Procédé de composition instrumentale par montage

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Procédé de composition instrumentale par montage
Université de Montréal
Procédé de composition instrumentale par montage
(Acousmatique instrumentale)
par
Laurent AGLAT
Faculté de musique
Université de Montréal
Thèse présentée à la Faculté des études supérieures
en vue de l’obtention du grade de docteur
en composition
option musique mixte
Août 2008
© Laurent AGLAT, 2008
Université de Montréal
Faculté des études supérieures
Cette thèse intitulée :
Procédé de composition instrumentale par montage
(acousmatique instrumentale)
présentée par :
Laurent AGLAT
a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :
Hugues Leclair, président-rapporteur
Isabelle Panneton, directeur de recherche
Robert Normandeau, co-directeur (s’il y a lieu)
Jean Piché, membre du jury
Michel Pascal, examinateur externe
[Taper le nom] , représentant du doyen de la FES
iii
Résumé
Dans la présente thèse, j’expose le procédé de composition par montage sur
lequel je travaille depuis cinq ans. En analysant une douzaine de mes œuvres, je tente de
définir et d’élaborer un procédé de composition instrumentale qui tire avantage des
outils de l’électroacoustique. L’objectif de ma démarche est d’élaborer de nouvelles
voies dans l’écriture idiomatique pour instrument,
tant par la multiplication des
possibilités d’orchestration que par la précision et la virtuosité rythmiques. Ainsi, le
processus de composition fait plus que simuler l’écriture instrumentale, il devient luimême « écriture » et, cela, sans contraintes économiques ni humaines. Cette méthode
permet d’éliminer la distance, inhérente à la musique de concert, entre l’instrument et
l’auditeur.
On retrouvera l’acte de composition à toutes les étapes du travail de création
(enregistrement, coupe, catalogage et montage). On n’a ainsi qu’à s’imaginer un jeu de
Lego™ sonore permettant au compositeur non seulement de construire des pièces à
partir d’objets existants, mais aussi de créer les objets eux-mêmes, en décidant de leur
forme, de leur longueur et de leur couleur.
En ce sens, on constatera que la création d’une banque de sons est déjà, en soi,
une œuvre ouverte qui recèle d’innombrables choix compositionnels; je propose un
type d’artisanat musical qui permet au compositeur de rester maître de tous les
paramètres de sa musique, de l’enregistrement des sources jusqu’à sa diffusion.
Grâce à l’analyse de divers ouvrages et articles, tant en musique
concrète/électroacoustique qu’en musique instrumentale, je tente de définir l’expression
« acousmatique instrumentale », évoquée par le compositeur Michel Pascal, afin de
décrire mon approche de composition instrumentale par montage.
Mots-clés : composition, montage audio, banque de sons, acousmatique, instrumentale
iv
Abstract
In this thesis, I will present the compositional method on which I have been
working for the past five years. Through an analysis of a dozen of my pieces, I will
define and elaborate a method of instrumental composition that takes advantage of the
tools of electro-acoustic music. The goal of this approach is the creation of new paths in
idiomatic instrumental writing, by both the multiplication of orchestrational possibilities
and more precise, virtuoso rhythm. Thus, the compositional process does more than just
simulate instrumental writing – it becomes itself ‘writing’, without the traditional
human and economic constraints. This method eliminates the inherent distance of
concert music between the instrument and the listener.
We consequently find the compositional act in all the steps towards the sounding
work (recording, editing, cataloguing and editing). One can imagine a set of Lego™like sound blocks enabling the composer to not only build pieces out of existing objects,
but also create the objects themselves, choosing their form, length and color.
In this sense, I assert that the preparation of a specific grouping of sound blocks
(which I call a ‘sound bank’) constitutes a new form of ‘open work’, offering
innumerable compositional choices, and propose a new type of musical craft allowing
the composer to obtain complete control of all musical parameters, from germinal idea
to ‘performance’.
Thanks to the analysis of books and articles, on both electroacoustic/ ‘concrète’
and instrumental music, I will attempt a definition of the term ‘instrumental
acousmatics’, coined by the composer Michel Pascal, as a way of explaining my
approach of instrumental composition by audio montage.
Keywords : composition, audio montage, sound bank, acousmatic, instrumental
v
Table des matières
Résumé ……………………………………………………………………………... iii
Abstract ……………………………………………………………………………… iv
Liste des tableaux …………………………………………………………………… vi
Liste des figures …………………………………………………………………….. vii
Introduction …………………………………………………………………………. 1
Chapitre 1 Présentation générale du procédé de composition par montage
1.1 Étapes de la réalisation d'une œuvre……………………………………... 8
1.2 Évolution de mon approche……………………………………………… 12
1.3 Relation avec d’autres pensées musicales……………………………….. 16
1.4 Application du procédé…………………………………………………...17
Chapitre 2 Réflexions
2.1 Essai d'une définition d'Acousmatique instrumentale………………….... 22
2.2 Collectif de composition - La banque de son comme œuvre ouverte….... 28
2.3 Questions et réponses à moi-même…………………………………….....32
2.4 Problèmes de diffusion de la musique instrumentale "non-live"………… 42
Chapitre 3 Présentation des pièces
3.1 Débouchées……………………………………………………………… 44
3.2 Essai orchestré…………………………………………………………... 47
3.3 Blouskaille Olouèze (quatuor à cordes monté)………………………..... 50
3.4 Percu Montée……………………………………………………………. 56
3.5 Piano monté (Impressions de Tokyo)…………………………………… 58
3.6 Violon monté……………………………………………………………. 63
3.7 C'est ainsi qu'on avale Artaud (violoncelle, scie, frottements sur vitre)… 65
3.8 L'Éducation Physique (piano, clavecin, violoncelle)……………………. 68
3.9 Instruments japonais montés (Sankyoku) (Shamisen, Koto, Biwa, Shakuhachi). 70
3.10 Essais pour orchestre monté……………………………………………. 80
3.11 Babel (flûtes montées)………………………………………………….. 81
3.12 Pièce Montée Finale…………………………………………………….. 84
Conclusion…………………………………………………………………………… 94
Bibliographie………………………………………………………………………… 96
Annexe……………………………………………………………………………….. I
vi
Liste des tableaux
Tableau no 1 Types de manipulations électroacoustiques
compatibles avec le procédé de composition
instrumentale par montage.……………………………….
11
Tableau no 2 3 accords de Blouskaille Olouèze ……………………….
50
Tableau no 3 Thème de Blouskaille Olouèze …………………………..
51
Tableau no 4 Code de classement des accords de Blouskaille Olouèze ..
52
Tableau no 5 Motif de Eeffee…………………………………………….
69
Tableau no 6 Graphique formel de Pièce montée finale 1er mouvement…
85
Tableau no 7 Graphique formel de Pièce montée finale 2e mouvement…
88
Tableau no 8 Graphique formel de Pièce montée finale 3e mouvement.....
92
vii
Liste des figures
Figure no 1 Sagrada Familia, New York Times, 22 août 2004………………..
4
Figure no 2 Flyer de Pouliches, photo: Thomas Israël…………………………
19
Figure no 3 La poignée de porte, photo: M-J Lareau…………….…………….
19
Figure no 4 Hiémal, photo: Aurélie Pédron…………………………………….
19
Figure no 5 Cirque Carpe Diem ………………………...……………………..
20
Figure no 6 Manden og Magen .……………………………………….……….
20
Figure no 7 Hvis jeg glemmer dig ……………………………………....………
20
Figure no 8 SAAQ – Alcool…………………………………………..…………
21
Figure no 9 Interprètes de Blouskaille Olouèze, photo: M-J Lareau…..……….
50
Figure no 10 Partition Blouskaille Olouèze1, photo: M-J Lareau………..……..
53
Figure no 11 Partition Blouskaille Olouèze 2, photo: M-J Lareau……….……..
54
Figure no 12 Instrumentation de Percu Montée…………………………………
56
Figure no 13 Partition d’écoute de Percu Montée ……………………….……..
57
Figure no 14 Photo Japon no1, photo: Laurent Aglat……………………………
58
Figure no 15 Photo Japon no2, photo: Laurent Aglat……………………………
59
Figure no 16 Photo Japon no3, photo: Martin Girard……………………………
60
Figure no 17 Photo Japon no4, photo: Laurent Aglat……………………………
61
Figure no 18 Colère de violon, photo: ARMAN…………………………………
63
Figure no 19 Violon monté, Laurent Aglat ………………………………………
64
Figure no 20 Flyer de C’est ainsi qu’on avale Artaud…….……………………..
65
Figure no 21 C’est ainsi qu’on avale Artaud, photo : A. Pédron………………...
66
Figure no 22 L’Éducation Physique, photo : Y. Macdonald……………………..
68
Figure no 23 Shamisen et Bachi………………………………………….……….
70
Figure no 24 Koto 13 cordes……………………………………………………...
71
Figure no 25 Nanae Kumashiro, photo: Laurent Aglat………..…………………
71
Figure no 26 Partition d’écoute de Koto monté no1…………………………….
73
viii
Figure no 27 Biwa, photo: Laurent Aglat………………………………………..
74
Figure no 28 Montage Hideki Ishigaki, photos: Laurent Aglat………...……….
75
Figure no 29 Partition d’enregistrement des Shakuhachi………………………..
77
Figure no 30 Isao Matsushita, photo: Laurent Aglat…………….………………
78
Figure no 31 Montage de Sankyoku monté 2e mouvement………………………
79
Figure no 32 Saz, photo : Laurent Aglat………………………………………….
89
ix
À l’ouïe
x
Remerciements
Merci à Madeleine Aglat, ma mère, à Véronique, Azusa, Nelly, Gilles et Alice,
Martin Girard, René Bricault, Hugo Duchesne, Simon Bertrand, Robert Normandeau,
Michel Pascal, Isao Matsushita, Nanae Kumashiro, Hideki Hishigaki, Jean-Christophe
Lizotte, Marie-Ève Legendre, Arianne Couture, Renaud Lapierre, Bojana Milinov,
Josée Poirier, Némo Venba, Simon Gauthier, Séverine et Élodie Lombardo (sœurs
Schmutt), Aurélie Pédron, Manon Oligny, Nicolas Therrien, Guido Del Fabbro, LG,
Alain Quirion,
et un merci particulier à Isabelle Panneton.
Introduction
"Writing about music is like dancing about architecture" 1
-Elvis Costello
Comme bien des compositeurs de ma génération, mes premières pièces
musicales n’ont pas été réalisées sur un piano et encore moins sur une feuille avec des
portées, mais plutôt avec un magnétophone quatre pistes sur cassette. Le mien était un
Fostex; je le possède toujours et, bien que l’érosion du temps l’ait privé de quelques
pièces, il ornemente toujours le mur de mon studio. J’aurais bien aimé être l’un de ces
compositeurs qui laisse couler les notes sur la partition mais, manque de pot, bien avant
de savoir ce qu’était une quinte diminuée, je boundçais mes pistes sur mon 4 tracks.
Ces premiers balbutiements avec le son restent probablement la raison principale de
mon parcours musical. N’ayant pas été initié à la musique avant l’âge de quatorze ans,
une sérieuse et intense formation était essentielle pour récupérer le temps perdu et pour
atteindre mon but d’être un «vrai» compositeur. J’ai donc dû, à quelques reprises,
mettre de côté cette attirance pour la musique enregistrée au profit d’une formation
classique et de la composition pour la musique de concert.
En 1994, lors de ma première année au baccalauréat en composition à la faculté de
musique de l’Université de Montréal, j’ai eu le privilège de suivre des cours de
composition électroacoustique complémentaire avec Monsieur Francis Dhomont. Ce
que j’ai appris dans cette classe fut d’un immense apport dans mon apprentissage
musical et m’a ouvert les yeux sur des choses capitales : mes expérimentations
1
-Elvis Costello, dans une interview de Timothy White intitulé "A Man out of Time Beats the Clock."
Musician magazine No. 60 (Octobre 1983), p.52.
2
solitaires et le peu que je connaissais sur l’exploration du son avaient une valeur aux
yeux de l’Institution musicale, qu’il n’était pas vain de faire des recherches dans le
domaine de la musique non classique, que le monde parallèle de musique rock et/ou
expérimentale dans lequel j’œuvrais n’était pas un facteur de gêne, bien au contraire. Ce
constat coïncide avec la mort de Frank Zappa, qui est, selon moi, un des plus grands
compositeurs de la fin du 20e siècle, une personne qui a osé mettre en relation ces
musiques supposément différentes.
J’ai tout de même persévéré dans le domaine de la musique instrumentale. Je me
suis intéressé de près à l’hétérophonie et aux variations thématiques dans le cadre de ma
maîtrise sous la direction de Jose Evangelista. Mon mémoire avait pour titre Étude
formelle des techniques de variations thématiques. Ainsi j’ai pu approfondir, par
l’hétérophonie entre autres, mon étude de l’orchestration et la manipulation des timbres
instrumentaux. C’est durant ces années que j’ai eu l’idée d’orchestrer de courts thèmes
par l’intermédiaire des manipulations par ordinateur. Cette approche, qui permet de
varier les thèmes timbralement, est devenue la base de mes recherches doctorales.
Cette recherche étalée sur cinq ans et cette thèse, rejoint mes vieilles ambitions
de composer par montage des pièces seul dans mon studio et satisfait une passion qui
s’est développée durant mon apprentissage académique : l’orchestration. Pour ce faire,
j’ai fait appel à deux compositeurs comme co-directeurs : principalement, Isabelle
Panneton, pour le volet instrumental et Robert Normandeau pour le volet
électroacoustique (manipulations par ordinateur, techniques de studios, etc.).
3
L'origine de l'idée de composition instrumentale par montage
Durant mes études de maîtrise sous la direction du compositeur Jose Evangelista,
j’ai travaillé sur l’hétérophonie. Les œuvres issues de ces études sont presque
exclusivement basées sur un thème unique duquel découlait tout le matériel mélodicoharmonique. Ce qui me laissait tout le loisir de colorier librement les variations du
thème.
Pour mieux approfondir ce coloriage, je me suis rendu en France, au Centre
Acanthes, pour suivre le cours de Helmut Lachenmann afin d’étudier sa musique de
bruits instrumentaux, voire de parasites sonores orchestrés. J’ai eu la chance d’être
témoin des répétitions de sa musique pour cordes par le très réputé quatuor Arditti.
C’est ainsi que j’ai pu me rendre compte de la difficulté de noter cette musique en
partition et de la transmettre aux interprètes, même de ce calibre. Je me suis dit alors
qu’il valait mieux enregistrer ces effets et les monter électroacoustiquement si l’on
voulait vraiment obtenir le résultat espéré plutôt que de s’acharner à tenter de faire
comprendre (et encore…) la volonté du compositeur à travers une écriture
traditionnelle, et ce, à chaque interprétation de la même œuvre. Il y a, je crois, des
contextes où l’écriture ne permet pas de véhiculer exactement ce que le compositeur
désire faire entendre.
En ce qui a trait aux effets instrumentaux, il est clair que la composition par
montage offre une complexité et un niveau de précision n’ayant rien à voir avec les
performances live.
4
Ce qui lie le sujet de mon mémoire de maîtrise à celui de la présente thèse est le
fait que les banques de sons laissent une énorme place au coloriage timbral. Ces études
passées m’ont enseigné à colorier les thèmes uniques et je crois, lors de mon parcours
doctoral, avoir fortement approfondi mes capacités de coloriage instrumental. Je vois
dans cette progression un lien ludique, une volonté de m’amuser librement avec
l’orchestration, que ce soit en concert ou à l’ordinateur. L’image qui décrit le mieux
cette façon de procéder est celle d’un grand jeu de Lego™ sonore. À partir d’une même
collection de pièces (blocs son), on peut créer, en les assemblant, une grande quantité
d’objets, de sculptures. Leur couleur restera toutefois la même.
Enfin, j’éprouve quelque chose de rassurant à l’idée d’avoir devant moi la
totalité des sons que j’emploierai, un matériel prêt à être utilisé et dont la qualité sonore
permet d’obtenir un résultat final.
Le vrai et le reproduit
Quelque chose échappe encore à la
reproduction
sur
photographique,
support.
Qu’ils
cinématographique
soient
ou
acousmatique, tous les supports esclaves d’une
diffusion ne transmettent qu’en partie la réalité.
Jamais une photo ou un film de la Sagrada
Familia ne rendra l’effet impressionnant de la
contempler sur place, en tous cas, pas pour
l’instant.
5
Il en va de même pour la rediffusion d’une symphonie de Mahler sur hautparleurs haut de gamme : il existe une complexité dans le phénomène naturel que le
support ne permet de diffuser que partiellement.
Si on ne s’en tient qu’au son, plusieurs facteurs entrent en jeu dans
l’enregistrement d’une œuvre musicale. Il y a tout d’abord la prise de son ainsi que tous
les choix qu’elle sous-entend quant aux microphones :
- l’emplacement (près ou non de la source)
- le choix (la marque et les spécificités)
- le nombre
- la nature de la pièce (l’acoustique de la salle, la quantité et la sorte de réverbération
naturelle)
À ce point, nous nous éloignons déjà d’une écoute purement acoustique d’un
ensemble instrumental. Nous avons tous vécu cette expérience frappante que constitue
l’audition, à l’extérieur, d’un orchestre amplifié par des microphones, que l’on entende
la source ou non. La complexité du son orchestral et la fusion des timbres (blend) en
sont cruellement changés. Bien que ces variations de blend aient un certain intérêt, pour
ne pas dire un intérêt certain, elles sont pratiquement impossibles à prévoir dans une
partition et, de plus, elles sont difficilement contrôlables parce que le résultat varie
énormément selon la position de réception du son.
C’est pour cela que je considère le vrai et le reproduit comme deux approches
différentes de l’organisation du son, de la même manière que le théâtre et le cinéma, qui
sont différents du point de vue de la mise en scène du scénario, constituent deux arts à
part entière.
6
La musique instrumentale par montage se rapproche d’avantage du cinéma,
tandis que la musique de concert se rapproche plus du théâtre (tel que mentionné plus
haut). Évidemment, si l’on choisit la musique instrumentale par montage, il faut faire
une croix sur la performance live si impressionnante des orchestres (l’enregistrement
des performances orchestrales se situant dans la même catégorie, celle du « reproduit »).
On bénéficie par contre, selon moi, d’une foule d’autres avantages :
• une instrumentation illimitée;
• des possibilités d’orchestration nouvelles, des combinaisons instrumentales
impossibles à reproduire (par exemple les plans sonores et les jeux d’amplitude);
• une absence de problèmes techniques et humains associés aux productions de
concerts, en plus des coûts de production incomparables;
• une grande malléabilité pour la synchronisation des musiques appliquées;
• la possibilité de maîtriser tous les paramètres, de donner au compositeur un
pouvoir absolu sur les moindres détails de l’œuvre qu’il veut créer et
communiquer.
Il est vrai que le sentiment de la musique instrumentale, traditionnellement de
concert, n’est pas possible avec cette technique du « reproduit ». Si ces disciplines sont
à tous points de vues parentes, relèvent-elles exactement du même art? Le théâtre et le
cinéma, la peinture et la photographie, la danse et le vidéo-danse sont autant
d’exemples d’arts cousins qui se distinguent nettement les uns des autres, tout comme la
musique instrumentale de concert se distingue de la musique instrumentale par
montage.
7
On pourra faire valoir que cette différenciation entre musique live et musique
non live n’est que la continuité du combat (pas encore gagné) qu’a mené la musique
électroacoustique au XXe siècle, ce qui n’est pas faux. Le point qui, selon moi, change
la donne est le fait que, avec cette méthode de composition par montage, on poursuit les
mêmes fins que la musique de recherche instrumentale et que ce procédé a le pouvoir de
l’englober, de la contenir (quoique sur support seulement, est-il besoin de le rappeler).
L’ambition de la musique électronique, concrète ou électroacoustique, créée en studio
par les pionniers n’avait pas l’ambition et, surtout, pas les moyens de rivaliser avec la
qualité sonore d’un orchestre enregistré.
Si on examine l’approche instrumentale par montage, on peut voir un lot de
similitudes avec la musique de concert. En plus du rythme et de l’harmonie, le matériau
de base est le même : les timbres instrumentaux (instruments traditionnels ou inventés).
Une différence majeure réside cependant dans la diffusion de l’œuvre et elle se situe au
niveau de la notation. Il est possible de produire une partition traditionnelle après
l’interprétation définitive du compositeur (descriptive), la fabrication d’une pièce
instrumentale montée, pour des fins d’analyse et d’écoute, mais jamais l’interprétation
de cette partition (prescriptive) ne pourra reproduire intégralement le contenu de cette
même pièce. Je partage l’avis de Michel Pascal lorsqu’il affirme que la limite de la
notation est l’enregistrement lui-même.
8
« Certains éléments fondamentaux de la musique ne peuvent donc être écrits, ou du
moins, si on peut arriver à les transcrire plus ou moins exactement, ils ne peuvent être
reproduits en partant de la notation. Le processus de l’écriture les a stérilisés. »2
2
Sémantique musicale, Alain Daniélou, Herman, Paris 1967, p.28
Chapitre 1
Présentation générale du procédé de composition par montage
Dans le présent chapitre, j’expose les étapes de réalisation d’une œuvre
construite à partir d’une banque de sons, selon le procédé de composition instrumentale
par montage. Après avoir défini chacune de ces étapes, je retrace, grâce à des exemples,
l’évolution de mon approche qui aura pour fin la composition de Pièce montée finale.
1.1 Étapes de la réalisation d’une œuvre
Il existe plusieurs façons d’approcher la construction d’une banque de sons. En
fait, chaque banque est différente du point de vue du contenu et de la méthodologie.
Dans ce qui suit je décris les points communs de toutes les banques dont j’ai
expérimenté la réalisation durant mes études, ainsi que leurs particularités.
a. Planification générale de la banque de sons
L’étape de la planification (a) consiste à faire des choix sur les plans mélodique,
harmonique et timbral. C’est ici que se décide l’idée globale du matériau sonore brut
qui servira à créer la ou les futures pièces par montage (e).
b. Écriture des fragments
Il faut ensuite prévoir la durée et écrire avec plus ou moins de précision (selon le
cas) des fragments musicaux que les instrumentistes auront à jouer en studio : des
itérations, des phrases mélodiques, des accords, de l’improvisation, etc. Ces fragments
sont, en eux-mêmes, intimement liés à la planification. Je le précise car dans le cas de
quelques banques, cette étape n’existe pas : ainsi, pour des banques où seuls les timbres
ont été planifiés et la prise de son exécutée en improvisation, on passe directement du
point a. au point c.
10
En respectant les choix faits à l’étape de la planification, c’est ici que les
partitions que les instrumentistes exécuteront en studio sont produites. En bref, c’est
dans cette deuxième étape qu’on fixe ce qu’il y aura à jouer et la façon dont se
déroulera l’enregistrement de manière à maximiser le temps de studio. On peut dès lors
avoir une idée approximative des objets sonores non écrits qui seront improvisés au
moment même de l’enregistrement. Le point b concrétise par écrit l’idée musicale
planifiée de la première étape et permet aussi une certaine «prévision» de l’imprévu
improvisé.
c. Enregistrement (prise de son)
Puis vient l’enregistrement qui exige de prendre des décisions d’ordre technique
mais qui ont une importance capitale pour la définition des sons, comme le choix d’un
enregistrement mono ou stéréo, le choix et le nombre de microphones, la proximité de
l’enregistrement des objets sonores, la réverbération naturelle.
d. Coupe et Catalogage
Après l’enregistrement, il faut prévoir la façon dont seront catalogués tous ces
objets et tous ces gestes pour faciliter leur sélection et leur extraction au moment du
montage. On peut les classer par rapport à leur timbre, leur source (instrument), leur
fonction (accord, mélodie, itération) et leur épaisseur (seul ou ensemble). Cette étape
est celle où on effectue un filtrage : certains objets sont rejetés, d’autres conservés. Il
faut ensuite les nommer et les classer de façon simple et efficace afin de permettre au
compositeur de se retrouver rapidement durant l’étape du montage. (voir exemple de
catalogage des accords de Blouskaille Olouèze au chapitre 3.3)
Même si toutes les étapes sont importantes dans la composition par montage à
partir d’une banque de sons, la coupe reste pour moi la plus importante avec,
11
évidemment, le montage proprement dit. Tout le travail qui a précédé est ici filtré et
chaque choix représente un minuscule acte de composition. C’est l’étape où la banque
de sons se concrétise, où le compositeur met sa couleur et par la coupe et par la façon de
classer les objets. Toutes les décisions qu’il a fallu prendre sont hautement subjectives
et rendent unique chaque banque.
e. Montage audio
Le montage est la composition proprement dite : la manipulation et la mise en
place des sources sonores dans le temps et selon la forme désirée par le compositeur.
C’est l’étape électroacoustique où le compositeur manipule une matière sonore devant
son écran d’ordinateur. Dans le cadre de ce projet et pour respecter mes intentions de ne
pas composer de musique électroacoustique avec ce procédé, les manipulations
possibles sont limitées par une pensée instrumentale, plus précisément, qui vise un
résultat instrumental. Dans le tableau no 1, je sépare les types de manipulations (d’une
source instrumentale) issues de l’électroacoustique qui peuvent s’inscrire dans cette
pensée, de celles qui altèrent trop l’essence du son original. Évidemment, tout procédé
de synthèse sonore et toute source non « jouée » en sont exclus. (voir chapitre 2.1,
définition de « instrumental ».)
12
Tableau no 1
Types de manipulations électroacoustiques compatibles
avec le procédé de composition instrumentale par montage
Compatibles
Incompatibles
Accumulation
Micro-montage
Variation de hauteur*
Spatialisation (pan)
Variation de l’enveloppe*
Mise en boucle
Filtrage*
Compression
Réverbération
Chorus*
Delai/Echo
Reverse
Déphaseur
Modulation en anneaux
Distortion
Flanger
Chorus
Vocoder
(innombrables effets)
* = avec modération
En d’autres termes, au moment où la manipulation devient telle que le son (pris
individuellement) ne peut plus être reproduit acoustiquement (même dans l’idéal), on
sort de l’acousmatique instrumentale.
Pour finir et pour souligner le principe « instrumental » que je cherche à
maintenir, les pièces résultant de cette banque devraient pouvoir, idéalement, être
transcrites sur des partitions traditionnelles; cette tâche est d’autant plus facile avec des
banques de fragments écrits au départ. Pour les autres, il devrait être possible de
concevoir une partition d’écoute approximative. Cette décision force le compositeur à
garder à l’esprit les principes de construction rythmique, harmonique et timbral d’une
composition instrumentale, principes décuplés par des possibilités que la musique de
concert ne permet pas. La rigueur qu’impose l’objectif de la réécriture force à tenir une
pensée instrumentale et non électroacoustique. C'est-à-dire, sans générer de sons
13
autrement que par l’instrument en soi, et en ayant comme optique l’instrument comme
il sonne, sans modification. (voir chapitre 2.3.2)
1.2 Évolution de mon approche
1.2.a Les premières expérimentations
Dans les premières pièces, j’ai expérimenté plusieurs types d’écriture et de
partition. Au début, tous les fragments étaient précisément écrits comme pour une
partition qui aurait à être jouée en concert. Les résultats étaient satisfaisants mais
quelque chose de plus intéressant est arrivé. En effet, pour la banque de Blouskaille
Olouèze, je me suis retrouvé, en plus de ce que j’avais planifié, devant une trame brute,
remplie de sons parasites, de ratés, de fausses notes, etc. Une fois arrivé à l’étape de la
coupe et du catalogage, j’ai constaté l’énorme quantité d’objets sonores intéressants que
les instrumentistes avaient produit involontairement.
Ce qui me ramène à l’écriture de fragment elle-même avec cette donnée
complexe de plus : prévoir l’imprévisible. Pour les constructions de banques qui ont
succédé à celle de Blouskaille Olouèze, j’ai approché l’écriture de différentes façons.
Premièrement, les fragments de partitions sont plus courts. Comme je l’ai mentionné
précédemment, cette façon de procéder laisse une plus grande liberté au moment du
montage.
Deuxièmement, j’ai retiré, dans ces extraits, les détails de nuances, d’attaques,
de tempo et même parfois de phrasés, au profit de consignes données oralement en
studio. La même portion de partition est jouée et rejouée, chaque fois en modifiant un
paramètre. L’écriture de fragments, tout en restant une écriture, s’est légèrement
14
transformée en « planification du temps de studio ».
J’ai de plus expérimenté avec la banque des Pianos montés une approche
différente. L’écriture des objets sonores que j’avais planifiée ne s’est pas effectuée sur
des partitions conventionnelles. J’ai simplement énuméré ce que je désirais retrouver
dans la banque : notes seules f et p, clusters dans chaque registre, rythmes en boucle à
l’intérieur du piano, glissandi, etc. Cette façon de procéder, en comparaison avec des
partitions écrites de façon conventionnelle, a eu pour effet d’enrichir ma banque avec
des objets sonores plus spontanés et, de plus, d’augmenter l’importance du rôle de la
coupe et du catalogage. Les idées sonores n’étant pas écrites précisément, plusieurs
reprises d’une même idée étaient nécessaires pour arriver à un résultat satisfaisant. Par
analogie, on peut voir ici une approche similaire à celle du cinéaste qui tourne plusieurs
scènes pour se laisser une marge de liberté au montage.
1.2.b Dilemme
Dans le cadre de la planification de la banque de sons qui servira à la
composition de ma pièce finale, Pièce montée finale, j’ai fait face à un dilemme. En
effet, la banque de Blouskaille Olouèze, par exemple, était constituée de multiples
fragments de durées plutôt longues (entre trois secondes et une minute) et d’une énorme
quantité d’accords de différents renversements et hauteurs (cette pièce contenait trois
accords différents de quatre sons). L’expérience fut fructueuse au niveau harmonique
mais restait encore trop « écrite » et n’offrait pas une quantité satisfaisante de
possibilités de montages différents. En d’autres mots, les fragments disponibles étaient
trop longs, trop marqués, trop repérables et leur sens musical était trop complet pour
15
pouvoir m’en servir de nouveau une fois entendus et m’en servir à ma guise3. J’ai été
confronté aux mêmes limites lorsque j’ai utilisé ce type de banques faites de longs
fragments pour la pièce pour piano, clavecin et violoncelle : L’éducation physique. Du
point de vue de la cohérence, par contre, le résultat était excellent.
Passons à un problème opposé : l’expérience des Pianos montés. La banque que
j’ai construite pour ces différentes pièces fut simplement un échantillonnage des 88
notes du piano. 88 notes longues p et f, 88 notes courtes p et f. J’ai eu de très bons
résultats, mais j’ai dû renforcer ma banque en y ajoutant des objets pianistiques pour
qu’émerge quelque chose de plus intéressant. Donc, en plus des notes, la banque
contenait une foule d’événements comme des clusters, des glissandi, de la percussion
de l’intérieur du piano, des grattements de cordes, etc. L’utilisation de ces objets
entremêlés avec les notes pures me donnait, à l’étape du montage, des possibilités plus
restreintes mais, curieusement, offrait une plus grande liberté que la banque de sons
trop précise de Blouskaille ou de L’éducation physique. Pour que la composition par
montage trouve toute sa pertinence, il fallait donc une planification à mi-chemin entre
ces deux approches : des notes, de courts fragments, des bruits parasites, des fonds
sonores (fragments plus longs), le tout dans l’optique de garder un nombre maximal de
possibilités d’agencements sans avoir l’impression trop grande de « déjà entendu ».
L’élaboration de ces banques a donc contribué à la méthode de construction des
banques de sons qui ont suivi. Les banques de la pièce Percumontée, du collectif de
composition et de toutes les pièces de Violons montés offrent des exemples de banques
qui sont satisfaisantes dans la mesure où elles donnent aux compositeurs une grande
3
En restant dans l’analogie du jeu de Lego™ sonore, une image me parait éloquente pour illustrer cette situation :
lorsque dans un assemblage spécifique, par exemple une voiture en Lego™, on retrouve un bloc dédié à la
construction, appelons-la la pièce maîtresse, on peut difficilement se servir de cette pièce à d’autres fins que pour
laquelle elle est destinée.
16
liberté et de nombreuses possibilités tout en étant cohérentes. Elles renferment assez de
motifs caractérisés pour distinguer la couleur de la banque et assez de variétés dans les
timbres et les durées pour laisser une grande marge de manœuvre au monteur.
Cette étape est cruciale pour la suite du processus de composition : les choix
faits définiront la matière première de l’œuvre. La banque de sons impose un
environnement reconnaissable au-delà de l’organisation propre aux différentes pièces
progénitures. Plus encore, elle est même reconnaissable par-delà le style des différents
compositeurs qui s’en serviront. (voir chapitre 2.2, collectif de composition)
1.2.c À propos de l’enregistrement
Les sessions d’enregistrement en studio peuvent prendre plusieurs formes. Cette
étape marque la première étape d’interprétation (le second étant la coupe et le troisième
étant l’interprétation du compositeur au montage). En ce qui concerne la pièce
Blouskaille Olouèze, j’ai écrit des fragments musicaux que le quatuor à cordes a
interprétés sous ma direction. Au moyen de quatre micros (Neumann), un pour chaque
instrument, et d’une prise de son très près de la source, pour minimiser les « leak »
(fuite de son), j’ai enregistré l’ensemble complet sur deux pistes. De plus, deux autres
microphones l’enregistraient en entier (stéréo) dans une salle insonorisée; la
réverbération naturelle de la salle étant inexistante. J’ai pu, de cette manière, avoir
accès, durant le montage, à toute la panoplie de réverbérations artificielles disponibles.
(Dans toutes les banques de sons réalisées, j’ai recherché un son instrumental « mort »,
c'est-à-dire sans réverbération naturelle, sans « room ». Cela permet, lors du montage
final, d’ajouter à mon gré une proximité ou un éloignement artificiel du son. Cette
simple manipulation de réverbération ajoutée joue un grand rôle dans l’interprétation du
compositeur lors de la composition par montage.)
17
Le résultat de ces deux différentes prises de sons (près de la source et loin de la
source) m’a laissé une donnée de plus pour effectuer mes montages.
Dans la plupart des autres banques construites, je n’ai gardé qu’une seule prise
de son. Pour les pianos montés, j’ai beaucoup expérimenté les proximités de micros et
leurs déplacements lors d’un son continu. J’ai aussi tenté de jouer sur la dualité
mono/stéréo ; si les résultats étaient contrastants lors de l’écoute des objets sonores
séparément, ils étaient presque inaudibles une fois montés, superposés. Il existe des
façons plus efficaces de créer ses effets.
J’ai dû faire face à quelques problèmes techniques pour ce qui est de la prise de
son des percussions montées. Je désirais obtenir, comme pour les autres banques, une
prise de son très près de la source. Or, les percussions présentent un défi de taille pour
l’enregistrement : l’écart dynamique. Pour atteindre mes objectifs, il a fallu beaucoup
de temps et plusieurs prises du même objet sonore. Je devais trouver pour chaque
instrument de percussions le point idéal dans l’espace pour atteindre le rapport optimum
attaque versus résonance. Une fois terminée, la pièce Percumontée est la pièce qui
illustre de façon la plus claire cette recherche au niveau de la prise de son.
Toutes ces expérimentations sur l’enregistrement et la prise ont servi à
l’élaboration de la banque de sons du projet final de mon doctorat : Pièce montée finale
1.3 Relation avec d’autres pensées musicales
Ici, je tenterai de situer la musique qui a résulté de cette façon de procéder à
l’aide d’exemples dans le répertoire.
18
Tout d’abord, la musique par montage n’est pas un concept nouveau. L’idée de
composer de la musique instrumentale « non-live » par des moyens technologiques était
déjà mise en place dès les années 50, comme en témoignent les expériences effectuées
par les pionniers de la musique concrète comme Pierre Schaeffer (Suite 14) et Pierre
Henry (Variations pour les cordes du piano, bidule en mi). Évidemment, les moyens
techniques n’avaient pas la malléabilité qu’offrent les moyens d’aujourd’hui, et sans
doute, ces derniers le permettent moins que le permettront ceux de demain. On peut tout
de même en arriver aujourd’hui à une vraisemblance qui permet à la fois de simuler une
instrumentation live et même d’aller plus loin dans l’acousmatique instrumentale.
Des exemples de recherche dans le même sens existent. On n’a qu’à penser à des pièces
comme L’ivresse de la vitesse de Paul Dolden, à Quatuor de Yves Daoust et surtout à
Puzzle de Michel Pascal. Dans ces exemples, la saveur instrumentale ressort clairement
et c’est pour cette raison que je m’identifie musicalement à ces ouvrages. Mêmes si l’on
entend à plusieurs reprises des manipulations que je ne me permets pas (très rarement),
ils restent, avec la pensée de montage en musique concrète de Schaeffer, ce qui se
rapprochent le plus de l’idée d’acousmatique instrumentale, au-delà de toute esthétique,
au sens où je l’entends.
1.4 Application du procédé
Au cours des cinq dernières années j’ai eu la chance de concevoir des musiques
instrumentales par montage grâce à des commandes issues de différentes disciplines
comme la musique de chorégraphie (Blouskaille Olouèze∗, C’est ainsi qu’on avale
∗
= pièce présentée au chapitre 3
19
Artaud∗, L’éducation physique∗, Pouliches, La poignée de porte), de cirque (Starlight C
comme, Cirque Carpe Diem, Duo Main Tenant), de film (Débouchées∗, Manden og
magen, Hiémal, motion urbaine, Hvis jeg glemmer dig, Pays sages), de publicité
(SAAQ, Centre des sciences). J’ai aussi conçu les bandes instrumentales pour des pièces
de concert (Babel∗, Printemps noir, Cris retenus).
Le montage se révèle un outil efficace pour suivre les trames dramatiques pour
plusieurs raisons. D’abord, le réalisateur/chorégraphe/metteur en scène, a un accès
direct à la musique finale en collaboration avec le compositeur. Le matériel est
facilement manipulable et dans le temps et dans l’épaisseur instrumentale. Cela réduit
considérablement le temps de production musicale et d’ajustements (réécriture de
partitions, re-engagement de musiciens, réenregistrement, etc.). Aussi, on peut créer de
la musique supplémentaire avec des possibilités de montages différents, toujours tirés
de la banque créée pour le projet, tout en gardant la cohérence de la pièce/film. Par
exemple, lors d’une des reprises de la chorégraphie Blouskaille Olouèze au Mexique,
deux nouveaux tableaux se sont incorporés au spectacle, il fallait de la nouvelle
musique. Je n’ai pas réécris ni engagé de nouveau les musiciens ni payé de nouveau le
studio, j’ai repris le matériel enregistré et classé et j’ai monté deux nouvelles pièces. On
peut aussi produire de la musique pour d’autres situations comme le générique d’un
film, la musique du menu DVD, la musique d’entrée et de sortie du public d’une
chorégraphie, bref, pour toutes les situations connexes qui n’ont généralement pas de
budget disponible.
20
EXEMPLES :
Chorégraphies
Pouliches
Chorégraphie de Manon Oligny présentée à
Tangente (Montréal, 2007) et au Théâtre de la
Balsamine (Bruxelles, 2008)
Extrait vidéo (CD3 data)
La poignée de porte
Chorégraphie de Marie-Josée Lareau 2005
Extrait vidéo
Vidéo-danse (CD3 data)
Hiémal de Aurélie Pédron (2008)
Pièce pour chaise de patio montée
Extrait vidéo (CD3 data)
21
Cirque
Cirque Carpe Diem – Duo de trapèze 2006
Extrait vidéo (CD3 data)
Films
Manden og magen (The man and the albatross) Film
de Daniel Borgman
(Zentropa Productions, Danemark, 2007)
* musique co-composée avec Simon Bertrand
Extrait vidéo (film entier) (CD3 data)
Hvis jeg glemmer dig (Tu nous manques)
Film de Peter Skovfoged Laursen
(Nimbus Films Productions, Danemark, 2008)
* musique co-composée avec Simon Bertrand
Extrait vidéo (CD3 data)
22
Publicité
SAAQ – Alcool
(réalisateur : François Gingras)
Agences Traffik films/Amalgame, 20072008
Extrait vidéo (CD3 data)
Chapitre 2
Réflexions
2.1 Acousmatique instrumentale : essai de définition
Dans ce chapitre, je souhaite d’abord discuter séparément la définition des
termes « instrumental » et « acousmatique », dégager certains problèmes de
terminologie pour ensuite proposer une définition de l’expression « acousmatique
instrumentale » dans son application à ma musique. Cette expression a déjà été
proposée, dans les années 90, par le compositeur français Michel Pascal.
2.1.1 Définir l’Instrumental
De prime abord, il semble aisé de définir ce qu’est l’instrumental.
Traditionnellement, cette notion est associée aux instruments de musique, qu’ils soient
à vents, à cordes, de percussions, pour autant qu’il y ait une hauteur. Je précise que sont
aussi considérés « instruments » des percussions à hauteur indéfinie, des instruments
avec une ancienneté dans leur présence à l’orchestre (grosse caisse, tambourin, caisse
claire, etc.). Pourtant des sons très parents de ces derniers ont longtemps été considérés
comme des « bruits » et non des sons instrumentaux, parce qu’ils ne correspondaient
pas visuellement à un instrument. Aussi, la voix humaine, quand elle ne représente pas
de hauteur (note), n’est jamais considérée en tant que bruit.
C’est ici une première difficulté dans la tentative de définir le terme
instrumental, surtout depuis le XXe siècle où différentes formes, esthétiques et lutheries
musicales ont vu le jour. Deuxièmement, avec la venue de la musique concrète autour
de 1950: où s’arrête l’instrument dans l’instrumental? On peut produire des sons-bruits
avec un violon tout comme on peut sortir une mélodie de frottements de doigts sur une
vitre.
24
La solution ne réside pas selon moi dans la production du son mais plutôt dans
sa réception. Daniel Teruggi écrit :
« Le support… permet la fixation des sons et est en plus manipulable, on peut donc
casser la logique temporelle d’un événement. »4
Je crois que M. Teruggi met précisément le doigt sur ce qui trace, du moins
grossièrement, une limite à ce qui est recouvert par le terme instrumental : la logique
temporelle d’un événement sonore. Tout objet sonore enregistré (non généré) auquel on
laisse sa « vie », son essence, pour ensuite le manipuler est instrumental. Il serait tentant
d’avancer : tout son dont on reconnaît la source comme « jouée » dans un but musical
ou non5, un son joué du début à la fin d’une action produisant un son, s’incorpore dans
la catégorie instrumentale. Je dirais même : jusqu’au moment où la subjectivité de
l’auditeur peut prêter à un son un geste.
2.1.2 Définir « Acousmatique »
Le terme « acousmatique », proposé par Jérôme Peignot dans un article de la
revue Esprit en 1960, fut utilisé dans ce sens: « pour en finir une bonne fois avec
l’expression « musique concrète »6. Il fait référence à un dérivé du terme grec
AKOUSMA : « nom donné à un disciple de Pythagore qui écoutait ses leçons, caché
4
5
Vers un art acousmatique, Groupe de musique vivante de Lyon, 1990
L’action de produire un son, de son attaque à la fin de sa résonance, peu importe s’il se veut expressif, est inclus
dans l’expression « source jouée ». La subjectivité de l’auditeur lors de la reconnaissance d’un geste musical dans
un son est plus importante que la volonté du producteur de ce même son.
6
Cf. Jérôme PEIGNOT, « De la musique concrète à l’acousmatique », Esprit no 280, janvier 1960, p.116
25
derrière un rideau, sans voir son maître; le mot s’est aussi employé comme adjectif
(1811), qualifiant un son entendu sans qu’on puisse en voir la cause.»7
Dans le Traité des objets musicaux, Pierre Schaeffer applique ce terme à la
nouvelle musique concrète en parlant d’écoute acousmatique : le haut-parleur cache
nécessairement la source de la musique qu’il émet. Bernard Fort fait une distinction
intéressante entre concret et acousmatique en considérant le concret comme le mode de
réalisation et l’acousmatique comme le mode d’écoute.
« Concrète, c’est la possibilité de travailler d’une manière expérimentale, de composer
avec la perception. Concrète introduit naturellement à l’idée de support, de mémoire
artificielle de studio, d’empreintes de sons, de différé. De là l’idée de s’intéresser de
plus en plus aux morphologies, aux espaces, aux vitesses, aux spectres et aux
dynamiques plutôt qu’aux valeurs de notes et de rythmes. De là l’idée aussi de s’arrêter
à la notion d’image sonore, de figuration et d’abstraction et, dès lors que le support
permet de dissocier le son de l’image, il impose, comme suite logique, l’entrée dans le
mode acousmatique. Concrète c’est le côté « faire », acousmatique c’est le côté
« entendre ».
Le terme acousmatique peut facilement devenir un mot fourre-tout pour tout ce
qui désigne le non live8. Avec une définition aussi large, on pourrait dire qu’une pièce
pour synthétiseur cache sa source, donc elle est acousmatique, ou qu’une pièce de
Beethoven pour orchestre qu’on enregistre et qu’on diffuse cache aussi sa source et
donc qu’elle aussi est acousmatique. Je crois qu’il faut réduire l’accès à cette définition
en tenant compte de l’intention dans laquelle la pièce a été conçue. Je propose donc la
définition suivante de l’art acousmatique :
7
Dictionnaire historique de la langue française.
8
Toute musique enregistrée et écoutée en différé.
26
Art sonore fixé sur support, composé exclusivement en fonction d’une
projection sur haut-parleurs ou casque d’écoute (ou tout ce qui permettra la
projection dans l’avenir) et dont la diffusion ne peut se faire autrement.
Ceci, à notre époque, désigne tout un lot de musiques électroniques,
électroacoustiques, concrètes, et cela sans du tout tenir compte des différentes
esthétiques. De cette définition, on peut même considérer les pièces mixtes avec bande
(ou autre terme) comme hybrides : instrumentale/acousmatique. Cela exclut les pièces
pour instruments avec traitement en temps réel parce que même si le traitement (et
souvent l’instrument) est diffusé par haut-parleurs, la composition, elle, ne s’est pas
concrétisée sur support pré-exécution.
2.1.3 Définir « Acousmatique instrumentale »
Dans la note de programme de Puzzle Noroît, Michel Pascal écrit :
« Puzzle réunit un orchestre imaginaire un peu comme on parle d'un musée
imaginaire. Un orchestre où jouent des solistes dont on a capté mieux que le son
de leur instrument : une trace vivante, une petite photographie (ou devrait-on
dire, phonographie) de leur personnalité musicale. Un orchestre de musiciens
qui s'expriment dans des styles hétérogènes. Un orchestre réuni grâce au coup
de baguette magique de la fée électroacoustique, celle qui enregistre le son sur
de petits supports magnétiques. Un orchestre dont les instrumentistes ne se sont
pas
rencontrés,
ni
entendus
au
préalable.
Pour chaque instrumentiste, on a enregistré un portrait. Celui-ci signe en un
court laps de temps comme une carte génétique du musicien avec son
instrument. Jouables normalement, ils vont faire référence, générer autant de
passerelles instrumentales
du
domaine
acoustique
vers
l'électronique.
27
Si l'on ne les entend pas directement dans Puzzle Noroît, le matériau des prises
de son, et lui seul, a servi à créer, en studio, avec cette fois une approche non
plus instrumentale mais résolument acousmatique, l'ensemble imaginaire qui
s'exprime
par
cette
musique.
Du frottement de ces deux pratiques, ont jailli d'inhabituels problèmes de
composition, des situations paradoxales qui souvent auront fait muter les idées
premières au travers de la résistance spécifique de ce mode particulier de
composer
que
je
qualifie
aujourd'hui,
d'acousmatique
instrumentale.
Il en résulte une musique essentiellement dépendante du support, mais d'où
l'empreinte vivante des instrumentistes jaillit pourtant à chaque instant. Ils
flottent dans une zone trouble de l'écoute, ni tout à fait celle des instruments
enregistrés, ni totalement acousmatique, sonorités hybrides liées aussi
intimement au geste instrumental qu'à la matière sonore, captives de la mémoire
numérique. »9
Dans ce texte de Michel Pascal, ce qui me semble définir le mieux
l’acousmatique instrumentale est lorsqu’il mentionne que cette musique, créé par et
pour un support, laisse toutefois jaillir l’empreinte des vivants.
À la lumière du texte de Michel Pascal et des entretiens que nous avons pu avoir
à ce sujet, j’aimerais définir l’acousmatique instrumentale comme une addition des trois
points suivants :
ƒ Une branche particulière de la musique concrète qui utilise exclusivement des
sons instrumentaux et dont leur utilisation, au montage, se fait sans utiliser un
traitement qui altérerait leur essence.
9
Notes de programme de Puzzle
28
ƒ Une tentative de recherche en musique instrumentale où le compositeur a accès
directement à la matière sonore qui constituera le résultat final ainsi qu’à des
manipulations qui permettent une virtuosité tant au niveau du rythme que des
hauteurs. Bien plus qu’une simulation, cette façon de procéder amène des
possibilités instrumentales qu’il serait impensable de réaliser dans un contexte
de concert. Un point majeur en ce sens réside dans le contrôle des plans sonores
(proximité et éloignement du son) qui est, selon moi, un paramètre nouveau dans
la recherche en musique instrumentale mais qui est impossible à réaliser en
situation live. La distance qu’impose la musique de concert à l’oreille de
l’auditeur n’existe plus.
ƒ La possibilité électroacoustique de créer une œuvre instrumentale définitive dans
son interprétation et fixée sur support.10
Plusieurs particularités caractérisent la pratique de l’acousmatique instrumentale :
Lors d’un enregistrement où les instrumentistes créent ou recréent une pièce
instrumentale piste par piste, qu’ils soient réunis au même endroit ou non, au même
moment ou non, ils fixent leur interprétation eux-mêmes en rapport avec les autres voix.
Dans le cas de l’enregistrement des sources en acousmatique instrumentale, les
instrumentistes interprètent en produisant des gestes musicaux en relation avec rien
10
Certain proposeront qu’une des plus riches dimensions de l’interprétation réside dans le fait que la musique peut
se faire interpréter par divers interprètes. Ici, ma proposition est de déplacer le rôle de l’interprète traditionnel
directement au compositeur. Le compositeur interprète, performe en quelque sorte sa composition en y plaçant les
sons dont il s’est doté et en y effectuant toutes sortes de manipulations. Le tout, placé définitivement sur une toile
temporelle analogiquement aux couleurs du peintre sur sa toile.
29
d’autre qu’eux-mêmes et c’est au compositeur que revient la tâche de redéfinir
l’interprétation première de ces sons en les mettant en relation, en contexte.
Un autre point particulier de cette pratique au niveau de l’avancement d’une
« écriture instrumentale » par des moyens électroacoustiques réside dans la réutilisation
d’une même événement sonore. Pas seulement une redite, mais une exacte redite
comme l’emploi d’un même mot dans différents contextes. Par exemple, on peut
exploiter les détails d’une source qu’on a capturée et les répéter. Ceci est absolument
impossible à réaliser sans le support.
L’acousmatique instrumentale permet des possibilités d’orchestrations où la
seule limite est l’imagination. Que ce soit pour les timbres à marier ou pour la quantité
de sources à juxtaposer, il suffit de très peu de matériel pour atteindre de riches résultats
instrumentaux. Même si cela est possible en musique instrumentale de concert, ces
possibilités se réalisent beaucoup plus facilement et plus efficacement par la musique
instrumentale par montage pour des raisons pratiques, techniques et économiques.
2.2 Collectif de composition – La banque de sons comme œuvre ouverte
Pour ce projet, j’ai confectionné une banque de sons instrumentaux que j’ai
classés et catalogués. (entendre la banque de sons entière
(CD3 data)).
Pour fin
d’exemples, j’ai composé quelques courtes pièces à partir de cette banque, et seulement
à partir d’elle. J’ai demandé à quatre autres compositeurs, de différents milieux
musicaux, de composer une courte pièce par montage audio à partir cette banque de
sons. Chacun a reçu un CD contenant ces objets sonores, dont la plupart sont catalogués
par écrit dans un fascicule annexé (CD3 data). Chacun a eu à juxtaposer librement les
sons sans leur faire subir une manipulation qui leur ferait perdre leur essence. Par
30
exemple : un son de clarinette tenu pourra subir un changement de hauteur, une
réverbération, un changement d’enveloppe, mais pas un effet de renversement ou un
déphaseur démesuré. L’idée principale de cette méthode reste un principe de
composition instrumentale, idéalement reproductible dans le meilleur des mondes
(même si ce n’est pas le but recherché). J’ai choisi d’imposer ce cadre strict, aux
compositeurs comme à moi-même, pour limiter les possibilités infinies que les
manipulations numériques permettent et surtout pour faire ressortir une certaine
cohérence intrinsèque à la banque de sons à l’écoute des pièces finalisées et ce, au-delà
des différences esthétiques de chacun.
Chaque son est encodé en format .WAV, résolution 16 bits, taux
d’échantillonnage à 44100 Hz. Les compositeurs ont une entière liberté quant au choix
de plateforme (pc et mac) et du (ou des) logiciel(s) d’édition et de montage.
Le but de ce projet est d’expérimenter les prémisses selon lesquelles l’ensemble
du processus de création d’une banque de sons (planification timbrale, écriture,
enregistrement, coupe et catalogage) est en soi une oeuvre ouverte, libre, certes, mais
cohérente et surtout unique.
Au point de vue de la création, les étapes les plus marquantes, même si elles le
sont toutes, sont sans aucun doute :
1. Le montage lui-même, la (ou les) œuvre(s) qui en résultent
2. L’écriture des fragments (s’il y en a)
3. La coupe (dans le matériel sonore)
La coupe correspond au choix concret que le créateur de la banque effectue
directement sur le matériau, sur les objets qui lui semblent intéressants, mais aussi sur
31
les événements sonores non planifiés qui sont présents dans tous les enregistrements.
Cette sélection de couleurs agit directement sur le sonore et est cruciale pour le reste du
travail de composition.
On pourrait faire plusieurs analogies, certains reprocheront que cette étape n’est
que le choix de couleurs ou de pinceaux que le peintre utilise. Je crois que la
comparaison ne rend pas justice à cette méthode. L’analogie qui me semble plus juste
ici serait avec le cinéma où le réalisateur fait des choix dans les scènes qu’il a tournées
(les rush) en vue d’un futur montage.
Les exemples qui suivent ont été composé, outre que par moi, par d’autres
compositeurs. Je voulais mettre en lumière la cohérence timbrale de la banque de sons
imposée pour que ressortent clairement leur organisation et les choix de construction
propre à chacun.
Compositeurs :
Laurent Aglat,
Banque montée no1 (CD1 no1) 0:38
Banque montée no3 (CD1 no2) 1:42
Alain Quirion,
Collectif Quirion (CD1 no3) 2:21
Nicolas Therrien,
NICO BANK NO1 (CD1 no4) 1:41
NICO BANK NO2 (CD1 no5) 2:19
32
Luc LG Breton,
La Doctorate (CD1 no6) 1:38
Guido Del Fabbro,
collectif compo1 (CD1 no7) 1:34
collectif compo2 (CD1 no8) 1:30
33
2.3 Questions et réponses à moi-même
• 2.3.1 En quoi mon procédé de composition est-il nouveau d’un point de
vue compositionnel, historique et socio-économique?
• 2.3.2 À quels moments la partition est-elle pertinente en dehors de la production
des objets sonores, en d’autres mots, en quoi la partition post-production se
révèle-t-elle à être un outil d’écoute et d’analyse?
• 2.3.3 Quelles sont les similitudes et différences entre l’approche
compositionnelle par montage et la composition par échantillonnage?
• 2.3.4 Énumérez les analogies entre la composition par montage et le film
making.
34
2.3.1
• En quoi mon procédé de composition est-il nouveau d’un point de vue
compositionnel, historique et socio-économique?
Quelle que soit l’approche (traditionnelle, électroacoustique, assistée par
ordinateur), la liberté dans tout procédé de composition est essentielle. Elle se révèle
pertinente lorsque son application permet un nombre théoriquement infini de résultats
esthétiques et ne confine pas le compositeur dans un style donné.
Le procédé de composition instrumentale par montage occupe selon moi une
position intermédiaire entre la composition instrumentale traditionnelle et la technique
de montage électroacoustique par ordinateur : il offre la richesse des instruments
acoustiques et les possibilités de manipulation et de juxtaposition qu’offrent le studio et
les logiciels d’édition et de montage. Les résultats qui découlent de cette pratique sont,
selon moi, ce que plusieurs compositeurs instrumentaux ont tenté, par le passé, de
produire par l’écriture sur papier (écriture conventionnelle et même moins
conventionnelle). Pour appuyer cette affirmation contestable, je redonne l’exemple des
quatuors à cordes de Helmut Lachenmann, dont je parlais précédemment.
Le fait de s’attaquer à une banque d’objets sonores instrumentaux échantillonnés
implique une organisation plus près de l’électroacoustique que de la partition. Il serait
sans intérêt d’aborder ce système dans l’intention de recréer une sonate, même si cela
est très possible. Nous sommes donc devant une organisation nouvelle en ce sens qu’à
la conception, elle se représente graphiquement en blocs-sons superposés comme pour
une composition électroacoustique. À cela s’ajoute la contrainte de créer de la musique
instrumentale, idéalement reproductible, que ce soit par un humain ou même une
machine mais toujours sur un objet acoustique, un instrument (voir définition de
l’instrumental). Par exemple, il serait concevable de programmer des pianos
35
mécaniques, ou pianos acoustiques MIDI, et de leur faire jouer des partitions
complètement injouables par les humains mais toutefois le son du piano resterait celui
d’un riche son de piano acoustique.
En raison de ce dernier point, j’avancerais que la musique qui résulte de la
composition instrumentale par montage, représente clairement une recherche nouvelle
pour la musique instrumentale et non pour la musique électroacoustique. Bien qu’il est
possible d’ouvrir le champ aux deux domaines, c’est un choix purement arbitraire de
ma part de vouloir approfondir le champ instrumental et non l’électroacoustique. Parce
que la diffusion de cette musique instrumentale ne peut se faire que par support,
j’adhère à l’expression Acousmatique Instrumentale pour décrire les résultats, terme
que le compositeur Michel Pascal a déjà évoqué dans les années 90, que j’ai tenté de
définir au point 2.1.3.
En plus de nous amener sur un nouveau terrain au niveau de la structure générale
d’une musique instrumentale, le procédé par montage rend possible de nouvelles issues
pour exploiter les instruments traditionnels sans leur enlever leur essence propre. Par
exemple, on peut aisément faire entendre une partie de piano qui demanderait un
effectif technique incroyable en restant loin de l’idée de perdre le timbre du piano si
caractéristique (exemple Impressions de Tokyo, chapitre 3.5). En ce sens, le procédé
offre aux compositeurs une nouvelle voie pour repousser les barrières techniques des
instruments eux-mêmes comme l’ont fait des Vivaldi, Paganini, Liszt.
De nombreux compositeurs, Varèse, Xénakis, Lachenmann, pour ne nommer
que ceux-ci, ont tenté de créer une musique instrumentale qui exploitait le bruit, ou plus
simplement, la juxtaposition de sons instrumentaux pour donner des résultats se
rapprochant de l’électronique sans jamais perdre la saveur instrumentale. Ces œuvres se
trouvent écrites en partitions, partitions parfois plus ou moins orthodoxes, mais tout de
même, une partition devant être interprétée par d’autres humains. Où l’on retrouve des
36
interprètes, on ne peut faire fi du langage. Ces compositeurs téméraires ont dû élaborer
un système de notation qui, au mieux, ne pouvait être qu’approximatif. Grande était leur
volonté d’élargir les possibilités de l’orchestre, des instruments. Des outils sont apparus
(rouleaux de cire, bande magnétique, multipistes) pouvant aider à une manipulation
primitive de ces sons complexes, mais rien par le passé ne permettait une aussi grande
malléabilité que le travail du son par ordinateur que nous connaissons aujourd’hui.
Cette technologie mariée avec la volonté d’amener la musique instrumentale vers
d’autres horizons (non live) est maintenant possible.
Le fait le plus surprenant de cette approche réside dans ses coûts de production
relativement minimes, certainement incomparables avec les coûts de productions d’une
pièce comme Carré de Stockhausen... Avec très peu de sous et un travail de moine au
niveau des enregistrements et du catalogage des sons, on arrive à des résultats
intéressants, à des masses sonores impressionnantes. Edgar Varèse aurait-il été un
disciple actif de la composition par montage? Une chose est sûre, il y aurait dans sa
banque de sons plusieurs sirènes!
37
2.3.2
• À quels moments la partition est-elle pertinente en dehors de la production des
objets sonores, en d’autres mots en quoi la partition post-production se révèle-telle à être un outil d’écoute et d’analyse?
Pour plusieurs pièces, j’ai utilisé la partition pour communiquer aux
instrumentistes des lignes mélodiques, des accords, de courts fragments. La partition
conventionnelle, additionnée de consignes orales, reste encore pour moi le meilleur
langage entre le compositeur et les interprètes. Pour des pièces comme Blouskaille
Olouèze, Débouchées, C’est ainsi qu’on avale Artaud, presque tous les fragments ont
été précisément écrits et interprétés. Au fur et à mesure que j’avançais dans mes
recherches, j’ai naturellement délaissé la précision écrite au profit de consignes verbales
(que j’avais préparées) plus approximatives et aussi j’ai décidé de laisser place à plus
d’improvisation, d’imprévu. Mes enregistrements sont devenus beaucoup plus longs en
temps et par le fait même, en quantité et en variété de sons.
Cette évolution a continué jusqu’à l’absence totale de partition, et même
d’interprète autre que moi-même! Pour des pièces comme Percu montée, Violon monté,
Impressions de Tokyo, j’ai moi-même joué les instruments. Qu’il y ait des interprètes ou
que ce soit le compositeur qui joue lui-même, un nouvelle question se pose : où se situe
vraiment « l’interprétation » dans le procédé de composition par montage? À mon avis,
le montage rend indissociable la composition de l’interprétation, la composition devient
l’interprétation, dans la mesure où le monteur effectue des choix de nuances, de tempo,
de précisions rythmiques, de détails infimes d’orchestration, etc., sur un matériau déjà
existant et, surtout, de façon définitive.
Cela nous ramène à la question de la pertinence de créer une partition postproduction pour des fins d’analyse. Elle représente en quelque sorte la signature de
38
l’interprétation unique d’une pièce. La partition d’écoute d’une musique instrumentale
montée est semblable en intention à la partition d’écoute d’une pièce électroacoustique
avec cela en plus qu’elle s’écrit et peut s’analyser, au moins en partie, avec une écriture
traditionnelle.
Exemples :
Partition d’écoute de Blouskaille Olouèze (CD3 data)
Partition d’écoute de Percu Montée (CD3 data)
Partition de Babel (CD3 data)
39
2.3.3
• Quelles sont les similitudes et différences entre la composition par montage
et la composition par échantillonnage?
À proprement parler, le montage, tel que je l’utilise, est un montage
d’échantillons, de samples. Même si je ne travaille pas de la sorte, il serait fort possible
d’assigner les sons de la banque à des notes MIDI qui seraient contrôlées par un
séquenceur. Ce qui rendrait plus faciles les modifications de tempo sans rien avoir à
modifier dans la succession des blocs sons.
La différence majeure réside dans la complexité et la précision du montage. Par
exemple, si j’ajoute un son de violon, que j’aimerais superposer à lui-même huit fois, en
le variant chaque fois : l’un est huit cents plus haut, l’autre est éloigné par des effets de
réverbération, un autre ne comprend que l’attaque, etc. (En situation d’échantillonnage
il faudrait assigner une nouvelle note MIDI à chacune des variations de ce seul son) La
solution par montage « à la main » est clairement plus efficace, car les logiciels de
montage accélèrent le processus considérablement, spécialement dans les arrangements
complexes quand vient le temps de varier un son sur lui-même un grand nombre de fois.
Il est vrai, d’une part, pour l’économie de temps, mais aussi pour une plus grande clarté
visuelle.
Comme je l’ai mentionné au chapitre 2.2 sur la banque de sons comme œuvre, il
est possible et même intéressant de manipuler de mille façons ces échantillons, une fois
la banque créée, de toutes les façons disponibles avec les technologies d’hier,
d’aujourd’hui et de demain.
On peut considérer les méthodes de travail de la musique concrète de Pierre
Schaeffer et de Pierre Henry comme les ancêtres de l’échantillonnage. En annexe de
40
cette thèse, une conférence de M. René Bricault sur ma musique avait été intitulée
Fusion des musiques concrètes et instrumentales au XXIe siècle. (voir annexe 4) Son
point de vue cherche à comparer la pensée Schaefferienne littéralement appliquée à la
musique instrumentale en tant que montage d’échantillonnages non traités.
41
2.3.4
• Énumérez les analogies entre la composition par montage et le film making.
L’analogie n’est pas nouvelle entre le travail d’un réalisateur et celui d’un
compositeur de musique acousmatique. Déjà, on trouvait la comparaison du
compositeur électroacoustique qui, comme un peintre, peignait des sons dans le temps.
On peut tout aussi bien appliquer l’analogie du film making qui suit aux compositions
électroacoustiques. Cependant, la composition instrumentale par montage amène un
point de comparaison de plus : l’interprète dans la prise de son/l’acteur dans la scène.
Le point de départ est sans doute le moins évident à comparer. Le réalisateur
choisit un scénario tandis que le compositeur planifie le (ou les) résultat(s) musicaux
souhaités. À moins qu’il choisisse de suivre une trame dramatique, on voit dès
maintenant les limites de l’analogie. Par contre, pour tout le reste la comparaison tient
étonnamment bien.
Les personnages sont les instruments, chacun son caractère, chacun son timbre.
Il faut trouver les bons interprètes dans les deux disciplines, faire le casting.
Dans les deux cas il faut prévoir un lieu de tournage/prise de sons, avec le choix
d’équipement que le créateur a en tête (type de caméra, type de micro). Plusieurs prises
de vue sont possibles autant que plusieurs prises de sons. On en prend plus que pas
assez en prévision d’un futur repérage. Puis devant les rush/la totalité des prises de son,
arrive la (ou les) scène(s)/coupe(s) sélectionnée(s), que l’on classe et met en banque.
Dans un cas comme dans l’autre, il reste à monter tous ces fragments qui
prendront un sens une fois enchaînés. Évidemment, dans le cas du film, contrairement à
la musique (généralement), une trame dramatique claire est à respecter. Mais malgré
tout, les possibilités de montages sont énormes. Je tiens à faire remarquer ici, étant
42
donné ces deux disciplines différentes, que le montage qui s’adresse aux oreilles peut
atteindre des niveaux de complexité, dans ses accumulations, ses mariages de timbres,
etc., que le montage cinématographique, lui, ne peut atteindre. Il ne serait pas très
pertinent de superposer une quarantaine d’images simultanément tandis qu’il est très
possible que la superposition de quarante sons soit intéressante.
Les films/musiques qui en résultent sont finaux, il ne seront jamais différents de
ce qui sortira du studio : l’interprétation est fixée. Leur existence est littéralement
gravée sur un support. Ils ont pu peaufiner leur œuvre pour atteindre le résultat qu’ils
cherchaient en tenant compte des données qu’ils ont ramassées à chaque étape
(interprétation, éclairage/pièce, qualité de l’image/du son, erreurs).
Finalement, dans les deux cas, leur diffusion se fera par les moyens disponibles
de l’époque soit, de nos jours, des haut-parleurs ou un projecteur. (voir Piano monté
chapitre 3.5)
43
2.4 Problèmes de diffusion de l’acousmatique instrumentale.
Même si le procédé de composition par montage s’applique à merveille pour les
musiques dites appliquées (au sens où la musique se marie à un autre art pour créer une
œuvre multidisciplinaire), il est étonnant de voir à quel point sa diffusion dans les
milieux de musique de recherche est difficile.
Comme déjà mentionné, le montage et l’édition de sons instrumentaux ne met
aucune barrière à une quelconque esthétique. Ils permettent une liberté qui frôle
l’électroacoustique jusqu’à des possibilités orchestrales que permet l’écriture
traditionnelle, voire plus. Donc la difficulté de diffusion d’une telle musique n’a rien à
voir avec le style de tel ou tel compositeur.
Le problème se situe d’après moi dans cette inutile séparation entre deux
courants de musique de recherche : la musique de concert de tradition classique, écrite,
et l’électroacoustique, la musique de studio. Si je me fie à ma seule expérience, aucun
concours n’a été accessible aux œuvres que j’ai composées par montage. Pourtant les
résultats sont tout à fait dans le courant des musiques qui s’écrivent et/ou se composent
en ce début de XXIe siècle. Parce qu’elle ne possède pas de partition d’exécution, ma
musique n’est pas admise dans les concours de musique instrumentale. Une partition
d’écoute appartient au domaine de la musique électroacoustique et la valeur « joué pour
vrai en concert » est encore très forte chez les représentants de cette musique. De
l’autre côté, la musique qui en ressort est si clairement instrumentale, malgré l’évidence
qu’elle n’a pu qu’être montée en studio ou par ordinateur, que tous les concours
électroacoustiques la rejettent parce qu’elle n’entre pas dans le cadre esthétique d’une
musique électroacoustique.
Qui serait intéressé à aller à un concert de musique instrumentale diffusée par
haut-parleurs? La volonté générale veut voir les musiciens qui jouent les instruments et
44
la volonté inverse (quoique aussi forte) s’applique aux amateurs de musique
électroacoustiques qui assistent à une diffusion de musique électroacoustique,
essentiellement non-instrumentale.
Évidemment, enfin je l’espère, cette difficulté de diffusion tendra à changer avec
le temps. La musique instrumentale montée sert déjà très efficacement au cinéma, à la
télé ainsi qu’à la musique de chorégraphie. Des compositeurs comme Michel Pascal et
moi-même avons l’ambition de populariser cette musique, en tant que musique faite
pour elle-même, par des concerts d’acousmatique instrumentale à multiples voies de
diffusion, comme c’est le cas des concerts électroacoustiques de nos jours. Peut-être
que cet « entre-deux » permettra de rapprocher les deux pôles de l’art des sons qui sont
depuis le début injustement séparés.
Cette réflexion ainsi que des solutions envisageables pour faire connaître cette
musique et la diffuser publiquement seront le centre de mon projet de post-doctorat.
Chapitre 3
Présentation des pièces
3.1 Débouchées
Durant mes études de maîtrise, j’ai travaillé l’hétérophonie. Mon mémoire avait
pour titre Étude formelle des techniques de variation thématique.
Les pièces produites pour mon mémoire ainsi que toutes les autres durant ces
années, hors du cadre académique, avaient toutes en commun soit un thème unique soit
une suite d’accords unique comme matériau de base pour l’écriture. De ces thèmes ou
suites d’accords était généré tout le matériau mélodico-harmonique, alors que je me
laissais une entière liberté quant aux rythmes et aux timbres.
Tout en respectant ma volonté d’économie du matériau musical de base, l’idée
de composer instrumentalement par montage m’est venue en deux temps.
Premièrement, lors de l’enregistrement des exemples de mon mémoire, j’ai fait appel à
une clarinettiste qui m’a d’abord joué un thème simple. J’ai superposé ce thème sur luimême en le variant, en accumulant, retranchant, modifiant les hauteurs ainsi que leur
éloignement à l’aide de délais et de réverbérations artificielles. Je voyais en cette façon
de travailler un excellent outil pour étudier l’orchestration et pour entendre mes essais,
beaucoup plus efficace qu’une simulation MIDI robotique.
Deuxièmement, durant la même période, j’avais à composer une musique pour
accompagner un court métrage (Débouchées) dont la production était très en retard. Le
réalisateur, sachant qu’il désirait un quatuor à cordes mais ne sachant pas encore les
durées des extraits, m’a demandé de me débrouiller avec le budget disponible, minime
évidemment. Il fallait donc que je sois efficace et que je trouve une manière d’optimiser
la malléabilité du quatuor une fois l’enregistrement terminé pour que, devant la table de
montage, on puisse modifier, allonger, amplifier, dédoubler, etc., afin d’obtenir un
résultat professionnel.
46
Les pièces issues de la banque de sons Débouchées représentent la première
mise en application systématique du procédé de composition par montage. Bien que
rudimentaires, les résultats obtenus furent satisfaisants. Cette façon de faire s’est
révélée très pratique et m’a laissé entrevoir tout le potentiel musical de son
développement.
Construction de la banque de sons
L’instrumentation avait donc été décidée par le réalisateur : un quatuor à cordes.
Le choix des timbres était clair, il restait à planifier les développements possibles d’un
thème unique à travers un montage qui pourrait être hautement manipulable.
La banque de sons de Débouchées compte seulement 80 différents sons d’une
durée variant entre une demi seconde et quarante secondes, et pèse 250 Mb (44 100
Hz/16 bits/stereo) Elle est constituée ainsi :
Accords : 4 accords en position fondamentale ( C – Am – Dm – G )
Exemple audio: accord de Dm
(CD1 no9) 0:08
Cadre harmonique : 3 cadres harmoniques respectant la suite d’accords, avec différents
tempi, différentes nuances et différentes attaques.
Exemple audio: Cadre Harmonique I (CD1 no10) 0:14
Pizzicato : notes jouées pizzicato (normale, bartok), différentes nuances
Exemple Audio: Pizz ouvert5 (CD1 no11) 0:07
Effets : Arco grain en rythme (différents tempi), col legno aléatoire, sub ponticello,
frottements de l’archet sur les cordes sans notes (arco grain léger).
47
Exemple Audio: Rebondissements col legno
(CD1 no12) 0:15
Gossage : Une dizaine d’erreurs ou de bruits parasites qui me semblaient intéressants
Exemple Audio: Gossage1 (CD1 no13) 0:13
Thème : Une trentaine de fois le même thème avec différents tempi, différentes
nuances, différentes attaques et différents phrasés.
Exemple Audio: Theme sul pont bpm 92 (CD1 no14) 0:27
48
3.2 Essai orchestré
Instrumentation:
flute népalaise, flute yougoslave, flute de pan péruvienne, clarinette Bb, cor , piano, violon, contrebasse,
guitare, steel drum, crotale, règle en bois, clochettes krishna
Instrumentistes:
Laurent Aglat, Pierre-Alexandre Bouchard
Essai orchestré (CD1 no15) 2:43
La pièce Essai orchestré, comme son nom l'indique, est mon premier essai de
montage pour un ensemble. Le projet final de mon doctorat étant une pièce entière pour
ensemble montée (Pièce montée finale, chapitre 3.12), elle représente le point de départ
de mes recherches autour de la composition par montage.
L'histoire de la fabrication de cette pièce-étude est de loin la plus chaotique.
Essai orchestré est le fruit d'un montage mais contrairement aux autres pièces
présentées dans cette thèse, elle n'est pas le résultat d'une banque de sons créée pour
elle. En effet, pour la composition de cette pièce j'ai fait appel à plusieurs sons et à
plusieurs banques de sons. Un des points majeurs qui est ressorti de cette expérience:
trop de possibilités en viennent à aliéner ma création. J’y reviendrai plus loin.
Une des banques de sons est constituée d’un échantillonnage des instruments
faisant partie de la collection d'ethnomusicologie de la Faculté de musique de
l'Université de Montréal. Les résultats sont intéressants compte tenu du fait que les
instrumentistes n'avaient pas nécessairement les compétences requises pour tous les
types d'instruments. Quelques exemples:
49
Flûte de Pan Pérou slide1
Steel Drum Barbade loop5
(CD1 no16) 0:06
(CD1 no17) 0:06
Instrument à vent recyclé Haiti2
(CD1 no18) 0:06
L'autre banque de sons très présente dans cette pièce est celle de Débouchées.
On peut entendre dès le début un jeu irrégulier de quatuor à cordes col legno battuto en
dessous d'un rythme arco grain en noires. Le thème est constitué de deux notes égarées
que j'ai isolées lors de l'enregistrement de Débouchées. Une foule de minuscules sons
parasites sont nés de cet enregistrement, ce qui, pour les pièces subséquentes, m'a
beaucoup influencé. Exemple:
Rebondissement col legno sub pont
(CD1 no19) 0:28
On peut y entendre d'autres sources: piano, contrebasse, guitare, clarinette, cor.
Tous ces sons sont issus d'enregistrements épars qu'à l'origine je coupais et classais de
façon rudimentaire, les principes de base de ce procédé de composition n'ayant pas
encore de base solide. Exemples:
Clarinette-canard18 (CD1 no20) 0:06
Guit loop2 (CD1 no21) 0:06
Cor4
(CD1 no22) 0:06
Je reviens à cet énoncé: trop de liberté aliène la création. Dans le cas de Essai
orchestré je me permettais des manipulations électroacoustiques du son instrumental: à
environ 2 minutes, on peut entendre un son de contrebasse à l'envers doublé d'une
distorsion et d'un déphasage. Par la suite, une note de piano grave (sol) fait entendre son
attaque et sa résonance est maintenue artificiellement jusqu'à la fin de la pièce. C'est à
l'écoute, à l'analyse critique de cette pièce que j'ai décidé d'abandonner la voie
50
électroacoustique du procédé, pour me concentrer exclusivement sur le montage de sons
instrumentaux, idéalement reproductible. J'ai jugé plus intéressant de restreindre mes
recherches à la veine instrumentale sans avoir recours aux effets dénaturant l'essence du
son acoustique pur, comme par exemple des distortions, des mises à l'envers, des
flangers et tous les plugiciels (plug in) qui varient selon la mode et « la saveur du
mois ». Devant toutes ces possibilités, autant par la quantité de sons que par l'immense
possibilité d'effets de toutes sortes, je ne trouvais plus la liberté que je cherchais. En ce
sens, Essai orchestré a servi de base d'essai et a fourni des prémisses claires au projet
de composition par montage.
51
3.3 Blouskaille Olouèze (quatuor à cordes monté)
Musique sur une chorégraphie d'Élodie Lombardo (http://www.soeurschmutt.com)
violon 1: Arianne Couture violon 2: Renaud Lapierre
alto: Bojana Milinov violoncelle: Jean-Christophe Lizotte
Extrait no1 (CD1 no23) 1:05
Extrait no2
(CD1 no24) 1:39
Extrait no3
(CD1 no25) 1:46
Extrait no4
(CD1 no26) 1:47
Extrait no5 (CD1 no27) 0:47
Blouskaille Olouèze (CD1 no28) 17:45
Extrait Vidéo (CD3 data)
Le projet Blouskaille Olouèze est une commande des Sœurs Schmutt pour une
création chorégraphique. Mon instrumentation de prédilection ayant toujours été le
quatuor à cordes, j’ai choisi d’aborder avec ces timbres ma première œuvre d’envergure
par procédé de composition par montage. Blouskaille est basée sur, premièrement, trois
accords de quatre sons :
Tableau no 2 3 accords de Blouskaille Olouèze
extrait sonore (CD1 no29) 0:13
no1
no2
no3
52
et, secondement, d’un thème central qu’on retrouve un peu partout dans les pièces
résultantes :
Tableau no 3 thème Blouskaille Olouèze
Extrait sonore
(CD1 no30) 1:16
J’ai donc écrit huit renversements des ces trois accords, des notes tenues,
quelques variations du thème central ainsi que plusieurs courts extraits pour quatuor
complet. L’expérience acquise avec les pièces précédentes m’a incité à enregistrer un
total de plus de cent vingt minutes de matériel: répétition, erreurs incluses, pour pouvoir
y puiser, en plus des extraits désirés, toutes les coquilles et sons parasites qui par la
suite pouvaient retenir mon intérêt. Il y eut un long travail de coupe et de catalogage.
J’ai donc dû avoir recours à un code précis pour me retrouver, dans les accords
particulièrement, lors de futurs montages. Exemple :
53
Tableau no 4 Code de classement des accords de Blouskaille Olouèze
1 . 3 . 3f
La première position représente
l’accord numéro 1, 2 ou 3
La deuxième position
représente chacun des
8 renversements
La troisième position peut être :
1 = accord tenu p
1f = accord tenu f
2 = pizzicato
3 = accord court p
3f = accord court f
* l’accord résultant : 1er accord, de 3e renversement, accord court f
Ce procédé est souple et très efficace. Il permet entre autres de réajuster dans le
temps des passages pour les marier à la chorégraphie et à ses caprices. Le tout sans
avoir à réécrire et à réenregistrer la musique. Par exemple, un an après la première de
Blouskaille Olouèze, une deuxième version m’a été commandée. Il n’a pas été
nécessaire de réengager des musiciens pour une seconde session d’enregistrement. J’ai
simplement ressorti la banque de sons et j’ai pu composer d’autres pièces pour
accompagner la chorégraphie tout en restant cohérent tant au point de vue musical
qu’au point de vue de la compatibilité sonore. En effet, il est connu qu’il est difficile de
retrouver le même « son studio » d’une prise de son à l’autre, d’un jour à l’autre.
Pour les chorégraphes, les cinéastes, les metteurs en scène, c’est un luxe que de
pouvoir se permettre une musique instrumentale pour ensemble à ce point malléable et
surtout, pour le même prix. Il est d’usage, et c’est normal, que les chorégraphes
changent d’avis un nombre incalculable de fois. Cette façon de procéder, en plus d’être
54
plus efficace que l’écriture traditionnelle, peut être plus précise plus rapidement et
surtout, permet d’éviter un paquet de frustrations toujours superflues lors de créations
en collaboration.
Blouskaille est pour moi l’un des beaux succès de cette façon de composer. Les
extraits étaient simples et clairs, ce qui m’a permis de créer autant en simplicité qu’en
complexité. Cette simplicité m’a de plus permis de réécrire les résultats sonores (une
fois montés) pour écoute et/ou analyse. Exemples : Exposition photos et partitions
(Agora de la danse 2004)
Extrait sonore partition d’écoute Blouskaille Olouèze1 (CD1 no31) (CD3 data) 1:46
Extrait sonore partition d’écoute Blouskaille Olouèze2 (CD1 no32) (CD3 data) 0:49
55
C’est lors de l’expérience Blouskaille Olouèze que j’ai réalisé que la précision de
l’écriture des fragments qui ont servi à ces pièces ne m’offraient pas pleinement la
liberté que je recherchais. Au contraire de précédemment : « trop de possibilités »
aliène la création, j’ai compris qu’avec cette méthode : « trop de précision dans
l’écriture des fragments » aliène aussi la création.
Après cette pièce, j’ai été plus en mesure de trouver un équilibre entre la quantité
et la précision des sons et la liberté compositionnelle qui en ressort. Une restriction
assez petite pour laisser place à de nombreuses «possibles» compositions avec la
couleur désirée lors de la création de la banque, mais assez grande pour ne pas tomber
dans l’infini des possibilités de mariages de sons, ce qui rendrait le procédé sans intérêt.
Donc, premièrement, trop de sons donne des possibilités presque infinies et n’embrasse
pas l’idée de composer par montage avec une banque de sons préalablement établie
pour que la couleur timbrale ressorte. Et deuxièmement, à l’opposé en quelque sorte,
56
une trop rigoureuse précision comme des thèmes ou extraits trop longs ou trop
caractéristiques, limite la quantité de montage possible avant l’impression de répétition.
Les pièces subséquentes ont été enrichies de l’expérience Blouskaille Olouèze.
57
3.4 Percu Montée
Extrait sonore:
Percu montée (CD1 no33) 2:00
instrumentation
Glockenspiel
Xylophone (baguettes dures)
Tambour de Basque
Caisse claire (2)
Tam-Tam (archet)
Timbales
Grosse Caisse
Cette pièce fut composée lors du cours de Robert Leroux "Écriture pour percussions".
Le cours d’écriture pour percussions s’est révélé un bon laboratoire pour
expérimenter le montage sans partitions préparées. En effet, cette pièce représente mon
premier essai d’enregistrement libre. Cette façon de faire, par défaut car j’ai moi-même
joué les instruments un à un, m’a ouvert à d’autres possibilités et aussi à un
questionnement par rapport à la pertinence de l’écriture pré-enregistrement.
Pour les pièces antérieures, un ou plusieurs instrumentistes jouaient les
fragments de partition que j’avais préparés. Pour Percu Montée, j’ai improvisé et
cherché des effets sur chacun des instruments. Je me suis rendu clairement compte du
déplacement de la composition, en tant que rôle de planification du matériel, du papier à
musique à la coupe et au catalogage. J’avais obtenu un plus grand minutage de prises de
sons, d’essais souvent non intéressants et donc, avais tout le loisir de triturer ces
longues séquences et d’y chercher les fragments intéressants. Déjà pour Blouskaille
j’avais remarqué et grandement utilisé les sons autres que ceux écrits, les accidents, les
erreurs, les parasites qui m’offraient des possibilités souvent intéressantes et des timbres
plus complexes. Avec Percu Montée donc, le vocabulaire sonore est en fin de compte
créé à l’étape de la coupe et du catalogage.
58
J’ai décidé de transcrire cette pièce en partition conventionnelle pour des fins d’analyse
et d’écoute.
Extraits de la banque de sons:
Glockenspiel thème (CD1 no34) 0:08
Snare sans timbres1 (CD1 no35) 0:06
Timbale roulement-slide (CD1 no36) 0:07
Voir partition d’écoute de Percu Montée (CD3 data)
59
3.5 Piano monté (Impressions de Tokyo)
Piano : Laurent Aglat
Impressions de Tokyo (extrait) (CD1 no37) 3:20
Impressions de Tokyo (entière) (CD1 no38) 10:00
Piano-Montage (1erpiano monté) (CD1 no39) 2:45
Extraits de la banque de sons
Frappe intérieure (CD1 no40) 0:07
Cloche1 (CD1 no41) 0:06
Cluster1 (CD1 no42) 0:22
Accord2 (CD1 no43) 0:06
La
banque
de
sons
de
piano
pour
Impressions de Tokyo s’est construite en deux temps. D’abord, à l’aide d’une première
banque, j’ai construit une pièce intitulée Piano-montage, de deux ans antérieure à
Impressions de Tokyo et qui en diffère fortement pour des raisons de construction,
d’effets et de quantité de sons. Pour cette première banque, j’ai enregistré le piano note
par note, f et p, comme on ferait pour échantillonner un instrument et le reproduire au
clavier. En plus, j’ai ajouté des effets produits à l’intérieur du piano, des grattements,
des objets à travers les cordes, etc., de façon modérée.
Ainsi je me suis retrouvé avec une banque de sons très limitée parce qu’elle
n’était pas assez personnalisée. Je me sentais limité, à l’étroit avec une telle banque.
Pour Piano montage, j’ai donc délaissé les simples notes du piano au profit d’une
60
exploitation d’objets sonores plus uniques, objets qui rendent plus clairement
perceptible la saveur de la banque de sons.
Beaucoup plus tard, je me suis attardé de façon plus approfondie sur ce sujet.
Une question m’est venue : comment faire la différence entre une série
d’échantillonnages pour échantillonneur d’un côté et une pièce créée par montage de
l’autre? (Question au chapitre 2.3.3) Pire, y a-t-il une différence? Est-il possible de
prendre une banque de sons limitée pour en faire quelque chose, par montage, qui
diffère des possibilités offertes par un échantillonnage assigné à un clavier? En d’autres
mots : Est-ce que le montage amène une autre dimension, un intérêt autre? Je crois que
oui.
Avec une simple
assignation de sons, on
éparpille des échantillons
sur un clavier. Il est alors
possible de jouer avec ces
derniers à la manière d’un
instrument,
limites
avec
les
physiques
qu’impose cet instrument.
Par montage, on crée une
partition
de
sons
juxtaposés, superposés, imbriqués, avec des possibilités mécaniques qui n’ont pas à
tenir compte de la faisabilité humaine sans toutefois perdre la saveur pianistique (pour
cette pièce). Comme si une approche se comparait avec l’improvisation, et l’autre, avec
l’écriture. Évidemment, une fois la banque de sons créée, qu’elle soit manipulée, d’une
61
manière ou de l’autre, une partie de la composition est alors accomplie (chapitre 2.2),
mais pour ce qui m’intéresse tout particulièrement, l’orchestration en détails des
timbres, l’approche par montage me permet des variétés d’assemblages et des
complexités
décuplées.
Donc, pour en
revenir à ma banque
de sons de piano,
juste avant de partir
pour Tokyo, je suis
allé
enregistrer
nouveaux
sons
piano
de
de
pour
agrémenter tout de
même la banque de
Piano-montage. Une
fois au Japon, après
avoir
coupé
catalogué
et
les
nouveaux sons pour
ensuite les intégrer à
la banque de piano,
j’ai concentré mes
efforts pour monter des vraies notes (!) en ayant deux objectifs :
1. composer comme seule la méthode par montage pour instrument le permet
62
2. sans jamais perdre de vue l’objet poétique de la composition elle-même : mes
impressions de Tokyo.
En composant cette pièce, j’ai vraiment réalisé que je pouvais composer pour
piano sans passer par la notation et sans pour autant perdre de vue (d’ouïe) une écriture
pianistique. Et, point majeur, cette approche laissait place à une expressivité dramatique
et aussi descriptive, un peu à la manière des poèmes symphoniques, appelons cela
poème monté.
Plusieurs parties de la pièce sont techniquement
injouables par un humain. Qu’il s’agisse de notes répétées,
d’accelerando ou de résonances, le but ne fut pas d’écrire
quelque chose de jouable mais plutôt de pianistique dans le
sens d’utiliser toutes les ressources du piano. J’ai réalisé
avec cette pièce combien je gagnais en liberté
1. lorsque la main humaine est évacuée de l’interprétation
finale,
2. lorsque qu’il n’y a pas de limite quant à la quantité de piano désiré,
3. lorsqu’on peut extraire l’essence des timbres du piano pour les remanipuler de façon
à obtenir des résultats qu’il serait impossible d’entendre en concert.
Voici quelques exemples :
-
À plusieurs reprises on peut entendre des attaques de notes superposées à la
résonance d’autres notes. Par exemple, au début de Impressions de Tokyo, j’ai
superposé une suite de notes avec résonances dans l’aigu, suite sous laquelle se
63
développe une seconde résonance d’accord, majeure celle-ci, sans attaque, qui
vient faire un coussin harmonique.
-
J’ai aussi soutenu artificiellement des résonances qui sans cela se seraient
éteintes.
-
Dans certains cas, les notes répétées sont carrément mitraillées et donc non
naturelles à l’écriture pour piano (même mécanique!).
-
Comme pour la plupart des autres pièces montées, j’ai beaucoup utilisé les effets
de spatialisation doublés d’une exactitude rythmique qu’il serait impensable de
concevoir pour une musique de concert en direct, ou même en studio.
64
3.6 Violon monté
Pour construire la banque de sons de
violon,
j’ai
moi-même
joué
l’instrument
pendant des heures. À l’exception de quelques
notes tenues à l’archet, j’ai enregistré des sons
provenant d’un violon.
Extraits de la banque de sons:
coups sur cordes (CD1 no44) 0:06
rebound2 (CD1 no45) 0:06
pizz bloqué gliss ascendant (CD1 no46) 0:06
tremolo harmonique1 (CD1 no47) 0:07
Colère de Violon (1962) ARMAN
La coupe des rush fût un vrai plaisir, surtout en ce qui concerne le grain et la
complexité des sons enregistrés de très près. Le violon, dans ses intimes sonorités,
renferme une grande richesse. Et malheureusement ces sons sont si discrets qu’il est
impossible de les marier à d’autres sons plus costauds en situation de concert. Le souvenir
du quatuor Arditti exécutant la musique de Helmut Lachenmann m’est revenu à l’esprit.
Avec les pièces Violon monté je voulais mettre en relation, orchestrer artificiellement le
violon avec lui-même, en ôtant la distance qu’impose le live aux oreilles.
Pour cette banque je n’ai pas cherché à cataloguer les sons. Je me suis contenté de
leur donner un titre clair, les décrivant suffisamment pour qu’ils soient facilement
identifiables lors du (des) montage(s).
65
Un de mes buts a été de bien souligner le caractère « solo de violon » des pièces
sans toutefois m’empêcher de le multiplier pour me rendre parfois à une quasi-texture
d’orchestre à cordes. Le résultat donne un cubisme sonore, de violon en l’occurrence, où
sont mariés des sons enregistrés à partir de différents angles (proximité), sur un même
plan.
Violon monté no1 (1:27) (CD1 no48) 1:29
Violon monté no2 (1:34) (CD1 no49) 1:35
Violon monté no3 (1:32) (CD2 no1) 1:35
66
3.7 C’est ainsi qu’on avale Artaud (violoncelle, scie, frottements sur vitre montés)
violoncelle: Jean-Christophe Lizotte
Extraits sonores:
scie: Simon Gauthier
frottements sur vitre: Laurent Aglat
Extrait vidéo (CD3 data)
Tableau 6 (CD2 no2) 2:23
Vidéo final (CD2 no3) 2:00
Tableau 2 (CD2 no4) 2:18
La série de pièces résultant de cette banque de sons fut appliquée à la
chorégraphie d’Aurélie Pédron C’est ainsi qu’on avale Artaud. Elle représente selon
moi une réussite sur le plan de l’équilibre entre l’écriture et l’improvisation. Tout
d’abord, la presque totalité des fragments de violoncelle sont écrits et joués plusieurs
fois avec à chaque prise des consignes verbales, de ma part au musicien, variant les
mêmes segments de partition. Par exemple, le thème était joué avec des tempi
différents, ou avec une attaque différente, sul ponticello, col legno, etc.
67
Pour ce qui est de la scie, j’ai procédé de la même manière que pour le
violoncelle pour la première partie de l’enregistrement. Par contre, pour la deuxième,
j’ai demandé à l’instrumentiste d’improviser et de produire des sons-scie
caractéristiques de l’instrument comme des glissandi, des sons à plusieurs hauteurs
distinctes, des frappes doigt-lame, etc.
Exemples sonores scie
Scie3 (CD2 no5) 0:07
Scie10 (CD2 no6) 0:09
Scie thème9 (CD2 no7) 0:10
Aussi, et c’est là ce qui me paraît le plus intéressant, je cherchais des sons
imitant les bruits de frottements sur vitre que j’avais préalablement enregistrés et que je
68
faisais entendre au joueur de scie entre les prises pour que, librement, il les imite. Je
planifiais de créer des mariages de timbres (vitre-scie) pour les montages subséquents.
Enfin, toutes les prises de sons de frottements sur vitre ont été improvisées. J’ai
utilisé mes doigts (un, deux, plusieurs), ma paume ouverte et mon poing fermé. Pour
varier les types de sons résultants, j’ai utilisé divers fluides pour modifier l’adhérence
de mes doigts à la vitre. J’ai commencé, par défaut, par le gras naturel du corps, ensuite
ma salive, puis de l’eau et pour finir, de l’huile d’olive.
Exemples sonores vitre :
Vitre 1 (CD2 no8) 0:06
Vitre 2 (CD2 no9) 0:06
Vitre 3 (CD2 no10) 0:06
69
3.8 L’éducation physique (piano, clavecin, violoncelle montés)
piano : Marie-Ève Legendre
clavecin : Laurent Aglat
violoncelle : Jean-Christophe Lizotte
Extraits sonores
Formule 1 (CD2 no11) 1:25
Pause (CD2 no12) 2:56
La musique écrite pour la chorégraphie L’éducation physique de Manon Oligny
(http://www.manonfaitdeladanse.com) est en grande partie tirée d’une pièce pour piano,
Eeffee, que j’ai écrite en 1999.
Partition de Eeffee (CD3 data)
70
La pianiste a enregistré plusieurs fragments de la pièce ainsi que des parties
mélodiques ou harmoniques isolées. Puis, j’ai écrit pour violoncelle quelques variations
du motif principal (mesures 2-3, main droite) ainsi que quelques effets.
Tableau no5 Motif de Eeffee
extrait sonore Motif main droite mesures 2-3
(CD2 no13) 0:09
J’ai fait les prises de sons du clavecin en improvisant sur le thème pour y
recueillir des effets secs et tranchants. Les sons de cette banque sont souvent plus longs
que pour les autres pièces et surtout plus mélodiques, facilement repérables, donc moins
réutilisables.
Exemples :
Thème variation rythmique no21 (CD2 no14) 0:06
Accord no9 (CD2 no15) 0:08
Cluster aigu no1 (CD2 no16) 0:06
Ni pour le violoncelle ni pour le clavecin les fragments n’ont été enregistrés en
tenant compte des fragments de piano déjà enregistrés. Après avoir associé un
instrument (et donc une banque) à chaque danseur, j’ai suivi la construction de la
chorégraphie élaborée au cours des répétitions pour effectuer le montage de la pièce
finale.
71
3.9 Instruments japonais montés (Sankyoku)
Shamisen : Laurent Aglat Koto : Nanae Kumashiro
Shakuhachi : Hideki Hishigaki Biwa : Nanae Kumishiro
Pièces pour shamisen monté
Shamisen monté no1 (Yonetawa) (CD2 no17) 0:50
Shamisen monté no3 (CD2 no18) 1:04
Shamisen monté no4 (CD2 no19) 0:24
Shamisen monté no5 (Atsuryoku « stress ») (CD2 no20) 0:39
Avant de partir pour le Japon, j’avais déjà une attirance pour cet instrument
qu’est le Shamisen
, qui signifie littéralement, 3 cordes parfumées. Il se joue avec
un plectre large (bachi) et sa peau, de chat ou de chien, donne une sonorité de banjo, on
l’appelle parfois le banjo japonais. Le manche est lisse (sans frettes). J’ai pris quelques
cours avec une professeure japonaise mais le maniérisme japonais m’a découragé. Je
me suis donc concentré sur la seule sonorité sans tenir compte de la position ni des
gestes extra-musicaux qui ne m’intéressaient pas, parce qu’ils ne s’enregistraient pas.
J’ai fait plusieurs sessions d’enregistrement pour tirer le maximum de sonorités
différentes. La banque de sons créée avec le shamisen, ainsi que les banques de koto, de
biwa et de shakuhachi, a dû servir pour les pièces de shamisen solo monté ainsi que
pour Sankyoku, les pièces finales pour ensemble d’instruments japonais.
72
Pièces pour Koto monté instrumentiste : Nanae Kumashiro
Koto monté no1
(Hira Joshi) (CD2 no21) 1:57
Koto monté no2 (Gaku Joshi) (CD2 no22) 1:42
Koto monté no3 (Boku no Joshi) (CD2 no23) 1:28
Au début de mon séjour à Tokyo, j’ai eu la chance d’être invité par M. Isao
Matsushita à un concert de ses étudiants ou j’ai pu entendre leurs créations ainsi que
quelques compositions contemporaine pour un ou deux kotos. Lors de cette soirée j’ai
rencontré Nanae Kumashiro, qui jouait au concert et je l’ai engagé pour faire des
sessions d’enregistrement ainsi que pour prendre des cours sur l’instrument.
Koto 13 cordes et Biwa
Le koto
produit un son lyrique comparable à la harpe. On rencontre souvent le
terme « harpe japonaise » pour le décrire. L’instrument dont nous nous sommes servi
pour l’enregistrement est un koto standard à treize cordes (jyûsangen) en soie. Les
73
plectres, ou plutôt grattoirs, qui s’installent dans les doigts sont en ivoire. Chacune des
cordes du koto est soutenue par un haut chevalet amovible qui, en plus d’accorder,
permet de varier la hauteur de chaque corde individuellement en leur appliquant une
légère pression. Les fameux bend de la musique japonaise viennent de cet instrument
(voir aussi biwa).
Pour la première pièce, Hira Joshi (le titre signifie l’accordement, en
l’occurrence : ré, mib, sol, la, sib) j’ai voulu créé une accumulation. D’abord, le ré de
base impose le mode puis petit à petit expose les autres couleurs du mode Hira Joshi. Le
rythme reste en double-croches du début à la fin. Au centre, là où l’accumulation est à
son plein, on peut entendre une masse sonore dont il est étonnant de savoir qu’elle vient
d’un instrument aussi doux que le koto. Le résultat est clairement un montage car il
serait impossible de recréer cette pièce tant par le nombre de kotos nécessaires que par
la précision rythmique que cela demanderait.
(voir la transcription à la page 76)
74
Première page de Koto monté no1
75
La seconde pièce pour koto monté Gaku Joshi (ré, mi sol, la, si) est constituée de
fragments typiquement japonais. Contrairement à la première pièce, Hira Joshi, qui
était faite de notes individuelles, cette pièce est montée avec de courts fragments qui
portent en eux les couleurs de la musique japonaise. Malgré le caractère « carte
postale » de cette pièce, je crois qu’elle est une réussite au plan du montage parce que
les superpositions sont très discrètes et le tout paraît avoir été enregistré en concert.
La troisième pièce, Boku no Joshi, signifie « mon accordement », parce que j’ai
choisi d’accorder l’instrument ainsi. Il va comme suit : ré, la, sib, Do, ré, mi, fa, sol,
réb, mib, solb et si. Ce type d’accordement, proscrit dans la musique traditionnelle
japonaise, est de plus en plus utilisé dans l’écriture moderne pour koto.
Le Biwa
, qui tire son nom du plus grand lac du Japon (lac Biwa), est un
instrument à cinq cordes dont le manche porte de hautes frettes qui permettent de tirer
les cordes pour en obtenir de plus
hautes, un peu à la manière du sitar.
C’est un dérivé du pipa chinois et
du barbat persan. Sa caisse de
résonance est pleine, ce qui en fait
un instrument très lourd. J’ai eu la
chance de pouvoir prendre des
prises de son de cet instrument avec
la
joueuse
de
Koto,
Nanae
Kumashiro, qui joue aussi de cet
instrument professionnellement.
76
La banque de sons construite à l’aide du Biwa m’a servi exclusivement à la pièce
finale Sankyoku, mariée aux trois autres banques (Shamisen, Koto, Shakuhachi)
Pièces pour Shakuhachi monté instrumentiste : Hideki Hishigaki
Shakuhachi monté no1 (CD2 no24) 1:07
Shakuhachi monté no2 (CD2 no25) 0:50
Shakuhachi monté no3 (CD2 no26) 1:23
Shakuhachi monté no4 (CD2 no27) 0:57
Les sessions d’enregistrement du Shakuhachi furent mes dernières prises de son
au Japon. Les trois autres banques étant terminées, j’avais tout le loisir de construire
cette banque en fonction de ce qu’il me manquait pour la pièce finale Sankyoku monté.
77
D’abord, le Shakuhachi
est une flûte droite en bambou dont l’embouchure
est libre. Il fut longtemps associé à la pratique bouddhiste zen. Le mot Shakuhachi veut
littéralement dire 1,8 pieds, ce qui est sa longueur exacte. L’embouchure revêt un bord
biseauté, ce qui permet à l’instrumentiste une grande précision sur la hauteur du son et
aussi d’impressionnantes variations de hauteur.
Traditionnellement, et encore maintenant, ce sont les hommes qui jouent le
Shakuhachi. M. Isao Matsushita m’a présenté un instrumentiste hors pair du nom de
Hideki Hishigaki. Il m’a montré les rudiments de cet instrument et nous avons
enregistré en deux sessions plus de deux heures de matériel. L’instrument m’est apparu
tout à fait hostile, je n’ai pas été en mesure d’en sortir un seul son par moi-même…
Quoique plus velouté que la flûte traversière occidentale, le shakuhachi peut
produire une large variété de sons qui parfois se rapprochent d’une flûte alto. Je me suis
servi de cette banque de sons, mélangée avec différentes flûtes traversières pour les
montages de Babel, que l’on verra plus loin, et aussi pour la musique du film Manden
og magen.
78
Partition de la session d’enregistrement des Shakuhachi
79
Pièces pour Ensemble – Sankyoku
Sankyoku monté 1er mouvement (CD2 no28) 3:13
Isao Matsushita, compositeur
Sankyoku monté 2e mouvement (CD2 no29) 1:40
Après avoir enregistré et monté toutes ces
pièces pour instruments solos, je me suis
attaqué à la musique d’ensemble japonaise.
Le Sankyoku
est traditionnellement
composé d’un kokyu (instrument à cordes, seul
instrument japonais à utiliser un archet), d’un
shamisen et d’un koto. Mais à partir du début du XXe siècle, le kokyu fut
graduellement remplacé par le shakuhachi. À ce trio j’ai rajouté le biwa. Donc le titre
aurait pu être Sankyoku to biwa qui signifierait littéralement san = trois, kyoku =
composition musicale, et biwa.
Mon but était, dans ces pièces, d’approcher le matériau japonais sans me laisser
influencer par la musique japonaise. Utiliser ces sons comme de purs objets sonores
sans référence géographique. Ils sont très fortement marqués, par leur timbre, de leur
provenance nippone et j’en suis venu à me poser une question fondamentale sur ma
réception musicale: quelle est la proportion timbre/organisation qui m’incite à situer
géographiquement une musique? Dans les Sankyoku montés j’ai monté comme je le
faisais normalement tout en essayant de m’éloigner d’une organisation japonaise de la
musique. Mais, malgré tout, je crois que le timbre prend le dessus sur l’organisation, les
pièces résultantes de mon séjour au Japon sont clairement teintées d’un exotisme
implacable.
80
Montage de Sankyoku monté 2e mouvement
81
3.10 Essais pour orchestre monté
Extraits sonores
Essai pour orchestre monté no1 (CD2 no30) 1:35
Essai pour orchestre monté no2 (CD2 no31) 1:21
Essai pour orchestre monté no3 (CD2 no32) 1:30
Avec toutes ces pièces montées au cours des dernières années, je me suis
retrouvé avec un grand nombre de banques de sons différentes. Il me manquait
quand même quelques instruments pour compléter un orchestre. J’ai décidé de
faire des prises de sons de flûtes, de trompette et de cor.
Essai pour orchestre monté no1 est une pièce tonale où j’ai voulu recréer
l’ambiance d’un petit orchestre constitué de percussions, d’une égoïne, d’une
section de cordes, de clarinettes et de cors. Pour les no2 et no3, j’ai tenté
d’exploiter un grand orchestre.
Je vois dans ces courts essais pour orchestre de bons exemples
d’acousmatique instrumentale. À la première écoute on pourrait croire que cela
provient d’une pièce écrite. Cela serait en grande partie possible pour cette pièce
bien qu’un lot de détails trahît sa genèse de pièce montée. Il est donc très possible
de composer comme à l’écrit. Comme une simulation qui deviendrait
interprétation par la précision que le montage et l’édition du son permettent, et
avec en plus les possibilités humainement inexécutables mais acoustiquement
possibles.
82
3.11 Babel (flûtes montées)
Flûtiste : Josée Poirier
Pièce pour 8 flûtes et partie audio
Composée par Simon Bertrand et Laurent Aglat
Pour Véronique Lacroix et l’ensemble de flûtes Alizé
Instrumentation
Piccolo
Flûte en do
Flûte en sol
Flûte basse
Extraits sonores:
Babel extrait no1 (CD2 no33) 0:42
Babel extrait no2 (CD2 no34) 1:37
Babel extrait no3 (CD2 no35) 1:48
Dans les pièces présentées dans le cadre de cette thèse, Babel est un cas unique.
D’abord elle fut composée en collaboration avec un autre compositeur : je devais
effectuer le travail de montage pour une partie audio (sur CD) qui servirait
d’accompagnement à une pièce jouée en concert, composée par Simon Bertrand.
L’ébauche de la pièce mise en place par M. Bertrand comportait quatre thèmes
appartenant chacun à une section de la pièce.
Notre façon de fonctionner fut très efficace lorsqu’est venu le temps
d’enregistrer avec l’instrumentiste : il avait écrit les motifs qu’il voulait retrouver sur la
partie audio et je me chargeais des consignes verbales modifiant ses partitions en plus
des effets qui m’intéressaient sur les différentes flûtes. Pour garder une homogénéité au
mariage live/enregistré, nous nous étions entendus pour que la bande enrichisse
83
l’ensemble de huit flûtes par un montage utilisant uniquement des sons issus des flûtes.
Plus loin on verra que ces flûtes sont parfois substituées par des Shakuhachi.
Le premier extrait présenté ici est l’introduction et elle ne comprend pas
d’éléments live. L’harmonie générale de la pièce est exposée ainsi qu’un jeu
contrapuntique entre les quatre différents thèmes. Les flûtes en concert faisaient un
fondu enchaîné avec la bande pour bien mettre en relief le live de l’enregistrement
sonore, effet qui sera de moins en moins décelable au fur et à mesure que la pièce
avance.
Dans le deuxième extrait, j’ai ressorti la banque de shakuhachi pour la mélanger
à celle des flûtes pour en complexifier la couleur timbrale. Nous avons décidé de jouer
avec la perception du public par rapport au « live/non-live » : le solo de piccolo était
enregistré mais la flûtiste en faisait visuellement un lipsync. L’arrière-plan
accompagnant ce solo est mixte : de la bande, les shakuhachi mélangés à la flûte alto,
de la scène, ponctuellement, des apparitions ici et là pendant que chacune des
interprètes faisaient elles aussi un lipsync. Le résultat donne un méga ensemble
comptant une trentaine de flûtes. L’effet fut d’autant plus impressionnant que seulement
huit flûtes étaient sur scène en train de faire semblant de jouer!
Dans le troisième extrait, j’ai exploité l’extrême grave de la flûte basse en effet
de slap. La prise de son s’est faite très rapprochée de l’embouchure de la flûte, ce qui
donnait à l’attaque des notes une basse naturelle qu’il serait impossible de capter en
situation de concert alors que les oreilles des auditeurs sont à au moins dix mètres de la
source. Dans tout ce passage, c’est une pièce de flûte montée qui sert
d’accompagnement et de métronome à la pièce. Le co-compositeur s’est servi de cette
base pour compléter avec une écriture pour flûtes en direct.
84
La partition est ici annexée. On peut y voir la pièce entière écrite accompagnée
de la forme d’onde qui l’accompagne en dessous.
Partition de Babel (CD3 data)
85
3.12 Pièce montée finale
Extrait sonore
1er mouvement (CD2 no36) 7:53
Lorsqu’est venu le temps de composer la pièce finale dans le cadre de ma thèse,
j’ai décidé de recourir aux banques que j’avais construites au cours des cinq dernières
années, y compris celles que je n’avais pas créées pour une pièce en particulier. Je me
suis permis de piger librement dans les motifs instrumentaux tout en gardant à l’esprit
que je devais mettre clairement de l’avant les possibilités propres à la composition
instrumentale par montage. Évidemment, je n’ai pas eu recours à des phrases ou à des
motifs trop caractéristiques de pièces existantes. J’en ai volontairement tiré beaucoup de
la banque du collectif de composition pour faire ressortir une nouvelle fois sa couleur,
celle de chaque son pris individuellement, mais surtout, celle des relations entre
l’ensemble des sons.
Puisqu’il s’agissait d’une pièce plus longue que la majorité des pièces présentées
précédemment, je tenais aussi à faire voyager l’auditeur dans l’espace grâce à diverses
formations qui varient en nombre et qui sont situées en différents points de l’image
sonore. Autant de mouvements dans l’espace que l’acousmatique instrumentale permet
mais qui sont impossibles avec l’enregistrement d’un ensemble fixe.
Je me suis permis un panorama d’instrumentation qui varie par sections et
plusieurs clins d’œil que j’expliquerai plus loin.
Tout d’abord voici l’instrumentation du 1er mouvement (par ordre d’apparition) :
86
Frottements sur vitre, piano, violon, trompette, cor, alto, violoncelle, timbale, clarinette Bb, koto,
contrebasse, guitare électrique, grosse caisse, égoïne, porte de meuble, bâton du racleur vietnamien,
feedback, bouchon de bière, marimba, pot de yaourt en plastique, hochet triple de Zambie, vibraslap,
soprano, scie sauteuse, gong, clochettes krishna, steel drum des Caraïbes, scie, voix d’enfant, alto, voix
d’homme, djembe, orgue à bouche thaïlandais, clarinette basse, clavecin, flûte à bec, flûte droite
américaine, kalimba, flûte basse, homme qui fume, marteaux, caisse claire, basse électrique, ukulele,
boîte de clous, lime.
De chacune de ces quarante-six sources, je n’ai parfois retenu qu’un seul son,
comme la porte du meuble, le bouchon de bière qui tombe ou le pot de yaourt en
plastique. J’ai cependant souvent utilisé plusieurs sons, particulièrement dans le cas du
piano et du violon.
Tableau no 6 Graphique formel de Pièce montée finale 1er mouvement
Dès l’introduction de la pièce, aux trompettes et aux cors, je fais appel à une
ponctuation à la Stravinsky. À la vingtième seconde, j’ai introduit, par un fondu
enchaîné des cordes aux clarinettes, le motif V-I qui reviendra tout au long de la pièce.
87
À 0:33, on peut entendre, se mariant au violoncelle, un bruit de porte qui
s’ouvre et qui se ferme, qui est un clin d’œil à Pierre Henry.
L’introduction se termine lorsque les grosses caisses entrent en rythme. On
entame la partie A. Les grosses caisses étant installées de gauche à droite, j’ai essayé de
reproduire un ensemble de percussions japonaises de manière à ce que l’auditeur se
retrouve au centre de cinq grosses caisses. Le rythme constant de cette première partie
passe des grosses caisses, à l’intérieur du piano frappé, au steel drum des Caraïbes et,
finalement, aux voix et aux djembes. Les accords de piano (encore une fois
l’enchaînement V-I) sont ici exposés et reviendront comme motifs cadentiels dans la
section rythmique centrale de la pièce.
La fin de A, soit à 3:10, amène le pont, section qui, selon moi, exemplifie le
mieux plus les possibilités de l’acousmatique instrumentale. Pendant une vingtaine de
secondes, amorcé par le piano et le violon seulement, on entend clairement un ensemble
instrumental jouer avec une précision rythmique qui serait impossible à reproduire en
concert : et pourtant, on y croit, l’illusion du live y est. La trompette qui bavarde sur un
accord de cors, rappelle l’introduction. Cet accord de V aux cors se « résout » sur un
accord de I à l’orgue à bouche de Thaïlande, dans lequel s’incorpore de nouveau la
quinte descendante de la clarinette. À 3:30 le clavecin introduit une variation dans sa
cadence jusqu’à une résolution sur un tapis de xylophones imitant les carillons de porte
qui indique l’arrivée et le départ d’un client dans un magasin (comme si on sortait de
cette section), d’une flûte flatterzung et des clarinettes, pour préparer le début de la
section B, qui nous transporte dans une ambiance très différente.
Dans la section B, j’ai choisi ma banque de marteaux pour créer une pulsation
continue introduisant un contraste majeur au cœur de la pièce.
88
À 5:04, pour bien mettre en évidence mes prémisses, j’ai sciemment utilisé un
effet (proscrit) que jamais je ne me suis permis lors de la création des pièces pour cette
thèse : l’inversion d’un son, pire, l’inversion d’une phrase complète de pizzicatos au
violon. On entend clairement que quelque chose de non-acoustique vient d’entrer en
scène. En ce sens, j’expose ici, grossièrement mais clairement, les conditions
acoustiques, ou du moins acoustiquement possible, que demande l’acousmatique
instrumentale pour revêtir ce terme : un son qui n’a pas une cause naturelle apparaît ici
comme un élément incongru.
À la fin de cette section, la cadence, toujours à deux notes et toujours à la
clarinette, procède cette fois de Mib à Solb. On peut aussi entendre le ukulélé dans le
suraigu reprendre le motif exposé aux pizzicatos plus tôt.
La dernière section de ce premier mouvement, la section C, est une réponse
contemplative à la section précédente rythmiquement aliénante. Elle est en même temps
une variation, sur la cadence V-I des clarinettes, appliquée à un ensemble plus grand et
plus éloigné dans l’image sonore de l’auditeur. Ensemble qui, à part pour les boîtes de
clous, n’est constitué que d’instruments traditionnels.
89
Extrait sonore
2e mouvement (CD2 no37) 3 :09
Tableau no 7 Graphique formel de Pièce montée finale 2e mouvement
Instrumentation du 2e mouvement (par ordre d’apparition) :
Saz, grosse caisse, caisse claire, timbale, respiration humaine, tambour de basque, clarinette Bb, piano,
flûte en do, flûte népalaise, guiro, violon, alto, violoncelle, bâton du racleur vietnamien, crécelle,
frottements sur vitre, soprano, alto, voix d’enfant, rire, guitare classique, caisse claire militaire, piccolo,
trompette, cor, égoïne, hochet double du Gabon, cabasa, maracas de Martinique, gouttes d’eau dans
lavabo, gargarisme, flûte basse, chaise de patio, caisse claire sans timbres, crotale, gong, vibraslap.
Le second mouvement comprend trente-huit sources. Comme pour le premier
mouvement, certaines sources sont privilégiées, comme le violon et le piano. Plus
90
particulièrement, j’ai exploité un instrument turc, le saz, un luth turc à frettes amovibles
dont chacune des quatre cordes est doublée à l’unisson. Parmi les pièces présentées, ce
mouvement offre le seul exemple où j’approche le montage
comme un mini concerto. Malgré le fait que je ne sois pas un
joueur de saz, j’ai procédé de la même manière que pour les
pièces Violon monté et j’ai improvisé sur l’instrument pendant
plus de soixante minutes pour ensuite constituer une banque avec
les éléments qui me plaisaient.
Le saz, dans ce deuxième mouvement, est, pour deux
raisons, traité généralement seul ou avec lui-même. La première
raison se trouve dans mon intention de bien faire ressortir le
caractère soliste de l’instrument vis-à-vis l’ensemble orchestral, et, la deuxième,
concerne le timbre : le saz m’a causé un problème de « blend ». En effet, j’ai retrouvé le
même problème que pour la composition de L’Éducation Physique avec le clavecin, et
aussi de Sankyoku (2e mouvement) avec le biwa, alors que l’instrument est traité
presque uniquement avec lui-même : ces timbres sont caractérisés par une forte attaque
et une très faible résonance ainsi qu’un caractère nasillard et perçant que j’ai trouvé
difficile à bien marier avec les autres sources.
La pièce est découpée en trois parties, A, B, C, qui s’entremêlent ou se
superposent. Dès l’introduction, le saz apparaît avec un rythme créé par la percussion
d’un crayon en bois sur les cordes. J’appelle cette partie A parce qu’elle est la base
rythmique de toutes les autres partie A (A’, A’’, etc.). La partie A’ fait entendre un
rythme à la timbale, la caisse claire et la grosse caisse, rappelant la batterie de la
musique populaire. Par-dessus on peut entendre une respiration, un des sons du corps
humain qui reviendra à plusieurs reprises et sous plusieurs formes. À 1:04, il y a, parmi
91
les voix chantées, un rire et à 1:53, on entend un gargarisme qui nous ramène au motif
principal du mouvement, partie A’’.
On retrouve le motif de quinte descendante du premier mouvement à la clarinette
pour la première fois à 0:24 et on pourra le repérer tout au long de ce deuxième
mouvement.
Le retour de A’ nous amène vers B au moment où d’autres instruments
mélodiques entre en jeu à 0:40. Le saz meurt en fade out pour laisser la place à un
rythme soutenu par les frottements sur vitre qui, à leur tour, feront place à un rythme de
violon (à 0:58) soutenant des voix qui font un clin d’œil au premier mouvement et qui,
comme dans ce dernier, ne reviendront pas. De 1:05 à 1:17, on entend les trois accords
de Blouskaille Olouèze joués par un quatuor à cordes qui nous amènent à la partie C à
1:17. Au même moment, j’introduis un motif de timbale en glissando qu’on retrouvera
tout au long du premier C et aussi en clôture du mouvement. Les deux parties C sont
caractérisées par des envolées d’orchestre ou la masse instrumentale est plus dense
qu’ailleurs dans le mouvement.
À 1:34, le retour de B’ est agrémenté d’un jeu de percussions très rempli. Y sont
réexposés et les frottements sur vitres et les accords de cordes. À partir de 1:46, pour
bien préparer la suite, on entend une pulsation créée par des coups à l’intérieur du
piano. Ce court passage p me semble efficace pour amener le retour à la partie A’’. Cela
nous permet de plus d’entendre le délicat son d’eau dans le lavabo ainsi que
l’agressivité des frottements sur les chaises de patio qui nous ramènent, une nouvelle
fois, au motif principal.
92
J’ai décidé de nommer AB la partie qui commence à 2:04 en raison de la
continuité du saz (A) qui se marie aux accords de cordes de B ainsi qu’à un rythme
continu que l’on entend ici au piano.
Le retour de A’’’ (2 :17) arrive cette fois au sommet de sa complexité avec en
plus un autre saz en contre-chant. Puis, à 2:32, Le dernier C apparaît orchestralement
avec des accords de cors rappelant les accords joués aux cordes des parties B.
La dernière partie AB, autour de 2:50, ramène à la fois le saz, comme tapis, en
accumulation, le rythme de timbale glissando comme pulsation et finalement, encore
une fois, le motif de quinte descendante de la clarinette comme signature de Pièce
finale montée.
93
Extrait sonore
3e mouvement (CD2 no38) 2 :56
Tableau no 8 Graphique formel de Pièce montée finale 3e mouvement
Instrumentation du 3e mouvement (par ordre d’apparition) :
Koto, Sistre-hochet mananlaga du Kenya, piano, triangle, flûte, violon, contrebasse, trompette Bb, cor,
scie-sauteuse, accordéon, steel drum des Caraïbes, grincement de porte, lime sur un étau, grosse caisse,
Ikegere d’Ouganda, chaise de patio, guitare, frottement sur vitre, glockenspiel, respires, voix d’hommes,
gong, marteau sur métal, son de bouche, boîte de clous, papier sablé sur bois, égoïne, son blanc de
télévision, guitare électrique
Ce dernier mouvement compte 29 sources. La partie A met en avant-plan le
motif de quinte descendante qu’on a pu entendre aux premier et deuxième mouvements.
94
À 0:52, une deuxième partie (B) apparaît où s’entend de nouveau le motif aux
clarinettes sur un tapis de voix, de papier sablé sur bois et d’outils. Cette progression
continue en crescendo jusqu’à 2:10 où un son blanc de téléviseur (partie hachurée sur le
graphique) et une égoïne s’unissent pour atteindre le sommet du mouvement.
La partie C est un decrescendo progressif servant de conclusion à la pièce
entière. Elle commence par un chaos créé par des violons joués sub ponticello, des
guitares électriques jouées dans l’aigu dans des rythmes confus et, juxtaposé à cela, une
cadence V-I aux cordes rappelant le motif de quinte descendante exposé tout au long de
la pièce.
Conclusion
Le procédé que je tente de mettre de l’avant dans cette thèse se trouve à michemin entre l’approche de la musique concrète et celle de la musique instrumentale.
Mon travail est motivé par le désir d’explorer les frontières de la musique
instrumentale. L’exactitude rythmique, la précision dans l’ajustement des hauteurs, les
possibilités de spatialisation (panoramisation et proximité/éloignement), le tout sous le
couvert de l’interprétation unique du monteur-compositeur, sont pour moi des
arguments musicaux de taille à l’appui de l’apport nouveau de la composition
instrumentale par montage. J’adhère par conséquent à l’expression acousmatique
instrumentale pour caractériser la musique qui en ressort.
Le procédé de composition instrumentale par montage comporte de nombreux
avantages. Dans les exemples présentés précédemment, on a pu en apprécier le potentiel
autant dans la singularité de la musique qui en est issue qu’à travers la souplesse qu’il
offre dans le contexte de la musique appliquée au cinéma, à la publicité, à la
chorégraphie. Enfin, en plus de permettre de simuler les timbres et leurs combinaisons,
il élargit le champs d’investigation du travail de composition, ce qui en fait un outil
pédagogique important.
Malgré que cette façon de faire n’impose ni une direction ni une esthétique
particulière, elle a toutefois ses limites et celles-ci, par défaut, dirigent le compositeur
vers une différente approche pour la composition instrumentale. En d’autres mots, il ne
serait pas très efficace de vouloir recréer certaines formes de musique lyrique où
l’écriture traditionnelle pour instrument atteint beaucoup plus de subtilité et de
souplesse. Même si l’on peut créer l’illusion d’une écriture pour ensemble « live », ce
procédé ne se résume pas à la simulation. Le compositeur aborde plutôt la création
d’une pièce instrumentale en misant sur les avantages qu’apporte le montage. En ce
96
sens, le compositeur-monteur adopte, dès le début de la composition, une autre
perspective.
La différence majeure entre l’écriture instrumentale traditionnelle et la
composition instrumentale par montage réside dans la transition du « possible à
produire » vers le « possible à entendre ». Par « possible à produire » j’entends la
production du son sous tous les angles, tant aux niveaux acoustique qu’économique et
pratique. L’approche par montage résout toutes ces contraintes et permet donc de ne
s’attarder qu’au résultat sonore en répondant aux volontés du compositeur quant à la
qualité et la quantité d’instruments, de timbres.
La limite implacable du support que comporte l’acousmatique instrumentale
offre en revanche la possibilité au compositeur de diriger l’oreille de l’auditeur à sa
guise, sans les contraintes d’une salle de concert ou d’un plan d’ensemble sonore. Elle
permet, de plus, de fixer l’interprétation définitivement et d’avoir le contrôle sur tous
les paramètres de la composition, de l’enregistrement jusqu’à la diffusion.
Pour toutes ces raisons, je compte continuer mes recherches en ce sens au niveau
post doctoral et de promouvoir cette approche nouvelle de la recherche en musique
instrumentale.
Août 2008
97
Bibliographie
Vers un art acousmatique, Groupe de musique vivante de Lyon, 1990
ADLER, Samuel. The study of orchestration, New York/London, W.W. Norton & Company,
1989
ATTALI, Jacques. Bruits
BAYLE, François.Musique Acousmatique, propositions…positions, éditions Buchet, Chastel,
Paris, 1993
BOULEZ, Pierre. Penser la musique aujourd’hui, Paris, Denoel/Gonthier, 1963
CHION, Michel. Guide des objets sonores, éditions Buchet/Chastel, Paris, 1983
CHION, Michel, Musiques, médias et technologies, France, Dominos/Flammarion, 1994
DANIÉLOU, Alain. Sémantique musicale, Paris, Hermann, 1967
DELALANDE, François. Le paradigme électroacoustique, paru dans: NATTIEZ, JeanJacques, Une encyclopédie pour le XXIe siècle, Tome I - Musique du XXe siècle, Paris, Acte
Sud, chapitre 22, pp. 533-558.
MESSIAEN, Olivier. Technique de mon langage musical, Paris, Alphonse Leduc, 1944
OUELLETTE, Fernand. Edgar Varèse, Montréal, Seghers, 1966
OLIVE, Jean-Paul. Musique et montage « essai sur le matériau musical au début du XXe siècle
», éditions L’harmattan, Canada, 1998
RUSSOLO, Luigi. L’art des bruits, Paris, Richard-Masse, 1954
SCHAEFFER, Pierre. À la recherche d’une musique concrète, éditions du seuil, Paris, 1952
SCHAEFFER, Pierre. La musique concrète, presse universitaire de France, Paris, 1967
98
SCHAEFFER, Pierre. De la musique concrète à la musique même, Mémoire du Livre,
Montréal, Québec, 2002
SCHAEFFER, Pierre. Traité des objets musicaux
I
Annexe no1
CD no1 extraits sonores
plage
titre
1.
Collectif de composition - Laurent Aglat Banque montée no1
2.
Collectif de composition - Laurent Aglat Banque montée no3
3.
Collectif de composition - Alain Quirion Collectif Quirion
4.
Collectif de composition - Nicolas Therrien NICO BANK NO1
5.
Collectif de composition - Nicolas Therrien NICO BANK NO2
6.
Collectif de composition - LG Breton La doctorate
7.
Collectif de composition - Guido Del Fabbro Guido collectif compo1
8.
Collectif de composition - Guido Del Fabbro Guido collectif compo2
9.
accord de Dm
10.
Cadre Harmonique I
11.
Pizz ouvert5
12.
Rebondissements col legno
13.
Gossage1
14.
Theme sul pont bpm 92
15.
Essai orchestré
16.
Flûte de Pan Pérou slide1
17.
Steel Drum Barbade loop5
18.
Instrument à vent recyclé Haiti2
19.
Rebondissements col legno sub pont
20.
Clarinette-canard18
II
plage
titre
21.
Guit loop2
22.
Cor4
23.
Blouskaille Olouèze Extrait no1
24.
Blouskaille Olouèze Extrait no2
25.
Blouskaille Olouèze Extrait no3
26.
Blouskaille Olouèze Extrait no4
27.
Blouskaille Olouèze Extrait no5
28.
Blouskaille Olouèze
29.
3 accords Blouskaille
30.
thème Blouskaille
31.
Extrait sonore partition d’écoute Blouskaille Olouèze1
32.
Extrait sonore partition d’écoute Blouskaille Olouèze2
33.
Percu montée
34.
Glockenspiel thème
35.
Snare sans timbres1
36.
Timbale roulement-slide
37.
Impressions de Tokyo (extrait)
38.
Impressions de Tokyo (entière)
39.
Piano-Montage
40.
Frappe intérieure
41.
Cloche1
42.
Cluster1
43.
Accord2
III
plage
titre
44.
coups sur cordes
45.
rebound2
46.
pizz bloqué gliss ascendant
47.
tremolo harmonique1
48.
Violon monté no1
49.
Violon monté no2
IV
Annexe no2
CD no2 extraits sonores (suite)
plage
titre
1.
Violon monté no3
2.
C’est ainsi qu’on avale Artaud Tableau 6
3..
C’est ainsi qu’on avale Artaud Vidéo final
4.
C’est ainsi qu’on avale Artaud Tableau 2
5.
Scie3
6.
Scie10
7.
Scie thème9
8.
Vitre 1
9.
Vitre 2
10.
Vitre 3
11.
L’Éducation Physique Formule 1
12.
L’Éducation Physique Pause
13.
extrait sonore Motif main droite mesures 2-3 de Eeffee
14.
Thème variation rythmique no21
15.
Accord no9
16.
Cluster aigu no1
17.
Shamisen monté no1 (Yonetawa)
18.
Shamisen monté no3
19.
Shamisen monté no4
20.
Shamisen monté no5 (Atsuryoku « stress »)
V
plage
titre
21.
Koto monté no1
(Hira Joshi)
22.
Koto monté no2 (Gaku Joshi)
23.
Koto monté no3 (Boku no Joshi)
24.
Shakuhachi monté no1
25.
Shakuhachi monté no2
26.
Shakuhachi monté no3
27.
Shakuhachi monté no4
28.
Sankyoku monté 1er mouvement
29.
Sankyoku monté 2e mouvement
30.
Essai pour orchestre monté no1
31.
Essai pour orchestre monté no2
32.
Essai pour orchestre monté no3
33.
Babel extrait no1
34.
Babel extrait no2
35.
Babel extrait no3
36.
Pièce montée finale 1er mouvement
37.
Pièce montée finale 2e mouvement
38.
Pièce montée finale 3e mouvement
VI
Annexe no3
CD no3 data
1. Extrait vidéo de Pouliches
2. Extrait vidéo de La poignée de porte
3. Extrait vidéo de Hiémal
4. Extrait vidéo de Cirque Carpe Diem
5. Extrait vidéo de Manden og magen (The man and the albatross)
6. Extrait vidéo de Hvis jeg glemmer dig (Tu nous manques)
7. Extrait vidéo de SAAQ – Alcool
8. Banque de sons du collectif de composition
9. Partition d’écoute de Blouskaille Olouèze (JPEG)
10. Partition d’écoute2 de Blouskaille Olouèze (JPEG)
11. Extrait vidéo de Blouskaille Olouèze
12. Partition d’écoute de Percu Montée (.pdf)
13. Partition de Babel (.pdf)
14. Extrait vidéo de C’est ainsi qu’on avale Artaud
15. Partition de Eeffee (.pdf)
16. Thèse de doctorat en format Word
VII
Annexe no4
La fusion des musiques concrète et instrumentale au
XXIe siècle. Démarche actuelle du compositeur québécois
Laurent Aglat
René Bricault,
Montréal, Canada
[email protected]
Actes du Colloque international : « Composer au XXIe Siècle – Processus et Philosophies »
Montréal (Québec) Canada, 28 février – 3 mars 2007
Résumé
Nous proposons, par l’entremise d’une réflexion sur les courants récents mariant les instruments
traditionnels aux nouvelles technologies, de présenter les œuvres et la démarche créatrice actuelle
du compositeur québécois Laurent Aglat, doctorant en composition mixte à l’Université de Montréal.
Son approche est intéressante d’un pont de vue musicologique dans la mesure où elle fusionne de
nombreux concepts et préoccupations de la musique concrète à la composition instrumentale. Elle
consiste essentiellement en une modification, par ordinateur, des différents paramètres sonores
d’une source instrumentale préalablement enregistrée, et mise en forme par montage. De prime
abord, on ne semble pas très loin de la définition prototypique de la musique concrète ; mais les
termes essentiels d’ « ordinateur » et « source instrumentale » (remplaçant les « studio » et « objet
sonore » de la musique concrète) en changent complètement le sens.
Dans sa musique, et contrairement aux idéaux de la musique concrète, il n’est pas rare du tout,
bien au contraire, de bien percevoir la source acoustique du son résultant, souvent (mais pas
nécessairement) plus « musical » que « bruitiste ». Ainsi, elle se rapproche à la fois de la conception
architecturale d’un Schaeffer et de la conception néo-syntaxique d’un Boulez.
Introduction
Nous aimerions tout d’abord commencer en présentant quelques avertissements, histoire d’éviter
ambiguïtés et malentendus. Nous ne prétendons pas présenter ici une révolutionnaire nouvelle
musique concrète, mais plutôt le reflet d’une tendance créatrice émergente à l’importance croissante
en musique occidentale, de l’avant-garde savante à la musique de danse techno, et qui consiste à
manipuler des motifs de musique instrumentale préenregistrée en utilisant les techniques et méthodes
de la musique concrète. Nous tenons à faire ressortir cet état de fait pour, finalement, rendre un
VIII
hommage plus ou moins direct aux innovations fondamentales de Pierre Schaeffer, que l’on
retrouve même dans des musiques fort éloignées de la sienne.
Parmi celles-ci, la musique du jeune compositeur Laurent Aglat nous intéressera particulièrement,
pour des raisons purement musicales dont nous reparlerons plus tard, mais qui a d’abord l’avantage
d’être d’une grande pertinence au sein d’un colloque sur la composition au XXIe siècle, puisque le
compositeur se trouve en tout début de carrière. Ceci dit, les publications le concernant sont pour
ainsi dire inexistantes. Nos connaissances quant à ses idées et ses objectifs proviennent donc
d’entretiens et de correspondances personnels ; pour plus de détails, se référer à son site internet :
laurentaglat.com. Ces quelques avertissements faits, nous pouvons commencer.
Du passé au présent I
Rares sont les nouvelles musiques qui, même celles prétendant faire table rase du passé,
s’émancipent complètement de l’influence de leurs illustres prédécesseurs. La jeune musique du XXIe
siècle ne fait pas exception à cette règle, et porte le poids du XXe siècle sur ses épaules, charge
particulièrement lourde vu la richesse de ses variété et quantité. Parmi les importants changements
de valeurs de ce grand siècle, force est de constater qu’un paramètre sonore, à la fois très flou et bien
connu,
a
su
se
propulser
d’un
arrière-plan
décoratif
à
l’avant-scène
des
préoccupations
compositionnelles : le timbre. De Bach à Debussy en passant par Berlioz, on remarque sans effort que
c’est une tendance qui vient de loin, en avançant lentement. Mais c’est au XXe siècle que le timbre, à
l’instar du rythme depuis Le sacre du printemps, devient une partie intégrante de la cohérence
formelle et de la structure morphologique : déjà chez Debussy, ensuite Varèse, Messiaen, Boulez, et
Schaeffer, pour ne nommer que les Français.
Terminer cette prestigieuse liste par Schaeffer nous permet de faire une transition vers la seconde
tendance du XXe siècle essentielle à notre analyse. Tendance intimement liée à la première d’une
part, et d’autre part à cette véritable révolution (originale au sens propre) qu’est la musique
électroacoustique : le mélange de plus en plus intime entre l’instrumental et l’électronique. D’abord
farouchement opposés, on entend soudain, avec une touchante timidité, la voix se mêler aux sons
électroniques dans Gesang der Jünglinge. Ensuite viendra la musique mixte avec, toujours de
Stockhausen, Kontakte, suivie de la live electronic sous ses formes variées : les synthétiseurs de
Musica Elettronica Viva, les manipulations en temps réel du Répons de Boulez, l’amplification
d’instruments comme dans Nymphea de Saariaho, ou la présence d’un disc-jockey accompagnant voix
et quatuor dans le Forbidden Fruit de Zorn. Cette mixité tous azimuts se retrouve, plus près de nous
en temps comme en lieu, dans la musique du compositeur canadien Paul Dolden, synthétisant de
multiples approches dans des œuvres telles que Revenge of the repressed.
Méthode
Recherches sur le timbre et nouvelle mixité, musique sur support et musique instrumentale, la
démarche actuelle d’Aglat les équilibre comme jamais, avec toute l’élégance de la simplicité
d’approche. Tout d’abord, le compositeur conçoit l’idée globale de son œuvre, imagine ce que sera son
IX
matériau de base. Il peut, ou non, transcrire un certain nombre de motifs ou phrases en notation
traditionnelle, ou simplement quelques directives verbales. Ensuite, il se rend en studio avec les
musiciens dont il a besoin pour enregistrer ledit matériau. Il peut, ou non, conserver nombre de prises
inexactes, imprécises ou accidentelles si son instinct lui dicte qu’elles pourraient lui être utiles. C’est
en faisant le tri et un classement des motifs à utiliser que la composition, sous forme virtuelle,
commence à voir le jour. Cette banque de sons, comme l’appelle le compositeur, ressemble déjà à
une œuvre ouverte, pouvant servir à la réalisation de plusieurs pièces indépendantes, ou regroupées
en cycle, ou utilisées collectivement par un groupe de créateurs. Quoi qu’il en soit, la, ou une, pièce
sera achevée lorsque sera mixé le montage, la com-position du matériau en une forme précise et
immuable.
L’étape du montage peut se faire de plusieurs façons, et avec plusieurs visées ; nous ne nous
attarderons, pour raisons d’espace, que sur les techniques d’Aglat. Il enregistre, donc, ses instruments
directement du micro, à une console, vers son ordinateur, sous forme de blocs (enregistrés sous
format .WAV) faciles à manipuler, et sur lesquels sont dessinées, à l’instar d’un diagramme de
sonomètre, les vibrations du motif musical. Facile à manipuler, car on peut isoler chacun de ces blocs
musicaux pour travailler sur ses détails (en couper une partie, changer l’amplitude ou la hauteur,
modifier la vitesse, y ajouter réverbération ou filtres divers, etc.). Une fois les détails fixés, on place le
bloc sur une piste disponible (car il existe nombre de programmes imitant les consoles de mixage
multipistes traditionnelles), on répète le processus pour l’ensemble des blocs, et on mixe le tout sur
support (dont le CD gravé) pour la diffusion.
Bien que ces manipulations semblent faire une très grande place au domaine d’expertise de la
musique concrète, Aglat insiste sur le fait instrumental d’abord, en s’imposant des limites précises.
Limites qui se résument au montage proprement dit, à la prise de son, et à la répartition spatiale des
éléments, c’est-à-dire qu’il ne transforme pas le son au point de le rendre méconnaissable (comme,
par exemple, Jonathan Harvey dans son œuvre Advaya). Il va plutôt jouer avec la multiplication
polyphonique des pistes, avec des prises de son très éloignées de l’instrument (son global) ou très
rapprochées (son détaillé), ou avec d’originales répartitions du matériau dans l’espace stéréophonique
(technique dite de panning), ou encore avec des rapports timbre/amplitude incongrus (par exemple,
instrument joué fortissimo mais mixé pianissimo, ou vice-versa). On comprend donc qu’il présente
une musique instrumentale ne pouvant se passer des techniques de la musique concrète, et que par le
fait même, deux innovations riches en potentiel sont maintenant proposées au compositeur de
musique instrumentale : l’orchestration par mixage/montage, et la composition à partir de matériaux
limités et plus ou moins finis. Avant d’analyser ces innovations, nous vous référons au document
sonore fourni, une étude pour piano intitulée Pièce-exemple no 6 : Amsterdam.
Analyse
On remarque tout de go, à l’écoute de cette étude, un avantage majeur que suggère le concept
d’orchestration par mixage/montage, soit la possibilité de multiplier facilement, rapidement et
économiquement le nombre et la nature des voix, avantage partagé avec la live electronic et, surtout,
X
la musique dite acousmatique. La particularité que propose cette approche par rapport à
l’instrumentation traditionnelle se trouve dans l’indépendance du timbre des voix. On le sait, faire
jouer trente violons ensemble sur une scène va créer un effet de fondu du timbre, les voix vont
s’harmoniser et s’influencer mutuellement du pont de vue du timbre. C’est un effet riche et agréable
qu’il faut savoir conserver. La live electronic à la Boulez, elle, va dépendre du timbre de l’instrumentsource pour ses modifications (créant une dichotomie dynamique entre la source acoustique et ses
doubles amplifiés), tandis que les synthétiseurs se rapprochent plutôt des préoccupations de la
musique électronique. Chez Aglat, par contre, on isole chacun des motifs de l’ensemble, lui permettant
de conserver une plus grande part de ses caractéristiques, éliminant en grande partie le fondu du jeu
instrumental en concert. Pour le compositeur, cela représente la possibilité d’enrichir la complexité
contrapuntique tout en conservant une certaine clarté, une précision dans la perception des trames
composant le discours. Un complément fantastique à l’acoustique de concert voit donc le jour,
inversant ses qualités et ses défauts.
Conserver, même dans un ensemble d’instruments homogènes, les caractéristiques du timbre d’un
motif devient encore plus important quand on pense aux variétés sonores qu’on peut tirer d’une prise
de son consciente d’elle-même. En effet, on entendra une grande différence, surtout des points de vue
des transitoires d’attaque et du grain, entre une prise de son où le micro est très rapproché de
l’instrument, ou vice-versa. Il en va de même pour d’autres aspects du timbre dans les cas d’un
environnement avec peu ou beaucoup de réverbération naturelle, ou selon le type de micro employé,
par exemple. Ce qui est souvent si difficile à noter sur une partition gagne ici une précision presque
chirurgicale.
Une fois toutes ces subtilités mises sur support avec l’assurance d’une perception claire dans un
ensemble, l’avantage le plus intimement lié à l’orchestration proprement dite peut commencé à être
exploité, soit le dosage des amplitudes. C’est carrément une nouvelle façon de penser l’orchestration.
On peut prendre le plus doux pianissimo de son filé de violon et le faire dominer le plus puissant
fortissimo de cuivres. Grâce aux jeux possibles des effets stéréophoniques, on peut faire promener ce
même son, ou un autre, de la gauche vers la droite, et vice-versa. Le compositeur propose à l’auditeur
rien de moins qu’une promenade analytique au sein de l’orchestre (voire au sein du son lui-même,
pour parler en acousmate), mais avec le même trajet pour tous les auditeurs, ce que ne pouvaient
accomplir, malgré leur qualité, des œuvres comme Gruppen ou Terretekhtor, contraintes à un espace
variable selon la position de l’auditeur dans la foule. Nul doute que le compositeur de La Mer aurait été
fort impressionné par cette nouvelle ressource…
Devant tant de possibilités, aussi vastes, il est rassurant de constater qu’Aglat n’oublie pas les
principes d’économie et de cohérence chers à la tradition compositionnelle savante occidentale. Ces
derniers, il se les impose par la banque de sons, liée au concept précédemment mentionné de
composition à partir de matériaux limités et plus ou moins finis. Voyons cela de plus près. Dans une
fugue de Bach, on le sait, la cohérence et l’économie viennent du thème, constamment repris par
différentes voix alors que les autres l’accompagnent et lui font écho. Dans la forme-sonate classique,
c’est la dynamique d’une tension développée et résolue entre deux thèmes de tonalités au départ
XI
différentes. Dans certaines œuvres de Brahms, même combat, mais avec des thèmes souvent tirés
d’une même structure intervallique. Ce qui nous amène au dodécaphonisme, éléments tirés d’une
même série, et à la musique sérielle, où tout est tiré d’une même structure de base transférée par
isomorphie aux différents paramètres. Construire une banque de sons, c’est agir avec la conscience de
poids de l’histoire, mais aussi avec le pragmatisme de l’œuvre à accomplir, et ses exigences propres.
En poussant un peu la note (sans mauvais jeu de mots), histoire de donner une idée du potentiel
artistique de la pensée d’Aglat, on pourrait dire que l’utilisation de matériaux limités et plus ou moins
finis permet une répétition intelligemment modulée de motifs comme chez Bach, une tension
dynamique entre éléments comme chez Mozart, ou une capacité de générer thématiques et structures
formelles à partir de presque rien, comme chez Brahms et les sériels. Aglat écrit d’ailleurs sur son site
web : « la cohérence est presque inévitable ». Nous ajouterions, moins provocateur : pour qui a le
génie de la réalisation efficace.
Liens avec la musique concrète
Avant de poursuivre l’exploration des liens à faire avec d’autres types d’écriture plus récents, nous
aimerions souligner quelques corrélations plus détaillées avec la musique concrète. Après tout, celle-ci
a vu le jour en partie grâce à des œuvres instrumentales montées sur support. Nous pensons aux
Études de bruit 3 (concertante) et 4 (composée), à la Suite no 14, et surtout au Bidule en ut, toutes
de Schaeffer, toutes datant des débuts de la musique concrète. Ce même Schaeffer, dans son recueil
De la musique concrète à la musique même (Schaeffer 2002), énonce trois postulats et cinq règles à
suivre qu’on retrouve directement chez Aglat, quoique inconsciemment (cela nous a été confirmé,
rendant le parallèle d’autant plus étrange). Voici les trois postulats :
1. Primauté de l’oreille
2. Retour aux sources acoustiques vivantes
3. Rechercher un langage.
Et les cinq règles :
1. Apprendre un nouveau solfège
2. Créer des objets sonores
3. Apprendre des procédés, i.e. manipuler des appareils qui ne sont pas des
instruments de musique
4. Avant de concevoir des œuvres, réaliser des études
5. Le travail et le temps.
Malgré le caractère général des postulats 1 et 3, et des règles 1 et 5, il faut avouer que le réflexe de la
réalisation d’études ou le retour aux sources acoustiques a de quoi étonner, tant d’années plus tard. Il
y a aussi les quatre manipulations sur les formes, décrites dans le Traité des objets musicaux
(Schaeffer 1966), que nous avons pour la plupart déjà analysées :
1. Manipulations sur le profil dynamique (que nous avons appelé le dosage des
amplitudes)
2. Manipulations sur le contenu harmonique (position du micro, ajout de filtres
XII
discrets)
3. Modulations de forme (ce que s’interdit Aglat, mais qui demeure disponible pour
d’autres approches esthétiques)
4. Les mixages, les montages (soit la technique principale d’Aglat).
Même son de cloche dans l’opuscule La musique électroacoustique de Michel Chion. Dans son
inventaire de onze manipulations du son, nous n’en comptons que deux ou trois qui ne s’appliquent
pas chez Aglat (Chion 1982) : opérations sur la masse (et encore !), lecture à l’envers, voire
manipulations spéciales ou composées. Le reste, comme nous l’avons vu, est disponible : montage,
mise en boucle, transpositions, réverbération et écho, lectures avec retards, mixage et répartition
spatiale, etc.
Nous aimerions également commenter l’un des concepts les plus importants de François Bayle,
acousmate aguerri et convaincu s’il en est, soit le concept d’i-son, ou image de son, développé à loisir
dans son recueil d’articles Musique acousmatique. Propositions… …positions (Bayle 1993). En gros, il
compare avec raison le son fixé sur support, ou i-son, avec l’image de quelque chose (photo, tableau,
etc.) en opposition avec sa manifestation réelle. C’est un fait que l’image d’un coucher de soleil est
différente du coucher de soleil comme tel : outre la notion de permanence de l’objet, celle-ci a ses
qualités morphologiques propres : le coup de pinceau de l’artiste, le grain de la photo, etc. Il en va de
même pour le son, même non modifié, à cause entre autres des micro et haut-parleur. En voulant
légitimer, de façon apparemment exclusive, la musique acousmatique abstraite et non-référentielle,
Bayle semble oublier que des sons anecdotiques (comme des instruments de musique), qu’il se refuse
pour des raisons esthétiques, peuvent aussi profiter des avantages du concept d’i-son. Comme la
photo figurative analyse l’image réelle, ainsi en va-t-il pour l’i-son instrumental.
Du passé au présent II
En guise de conclusion, nous allons présenter quelques réflexions sur la façon dont l’acousmatique
instrumentale (terme qu’Aglat a repris du compositeur français Michel Pascal) pourrait contribuer au
développement ultérieur de certaines techniques d’écriture des grands maîtres de l’avant-garde
récente. Outre les exemples déjà mentionnés, nous songeons entre autres à la micropolyphonie d’un
Ligeti, dont les structures rythmiques et harmoniques parfois fort complexes pourraient bénéficier de
la générosité du multipistes. Faut-il rappeler qu’Atmosphères n’aurait pu voir le jour sans les études
de Ligeti aux studios de Cologne ? Considérons aussi les études pour piano mécanique de Nancarrow
ou les œuvres virtuoses de Berio, Xenakis et Ferneyhough, qui ont tant inspiré les interprètes à se
surpasser ; l’acousmatique instrumentale s’inscrit dans cette perspective historique d’évolution des
techniques d’interprétation, dans la mesure où des interprètes téméraires seraient tentés de
reproduire en concert certaines œuvres. Les compositeurs de musique de film ou pour des
chorégraphies pourraient voir leur travail (et leurs dépenses, à n’en point douter) diminuer
considérablement, vu la malléabilité précise du matériau. Les recherches sur la forme et la matière du
son, chères à l’école dite spectrale, se trouvent eux aussi en terrain fertile.
XIII
Mais c’est, de l’avis d’Aglat comme de l’auteur, les démarches esthétiques d’un Lachenmann qui
représentent le domaine potentiellement le plus riche de progrès. La musique concrète instrumentale,
comme l’appelle fort à propos Lachenmann lui-même (Weid 1997), reste quelque peu limitée par cette
lutherie qu’elle cherche justement à pénétrer plus à fond : certains bruits ou timbres ne peuvent
s’exécuter qu’à des intensités extrêmes, coinçant le discours dans certains registres dynamiques.
L’acousmatique instrumentale règlerait nombre de problèmes de ce genre, et ouvrirait la porte à un
monde sonore déjà âgé mais inexploité. N’y manque, finalement, que quelques cultivateurs curieux et
passionnés.
Bibliographie
Bayle, François. Musique acousmatique. Propositions… …positions. Paris : Buchet/Chastel, 1993.
Chion, Michel. Guide des objets sonores. Pierre Schaeffer et la recherche musicale.
Paris : Buchet/Chastel, 1983.
---. La musique électroacoustique. Paris : Presses universitaires de France, 1982.
Schaeffer, Pierre. De la musique concrète à la musique même. Paris : Mémoire du livre, 2002.
---. Traité des objets musicaux. Essai interdisciplines. Paris : Seuil, 1966.
Weid, Jean-Noël von der. La musique du XXe siècle. Paris : Hachette, 1997.