Vers une plus grande sécurisation des promesses unilatérales de
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Vers une plus grande sécurisation des promesses unilatérales de
Entreprise et expertise Juridique Vers une plus grande sécurisation des promesses unilatérales de vente L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, est parue le 11 février 2016 au Journal officiel. Refondatrice par bien des aspects, cette modification du droit des contrats intègre notamment au Code civil un nouvel article 1124 permettant d’assurer l’efficacité juridique des promesses unilatérales de vente. 1. La problématique récurrente de la rétractation des promesses unilatérales de vente et de l’absence de sanction efficace Les praticiens du droit des affaires, et particulièrement les praticiens des opérations de M&A, recourent de façon quotidienne à la technique de la promesse unilatérale de vente, convention par laquelle le promettant consent à céder au bénéficiaire un bien, dans l’hypothèse où le bénéficiaire déciderait d’exercer l’option d’achat qui lui est ainsi consentie. Par sa nature même (le bénéficiaire se réserve le droit d’exercer ou non l’option d’achat qui lui est consentie par le promettant), cette convention ne matérialise pas un échange réciproque et immédiat des consentements des parties à l’opération finale, et n’emporte donc pas formation immédiate du contrat translatif de propriété. Dès lors que le contrat n’est pas encore formé, les parties n’étant engagées que dans un avant-contrat, se pose la question de la faculté pour le promettant de rétracter son consentement et, partant, du risque d’exécution pesant sur le bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente. Aux termes d’une jurisprudence constante depuis un arrêt fondateur dit «Consorts Cruz» (civ. 3E, 15 décembre 1993, n° 91-10.199), la 3e chambre civile de la Cour de cassation a posé le principe selon lequel, tant que le bénéficiaire n’a pas exercé la promesse unilatérale de vente qui lui a été consentie, le promettant peut se rétracter, les juges estimant que la levée d’option par le bénéficiaire, postérieure à la rétractation du promettant, exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. Ce principe a par la suite été réitéré à de nombreuses reprises, notamment dans des arrêts de la 3e chambre du 26 28 Option Finance n° 1355 - Lundi 29 février 2016 Par Erwan Bordet, avocat of counsel, STC Partners juin 1996 (n° 94-16.326) et du 11 mai 2011 (n° 10-12.875), mais également par la chambre commerciale, dans un arrêt du 13 septembre 2011 (n° 10-19.526). En plaçant le débat sur le terrain de la formation du contrat, et non sur celui de l’exécution du contrat, la Cour de cassation a interdit au bénéficiaire de réclamer une compensation par exécution en équivalent. Le contrat n’est pas formé et ne peut donc recevoir exécution sous quelque forme que ce soit. Le promettant «rétractant» ne s’expose donc qu’à des dommages-intérêts accordés au bénéficiaire au titre de la perte d’une chance d’acquérir des titres ; indemnisation relativement limitée, tant la jurisprudence est restrictive quand il s’agit de ce chef d’indemnisation, et qui, en tout état de cause, ne correspondra jamais à l’intégralité du préjudice réellement subi. Cette solution place ainsi les bénéficiaires de promesses unilatérales de vente dans une insécurité juridique parfaitement incompatible avec la vie des affaires. C’est donc avec satisfaction que certains commentateurs ont espéré, à la lecture d’un arrêt du 27 mars 2008 (civ. 3E, 27 mars 2008, n° 07-11721), un infléchissement de la position de la Cour de cassation, laissant la possibilité aux parties de prévoir expressément, par une clause insérée dans la promesse unilatérale de vente, l’exécution forcée en nature de l’obligation pesant sur le promettant, et d’écarter ainsi l’application de l’article 1142 du Code civil. Cet espoir fut vite déçu par la Cour dans son arrêt du 25 mars 2009 (civ. 3E, 25 mars 2009, n° 08-12237), qui ramena de nouveau le débat sur le terrain de la formation du contrat, rendant nulle et non avenue toute demande d’exécution de la convention objet de la promesse. Juridique Entreprise et expertise 2. Les solutions imparfaites de la pratique Devant cette insécurité juridique «consacrée», les praticiens ont tenté par divers moyens de rendre à la promesse unilatérale de vente une efficacité mise à mal par la Cour de cassation. La pratique la plus usitée consiste en la stipulation dans la promesse d’une renonciation conventionnelle à se prévaloir des dispositions de l’article 1142 du Code civil, assortie d’une clause d’irrévocabilité de la promesse. La combinaison des deux dispositions étant indiquée dans les promesses comme étant de nature, sauf accord préalable et écrit du bénéficiaire, à empêcher toute rétractation unilatérale de la promesse par le promettant pour quelque cause que ce soit, le simple exercice de la promesse par le bénéficiaire dans les conditions qui y sont visées étant suffisant à former la vente des biens sous option. Un deuxième moyen auquel les praticiens ont fréquemment recours, est l’insertion dans la promesse d’une clause de dédit aux termes de laquelle le débiteur peut se délier de son engagement, à charge pour lui de verser une indemnité dite «de dédit» au bénéficiaire ; cette indemnité de dédit étant fixée à un montant suffisamment dissuasif pour rendre très exceptionnelle et douloureuse la rétractation de son consentement par le promettant. Plus récemment encore, certains praticiens ont pu envisager le recours à la fiducie, confiant ainsi les biens sous promesse à un tiers fiduciaire, dans l’intérêt d’un bénéficiaire, pour une durée limitée. Le fiduciaire ayant alors la charge de l’administration des biens objets de la promesse, et ayant l’obligation de les transférer au bénéficiaire en cas de levée de l’option, sans pouvoir recevoir de contrordre du constituant. Pour insatisfaisantes que puissent être ces diverses pratiques, elles ont néanmoins permis de redonner aux promesses unilatérales de vente une certaine efficacité et ont ainsi contribué à sensiblement diminuer le risque d’exécution qui pesait sur le bénéficiaire. Pour autant, il était important que la réforme du droit des contrats puisse inscrire dans le Code civil une solution plus pérenne et satisfaisante. C’est, semble-t-il, désormais chose faite. 3. L’article 1124 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 Le nouvel article 1124 du Code civil, créé par l’ordonnance du 10 février 2016 apparaît comme une évolution notable vers une plus grande sécurisation des promesses unilatérales de vente en faveur des bénéficiaires desdites promesses. Pour imparfaite qu’elle puisse paraître à certains commentateurs, la rédaction de l’article 1124 expose clairement la solution attendue et espérée par la pratique. En effet, après un premier alinéa définissant la promesse unilatérale («La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire»), le 2e alinéa expose le principe nouveau dans les termes suivants : «La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.» Autrement dit, l’article 1124 du Code civil met un terme aux solutions issues de la jurisprudence «Consorts Cruz», en prévoyant que la décision du promettant de ne plus conclure la convention objet de la promesse, pendant le temps laissé au bénéficiaire pour décider de l’exercer ou de renoncer à l’exercer, est sans effet. Le contrat peut être formé par la simple manifestation de volonté du bénéficiaire. Cette solution, pour bienvenue qu’elle soit, est toutefois tempérée par le texte même de l’article 1124, qui pose certaines conditions pour que la simple manifestation de volonté du bénéficiaire de la promesse suffise à former le contrat. Il convient de s’intéresser dans un premier temps à la notion de «temps laissé au bénéficiaire», visée au 2e alinéa de l’article 1124. La promesse devra être assortie d’un délai conféré au bénéficiaire pour exercer son option. A défaut et a contrario, il pourrait être possible au promettant de «révoquer» la promesse. En pratique, toutefois, très rares sont les promesses qui n’enferment pas le bénéficiaire dans un délai strict pour exercer l’option d’achat qui lui est consentie. Le deuxième axe d’attention réside dans le 3e alinéa de l’article 1124, lequel dispose que «le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul». A contrario, le contrat qui serait conclu par le promettant avec un tiers qui ignorerait l’existence de la promesse consentie au bénéficiaire, serait valablement conclu. Ce souci de préservation des droits du tiers, s’il est bien compris, ouvre toutefois une brèche dans la belle construction de l’article 1124 du Code civil et donnera lieu, à n’en pas douter, à quelques débats sur la sanction de la révocation de son engagement par le promettant, au profit d’un tiers de bonne foi. En dépit de certaines interrogations sur l’application qui sera faite de ce texte par les tribunaux (notamment sur le traitement d’une révocation par le promettant, en cas d’absence de délai stipulé dans la promesse, ou concernant la réparation du préjudice subi par le bénéficiaire, en cas de conclusion du contrat par le promettant avec un tiers de bonne foi), les acteurs de la vie des affaires ne peuvent que se féliciter de la plus grande sécurité juridique apportée aux promesses unilatérales de vente par le nouvel article 1124 du Code civil. A noter toutefois que cette réforme entrera en vigueur le 1er octobre 2016, et ne s’appliquera qu’aux contrats conclus à compter de cette date, «les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne». La jurisprudence «Consorts Cruz» n’est pas encore totalement tombée dans l’oubli… ■ Option Finance n° 1355 - Lundi 29 février 2016 29