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“C’est admirable, universel. Proust, moins les phrases.” Télérama Oxford, une nuit de l’été 1966 : un accident de voiture se produit près de la demeure de Stephen, professeur de philosopie. Il découvre dans le véhicule son élève William (un jeune aristocrate) et son autre élève Anna (une princesse autrichienne) encore vivante. Stephen la porte jusque dans une chambre d’ami, puis dissimule sa présence aux policiers venus l’interroger. Il se remémore les raisons de son silence... Dans le monde clos de l’université, Anna a suscité bien des passions. William, un jeune lord, en était amoureux ; Charley, un collègue est devenu son amant ; Stephen lui-même a ressenti pour la jeune fille un sentiment trouble. Au fil des jours studieux et de longs dimanches, les faits et les âmes se sont dévoilés... FICHE TECHNIQUE RÉALISATION JOSEPH LOSEY SCÉNARIO HAROLD PINTER D’APRÈS LE ROMAN DE NICOLAS MOSLEY PHOTOGRAPHIE GERRY FISHER MUSIQUE JOHN DANKWORTH MONTAGE REGINALD BECK DÉCORS CARMEN DILLON COSTUMES BEATRICE DAWSON PRODUCTION JOSEPH LOSEY NORMAN PRIGGEN INTERPRÉTATION STEPHEN DIRK BOGARDE CHARLEY STANLEY BAKER ANNA JACQUELINE SASSARD WILLIAM MICHAEL YORK ROSALIND VIVIEN MERCHANT FRANCESCA DELPHINE SEYRIG PROVOST ALEXANDER KNOX GRANDE-BRETAGNE 1966 DURÉE 1H45 - EASTMANCOLOR GRAND PRIX SPÉCIAL DU JURY PRIX DE L’UNION INTERNATIONALE DE LA CRITIQUE - CANNES 1967 SORTIE le 18 AVRIL 2007 Reflet Médicis 5e (copie neuve - vost) PRESSE ANNICK ROUGERIE Tél. 01 56 69 29 30 “Sorti en 1967, Accident est la deuxième collaboration entre le réalisateur Joseph Losey et l’écrivain Harold Pinter après The Servant (1963). Adapté d’un roman de Nicolas Mosley, Accident se situe à Oxford, dans le milieu élitiste et clos d’universitaires sclérosés dans leurs certitudes, leurs hypocrisies, leurs non-dits. Le récit part d’un accident automobile et remonte le temps, pour analyser les événements qui l’ont précédé. La figure centrale en est Stephen (Dirk Bogarde), un universitaire ligoté par la crainte de l’âge, le respect des conventions et le désir non assumé qu’il ressent pour l’une de ses étudiantes dont il apprend qu’elle est devenue la maîtresse de l’un de ses confrères. Accident évoque son rêve d’échapper à sa vie domestique (la grossesse de sa femme, les dimanches après-midi en famille, etc). Dans un premier volet, Losey épie son personnage prisonnier des bienséances, du conformisme, et voué à réprimer ses pulsions. Dans un second volet, après la mort tragique du protégé de ce professeur à pipe et vestes de tweed, la rigidité des comportements mondains se fissure. Le puritain donne libre cours à son instinct primitif. Rituels sociaux et combat de fauves déguisés en gentlemen sous le regard de l’insondable et quasi muette Anna (Jacqueline Sassard), catalyseur du chaos qui précipite le destin de ses soupirants. “En termes d’action, il ne se passe pratiquement rien. Le film est fait sur des temps morts”, dit le critique Michel Ciment, qui replace Accident dans une période où le cinéma tentait de conquérir une dimension intérieure. Il s’agit de pénétrer dans la conscience d’un personnage, d’inclure plusieurs événements antérieurs ou postérieurs dans une structure complexe, à la lumière d’un événement explosif. Ce travail sur le temps doit beaucoup à Alain Resnais, dont Joseph Losey admirait particulièrement Muriel. Cette histoire d’un affrontement, travesti en jeu, entre un homme sportif, bête de médias (Stanley Baker) et son collègue fragile, féminin, en proie aux tourments, est filmée de manière nettement plus austère que The servant. Irrité par l’emploi du terme baroque à propos de ses films, Losey a eu à coeur d’éviter par exemple les miroirs convexes qui caricaturaient son style. Le temps en revanche habite ce film, truffé de sons d’horloges, rythmé par le métronome des secondes qui s’écoulent en cet univers où la couleur verte, celle du gazon maudit, s’affiche comme une menace. Quant à la fameuse scène de l’omelette, c’est un modèle du genre : en un seul (long) plan, Losey y capte les tensions entre trois personnages, en bougeant à peine sa caméra.” Jean-Luc Douin (Le Monde) "Tous les films de Losey depuis Eva - et même à sa manière Modesty Blaise, ce “conte de fées policier” (J. Losey) - sont remarquables par leur science dramatique. Structurés avec le soin le plus rigoureux (un prologue, des “actes”, un épilogue), ces films ressemblent un peu à des films - laboratoire. Qu’il s’agisse de l’auto-destruction d’un couple, de la mise à mort d’un innocent, de la dialectique asservissement-domination dans les relations entre un maître et son valet, Losey plaque quelques personnages dans une situation donnée - généralement exceptionnelle -, et les soumet en quelque sorte à une “expérience dramatique” dont il provoque, observe et contrôle les résultats. Quels rapports vont se nouer entre les personnages, quelles mutations vont survenir dans ces rapports, quelle influence auront-elles sur les personnages eux-mêmes ? Dans Eva, la démarche est moins didactique (au sens brechtien du mot), dans Pour l’exemple elle est plus démonstrative, plus linéaire, dans The servant elle est plus symbolique, mais toujours elle se développe autour des mêmes interrogations, des mêmes analyses, de la même progression dramatique. A côté d’une très grande liberté intérieure (les rapports entre les personnages, constamment évolutifs, n’ont rien de pré-établi), une rigoureuse construction intellectuelle ; une mise en scène qui donne vie aux personnages et au monde alentour, mais qui simultanément s’attache à les ECLAIRER, à mettre à jour leurs significations ; une étroite association entre la sensibilité et l’intelligence, celle-là aigüe, inquiète, celle-ci active, prompte à saisir et à suggérer les motivations les plus profondes, les changements les plus subtils dans les rapports dramatiques. Accident se rapproche et se sépare à la fois d’oeuvres comme Eva et The servant. Il reprend certains de leurs thèmes, mais dans une perspective toute différente ; il relève d’un cinéma aux structures dramatiques plus libres, moins déclarées, un cinéma moins transposé, plus directement inspiré de la réalité quotidienne. Les scénarios des films précédents de Losey prennent appui sur une situation dramatique originale ; ils en développent les points forts et, parallèlement, ils mettent en évidence une réflexion AUTOUR de cette situation. Le scénario de Accident n’a rien, lui, d’exceptionnel.Une université britannique, un cottage, deux professeurs quadragénaires aux caractères opposés, une étudiante et son fiancé, une liaison clandestine, un accident de voiture... Si l’on s’en tient à la trame romanesque du film, il est curieux de constater qu’on peut la schématiser de plusieurs manières : un fait divers comme il y en a tant, un “sujet” policier, un témoignage sur la vie universitaire britannique, une rivalité amoureuse, voire même - ...à la limite ! - un vaudeville avec démon de midi, amours illicites, et ami dépité mais complaisant ! Il serait certes ridicule de ramener le film à de telles caricatures mais il est significatif que l’anecdote et les situations sont suffisamment banales pour qu’on puisse imaginer de tels canevas. Tout se passe comme si Losey et son scénariste Harold Pinter avaient choisi de frapper non pas par l’originalité de leur propos, mais par sa banalité. C’est-à-dire, cela va sans dire, À PARTIR de sa banalité. Tel est, du moins, leur point de départ. Il y a là un véritable défi : c’est en jouant le jeu de situations dramatiques connues, usées même, que Losey et Pinter conduisent leur film vers des horizons nouveaux sur le plan moral et psychologique. Leur souci est grand aussi de “coller” à la réalité quotidienne. Accident prend solidement appui sur la vie britannique contemporaine, sur un milieu social déterminé. Les personnages sont décrits avec soin dans leur métier, dans leur vie familiale. Qu’il s’agisse de l’université, d’un centre de production d’émissions de télévision, ou du cottage (lieu dramatique du film), tous les décors sont choisis, présentés, utilisés pour mieux situer les personnages. Certes ils les “expriment”, mais d’une manière effacée, avec le ton (couleurs y compris) le plus juste, sans occuper cette place primordiale qu’ils tiennent généralement chez Losey. Il y a dans Accident une volonté réaliste bien marquée, par opposition à la volonté “expressionniste” qui transparaît dans la plupart de ses films précédents. Il semble bien en effet que Losey est ici moins soucieux qu’ailleurs d’exprimer. Si l’on excepte les images de la voiture retournée (images assez fantastiques : cet accident est la seule chose extraordinaire dans la vie terne du professeur), la caméra reste proche de la vision réelle, à hauteur d’homme. Elle ne fait appel à aucun de ces angles, de ces cadrages qui permettent d’accroître la signification de l’image. Dramatiquement, l’action se développe sans composition ni structure très apparentes. On y recherche en vain des moments de tension déclarée, des conflits significatifs. Tout s’y passe de manière feutrée ; c’est comme insidieusement, peu à peu, que les personnages prennent vie et profondeur, que leurs caractères se dessinent à la faveur de leurs rapports de travail ou de week-end, qu’on devine ce qu’il y a DERRIÈRE leur banalité apparente, et qu’en fin de compte on est amené à les comprendre et à les juger. L’intelligence s’efface presque complètement derrière la sensibilité, celle-ci conservant juste ce qu’il faut de “distance” pour que celle-là puisse opérer. Le dialogue, quotidien, terne même, n’ENSEIGNE rien, ou plutôt, comme l’ensemble du film, il enseigne d’abord une certaine forme de banalité, de routine dans les échanges. Ce sont phrases toutes faites, mots de circonstances, langage strictement fonctionnel ou généralités passe-partout. Il est à l’image des deux personnages essentiels du film. Comptent moins en effet dans Accident les deux étudiants que les deux professeurs, quadragénaires ancrés, englués dans la vie. La manière est différente, mais semblable la situation. Succès de l’un à qui tout réussit, échec de l’autre, quelle différence ? Celui-là sûr de lui, et se masquant derrière cette assurance ; celui-ci amer et résigné, et se masquant lui aussi avec un peu d’humour, un peu de cynisme et une philosophie de circonstance ; tous deux frères, au fond : la même acceptation d’une vie standardisée. C’est cela, une fois de plus, que le moraliste Losey met en cause. L’accident dans leur vie, c’est, bien sûr, ce grand bruit de voiture retournée, cette mort dont ils sont, d’une certaine manière, responsables l’un et l’autre, cette mort qui peut-être - sans doute - signifie quelque chose ; c’est déjà, avant même l’accident (clef d’un flashback qui “exprime” bien le sens du film), la rencontre avec les jeunes gens qui les oblige à voir clair en eux-mêmes. Non que ces deux étudiants portent en eux quelque ferment susceptible de secouer des consciences amollies : ils n’ont rien d’exceptionnel, eux non plus, et Losey se garde de les parer de prestiges qu’ils n’ont pas. Mais parce qu’ils sont jeunes, parce que la vie ne les a pas façonnés, ils sont porteur de questions, d’inquiétudes ; à ce titre, et comme malgré eux, ils jouent le rôle de révélateurs. Les sentiments qui peuvent lier plus ou moins souterrainement les deux professeurs - domination chez l’un, jalousie - envie chez l’autre - sont situés dans cette perspective. Ils sont le reflet du jeu social, de ses règles, de ses conventions. Dans la mesure où les deux professeurs se sont soumis à ce jeu, ils en sont profondément marqués et jusque dans leurs rapports individuels. Mais ces sentiments restent médiocres, superficiels, lors même qu’ils s’exacerbent à la faveur d’une rivalité amoureuse. Au reste, ils s’effondrent comme château de cartes quand le jeu fait place au drame. Il ne reste plus aux deux hommes qu’une sorte de désarroi qu’en bons Britanniques ils n’avouent pas, mais qui n’en bouleverse pas moins toute leur vie. Et c’est sur ce désarroi, sur cette conclusion sensible, prolongée par une réflexion-contestation d’ordre moral, que se conclut Accident. Losey et Pinter complètent ce portrait “moral” par un portrait intellectuel. De ces deux hommes qui font profession d’intelligence et de culture, aucun, en fait, n’est est capable de manière authentique. L’un se produit à la télévision et l’on imagine aisément qu’il y vulgarise un “fonds” de savoir scientifique universitaire (il est zoologue) ; l’autre - le philosophe - est satisfait qu’on vienne le consulter, mais, son scepticisme et son amertume aidant, il s’en tient à de vagues généralités, peu soucieux de payer de sa personne, il se contente de quelques conseils de lecture comme conclusion à ses entretiens. Ce procès des intellectuels - ou, du moins, d’une certaine forme d’intelligence et de culture coupées de tout engagement réel, privées de mouvement, vouées à se scléroser - n’apparaît qu’en filigrane dans Accident. Losey s’est gardé de faire d’une telle réflexion l’un des moteurs de son film. Tout cela est simplement suggéré ; ces intellectuels sont surtout signifiés par leurs gestes, par leurs sensibilités, par leurs comportements. Leurs silences comptent au moins autant que leurs paroles. Un simple tic (des lunettes ôtées et remises) joue un rôle essentiel dans un portrait. Losey s’est attaché avant tout à créer des personnages vivants, mais, plausibles, complets et concrets ; s’il souligne quelque chose, c’est moins leurs traits de caractère que leurs velléités, leurs indécisions, bref, tout ce qui en eux, est mal dessiné, tout ce qui participe du moi profond, d’un moi qui échappe à l’analyse. Le film sur ce point aussi, se rattache directement au réel vécu, et, s’il y a transposition, réflexion, elles restent sous-jacentes, simples points de repère pour que le spectateur se sente concerné. Le milieu décrit par Losey et Pinter est peut-être trop étroit, et trop particuliers les personnages pour que Accident embrasse toutes les aliénations de l’homme d’aujourd’hui. Sans doute... Mais le témoignage est là, passionnant, solidement appuyé sur une réalité où il puise sa vérité et son efficacité. Jacques Chevallier (Image et Son n° 210 - 1967) “Personnages intelligents et civilisés faisant semblant d’être heureux dans l’univers feutré d’une Angleterre chuchotante qui présente une autre face que celle de Blow-up. C’est l’Angleterre des pique-niques, des “high teas”, des après-soupers improvisés où l’on sert des “long drinks”. Chaque sourire est un coup de poignard ; chaque réunion d’amis, un règlement de compte. La sourdine et la demi-teinte règnent dans ce climat d’amoralité, d'hypocrisie et de remords qui baigne le puritanisme victorien. Sous l’indifférence des statues et le sourire amusé des femmes, les héritiers des lords font du rugby en chaussettes avec une sauvagerie de bonne compagnie. Tout le monde se cache. Tout le monde se sent en faute. Discrètement réprobateur, Losey promène l’oeil glacé de la critique sociale sur un univers figé qu’empèsent la respectabilité et les traditions. Pérennité d’un style de vie. Faillite d’une morale.” Gilles Jacob “Accident est un des sommets du cinéma introspectif européen des années 60. Le jeu avec le temps, l’espace, l’ambivalence des rapports entre les êtres y est décrit avec une sophistication quasi-entomologique. La richesse plastique est constante : tous les styles en vigueur à l’époque sont convoqués.”