Le fonds de roulement, piège à capital Pour réduire le volume des

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Le fonds de roulement, piège à capital Pour réduire le volume des
Le fonds de roulement, piège à capital
Pour réduire le volume des capitaux investis dans son activité, toute entreprise a intérêt à comprimer au
maximum son besoin en fonds de roulement.
Investir, c'est avancer de l'argent qu'on espère récupérer plus tard avec les bénéfices dégagés par
l'activité réalisée grâce à ce capital. Quand on évoque les investissements, on pense en général aux
machines ou aux bâtiments. Mais d'autres dépenses nécessitent d'avancer du capital pour faire
fonctionner une entreprise : il faut aussi financer les stocks et les retards de paiement des clients. Et cela
peut peser très lourd. Explications.
Quand un grossiste en prêt-à-porter pour femmes achète comptant au mois d'octobre les
vêtements qu'il vendra au cours de la saison d'été, il avance le coût de ces marchandises
pendant six mois environ. Jusqu'à ce que, vers le mois d'avril, les clientes commencent à
acheter leur tenue estivale. Mais alors qu'il encaissera les ventes des vêtements d'été, notre
commerçant devra déjà commander et payer la collection d'hiver… Il doit donc en permanence
faire l'avance du prix d'achat des vêtements qui remplissent ses rayons. Son stock moyen
constitue en fait un investissement, puisqu'il exige un financement permanent, au même titre
qu'une machine. Certes, ce stock se renouvelle plusieurs fois par an, mais un lot de
marchandises chasse l'autre et l'encours ne descend jamais au-dessous d'un certain niveau.
Poursuivons l'analyse du cycle d'exploitation du magasin : un lot de marchandises est vendu et
quitte le stock. Si le client a obtenu un délai de paiement, le commerçant enregistre dans ses
comptes une créance sur ce client, mais sa situation de trésorerie n'a pas changé : aucun
argent n'est rentré. Certes, l'argent finit (en général) par rentrer, mais ce type de créances se
renouvellent et restent, elles aussi, à un niveau incompressible qu'il faut financer.
Notre commerçant a cependant dans ce domaine une consolation : il peut jouer le même jeu
avec ses propres fournisseurs et obtenir d'eux des délais de règlement. Ces dettes diffèrent
alors la sortie d'argent pendant quelques semaines. Et bien qu'elles soient de court terme, elles
se renouvellent et se maintiennent, elles aussi, à un niveau permanent qui réduit d'autant les
besoins de financement de son entreprise.
Pour toutes ces raisons, le cycle d'exploitation de l'entreprise exige donc un financement stable,
au même titre que les immobilisations. Ce besoin financier est grosso modo la somme du
niveau des stocks, augmenté de celui des créances sur les clients et diminué des dettes envers
les fournisseurs. Un solde qu'on appelle le "besoin en fonds de roulement" d'une entreprise. Les
expressions anglaise de working capital ou espagnole de capital circulante sont encore plus
parlantes.
Comprimer le besoin en fonds de roulement
Le besoin en fonds de roulement mérite qu'on s'y intéresse pour au moins trois raisons.
D'abord parce qu'il est pernicieux… En effet, il pompe la trésorerie de l'entreprise sans que cela
se voie. Il s'accroît en particulier au même rythme que le chiffre d'affaires : si notre commerçant
augmente ses ventes de vêtements, il devra agrandir ses stocks et consentir des créances à
davantage de clients. Même si les dettes fournisseurs gonflent parallèlement, le besoin en
fonds de roulement sera à la hausse. Il représente donc un investissement silencieux : il
s'impose sans être jamais formellement décidé. Bien des créateurs d'entreprise méritants qui
rencontraient un succès commercial rapide ont échoué, faute d'avoir anticipé la hausse de ce
besoin.
La deuxième raison de ne pas négliger le besoin en fonds de roulement, c'est qu'il peut peser
d'un poids considérable, supérieur à celui des immobilisations classiques. Un exemple pétillant
en est fourni par les producteurs de champagne. Dans le groupe Vranken (voir tableau), la
valeur des stocks de bouteilles en voie de maturation dépasse de 75% la valeur des
immobilisations. Le niveau de ces stocks s'explique par la durée particulièrement longue de
bonification du vin de Champagne : chez Vranken, chaque bouteille restait stockée vingt-deux
mois en moyenne en 2005. Pour financer un tel niveau de fonds de roulement, il faut mobiliser
d'importants capitaux, qui appellent une rémunération (intérêts pour la dette, dividendes pour
les capitaux propres). Parce que le besoin en fonds de roulement est coûteux, l'entreprise a
donc intérêt à le comprimer au strict nécessaire.
Car il peut (et doit) être géré, et c'est le troisième motif d'attention pour les gestionnaires. Toute
entreprise a intérêt à réduire les stocks et les créances clients et, au contraire, à "tirer" sur les
dettes fournisseurs. Comment? Les groupes automobiles qui ont adopté les systèmes de
production individualisés à la commande (juste-à-temps) ont beaucoup diminué leurs stocks de
voitures et d'encours de fabrication De même, les grands distributeurs de vêtements ou de
chaussures de sports cherchent à lancer la production de plus en plus tard en fonction de la
demande, évitant ainsi au maximum de financer à l'avance des montagnes d'articles. Ce dont
ne manquent pas de se plaindre les fournisseurs souvent soumis à des à-coups brutaux.
Minimiser les créances clients et maximiser les dettes
La réduction des délais de règlement des clients est aussi une priorité de bonne gestion. A
condition toutefois de ne pas les décourager. On peut les inciter à payer à la commande. Il est
encore plus intéressant de réussir à les faire payer à l'avance ! C'est le principe de
l'abonnement (presse, spectacles) ou des cartes prépayées (téléphone, Internet, transport,
cantine, cinéma, etc.). Quant aux industries où le cycle de production est particulièrement long
(promotion immobilière, travaux publics, construction navale…), le client est en règle générale
appelé à verser des acomptes. Même les producteurs de champagne, Vranken et les autres,
ont compris le système : ils vendent maintenant leurs vins en "primeurs", avant même qu'ils
n'aient été vendangés. Enfin, à défaut de parvenir à réduire les créances sur les clients, il est
possible d'en accélérer l'encaissement en les revendant à un banquier (c'est ce qu'on appelle
l'escompte) ou à des investisseurs sur les marchés financiers (la titrisation).
Reste aussi à tirer le meilleur parti du crédit des fournisseurs en les payant le plus tard possible.
Encore faut-il disposer à leur égard d'un réel pouvoir de négociation. C'est le cas notamment de
la grande distribution en raison des volumes importants qu'elle traite. Le bilan d'un groupe
comme Auchan (voir tableau) montre que ses dettes envers les fournisseurs ou d'autres tiers
dépassent largement le total de ses stocks et de ses créances : quand nous payons les yaourts
à la caisse de l'hypermarché, celui-ci n'a pas encore réglé la facture du fournisseur Danone. En
2005, Auchan a su retarder le règlement de ses factures de 79 jours en moyenne. Ainsi,
contrairement à la plupart des autres entreprises, les distributeurs disposent en permanence
d'argent qui leur est avancé par leurs fournisseurs. Ils n'ont donc pas un besoin de fonds de
roulement mais, au contraire, ils disposent d'une ressource en fonds de roulement. Celle-ci
atteint dans le cas d'Auchan un montant comparable aux capitaux propres du groupe. Mais
dans le jeu des délais de paiement, ce qui est gagné par une entreprise est perdu par l'autre.
On n'est pas là dans un jeu gagnant-gagnant…
Minimiser les stocks et les créances clients sans compromettre l'activité, maximiser les dettes
auprès des fournisseurs sans fragiliser ses approvisionnements : tel est donc l'objectif que doit
poursuivre chaque entreprise, afin de réduire le volume des capitaux investis dans son activité.
Laurent Batsch, professeur de gestion à l'université Paris-Dauphine
Alternatives Economiques n° 253 - décembre 2006

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