Taboulet Dg SCA anomalie ST-T Part 2 AFM[...]
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Taboulet Dg SCA anomalie ST-T Part 2 AFM[...]
Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 DOI 10.1007/s13341-012-0272-z MISE AU POINT / UPDATE Diagnostic ECG du syndrome coronarien aigu Partie 2. Les anomalies de la repolarisation ECG for the diagnosis of acute coronary syndrome Part 2. The repolarization abnormalities P. Taboulet · S.W. Smith · W.J. Brady Reçu le 25 septembre 2012 ; accepté le 24 novembre 2012 © SFMU et Springer-Verlag France 2012 Résumé Cette revue de la littérature met à jour les anomalies typiques de la repolarisation, mais aussi les anomalies subtiles et sous-estimées, de l’ischémie myocardique et de l’infarctus. Cette compilation explique la dynamique des changements lors d’une ischémie myocardique sévère (schématiquement, anomalies de l’onde T, puis du segment ST, puis du complexe QRS) et illustre en détail l’hétérogénéité des représentations ECG. Elle met l’accent sur l’importance de rechercher la moindre anomalie au sein de l’onde T (amplitude ou polarité non conforme au QRS, symétrie à la base), du segment ST (sus-décalage excessif, sous-décalage minime, perte de la discordance appropriée), mais également au sein des complexes QRS que l’ECG de base soit normal ou affecté par des anomalies fréquentes (hypertrophie, bloc de branche…). Mots clés Électrocardiogramme · ECG · Syndrome coronarien aigu · Infarctus · Diagnostic · Bloc de branche · Hypertrophie ventriculaire Abstract This review updates the clinician to the many typical, but also underappreciated and subtle, ECG signs of myoP. Taboulet (*) Service des urgences, hopital Saint-Louis, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 1, avenue Claude-Vellefaux, F-75010 Paris, France e-mail : [email protected] S.W. Smith Faculty Emergency Physician, Hennepin County Medical Center, Associate Professor of Emergency Medicine, University of Minnesota School of Medicine, Minneapolis, MN, USA W.J. Brady Emergency Medicine and Medicine, University of Virginia School of Medicine, Charlottesville, VA, USA cardial ischemia and infarction. This compilation explains the dynamic changes during severe myocardial ischemia (schematically, abnormal T-wave then ST-segment and QRS complex) and illustrates in detail the heterogeneity of the ECG representations. It emphasizes the importance of seeking any abnormality in the T-wave (amplitude or polarity not conforming to QRS, symmetry at the base), ST-segment (excessive elevation, minimal depression, or loss of appropriate discordance), but also within the QRS complex, to check whether the baseline ECG is normal or affected by frequent abnormalities (ventricular hypertrophy, bundle-branch block…). Keywords Electrocardiogram · ECG · Acute coronary syndrome · Diagnosis · Bundle-branch block · Ventricular hypertrophy Le diagnostic du syndrome coronarien aigu (SCA) repose en grande partie sur la lecture de l’électrocardiogramme (ECG). Ce premier examen complémentaire constitue la pierre angulaire de la prise en charge initiale dont dépend parfois le pronostic vital. On peut schématiser le processus dynamique de lecture d’un ECG en quatre étapes : • • • • la recherche dans chaque dérivation d’un aspect normal, d’une variante normale, ou d’une anomalie fréquente comme une hypertrophie ventriculaire ou un bloc de branche ; la recherche d’anomalie(s) typique(s) d’une insuffisance coronaire aiguë ; la recherche de petites anomalies subtiles d’insuffisance coronaire en présence ou non d’une hypertrophie ventriculaire ou d’un bloc de branche ; la recherche des diagnostics différentiels. Dans une première partie, nous avons rapporté les aspects ECG d’un aspect normal, d’une variante normale ou d’une anomalie fréquente [1]. Le propos de cette deuxième partie 80 Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 est de rappeler les anomalies de la repolarisation typiques, mais surtout de décrire les petits signes de grande valeur dont la méconnaissance peut conduire à écarter ce diagnostic ou en retarder le traitement. Dans une troisième partie, nous décrirons la transformation des complexes QRS qui survient au cours ou au décours d’une ischémie coronaire sévère et aide au diagnostic positif. Signes ECG d’insuffisance coronaire aiguë Une insuffisance coronaire aiguë (thrombose, rupture de plaque, dissection) ou un simple déséquilibre du ratio demande/apport d’oxygène (hypoxie, tachycardie, anémie, collapsus…) altère profondément la physiologie des cellules myocardiques excitables. Cette altération peut se traduire à l’échelon cellulaire ventriculaire par une modification de chacune des phases du potentiel d’action : dépolarisation rapide, repolarisation lente en plateau et repolarisation rapide. À l’échelon d’un territoire coronaire, l’altération débute par la phase de repolarisation rapide (la plus sensible à l’ischémie), puis la repolarisation lente et enfin la phase de repolarisation rapide, ce qui se traduit respectivement sur l’ECG par des anomalies de l’onde T (ischémie de grade 1), puis du segment ST (ischémie de grade 2) et enfin du complexe QRS (ischémie de grade 3). Selon l’importance de l’ischémie (qui varie selon l’importance de l’occlusion coronaire et la qualité du réseau collatéral), les signes ECG se succèdent, se chevauchent ou régressent. C’est dire l’importance de multiplier les tracés pour repérer, dans les cas douteux, le dynamisme des anomalies en faveur de leur caractère ischémique et surveiller l’ensemble du tracé QRS–T pour apprécier réellement la sévérité du SCA : • • en cas d’ischémie sévère et persistante (ex. : occlusion aiguë complète d’une artère coronaire épicardique sans circulation collatérale), il apparaît une onde T géante, large et symétrique (« ischémie transmurale »), puis un susdécalage du segment ST (« lésion sous-épicardique ») suivi rapidement — et parfois accompagné — par des anomalies du complexe QRS. Si cette ischémie persiste, ces anomalies évoluent pendant plusieurs jours à semaines vers des « séquelles de nécrose » qui peuvent s’inscrire plusieurs années, voire toute la vie sur l’ECG. Si l’ischémie régresse avant la 6e–12e heure, ces anomalies peuvent disparaître totalement, parfois accompagnées d’un rythme idioventriculaire accéléré ; si l’ischémie est moins sévère (subocclusion ou occlusion avec un bon réseau collatéral), on peut observer des anomalies plus ou moins durables limitées à l’onde T et/ou au segment ST : une « ischémie sous-endocardique » se traduit par une majoration plus ou moins importante d’amplitude et/ou de largeur de l’onde T, une lésion • sous-endocardique par un sous-décalage ou une simple raideur horizontale du segment ST, ou encore une combinaison de lésion sous-endocardique et ischémie sousendocardique ; en cas de reperfusion, on peut observer une combinaison transitoire de lésion sous-épicardique et ischémie sousépicardique (« ischémie–lésion ») ou une ischémie sousépicardique (« onde T de reperfusion »). Les anomalies observées dans un territoire myocardique ischémié s’accompagnent d’anomalies en miroir dans le territoire myocardique opposé à 180°. Ce miroir est constant pour des raisons bioélectriques (la somme des anomalies électriques reste nulle), mais il peut manquer pour des raisons techniques liées à la faible amplitude du signal électrique (dérivations postérieures, parallaxe) ou au nombre limité de dérivations d’un ECG standard qui n’explore pas les régions postérieures ou latérales droites [2,3]. Le miroir du territoire inférieur exploré par VF-DIII (90–120°) est mieux vu dans les dérivations hautes et gauches DI (0°) et surtout VL (–30°), celui du territoire inférieur exploré par DII (60°) est mieux vu en dérivation haute et droite VR (–150°), celui du territoire basal V7–V9 mieux vu dans les dérivations septales V1–V3 [4]. Le miroir du territoire antérieur V1–V6 est mieux vu en VR lorsque l’ischémie concerne l’ensemble du VG et mieux vu en dérivations inférieures lorsque l’ischémie concerne le territoire antérosupérieur (V1–V3) (Fig. 1). Anomalies de l’onde T L’onde T caractéristique d’une ischémie sous-endocardique est positive, symétrique, plus ample et/ou plus large à la base qu’une onde T physiologique (Fig. 2A) ou parfois « en tente » (Fig. 2B) [5]. Elle est observable typiquement dans au moins deux dérivations contiguës ou adjacentes d’un même territoire coronaire (I–VL–V6, V1–V3, V4–V6, II–III–VF). À la phase initiale d’un infarctus, l’onde T peut devenir géante (hyper-acute T-wave, ≥ 15 mm ou 1,5 mV), avec prolongation de l’intervalle Q–T [6], et son aspect est rapidement évolutif (Fig. 2C). Elle peut s’accompagner d’un sous-décalage du point J qui précède l’élévation du segment ST de quelques minutes (< 30 minutes) [7]. Un aspect d’ischémie sous-épicardique en miroir est fréquent mais inconstant (Fig. 1). Une onde T moins caricaturale peut aussi traduire une ischémie myocardique. Il s’agit par exemple d’une onde T trop ample par rapport à l’onde R dans une seule dérivation ou encore plusieurs ondes T peu amples (ex. : < 5 mm) dans au moins deux dérivations contiguës, mais qui dépassent les deux tiers de l’onde R d’un complexe QRS peu volté [5] ; cela s’observe fréquemment en dérivation DIII ou VL [8,9]. Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 81 Fig. 1 Ondes T positives, trop amples et symétriques en dérivations antérieures (T > S en V1–V3), avec miroir inférieur (T > R en DIII) : ischémie sous-endocardique. Notez la discrète fragmentation des QRS (DII-DIII-VF) Fig. 2 A. Onde T trop ample (ischémie sous-endocardique). B. Onde T fine, symétrique et ample (ischémie sous-endocardique). C. Onde T géante (ischémie transmurale). D. Onde T inversée (ischémie sous-épicardique). E. Onde T biphasique (ischémie sousépicardique du syndrome de Wellens). F. Onde T inversée devant une onde R >> S (ischémie sous-épicardique). G. Pseudonormalisation des ondes T en rapport avec une ischémie en territoire inférieur qui inverse la polarité des ondes T (en cas de bloc fasciculaire antérieur gauche, les ondes T sont habituellement négatives en VL, là où on voit le mieux de retard de conduction, et positives en miroir en DIII) Il ne faut donc pas apprécier isolément l’amplitude d’une onde T positive ou négative sans se référer à l’amplitude du QRS, car les voltages de repolarisation sont proportionnels aux voltages de dépolarisation. Pour renforcer une hypothèse ischémique, on recherchera une base élargie ou une perte de l’asymétrie de l’onde T (onde T dont on voit précisément le début), une raideur du segment ST, un miroir, d’autres anomalies du QRS–ST et une évolution dynamique du tracé (Fig. 3). L’onde T caractéristique d’une ischémie sous-épicardique est classiquement inversée (négative le plus souvent), symétrique (≥ 5 mm), profonde et large avec souvent prolongation de l’intervalle Q–T (Fig. 2D) [5]. Elle peut être précédée de quelques heures par une onde T diphasique, parfois très 82 Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 Fig. 3 Ondes T positives, trop amples et à base trop large en dérivations antérieures, sans miroir mais avec anomalies des QRS : SCA avec sus-décalage de ST discrète (terminal T-wave inversion) (Fig. 2E). Ces deux aspects de l’onde T observés en dehors des périodes angineuses ont été décrits en premier par de Zwaan et al. [10] (Fig. 4). Ils sont de haute valeur diagnostique dans le précordium (en particulier V2–V4) pour le diagnostic d’une sténose critique de l’artère interventriculaire antérieure (IVA) avec perfusion d’aval préservée soit par la réouverture spontanée de l’artère, soit par le réseau collatéral (« syndrome de Wellens ») [11]. Une prise en charge médicale rapide est recommandée, car une réocclusion complète est à redouter à court terme [12]. L’onde T inversée profonde peut régresser en quelques heures/jour ou se repositiver brutalement en cas de réocclusion (« pseudonormalisation »). Elle peut persister plusieurs mois en cas d’infarctus rudimentaire non transmural. Des analogues d’ondes T de Wellens sont également possibles en territoire inférieur ou latéral en cas de reperfusion coronaire (les ondes T peuvent être alors positives si la polarité du QRS est négative). Une onde T inversée profonde n’est pas spécifique d’une lésion coronaire aiguë et s’observe dans d’autres situations (notamment la cardiomyopathie de stress ou tako-tsubo). Une onde T inversée de faible amplitude (≥ 1 mm) dans deux dérivations où l’onde R est proéminente (R/S > 1) peut aussi traduire une ischémie coronaire, voire un infarctus (Fig. 2F) [8]. Elle peut correspondre à un miroir en territoire opposé. Les inversions peu profondes de l’onde T ne sont pas spécifiques. Elles s’observent fréquemment à tout âge dans les territoires latéral–haut (VL) ou inférieur (DIII–VF) ou chez les sujets âgés dans les dérivations latérales (V5–V6 et DI–VL) en rapport avec des vitesses de repolarisation différentes entre endocarde et épicarde, physiologiques ou liées à l’âge [5]. Elle s’observe aussi dans de nombreuses situations, en particulier chez l’adulte jeune [1] ou au cours de l’évolution de certaines pathologies (hypertrophie ventriculaire, épanchement péricardique, embolie pulmonaire, hémorragie cérébrale…) [5]. Une onde T normale peut traduire exceptionnellement une ischémie, en cas de « pseudonormalisation » d’une onde Fig. 4 Ondes T diphasiques (A) devenant inversées profondes (B) dans le cadre d’un syndrome de Wellens : reperfusion spontanée de l’interventriculaire antérieure Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 T inversée de façon chronique ou si apparaît un hémibloc antérieur gauche (Fig. 2G) qui masque les signes d’ischémie dans le territoire inférieur [13]. En règle générale, les anomalies mineures de l’onde T doivent alerter le clinicien, mais elles manquent de spécificité et se rencontrent dans de nombreuses situations. En situation clinique compatible, une anomalie de l’onde T associée à une élévation (croissance et décroissance) d’un marqueur de nécrose myocardique spécifique (troponine ou CPKMB) s’appelle un « infarctus sans élévation de ST » ou un « infarctus sans onde Q » [8]. Cet infarctus est généralement non transmural. Sus-décalage du segment ST Dans l’heure qui suit le début d’une ischémie coronaire sévère, un sus-décalage du segment ST apparaît sur l’ECG en rapport avec une lésion sous-épicardique. Le sus-décalage de ST est l’expression électrique habituelle d’une occlusion coronaire complète qui évolue vers un infarctus transmural. Le diagnostic doit être évoqué devant un nouveau susdécalage ample et persistant de ST au niveau du point J dans au moins deux dérivations contiguës ou adjacentes, sup- 83 érieures ou égales à 2 mm chez l’homme (≥ 2,5 mm chez l’homme avant 40 ans et ≥ 1,5 mm chez les femmes en V2–V3) ou supérieures ou égales à 1 mm dans les autres dérivations [8] (Fig. 5A,F). La prise en charge est celle d’un « SCA avec sus-décalage du segment ST ». Un sus-décalage de ST convexe géant (> 10 mm) qui englobe l’onde T et forme un dôme adossé à une onde R géante (« onde de Pardee », ou en anglais tombstone wave) est de mauvais pronostic [14,15]. Dans la forme typique, le tracé est rapidement évolutif, le segment ST est convexe et s’accompagne à la fois d’un miroir dans les dérivations opposées et de modifications contemporaines du QRS (Fig. 6A). Néanmoins, l’aspect convexe et le miroir peuvent manquer, en particulier dans l’infarctus antérieur [2,16]. Les modifications rapides du segment ST et du QRS sont alors de grande valeur pour écarter en phase précoce les diagnostics différentiels et en particulier la péricardite et l’anévrisme ventriculaire. Si le sus-décalage de ST n’est pas persistant lors du diagnostic, la prise en charge est commune aux « SCA sans persistance du sus-décalage du segment ST ». En l’absence de reperfusion, le segment ST retourne à la ligne isoélectrique et l’onde T se négative dans les jours suivants. Si le segment ST reste sus-décalé plus de six semaines, il faut évoquer l’évolution vers un anévrisme ventriculaire. Fig. 5 Anomalies du segment ST. A. Sus-décalage de ST avec rabotage des ondes R (lésion sous-épicardique). B. Sous-décalage profond de ST, raide et descendant (lésion sous-endocardique). C. Sous-décalage de ST < 1 mm, raide avec symétrie de l’onde T. D. Sousdécalage de ST, ascendant et prolongé par une onde T ample (lésion sous-endocardique du complexe de « de Winter »). E. Sousdécalage de ST, en concordance de polarité avec l’onde S d’une hypertrophie ventriculaire gauche (lésion sous-endocardique). F. Susdécalage de ST, convexe en territoire inférieur avec miroir latéral (lésion sous-épicardique). G. Sus-décalage de ST < 1 mm (et onde Q) en territoire inférieur avec miroir latéral (lésion sous-épicardique) 84 Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 Fig. 6 A. Sus-décalage de ST > 1 mm en dérivations inférieures (DII–DIII–VF) avec miroir typique en VL et DI) : SCA avec susdécalage de ST. B. Sus-décalage de ST < 1 mm en territoire inférieur avec miroir en DI et surtout VL : SCA avec sus-décalage de ST (prise en charge selon les autres données bio-clinique) Un sus-décalage de ST d’amplitude modérée, inférieure aux seuils académiques donnés ci-dessus, peut aussi refléter une lésion sous-épicardique. Ainsi, lorsque les QRS sont « bas voltés » ou l’onde R non proéminente [8,17], les infarctus transmuraux peuvent s’accompagner d’une élévation modérée du segment ST (ex. : < 1 mm dans deux dérivations ou > 1 mm dans une seule dérivation) [5,9,18]. Cela s’observe fréquemment dans les territoires électriques inférieur (surtout DIII–VF), latéral–haut (surtout VL), ventriculaire droit ou basal. D’ailleurs, le seuil de 0,5 mm (0,05 mV) est recommandé en dérivations V7–V9 après 40 ans et V3R– V4R après 30 ans, respectivement pour le diagnostic d’infarctus basal ou celui du ventricule droit [8]. Les recommandations actuelles n’excluent pas l’hypothèse d’une occlusion coronaire complète en cas d’élévation modérée du segment ST, mais elles orientent la stratégie de prise en charge vers celle d’un infarctus sans sus-décalage de ST, c’est-à-dire une angiographie précoce (moins de 2 à 72 heures selon les autres données cliniques et biologiques). Cette stratégie est paradoxale, car si on évoque un infarctus transmural en cours devant un sus-décalage de ST, il semble raisonnable de traiter l’infarctus comme tel et d’organiser une angiographie précoce dans les moins de deux heures. Cette attitude thérapeutique est fréquemment retenue en pratique. Elle s’appuie sur la recommandation de « pratiquer une imagerie coronaire urgente (sans attendre les marqueurs biologiques) en cas de doute sur la possibilité d’un infarctus aigu évolutif chez un patient qui présente des symptômes ischémiques persistants » [19]. Pour ne pas méconnaître une majoration ultérieure du susdécalage, il faut contrôler l’amplitude de la déviation de façon rapprochée (ex. : toutes les 15 minutes), car celle-ci peut varier et atteindre rapidement le seuil optimal pour une reperfusion précoce. Pour réduire l’erreur interobservateur, on peut mesurer l’amplitude du sus-décalage en double amplitude ou avec une loupe. Enfin, pour augmenter la spécificité d’une élévation modérée du segment ST, on devra rechercher un sous-décalage de ST en miroir, des ondes T ischémiques, des ondes Q et/ou des QRS fragmentés, et le caractère rapidement évolutif de ces anomalies [20]. Ainsi, l’existence d’un sous-décalage de ST en miroir dans une ou deux dérivations renforce considérablement la spécificité et la valeur prédictive positive d’un sus-décalage de ST, fût-il douteux [2,21]. À ce titre, le miroir en VL d’un sus-décalage modéré de ST en DII–VF est particulièrement précieux (Fig. 6B). Dans tous les cas, et en particulier en l’absence de miroir, on devra rechercher sur l’ECG un sous-décalage de PQ, des complexes QRS atypiques, un segment ST concave et un faible ratio d’amplitude des ondes T/complexes QRS afin d’envisager une étiologie différente d’un SCA (péricardite, anévrisme ventriculaire, cœur pulmonaire aigu, hyperkaliémie…). Sous-décalage du segment ST Le segment ST caractéristique d’une lésion sous-endocardique est un sous-décalage prononcé (≥ 2 mm), horizontal ou descendant au niveau du point J dans au moins deux dérivations contiguës ou adjacentes [8] (Figs. 5B, 7A). Ce critère ne peut être retenu qu’en l’absence de sus-décalage de ST, même minime, dans au moins deux (voire une) dérivations opposées. Il est donc impératif, en cas de sous-décalage de ST limité aux dérivations inférieures DII–DIII–VF, de rechercher un minime sus-décalage de ST en VL (équivalent ST+) [17]. De même est-il impératif, en cas de sous-décalage Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 85 Fig. 7 Sous-décalage de ST de V2 à V5 (A) réversible après trinitrine sublinguale (B) de ST prédominant en dérivations septales V1–V2(V3), d’évoquer un infarctus basal, en particulier quand la portion terminale de l’onde T est positive [8]. Cet aspect est aussi un équivalent ST+ [17] et doit conduire à l’enregistrement des dérivations basales (V7–V9) à la recherche d’un sus-décalage de ST supérieur ou égal à 0,5 mm (≥ 1 mm avant 40 ans) pour rechercher l’existence d’un « SCA avec sus-décalage de ST » [8]. En effet, un infarctus basal isolé correspond à environ 8 % des infarctus sans sus-décalage de ST sur un tracé 12 dérivations [22]. Un sous-décalage modéré du segment ST (≥ 0,5 mm) peut aussi traduire une ischémie myocardique en rapport avec une lésion coronaire (Figs. 5C, 7B) [8]. Ce critère est extrêmement sensible, mais manque de spécificité, car s’observe dans de nombreuses situations et en particulier une tachycardie ou une hypertrophie ventriculaire. La spécificité augmente avec l’importance du sous-décalage et le nombre de dérivations concernées, à l’arrivée [23] et une heure après le tracé initial [20]. Elle augmente aussi quand l’amplitude du sous-décalage est mesurée à 80 ms du point J, car l’influence sur le début du segment ST d’une repolarisation atriale [1] ou d’une tachycardie est alors réduite. En situation clinique compatible, une lésion sous-endocardique traduit plus fréquemment une sténose coronaire incomplète. En cas d’élévation d’un marqueur de nécrose myocardique spécifique, le terme approprié est « infarctus sans élévation de ST » [8], infarctus généralement non transmural. Deux aspects ECG sont particulièrement évocateurs de SCA sans sus-décalage de ST à haut risque : • le premier est un sous-décalage de ST de V1 à V6, entre 1 et 3 mm, ascendant depuis le point J vers une onde T persistante, ample, positive et symétrique (« complexe de de Winter ») (Fig. 5D). Cet aspect est stable sur des ECG répétés, car il traduit une occlusion proximale de l’IVA avec un bon réseau collatéral d’aval qui protège d’une nécrose transmurale [1,5,12,24,25] ; • • le second est un sous-décalage d’au moins 0,5 mm dans au moins sept dérivations (sous-décalage de ST prédominant en V5–V6) associé à un sus-décalage de ST en dérivation VR (et/ou V1). Cet aspect correspond à une ischémie circonférentielle et traduit une sténose possible du tronc commun, une sténose proximale de l’IVA ou des lésions sévères tritronculaires [26]. Dans les deux cas, la prise en charge est celle d’un « SCA sans sus-décalage du segment ST », mais les patients doivent être référés au plus vite en milieu cardiologique (équivalents ST+) [1,12,17]. Anomalie ischémique de la repolarisation et QRS élargis En cas d’anomalie de la conduction intraventriculaire ou hypertrophie ventriculaire, les QRS sont élargis/amples et s’accompagnent d’un trouble secondaire de la repolarisation qui rend difficile le diagnostic de SCA [27]. Néanmoins, ce trouble obéit à la règle de la « discordance appropriée » [1] qui stipule que la polarité de la repolarisation (ST et T) est opposée à la polarité d’un QRS élargi/ample. Le non-respect de cette règle permet ainsi de déceler une anomalie ischémique au sein de la repolarisation. Il est ainsi possible de déceler une anomalie de l’onde T évocatrice d’ischémie coronaire aiguë en présence d’une majoration de la discordance et/ou d’une concordance entre la polarité du complexe QRS large et/ou ample et celle de l’onde T. Par exemple, dans les dérivations où l’on observe un retard à l’inscription de l’onde R, une onde T positive ou profondément inversée est anormale. C’est facile à détecter dans n’importe quelle dérivation en cas de bloc de branche gauche (BBG) (Fig. 8) ou dans les dérivations précordiales droites qui expriment le retard à l’inscription de l’onde R en cas de cas de bloc de branche droit (BBD). Cela peut être 86 Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 Fig. 8 Bloc de branche gauche avec perte de la discordance appropriée (concordance) entre la polarité du QRS et les ondes T et anomalies des QRS (décroissance de l’onde r de V1 à V4, ondes q en DI–VL) : SCA avec sus-décalage de ST vu tardivement très subtil en dérivations frontales en cas d’hémibloc antérieur gauche (Fig. 1G) [13]. De même, dans les dérivations où l’on n’observe pas de retard à l’inscription de l’onde R (ex. : les dérivations gauches au cours d’un BBD), une onde T inversée ou trop ample est anormale. En règle générale, les anomalies isolées de l’onde T associées à un bloc de branche doivent alerter le clinicien, mais elles ne sont pas spécifiques, car elles peuvent se rencontrer dans d’autres situations et en particulier une hypertrophie ventriculaire. Il est aussi possible de déceler une anomalie du segment ST évocatrice de SCA en cas de non-respect de la discordance appropriée. Ainsi, en cas d’hypertrophie ventriculaire une majoration de la discordance et/ou une concordance entre la polarité du segment ST et celle du complexe QRS peut révéler une ischémie coronaire aiguë (Fig. 5E). En cas de BBG ancien ou non datable, certains critères précis (« critères de Sgarbossa ») peuvent faciliter le diagnostic d’infarctus en phase aiguë [28]. Il s’agit d’un : • • • sus-décalage de ST supérieur ou égal à 1 mm lorsque les QRS sont positifs (« concordance ») ; sous-décalage de ST supérieur ou égal à 1 mm en V1, V2 ou V3 (« concordance ») ; sus-décalage de ST supérieur ou égal à 5 mm lorsque les QRS sont négatifs (« majoration de la discordance ») (Fig. 9). La sensibilité d’un seul critère est faible (< 20 %), mais la spécificité du critère « concordance » est supérieure à 95 %. Le critère « majoration de la discordance » est le moins spécifique et doit être interprété en fonction de l’amplitude des QRS en V1–V4 : si l’amplitude de l’onde S est grande, la majoration de discordance perd de sa spécificité. Smith et al. [29] ont montré que la spécificité du critère majoration de la discordance atteint 90 % pour une sensibilité de 91 % lorsque le ratio ST/S dans une seule dérivation est inférieur ou égal à 0,25 (ex. : 5/20, 6/25 ou 7/30), ce qui est plus Fig. 9 Bloc de branche gauche avec perte de la discordance appropriée (concordance) entre la polarité du QRS et le segment ST en V1–V4 et anomalies des QRS (non croissance de l’onde r en dérivations antérieures) : SCA avec sus-décalage de ST Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:79-88 87 Fig. 10 Bloc de branche droit avec sous-décalage de ST excessif en V2–V4(V5) et anomalies des QRS (fragmentés en V2–V4) : SCA avec sus-décalage de ST en territoire basal performant que le troisième critère de Sgarbossa (rapports de vraisemblance positif égal à 9 et négatif égal à 0,1). Si le doute persiste, on doit répéter les tracés pour détecter un changement évocateur du segment ST ou des QRS (ondes R rabotées, QRS fragmentés…) [20,30]. On peut aussi tenter de dater le BBG en examinant l’aspect des complexes QRS [31] ou en comparant le tracé avec un tracé antérieur. Au terme de l’analyse méticuleuse des tracés, si aucun élément n’oriente vers un BBG modifié par une ischémique aiguë, il est raisonnable de ne pas considérer qu’il s’agit d’une indication de revascularisation immédiate, car il existe des preuves croissantes qu’un nouveau ou indatable BBG est un très mauvais indicateur ECG d’occlusion [32–34]. En cas de doute et si « les symptômes ischémiques persistent », l’European Society of Cardiology recommande une imagerie coronaire en urgence [8]. En utilisant des critères diagnostiques similaires, il est également possible de voir des signes d’ischémie myocardique aiguë dans les dérivations précordiales droites qui expriment le retard à l’inscription de l’onde R en cas de BBD (Fig. 10), mais aussi dans les dérivations qui expriment une préexcitation ou en cas de rythme ventriculaire électroentraîné [35,36]. Conclusion Les signes ECG évocateurs d’un SCA peuvent être typiques ou frustes, persistants ou transitoires, isolés ou dissimulés derrière une anomalie préexistante. Il ne suffit pas d’apprendre les signes typiques ; il faut aussi apprendre les petits signes de grande valeur dont la méconnaissance peut conduire à écarter ce diagnostic ou à retarder le traitement. Ces petits signes peuvent se cacher dans une onde T (amplitude ou polarité non conforme au QRS, élargissement ou symétrie à la base), le segment ST (sus-décalage excessif, sous-décalage minime, perte de la discordance appropriée) et/ou les complexes QRS. Ils peuvent être présents dès le premier tracé ou apparaître au cours de la surveillance. Ils peuvent se transformer ou disparaître rapidement, ce qui renforce leur valeur en faveur d’un SCA. Remerciements Aux Drs C. Verrier, J. Sende et L. Soulat pour le prêt des Figures 3, 8 et 9. Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt. Références 1. 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