Usages militants de la technique : technologies, medias, mobilisations.

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Usages militants de la technique : technologies, medias, mobilisations.
Usages militants de la technique : technologies, medias, mobilisations.
Liberty-Web. Bataille sur Internet.
La liberté d’expression sur Internet est désormais régulée par des chartes, des webmestres, des
administrateurs et des modérateurs, voire par les fournisseurs d’accès et la justice. Cependant,
elle reste grande. Elle fait d’Internet une agora moderne et virtuelle offrant la possibilité aux
militants de tous bords de discuter, de se fédérer ou de s’affronter. Cette agora permet donc
aux observateurs de prendre facilement connaissance de mouvements ayant une place
restreinte dans les médias traditionnels, car jugés minoritaires ou extrémistes. En France, c’est
par exemple le cas de mouvements identitaires et ultras, qu’ils soient nationalistes, blancs,
noirs, chrétiens, musulmans, ou juifs.
Internet permet d’observer sur la durée, des débats, des alliances et des confrontations mettant
en scène des mouvements de ce type. La nébuleuse Liberty-Web, une constellation de sites
d’extrême droite, en constitue un exemple intéressant.
On peut cependant se demander si Internet a seulement permis à ces mouvements de
s’exprimer à travers un média nouveau, ou si il leur a également permis de se matérialiser
sous la forme de groupes aux objectifs et aux fonctionnements nouveaux. Inversement, on
peut se demander si l’investissement de la toile par ces mouvements, a contribué à engendrer
une nouvelle forme de gouvernance de l’Internet ; ou au moins une évolution dans
l’élaboration et la mise en place des principes, des règles, et des programmes communs qui en
régissent l’utilisation par l’Etat, la société civile, et les fournisseurs d’accès. Evidemment,
seule une étude approfondie pourrait répondre à ces questions. Néanmoins, l’observation de la
constitution de la nébuleuse Liberty-Web, et de ses conséquences, peut nous apporter un
éclairage intéressant sur ces problématiques.
Cette affaire a suscité de nombreuses réactions dans le World Wide Web, sous la forme de
brèves et d’articles sur des sites ou des webzines. Elle a notamment fait l’objet d’une série
d’articles de Jean-Marc Manach sur Transfert.net, webzine consacré aux nouvelles
technologies et à leur impact. Par ailleurs, la presse écrite nationale y a consacré un certain
nombre d’articles. Le MRAP et CNCDH ont également produit des rapports qui y font
référence ainsi que quelques communiqués. Par ailleurs, des milliers de messages produits par
les protagonistes de cette affaire sont encore disponibles dans les archives de groupes Usenet,
disponibles via Google Groups. Et cela notamment dans celles du groupe « fr.soc.politique »,
consacré, comme son nom l’indique, à la politique. Enfin, les pages des sites comme SosRacaille.org, appartenants à la nébuleuse Liberty-Web, et disparus depuis, ont été enregistrés
en partie et sont consultables sur la Wayback Machine1.
Les tenants et les aboutissants de cette affaire restent flous, et le resteront sans doute.
Cependant, les sources citées plus haut permettent d’ores et déjà d’en faire un bref exposé.
1
Moteur de recherche du site web.archive.org, mettant à la disposition des internaute des pages Web, archivées depuis 1996
1
Affrontements sur Usenet.
L’histoire débute en 1999 dans la hiérarchie francophone d’Usenet, système en réseau de
forum de discussion accessible depuis Internet. Certains administrateurs bénévoles y
remarquent un individu, surnommé plus tard le Caméléon, qui en utilisant plusieurs avatars,
pollue différents forums. Il y poste des messages jugés racistes ou propose des CD piratés
vendus via son site cameleon.org. Cela étant interdit par les chartes des forums, les
administrateurs le rappellent à l’ordre, puis bloquent la diffusion de certains de ses messages2.
Durant deux années, ces administrateurs sont alors attaqués. En effet, en invoquant la liberté
d’expression, Le Caméléon mène campagne sur les forums contre ceux qu’il désigne comme
les « CenSSeurs » d’Usenet3. Leur boite mails, ainsi que les forums de discussions, sont
inondés de menaces à leur encontre. Leurs identités sont usurpées afin de les faire passer pour
des extrémistes, des racistes ou des pédophiles. Dans ce but, des messages sont postés à leurs
noms sur les forums, et des images truquées sont mises en ligne. Cela déclenche d’ailleurs des
enquêtes, et des perquisitions de la police au domicile de plusieurs d’entre eux. Enfin, leurs
noms, téléphones, adresses et photos sont diffusés accompagnés d’un appel à « leur régler
leurs comptes ».
Le Caméléon est bientôt rallié par un nombre grandissant de sympathisants qui intègrent
l’affrontement. Un affrontement présenté comme une lutte contre la censure sur Internet et
contre le politiquement correct. En effet, le Caméléon dénonce le mode d’administration
d’Usenet. Selon lui, Usenet serait aux mains de militants d’extrême gauche, en relation avec
les fournisseurs d’accès4. Ces militants empêcheraient l’expression d’opinions contraires aux
leurs, notamment sur les questions de l’immigration et de la délinquance.
Création de sites d’extrême droite sur le Web.
Dans ses messages, il invite également les internautes à visiter son site, Caméleon.org. Là, il
propose, gratuitement ou moyennant finances, des moyens pour déjouer la « cenSSure » et
communiquer, naviguer, ou créer un site, de façon anonyme dans le World Wide Web. En
février 2001, il crée un nouveau site nommé Liberty-web.net. Moyennant finances, il y
propose à ses sympathisants d’héberger anonymement leurs sites, via un serveur basé aux
Etats-Unis, et enregistré commercialement au Panama5. La seule contrainte pour ces sites est
d’être en accord avec la ligne politique de l’hébergeur, et avec la législation des Etats-Unis
concernant la liberté d’expression.
Ce serveur accueille donc progressivement une trentaine de sites francophones, tous
accessibles via le site Liberty-web.net, qui sert également de portail. Sur la page d’accueil, il
sera plus tard inscrit que « Liberty-web fournit un espace de liberté » à ceux pour qui «
l'avenir de la France ne passe pas par l'islamisation à marche forcée »6.
2
3
4
5
6
Xavier Ternisien, La victoire d'une poignée de cyberjusticiers contre des sites racistes, Le Monde, 30 septembre 2003
Archives Usent fr.usenet.abus.d et fr.soc.politique
Ibid.
Jean-Marc Manach, Cameleon, le cerveau technique de Sos-racaille.org, Transfert.net, 16 juillet 2003
Liberty-web.net
2
Ces sites sont présentés comme racistes, nationalistes, royalistes, catholiques intégristes ou
sionistes extrémistes dans un rapport du MRAP datant de juillet 20037. Sans rentrer dans les
détails, la plupart de ces sites prennent pour cibles les immigrés, les noirs et les arabes, les
musulmans, la « racaille », les antiracistes et les défenseurs des droits de l’homme, les tenants
de « l’anti-France », ou encore les politiciens de droite comme de gauche, jugés trop laxistes,
Jacques Chirac et Lionel Jospin en tête8.
S’inspirant des méthodes du Caméléon sur les forums, les webmestres de certains de ces sites,
et leurs sympathisants, vont s’attaquer à ceux qu’ils considèrent comme leurs adversaires
politiques. L’affrontement continue donc sur Usenet et le Web. Les armes utilisées de part et
d’autre sont parfois les mêmes : flamming, mailbombing, trollisme, attaques informatiques,
menaces, et usurpations d’identités. Mais cet affrontement dépasse vite les frontières du
monde virtuel.
Passage à la réalité.
C’est ainsi que Sos-Racaille, le site le plus emblématique de cette nébuleuse, se fait connaître
d’un plus large public. En 2001, il publie une liste d’avocats disponibles sur le site de SosRacisme en les présentant notamment comme les « avocaillons haineux des associations antiFrance défendant la racaille ». Une enquête est ouverte suite au dépôt de plainte des avocats
concernés9.
Un certain nombre de plaintes seront d’ailleurs déposées en France à l’encontre de ces sites.
Cela pour divers motifs, notamment pour ceux de diffamation, d’incitation à la haine raciale
ou d’incitation à la violence. Cependant, les webmestres ayant réussi à rester anonymes,
aucune plainte n’aboutira. Seul le créateur du site Amisraelhai.org sera identifié et condamné
en 2003 pour provocation à la haine raciale. Il avait appelé les internautes à infliger crachats
et coups de battes de base-ball à des personnalités de confession juive, auxquelles il
reprochait d’avoir critiqué le gouvernement israélien10.
Un autre cap semble être franchi en août 2001, avec la publication d’un communiqué des
CCR (Comités Canal Résistance). Les CCR y sont présentés comme un groupe clandestin de
policiers et de magistrats ayant pour objectif de « retrouver la racaille, et la châtier comme
elle le mérite, sans passer par les circuits habituels officiels, qui ont prouvé leur
incompétence»11. On n’a cependant aucune preuve de l’existence réelle des CCR. D’ailleurs,
malgré de nombreuses menaces, les seules actions revendiquées dans ces communiqués sont
la dégradation d’une mosquée en décembre 2002, et de 15 autres - 6 selon Le Monde - en
janvier 200312. Ces communiqués ont sans doute surtout servis à impressionner les
adversaires de la nébuleuse Liberty-Web et à la faire connaître des médias. Ils ont peut-être
également servi à attirer de nouveaux partisans en leur donnant l’impression de rentrer dans
un mouvement fort et organisé, et bénéficiant d’appuis au sein même de l’Etat.
7
8
MRAP, La naissance d’une nouvelle extrême droite sur Internet, juillet 2003, 173 pages
Sos-racaille.org, Radikalweb.com, Islam-verite.org, Amisraelhai.org et les autres sites de Liberty-Web
9
Jean-Marc Manach, Pas de pitié pour la haine en ligne !, Transfert.net, 5 juillet 2001
10
L'ex-webmaster d'amisraelhai.org jugé à Paris, Le Monde, 30 septembre 2003
11
Sos-racaille.org, août 2001
12
Des jets de peinture contre six mosquées, Le Monde, 31 janvier 2003
3
Contre-attaque.
Parallèlement, entre 2000 et 2003, un groupe d’internautes se constitue pour s’opposer au
Caméléon et à la nébuleuse Liberty-Web. Ce groupe réunit d’abord deux administrateurs
réseau d’Usenet attaqués par cette mouvance dès 1999, comme cela a été dit plus haut. Ce
groupe, d’abord baptisé Groupe V, puisV8, agrège bientôt une dizaine d’individus rencontrés
sur le Net.
Leurs motivations sont différentes. Certains s’opposent à la constellation Liberty-Web pour
des raisons politiques. Ils sont politisés et combattent l’extrême droite. D’autres, rejoignent ce
groupe pour se défendre des attaques qu’ils ont subies, ou pour lutter contre les méthodes de
Liberty-Web qu’ils jugent contraires à la webétiquette et aux chartes des forums13. La notion
de jeu, voire de combat personnel et de lutte pour le pouvoir et la réputation, qu’il faut gagner,
en dehors de toute motivation politique, n’est donc pas totalement absente de cet
affrontement. Et cela, de part et d’autre.
Sans rentrer dans les détails, les membres de ce groupe, qui communiquent par Internet ou par
téléphone, analysent le contenu des forums et des sites concernés, et tentent de contourner les
techniques d’anonymisation utilisées par les membres actifs de Liberty-Web. Leur but déclaré
n’est pas de pirater ces sites pour les détruire, mais d’identifier leurs créateurs et d’accumuler
des preuves afin de les remettre à la justice.
Fin 2002, le V8 semble avoir constitué un dossier rassemblant un nombre d’éléments
conséquents. Il en remet une synthèse début 2003 à l'Office Central de Lutte contre la
Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC)14.
Epilogue.
En mars 2003, le V8 avance encore dans l’identification des membres de Liberty-Web.
Cependant, à la surprise générale, le serveur ferme brusquement et tous les sites hébergés
disparaissent du Web pour des raisons encore floues.
Le 14 juillet 2002, la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par un militant d’extrême droite
relance une série d’enquêtes sur ce milieu, avec les moyens de l’OCLCTIC, des
Renseignements Généraux (RG), de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et de
la Division Nationale Anti-Terroriste (DNAT). Le 15, un informaticien français, proche de
l’extrême droite, est arrêté en Russie par la police russe et française. Il est notamment
soupçonné d’être le Caméléon et donc l’un des cerveaux de Liberty-Web. D’autres
arrestations de personnes soupçonnées d’appartenir à la nébuleuse Liberty-Web suivront15.
13
14
Xavier Ternisien, La victoire d'une poignée de cyberjusticiers contre des sites racistes, Le Monde, 30 septembre 2003
Ibid.
15
Yann Laurent, Le webmaster d'un site néonazi, SOS-Racaille, a été interpellé par les polices française et russe avec l'aide de passionnés
d’informatique, Le Monde, 9 août 2003
4
Une nouvelle forme d’extrême droite ?
On peut se demander si Internet n’a pas permis ici la matérialisation d’une forme inédite
d’extrême droite. C’est d’ailleurs ce que suggérait un rapport du MRAP datant de 2003 : La
naissance d’une nouvelle extrême droite sur internet. Celui-ci insistait notamment sur
l’apparition d’une « nouvelle forme de racisme » née de l’alliance « entre les éléments d'une
extrême droite néo-nazie et certains militants d'une extrême droite pro-israélienne » autour
d’une ligne « anti-musulmane et anti-arabes ».
Or l’étude du contenu des sites de la constellation Liberty-Web ne permet pas de trouver des
analyses ou des revendications réellement nouvelles au sein de l’extrême droite française.
Quant à l’union entre certains militants issus de courants identitaires ou national-catholiques
et certains militants sionistes extrémistes, elle n’est pas nouvelle non plus. En effet, avant
même l’avènement d’Internet, il existait au sein de l’extrême droite française un clivage entre
deux mouvements ultra minoritaires, l’un pro-israelien et l’autre pro-arabe. On se rappelle,
par exemple, de la création en 1986 du Comité National des Français Juifs (CNFJ) au sein du
Front National, qui matérialisa une alliance objective contre le monde arabe, entre quelques
militants sionistes extrémiste et un FN qui pouvait ainsi nier son antisémitisme16.
Une nouvelle forme de militantisme ?
Si, dans le fond, on ne note pas d’évolution flagrante, on ne peut contester qu’Internet ait
offert de nouvelles opportunités à l’extrême droite. En effet, la simplicité et le faible coût de
la création d’un site Internet, comme la possibilité de s’abstraire de la législation française et
d’éviter les représailles de contradicteurs, en restant anonyme, a constitué une avancée
indéniable. Surtout comparé à l’édition de livres et de fanzines. D’autant que le public est
potentiellement plus large sur Internet.
Internet n’est pas seulement un espace permettant de diffuser des idées, c’est aussi un espace
exceptionnel de rencontre, d’organisation et de coordination pour des courants rassemblant
des militants et des sympathisants discrets, peu nombreux et disséminés géographiquement.
Pour des sympathisants isolés, il est en effet difficile d’entrer en contact avec des groupes
marginaux de militants, tels ceux qui se meuvent au sein de l’extrême droite. Internet leur
permet d’intégrer progressivement cette sphère en leur offrant la possibilité de s’informer,
d’échanger des points de vue, des revendications, et de discuter de projets, tout en gardant une
certaine distance. Pour des militants qui ont déjà franchi le cap de l’engagement, mais qui ont
adopté un engagement distancié, Internet permet de constituer leur mouvement, de le faire
vivre, et de préparer des actions, sans avoir à se réunir physiquement.
Telle a été la fonction du forum de la nébuleuse Liberty-Web, accessible depuis le site SosRacaille. Ce forum était constitué de deux niveaux : un forum public, et un forum restreint qui
ne comptait qu’une dizaine de contributeurs17.
16
17
Jean-Yves Camus, Le Front national - Histoire et analyse, éditions Laurens, Paris, 1997, 279 pages.
Xavier Ternisien, La victoire d'une poignée de cyberjusticiers contre des sites racistes, Le Monde, 30 septembre 2003
5
Il a permis à des sympathisants et des militants de l’extrême droite de s’exprimer librement.
Le fait de discuter régulièrement avec des individus partageant les mêmes idéaux, leur a
permis de conforter leurs convictions personnelles, et de faire naître chez eux un sentiment
d’appartenance à une communauté militante. Il leur a permis de se fédérer progressivement
autour d’une cause commune et d’organiser des actions pour la défendre. Il a donc contribué à
la constitution, ex-nihilo, d’un mouvement inédit sur le Net. Cependant, son importance était
toute relative. Son noyau dur ne semblait compter qu’une dizaine d’individus, et la liste de
diffusion de Liberty-Web ne comptait que 130 abonnés, selon les membres du V818.
Quoi qu’il en soit, c’est sur ce forum qu’étaient discutés l’orientation générale de la mouvance
ou la réalisation d’actions concrètes comme le piratage de sites adverses, ou encore l’envoi de
mails afin de soutenir la candidature de Jean-Marie Le Pen en 2002. Les actions concrètes les
plus radicales étaient discutées dans le forum restreint. Entre 2001 et 2003, on note d’ailleurs
que l’émulation entre les participants du forum a abouti à une radicalisation du discours et des
actions proposées. Début 2003, des projets d’enlèvements ou d’attentats y sont ainsi discutés
et un appel au meurtre visant Jacques Chirac est diffusé.
Une violence nouvelle ?
Comme nous l’avons vu plus haut, les actions violentes réelles se sont limitées à la
dégradation des façades de quelques mosquées. Cela pousse cependant à s’interroger sur le
lien entre extrême droite, violence et Internet. La question a d’ailleurs été soulevée à l’époque
lorsqu’un militant d’extrême droite a tenté d’assassiner Jacques Chirac. De même en 2005,
lorsque des blogs tenus par des adolescents ont invités les internautes à rejoindre les émeutiers
de novembre.
Concernant Liberty-Web, il faut tout d’abord distinguer deux types de violence : d’une part
une violence réelle, d’autre part une violence virtuelle, mais qui a eu des conséquences dans la
vie réelle et personnelle de ceux qui en ont été la cible. Ces deux violences relèvent d’une
même logique, et soulèvent d’abord la question du lien entre politique et violence, avant celle
du lien entre Internet et violence. Or, le lien entre politique et violence n’a rien de nouveau.
Inutile de donner des exemples.
Toutefois, cette violence virtuelle qui a opposé Liberty-Web et le V8 peut rappeler d’autres
affrontements par certains de ses aspects. Par exemple, ceux qui ont opposé « boneheads »
(skins néonazis), « redskins » (skins communistes), et « chasseurs » (bandes issues de
quartiers populaires) durant les années 1980 et le début des années 1990 dans les rues de la
région parisienne19.
En effet, on note certaines similitudes entre ces deux conflits. D’abord l’antagonisme entre
extrême droite, et extrême gauche ou antifascisme radical. Ensuite, la faiblesse numérique et
la marginalité des groupes belligérants au sein de leurs familles idéologiques respectives.
Mais aussi l’effacement, en apparence au moins, des arguments et des considérations
politiques au profit de l’invective, de l’insulte, de la violence (réelle ou virtuelle) et du
règlement de compte personnel20.
18
19
20
Ibid.
Patrick Louis et Laurent Prinaz, Skinheads, Taggers, Zulus & Co, Table ronde, 1990, 235 pages
Archives Usenet fr.soc.politique
6
Ces affrontements ont également en commun d’avoir pour objet la maîtrise d’un
« territoire » : Usenet et le Web pour les uns, la rue pour les autres. Enfin, tous déclarent
respecter une éthique propre au territoire dans lequel ils évoluent et se battent : le respect des
règles du Net pour les uns, le « code de la rue » pour les autres.
Les violences réelles impliquant des militants d’extrême droite, n’ont donc pas attendu
Liberty-Web et Internet pour se produire. Bien sûr, Internet, en facilitant la constitution d’un
tel mouvement, a facilité ses actions. Cependant, il ne faut pas négliger le fait qu’Internet peut
être aussi un exutoire pour des internautes qui ne passeront pas à l’acte, mais qui se contentent
de se décharger de leurs frustrations. En effet tous les projets violents élaborés au sein du
forum n’ont été accomplis, loin s’en faut. Quoi qu’il en soit, la question est complexe et il est
difficile d’y répondre ici.
Une nouvelle gouvernance pour Internet ?
Au delà de la violence réelle ou virtuelle, ce qui est souvent en débat c’est l’existence même
de ce type de sites et de forums, véhiculant des propos condamnés par la législation française :
menaces sur les personnes, incitations à commettre des crimes et des délits, diffamations,
injures, propos discriminatoire, négationnisme, etc. C’est à ce niveau que ce type de
mouvement contribue indirectement à transformer Internet.
Si en dehors du cercle de l’extrême droite, la condamnation de ce genre de site et de forum
semble unanime, les avis divergent quant à l’attitude à adopter face à ce phénomène21.
D’autant que les solutions proposées doivent prendre en compte certains facteurs techniques
et législatifs. En effet, Internet, de par sa structure mondiale composée d’une multitude de
réseaux et d’intermédiaires est difficilement contrôlable par les Etats. A moins d’utiliser des
mesures radicales. De plus, les législations relatives au droit de la presse et des publications
varient d’un pays à l’autre, et les sites dont l’hébergement serait interdit en France peuvent
trouver refuge au Etats-Unis ou au Danemark, par exemple.
Au sein même du V8, les opinions divergeaient. Avant l’apparition de Liberty-Web, tous
semblaient défendre l’idée d’une liberté quasi totale au sein d’un Internet autogéré. Cette
liberté ne pouvait être amendée que par la webétiquette, les chartes, les modérateurs et les
administrateurs. Sa défense passait par la défense de la liberté d'expression, de la vie privée,
de la confidentialité et de l’anonymat sur Internet. L’Etat et les fournisseurs d’accès ne
devaient pas entraver cette liberté. Or depuis, cette affaire, si certains ont conservé leurs
opinions, d’autres remettent en question la défense de l’anonymat, ou préconisent un filtrage
des sites par le biais des moteurs de recherches.
De même, les différents partis qui se partagent la gouvernance du Net en France (Etat, secteur
privé, et société civile) ont été interpellés par ce genre de phénomènes. Or le débat sur les
moyens de censurer ce type de sites, implique un débat sur le rôle et les pouvoirs de chacun de
ces partis. Cela implique aussi un débat sur les libertés individuelles.
21
Le Forum des droits sur Internet, Synthèse du forum de discussion « Racisme, xénophobie et antisémitisme, 2004, 13 pages
7
En effet la mise en place de nouveaux moyens pour réprimer ces sites, à la demande d’une
partie de la société civile, éveille des craintes chez certains. Pour eux, ces moyens, reposant
sur une plus grande implication des fournisseurs d’accès ou sur une remise en question de
l’anonymat, risqueraient de remettre en question la liberté d’expression, ou pourraient être
détournés par un gouvernement malveillant.
Ces débats ont déjà abouti à des changements dans la pratique, et Internet tend à devenir un
espace plus contrôlé qu’à ses débuts.
Mais là encore, au delà des aspects techniques, on retrouve des questionnements qui existaient
avant Internet.
8
Sources.
Sites Internet accessibles via Wayback Machine.
5eme-colonne.org
Aipj.net
Amisraelhai.org
Aipj.org
Anti-censure.org
Annee-algerie.org
Canal-resistance.net
Crime-de-le-justice.com
Elysee-2007.org
France-info.org
Gendarmes-en-colere.org
Islam-verite.org
Liberty-web.net
Mrav.org
Photochoc.org
Refractaires.org
Radikalweb.com
Sos-racaille.org
Semper-fidelis.org
Sos-justice.net
Sos-musik.org
Usenet-censure.org
Messages Usenet accessibles via le service Google Groups.
9
Articles de presse.
Jean-Marc Manach, J’accuse... les fournisseurs d’accès, Transfert.net, 14 juin 2001
Jean-Marc Manach, Pas de pitié pour la haine en ligne !, Transfert.net, 5 juillet 2001
Edgar Pansu, Le Mrap ne cautionne pas J’accuse, Transfert.net, 16 juillet 2001
Bertrand d’Armagnac et Vincent Truffy, Hébergé hors de France, amisraelhai.org peut
échapper à la législation antiraciste, Le Monde, 23 août 2002.
Des jets de peinture contre six mosquées, Le Monde, 31 janvier 2003
Xavier Ternisien, Un groupe d'extrême droite veut s'en prendre aux « intérêts musulmans de
France », Le Monde, 1 février 2003
Sos-Racaille : le Mrap dénonce la naissance d’une « nouvelle extrême droite sur internet »,
Transfert.net, 15 juillet 2003
Jean-Marc Manach, Liberty-web rassemblait l’extrême droite traditionnelle et les sionistes
radicaux, Transfert.net, 15 juillet 2003
Jean-Marc Manach, Pour les anciens de Sos-Racaille, la lutte continu, Transfert.net, 15 juillet
2003
Réserves d'associations juives, NouvelObs.com, 16 juillet 2003
3 questions à ... Pierre Mairat (MRAP), « Dissoudre les idées », NouvelObs.com, 16 juillet
2003
Jean-Marc Manach, Cameleon, le cerveau technique de Sos-racaille.org, Transfert.net, 16
juillet 2003
Laurent Chemla, Tribune : « Beaucoup de bruits de bottes pour quelques pas-grand-choses »,
Transfert.net, 17 juillet 2003
Jean-Marc Manach, Les Comités Canal Résistance ou l’art de la provocation, Transfert.net,
17 juillet 2003
Stéphane Artéta, Les clandestins du web, Nouvel Observateur, du 17 juillet 2003
Martine Gilson, « Quand les racistes infiltrent Internet », Nouvel Observateur, du 17 juillet
2003
Sylvia Zappi, Le MRAP dénonce la naissance sur Internet d'« une nouvelle extrême droite
arabophobe, Le Monde, 18 juillet 2003
Le webmaster du site peut-être identifié, NouvelObs.com, 27 juillet 2003
10
Jean-Marc Manach, Le responsable présumé de Sos-Racaille était un as de la fraude à la CB,
Transfert.net, 1 août 2003
Jean-Marc Manach, Arrestation à Moscou d’un des cerveaux présumés de Sos- Racaille,
Transfert.net, 1 août 2003
Yann Laurent, Le webmaster d'un site néonazi, SOS-Racaille, a été interpellé par les polices
française et russe avec l'aide de passionnés d’informatique, Le Monde, 9 août 2003
3 questions à ... Mouloud Aounit, « Il faut agir! », NouvelObs.com, 30 septembre 2003
L'ex-webmaster d'amisraelhai.org jugé à Paris, Le Monde, 30 septembre 2003
Xavier Ternisien, La victoire d'une poignée de cyberjusticiers contre des sites racistes, Le
Monde, 30 septembre 2003
Natalie Nougayrède, Joël Sambuis, le Français qui demande l'asile politique à la Russie, Le
Monde, 30 septembre 2003
Thierry Dupont, 1 an de prison et 45 000 euros d’amende, Transfert.net, 30 septembre 2003
Un site sioniste appelle au meurtre des « déchets », NouvelObs.com, 2 octobre 2003
Martine Gilson, Le petit soldat de la pieuvre noire, Nouvel Observateur, 9 octobre 2003
SOS-Racaille : un membre arrêté à Lille, NouvelObs.com, 22 octobre 2003
Le webmaster présumé du site SOS-racaille a été placé en garde à vue mercredi 1er octobre à
Lille, Le Monde, 3 octobre 2003
Jean-Marc Manach, Sos-Racaille : Sambuis, le cerveau présumé, sera d’abord jugé en Russie,
Transfert.net, 17 octobre 2003
Piotr Smolar et Marie-Pierre Subtil, Confusion après la libération du « cerveau » du site SOSRacaille incarcéré à Moscou, Le Monde, 31 janvier 2004
Xavier Ternisien, Les multiples visages de la haine raciste sur Internet. , Le Monde, 17 juin
2004
Xavier Ternisien, « Les sites contribuent à façonner des communautés imaginaires », Le
Monde, 17 Juin 2004
Une photo de collégiens en repoussoir raciste, NouvelObs.com, 5 février 2005
Le responsable du site "SOS Racaille" condamné à 12 000 euros pour diffamation, Le
Monde.fr, 14 avril 2006
Sylvie Kauffmann, Martine Jacot, Brice Pedroletti, La censure sur Internet : Etats contre
cyberdissidents, Le Monde, 29 août 2007
11
Le Mrap dénonce « l'inaction » du gouvernement, NouvelObs.com, 23 juin 2008
Rapports.
MRAP, La naissance d’une nouvelle extrême droite sur Internet, juillet 2003, 173 pages
Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), La lutte contre le
racisme et la xénophobie : rapport d'activité 2004, La Documentation française, 2005, 856
pages
Le Forum des droits sur Internet, Synthèse du forum de discussion « Racisme, xénophobie et
antisémitisme, 2004, 13 pages
Bibliographie.
Patrick Louis et Laurent Prinaz, Skinheads, Taggers, Zulus & Co, Table ronde, 1990, 235
pages
Jean-Yves Camus, Le Front national - Histoire et analyse, éditions Laurens, Paris, 1997, 279
pages
Fabien Granjon, Les militants-internautes : passeurs, filtreurs et interprètes, Multitudes, mai
2000.
Fabien Granjon, L'Internet militant : Mouvement social et usage des réseaux télématiques,
Apogée, 2001, 189 pages
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