Les règles d`interprétation des contrats dans les Principes d

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Les règles d`interprétation des contrats dans les Principes d
Les règles d’interprétation des contrats dans les
Principes d’UNIDROIT et la CVIM : entre unité
structurelle et diversité fonctionnelle
Mikaël F. Nabati *
Le domaine des contrats internationaux est, par nature, celui de la diversité
culturelle, de la pluralité linguistique, et de l’hétérogénéité juridique. Ces éléments constituent autant d’obstacles à la compréhension et à l’interprétation
des obligations souscrites par les opérateurs du commerce international. Dans
ce cadre, l’exigence de cohérence, de précision et de clarté des règles
interprétatives revêt une importance particulière.
En effet, l’examen des divers systèmes juridiques nationaux fait apparaître
une grande disparité des méthodes d’interprétation contractuelle. Ainsi, le Code
Civil français 1 comme le Code des Obligations suisse 2 demandent au juge
de rechercher et de définir la commune intention des parties. A l’inverse, le
droit américain privilégie le “plain meaning” des stipulations contractuelles,
ainsi que les circonstances objectives de conclusion du contrat 3. Quant au droit
allemand, l’article 157 du BGB insiste sur la volonté exprimée par les parties
telle qu’elle a été formulée à travers les termes employés dans le contrat.
Cette diversité des règles nationales d’interprétation constitue à l’évidence un facteur d’imprévisibilité, d’incertitude et de fragilisation des
relations juridiques internationales. L’existence d’un corps de règles d’interprétation uniformes apparaît ainsi comme une exigence primordiale, permettant aux parties, au juge et à l’arbitre de déterminer avec suffisamment de
précision l’étendue des droits et obligations contenues dans le contrat.
Les efforts d’uniformisation des méthodes d’interprétation contractuelle
ont pour origine les travaux d’Ernst RABEL dans les années 1920, qui ont
abouti en 1964 avec l’adoption d’un “Uniform Law for the International Sales
*
Avocat au Barreau de New York (Etats-Unis d’Amérique); collaborateur au Cabinet
Latham & Watkins LLP; ancien président de la Soc. de Droit Int’l H.W. Briggs, Cornell Law School.
1
Art. 1156 du Code Civil.
2
Art. 18 du Code des Obligations.
3
Voir notamment les notions de “surrounding circumstances”, “course of dealing”,
“course of performance”, et “usage of trade”.
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of Goods” (ULIS), et d’un “Uniform Law on the Formation of Contracts for
International Sale of Goods” (ULFIS). La deuxième grande étape de ce
processus d’harmonisation des règles a été marquée par l’adoption en 1980 de
la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CVIM).
L’article 8 de la Convention, qui s’inspire des articles 9(3) de l’ULIS et 13(2) de
l’ULFIS, guide l’interprétation des stipulations des contrats rentrant dans le
champ d’application de la Convention. Enfin, en 1994, l’Institut International
pour l’Unification du Droit Privé (UNIDROIT) a publié des Principes relatifs aux
contrats du commerce international 4. Rédigés par une commission de juristes
appartenant tant à des pays de droit civil que de common law, les Principes
d’UNIDROIT s’apparentent à un véritable “code des contrats internationaux” 5.
Le Chapitre 4 des Principes d’UNIDROIT est consacré à l’interprétation des
contrats. Les dispositions de ce chapitre font l’objet, à l’heure actuelle, d’une
application fréquente dans les arbitrages de la CCI 6.
Quelles sont les méthodes d’interprétation retenues par l’article 8 de la
Convention de Vienne et le Chapitre 4 des Principes d’UNIDROIT ? Dans
quelle mesure ces règles d’interprétation diffèrent-elles des règles envisagées
par les systèmes juridiques nationaux ? Quelle est la valeur juridique et le
domaine d’application de ces règles d’interprétation transnationales ?
Au-delà d’une simple présentation technique des règles d’interprétation
contractuelle posées par la CVIM et les Principes d’UNIDROIT, il convient
d’analyser, dans un premier temps, la logique et le contenu même de ces
dispositions, qui révèlent une certaine unité matérielle, structurelle et
conceptuelle (I). A l’inverse, l’examen de l’application effective de ces règles
d’interprétation par le juge et par l’arbitre laisse transparaître une relative
diversité fonctionnelle (II).
I. – Le contenu et la logique des règles d’interprétation des Principes
d’UNIDROIT et de la CVIM : une unité matérielle
Les règles d’interprétation du contrat envisagées par le Chapitre 4 des
Principes d’UNIDROIT et l’article 8 de la CVIM présentent une relative unité
4
Lors de sa session annuelle des 19 et 21 avr. 2004, le Conseil de Direction d’UNIDROIT
a adopté une nouvelle édition des Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce
international.
5
Jean-Paul BERAUDO, “Les Principes d’UNIDROIT relatifs au droit du commerce
international”, La Semaine Juridique, Ed. gén., n°18 (mai 1995).
6
V. Pierre MAYER, “Le rôle des Principes d’UNIDROIT dans la pratique de l’arbitrage de la
CCI”, Bulletin de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, Supplément spécial (2002), 117.
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Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
matérielle, qui s’exprime de deux manières : d’une part, par le caractère
convergent des démarches interprétatives préconisées par la CVIM et les
Principes (A); d’autre part, par l’existence d’une certaine complémentarité
entre les dispositions des deux instruments (B).
A. Des méthodes d’interprétation convergentes
L’article 8 de la CVIM comme le Chapitre 4 des Principes d’UNIDROIT
adoptent une perspective analogue, envisageant l’interprétation du contrat
dans le cadre d’un raisonnement alternatif qui prévoit le recours à la méthode
d’interprétation subjective à titre principal, et l’application d’une méthode
d’interprétation objective à titre subsidiaire.
Les règles d’interprétation prévues par l’article 8 7 de la CVIM et les
articles 4.1 et suivants des Principes d’UNIDROIT se réfèrent à la commune
intention des parties à titre de principe. Selon le paragraphe 1er de l’article 8
de la CVIM, “les indications et les autres comportements d’une partie doivent
être interprétés selon l’intention de celle-ci lorsque l’autre partie connaissait
ou ne pouvait ignorer cette intention”. Bien qu’aux termes de l’article 8.1, la
règle posée par la CVIM semble être limitée à l’interprétation des “indications
et autres comportements”, l’article 8.1 ne concerne pas seulement la question
de savoir si un contrat a été conclu, mais régit également l’interprétation du
contrat dans son ensemble 8. L’article 8.1 est donc fondé sur une méthode
dite “subjective” : l’interprétation vise à rechercher l’intention de l’auteur de
la déclaration. Toutefois, l’intention de l’auteur de la déclaration ne sera
retenue que “lorsque l’autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette
intention”. La méthode d’interprétation de l’article 8.1 se distingue en cela du
droit français, dans la mesure où elle conduit à rechercher séparément
l’intention de chacune des parties, et non la “commune intention” des
parties 9. Cependant, en droit français comme dans la CVIM, si les parties
partagent la même compréhension des termes employés par le contrat, ce
sens prévaudra.
De façon analogue, les Principes d’UNIDROIT font appel à un standard
subjectif pour déterminer le contenu du contrat. En effet, selon le paragraphe
7
Il convient de distinguer, évidemment, les dispositions de l’art. 8, relatives à
l’interprétation du contrat, des dispositions de l’art. 7 de cette même Convention, qui concernent
l’interprétation de la Convention elle-même.
8
V. John O. HONNOLD, Uniform Law for International Sales under the 1980 United
Nations Convention, 3e éd. (1999), 97-98.
9
Cf. art. 1156 du Code Civil français.
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1er de l’article 4.1, “le contrat s’interprète selon la commune intention des
parties”. Cette formule rappelle étroitement les termes employés par l’article
1156 du Code Civil français, selon lequel “on doit dans les conventions
rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt
que de s’arrêter au sens littéral des termes”. Le principe de la recherche de la
commune intention est complété par l’article 4.2, qui dans son paragraphe 1er,
précise que “les déclarations et le comportement d’une partie s’interprètent
selon l’intention de leur auteur lorsque l’autre partie connaissait ou ne pouvait
ignorer cette intention”. Les règles d’interprétation posées par les Principes
d’UNIDROIT se différencient ainsi de l’article 8.1 de la CVIM en ce qu’ils
adoptent une approche dichotomique, distinguant l’interprétation du contrat
lui-même (article 4.1) de l’interprétation des déclarations unilatérales des
parties (article 4.2). Mais il ne s’agit là que d’une différence purement
formelle, sans incidence sur la nature même de la démarche interprétative
préconisée par la CVIM et les Principes d’UNIDROIT : dans les deux cas, le
juge ou l’arbitre doit rechercher l’intention commune, le “sens partagé” du
contrat.
La recherche de l’intention commune des parties se heurte toutefois à des
difficultés pratiques de preuve. En effet, il s’avère souvent impossible d’établir
ce que les parties avaient à l’esprit lors de la conclusion du contrat. Dans la
plupart des cas, la partie demanderesse ne pourra démontrer que l’autre partie
connaissait ou ne pouvait ignorer son intention. Aussi, face à cette
impossibilité pratique, la CVIM comme les Principes d’UNIDROIT prévoient le
recours, à titre subsidiaire, à l’esprit de compréhension d’une personne
raisonnable. Ainsi, aux termes de l’article 8.2 de la CVIM, “si le paragraphe
précédent n’est pas applicable, les indications et autres comportements d’une
partie doivent être interprétés selon le sens qu’une personne raisonnable de
même qualité que l’autre partie, placée dans la même situation, leur aurait
donné”. De même, l’article 4.1 des Principes d’UNIDROIT énonce que “faute
de pouvoir déceler la commune intention des parties, le contrat s’interprète
selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable, de même qualité,
placée dans la même situation”, et l’article 4.2 dispose “qu’à défaut
d’application du paragraphe précédent, [les déclarations et le comportement
d’une partie] s’interprètent selon le sens qui lui donnerait une personne
raisonnable de même qualité placée dans la même situation”.
Il convient de préciser, cependant, que la “personne raisonnable” à
laquelle les règles d’interprétation de la CVIM et des Principes d’UNIDROIT se
réfèrent n’est pas une personne raisonnable “dans l’abstrait”, mais une
personne raisonnable disposant des mêmes compétences techniques et
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Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
linguistiques que la partie à laquelle l’interprétation est opposée 10. Comme le
spécifie le commentaire de l’article 4.1, “il ne s’agit pas d’un critère général et
abstrait de ce qui est raisonnable, mais davantage de la compréhension que
pourrait raisonnablement avoir une personne ayant par exemple la même
connaissance linguistique, la même compétence technique ou la même
expérience commerciale que les parties”. La sentence préliminaire rendue
sous l’égide de la Chambre de commerce de Zurich le 25 novembre 1994
illustre l’application du concept du raisonnable dans le cadre d’un litige relatif
à l’interprétation d’une clause d’arbitrage 11. En l’espèce, les parties avaient
accepté de soumettre tout litige “à l’organisation internationale de commerce
et d’arbitrage à Zurich, Suisse”. Le défendeur contestait la compétence de la
Chambre de commerce de Zurich, au motif que la clause d’arbitrage ne
mentionnait pas explicitement l’institution. Pour la partie demanderesse, il ne
faisait aucun doute que la clause d’arbitrage, qui avait été rédigée par le
défendeur, visait directement la Chambre de commerce de Zurich, seule
institution d’arbitrage existant à Zurich. Le tribunal arbitral a tranché en faveur
du demandeur, sur le fondement des règles d’interprétation du Code des
Obligations suisse, elles-mêmes confirmées par les articles 4.1 et 4.2 des
Principes d’UNIDROIT. Le tribunal a ainsi considéré que la clause d’arbitrage
devait être interprétée selon le sens que lui donnerait dans les mêmes
circonstances “l’homme d’affaire moyen, honnête et diligent” 12.
Les normes d’interprétation contractuelle posées par les articles 8 de la
CVIM et les articles 4.1 et suivants des Principes d’UNIDROIT invitent donc
l’interprète du contrat à apprécier le sens et la portée des engagements
souscrits par les parties en recherchant l’intention commune des
cocontractants. Par exception, ces dispositions autorisent le juge ou l’arbitre à
interpréter le contrat sur la base d’un critère objectif “subjectivé”, qui prend
en compte la qualité, l’expérience, et les compétences de la “personne
raisonnable”. L’article 4.3 des Principes d’UNIDROIT 13, qui reprend peu ou
10 V. HONNOLD, supra note 8, 99.
11 Sentence arbitrale du 25 nov. 1994, Chambre de Commerce de Zurich (Suisse), Univ.
L. Rev. / Rev. Dr. unif. (1999), n°1, 165. La sentence est également disponible en ligne sur le site
<www.unilex.info>.
12 Id., § 23.
13 L’art. 4.3 dispose : “Pour l’application des articles 4.1 et 4.2, on prend en considération
toutes les circonstances, notamment :
a)
les négociations préliminaires entre les parties ;
b)
les pratiques établies entre les parties ;
c)
le comportement des parties postérieur à la conclusion du contrat ;
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prou la règle posée par l’article 8.3 de la CVIM 14, dresse une liste indicative
des faits et circonstances qui permettront à l’interprète d’établir l’intention
commune des parties et la compréhension d’une personne raisonnable.
Néanmoins, si les règles d’interprétation Principes d’UNIDROIT et de la CVIM
apparaissent ainsi comme relativement similaires, elles révèlent également
une certaine complémentarité.
B.
Des méthodes d’interprétation complémentaires
Considérer que les règles d’interprétation énoncées par la CVIM et les
Principes d’UNIDROIT sont purement et simplement identiques reviendrait à
nier la façon dont ces règles s’articulent et se complètent. Cette complémentarité provient essentiellement de la nature même des deux instruments.
En effet, la CVIM, convention élaborée sous l’égide des Nations-Unies,
apparaît comme le fruit de nombreux compromis entre les Etats contractants.
Ces compromis sont parfois synonymes d’imprécisions et d’ambiguïtés. Parmi
ces imprécisions, les auteurs relèvent notamment le sens du terme “validité”
employé à l’article 4 de la Convention 15, ou la notion d’ ”empêchement”
utilisée à l’article 79 16.
d)
la nature et le but du contrat ;
e)
le sens généralement attribué aux clauses et aux expressions dans la branche
commerciale concernée ;
f)
les usages.”
14 Art. 8.3 : “pour déterminer l’intention d’une partie ou ce qu’aurait compris une
personne raisonnable, il doit être tenu compte des circonstances pertinentes, notamment des
négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des habitudes qui se sont établies entre elles,
des usages et de tout comportement ultérieur des parties.” La règle posée par l’art. 8.3 contraste
avec la règle dite de la “parole evidence”, applicable dans la plupart des systèmes de common
law, selon laquelle aucune preuve orale ne peut être admise pour ajouter, nuancer, ou contredire
un écrit. Sur ce sujet, v. Bruno ZELLER, “The Parol Evidence Rule and the CISG – A Comparative
Analysis”, 36 Comparative Law Journal of Africa (2003) ; voir également l’Opinion n°3 du Conseil
Consultatif de la CVIM du 23 oct. 2004, Parol Evidence Rule, Plain Meaning Rule, Contractual
Merger Clause and the CISG, disponible en ligne sur le site <http://www.cisg-online.ch>.
15 Art. 4 de la CVIM : “La présente Convention régit exclusivement la formation du
contrat de vente et les droits et obligations qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et
l’acheteur. En particulier, sauf disposition contraire expresse de la présente Convention, celle-ci ne
concerne pas: a) la validité du contrat ni celle d’aucune de ses clauses non plus que celle des
usages; b) les effets que le contrat peut avoir sur la propriété des marchandises vendues.”
16 V. Jacob S. ZIEGEL, The UNIDROIT Contract Principles, CISG and National Law,
Conférence à un séminaire UNIDROIT à Valencia, Venezuela (nov. 1996). Sur cette question, voir
également l’étude de Louis et Patrick DEL DUCA, “Practice under the Convention on International
Sale of Goods - A primer for attorneys and international traders, 27 Uniform Commercial Code
Law Journal 99 (1996).
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Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
Par contraste, les Principes d’UNIDROIT ont été élaborés par une
commission de juristes, qui, à la différence des négociateurs de la CVIM, ne
sont liés par aucune obligation de loyauté vis-à-vis de leur propre système et
de leur propre tradition juridique. Les Principes d’UNIDROIT sont en outre
susceptibles d’évoluer et peuvent être révisés à la lumière de l’évolution des
pratiques commerciales internationales 17. Plus complets, plus détaillés, les
Principes d’UNIDROIT peuvent donc souvent apporter un remède aux lacunes
et aux ambiguïtés de la CVIM 18. Cette possibilité est expressément admise
par la CVIM, qui dans son article 7 prévoit que “les questions concernant les
matières régies par la présente Convention et qui ne sont pas expressément
tranchées par elle seront réglées selon les principes généraux dont elle
s’inspire”. A considérer les Principes d’UNIDROIT comme une expression
particulière de ces “principes généraux”, il n’y a qu’un pas à franchir pour
admettre que les Principes d’UNIDROIT puissent jouer le rôle de “gap-filler”
vis-à-vis de la CVIM 19.
La sentence CCI n°8128 rendue en 1995 illustre cette idée de
complémentarité matérielle entre les Principes d’UNIDROIT et la CVIM 20. En
l’espèce, face au silence du contrat quant au droit applicable, le tribunal
arbitral avait retenu l’applicabilité de la CVIM. Le tribunal avait en outre
décidé, qu’en application de l’article 78 de la CVIM, le demandeur avait droit
à des intérêts moratoires. Soulignant que la question de la détermination du
taux des intérêts moratoires n’était pas traitée par la CVIM, le tribunal a fait
application de l’article 7.4.9 des Principes d’UNIDROIT, en prenant appui sur
l’article 7.2 de la CVIM.
17 Comme nous l’avons indiqué précédemment, une nouvelle version des Principes
UNIDROIT a été publiée en 2004. Cette version comprend cinq chapitres supplémentaires (Pouvoir
de représentation; Droits des tiers; Compensation; Cession de créances, cession de dettes, cession
de contrats; Délais de prescription).
18 Notons que les Principes d’UNIDROIT ont un champ d’application plus large que les
dispositions de la CVIM : alors que les premiers ont vocation à s’appliquer aux “contrats du
commerce international”, la CVIM ne s’applique qu’aux contrats de vente internationale, tels que
définis aux arts. 1, 2 et 3 de cette Convention.
19 Comme le note le Professeur Garro, “[T]he texts of the CISG and the UNIDROIT
complement each other ... The CISG is not a self-contained body of rules, independent and
distinct from trade usages and other international instruments related in one way or another to
international commercial contracts”. V. Alejandro M. GARRO, “The Gap-Filling Role of the
UNIDROIT Principles in International Sales Law : Some Comments on the Interplay between the
Principles and the CISG, 69 Tulane Law Review 1149 (1995).
20 Sentence CCI n° 8128 (1995), 123 J.D.I. 1024 (1996), (p.)1027. La sentence est
également disponible en ligne sur <www.unilex.info>.
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Dans ce cadre, l’utilisation des dispositions du Chapitre 4 des Principes
d’UNIDROIT comme “gap-filler” de l’article 8 de la CVIM semble parfaitement
envisageable. Comme le note le Professeur ZIEGEL, “the rules of interpretation
of contracts in chapter 4 of the Principles are only an elaboration of the more
succinct provisions in Article 8 of CISG and should therefore be admissible
gap fillers on an analogical basis” 21. Plus précisément, les règles
d’interprétation des Principes d’UNIDROIT sont susceptibles d’intervenir à trois
niveaux différents :
Premièrement, les Principes d’UNIDROIT semblent insister sur la nécessité
pour l’arbitre ou le juge de privilégier une interprétation contextuelle du
contrat. D’après l’article 4.4 des Principes, “les clauses et les expressions
s’interprètent en fonction de l’ensemble du contrat ou de la déclaration où
elles figurent”. Ce principe de cohérence du contrat rappelle l’article 1161 du
Code Civil, selon lequel “toutes les clauses des conventions s’interprètent les
unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier”.
Deuxièmement, les Principes d’UNIDROIT édictent un principe
d’interprétation ou d’effet utile. L’article 4.5 des Principes énonce en effet que
“les clauses d’un contrat s’interprètent dans le sens avec lequel elles peuvent
toutes avoir quelque effet, plutôt que dans le sens avec lequel certaines n’en
auraient aucun” 22. Dans le domaine de l’arbitrage, l’application de l’article
4.5 a notamment permis de reconnaître la validité de clauses d’arbitrage
pathologiques. Ainsi, dans un arbitrage CCI n° 10422, le tribunal arbitral s’est
appuyé sur l’article 4.5 pour établir la compétence du tribunal arbitral sur la
base d’une clause du contrat qui prévoyait que le contrat serait soumis “à la
Chambre Internationale de Commerce” 23.
Enfin, les Principes d’UNIDROIT assurent une certaine protection de la
partie faible à travers la règle contra proferentem énoncée par l’article 4.6. Cet
article, qui reprend la règle posée par l’article 1162 du Code Civil français 24,
prévoit qu’ ”en cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat s’interprètent de
préférence contre celui qui les a proposées”. Dans une sentence rendue le 10
21
22
V. ZIEGEL, supra note 16.
La règle d’interprétation posée par l’art. 4.5 des Principes UNIDROIT reprend celle de
l’art. 1157 du Code Civil français, qui énonce que “[l]orsqu’une clause est susceptible de deux
sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le
sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun.”
23 Sentence rendue en 2001 dans l’affaire n°10422, disponible en ligne sur le site
<www.unilex.info>.
24 Selon l’art. 1162 du Code Civil français, “[d]ans le doute, la convention s’interprète
contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation”.
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Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
décembre 1997, un tribunal ad hoc statuant en amiable compositeur a ainsi
fait application de l’article 4.6 pour interpréter “contre” l’acheteur une clause
de garantie relative aux dettes cachées d’une société vendue 25.
A ces trois niveaux, les règles d’interprétation du Chapitre 4 apparaissent
comme un complément éventuel des dispositions de l’article 8 de la CVIM.
Les règles d’interprétation contenues dans les Principes d’UNIDROIT
constituent ainsi un outil potentiel d’enrichissement, de consolidation, et de
sophistication des normes d’interprétation prévues par l’article 8 de la CVIM.
De par leur similarité et leur complémentarité, les normes d’interprétation de
la CVIM et des Principes d’UNIDROIT présentent donc une certaine unité
matérielle, conceptuelle et structurelle.
II. – La mise en oeuvre des règles d’interprétation UNIDROIT et CVIM par le
juge et l’arbitre : une diversité fonctionnelle
Les règles d’interprétation des Principes d’UNIDROIT et de l’article 8 de la
CVIM sont susceptibles d’assumer deux types de fonction : d’une part, une
fonction classique de lex contractus (A) ; d’autre part, une fonction résiduelle,
supplétive, qui s’apparente au rôle que joue la lex fori pour le juge étatique
(B).
A. Fonction classique : Les règles d’interprétation applicables comme “lex
contractus”
En règle générale, les règles d’interprétation des contrats posées par les
Principes d’UNIDROIT et la CVIM interviennent en tant que loi applicable à
l’interprétation du contrat. Dans ce contexte, leur fonction est celle de la lex
contractus : c’est en tant que loi applicable au fond que les normes
d’interprétation s’imposent à l’interprète du contrat.
L’arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble du 22 février 1995 illustre
l’application de l’article 8 de la CVIM en tant que loi applicable au contrat 26.
En l’espèce, une société française et un acheteur américain avaient conclu un
contrat de vente de vêtements. Le contrat spécifiait que le lieu de livraison
effectif des vêtements devait être soit l’Amérique du Sud, soit l’Afrique. Après
une première livraison, l’acheteur a refusé de fournir au vendeur la preuve
25 Sentence rendue le 10 déc. 1997 par un tribunal ad hoc siégeant à Buenos Aires
(Argentine), disponible en ligne sur le site <www.unilex.info>.
26 Cour d’appel de Grenoble, Chambre Commerciale, 22 fév. 1995, SARL Bri Production
‘Bonaventure’ v. Société Pan African Export.
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que les marchandises avaient bien été livrées en Amérique du Sud. Ayant
appris que les marchandises avaient en fait été livrées en Espagne, le vendeur
a refusé de procéder aux autres livraisons prévues par le contrat. L’acheteur
demande alors des dommages et intérêts pour rupture du contrat. Le vendeur
fait valoir qu’il était fondé à demander à l’acheteur de justifier de la
destination effective des marchandises avant de procéder à de nouvelles
livraisons, et donc que son refus de livrer était légitime. La Cour d’appel a fait
application de l’article 8.1 de la CVIM en tant que loi applicable à l’interprétation du contrat qui lui était soumis pour juger que la connaissance par le
vendeur du lieu de livraison effective des biens constituait un élément
essentiel du contrat.
Similairement, lorsque les parties s’y réfèrent expressément, les règles
d’interprétation UNIDROIT peuvent régir l’interprétation du contrat au titre de
la lex contractus. Les parties peuvent avoir choisi de soumettre leur contrat
aux Principes d’UNIDROIT 27. Dans ce cas, la force obligatoire des Principes
d’UNIDROIT dérive directement de la volonté des parties. Bien que certains
contrats modèles contiennent une clause de choix de loi prévoyant
l’application des Principes d’UNIDROIT 28, l’hypothèse d’un choix exprès des
Principes par les parties reste relativement rare en pratique 29. Alternativement, les parties peuvent avoir décidé que leur contrat sera régi par “les
principes généraux du droit” ou la “lex mercatoria”. L’arbitre pourrait alors
considérer que la désignation par les parties de ces “principes généraux” ou
de la lex mercatoria emporte application des Principes d’UNIDROIT 30.
En tout état de cause, que les Principes d’UNIDROIT soient choisis
directement ou indirectement comme lex contractus par les parties, un tel
choix emporte application des règles d’interprétation du Chapitre 4 en tant
que loi du contrat, ainsi que l’illustre une sentence rendue le 5 novembre
27 V. par exemple la sentence CCI n°8331 rendue à Paris en déc. 1996, disponible en
ligne sur <www.unilex.info>.
28 V. notamment le contrat modèle de vente commerciale internationale de denrées
périssables (Centre du commerce international CNUCED/OMC - 1999), ainsi que le contrat modèle
d’intermédiation occasionnelle (CCI 2000).
29 V. MAYER, supra note 6, 119.
30 V. par exemple la sentence CCI n°7110, Bulletin de la CCI 1999, Vol. 2 (p.) 49. Dans
cette affaire, les parties avaient inséré une clause stipulant que les litiges devraient être tranchés
définitivement “selon les principes élémentaires de la justice”. Le tribunal arbitral avait estimé que
“les règles et principes juridiques généraux recueillant un large consensus international,
applicables aux obligations contractuelles internationales ... sont principalement reflétées dans les
principes relatifs aux contrats du commerce international adoptés par UNIDROIT en 1994”.
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Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
2002 sous l’égide de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Fédération
de Russie 31. Dans cette affaire, il s’agissait d’un contrat de services conclu
entre une société russe et une société allemande. Le contrat faisant référence
aux “principes généraux de la lex mercatoria”. Saisi d’un litige relatif au
paiement des commissions, le tribunal a considéré que la référence aux
“principes généraux de la lex mercatoria” emportait application des Principes
d’UNIDROIT, et en particulier des articles 4.1 et 4.3 relatifs à l’interprétation du
contrat.
B.
Fonction supplétive :
“lex fori”
Les règles d’interprétation applicables comme
Les règles d’interprétation des Principes d’UNIDROIT et de la CVIM sont
également susceptibles de jouer un rôle “secondaire”, une sorte de système de
référence auquel le juge et l’arbitre pourront recourir afin de résoudre telle ou
telle difficulté d’interprétation ponctuelle, mais sans se substituer au droit
applicable au fond du litige. En d’autres termes, dans cette hypothèse, les
règles d’interprétation des Principes d’UNIDROIT et de la CVIM jouent un rôle
d’appui, un outil de complément qui permet de combler les vides laissés par
loi applicable au fond ou d’en éclairer l’application. Cette fonction supplétive
s’apparente à la fonction que peut jouer la lex fori pour le juge étatique : les
règles d’interprétation s’appliquent en raison de leur vocation subsidiaire.
Le droit applicable peut être soit le droit étatique désigné par une règle de
conflit, soit une convention édictant des règles matérielles applicables à un
contrat international, soit la lex mercatoria ou les principes généraux du droit.
Dans l’hypothèse où ce droit applicable ne fournirait pas la solution de la
question juridique posée, les règles d’interprétation envisagées par la CVIM ou
les Principes d’UNIDROIT pourront être appliqués à titre subsidiaire 32. Ces
principes permettront alors soit de compléter, soit de confirmer telle ou telle
interprétation du droit interne applicable. La sentence arbitrale CCI n°11295,
ainsi que la sentence rendue en 1995 dans le cadre d’un arbitrage ad hoc
ayant pour siège Auckland (Nouvelle-Zélande), illustrent parfaitement cette
fonction supplétive 33. Dans la première affaire, il s’agissait de déterminer si la
31 Sentence rendue le 5 nov. 2002 sous l’égide de la Chambre de Commerce et
d’Industrie de la Fédération de Russie, disponible en ligne sur <www.unilex.info>.
32 Les parties peuvent même avoir stipulé une clause prévoyant l’application d’une loi
nationale, suppléée, en cas de difficulté de preuve ou d’interprétation, par les Principes UNIDROIT.
33 Sentence rendue par un tribunal ad hoc siégeant à Auckland (Nouvelle Zélande) en
1995, disponible en ligne sur le site <www.unilex.info>.
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257
Mikaël F. Nabati
partie demanderesse, une compagnie suisse, pouvait invoquer la violation de
droits exclusifs à l’encontre d’une compagnie polonaise, alors que ces mêmes
droits avaient été transférés par la compagnie suisse à l’une de ses filiales.
Après avoir constaté que le droit polonais, choisi par les parties comme droit
applicable au fond du litige, ne permettait pas de résoudre la question des
effets juridiques d’un tel transfert, l’arbitre unique a considéré que les
Principes d’UNIDROIT relatifs à l’interprétation des contrats du commerce
international pouvait s’appliquer de façon “subsidiaire” lorsque le droit
national “n’offr[ait] pas de solution spécifique” à la question juridique
soulevée par le litige 34. Dans la deuxième affaire, relative à un litige
opposant une société néo-zélandaise à une société australienne, la question se
posait de savoir si le comportement des parties postérieur à la conclusion du
contrat pouvait permettre de clarifier le sens des termes employés dans le
contrat. Bien que le droit néo-zélandais fusse applicable au fond du litige, le
tribunal a fait référence aux Principes d’UNIDROIT dans la mesure où le droit
applicable était dans un “état quelque peu incertain” et “qu’il ne pouvait y
avoir de texte contemporain plus définitif portant sur l’interprétation des
dispositions contractuelles”. Le tribunal arbitral, sans remettre en cause
l’applicabilité de la loi néo-zélandaise, a donc utilisé les articles 4.1, 4.2 et 4.3
des Principes d’UNIDROIT afin de pallier l’imprécision de la règle de droit
applicable au fond du litige. De manière similaire, dans une affaire du 6
novembre 2002 portée devant la Cour d’Arbitrage International de la Chambre
de Commerce et d’Industrie de la Fédération de Russie, il s’agissait de
déterminer si la version russe ou la version anglaise d’un contrat de vente
devait régir l’interprétation de la clause d’arbitrage contenue dans ce même
contrat. La société défenderesse, une société canadienne, contestait la juridiction du tribunal arbitral, se fondant sur la version anglaise du contrat. A
l’inverse, la partie demanderesse, une société russe, faisait valoir que l’interprétation d’un contrat de vente était régie par la version russe du contrat
litigieux. Le droit russe étant applicable au contrat, le tribunal arbitral a, dans
un premier temps, fait application des règles d’interprétation contractuelle
34 La sentence CCI n°8908 rendue en déc. 1998 montre que les règles d’interprétation
posées par l’art. 8 de la CVIM peuvent, comme les Principes UNIDROIT, jouer un rôle d’appui vis-àvis des règles d’interprétation de la loi applicable au fond. Dans cette affaire, suite à un litige
opposant un distributeur du Liechtenstein à un fabricant italien, les deux parties avaient transigé.
Le tribunal devait alors se prononcer sur l’interprétation des termes de cette transaction. Bien que
les dispositions du Code Civil italien soient applicables à la transaction, le tribunal s’est référé de
façon répétée aux règles d’interprétation de la CVIM et des Principes UNIDROIT, définis tous deux
comme “des instruments normatifs pouvant être utiles à l’interprétation des contrats de toute
nature”.
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Unif. L. Rev. 2007
Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
prévues par le Code Civil de la Fédération de Russie 35. Devant l’impossibilité
d’établir la commune intention des parties quant au choix de la langue du
contrat, le tribunal a fait application de l’article 4.7 des Principes d’UNIDROIT
relatifs aux divergences linguistiques. Le tribunal a conclut que la version
russe du contrat de vente, “version d’origine”, devait primer sur la traduction
anglaise de la Convention 36.
L’existence d’une certaine convergence normative entre les dispositions
du droit interne et les règles d’interprétation contractuelle des Principes
d’UNIDROIT permettra également aux juges et aux arbitres de corroborer la
solution fournie par le droit interne applicable, comme l’illustre la sentence
CCI n° 11375 37. En l’espèce, il s’agissait de déterminer la nature et l’étendue
des obligations contenues dans un contrat de consortium lié à un projet de
construction BOT en Asie du Sud Est. Le tribunal arbitral a considéré que ce
contrat imposait aux membres du consortium une obligation de bonne foi et
de loyauté, et que cette obligation constituait l’une des normes
“fondamentales et nécessaires” régissant le contrat de consortium. A l’appui
de son raisonnement, le tribunal a relevé que l’existence d’une telle obligation
était “implicite dans la nature même des relations juridiques entre les parties”.
Notant, en outre, que les dispositions du droit interne applicable au fond
imposaient une obligation “d’honnêteté et de bonne foi”, le tribunal s’est
appuyé sur le témoignage de l’un des experts, qui avait considéré que “les
Principes d’UNIDROIT, qui peuvent avoir une certaine pertinence dans le
contexte d’un litige international, imposent une obligation implicite de bonne
foi, même lorsque les parties ne l’ont pas expressément adopté” 38.
Enfin, et au delà de ce simple rôle supplétif de confirmation et de
clarification du droit applicable au fond, les dispositions du Chapitre 4 des
Principes d’UNIDROIT et de l’article 8 de la CVIM sont susceptibles de
35 Selon les dispositions de l’art. 431 du Code Civil de la Fédération de Russie, toute
convention s’interprète selon la commune intention des parties telle qu’elle résulte du sens littéral
des termes utilisés dans le contrat, et, en cas d’impossibilité, selon les usages du commerce.
36 L’art. 4.7 des Principes UNIDROIT prévoit qu’ “[e]n cas de divergence entre deux ou
plusieurs versions linguistiques faisant également foi, préférence est accordée à l’interprétation
fondée sur une version d’origine”.
37 ICC Partial Award 11375, UNIDROIT Principles : “New Developments and Applications”
– 2005 Special Supplement ICC, International Court of Arbitration Bulletin, 90.
38 V. également la sentence préliminaire rendue sous l’égide de la Chambre de
commerce de Zurich le 25 nov. 1994 (v. supra note 11), dans laquelle le tribunal, appliquant le
droit suisse, s’est référé aux arts. 4.1 et 4.2 des Principes UNIDROIT afin de montrer que la règle
d’interprétation posée par le droit suisse “reflétait un consensus international”.
Rev. dr. unif. 2007
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Mikaël F. Nabati
constituer une “source d’inspiration” des règles de droit interne régissant
l’interprétation des contrats. Comme l’explique le Professeur BONELL 39, les
tribunaux anglais ont fait référence de manière croissante aux dispositions de
l’article 4.3 des Principes d’UNIDROIT et de l’article 8 de la CVIM dans le
contexte de décisions relatives à la question recevabilité en droit anglais de la
preuve extrinsèque 40. Cette fonction rejoint l’une des vocations premières
des Principes d’UNIDROIT, telle que définie dans le préambule des Principes
qui dispose que les Principes peuvent être utilisés afin “d’interpréter ou de
compléter le droit national”.
***
L’analyse des normes d’interprétation prévues par les Principes
d’UNIDROIT et la CVIM révèle donc une certaine tension entre le contenu, la
structure même de ces normes d’une part, et la mise en oeuvre, l’applicabilité
de ces dispositions d’autre part. D’un point de vue matériel, structurel, et
conceptuel, les règles d’interprétation contractuelle des deux instruments se
présentent sous un aspect unitaire. Par contraste, l’examen des fonctions de
ces règles se caractérise par une grande diversité. Le recours par les
juridictions nationales et les tribunaux arbitraux aux règles d’interprétation des
Principes d’UNIDROIT et de la CVIM démontre que ces dispositions
permettent, selon les circonstances, de clarifier, de compléter, de corroborer,
voire de faire évoluer le droit interne, mais aussi et surtout, de manière plus
générale, de pallier l’incapacité du droit interne à régir des relations juridiques
et commerciales fondées sur l’internationalité. Les règles d’interprétations des
Principes d’UNIDROIT et de la CVIM apparaissent ainsi comme des normes à
“applicabilité” variable, dont l’effectivité dépend, in fine, moins de leur
contenu, que de la valeur juridique que les juges, les arbitres, et les acteurs du
commerce international voudront bien leur conférer.
39 Michael Joachim BONELL, “The UNIDROIT Principles and CISG – Sources of Inspiration
for English Courts?”, Univ. L. Rev. / Rev. Dr. unif. (2006), 305-317.
40 V. notamment Proforce Recruit Ltd. v. The Rugby Group Ltd., 2006 EWCA Civ 57.
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Unif. L. Rev. 2007
Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
Annexe 1 : Chapitre 4 des Principes d’UNIDROIT
Article 4.1
(Intention des parties)
1) Le contrat s’interprète selon la commune intention des parties.
2) Faute de pouvoir déceler la commune intention des parties, le contrat
s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable de même qualité
placée dans la même situation.
Article 4.2
(Interprétation des déclarations et des comportements)
1) Les déclarations et le comportement d’une partie s’interprètent selon
l’intention de leur auteur lorsque l’autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette
intention.
2) A défaut d’application du paragraphe précédent, ils s’interprètent selon le
sens qui lui donnerait une personne raisonnable de même qualité placée dans la
même situation.
Article 4.3
(Circonstances pertinentes)
Pour l’application des articles 4.1 et 4.2, on prend en considération toutes les
circonstances, notamment :
a) les négociations préliminaires entre les parties ;
b) les pratiques établies entre les parties ;
c) le comportement des parties postérieur à la conclusion du contrat ;
d) la nature et le but du contrat ;
e) le sens généralement attribué aux clauses et aux expressions dans la
branche commerciale concernée ;
f)
les usages.
Article 4.4
(Cohérence du contrat)
Les clauses et les expressions s’interprètent en fonction de l’ensemble du contrat
ou de la déclaration où elles figurent.
Article 4.5
(Interprétation utile)
Les clauses d’un contrat s’interprètent dans le sens avec lequel elles peuvent
toutes avoir quelque effet, plutôt que dans le sens avec lequel certaines n’en auraient
aucun.
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261
Mikaël F. Nabati
Article 4.6
(Règle contra proferentem)
En cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat s’interprètent de préférence contre
celui qui les a proposées.
Article 4.7
(Divergences linguistiques)
En cas de divergence entre deux ou plusieurs versions linguistiques faisant
également foi, préférence est accordée à l’interprétation fondée sur une version
d’origine.
Article 4.8
(Omissions)
1) A défaut d’accord entre les parties quant à une clause qui est importante pour
la détermination de leurs droits et obligations, on y supplée par une clause
appropriée.
2) Pour déterminer ce qui constitue une clause appropriée, on prend en
considération notamment :
a) l’intention des parties ;
b) la nature et du but du contrat ;
c) la bonne foi ;
d) ce qui est raisonnable.
***
Annexe 2 : Article 8 de la CVIM
1) Aux fins de la présente Convention, les indications et autres comportements
d’une partie doivent être interprétés selon l’intention de celle-ci lorsque l’autre partie
connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention.
2) Si le paragraphe précédent n’est pas applicable, les indications et autres
comportements d’une partie doivent être interprétés selon le sens qu’une personne
raisonnable de même qualité que l’autre partie, placée dans la même situation, leur
aurait donné.
3) Pour déterminer l’intention d’une partie ou ce qu’aurait compris une
personne raisonnable, il doit être tenu compte des circonstances pertinentes,
notamment des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des habitudes qui
se sont établies entre elles, des usages et de tout comportement ultérieur des parties.
JJJ
262
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Les règles d’interprétation des contrats dans les Principes d’UNIDROIT et la CVIM ...
THE RULES OF INTERPRETATION OF CONTRACTS UNDER THE UNIDROIT PRINCIPLES AND
THE CISG – STRUCTURAL UNITY, FUNCTIONAL DIVERSITY (Abstract)
Mikaël F. NABATI (Associate, Latham & Watkins LLP, New York (United States of
America); former President of the Cornell Law School H.W. Briggs Society of
International Law).
An analysis of the rules of interpretation provided by the UNIDROIT Principles of
International Commercial Contracts and the United Nations Convention on Contracts
for the International Sale of Goods (CISG) reveals some tension between the content
and structure of these rules on the one hand, and their implementation and
applicability on the other hand. While the rules of contractual interpretation provided
by the two instruments largely concord from a substantive, structural and conceptual
perspective, these rules present, from a functional perspective, a great deal of
diversity. Domestic courts and arbitral tribunals may use these interpretative
provisions to clarify, supplement, corroborate and even develop the domestic law.
More generally, these rules may constitute an effective means of remedying the
applicable domestic law’s potential inability to govern legal and commercial relations
in an international setting.
JJJ
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