Comment faire progresser nos élèves en orthographe

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Comment faire progresser nos élèves en orthographe
Les pratiques langagières en 6 e – Un réseau, un projet
Comment faire progresser nos élèves en orthographe
Par Anne Provost, professeure de lettres
L’atelier de négociation graphique (ANG) s’inspire largement des travaux de Ghislaine Haas (Orthographe
au quotidien. Cycle 3, Dijon, CRDP de Bourgogne, 2004).
PRÉSENTATION
Cet atelier est toujours pris en charge par les enseignants de lettres, en tant qu’experts de la langue. Il est
proposé notamment en début d’année pour amorcer une démarche réflexive chez nos élèves les plus en
difficulté à l’écrit. Les élèves doivent discuter avec leurs camarades de leurs choix orthographiques.
La pratique de cet oral bien spécifique développe des compétences demandées au quotidien à nos élèves
dans les différentes disciplines.
Les élèves sont amenés à :
– mettre à distance leur langue maternelle qui devient objet d’étude ;
– raisonner sur leur langue ;
– manipuler le langage de la discipline (les mots de la grammaire) pour mieux le comprendre ;
– écouter la parole de leurs pairs pour la confronter à leur propre raisonnement.
Le dispositif est intéressant car il permet à l’enseignant d’observer le niveau de réflexion métalinguistique
de ses élèves et de comprendre leur mode de raisonnement qui est parfois très surprenant.
Cet atelier est en lien direct avec ce qui se fait en classe, la progression en langue comme en littérature
étant la même dans toutes les classes de 6e.
MISE EN ŒUVRE
• Le nombre d’élèves est limité (4 à 8), ce qui favorise un véritable échange entre les enfants et permet à
l’enseignant de comprendre le raisonnement de chacun d’entre eux.
• L’enseignant dicte un petit texte centré sur une ou plusieurs notions problématiques. Ensuite, les feuilles
(anonymées) des élèves (format A3) sont affichées au tableau ou, plus simplement, le professeur écrit la
proposition de chaque élève au tableau.
• La discussion commence lorsque toutes les solutions sont affichées : chaque élève explique son choix,
son mode de raisonnement. Le groupe doit échanger, débattre pour trouver la bonne solution.
• L’enseignant note au tableau l’ensemble des propositions et des arguments des élèves. En aucun cas, il
n’apporte la solution. Il aide simplement à organiser et relancer le débat en contre-argumentant
quelquefois.
• Une fois la solution trouvée, si elle est trouvée, les élèves notent le cheminement de leur raisonnement
sur leur cahier.
• L’ANG s’achève par un bilan oral effectué par l’enseignant rappelant les problèmes abordés résolus ou
non résolus.
• Le texte peut être donné à recopier sans fautes d’orthographe.
VARIANTES
• Il est possible de donner un texte comportant un certain nombre de fautes que les élèves doivent corriger
par groupe de deux ou plus.
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• On peut demander aux élèves de souligner les verbes d’un texte et d’expliquer ensuite comment ils les
ont identifiés.
• À la fin de la séance, un élève peut reprendre à l’oral un raisonnement discuté au sein du groupe.
EFFETS OBSERVÉS
L’atelier de négociation graphique n’est pas la solution miracle pour résoudre les problèmes d’orthographe
des élèves. Toutefois, nous avons constaté que les élèves ayant l’habitude de pratiquer l’ANG sont plus
ouverts à la réflexion orthographique. Certains prennent le temps de réfléchir et sont capables d’expliquer
leur choix en classe entière. Ils sont plus attentifs à la parole de l’autre.
LE TRANSFERT EN CLASSE
Ce dispositif s’est également invité dans nos classes. Le travail de groupe permet d’amorcer la discussion
orthographique chez nos élèves. Un texte est dicté à l’ensemble de la classe, les élèves comparent leurs
solutions au sein de chaque groupe et proposent leur version sur une feuille A3 qui est affichée au tableau.
L’enseignant ou les élèves décide(nt) de ce qui sera discuté lors de la négociation.
Variante possible : un élève de chaque groupe va écrire une phrase au tableau et la classe l’interpelle sur
les choix du groupe.
Remarque : il est alors important de constituer des groupes relativement homogènes pour qu’il y ait
discussion entre les élèves.
DIFFICULTÉ
La difficulté est d’amener l’élève à mener seul un raisonnement : souvent, c’est le groupe qui porte la
réflexion, chacun permettant à l’autre d’avancer. On peut facilement se leurrer sur les progrès des élèves.
Une évaluation plus fine peut néanmoins être envisagée : demander aux élèves de corriger les erreurs d’un
texte puis d’expliquer leur raisonnement à l’écrit.
JOURNAL DE BORD D’UN ATELIER DE NÉGOCIATION GRAPHIQUE
Tous les élèves ont au préalable travaillé sur le verbe en classe entière : organisation d’un tableau de
conjugaison – répartition des temps au sein de l’indicatif. Tous ont lu des contes étiologiques, support de
cet atelier.
SÉANCE N 1
O
Je distribue un texte et je leur demande de souligner les verbes.
• Les élèves : très dynamiques, ils se sont mis rapidement en recherche et ont proposé « n’avait » comme
verbe. Pourquoi peut-on dire que « n’avait » est un verbe ? Ils ont trouvé rapidement des stratégies
efficaces : « ça se conjugue, ça change de terminaison, ça change de temps… » Tous, sauf Jennifer
(confusion avec les adverbes en -ment, problèmes avec les êtres…), ont identifié la plupart des verbes.
• La négation leur a cependant posé problème : « ça montre que c’est du passé composé puisqu’il y a deux
mots – il « avait » et il « n’avait », ce n’est pas le même temps même s’ils appartiennent au passé ». Les
voyant dans l’impasse, je leur ai demandé de passer à un autre verbe.
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• « Bouche fendue » : nouvelle impasse (« fendue n’est pas un verbe car il n’y a pas de pronom, donc ce
n’est pas un verbe mais le verbe fendre, ça existe… »). Ils ne sont pas parvenus à construire un
raisonnement correct.
• Les élèves
Jennifer : s’est montrée plus timide qu’en cours (seule fille et placée à l’arrière). Elle est sans doute
nettement plus en difficulté que les autres.
Kevin : se laisse emporter ; part dans tous les sens et dit tout ce qui lui passe par la tête (« l’apostrophe
marque l’accord du verbe, ça change avec les personnes »).
Adrien : attitude très positive puis s’échappe ; concentration de plus en plus difficile en avançant dans
l’heure. Ne fait pas de bruit mais est ailleurs.
SÉANCE N 2
O
• Nous sommes repartis sur le problème du « n’avait/avait ». Les élèves ont immédiatement trouvé le temps
et nommé la négation. Comme si une semaine de gestation avait levé le voile ! « Finalement, la négation
ne change pas le temps, elle dit le contraire ».
• « Fendue ». Ils sont très vite partis sur le raisonnement suivant : « on ne peut pas dire ”je fendre”, ”tu
fendre” pourtant c’est un verbe donc il y a des verbes conjugués d’autres non mais c’est quand même des
verbes quand ils ne sont pas conjugués ». J’ai confirmé leur raisonnement en donnant l’exemple de
l’infinitif. « Bon, c’est pareil alors pour ”fendue” : on peut pas dire ”e fendue”, ”tu fendue” mais c’est quand
même un verbe ; mais c’est pas l’infinitif alors c’est quoi ? »
• À ce moment-là, j’ai introduit (en m’appuyant sur mes trois élèves qui avaient vu le participe passé avec
moi en octobre) la notion de « forme verbale qui fonctionne comme un adjectif » ; mes élèves n’ont pas su
me redonner « participe passé », notion vue et revue pendant plusieurs séances en groupe classe ; j’ai
donc redonné « l’étiquette » ; les élèves ont su m’expliquer la présence du -e en le rattachant à bouche. J’ai
le sentiment néanmoins que c’est allé trop vite à ce moment-là. Question que je ne me suis pas posée
quand j’ai abordé la notion avec la classe !
• Débat autour de « dévouement », un 1er élève s’est lancé (« ça finit en -ent donc c’est verbe ») mais les
autres ont su parfaitement lui prouver qu’il avait tort en utilisant un terme dont ils avaient eu besoin en
abordant le groupe nominal « la bouche fendue » : le déterminant. Il m’a semblé, en les écoutant, qu’ils
étaient tout simplement en train de s’approprier des termes que je ne parviens pas à faire passer en toute
une année chez des élèves en difficulté. Pour se faire comprendre plus vite et convaincre l’autre, il faut
appeler un chat un chat ! Soyons efficaces !
• Fin de la séance. « Respectueusement » : à l’unanimité, c’est un verbe ! Il y a -ent et pas de déterminant
(« vous avez vu, madame, on s’est pas fait avoir… »).
• Bilan élèves : ils se prennent au jeu ! Ils prennent du plaisir à réfléchir sur l’orthographe et même à se
tromper. C’est déjà une victoire. Kevin continue à partir dans tous les sens mais Adrien s’est absenté moins
souvent. Romane qui n’était pas là à la 1re séance est parfaitement rentrée dans le dispositif. Dommage,
Jennifer n’était pas là.
SÉANCE N 3
O
Je leur ai proposé une phrase avec nom et participe passé. Un seul élève a su identifier le participe passé ;
pour les autres, ils n’ont pas intégré la notion ; cela me semble trop tôt pour eux (et surtout plaqué).
• Je leur demande d’écrire sur une feuille A3 ce qu’ils ont retenu sur le verbe lors des deux premières
séances : quelques éléments de l’ANG ressortent mais peu et j’ai le sentiment qu’ils m’écrivent tout ce
qu’ils savaient sur le verbe avant l’ANG (leur représentation ne semble guère avoir bougé).
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• On reprend les discussions : respectueusement. Tous sont d’accord pour me dire que ce n’est pas un
verbe. Ils ont du mal à me croire quand je leur dis qu’ils m’ont affirmé l’inverse la semaine passée ! Ils ont à
nouveau recours aux pronoms (ça ne marche pas !) mais l’un d’entre eux dit « mais le verbe respecter, il
existe ! » Un ange passe… Je leur amène la question suivante pour les faire avancer : quelle différence
entre « mangent » et « respectueusement ». Romane tout de suite parle « d’une fin qu’on n’entend pas ».
• Bilan élèves : Jennifer est bien dans le débat même si elle est encore timide. Kevin continue à appuyer
sur tous les boutons. Adrien s’est bien concentré.
SÉANCE 4
Je leur lis un conte et j’extrais une phrase que je leur dicte : « Le crabe était bon cuisinier et il les invitait
souvent à manger ».
Je leur laisse un temps pour souligner leurs verbes et corriger si nécessaire.
• La discussion part sur cuisinier que certains ont identifié comme un verbe. Même problème que la fois
précédente : le verbe cuisiner existe (on n’en sort pas ; ils n’ont pas l’entrée radical/terminaison, ce qui les
met en difficulté car en cherchant bien, ils trouvent évidemment un verbe de la même famille !). Romane fait
remarquer néanmoins que « cuisinier » n’est pas « cuisiner ». Ouf !
• « invitait » donne sur les feuilles A3 : « invitaient-inviter-invité-invités (2)-invitait ». Première proposition
(« aient ») : Kevin part sur le sens (la grammaire ?). « C’est pas les poissons qui invitent, c’est le cuisinier !
Oui, mais il y a les avant et c’est pluriel, répond Adrien ». Kevin reste sans voix. Je relance donc : est-ce le
pluriel qui t’embête ? Et là Jason complète du raisonnement : « les ne va pas avec le verbe, on s’en occupe
quand il y a un nom derrière ». Romane en déduit donc qu’il faut supprimer toutes les propositions qui ont
une marque du pluriel (-aient/és). Il reste donc -er ou -ait. Tous disent qu’il faut -ait mais personne ne
parvient à le justifier. Jason trouve une parade : « au début d’un conte, on a une situation initiale et ça
s’écrit à l’imparfait ».
• J’attire leur attention sur le et (écrit par un élève est) ; pour régler ce problème, tous passent par la
substitution était. Je m’interroge sur ces petits moyens qui doivent permettre de trouver la bonne
orthographe : les empêchent-ils de raisonner réellement sur la langue ou leur permettent-ils tout
simplement de prendre conscience qu’il faut être vigilants ? L’élève qui utilise ces substitutions a le mérite
de s’interroger et d’identifier la situation comme étant problématique.
• Dernier point : « à mangé-a manger-a mangeait ou à manger ? » Romane part sur l’idée d’action et a dit à
ses camarades : « il n’y a qu’une action, celle de les inviter à manger ; c’est pas : d’abord il les invite,
ensuite ils mangent. Donc manger ne peut pas s’écrire -ait comme invitait ».
• Bilan : je suis sortie très déçue, voire découragée de cette heure ; j’ai eu la sensation que les choses
étaient parties dans tous les sens. Kevin semble ne rien retenir des débats et se contredit souvent luimême. La posture attendue chez l’enseignant dans ce type d’atelier est manifestement déstabilisante…
EN CONCLUSION…
Le lendemain de cet atelier, nous avons travaillé avec la 6e de Kevin sur les formes et valeurs des temps
du passé. J’ai distribué à la classe un conte étiologique dont les verbes n’avaient plus de terminaisons. Les
élèves, par groupes de trois, devaient retrouver le temps et la personne puis confronter leurs choix.
Kevin a retrouvé la fameuse construction pronom sujet-pronom complément-verbe vue en atelier avec il les
maudit ; son voisin (bien plus en réussite que lui) avait mis il les maudirent. Lors de la confrontation des
réponses, je voyais Steven s’énerver : « non, je suis sûr que c’est ça, qu’il faut le mettre au singulier ! »
Dylan, du haut de sa meilleure moyenne, souriait doucement ; Kevin devenait rouge ; je suis intervenue et
j’ai simplement placé mon doigt sur le pronom complément. Kevin a enchaîné : « Ah, voilà, toi, tu accordes
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avec le pronom pluriel mais ce n’est pas le sujet. C’est pas les sardines qui maudissent Dieu mais
l’inverse ! » Cela nous a (vraiment) étonnés (Dylan et moi…). Kevin était ravi.
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