LA PARABOLE DES TALENTS
Transcription
LA PARABOLE DES TALENTS
LA PARABOLE DES TALENTS Prédication de Frédéric Bompaire du dimanche 16 Novembre 2014 Temple de l’EPU Passy Annonciation Lectures : 1 Thessaloniciens 5, v1 à 16 Matthieu 25, v 14 à 30. X x X La Bible est pleine de surprises, d’interpellations, de clins d’œil, d’humour même. L’hebdomadaire Réforme n’a pas hésité il y a quelques mois à titrer une série d’articles Dieu est humour. Ceux d’entre vous qui savent que depuis 38 ans ma carrière professionnelle est consacrée à la finance et plus précisément à la gestion d’actifs ne peuvent s’empêcher, comme moi, de voir un signe dans le fait que le texte du jour soit la parabole des talents. Dans mon travail, comme un bon serviteur, c’est par le biais de SICAV et de fonds communs de placement que je cherche à faire fructifier l’épargne des clients qui me la confient. Cette parabole des talents, je voudrais dans un premier temps en donner deux lectures : elle est d’une part présentée comme le fondement du capitalisme et d’autre part elle nous montre le visage d’un méchant maître. Ensuite, dans une seconde partie, nous chercherons à lui donner un sens pour nous aujourd’hui à partir de son contexte dans l’évangile de Matthieu et en suivant les précieux commentaires de Paul dans l’épitre aux Thessaloniciens que nous venons de lire. X x X Première lecture de la parabole des talents. Comme dans les fables avec la morale, on aime bien résumer les paraboles d’une formule. Pour la parabole des talents ce serait : « travaillez et faites fructifier les biens qui vous sont confiés ». En écho à la phrase de Guizot pour défendre le suffrage censitaire, « enrichissezvous par le travail et par l’épargne », cette parabole est souvent utilisée pour justifier le capitalisme. En effet on y trouve : - - Un éloge du travail et plus encore une condamnation de la fainéantise prêtée au troisième serviteur ; la troisième lecture du jour, Proverbes 31, fait aussi l’éloge de la femme industrieuse qui, dans un vocabulaire machiste d’il y a plus de deux mille ans, fait honneur à son mari et est la fierté de ses fils; Une récompense de la réussite ; l’esprit d’entreprise est magnifié, il conduit à la bénédiction et la reconnaissance du maître et suscite sans doute une certaine fierté ; Indirectement, une validation de l’intérêt financier que propose le banquier et que n’a pas su obtenir le troisième serviteur. Une première lecture donc mais peut être superficielle. Même en restant dans ce registre de la défense du capitalisme, trois remarques s’imposent : 1 - - - Les deux premiers serviteurs ont fait fructifier le bien de leur maître, ils n’ont pas poursuivi un enrichissement personnel mais se sont montrés fidèles au service d’un autre ; sachons garder la fidélité et l’ouverture à l’autre comme vertus capitalistes ; Le verset 19 commence par « longtemps après… ». l’heure des comptes a sonné plusieurs années après le départ du maître. Voilà qui suggère que c’est dans une vision de long terme que doivent être entrepris les investissements, au rythme de ce que l’on appelle l’économie réelle pour la différencier des bulles spéculatives. Un capitalisme définitivement orienté vers le long terme. Les talents sont une mesure de poids d’abord puis de monnaie. A. Nouis évalue un talent à 20 années de salaire moyen. 1, 2 ou 5 talents, c’est toujours une somme importante. Mais ne s’agit-il pas aussi d’autre chose que d’argent ? Comme dans la parabole du semeur est-ce la Parole qu’il faut faire fructifier ? Les talents, ces dons que nous recevons, ne faut-il pas, chacun, les utiliser au bien commun, les mettre au service des autres ? Il ne s’agit donc pas que d’argent et de capitalisme et aussi je vous propose une seconde lecture de la parabole des talents, comme la parabole du mauvais Maître. Revenons au texte. - - - - - Au verset 15, le maitre dote ses serviteurs de façon inégale, apparemment selon leurs capacités mais cela semble bien discrétionnaire et s’appuie sur un jugement a priori, bien loin de nos idées d’une justice très teintée d’égalité. Peut-être est-ce pour nous rappeler que la justice divine n’est pas la justice des hommes ? Versets 21 et 23, il félicite les serviteurs sans se préoccuper des moyens qui ont conduit au doublement de la somme confiée. Aujourd’hui on dénoncerait un défaut manifeste d’éthique qui ne peut que nous choquer. Peut–être faut-il nous rappeler que le Maître ne félicite pas pour le rendement mais pour la fidélité ? Versets 24 et 26, le troisième serviteur décrit son maitre comme celui qui récolte là où il n’a pas semé et profite ainsi du bien d’autrui qu’il s’approprie, un vol pour ainsi dire. Le maitre ne nie pas cette description peu flatteuse. Mais derrière cette apparente cupidité, peut être faut-il voir une réelle exigence pour soi et les siens ? Le maître châtie au verset 26 et condamne au verset 30 son troisième serviteur qui n’a rien fait d’autre que de rendre exactement ce qui lui avait été confié. Là encore cela heurte notre vision humaine de l’honnêteté et de la justice. Mais ne faut-il pas souligner que la condamnation du Maître vise l’aveu du verset 25, « j’ai eu peur » ? Au verset 29 nous atteignons le comble de l’injustice : le talent du troisième serviteur lui est ôté pour doter le premier serviteur qui en avait déjà 10. Mais ne faut-il pas plutôt être frappé par cette abondance, cette surabondance qui comble ce serviteur fidèle ? On ne compte plus on est dans le domaine de la grâce. Ainsi cette deuxième lecture a priori paradoxale doit également être nuancée. La parabole des talents nous montrerait un maître exigeant, injuste et sévère qui valorise le travail et l’enrichissement. On pressent que son sens est autre. X x X 2 Pour mieux comprendre je vous propose dans une deuxième partie de resituer la parabole des talents dans l’évangile de Matthieu et d’écouter Paul. Dans l’évangile de Matthieu, comme dans tout livre, le chapitre 25 suit le 24. Le chapitre 24 est un récit eschatologique annonçant la fin du monde. Il annonce des guerres, des persécutions, pire encore des luttes fratricides. Il met en garde contre les faux prophètes et l’obscurantisme qui précèdent le jugement. Ainsi de deux personnes qui travaillent dans un même champ l’une sera prise et l’autre sera sauvée selon une décision, une élection, qui ne nous appartient pas et nous dépasse. La conclusion, c’est l’exhortation du verset 42 : « Veillez donc puisque vous ne savez quel jour votre Seigneur viendra. » Elle est comparable à celle du chapitre 13 de Marc, veillez, ou du chapitre 21 de Luc, « veillez et priez en tout temps ». Ainsi nous est annoncé le retour de Jésus. Mais en l’attendant comment devons-nous vivre ? Dans Matthieu, le chapitre 25 vient nous éclairer sur cette vie dans l’attente. C’est le dernier discours de Jésus à ses disciples. Nous sommes à la veille du Jeudi Saint et Jésus leur donne ses dernières instructions. L’évangile de Matthieu est construit sur une alternance de récits et de discours de Jésus. Le premier c’est, à partir du chapitre 5, le sermon sur la montagne qui constitue le cœur de son enseignement. Au chapitre 25 nous avons le 5ème et dernier discours de Jésus, son testament alors qu’il sait que dès le lendemain il va être livré et arrêté. Ce dernier discours se compose de 3 paraboles qui illustrent toutes ce qui est attendu de nous : - Les vierges folles, c’est l’appel à la vigilance pour être prêts ; Les talents, c’est l’incitation au travail, à l’action et la prise de risque ; Le jugement dernier, c’est l’exhortation aux gestes de solidarité. La parabole des talents est donc un message sur la façon de vivre dans l’attente du retour de Jésus, c’est-à-dire de vivre en chrétien. Pour bien comprendre ce que cela signifie, rien de tel que d’écouter Paul. Au chapitre 5 de la première épitre aux Thessaloniciens, il commence par une exégèse en rappelant la vanité des certitudes humaines puisque c’est au moment où nous croirons être en paix et en sûreté que la ruine nous surprendra ; il appelle à la vigilance (veillons et soyons sobres v6) les soldats que nous sommes qui sont destinés au salut en Jésus-Christ. Oui, la perspective noire du chapitre 24 de Matthieu s’ouvre sur le salut. Ensuite, Paul poursuit par une série d’exhortations : - Respectez le travail, notamment celui des pasteurs qui nous dirigent, Soyez en paix entre vous, Soutenez-vous fraternellement, Poursuivez toujours le bien soit entre vous soit envers tous, Soyez toujours joyeux. Ce faisant, il définit un vivre ensemble, qui est une nouvelle formulation du chapitre 25, dans l’attente du retour de Jésus. Il précise au verset 8 notre uniforme : « ayant revêtu la cuirasse de la foi et de la charité et ayant pour casque l’espérance du salut ». Ce triptyque, foi, charité et espérance, c’est celui du chapitre 25 de Matthieu : 3 - - La parabole des talents, c’est l’exigence de la foi qui seule permet d’entreprendre, de se mettre en mouvement et de vaincre sa peur. Entendons résonner en nous les paroles de Jésus à ses disciples lors de la tempête apaisée ou lorsqu’il marchait sur les eaux : « n’ayez pas peur » ; La parabole du jugement dernier, c’est l’illustration de l’amour fraternel, cette charité qui dicte des gestes concrets de solidarité ; La parabole des vierges folles, c’est l’hymne à l’espérance qui justifie l’attente dans la vigilance en étant toujours prêts, selon la devise chères aux scouts. X x X Ainsi la parabole des talents s’éclaire et les commentaires de Paul nous conduisent à comprendre le message de Jésus pour nous : - - - Ce qui est condamné chez le troisième serviteur, c’est la peur qui paralyse et conduit au repli sur soi dans la crainte : ayons confiance. J’aime à imaginer l’existence d’un quatrième serviteur qui s’approche de son maitre pour lui dire : « maitre, j’ai investi le talent que tu m’avais remis, j’ai beaucoup travaillé mais ça a mal tourné et j’ai tout perdu ; alors je me suis endetté j’ai redémarrer et ça commence à aller mieux, je peux de rendre aujourd’hui seulement le quart de ce que tu m’avais confié. » J’’ose croire que le maitre l’accueillerait dans sa joie. La promesse du verset 29 « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a », c’est celle de la surabondance de la grâce et du don gratuit de Dieu : recevons sans compter. La récompense de la fidélité des deux premiers serviteurs, ce n’est pas l’obtention de nouveaux talents, mais c’est d’entrer dans la joie du maitre, un accueil donné à ceux qu’il a choisis ; fidèles et entreprenants au service de tous, appelés au salut nous comprenons l’exhortation de Paul : soyons toujours joyeux. Amen. 4