts en politique s’accordaient à qualifier le
vote M5S de victoire du «populisme» et de danger
pour la démocratie.
Peut-être la victoire, évidemment provisoire et fragile, de ces deux femmes du M5S nous appelle à un
changement dans nos formes de vie politique –et,
en tout cas, dans nos manières de penser et de dire
ces phénomènes. Ce n’est pas le populisme mais le
qualificatif de «populisme» qui est à analyser, devenu l’outil et la signature aujourd’hui de ceux qui
refusent l’extension de la démocratie.
Les élus de M5S sont jeunes, disposant d’une expertise (universitaires, avocats, urbanistes, infirmières,
médecins, travailleurs sociaux, étudiants, activistes…) et ils connaissent leurs dossiers. C’est un étu-
u 23
diant, Luigi Di Maio, qui est vice-président de la
Chambre. Comparez à la France et à son personnel
politique issu des grandes écoles, où les cabinets ministériels sont étanches au monde universitaire et
où les docteurs sont l’exception. Comparez au paysage de nos primaires.
Taxer de populisme ce qui se passe en Italie avec les
élues du M5S, c’est mettre sur le même plan, ou sous
le même chapeau, la volonté commune de perfectionnement et de démocratisation de la politique,
d’ouverture à de nouvelles générations et de personnels, et par exemple, le fascisme raciste et sexiste de
Donald Trump ou la xénophobie haineuse des partisans du Brexit –dont a été victime Jo Cox, qui représentait aussi cette démocratisation. Ce genre
d’amalgame que permet l’usage de termes indifférenciants, comme les déclarations récentes de membres du gouvernement français assimilant des manifestants à des terroristes, fait partie de ces «éléments
de langage» dont il nous faut constamment faire
l’analyse et la critique et si l’on veut défendre la démocratie réelle et avec elle, la société. C’est bien
d’une nouvelle grammaire de la démocratie dont
nous avons besoin, d’urgence, pour penser le «populisme» (1). •
(1) Voir le dossier «Populismes» dans 61. Multitudes 61. Hiver
2015.
Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier,
Michaël Fœssel, Anne Dufourmantelle et Frédéric Worms.
SAMEDI 25 JUIN
LEGUIDE
DESFESTIVALS
D’ÉTÉ
GRANDSUD
CENTRE
NORD-EST
GRANDOUEST
EUROPE
Illustrations:
Brest Brest Brest
SUPPLÉMENTGRATUIT
AVEC«LIBÉRATION»
Document
23. Jun Vendredi
2016 - 24
16:03:00
Juin 2016
24 u: LIB_16_06_24_PA.pdf;Date : Libération
Formation
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Libération Vendredi 24 Juin 2016
SCREENSHOTS
a la tele ce soir
TF1
FRANCE 4
NT1
20h55. Vendredi, tout
est permis avec Arthur.
Divertissement.
23h30. Action ou vérité.
Divertissement.
20h55. Heartless, la malédiction. Série. Épisodes 1 & 2.
22h20. Heartless, la malédiction. Série. Épisodes 3 & 4.
20h55. Super Nanny.
Magazine. La famille d’adolescents. 22h50. Super Nanny.
Magazine. La famille éclatée.
FRANCE 5
D17
20h50. La maison France 5.
Magazine. 22h20. Silence,
ça pousse !. Magazine.
20h50. American pickers :
chasseurs de trésors. Divertissement. 22h30. American
pickers : chasseurs de trésors.
FRANCE 2
20h45. Rugby : RC Toulon /
Racing 92. Finale du Top 14.
Sport. 23h05. Taratata
100 % live. Musique.
PARIS PREMIÈRE
FRANCE 3
20h55. La loi de Barbara.
Téléfilm. Illégitime défense.
Avec : Josiane Balasko, Olivier
Claverie. 22h55. Soir 3.
23h20. Le divan de MarcOlivier Fogiel. Magazine.
CANAL +
20h45. Rugby : RC Toulon /
Racing 92. Finale du Top 14.
Sport. 23h15. Terminator
genisys. Film d'action.
Avec : Arnold Schwarzenegger, Emilia Clarke.
20h55. L’assassin idéal.
Téléfilm. Avec : Hinnerk Schönemann, Teresa Weißbach.
22h25. À qui appartiennent
les océans ?. Documentaire.
M6
21h00. NCIS : enquêtes
spéciales. Série. Un partenaire
particulier. Ce qui ne nous tue
pas. Un homme désespéré.
23h35. NCIS : enquêtes
spéciales. Série.
20h50. Stephen King : La
maison sur le lac. Téléfilm.
Parties 1. 22h15. Stephen King :
La maison sur le lac.
TMC
6 TER
20h55. Hercule Poirot. Série.
Mort sur le Nil. Avec : David
Suchet, Hugh Fraser. 22h55.
Hercule Poirot. Série.
Cinq petits cochons.
VENDREDI 24
LCP
SAMEDI 25
Caen
Paris
Strasbourg
Brest
Paris
Dijon
IP
0,6 m/16º
1 m/16º
Lyon
Lyon
Bordeaux
Bordeaux
Toulouse
Dijon
Nantes
0,6 m/19º
Nice
Montpellier
Toulouse
Marseille
Nice
Montpellier
Marseille
9 1
8
4
1/5°
6/10°
11/15°
1 m/18º
16/20°
21/25°
26/30°
31/35°
36/40°
6
5 7
Éclaircies
Peu agitée
Nuageux
Calme
Fort
Pluie
Modéré
Couvert
Orage
Pluie/neige
6
7
MIN
MAX
Lille
Caen
Brest
Nantes
Paris
Nice
Strasbourg
13
12
12
14
17
24
21
23
20
18
23
25
31
31
FRANCE
Dijon
Lyon
Bordeaux
Ajaccio
Toulouse
Montpellier
Marseille
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18
16
15
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18
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27
32
22
29
26
30
27
9
9
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4
4 5
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9
2 5
3
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2
1 8
SUDOKU 3075 DIFFICILE
8
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1
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1
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2
4
7
8
1
3
5
7
2
4
8
6
1
9
3
5
Solutions des
grilles d’hier
ON S’EN GRILLE UNE?
2
3
4
II
III
IV
IMPRESSION
Midi Print (Gallargues)
POP (La Courneuve)
Nancy Print (Jarville)
CILA (Nantes)
VIII
V
VI
IX
X
XI
1
5
6
1
9
6 3 4 7
3
I
6
8
8 6
3 6
4
4 3
9 6 5
Petites annonces. Carnet
Team Media
25, avenue Michelet
93405 Saint-Ouen cedex
tél.: 01 40 10 53 04
[email protected]
5
6
7
8
9
Par GAËTAN
GORON
HORIZONTALEMENT
I. Versets versant dans la
monotonie II. Les autres ;
Eaux-de-vie au MoyenOrient III. Travailles la terre
avec des pieds impatients
IV. Adresse à base de points
et de nombres ; Il reçoit le
câble ; Avec Arthaud à la
barre V. Homme qui court
après les dames VI. Une
couleur de la France en 1998 ;
L’ego système VII. Bonnes
opinions VIII. Vieilles
habitudes ; Le motard mord
sans elles ; Il porte une charge
IX. Blancs X. Un acronyme
contre trois maladies ; Entre
les digues XI. Provisoirement
sans règles
Grille n°329
Neige
Faible
MIN
7
3
3
9
3 4 5 1
2 4
SUDOKU 3075 MOYEN
15
FRANCE
4
6
1
4 2 8
Directeur administratif
et financier
Grégoire de Vaissière
Directrice Marketing
et Développement
Valérie Bruschini
Service commercial
[email protected]
Imprimé en France
Soleil
◗ SUDOKU 3076 DIFFICILE
5 7
3
VII
0,6 m/17º
-10/0°
Agitée
◗ SUDOKU 3076 MOYEN
Rédacteurs en chef
adjoints
Michel Becquembois
(édition), Grégoire Biseau
(France), Lionel Charrier
(photo), Cécile Daumas
(idées), Matthieu Ecoiffier
(web), Jean-Christophe
Féraud (futurs), Elisabeth
Franck-Dumas (culture),
Didier Péron (culture),
Sibylle Vincendon et
Fabrice Drouzy (spéciaux).
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Libération Medias
23, rue de Châteaudun,
75009 Paris tél.: 01 44 78 30 67
Orléans
Nantes
0,6 m/19º
Strasbourg
Brest
Orléans
ZOOTOPIE disponible en VOD.
ABONNEMENTS
abonnements.liberation.fr
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tarif abonnement 1 an
France métropolitaine: 391€
tél.: 01 55 56 71 40
Lille
1 m/15º
Caen
Cogérants
Laurent Joffrin
Marc Laufer
Directeur artistique
Nicolas Valoteau
20h30. Bruno Le Maire,
l’affranchi. Documentaire.
21h30. Débat. 22h00.
Bibliothèque Medicis.
Magazine.
0,3 m/15º
Principal actionnaire
Altice Média Group
France
Rédacteurs en chef
Christophe Boulard
(technique),
Sabrina Champenois,
Guillaume Launay (web).
L'activité orageuse devient moins sensible et
concerne principalement le nord-est du
pays. Ailleurs, près des côtes de la Manche
et de l'Atlantique, les nuages sont nombreux.
L’APRÈS-MIDI Une tendance orageuse se
maintient dans l'est, avec une baisse des
températures. Le temps est ensoleillé en
Méditerranée où le vent souffle et les
températures affichent jusqu'à 31 °C.
Lille
0,6 m/15º
IP 04 91 27 01 16
20h55. Ink Master The rivals. Divertissement.
Deux de trop. Tatoue mon
oosik. 22h30. Ink Master The rivals. Divertissement.
21h00. Le grand match.
Divertissement. Spécial
records. 23h15. TPMP refait
l’année !. Divertissement
S’il y a une chose à retenir de
Zootopie des studios Disney, c’est
qu’il s’agit du film d’animation le
plus drôle depuis que Pixar a
révolutionné le genre. Zootopie, c’est la cité futuriste
peuplée d’animaux «civilisés» dans laquelle débarque
Judy, jeune lapine éprise de justice. Elle intègre
l’académie de police mais doit trouver sa place dans un
monde faussement égalitaire où les postes importants
sont occupés par les plus forts. Et se fait aider par un
renard pour résoudre une sombre histoire d’animaux
qui reviennent à leur état sauvage. Alors oui, elle est
politiquement correcte, cette histoire d’amitié contrenature qui transpose les petites vexations de notre
quotidien au monde animal. Mais qu’est-ce qu’on se
marre. Le préposé à cette chronique a rarement autant
ri devant un film et – ce qui est rare – aux mêmes
endroits que les Gremlins qu’il accompagnait. Le double
discours habituel n’est plus si important pour les
adultes cherchant un prétexte pour venir sans leurs
enfants. Bien après, impossible de ne pas sourire en se
remémorant les paresseux-bureaucrates ou les loups
incapables de s’empêcher de hurler… comme nous de
rire. DAVID CARZON
Directeurs adjoints
de la rédaction
Stéphanie Aubert
David Carzon
Alexandra Schwartzbrod
NUMÉRO 23
D8
Edité par la SARL
Libération
SARL au capital
de 15 560 250 €.
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
RCS Paris: 382.028.199
Directeur en charge
des Editions
Johan Hufnagel
CHÉRIE 25
20h55. Femmes de loi. Série.
Amour fou. 22h50. Femmes
de loi. Série. Beauté fatale.
Fauve qui peut
Directeur
de la publication
et de la rédaction
Laurent Joffrin
20h55. Dolmen. Série.
Épisode 5. 22h45. Dolmen.
Série. Épisode 6.
NRJ12
www.liberation.fr
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
tél.: 01 42 76 17 89
Directeur général
Richard Karacian
20h55. Norbert commis
d’office. Divertissement.
Norbert commis d’office - Ils
reviennent !. 22h00. Norbert
commis d’office.
20h55. Enquête d’action.
Magazine. Nice : des urgences
sous haute tension.
20h55. Enquête d’action.
Magazine. Urgence extrême :
les anges gardiens de nos
vacances.
Des orages peuvent éclater dans le centreouest. Un air plus frais concerne le
nord-ouest du pays ainsi que les côtes de la
Manche.
L’APRÈS-MIDI Des orages parfois forts
s'étendent des Pyrénées aux frontières du
nord-est. Dans le nord-ouest, le temps
devient plus variable avec des éclaircies. La
forte chaleur persiste à l'est du Rhône.
0,6 m/14º
HD1
20h45. Les Grosses Têtes.
Divertissement. 2 épisodes.
23h15. Les Grosses Têtes.
Divertissement.
W9
ARTE
u 25
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MONDE
MIN
MAX
Alger
Bruxelles
Jérusalem
Londres
Berlin
Madrid
New York
20
20
25
15
22
22
15
24
23
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21
34
33
26
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Contrôle. CPPAP: 1120 C
80064. ISSN 0335-1793.
La responsabilité du
journal ne saurait être
engagée en cas de nonrestitution de documents.
Pour joindre un journaliste
par mail : initiale du
pré[email protected]
VERTICALEMENT
1. Lu et approuvé par les gourmands 2. Elle peut entraîner une explosion
3. Base ; Annonce de la perte d’un point ; Réservoir à sable 4. Ils donnent
envie de se gratter 5. Elles se garnissent de pains ; Zlatan y a fait ses débuts
6. Il gagne à être connu ; L’une des Cyclades 7. Grade de combattant ;
Elles nous font tous rougir 8. Cet autrement ; Il trouve les enfants craquants
9. Il est dans une dynamique positive ; Il a des comptes à rendre
Solutions de la grille d’hier
Horizontalement I. ÉCHIQUIER. II. URUBU. AXE. III. RIMMEL. IS.
IV. ÔTÉ. MIELS. V. DIRHAMS. VI. ÉQUINE. PS. VII. PUS. DEALS.
VIII. UE. NESSIE. IX. TENDU. PEU. X. ULSTERS. XI. STÉRÉO. AE.
Verticalement 1. EURODÉPUTÉS. 2. CRITIQUÉE. 3. HUMÉRUS. NUE.
4. IBM. HI. NDLR. 5. QUÉMANDEUSE. 6. LIMÉES. TO. 7. IA. ÈS. ASPE.
8. EXIL. PLIERA. 9. RESSASSEUSE.
26 u
MODE
Libération Vendredi 24 Juin 2016
Si chics types
Défilés hommes
printemps-été 2017
Lélégance règne sur
les podiums, déclinée
du moine au glam.
Par
SABRINA CHAMPENOIS
et ELVIRE VON BARDELEBEN
Photos
RÉMY ARTIGES
RICK OWENS
LA TRANSITION EN MAJESTÉ
Dans le sous-sol du Palais de Tokyo qu’il affectionne
et dont la poésie de béton brut lui va comme un gant,
Rick Owens aime envoyer du gros son, tellurique.
Cette fois, c’est l’ode écologique After the Gold Rush
de Neil Young qui a enveloppé l’assistance, avec un
effet élégiaque renversant. «J’aime voir dans cette
chanson une façon de négocier gracieusement les
transitions inévitables», expliquait le créateur américain mais résident parisien dans un communiqué,
après avoir rappelé que «la mode consiste à refléter
le changement, et des changements sont en train de
se produire […], se raccrocher au familier ou plonger
avec enthousiasme dans l’inconnu : j’aime à penser
qu’aucune de ces options n’est mauvaise». Intitulée
«Morse» (l’animal, walrus en VO), sa collection allie
de fait les deux : les pantalons XXL et ultralongs (ils
sont conçus pour qu’on marche dessus), ou les grandioses drapés en coton, soie, taffetas, avec lesquels
Owens protège et reconstruit la silhouette, sont une
de ses constantes, pour l’homme comme la femme.
Les mini-blousons en cuir ultracintrés qui font une
taille de guêpe tandis que le bas (un pantalon à pans
japonisants) s’évase façon crinoline relèvent de la nouveauté, somptueuse. De cet équilibre émergent des
néomoines shaolin d’une majesté troublante: comme
un pari existentiel.
Pantalons ultralongs et élégants drapés pour Rick Owens, jeudi au Palais de Tokyo.
Libération Vendredi 24 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
u 27
LOUIS VUITTON
L’ÉCHO DES SAVANES
En ce qui concerne la chaleur, la cour
du Palais-Royal, où se déroulait le
show Vuitton, était plutôt raccord
avec le thème du défilé : l’Afrique. Le
sujet peut sembler large, mais le designer aguerri Kim Jones a fait preuve
cette fois encore d’une acuité qui le
préserve des clichés (pas de manteau
panthère à signaler ici). Tout au long
du défilé, le Londonien a infusé une
touche britannique via des éléments
punk qui contrastaient joyeusement
avec l’esprit de la savane. L’Afrique est
évoquée via des peaux exotiques, des
sahariennes délavées, des imprimés
déformés – mention spéciale à la girafe XXL, très convaincante – dans
des couleurs originales (beaucoup de
bleu) et utilisées sur des matériaux
inattendus, comme le mohair. Au
milieu se glissaient du tartan, des Zips
qui filaient le long de la jambe, des
vestes de bikers et pas mal de piercings. Malgré sa fantaisie, l’ensemble
reste conforme aux standards de
Vuitton, qui fait toujours la part belle
au tailoring, aux vêtements sobres et
pratiques qui constituent la garderobe idéale du workingman moderne,
celui rêvant d’évasion entre deux
réunions.
Défilé Vuitton
au Palais-Royal,
jeudi.
HAIDER ACKERMANN
AIRS DE FÊTE POUR ÉPOQUE DÉFAITE
A quelques minutes près, c’était sous la pluie
que défilaient mercredi soir les hommes de
Haider Ackermann, dans la jolie cour du palais Galliera. Le spectateur aurait sans doute
modérément apprécié la douche. Ça aurait
néanmoins eu de la gueule et amplifié l’état
d’esprit hédoniste qui se dégageait de cette
collection. Car s’il y a toujours de la langueur
dans les défilés de Haider Ackermann, voire
de la lenteur, comme une invitation à lever
le pied dans ce monde affolé, on percevait
cette fois un élan programmatique: «L’époque est moche? Soyons beaux, vivants, sortons, aimons.» Alors coiffons nos cheveux
en arrière, gominons-les pour ressembler à
un acteur des années 40, entre Rudolph Va-
Bomber couleur flamant rose chez Haider Ackermann, mercredi au palais Galliera.
lentino et Louis Jouvet, et enfilons les habits
de lumière: pantalon ultraslim bicolore (une
jambe noire, l’autre blanche) ou à fronces
avec bande sur le côté façon tuxedo, des
chemises de flamenciste, un bomber noir à
dorures ou rose poudré souligné de jaune,
un blouson de motard noir comme gagné
par une marée rouge, un caftan bleu roi à
motifs floraux… ça flamboie mais à la Ackermann, arty. Aux pieds, des mocassins-tiags
pointus. Ou alors des claquettes. L’important
est d’être de la fête.
BALENCIAGA
DEMNA GVASALIA
INVOQUE CRISTOBAL
Plein soleil sous le toit-verrière du lycée
privé Saint-Louis-de-Gonzague, Paris
XVIe : on a suffoqué, mardi, en attendant
la première collection de Demna Gvasalia
pour Balenciaga. Mais personne n’aurait
laissé sa place : ces débuts du wonderboy-tête de pont du collectif Vetements,
qui fait bouger les lignes de la mode depuis 2014, étaient attendus tel un accouchement. Qu’allait donner son alliance
avec une maison que Nicolas Ghesquière
a alimentée de sa maîtrise visionnaire
de 1997 à 2012, avant que l’as californien
du streetwear Alexander Wang reprenne
le flambeau sans convaincre, trop fidèle
à lui-même, pas assez dans la greffe ?
Le bébé Balenciaga-Gvasalia est intéressant, prometteur. La note d’intention («Le
cœur de cette collection est la transformation par la coupe») posée sur les sièges
l’annonçait, le défilé l’a confirmé: le jeune
créateur géorgien passé par Margiela et
Vuitton se place résolument dans le
sillage de Cristobal Balenciaga lui-même,
grand architecte du vêtement s’il en est.
Avec ce mot d’ordre: «manipulation», du
tissu d’un côté, du corps de l’autre. Ce
qu’on a vu: des silhouettes hypergraphiques, fines comme la lame, perchées sur
des bottes et exagérément carrées des
épaules, du zazou à pantalon large, taille
haute, bomber façon jockey et chaînette
à la hanche, de grands manteaux en cuir
comme empruntés à la Stasi, de jolis clergymen à écharpe dorée (Balenciaga était
catholique pratiquant). Le côté fripes
qu’affectionne Vetements est présent, et
on retrouve le côté sale gosse-franc-tireur
dans certaines propositions (le costumepantacourt avec bottes 70, comment
dire…). Dans le même temps, Demna Gvasalia réinfuse ce faisant un tranchant
dans Balenciaga. Une réelle implication:
c’est ce qui manquait dans la période
Wang.
28 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
The Primate Trilogy, de Jacopo Godani. PHOTO DOMINIK MENTZOS
Dans la solitude
des grands plateaux
Danse contemporaine
Déplorée par de nombreux
programmateurs, la pénurie
de créations grand format
adaptées à leurs salles raconte
en creux l’évolution de la discipline
depuis les années 80.
pièces de plus de six interprètes). C’est surtout qu’ils sont rares à pouvoir remplir une
salle de 1 000 places sans sombrer dans le
blockbuster pompier. Bien sûr, on pourra toujours citer les principales locomotives, ceux
qui parviennent (et encore, pas toujours) à
combiner popularité et exigence artistique:
Angelin Preljocaj, Philippe Decouflé, Mourad
Merzouki, Sidi Larbi Cherkaoui (qui réunit au
Festival d’Avignon 22 danseurs pour la recréation de Babel dans la cour d’honneur du palais des Papes), rejoint plus récemment sur les
scènes françaises, notamment par l’Israélien
installé à Londres Hofesh Shechter. Mais quid
du renouvellement?
PÉRIODE D’INTROSPECTION
La question semblera abstraite concernant le
Théâtre de la Ville de Paris, qui dispose d’un
volet d’abonnés suffisamment nombreux, fiPar
dèles et aventureux pour accueillir dans sa
ÈVE BEAUVALLET
grande salle de nouvelles figures. Mais, dans
le réseau des scènes nationales, autrement
u secours, j’ai pas de chorégraphe préoccupées par la question du public, elle
pour mon grand plateau!» Depuis fait s’arracher les cheveux des programmaquelques années, Patrick Sal- teurs, au rang desquels Matthieu Banvillet,
mon, chargé de diffusion dans le secteur cho- chargé de faire vivre le grand plateau du
régraphique, entend cette phrase en leitmotiv Quartz de Brest avec, en face, un monstre
dans la bouche de nombreux programma- de 1 500 places à remplir. «La question nous
teurs. Et en effet, depuis la dispatravaille pour l’ensemble de la saison
rition des monstres sacrés de la ENQUÊTE mais concernant le festival Dansfadanse contemporaine (Pina
brik –où l’on est à l’endroit de la créaBausch, Merce Cunningham) ou la mise en tion et de l’expérimentation –, elle devient
veille de ceux qui restent (William Forsythe, presque insoluble ! commente t-il. Si je veux
Jiri Kylian), il deviendrait de plus en plus programmer des grands ou moyens formats de
compliqué de trouver des créations chorégra- Boris Charmatz ou Christian Rizzo, où les préphiques adaptées au gigantisme de certains senter? Dans la grande salle, je sais que ce sera
équipements culturels. Non pas que les cho- difficile de toucher un très grand public, même
régraphes ne produisent plus du tout de avec Maguy Marin ! Et dans notre salle de
grands formats (même s’il se crée moins de 300 places, ça ne rentre évidemment pas. Ce
«A
Libération Vendredi 24 Juin 2016
En partie tournée vers l’ensemble
du bassin méditerranéen,
la 36e édition du festival Montpellier
Danse donnera aussi l’occasion
de découvrir le travail de l’ancien
danseur et assistant de William
Forsythe, Jacopo Godani. Et de
retrouver des figures bien connues
du festival, comme Nacera Belaza
ou Emmanuel Gat. On pourra
également voir la création très
attendue de Christian Rizzo,
développée autour des danses
de club.
Montpellier Danse (34). Du 23 juin au 9 juillet.
Rens. : www.montpellierdanse.com
CHANGEMENT D’ÉCHELLE
Toutefois, reste à savoir comment encourager
la diversité des formats. Au Théâtre de la
Ville, le plateau des Abbesses (le second plateau, plus petit, avec une salle de 400 places)
joue entre autres un rôle d’incubateur. «Des
chorégraphes comme Christian Rizzo ou Rachid Ouramdane ont formidablement passé
le cap du grand plateau», vante Claire Verlet.
Un changement d’échelle qui génère parfois
une inflexion de l’esthétique. Et ce «cap» ne
va pas sans risques. «Si un jeune artiste veut
ibération Samedi 25 et Dimanche 26 Juin 2016
faire une pièce avec beaucoup d’interprètes au
plateau et que son projet est articulé, je pense
qu’il sera écouté par les programmateurs,
admet Noé Soulier. Mais ce n’est pas sûr qu’il
arrive à concevoir un projet à cette échelle s’il
n’a jamais fait l’expérience des grands plateaux, sur lesquels il est très compliqué d’obtenir de vrais temps de répétition.»
Qui, alors, pour leur donner l’occasion de se
tester ? Réponse à l’unisson dans la profession: les ballets, ces compagnies de répertoire
et de création comptant une trentaine de danseurs permanents. «Les compagnies comme
le Ballet de Lorraine, le Ballet de Lyon ou le
Ballet de Nancy mènent depuis quelques temps
une formidable politique en faveur de la création contemporaine», explique Claire Verlet.
En passant commande à des chorégraphes
comme François Chaignaud, Tania Carvalho,
Noé Soulier, Cindy Van Acker... Une équation
qui nécessite peut-être des ajustements
– davantage de temps de création, notamment ? – mais qui a l’avantage d’inciter les
chorégraphes contemporains à se frotter au
plus grand public et aux plus grands formats.
Là où l’idée, pour certains, ne leur serait peutêtre pas venue. •
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Images
MUSIQUE
LIVRES
VOYAGES
FOOD
Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Juin 2016
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Juin 2016
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Plein cadre /
Massage thaï
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Ciné / Kenneth
Anger, potins
artistiques
Page 34 :
Série/ «Bureau
des légendes»,
le tabac
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Page 39 : On y croit / Throws
Page 40 : Cinq sur cinq / Top-models et pop music
Page 42 : Casque t’écoutes ? / Jack Lang
Enfants
de cello
Madeon, 22 ans aujourd’hui et 16 ans à l’époque de son premier succès, ici à la Gaïté lyrique à Paris, le 3 avril 2015. PHOTO YANNICK RIBEAUT. DALLE
Evidemment, rien de problématique d’un
point de vue artistique, sauf à considérer,
comme le souligne le jeune chorégraphe Noé
Soulier, «qu’une sonate pour piano soit moins
intéressante qu’une symphonie. Si on regarde
l’histoire de la danse, les figures les plus marquantes ne sont pas nécessairement celles qui
ont fait des grandes formes. Simone Forti,
Yvonne Rainer, Steve Paxton ont eu un impact
infinimenent supérieur à celui de Maurice Béjart sur la création contemporaine.» Et côté
économie ? Moindre mal pour les scènes
pluridisciplinaires qui disposent de la parfaite
typologie de salles. Pour les autres, l’option
reste de reconfigurer une grande salle pour
la transformer en moyenne jauge, et d’accepter le coût qui va avec. Côté festivals, comme
celui de Montpellier Danse, tenir l’équilibre
financier nécessite un certain doigté: «Lorsque la ville a construit le Corum [2000 sièges,
ndlr], ça a modifié en profondeur l’économie
du festival : on s’est mis, non pas à gagner de
l’argent, mais, du moins, à ne plus en perdre,
explique Jean-Paul Montanari. Alors louper
la programmation dans cette grande salle,
c’est handicaper le fonctionnement du festival.
On y arrive – cette année, on découvre par
exemple le Grec Dimitris Papaioannou– mais
c’est parfois compliqué.»
Surtout, la pénurie de grands formats suffisamment fédérateurs poserait un problème
d’un autre ordre. «Je suis profondément persuadé que c’est sur les grandes scènes, avec
beaucoup de monde en face, que se légitime la
présence de la danse dans une ville, commente
encore Jean-Paul Montanari. Sinon, ça reste
un art de recherche, destiné à n’être vu que par
une centaine de spectateurs.» Le chorégraphe
Noé Soulier acquiesce, tout en soulignant
l’existence aujourd’hui de nouveaux modes
de visibilité de la danse, que ne connaissait
pas la génération des années 80. Comme le
Net, évidemment, espace qui, si tant est qu’on
l’utilise à bon escient, pourrait jouer son rôle.
«Il y a plus de gens qui connaissent mon travail
en l’ayant vu sur YouTube qu’en l’ayant vu en
salle», conclut Noé Soulier.
Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Juin 2016
Electro,
la fièvre jeune
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46 : Thomas Hürlimann/ 40 roses à perpétuité
47 : Sophie Chauveau/ Pervers de père en fils
50 : Jérôme Orsoni/ «Comment ça s’écrit»
Terminus la banalyse
Retour sur une
aventure collective
Par
FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
P
ar quoi commencer :
par la chose ou par sa
glose? Par le baptême
de la banalyse en 1982
ou sa résurgence en 2016? Commençons banalement par le livre, une
somme rondelette de 508 pages, résultat de trois années de travail et
d’enquête pour rassembler les archives de ce mouvement méconnu et
retrouver des spécimens encore vivants. L’enquête a mené les concepteurs de l’ouvrage jusqu’à Prague,
c’est dire. Ce panorama complet,
réalisé à partir de 2,5kilomètres de
linéaires de papiers, a été mis en
forme avec la plus pure exigence banalytique par Cdrc Lchrz, patronyme imprononçable et farfelu sous
notre latitude. Ce n’est pas la seule
incongruité de l’affaire. Inutile de
chercher dans les pages un historique circonstancié de cette aventure
ou des points de vue critiques argu-
mentés. «Nous ne voulions pas faire
le récit d’un mouvement essentiel de
la fin du XXe siècle, défend Thierry
Kerserho, son éditeur et par ailleurs
invité n°1034 –et dernier– du Congrès ordinaire de la banalyse, ce qui
explique sans doute sa partialité enthousiaste. «La meilleure chose était
de rendre enfin public des documents
Le 23 juin 1984, 13 h 36, premier accueil d’invités au Congrès ordinaire de banalyse. Cliché Polaroïd. PHOTO YVES HÉLIAS
MONTPELLIER DANSE
FRAÎCHEUR ET
TRANSCENDANCE
ÉQUILIBRE FINANCIER
CULTURE/
Ma Vie de Courgette de Claude Barras, prix du public et Cristal du long métrage pour la dernière édition du festival d’Annecy. PHOTO DR
gnies – Bill T Jones, Trisha Brown, Lucinda
Childs, etc.– faisaient les beaux jours des immenses salles est révolu! C’est qu’aujourd’hui,
les espaces muséaux, les espaces extérieurs
semblent davantage inspirer les chorégraphes
héritiers de la performance que les grandes
scènes avec 24 mètres d’ouverture et 1800 personnes en face.» Pour diverses raisons, en effet, la plupart des créations actuelles s’adaptent mieux aux jauges
intermédaires ou petites.
«Dans les années 90, explique
Pascale Henrot, directrice de
l’Onda, les chorégraphes ont
commencé à s’exprimer davantage en termes d’“états de
corps” que d’écriture du mouvement, en termes de représentation des sensations plutôt que
de projection dans l’espace.»
Cette période d’introspection
de la danse a poussé les chorégraphes héritiers de la performance (la génération des Boris
Charmatz, Loic Touzé, Jérôme
Bel) à s’éloigner sciemment des
grandes scènes, plus adaptées à la tradition
du ballet et de ses formes lisibles, pensées
pour être vues de loin.
Une tendance encore vivace aujourd’hui,
même si depuis quatre ou cinq ans, une nouvelle génération d’artistes, à l’instar de Jan
Martens, d’Alessandro Sciarroni ou de Mette
Ingvartsen, s’intéresse de nouveau aux plus
grands formats. «L’idée de groupe, de communauté, revient peu à peu», confirme Claire
Verlet, adjointe à la programmation du Théâtre de la Ville (Paris IVe). Mais dans un contexte économique morose pour les artisteschorégraphes (ils doivent notamment réunir
de plus en plus de coproducteurs pour monter leurs spectacles). «Il reste plus facile pour
une compagnie indépendante de monter une
petite forme, poursuit Pascale Henrot. Elles
sont moins compliquées à vendre.» Difficile,
donc, de savoir qui de la poule ou de l’œuf :
est-ce que ce sont les conditions économiques
qui ont déterminé une certaine esthétique ou
bien les problématiques artistiques qui ont
appelé des formats plus intimistes ?
Est-ce que ce sont
les conditions
économiques qui ont
déterminé une certaine
esthétique ou bien les
problématiques
artistiques qui ont
appelé des formats
plus intimistes?
n’est absolument pas une histoire de qualité,
c’est que la salle idéale pour la danse,
aujourd’hui, c’est un 500-600 places. Et nous,
on ne l’a pas.»
Les grands équipements culturels seraient-ils
devenus inadaptés à la réalité de la création
chorégraphique ? Loin d’être uniquement
technique, la question des grands plateaux
– disons surtout des grandes jauges – qui fit
l’objet d’une table ronde organisée par l’Office
national de diffusion artistique (Onda) en février, raconte en creux l’évolution de la danse
contemporaine depuis les années 80. «La
danse évolue et elle n’évolue pas vers ces formats, constate Jean-Paul Montanari, directeur du festival Montpellier Danse (lire ci-contre) qui s’ouvre ce week-end. Prenez les
Américains: le temps où leurs grandes compa-
u 29
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que personne n’avait vus. J’ai l’impression de mettre à disposition un
trésor perdu.» Banalyse…le mot et
la chose n’évoquaient rien pour le
profane qui aime pourtant se risquer sur le bizarre. C’est ainsi qu’il
s’invita dans la chose.
Tout commençait par une invitation. «La première
Suite page 44
C’est le
week-end
Rendez-vous chaque samedi dans
30 u
Libération Vendredi 24 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
CULTURE/
Du genre classique L’actualité choisie de la grande musique traitée en de
petites formes. Cette semaine, retour
sur le match de foot-concert EspagneCroatie à la Philharmonie de Paris, du
Brahms à toutes les sauces, des metteurs
en scène de cinéma qui passent à l’opéra,
un quiz…
Arrangements #011, 2016,
de Michel Houellebecq.
PHOTO COURTESY DE L’ARTISTE
ET AIR DE PARIS, PARIS
bleu nuit et motifs marbrés sur les
murs, distributeurs de paquets de
clopes et bar noir, installé au cœur
du parcours comme lieu de vie; ou
encore, version sage et régressive,
cette salle de lecture, avec en vitrine
un exemplaire du Club des cinq ou
de Lassie, chers romans de la jeunesse de l’auteur. L’expo est planifiée pour livrer l’image in vivo de la
matrice créative de Houellebecq.
Tunnel gris. Elle est aussi un parc
CÉNOTAPHE
Houellebecq s’enterre tout l’été
L’écrivain s’est investi
corps et âme à remplir
un espace de 2 000m2
du Palais de Tokyo en
y parsemant les traces
floues de ses fixations
narcissiques. Florilège.
I
naugurée par la photographie
d’un coucher de soleil sur la
ville, frappée des mots «Il est
temps de faire vos jeux», l’exposition
de Michel Houellebecq au Palais de
Tokyo s’aborde, à cet endroit-là du
seuil, avec pas mal de doutes quant
à ce qu’on va y voir. Des photographies de l’écrivain (qu’il a déjà eu
l’occasion de montrer à Paris, en
septembre, dans l’espace municipal
du Carré Baudoin), certes. Mais le
format premium de l’exposition qui
occupe quelque 2000 m2 (une aire
à laquelle la plupart des artistes
contemporains ne rêvent même
pas) augure d’autre chose. «Plutôt
qu’une exposition, c’est une installation de Michel Houellebecq», proclame Jean de Loisy, président du
Palais de Tokyo. Le terme, malléable à souhait, suggère un déploiement, dans un espace ambiancé,
avec images et volumes, sons et lumières, de ses romans, par ailleurs
déjà adaptés, déclinés, transvasés
au cinéma (des extraits de la Possibilité d’une île, réalisé en 2008, sont
diffusés) en concerts performés
(des morceaux de textes chantés
par Houellebecq ou d’autres sont de
même diffusés). C’est ça et autre
chose encore: une exposition aventureuse qui prétend tenir les
promesses du genre de l’installation
totale –progression dans une architecture à chausses-trape et digression thématique formant une espèce de parcours initiatique–, tout
en assumant une part de maladresse, de sincérité désarmante qui
vire à la ringardise.
Cartel doré. Ainsi une poignée de
photographies sont floues, sans que
ce flou soit voulu, c’est-à-dire artistique. Même si elles sont objectivement ou techniquement ratées,
Houellebecq les as jugées bonnes.
C’est à cette aune-là, du hasard et
du «bon à prendre quoi qu’il en soit»,
que l’exposition se donne à voir. La
preuve: les quelques artistes invités
ne font pas partie du gotha de l’art
contemporain mais, plus ou moins,
de la vie de l’écrivain. A l’image de
Renaud Marchand, dont la bio
évasive révèle succintement qu’il
«s’accepte finalement comme artiste
après avoir été journaliste, photographe, designer, producteur, restaurateur et entrepreneur»: il montre un portrait a minima des héros
de la Possibilité d’une île, Esther et
Daniel, réduits à leur consistance
organique (des bonbonnes d’oxygène et des flacons remplis d’éléments chimiques) que lui avait
spontanément inspiré la lecture de
l’œuvre et qu’il avait adressé à
l’auteur. Lequel a récupéré aussi ce
petit autel bricolé en canettes de
Coca serties d’amulettes et de bracelets, avec au centre un crâne et un
cartel doré –anticipation de sa propre mort («1959-2037» est-il inscrit)
par un admirateur anonyme.
Au titre d’invité illustre, figure sur-
tout Combas, roi de la figuration
narrative, mouvement pictural
passé à la trappe de l’air du temps
en même temps que les punks. Plus
que ses toiles, cimentant textes (de
Houellebecq) et motifs grotesques
dans l’épaisseur de la peinture colorée, l’artiste montre surtout le cagibi
qui lui sert de refuge à la maison.
Une pièce pleine de vinyles et de revues qui fait office de batterie : un
lieu où il se recharge. Ce déménagement est une idée de Houellebecq,
et le box, son œuvre donc.
Bar noir. C’est dès lors un des modes d’emploi d’une expo qui se rêve
en représentation habitée, domestiquée, revitalisée du moment (lent,
emmerdant, hasardeux) de la création ou de la quête d’inspiration.
D’où l’étalage des outils de travail de
l’écrivain: un calepin, une caméra,
un appareil photo et un stylo lévitant dans une haute vitrine en face
de photos (dont une floue) d’un
Bouddha (symbole de la nécessaire
élévation spirituelle de l’écriture).
D’où encore ce fumoir, moquette
à thèmes où son imaginaire réaliste
et terre-à-terre, résigné et fier de
l’être, est illustré, salle après salle.
Village-vacances et resort avec piscine en Espagne (vue sur le tourisme de masse), puis villages pittoresques de la France profonde
parasités par le volume cubique
d’un supermarché discount, puis
aires d’autoroute, puis barres cagesà-poules de villes nouvelles, puis
paysages désertiques rocailleux
pour l’échappée vers un horizon
post-humain, soulignée par des vers
définitfs énonçant «Nous habitons
l’absence».
Tout le Petit Houellebecq illustré
est là, baignant dans une lueur crépusculaire (on n’y voit rien), même
et surtout dans cet interlude érotique et palpitant, d’une salle tapissée par Maurice Renoma, couturier
de la varièt des années 60, qui a exprès conçu un papier-peint au motif
noir et blanc de poils de pubis.
Avant la sortie, en forme de tunnel
gris, où même les photographies
embourbées dans leur propre grisaille, sous-éclairées et qui plus est
accrochées sur des pans de murs
trop étroits, il y a une salle lambrissé et moquetté de tartan où,
sous vitrine, trônent les jouets de
Clément, le chien défunt, si chèrement aimé et regretté, par Michel
Houellebecq et son ex-compagne.
L’hommage ne serait pas complet
sans un Powerpoint faisant défiler
les images de Clément sur une bande-son assurée par Iggy Pop. Ça finit
donc sur un hommage funèbre qui
teinte l’ensemble d’une atmosphère
de funérailles. Et l’on s’est demandé
si, aux côtés de Clément, ce n’était
pas à l’art contemporain, ses ambitions, ses manières de triturer les
formes, que le Palais et Houellebecq
faisait un enterrement.
JUDICAËL LAVRADOR
MICHEL HOUELLEBECQ
RESTER VIVANT
Palais de Tokyo, 75016.
Jusqu’au 23 septembre.
Rens. : palaisdetokyo.com
Libération Vendredi 24 Juin 2016
À VOIR
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Caritatif Le Théâtre de l’Atelier (Paris XVIIIe)
ouvre ses portes, le jeudi 30 juin, pour «Dis-moi,
chante-moi d’où tu viens», une soirée exceptionnelle
au profit de France terre d’asile. Avec notamment,
en première partie, une lecture de Lampedusa Beach
de Lina Prosa, par Romane Bohringer (photo),
dans une mise en scène d’Irina Brook. PHOTO AP
Théâtre de l’Atelier, 1, pl. Charles-Dullin, 75018.
Rens. : www.theatre-atelier.com
Performances En lien avec l’exposition «Un art pauvre» (lire Libération du 20 juin), le centre Pompidou
accueille ce week-end deux performances : les Métamorphoses du cercle, du duo EW (Arnaud Gonnet et
Martin Roehrich), inspiré des travaux du philosophe
américain John Searle, et Constructionisme, de
Marius Schaffter et Jerome Stünzi, représentation
aux allures de conférence.
Rens. : www.centrepompidou.fr
THÉÂTRE
Dans l’épate
de Garrincha
Recréation à Lyon
de «Monsieur
Armand», rival
fantasmé
du légendaire
footballeur.
A
u panthéon des mythes fracassés du ballon rond (George
Best, Moacir Barbosa, Paul
Gascoigne…), avouons une
tendresse particulière pour
Manoel Francisco dos Santos, passé à la postérité sous
le surnom de «Garrincha».
Un joueur comme il ne
pourra plus jamais en exister, à l’ère de la cryothérapie:
169 centimètres voués à une
fascinante danse de SaintGuy (conséquence d’une
malformation congénitale,
avec deux jambes arquées,
dont l’une plus courte que
l’autre) qui rendait chèvre
tous les adversaires.
Garrincha possédait un dribble d’ailier imparable, quoique toujours à droite, diaboliquement assorti à une vie
sur le fil du rasoir, entre
grâce ultime et déchéance
absolue : issu d’une famille
nombreuse et misérable, il
fera se prosterner les foules,
serrera les mains les plus illustres et épousera la «chanteuse du millénaire», Elza
Soares (toujours en activité,
à l’approche des 80 ans !).
Egalement obsédé sexuel,
simplet, dépressif interné et
pochetron invétéré, le messie du Brésil – inscrit par la
Fifa (Fédération internationale de football) dans son
onze mondial du XXe siècle –, finira à 49 ans dans la
dèche, en 1983, au terme de
quatre jours et nuits de biture.
Personne, du temps de sa
splendeur, n’ayant pu rivaliser sur un terrain avec Garrincha, l’auteur Serge Valletti
a eu l’idée de lui inventer
comme un jumeau de génie:
monsieur Armand. En l’occurrence, un oncle, cador de
la Cannebière plausible (l’action se situant un demi-siècle
avant l’OM version 2016) en
rodomont à crampons expliquant pourquoi, précisément, il refusa autrefois d’affronter l’idole, afin de ne pas
la déboulonner, lui qui s’était
taillé une sacrée réputation
en cassant, d’un tir surpuissant, les deux poignets d’un
gardien de but.
Ou comment, par un tour de
passe-passe quasi fictionnel,
la vraie légende (!) de Botafogo devient le faire-valoir
d’un type lui aussi porté sur
la bouteille, qui se répand
en digressions («je sais pas
pourquoi je vous raconte tout
ça») passant autant par
l’évocation d’un «distributeur automatique de bas»
(une belle arnaque, soit dit
en passant), que par celle
d’une blessure occasionnée
par la flèche qui faisait office
de clignotant sur les vieilles
Peugeot 203.
Eric Elmosnino a créé en 2001 le rôle-titre de la pièce de Serge Valletti. PHOTO PAUL BOURDREL
Appuyant volontiers sur la
touche nostalgique, avec ses
«cadrans de téléphone qui
avaient des lettres et des chiffres», le spectacle mis en
scène par Patrick Pineau a été
créé en 2001. Quinze ans plus
tard, en écho à l’Euro (lire cidessous), il revient à l’affiche
avec le même comédien dans
le rôle-titre, Eric Elmosnino.
Une fois le public parti, on ra-
conte que l’équipe profite du
grand écran installé sur le
plateau pour regarder les
matchs en direct.
GILLES RENAULT
Envoyé spécial à Lyon
MONSIEUR ARMAND
DIT GARRINCHA
de SERGE VALLETTI
Nuits de Fourvière, Lyon.
Jusqu’au 30 juin. Rens. :
www.nuitsdefourviere.com
LES NUITS DE FOURVIÈRE DOIVENT
LA JOUER FINE DURANT L’EURO
Soudain, une clameur monte
dans la nuit rhodanienne : à trois
minutes du coup de sifflet final, la
Croatie vient d’inscrire le but de la
victoire contre l’Espagne et la
réaction du public amassé dans la
fan zone de la place Bellecour se
fait entendre. En ce premier soir
d’été, qui coïncide également avec
l’indéboulonnable Fête de la
musique, les Nuits de Fourvière
font relâche. Impossible de lutter
face à une si rude concurrence.
Sur les hauteurs de Lyon, l’équipe
de la Stratégie d’Alice (présenté
jusqu’à dimanche) en profite pour
faire sa générale, devant les
gradins vides de l’Odéon antique,
depuis lesquels on discerne la
liesse sportive en pleine
représentation. De fait, 2016 est
une année épineuse pour le
festival qui, couvrant l’intégralité
des mois de juin et juillet, doit
composer avec l’Euro – en plus
d’une météo particulièrement
dissuasive sur les trois premières
semaines. «En quatorze années à la
tête du festival, c’est la première
fois qu’un événement extérieur a
une telle incidence sur le cours
des choses, observe le directeur,
Dominique Delorme. Les hôtels
ayant glonflé leurs tarifs, nos
dépenses liées à l’hébergement ont
augmenté de 50 % et, avec une
dizaine de matchs répartis entre
Lyon et Saint-Etienne, la billetterie
souffre. Tous les deux ans, il y a un
grand tournoi de foot international,
Euro ou Mondial ; mais le fait
qu’il se déroule en France nous
pénalise lourdement.»
Encouragées par la métropole,
les Nuits ont bien tenté un
rapprochement entre sport et
culture, avec le spectacle de Serge
Valletti.De même, le musée
Gadagne accueille l’exposition
«Divinement foot». «Mais, observe
le conseiller artistique, Richard
Robert, le public ne circule que
dans un sens : si beaucoup de
personnes préfèrent regarder les
matchs plutôt que venir au
spectacle, à l’inverse, on ne voit
pas le moindre supporteur
débarquer au festival à
l’improviste.»
G.R. (à Lyon)
VENTES
EXCEPTIONNELLES
LE MERCREDI 22 JUIN DE 9H00 À 20H30
DU JEUDI 23 AU VENDREDI 24 JUIN DE 9H00 À 18H00
ET LE LUNDI 27 JUIN DE 9H00 À 15H00
PALAIS DES CONGRÈS
2, PLACE DE LA PORTE MAILLOT - PARIS 17E
(HALLS NEUILLY ET PASSY A)
N° d’enregistrement de la déclaration préalable auprès de la Mairie de Paris : 16-1327
Hermès Sellier - SAS - Capital : 4.976.000 Euros
Siège Social : 24 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris - 696 520 410 RCS Paris
Libération Vendredi 24 Juin 2016
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Virus militant
Eve Plenel Structurée et efficace, cette
associative de 34 ans vient de prendre la tête
du projet Paris sans sida, lancé par Anne Hidalgo.
«J’
espère bien que cela ne va pas être la tête de votre
article. Ce serait discriminant et minorant», lâche
Eve Plenel, avec son vocabulaire qui ne dérape
jamais. Bon, disons-le tout de suite, Eve est la fille d’Edwy,
ancien directeur du Monde et fondateur du site Mediapart
mais aussi celle de Nicole Lapierre, sociologue de talent et
auteure à succès. Voilà, c’est fait. Reste… le plus important.
Depuis dix ans, Eve Plenel met toute son énergie dans la lutte
contre le sida. Et ô bonne surprise, voilà aujourd’hui une militante heureuse. Le visage rayonnant, avec ses cheveux toujours très courts, on le sent, elle le dit, elle est contente d’avoir
été nommée à la coordination de Paris sans sida, ce nouveau
projet lancé par la maire de Paris, à l’instar de ce qui se fait à
San Francisco ou à New York. Contente de son bureau, pourtant perdu au fin fond d’un couloir sinistre d’un immeuble
annexe de l’Hôtel de Ville. Contente d’inaugurer ce soir le
Checkpoint, qui est un centre de dépistage rapide du sida, destiné aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres
hommes (HSH). Contente enfin de participer à Solidays, ces
trois jours de concert qui commencent ce vendredi à l’hippodrome de Longchamp.
L’air de rien, Eve Plenel et quelques autres (comme le jeune
président d’Aides) accomplissent un saut générationnel. Et
cela fait du bien. On est loin, très loin des magnifiques pionniers qui brisaient les tabous ou des premiers activistes dont
la maladie façonnait le visage. «Eve est vive, intelligente, heureuse de travailler, enthousiaste», s’extasie la professeure
Christine Rouzioux, virologue historique. «D’avoir envie
comme elle a envie, c’est magnifique. Que les gens de
notre âge s’effacent et laissent la place, ajoute-t-elle,
c’est la meilleure chose qui puisse arriver.» «C’est une
bosseuse», surenchérit Christophe Martet, président
d’Act Up dans les années noires. «Elle connaît son sujet, et elle
est engagée.»
Que demander de plus? Eve Plenel tombe à pic, symbolisant
la relève. Sa façon de faire est, comme elle dit, de son temps.
Ça a un côté «entrepreneuriat social», expression qu’elle aime
bien. «Moi, je suis à l’aise dans la construction d’outils pour que
les gens fassent. Mettre en place des coordinations, dessiner des
axes de travail, de l’engineering, oui, cela me va. Comme j’aime
la fonction d’employeur, dans le sens de garantir un cadre de
travail efficace et agréable aux gens avec qui je bosse.» C’est elle
qui dit encore: «Quand ta famille écrit des livres tous les ans,
toi tu fais autre chose. Tu fais des tableaux Excel, par exemple.»
C’est donc ce qu’elle fait. Mais reprenons, puisqu’il faut bien
un début. Eve a eu une «enfance bourgeoise, confortable, intellectuelle et parisienne». Dans l’appartement familial, défilent
les figures de gauche des années 80. «Je ne peux nier que
j’ai grandi dans un bain militant.» Quand on lui fait remarquer que l’enjeu est parfois de ne pas répéter l’histoire familiale, elle répond aussitôt: «Vous avez remarqué que je ne suis
pas engagée dans des partis politiques, et que c’est aussi un engagement professionnel que j’ai choisi.»
Certes… mais c’est grâce à ses parents, et c’est logique, que
l’adolescente va rencontrer ceux qui vont la marquer. «Mes
parrains», comme elle le dit. «Il y a Isabelle Saint-Saëns, une
des personnes les plus incroyables que j’ai pu connaître, c’est
elle qui m’ouvre, dès 1995, sur les mouvements de sans-papiers,
la cause des sans-droits, avec l’église Saint-Bernard, tous ces
mouvements des années 90, parmi lesquels Act Up a joué un
rôle déterminant.» Deux autres figures l’ont marquée. AlainEmmanuel Dreuilhe est un ami de la famille, mort du sida
en 1988 et auteur d’un très beau livre sur la maladie, Corps à
corps, édité par Edwy Plenel. Et il y a bien sûr Daniel Bensaïd,
l’un des leaders de l’extrême gauche, trotskiste de toujours.
Très proche de son père, il était malade du sida, ne le cachait
pas mais ne le disait pas non
plus. «Il n’en a jamais fait un
combat politique, et c’est
n 1982 Naissance.
dommage car cela aurait eu
n 2003 Adhère
de l’impact», ose Eve Plenel.
à Act Up.
La voilà donc choyée et marn 2004 En devient
quée par des repères de taille.
trésorière.
Et cela marche: bonne élève,
n 2006 Salariée
bac à 16 ans, Sciences-Po, Act
à la Cimade.
Up, la Cimade, la maternité
n Depuis 2012
très jeune (22 ans). Un temps,
Nommée à la direction
elle travaille au CentQuatre,
d’Arcat et Kiosque.
ce lieu culturel incertain dans
n Juin 2016 Nommée,
l’Est parisien. Puis elle dirige
par Anne Hidalgo,
l’Association de recherche, de
coordinatrice de Paris
communication et d’action
sans sida.
pour l’accès aux traitements
(Arcat) qui, dans l’histoire de
la lutte, a toujours adoré les experts. Elle gagne 3000 euros par
mois. Se méfie beaucoup des conflits d’intérêts. Aujourd’hui,
Eve a deux enfants, vit avec un spécialiste des sciences politiques, spécialiste de la police et de la justice, qui se situe bien
sûr à la gauche de la gauche. Et la petite famille habite à Berlin.
N’est-ce pas un brin gênant quand on dirige une association
de terrain, et que l’on vient d’être nommée à la tête de Paris
sans sida? «C’est un mi-temps, et, en plus, je suis souvent à Paris», vous répond-elle. Eve Plenel est ainsi. «C’est peut-être,
ce qui lui manque, elle n’est pas dans l’inquiétude», lâche quelqu’un qui chemine aussi dans ce milieu de jeunes intellos et
d’universitaires de gauche. Un aveu quand même, elle a du
mal quand elle est en contact direct avec ceux qui sont perdus,
comme les taulards, les sans-papiers, les malades: «Le contact
est compliqué pour moi, car je suis en empathie totale, sans
aucune mise à distance.»
Son boulot lui va donc parfaitement. D’autant que Paris sans
sida est un très beau défi, qui n’a rien d’un vœu pieu. Entre
le dépistage, les traitements et les nouveaux outils de prévention comme les médicaments, on a tout pour casser l’épidémie. A San Francisco, une mobilisation massive a divisé
par trois le nombre de nouvelles contaminations. «Pour nous,
le moment est arrivé, argumente Eve Plenel. D’abord, il n’y a
jamais eu un tel consensus entre tous les acteurs, médecins, politiques, associatifs. Nous sommes tous d’accord sur l’importance du traitement dans la prévention.» Autre élément décisif, le constat de la contamination massive chez les HSH.
A Paris, 9 nouveaux cas sur 10 viennent d’une contamination chez les gays et les Africains. «Au Checkpoint, on annonce des séropositivités tous les jours.
On l’annonce à de très jeunes hommes, qui tombent
des nues, comme s’ils découvraient le sida», note Eve Plenel.
Enfin, sous l’égide de la Mairie de Paris, un plan très construit
a été conçu par la chercheure France Lert, plan porté au niveau politique par Anne Hidalgo, qui en a fait une de ses priorités. Une lourde tâche? Eve Plenel se dit prête. Il lui faut trouver de l’argent, installer une série de groupes, mais ça, elle sait
faire. «Vous avez bien compris, cela doit être une stratégie collective, et ne pas reposer sur mes seules épaules.» Une pro, vous
dit-on. •
Par ÉRIC FAVEREAU
Photo FRÉDÉRIC STUCIN