The Servant
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The Servant
The Servant de Joseph Losey – Grande-Bretagne – 1963 1h55 – Noir et blanc Un dossier réalisé par l'espace Histoire-Image de la médiathèque de Pessac dans le cadre des Ciné-Mémoires du Pôle régional d'éducation artistique et de formation au cinéma et à l'audiovisuel (Aquitaine) Scénario : Harold Pinter d'après le roman de Robin Maugham Producteurs : Joseph Losey, Norman Priggen pour Springbok/Elstree (Warner-Pathé) Directeur de production : Teresa Bolland Directeur photographie : Douglas Slocombe Cadreur : Chic Waterson Ingénieur du son : John Cox, Buster Ambler Musique : John Dankworth Chanson : 'All Gone', chanté par Cleo Laine Décor : Ted Clements, Richard MacDonald Costumes : Béatrice Dawson Assistant réalisateur : Roy Stevens Montage : Reginald Mills Script : Pamela Davis Dates de tournage : janvier – mars 1963 à Londres Sortie en France le 10 avril 1964 Interprétation Dirk Bogarde : Hugo Barret James Fox : Tony Sarah Miles : Vera Wendy Craig : Susan Catherine Lacey : Lady Mounset Richard Vernon : Lord Mounset Ann Firbank : une femme de la société Patrick Magee : l'évêque Alun Owen : un homme Jill Melford : une femme plus jeune Harold Pinter : l'homme de la haute société Brian Phelan : l'homme du pub John Dankworth : le leader du groupe -1- Résumé Dans une luxueuse et ancienne demeure londonienne, Tony un jeune aristocrate engage un domestique très stylé, Hugo Barret. Ce valet de chambre le fascine sans qu'il en ait d'abord conscience : Tony est un être fragile, superficiel, qui ne s'entend pas réellement avec sa fiancée Susan. Il cède lentement à une attirance toute cérébrale qui fait de lui le jouet de Barret. Celui-ci le convainc d'engager comme bonne sa prétendue soeur, Véra, qui est en réalité sa maîtresse et deviendra celle de Tony. Le jeune homme rompt avec Susan et s'enfonce dans la déchéance physique et morale. Une fable à plusieurs étages Losey lui-même a déclaré que The Servant était une variante moderne de la fable de Faust. Il y a en effet quelque chose de méphistophélique dans la manière dont Barret « investit » et « envahit » la vie de Tony, en donnant presque jusqu'à la fin (désespérée) l'impression qu'il veut seulement lui rendre service, lui être agréable : et, de fait, le film repose sur l'ambiguïté du renversement qu'il implique. Si Tony révèle sa servilité, Barret n'en est pas pour autant exempt : on a parfois le sentiment que Vera l'utilise. Le puritanisme de Losey qui, s'il ne condamne pas ses personnages, s'en tient à distance, reparaît ici. L'homosexualité latente des deux hommes n'est que l'occasion d'une réflexion sur le Mal métaphysique à l'oeuvre dans l'inconscient. Leur échange passe du jeu au drame, à l'image du décor où l'escalier tient une place obsédante, la menace de corruption suprême se situant au sommet. Le brillant dialogue de Pinter, une photo très soignée qui oppose quelques scènes d'extérieur (neige, statues blanches) aux contrejours et irisations de la demeure de Tony, et, par dessus tout, l'interprétation de Dirk Bogarde, ont assuré le succès du film. Ce succès a fait du metteur en scène, après celui de Temps sans pitié (et malgré la « catastrophe » d'Eva), un cinéaste reconnu à l'échelle européenne. Il était temps : Losey avait déjà 54 ans. Dictionnaire des films. Larousse -2- Bio-filmographie Joseph Losey cinéaste américain, La Crosse, Wisconsin, 1909 – Londres 1984 Joseph Losey appartient, avec Elia Kazan, Nicholas Ray et Orson Welles, à cette génération née dans les premières années du siècle, et qui a vécu le crash de Wall Street et la grande dépression en atteignant la maturité. Marqués pour toujours par ce séisme économique et social, certains, comme Losey et Kazan, entrèrent au parti communiste américain, l'un des plus staliniens au monde. D'autres, comme Welles et Ray, s'engagèrent au service des idées rooseveltiennes. Tous firent leurs premières armes au théâtre, un lieu plus propice aux expérimentations formelles et à la critique de la société qui avaient leur faveur, plutôt qu'à Hollywood où régnait le système autarcique des grandes compagnies. Ils finirent néanmoins par rejoindre la Mecque du cinéma, dans les années 40, pour y apporter un sang neuf. De tous, Losey est le plus rebelle aux étiquettes, au point d'être encore considéré par beaucoup comme un cinéaste britannique. Né (comme Nicholas Ray) à La Crosse (Wisconsin) en 1909 et élevé au sein d'une grande famille bourgeoise du Middle-West au train de vie aristocratique, il rejoint à dix-sept ans le groupe théâtral des « Dartmouth Players », avant de mettre en scène à New York au milieu des années 30 des spectacles engagés comme Triple a Plowed Under et Injunction Granted, pour le « Living Newspaper ». Des séjours préalables à Berlin, Moscou, en Suède et en Finlande lui avaient permis de côtoyer les avant-gardes esthétiques les plus vivantes de son temps. Ses voyages en Europe le familiarisent ainsi avec les travaux scéniques de Piscator, Meyerhold et Brecht, dont il créa, durant l'exil en Amérique du dramaturge allemand, La Vie de Galilée, à Los Angeles en 1947. C'est en préparant la mise en scène de cette pièce, avec John Hubley, qu'il découvrit les vertus du pre-designing - décors, costumes, éclairages - au point de demander à ce conseiller visuel de l'accompagner pour ses premiers films réalisés à Hollywood. L'exceptionnelle maîtrise dont Losey témoigne dès ses débuts au cinéma s'explique en partie par son activité intense pour la scène, tout comme par son travail à la radio en 1942, où il réalisa près de quatre-vingt-dix émissions. Le décor chez Losey sera toujours d'une importance primordiale et fonctionnera comme un prolongement des personnages. Il poursuivra plus tard en Europe ses recherches sur l'architecture intérieure, sur ses espaces et ses formes, en collaboration étroite avec Richard Mac Donald dans la direction indiquée par Hubley. Il est fréquent, chez les admirateurs de Losey, de diviser son oeuvre en périodes pour préférer telle ou telle étape de sa carrière. S'il est légitime de distinguer ainsi des scansions historiques, l'oeuvre apparaît néanmoins d'une profonde unité avec des réussites exemplaires, tout au long de sa trajectoire artistique. Ses cinq premiers films, qu'il tourna à Hollywood, forment un bloc d'une qualité rare. Le Garçon aux cheveux verts ( 1948) est un des débuts les plus originaux qui soit, une allégorie peu fréquente dans le cinéma américain où l'on retrouve le goût de la fable, cher à l'art d'outreatlantique. Comme dans le meilleur de son oeuvre future, Losey y mêle l'émotion et la réflexion pour décrire, à l'opposé de l'optimisme d'un Capra, les préjugés et les égoïsmes d'une petite ville d'Amérique profonde. L'attention accordée à la souffrance de personnages vulnérables, l'analyse des conflits sociaux, la fluidité de la mise en scène, le sens concret de la réalité physique, sont déjà présents et irrigueront les films à venir. Ces vertus permettent au Garçon aux cheveux verts d'éviter l'écueil du film à thèse sur le racisme et le péril atomique. Les oeuvres suivantes, chacune produite par une -3- compagnie différente (après la RKO de ses débuts, Paramount, Horizon, Columbia, Artistes Associés), appartiennent peu ou prou au genre criminel, alors à son apogée, que Losey illustre avec brio. Haines (1949) reprend le thème du racisme dans une petite ville de Californie à population chicano ; Le Rôdeur (1950), où se manifeste pour la première fois son goût pour les mouvements d'appareils élaborés, s'inscrit dans la lignée du Facteur sonne toujours deux fois et d'Assurance sur la mort ; M (1950), grand film méconnu est digne du chef-d'oeuvre de Lang dont il est le remake, et La Grande nuit (1951) montrent à nouveau le talent de son auteur pour peindre la fragilité et les tourments de la jeunesse. Un homme à détruire (1951), tourné en Italie, établit encore plus clairement, sur les lieux mêmes du néo-réalisme, la dette que le genre criminel hollywoodien devait au mouvement initié par Visconti et Rossellini en optant pour les décors naturels. En 1952, Losey est sommé de comparaître pour témoigner devant la commission des activités anti-américaines. Son refus de céder à l'hystérie anti-communiste le conduit à l'exil londonien, où il signe, sous des noms d'emprunt, La Bête s'éveille (1954) (qui marque sa rencontre avec Dirk Bogarde, qui va devenir un de ses deux acteurs fétiches avec Stanley Baker) et L'Etrangère intime (1955). Auteur de cinq films magistraux, Losey était en droit d'espérer une brillante carrière hollywoodienne qui se trouvait ainsi stoppée net. Il dut se servir de toutes ses ressources pour remonter la pente après ce traumatisme, et connaître une seconde vie artistique. C'est encore le genre criminel qui l'inspirera pendant quelques années, créant ainsi un lien avec sa période américaine : Temps sans pitié (1956), L'Enquête de l'inspecteur Morgan (1959), Les Criminels (1960) (outre Les Damnés, fable futuriste à résonance politique). C'est à un groupe de très jeunes critiques français regroupés autour du cercle du Mac Mahon, Pierre Rissient, Marc Bernard et Michel Fabre, que Losey doit sa reconnaissance en France, puis dans le monde, alors que la presse anglaise l'ignorait. Aux côtés de Lang, de Preminger et de Walsh, il fait partie de leur "carré d'as", incarnant pour eux la mise en scène, un concept alors objet de débats et par trop délaissé de nos jours. Au tournant des années 60, les Cahiers du cinéma, sous la direction d'Eric Rohmer, accueillent ces jeunes turcs pour un numéro spécial consacré à Losey, qui devient un des réalisateurs favoris de toutes les tendances esthétiques et idéologiques de la critique française : Cinéma, Positif, Présence du cinéma. Cet unanimisme des revues spécialisées ne doit pas masquer les fortes résistances dans la presse qui se sont toujours manifestées, y compris face à des oeuvres majeures, il est vrai dérangeantes, comme Eva (1962), The Servant (1963), Monsieur Klein (1976), ou Don Giovanni (1982). Le nouveau statut de Losey va lui permettre d'approfondir sa singularité, d'entreprendre des films qui ne relèveront plus d'un genre spécifique (ce que lui reprocheront certains de ses premiers admirateurs) et qui constituent la deuxième phase de sa carrière britannique. Il sera considéré dès lors, aux côtés de Bergman, d'Antonioni, de Fellini, de Godard et de Resnais, comme une des figures de proue de la modernité cinématographique. Le premier film de ce nouveau cycle sera Eva, (produit en France), où il s'investit totalement dans une peinture magistrale des déchirements d'un couple. Cette oeuvre reflet, comme tant d'autres, de son éducation puritaine et de sa formation marxiste et dans laquelle la tentation baroque se donne libre cours, sera incomprise. The Servant reprend le thème des rapports de domination et de soumission empreints de masochisme. C'est l'occasion d'une rencontre décisive avec Harold Pinter, dont le style elliptique fondé sur le non dit contrebalance le goût de l'excès du cinéaste, qui permet à Losey de prendre une revanche spectaculaire sur l'échec d'Eva. La collaboration fructueuse avec le dramaturge se poursuivra avec Accident (1967) et Le Messager, Palme d'Or à Cannes en 1970. Aux cotés d'oeuvres plus dépouillées comme Pour -4- l'exemple, sur les fusillés de la Première Guerre mondiale, ou le méconnu Deux hommes en fuite (1970) où son sens de la claustrophobie et de la menace s'exprime paradoxalement en plein air dans une spectaculaire chasse à l'homme allégorique servie par l'admirable photographie d'Henri Alekan, Losey poursuit ses recherches sur le décor et sur la fable comme structure narrative. Ce seront la comédie-bouffe Modesty Blaise 1966, et surtout, Boom (1968) et Cérémonie secrète (1968), deux oeuvres jumelles qui méritent une réévaluation et dans lesquelles l'on retrouve une des situations préférées du cinéaste : un étranger s'introduit dans une demeure et apporte avec lui le trouble, le chaos et même la mort. C'est également ce thème qui l'attirera dans L'Assassinat de Trotsky (1972), plus qu'une réflexion sur son propre passé idéologique. Après avoir adapté Ibsen (Maison de poupée) et Brecht (La Vie de Galilée) et, avec la collaboration de Tom Stoppard, orchestré les jeux temporels d'Une Anglaise romantique (1974) Losey s'installe en France où il signe deux de ses meilleurs films : Monsieur Klein et Don Giovanni. Une fois de plus il manifeste une double recherche : l'exploration des gouffres du psychisme et l'analyse des rapports de l'homme et de la société. Dans Monsieur Klein en particulier, l'alliance de la fable borgesienne et de la réflexion existentielle, sur fond de la persécution des Juifs pendant la guerre, aboutit à une des oeuvres les plus complexes du cinéma contemporain. Le chant du cygne de Losey sera Steaming (1985) tourné dans le pays qui l'avait accueilli trente ans plus tôt. Cet artiste, parfois considéré à tort comme le peintre d'univers virils, a signé une oeuvre ultime consacrée exclusivement à un portrait de groupe avec femmes dans un bain turc londonien. Oeuvre élégiaque, frémissante, elle ouvrait de nouveaux horizons et fait regretter que tant de projets n'aient pu voir le jour, dont certains auraient pu marquer son retour au pays natal. Le destin n'en a pas décidé ainsi et Losey fut frappé d'un nouvel interdit : "You can't go home again". Auteur d'une oeuvre considérable, il restera jusqu'à la fin un éternel étranger sur terre. Michel Ciment pour la rétrospective Joseph Losey à la Cinémathèque Française du 4 février au 14 mars 2004 -5- QUELQUES PISTES DE PRESENTATION La satire sociale « Le Valet, comme tout grand film, dérange profondément » Jean-Louis Bory in Arts n° 957. 08/04/64. Ce film s'attaque d'abord à la morale en mettant en scène une société à priori très respectable (nous sommes en Angleterre où règne la morale victorienne) pour mieux nous en montrer la décadence, due à l'incompréhension des classes dirigeantes qui ne cherchent pas à comprendre le monde actuel (voir la scène avec l'oncle et la tante) et à l'hypocrisie (sexuelle). L'ambiguïté de la relation Tony/Barnett pose cette hypocrisie. Certains prétendent que Barrett veut Tony dès qu'il le voit allongé dans la première scène. Ce qui est sûr, c'est qu'il semble vouloir jouer le rôle de sa femme, comme on le voit dans la seconde partie du film. La mise en scène souhaite donc d'abord poser l'ordre apparent de cette société. C'est la fonction du long travelling qui ouvre le film et qui reviendra comme leitmotiv. Mais la sérénité (voir la pureté – le parc harmonieux sous la neige) ne sont que des masques. La séquence d'ouverture montrera le véritable enjeu du film, la domination d'un homme sur un autre. Celle-ci dépasse le simple cadre de la lutte des classes. Les jeux de pouvoir « La séquence qui ouvre le film annonce d’emblée les termes du rapport de force qui va se nouer entre les deux personnages masculins. La rencontre entre Barrett et Tony inaugure en effet une relation de domestique à maître au sein de laquelle les rapports de domination et de soumission sont en perpétuelle évolution. L’opposition des deux personnages se voit d’abord dans le jeu des contrastes : Barrett est une silhouette sombre, vêtue de noir, énigmatique et inquiétante. C’est un « homme de l’ombre » dont l’ombre inquiétante recouvre d’ailleurs les murs de la maison. Tony, au contraire, appartient à la lumière : vêtu de couleurs claires, il est éclairé par une lumière solaire qui renforce son apparence de candeur, de jeunesse et de naïveté. La mise en scène souligne encore le rapport de force en jouant notamment avec ironie sur les plongées et contre-plongées dans les cadrages. Si la plongée est censée créer une sensation de domination et d’écrasement du sujet filmé, et la contre-plongée l’effet contraire en magnifiant le sujet filmé, Losey renverse l’équilibre social dès la première séquence : le domestique, apprêté et soigné, commence par regarder de haut son maître débraillé et avachi dans un fauteuil. La contre-plongée utilisée au moment où l’on découvre vraiment le visage de Tony accentue d’ailleurs cette impression : Barrett domine les choses et menace son maître comme un oiseau de proie prêt à fondre sur l’animal innocent. Par la suite, les rapports s’inversent et l’équilibre social semble se rétablir, au moins en apparence, pendant le questionnaire d’embauche. Tony s’est en effet redressé et il joue son rôle de maître, insistant pour faire s’asseoir Barrett tandis qu’il reste debout et évolue autour de son subordonné. La contre-plongée est quasi permanente dans ce passage, comme pour mieux appuyer le rôle que Tony veut se donner. Cette inversion des positions de domination est redoublée par la mise en scène des déplacements des personnages lorsqu’ils montent à l’étage : Tony précède Barrett avant de l’inviter à passer devant lui pour finalement le précéder à nouveau dans l’escalier. La séquence fait plus que d’annoncer le rapport de force, ses ambiguïtés et ses évolutions, elle pose aussi tout de suite l’enjeu du rapport de force, à savoir la possession de l’espace de la maison. Là encore, c’est la mise en scène qui permet de nous faire saisir cet enjeu, notamment à travers les mouvements de caméra. Celle-ci a -6- en effet un point de vue ambigu, tantôt indépendant, tantôt proche du point de vue de Barrett. Ainsi, la caméra suit le point de vue du personnage lorsqu’elle panote pour donner à voir ce que regarde Barrett. Dans tous les cas, ces mouvements donnent l’impression d’investir l’espace avec le personnage lors de son entrée dans la maison et sa découverte des lieux au début de la séquence. Par la suite, lorsque Tony et Barrett montent ensemble à l’étage, les cadrages inscrivent toujours les personnages dans l’espace de la maison, les inscrivant dans des limites notables, que ce soit l’étroitesse d’un cadre de porte ou la barrière formée par la rambarde de l’escalier. Il y a quelque chose d’étroit, d’étriqué dans cette maison, l’impression venant sans doute de ce que Losey filme très souvent le resserrement formé par les chambranles de porte. Le rapport de force est donc filmé de façon à faire saisir l’enjeu (l’espace de la maison) en faisant d’emblée comprendre qu’il n’y a pas de place pour deux dans cette maison. La petite gêne au moment de franchir la porte de la pièce de l’étage en témoigne. Tony, qui ouvre la porte pour laisser entrer Barrett, entre finalement en même temps que lui et les deux hommes semblent pressés l’un contre l’autre : il n’y a pas de place pour deux et l’un des deux devra céder. C’est le sujet même du film. » Benjamin Delmotte : http://www.cndp.fr/Tice/teledoc/plans/plans_servant.htm Une mise en scène lumineuse Losey est obsédé par des positions de caméra qui expriment un état d'âme et ses mouvements sont toujours extrêmement sensibles. Grâce aux sobres dialogues de Pinter qui assurent au film son équilibre, Losey a pu aller au bout de son esthétique. Le motif upstairs/downstairs est mis à l'envers : normalement les domestiques anglais habitent le souterrain. Dans The Servant, ils vivent en haut de l'escalier, là où la caméra n'entre jamais, là où règne une liberté défendue à Tony. Les jeux de pouvoir sont mis en scène par l'humiliation, Losey fait ramper ses personnages. « Cette idée de l’homme courbé au sol, piétiné, Losey l’indique fortement par une série de plans où la caméra épie le spectacle à ras du sol ou le regard fixé au sol. Et le film se clôt non seulement par le renversement des pouvoirs, mais avant tout sur l’humiliation du maître, écrasé au sol, rampant à son tour, transformé – au sens propre – en paillasson. [...] Ce film relève plus du poème dramatique que du pamphlet social... Ce que Losey tourne, c’est une damnation de Faust 1964. Eclairages, déformations visuelles, angles de prises de vue, plongées, contre-plongées, tout nous avertit de ne pas nous en tenir au plan réaliste. Une preuve ? Les objets vivent, ils servent le serviteur, et la femme essaie de les ranger de son côté à grands renforts de coussins, de fanfreluches. La maison est personnage. Piège, minutieusement aménagé, entretenu par le valet, champ clos du combat, récompense du vainqueur, lieu plus dangereux pour le jeune homme que la jungle africaine d’où il revient, elle se fait prison. » Jean-Louis Bory in Arts n° 957. 08/04/64. Pour conclure Indépendamment de l'utilisation lumineuse d'un noir et blanc maîtrisé dans ses moindres détails, d'un jeu sur les miroirs et les reflets fascinants, d'une brillante direction d'acteurs, arrive de plein fouet un art de la narration prodigieux : chaque détail (un robinet qui coule, un tableau déplacé d'une pièce à l'autre), fait de ce film un chef d'oeuvre inévitable. Sous-entendus, manipulations et retournements de situation font vaciller les repères aussi bien sociaux que sexuels et offrent à Dirk Bogarde l'un de ses rôles les plus mémorables. -7- LE MACCARTHISME Le maccarthisme (ou maccarthysme) est un épisode de l’histoire américaine, connu également sous le nom de « Terreur Rouge » (Red Scare), qui s'étala approximativement de 1950 à 1956. Elle désigne non seulement la procédure inquisitoriale menée par la commission du Sénateur Joseph McCarthy consistant à traquer d'éventuels agents, militants ou sympathisants communistes aux Etats-Unis mais également une ambiance politique consistant à réduire l'expression d'opinions politiques ou sociales jugées défavorables, en limitant les droits civiques sous le motif de défendre la sécurité nationale. Le contexte de la guerre froide était particulièrement tendu. L’URSS expérimenta l'arme atomique en 1949, Mao Zedong parvint au pouvoir la même année et la guerre de Corée débuta en juin 1950. Longtemps, les États-Unis crurent que si les Soviétiques avaient pu fabriquer une bombe A, c'était grâce aux espions soviétiques infiltrés aux Etats-Unis, comme le montre l'exemple des époux Rosenberg. Cette atmosphère géopolitique causait une véritable paranoïa dans l'opinion américaine, qui exprimait une véritable crainte du communisme et du bloc soviétique. La chasse aux sorcières a en fait commencé bien avant, en 1938, quand le Congrès américain crée le HUAC (House Un-American Activities Comittee), un comité d'enquête sur les activités anti-américaines. Il est chargé de combattre les idéologies fascistes, nazies et communistes sur le territoire américain. Parallèlement, le FBI - créé en 1908 est sous l'égide de John Edgar Hoover depuis 1924, dont la mainmise sur les affaires internes du pays est exceptionnelle. Friand de ragots, il n'hésite pas à faire poser des micros chez tous les gens qu'il suspecte d'activités illégales ou simplement de moralité douteuse. Officieusement, il se régale des secrets d'alcôve des politiques et des stars des Etats-Unis (il aurait été ainsi l'un des premiers à connaître la relation entre Marilyn Monroe et les Kennedy). Ses écoutes lui permettent de créer des fiches sur tout le monde et son obsession à chasser les communistes est sans fin. Malgré leurs différends, le président Truman abonde dans son sens et crée en 1946 une commission chargée d'enquêter sur la loyauté des fonctionnaires fédéraux. En 1947, la HUAC entreprend une vaste enquête dans les milieux du cinéma : les « Dix d’Hollywood » furent convoqués en 19471. L’expression Hollywood Ten désigne dix producteurs, auteurs ou réalisateurs de cinéma qui furent convoqués en 1947 par la commission des activités anti-américaines. Ils refusèrent de divulguer leur éventuelle appartenance présente ou passée au Parti et ne dénoncèrent personne pour « activité anti-américaine ». Ils subirent tous des peines de prison et furent tous inscrits sur la liste noire de l'industrie du cinéma. Tous auront énormément de mal à trouver du travail par la suite, et la nécessité alimentaire en poussera certains à revenir sur leurs positions. Edward Dmytryk donnera par exemple, en 1959, 26 noms de personnalités adhérant au parti ou à l'idéologie communiste. Il sera à nouveau employé par les studios hollywoodiens, mais c'est malgré tout un symbole de résistance qui s'effondre. Elia Kazan, militant communiste entre 1934 et 1936, dira tout ce qu'il sait, se payant une page du New York Times pour expliquer son choix - il sera pourtant surnommé dès ce moment « le rat ». Il signera même en 1954 Sur les quais, faisant l'apologie de celui qui dénonce. L'American Film Institute ne lui décernera jamais de prix pour son œuvre, mais il reçut finalement un Oscar, décrié par beaucoup, en 1999. Au contraire, le dramaturge Arthur Miller (futur mari de Marilyn Monroe) écrit pour dénoncer ce système les pièces à succès Les Sorcières de Salem et Vu du pont. Suivant son exemple, Fred Zinnemann réalise Le Train sifflera trois fois, tandis que Charlie Chaplin et Jules Dassin (sur la liste 1 C'est une liste de onze personnalités qui est d'abord établie. Mais Bertolt Brecht, scénariste et immigré allemand, réussit à s'enfuir. Restent ainsi les fameux Hollywood Ten . -8- noire depuis 1947) fuient en Europe. En 1952, Eisenhower arrive au pouvoir et, devant l'influence à son comble de McCarthy, se sépare même de quelques-uns de ses collaborateurs. Ronald Reagan, alors président du syndicat des acteurs, profitera de sa position pour espionner ses amis et collègues et, sous le nom d'agent T10 (sa femme Jane Wyman étant T9), fournira bon nombre d'informations au FBI et témoignera à l'HUAC contre de nombreux accusés. Le principe pour ne pas être condamné était simple: il fallait apporter alors la preuve de son innocence. Les conséquences à Hollywood furent désastreuses, laissant une vraie cicatrice psychologique dans toute l'industrie. Tous les auteurs, réalisateurs, acteurs figurant sur la liste noire furent obligés soit de fuir en Europe soit de travailler pour un salaire minimum sous des noms d'emprunt. Ainsi, beaucoup de noms sont réhabilités aujourd'hui sur des classiques du cinéma, comme Spartacus (Kirk Douglas fut un fervent combattant du maccarthysme), Lawrence d'Arabie ou encore Le Pont de la rivière Kwaï. A l'époque, des acteurs ont aussi profité de leur notoriété pour manifester contre les méthodes de McCarthy, en créant le CFA (Comittee for the First Amendment): Humphrey Bogart, sa femme Lauren Bacall, John Huston, Gene Kelly… Les chasseurs de sorcières, de leur côté, produisent quelques films utilisant comme métaphores des communistes des fourmis géantes (Les Monstres attaquent la ville, Gordon Douglas, 1954) ou des extra-terrestres (Invasion of the Bodysnatchers, Don Siegel - celui de L'Inspecteur Harry -, 1956) et ont de leur côté le héros américain par excellence, John Wayne qui, dans Big Jim McLain d'Edward Ludwig (1952), démantèle une organisation communiste. Sortent aussi le film de quasi propagande I was a communist for the FBI (Gordon Douglas à nouveau, 1951), qui suit un agent infiltré permettant de nombreuses arrestations, et son opposé, So Young So Bad (1950), condamnant l'univers carcéral américain. Le réalisateur de ce dernier, Bernard Vorhaus, fut dénoncé par Ronald Reagan et dut fuir définitivement en Angleterre. Et à l'exemple du cinéma, tous les arts et médias, théâtre, littérature, télévision, radio, presse furent touchés par le phénomène, licenciant à tour de bras après des pseudo-enquêtes de moralité et de loyauté. C'est justement la télévision qui signera la perte du sénateur McCarthy. Donnant une interview au présentateur vedette Edward Murrow sur CBS en 1954, il apparaît dans toute sa folie paranoïaque et vingt millions de téléspectateurs le voient et l'entendent s'en prendre ouvertement à l'armée. Le Général Marshall, entre autres, figure héroïque de la Seconde Guerre Mondiale, fera l'objet d'attaques. L'interview de 187 heures sera diffusée sur 35 jours et permettra à ses partisans, en le voyant par le biais du petit écran, de se réveiller et de regarder la réalité en face: McCarthy est un dangereux affabulateur. Le sénat réagit aussitôt, défendant le Pentagone, qui a l'appui du président Eisenhower. A son tour sur le banc des accusés, McCarthy doit s'expliquer sur ses méthodes d'un autre temps. le Sénat lui adressa un blâme le 2 décembre 1954 par 67 voix contre 22. Il fut définitivement écarté de la politique. Déchu, déconsidéré, McCarthy sombra dans l’alcoolisme et mourut en 1957 dans l'indifférence générale. Entre les seules années 1947 et 1953, 26 000 employés de l'administration fédérale font l'objet d'une enquête approfondie. Il y eut 7000 démissions et 739 révocations, au motif d'appartenance à des organisations dites subversives, d'immoralité sexuelle, de pratique homosexuelle ou de consommation de drogues. http://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthisme Marlène Weill-Masson, http://www.filmdeculte.com/autour/autour.php?id=108. -9- Présenter un film du patrimoine Quelques repères Le public quel est-il ? La présentation doit tenir compte du public accueilli (classes, groupes divers, public habituel, cinéphiles...) qui a des attentes différentes Intérêts de la présentation Compléter une culture cinématographique Une découverte ou redécouverte dans de bonnes conditions, en grand écran Donner accès à des films oubliés Porter un regard différent, nouveaux sur des films qui appartiennent à l'histoire du cinéma Partager une passion pour un film, pour le cinéma, communiquer son plaisir (le « gai savoir » ) Choisir le moment de l'intervention : Parler avant et/ou après le film ? avant : présenter le contexte, relever les points d'intérêts (la difficulté étant de ne pas déflorer l'intrigue du film) après : proposer une analyse plus précise et un échange avec la salle Les besoins pour construire sa présentation : Se documenter (ouvrages...) Une certaine culture cinématographique et connaissance du film sont nécessaires. Quelques pistes pour construire la présentation : (entre parenthèses, exemples donnés pour The Servant) Mettre l'accent sur certains passages même si le film n'est pas connu Replacer le film dans son contexte, le genre qu'il représente, le mouvement auquel il appartient ou pas Donner quelques clés essentielles sur le film : un retour sur l'histoire de..(le maccarthisme) ; un personnage incontournable, à l'écran ou dans la production ; le décryptage de certaines scènes importantes pour le sens, dans leur construction formelle (une mise en scène lumineuse) l'origine des réalisateurs (Joseph Losey) la réception du public à l'époque Laisser une trace écrite Fiche spectateur Chronologie... -10- Documents disponibles pour les bibliothèques Ouvrages Le Livre de Losey : entretiens avec le cinéaste. Michel Ciment. - Ramsay, 1986 L'univers de Joseph Losey. Cinémaction n° 96. Corlet-Télérama, 2000 Joseph Losey. Colin Gardner. Manchester University Press, 2004. (en anglais) The Servant. L'Avant-Scène cinéma, n° 495. L'Avant-Scène, octobre 2000 Le garçon aux cheveux verts de Joseph Losey, USA, 1948. Jacques Aumont. Dossier pédagogique Ecole et cinéma . Les enfants de cinéma : Centre national de la Cinématographie, Ministère de la Culture : Ministère de l'Education nationale, 2005 Le garçon aux cheveux verts de Joseph Losey, USA, 1948. Joël Magny. Dossiers pédagogique Collège au cinéma. Les Films de L'Estran : Centre national de la Cinématographie, Ministère de la Culture : Ministère de l'Education Nationale, 2003 British cinema : a critical history. Amy Sargeant. British film institute, 2005. (en anglais) Beautiful British Cinema. Confrontation 43 : Festival Cinéma / Histoire / Cinéma. Institut Jean Vigo, Cinémathèque Euro-Régional. Perpignan, 2007 Typiquement british : le cinéma britannique. sous la dir. de N.T. Binh, Philippe Pilard. Ed. du Centre Pompidou, 2000 Les communistes de Hollywwod. Autre chose que des martyrs. Thom Andersen, Noël Burch. Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1994, Les délateurs. Le cinéma américain et la chasse aux sorcières. Victor Navasky. Ramsay, 1982 Pour en finir avec le maccarthysme. Lumières sur la Liste Noire à Hollywood. JeanPaul Török. L'Harmattan, 1999 Films Le garçon au cheveux verts. 1948 Eva. 1962 The servant.1963 Pour l'exemple. 1964 Accident. 1967 Mr Klein. 1976 Don Giovanni. 1979 Sur le maccarthisme : Good Night, and Good Luck. George Clooney. 2005 Documentaire Joe Le Magnifique. Philippe Saada, 2005 (CNC, Images de la culture) Site Site officiel de Dirk Bogarde http://www.dirkbogarde.co.uk/ -11-