The Servant

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The Servant
The Servant
de Joseph Losey – Grande-Bretagne – 1963
1h55 – Noir et blanc
Un dossier réalisé par l'espace Histoire-Image de la médiathèque de Pessac
dans le cadre des Ciné-Mémoires du Pôle régional d'éducation artistique
et de formation au cinéma et à l'audiovisuel (Aquitaine)
Scénario : Harold Pinter d'après le roman de Robin Maugham
Producteurs : Joseph Losey, Norman Priggen pour Springbok/Elstree (Warner-Pathé)
Directeur de production : Teresa Bolland
Directeur photographie : Douglas Slocombe
Cadreur : Chic Waterson
Ingénieur du son : John Cox, Buster Ambler
Musique : John Dankworth
Chanson : 'All Gone', chanté par Cleo Laine
Décor : Ted Clements, Richard MacDonald
Costumes : Béatrice Dawson
Assistant réalisateur : Roy Stevens
Montage : Reginald Mills
Script : Pamela Davis
Dates de tournage : janvier – mars 1963 à Londres
Sortie en France le 10 avril 1964
Interprétation
Dirk Bogarde : Hugo Barret
James Fox : Tony
Sarah Miles : Vera
Wendy Craig : Susan
Catherine Lacey : Lady Mounset
Richard Vernon : Lord Mounset
Ann Firbank : une femme de la société
Patrick Magee : l'évêque
Alun Owen : un homme
Jill Melford : une femme plus jeune
Harold Pinter : l'homme de la haute société
Brian Phelan : l'homme du pub
John Dankworth : le leader du groupe
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Résumé
Dans une luxueuse et ancienne demeure londonienne, Tony un jeune aristocrate engage
un domestique très stylé, Hugo Barret. Ce valet de chambre le fascine sans qu'il en ait
d'abord conscience : Tony est un être fragile, superficiel, qui ne s'entend pas réellement
avec sa fiancée Susan. Il cède lentement à une attirance toute cérébrale qui fait de lui
le jouet de Barret. Celui-ci le convainc d'engager comme bonne sa prétendue soeur,
Véra, qui est en réalité sa maîtresse et deviendra celle de Tony. Le jeune homme rompt
avec Susan et s'enfonce dans la déchéance physique et morale.
Une fable à plusieurs étages
Losey lui-même a déclaré que The Servant était une variante moderne de la fable de
Faust. Il y a en effet quelque chose de méphistophélique dans la manière dont Barret
« investit » et « envahit » la vie de Tony, en donnant presque jusqu'à la fin (désespérée)
l'impression qu'il veut seulement lui rendre service, lui être agréable : et, de fait, le film
repose sur l'ambiguïté du renversement qu'il implique. Si Tony révèle sa servilité, Barret
n'en est pas pour autant exempt : on a parfois le sentiment que Vera l'utilise. Le
puritanisme de Losey qui, s'il ne condamne pas ses personnages, s'en tient à distance,
reparaît ici. L'homosexualité latente des deux hommes n'est que l'occasion d'une
réflexion sur le Mal métaphysique à l'oeuvre dans l'inconscient. Leur échange passe du
jeu au drame, à l'image du décor où l'escalier tient une place obsédante, la menace de
corruption suprême se situant au sommet. Le brillant dialogue de Pinter, une photo très
soignée qui oppose quelques scènes d'extérieur (neige, statues blanches) aux contrejours et irisations de la demeure de Tony, et, par dessus tout, l'interprétation de Dirk
Bogarde, ont assuré le succès du film. Ce succès a fait du metteur en scène, après celui
de Temps sans pitié (et malgré la « catastrophe » d'Eva), un cinéaste reconnu à l'échelle
européenne. Il était temps : Losey avait déjà 54 ans.
Dictionnaire des films. Larousse
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Bio-filmographie
Joseph Losey
cinéaste américain, La Crosse, Wisconsin, 1909 – Londres 1984
Joseph Losey appartient, avec Elia Kazan, Nicholas Ray et Orson Welles, à cette
génération née dans les premières années du siècle, et qui a vécu le crash de Wall Street
et la grande dépression en atteignant la maturité. Marqués pour toujours par ce séisme
économique et social, certains, comme Losey et Kazan, entrèrent au parti communiste
américain, l'un des plus staliniens au monde. D'autres, comme Welles et Ray,
s'engagèrent au service des idées rooseveltiennes. Tous firent leurs premières armes au
théâtre, un lieu plus propice aux expérimentations formelles et à la critique de la
société qui avaient leur faveur, plutôt qu'à Hollywood où régnait le système autarcique
des grandes compagnies. Ils finirent néanmoins par rejoindre la Mecque du cinéma, dans
les années 40, pour y apporter un sang neuf.
De tous, Losey est le plus rebelle aux étiquettes, au point d'être encore considéré par
beaucoup comme un cinéaste britannique. Né (comme Nicholas Ray) à La Crosse
(Wisconsin) en 1909 et élevé au sein d'une grande famille bourgeoise du Middle-West au
train de vie aristocratique, il rejoint à dix-sept ans le groupe théâtral des « Dartmouth
Players », avant de mettre en scène à New York au milieu des années 30 des spectacles
engagés comme Triple a Plowed Under et Injunction Granted, pour le « Living
Newspaper ». Des séjours préalables à Berlin, Moscou, en Suède et en Finlande lui
avaient permis de côtoyer les avant-gardes esthétiques les plus vivantes de son temps.
Ses voyages en Europe le familiarisent ainsi avec les travaux scéniques de Piscator,
Meyerhold et Brecht, dont il créa, durant l'exil en Amérique du dramaturge allemand, La
Vie de Galilée, à Los Angeles en 1947. C'est en préparant la mise en scène de cette
pièce, avec John Hubley, qu'il découvrit les vertus du pre-designing - décors, costumes,
éclairages - au point de demander à ce conseiller visuel de l'accompagner pour ses
premiers films réalisés à Hollywood. L'exceptionnelle maîtrise dont Losey témoigne dès
ses débuts au cinéma s'explique en partie par son activité intense pour la scène, tout
comme par son travail à la radio en 1942, où il réalisa près de quatre-vingt-dix
émissions. Le décor chez Losey sera toujours d'une importance primordiale et
fonctionnera comme un prolongement des personnages. Il poursuivra plus tard en Europe
ses recherches sur l'architecture intérieure, sur ses espaces et ses formes, en
collaboration étroite avec Richard Mac Donald dans la direction indiquée par Hubley.
Il est fréquent, chez les admirateurs de Losey, de diviser son oeuvre en périodes pour
préférer telle ou telle étape de sa carrière. S'il est légitime de distinguer ainsi des
scansions historiques, l'oeuvre apparaît néanmoins d'une profonde unité avec des
réussites exemplaires, tout au long de sa trajectoire artistique. Ses cinq premiers films,
qu'il tourna à Hollywood, forment un bloc d'une qualité rare. Le Garçon aux cheveux
verts ( 1948) est un des débuts les plus originaux qui soit, une allégorie peu fréquente
dans le cinéma américain où l'on retrouve le goût de la fable, cher à l'art d'outreatlantique. Comme dans le meilleur de son oeuvre future, Losey y mêle l'émotion et la
réflexion pour décrire, à l'opposé de l'optimisme d'un Capra, les préjugés et les égoïsmes
d'une petite ville d'Amérique profonde. L'attention accordée à la souffrance de
personnages vulnérables, l'analyse des conflits sociaux, la fluidité de la mise en scène, le
sens concret de la réalité physique, sont déjà présents et irrigueront les films à venir.
Ces vertus permettent au Garçon aux cheveux verts d'éviter l'écueil du film à thèse sur
le racisme et le péril atomique. Les oeuvres suivantes, chacune produite par une
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compagnie différente (après la RKO de ses débuts, Paramount, Horizon, Columbia,
Artistes Associés), appartiennent peu ou prou au genre criminel, alors à son apogée, que
Losey illustre avec brio. Haines (1949) reprend le thème du racisme dans une petite
ville de Californie à population chicano ; Le Rôdeur (1950), où se manifeste pour la
première fois son goût pour les mouvements d'appareils élaborés, s'inscrit dans la lignée
du Facteur sonne toujours deux fois et d'Assurance sur la mort ; M (1950), grand film
méconnu est digne du chef-d'oeuvre de Lang dont il est le remake, et La Grande nuit
(1951) montrent à nouveau le talent de son auteur pour peindre la fragilité et les
tourments de la jeunesse. Un homme à détruire (1951), tourné en Italie, établit encore
plus clairement, sur les lieux mêmes du néo-réalisme, la dette que le genre criminel
hollywoodien devait au mouvement initié par Visconti et Rossellini en optant pour les
décors naturels.
En 1952, Losey est sommé de comparaître pour témoigner devant la commission des
activités anti-américaines. Son refus de céder à l'hystérie anti-communiste le conduit à
l'exil londonien, où il signe, sous des noms d'emprunt, La Bête s'éveille (1954) (qui
marque sa rencontre avec Dirk Bogarde, qui va devenir un de ses deux acteurs fétiches
avec Stanley Baker) et L'Etrangère intime (1955). Auteur de cinq films magistraux,
Losey était en droit d'espérer une brillante carrière hollywoodienne qui se trouvait ainsi
stoppée net. Il dut se servir de toutes ses ressources pour remonter la pente après ce
traumatisme, et connaître une seconde vie artistique. C'est encore le genre criminel qui
l'inspirera pendant quelques années, créant ainsi un lien avec sa période américaine :
Temps sans pitié (1956), L'Enquête de l'inspecteur Morgan (1959), Les Criminels
(1960) (outre Les Damnés, fable futuriste à résonance politique). C'est à un groupe de
très jeunes critiques français regroupés autour du cercle du Mac Mahon, Pierre Rissient,
Marc Bernard et Michel Fabre, que Losey doit sa reconnaissance en France, puis dans le
monde, alors que la presse anglaise l'ignorait. Aux côtés de Lang, de Preminger et de
Walsh, il fait partie de leur "carré d'as", incarnant pour eux la mise en scène, un concept
alors objet de débats et par trop délaissé de nos jours. Au tournant des années 60, les
Cahiers du cinéma, sous la direction d'Eric Rohmer, accueillent ces jeunes turcs pour un
numéro spécial consacré à Losey, qui devient un des réalisateurs favoris de toutes les
tendances esthétiques et idéologiques de la critique française : Cinéma, Positif,
Présence du cinéma. Cet unanimisme des revues spécialisées ne doit pas masquer les
fortes résistances dans la presse qui se sont toujours manifestées, y compris face à des
oeuvres majeures, il est vrai dérangeantes, comme Eva (1962), The Servant (1963),
Monsieur Klein (1976), ou Don Giovanni (1982).
Le nouveau statut de Losey va lui permettre d'approfondir sa singularité, d'entreprendre
des films qui ne relèveront plus d'un genre spécifique (ce que lui reprocheront certains
de ses premiers admirateurs) et qui constituent la deuxième phase de sa carrière
britannique. Il sera considéré dès lors, aux côtés de Bergman, d'Antonioni, de Fellini, de
Godard et de Resnais, comme une des figures de proue de la modernité
cinématographique. Le premier film de ce nouveau cycle sera Eva, (produit en France),
où il s'investit totalement dans une peinture magistrale des déchirements d'un couple.
Cette oeuvre reflet, comme tant d'autres, de son éducation puritaine et de sa formation
marxiste et dans laquelle la tentation baroque se donne libre cours, sera incomprise.
The Servant reprend le thème des rapports de domination et de soumission empreints
de masochisme. C'est l'occasion d'une rencontre décisive avec Harold Pinter, dont le style
elliptique fondé sur le non dit contrebalance le goût de l'excès du cinéaste, qui permet à
Losey de prendre une revanche spectaculaire sur l'échec d'Eva. La collaboration
fructueuse avec le dramaturge se poursuivra avec Accident (1967) et Le Messager,
Palme d'Or à Cannes en 1970. Aux cotés d'oeuvres plus dépouillées comme Pour
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l'exemple, sur les fusillés de la Première Guerre mondiale, ou le méconnu Deux
hommes en fuite (1970) où son sens de la claustrophobie et de la menace s'exprime
paradoxalement en plein air dans une spectaculaire chasse à l'homme allégorique servie
par l'admirable photographie d'Henri Alekan, Losey poursuit ses recherches sur le décor
et sur la fable comme structure narrative. Ce seront la comédie-bouffe Modesty Blaise
1966, et surtout, Boom (1968) et Cérémonie secrète (1968), deux oeuvres jumelles qui
méritent une réévaluation et dans lesquelles l'on retrouve une des situations préférées
du cinéaste : un étranger s'introduit dans une demeure et apporte avec lui le trouble, le
chaos et même la mort. C'est également ce thème qui l'attirera dans L'Assassinat de
Trotsky (1972), plus qu'une réflexion sur son propre passé idéologique. Après avoir
adapté Ibsen (Maison de poupée) et Brecht (La Vie de Galilée) et, avec la collaboration
de Tom Stoppard, orchestré les jeux temporels d'Une Anglaise romantique (1974) Losey
s'installe en France où il signe deux de ses meilleurs films : Monsieur Klein et Don
Giovanni. Une fois de plus il manifeste une double recherche : l'exploration des gouffres
du psychisme et l'analyse des rapports de l'homme et de la société. Dans Monsieur Klein
en particulier, l'alliance de la fable borgesienne et de la réflexion existentielle, sur fond
de la persécution des Juifs pendant la guerre, aboutit à une des oeuvres les plus
complexes du cinéma contemporain.
Le chant du cygne de Losey sera Steaming (1985) tourné dans le pays qui l'avait accueilli
trente ans plus tôt. Cet artiste, parfois considéré à tort comme le peintre d'univers
virils, a signé une oeuvre ultime consacrée exclusivement à un portrait de groupe avec
femmes dans un bain turc londonien. Oeuvre élégiaque, frémissante, elle ouvrait de
nouveaux horizons et fait regretter que tant de projets n'aient pu voir le jour, dont
certains auraient pu marquer son retour au pays natal. Le destin n'en a pas décidé ainsi
et Losey fut frappé d'un nouvel interdit : "You can't go home again". Auteur d'une oeuvre
considérable, il restera jusqu'à la fin un éternel étranger sur terre.
Michel Ciment pour la rétrospective Joseph Losey à la Cinémathèque Française
du 4 février au 14 mars 2004
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QUELQUES PISTES DE PRESENTATION
La satire sociale
« Le Valet, comme tout grand film, dérange profondément »
Jean-Louis Bory in Arts n° 957. 08/04/64.
Ce film s'attaque d'abord à la morale en mettant en scène une société à priori très
respectable (nous sommes en Angleterre où règne la morale victorienne) pour mieux
nous en montrer la décadence, due à l'incompréhension des classes dirigeantes qui ne
cherchent pas à comprendre le monde actuel (voir la scène avec l'oncle et la tante) et à
l'hypocrisie (sexuelle).
L'ambiguïté de la relation Tony/Barnett pose cette hypocrisie. Certains prétendent que
Barrett veut Tony dès qu'il le voit allongé dans la première scène. Ce qui est sûr, c'est
qu'il semble vouloir jouer le rôle de sa femme, comme on le voit dans la seconde partie
du film.
La mise en scène souhaite donc d'abord poser l'ordre apparent de cette société. C'est la
fonction du long travelling qui ouvre le film et qui reviendra comme leitmotiv. Mais la
sérénité (voir la pureté – le parc harmonieux sous la neige) ne sont que des masques. La
séquence d'ouverture montrera le véritable enjeu du film, la domination d'un homme sur
un autre. Celle-ci dépasse le simple cadre de la lutte des classes.
Les jeux de pouvoir
« La séquence qui ouvre le film annonce d’emblée les termes du rapport de force qui va
se nouer entre les deux personnages masculins. La rencontre entre Barrett et Tony
inaugure en effet une relation de domestique à maître au sein de laquelle les rapports
de domination et de soumission sont en perpétuelle évolution. L’opposition des deux
personnages se voit d’abord dans le jeu des contrastes : Barrett est une silhouette
sombre, vêtue de noir, énigmatique et inquiétante. C’est un « homme de l’ombre » dont
l’ombre inquiétante recouvre d’ailleurs les murs de la maison. Tony, au contraire,
appartient à la lumière : vêtu de couleurs claires, il est éclairé par une lumière solaire
qui renforce son apparence de candeur, de jeunesse et de naïveté.
La mise en scène souligne encore le rapport de force en jouant notamment avec ironie
sur les plongées et contre-plongées dans les cadrages. Si la plongée est censée créer une
sensation de domination et d’écrasement du sujet filmé, et la contre-plongée l’effet
contraire en magnifiant le sujet filmé, Losey renverse l’équilibre social dès la première
séquence : le domestique, apprêté et soigné, commence par regarder de haut son
maître débraillé et avachi dans un fauteuil. La contre-plongée utilisée au moment où
l’on découvre vraiment le visage de Tony accentue d’ailleurs cette impression : Barrett
domine les choses et menace son maître comme un oiseau de proie prêt à fondre sur
l’animal innocent.
Par la suite, les rapports s’inversent et l’équilibre social semble se rétablir, au moins en
apparence, pendant le questionnaire d’embauche. Tony s’est en effet redressé et il joue
son rôle de maître, insistant pour faire s’asseoir Barrett tandis qu’il reste debout et
évolue autour de son subordonné. La contre-plongée est quasi permanente dans ce
passage, comme pour mieux appuyer le rôle que Tony veut se donner.
Cette inversion des positions de domination est redoublée par la mise en scène des
déplacements des personnages lorsqu’ils montent à l’étage : Tony précède Barrett avant
de l’inviter à passer devant lui pour finalement le précéder à nouveau dans l’escalier.
La séquence fait plus que d’annoncer le rapport de force, ses ambiguïtés et ses
évolutions, elle pose aussi tout de suite l’enjeu du rapport de force, à savoir la
possession de l’espace de la maison. Là encore, c’est la mise en scène qui permet de
nous faire saisir cet enjeu, notamment à travers les mouvements de caméra. Celle-ci a
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en effet un point de vue ambigu, tantôt indépendant, tantôt proche du point de vue de
Barrett. Ainsi, la caméra suit le point de vue du personnage lorsqu’elle panote pour
donner à voir ce que regarde Barrett. Dans tous les cas, ces mouvements donnent
l’impression d’investir l’espace avec le personnage lors de son entrée dans la maison et
sa découverte des lieux au début de la séquence.
Par la suite, lorsque Tony et Barrett montent ensemble à l’étage, les cadrages inscrivent
toujours les personnages dans l’espace de la maison, les inscrivant dans des limites
notables, que ce soit l’étroitesse d’un cadre de porte ou la barrière formée par la
rambarde de l’escalier. Il y a quelque chose d’étroit, d’étriqué dans cette maison,
l’impression venant sans doute de ce que Losey filme très souvent le resserrement formé
par les chambranles de porte. Le rapport de force est donc filmé de façon à faire saisir
l’enjeu (l’espace de la maison) en faisant d’emblée comprendre qu’il n’y a pas de place
pour deux dans cette maison. La petite gêne au moment de franchir la porte de la pièce
de l’étage en témoigne. Tony, qui ouvre la porte pour laisser entrer Barrett, entre
finalement en même temps que lui et les deux hommes semblent pressés l’un contre
l’autre : il n’y a pas de place pour deux et l’un des deux devra céder. C’est le sujet
même du film. »
Benjamin Delmotte : http://www.cndp.fr/Tice/teledoc/plans/plans_servant.htm
Une mise en scène lumineuse
Losey est obsédé par des positions de caméra qui expriment un état d'âme et ses
mouvements sont toujours extrêmement sensibles. Grâce aux sobres dialogues de Pinter
qui assurent au film son équilibre, Losey a pu aller au bout de son esthétique. Le motif
upstairs/downstairs est mis à l'envers : normalement les domestiques anglais habitent le
souterrain. Dans The Servant, ils vivent en haut de l'escalier, là où la caméra n'entre
jamais, là où règne une liberté défendue à Tony.
Les jeux de pouvoir sont mis en scène par l'humiliation, Losey fait ramper ses
personnages.
« Cette idée de l’homme courbé au sol, piétiné, Losey l’indique fortement par une série
de plans où la caméra épie le spectacle à ras du sol ou le regard fixé au sol. Et le film se
clôt non seulement par le renversement des pouvoirs, mais avant tout sur l’humiliation
du maître, écrasé au sol, rampant à son tour, transformé – au sens propre – en
paillasson. [...]
Ce film relève plus du poème dramatique que du pamphlet social... Ce que Losey
tourne, c’est une damnation de Faust 1964. Eclairages, déformations visuelles, angles de
prises de vue, plongées, contre-plongées, tout nous avertit de ne pas nous en tenir au
plan réaliste. Une preuve ? Les objets vivent, ils servent le serviteur, et la femme essaie
de les ranger de son côté à grands renforts de coussins, de fanfreluches. La maison est
personnage. Piège, minutieusement aménagé, entretenu par le valet, champ clos du
combat, récompense du vainqueur, lieu plus dangereux pour le jeune homme que la
jungle africaine d’où il revient, elle se fait prison. »
Jean-Louis Bory in Arts n° 957. 08/04/64.
Pour conclure
Indépendamment de l'utilisation lumineuse d'un noir et blanc maîtrisé dans ses moindres
détails, d'un jeu sur les miroirs et les reflets fascinants, d'une brillante direction
d'acteurs, arrive de plein fouet un art de la narration prodigieux : chaque détail (un
robinet qui coule, un tableau déplacé d'une pièce à l'autre), fait de ce film un chef
d'oeuvre inévitable. Sous-entendus, manipulations et retournements de situation font
vaciller les repères aussi bien sociaux que sexuels et offrent à Dirk Bogarde l'un de ses
rôles les plus mémorables.
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LE MACCARTHISME
Le maccarthisme (ou maccarthysme) est un épisode de l’histoire américaine, connu
également sous le nom de « Terreur Rouge » (Red Scare), qui s'étala approximativement
de 1950 à 1956. Elle désigne non seulement la procédure inquisitoriale menée par la
commission du Sénateur Joseph McCarthy consistant à traquer d'éventuels agents,
militants ou sympathisants communistes aux Etats-Unis mais également une ambiance
politique consistant à réduire l'expression d'opinions politiques ou sociales jugées
défavorables, en limitant les droits civiques sous le motif de défendre la sécurité
nationale.
Le contexte de la guerre froide était particulièrement tendu. L’URSS expérimenta l'arme
atomique en 1949, Mao Zedong parvint au pouvoir la même année et la guerre de Corée
débuta en juin 1950. Longtemps, les États-Unis crurent que si les Soviétiques avaient pu
fabriquer une bombe A, c'était grâce aux espions soviétiques infiltrés aux Etats-Unis,
comme le montre l'exemple des époux Rosenberg. Cette atmosphère géopolitique
causait une véritable paranoïa dans l'opinion américaine, qui exprimait une véritable
crainte du communisme et du bloc soviétique.
La chasse aux sorcières a en fait commencé bien avant, en 1938, quand le Congrès
américain crée le HUAC (House Un-American Activities Comittee), un comité d'enquête
sur les activités anti-américaines. Il est chargé de combattre les idéologies fascistes,
nazies et communistes sur le territoire américain. Parallèlement, le FBI - créé en 1908 est sous l'égide de John Edgar Hoover depuis 1924, dont la mainmise sur les affaires
internes du pays est exceptionnelle. Friand de ragots, il n'hésite pas à faire poser des
micros chez tous les gens qu'il suspecte d'activités illégales ou simplement de moralité
douteuse. Officieusement, il se régale des secrets d'alcôve des politiques et des stars
des Etats-Unis (il aurait été ainsi l'un des premiers à connaître la relation entre Marilyn
Monroe et les Kennedy). Ses écoutes lui permettent de créer des fiches sur tout le
monde et son obsession à chasser les communistes est sans fin. Malgré leurs différends,
le président Truman abonde dans son sens et crée en 1946 une commission chargée
d'enquêter sur la loyauté des fonctionnaires fédéraux.
En 1947, la HUAC entreprend une vaste enquête dans les milieux du cinéma : les « Dix
d’Hollywood » furent convoqués en 19471. L’expression Hollywood Ten désigne dix
producteurs, auteurs ou réalisateurs de cinéma qui furent convoqués en 1947 par la
commission des activités anti-américaines. Ils refusèrent de divulguer leur éventuelle
appartenance présente ou passée au Parti et ne dénoncèrent personne pour « activité
anti-américaine ». Ils subirent tous des peines de prison et furent tous inscrits sur la
liste noire de l'industrie du cinéma. Tous auront énormément de mal à trouver du travail
par la suite, et la nécessité alimentaire en poussera certains à revenir sur leurs
positions. Edward Dmytryk donnera par exemple, en 1959, 26 noms de personnalités
adhérant au parti ou à l'idéologie communiste. Il sera à nouveau employé par les studios
hollywoodiens, mais c'est malgré tout un symbole de résistance qui s'effondre.
Elia Kazan, militant communiste entre 1934 et 1936, dira tout ce qu'il sait, se payant
une page du New York Times pour expliquer son choix - il sera pourtant surnommé dès ce
moment « le rat ». Il signera même en 1954 Sur les quais, faisant l'apologie de celui qui
dénonce. L'American Film Institute ne lui décernera jamais de prix pour son œuvre, mais
il reçut finalement un Oscar, décrié par beaucoup, en 1999. Au contraire, le dramaturge
Arthur Miller (futur mari de Marilyn Monroe) écrit pour dénoncer ce système les pièces à
succès Les Sorcières de Salem et Vu du pont. Suivant son exemple, Fred Zinnemann
réalise Le Train sifflera trois fois, tandis que Charlie Chaplin et Jules Dassin (sur la liste
1 C'est une liste de onze personnalités qui est d'abord établie. Mais Bertolt Brecht, scénariste
et immigré allemand, réussit à s'enfuir. Restent ainsi les fameux Hollywood Ten .
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noire depuis 1947) fuient en Europe. En 1952, Eisenhower arrive au pouvoir et, devant
l'influence à son comble de McCarthy, se sépare même de quelques-uns de ses
collaborateurs. Ronald Reagan, alors président du syndicat des acteurs, profitera de sa
position pour espionner ses amis et collègues et, sous le nom d'agent T10 (sa femme
Jane Wyman étant T9), fournira bon nombre d'informations au FBI et témoignera à
l'HUAC contre de nombreux accusés. Le principe pour ne pas être condamné était
simple: il fallait apporter alors la preuve de son innocence.
Les conséquences à Hollywood furent désastreuses, laissant une vraie cicatrice
psychologique dans toute l'industrie. Tous les auteurs, réalisateurs, acteurs figurant sur
la liste noire furent obligés soit de fuir en Europe soit de travailler pour un salaire
minimum sous des noms d'emprunt. Ainsi, beaucoup de noms sont réhabilités aujourd'hui
sur des classiques du cinéma, comme Spartacus (Kirk Douglas fut un fervent combattant
du maccarthysme), Lawrence d'Arabie ou encore Le Pont de la rivière Kwaï. A
l'époque, des acteurs ont aussi profité de leur notoriété pour manifester contre les
méthodes de McCarthy, en créant le CFA (Comittee for the First Amendment): Humphrey
Bogart, sa femme Lauren Bacall, John Huston, Gene Kelly… Les chasseurs de sorcières,
de leur côté, produisent quelques films utilisant comme métaphores des communistes
des fourmis géantes (Les Monstres attaquent la ville, Gordon Douglas, 1954) ou des
extra-terrestres (Invasion of the Bodysnatchers, Don Siegel - celui de L'Inspecteur
Harry -, 1956) et ont de leur côté le héros américain par excellence, John Wayne qui,
dans Big Jim McLain d'Edward Ludwig (1952), démantèle une organisation communiste.
Sortent aussi le film de quasi propagande I was a communist for the FBI (Gordon
Douglas à nouveau, 1951), qui suit un agent infiltré permettant de nombreuses
arrestations, et son opposé, So Young So Bad (1950), condamnant l'univers carcéral
américain. Le réalisateur de ce dernier, Bernard Vorhaus, fut dénoncé par Ronald Reagan
et dut fuir définitivement en Angleterre. Et à l'exemple du cinéma, tous les arts et
médias, théâtre, littérature, télévision, radio, presse furent touchés par le phénomène,
licenciant à tour de bras après des pseudo-enquêtes de moralité et de loyauté.
C'est justement la télévision qui signera la perte du sénateur McCarthy. Donnant une
interview au présentateur vedette Edward Murrow sur CBS en 1954, il apparaît dans
toute sa folie paranoïaque et vingt millions de téléspectateurs le voient et l'entendent
s'en prendre ouvertement à l'armée. Le Général Marshall, entre autres, figure héroïque
de la Seconde Guerre Mondiale, fera l'objet d'attaques. L'interview de 187 heures sera
diffusée sur 35 jours et permettra à ses partisans, en le voyant par le biais du petit
écran, de se réveiller et de regarder la réalité en face: McCarthy est un dangereux
affabulateur. Le sénat réagit aussitôt, défendant le Pentagone, qui a l'appui du président
Eisenhower. A son tour sur le banc des accusés, McCarthy doit s'expliquer sur ses
méthodes d'un autre temps. le Sénat lui adressa un blâme le 2 décembre 1954 par 67
voix contre 22. Il fut définitivement écarté de la politique. Déchu, déconsidéré,
McCarthy sombra dans l’alcoolisme et mourut en 1957 dans l'indifférence générale.
Entre les seules années 1947 et 1953, 26 000 employés de l'administration fédérale font
l'objet d'une enquête approfondie. Il y eut 7000 démissions et 739 révocations, au motif
d'appartenance à des organisations dites subversives, d'immoralité sexuelle, de pratique
homosexuelle ou de consommation de drogues.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthisme
Marlène Weill-Masson, http://www.filmdeculte.com/autour/autour.php?id=108.
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Présenter un film du patrimoine
Quelques repères
Le public
quel est-il ?
La présentation doit tenir compte du public accueilli (classes, groupes divers,
public habituel, cinéphiles...) qui a des attentes différentes
Intérêts de la présentation
Compléter une culture cinématographique
Une découverte ou redécouverte dans de bonnes conditions, en grand écran
Donner accès à des films oubliés
Porter un regard différent, nouveaux sur des films qui appartiennent à l'histoire
du cinéma
Partager une passion pour un film, pour le cinéma, communiquer son plaisir (le
« gai savoir » )
Choisir le moment de l'intervention : Parler avant et/ou après le film ?
avant : présenter le contexte, relever les points d'intérêts (la difficulté étant de
ne pas déflorer l'intrigue du film)
après : proposer une analyse plus précise et un échange avec la salle
Les besoins pour construire sa présentation :
Se documenter (ouvrages...)
Une certaine culture cinématographique et connaissance du film sont nécessaires.
Quelques pistes pour construire la présentation :
(entre parenthèses, exemples
donnés pour The Servant)
Mettre l'accent sur certains passages même si le film n'est pas connu
Replacer le film dans son contexte, le genre qu'il représente, le mouvement
auquel il appartient ou pas
Donner quelques clés essentielles sur le film : un retour sur l'histoire de..(le
maccarthisme) ; un personnage incontournable, à l'écran ou dans la production ; le
décryptage de certaines scènes importantes pour le sens, dans leur construction
formelle (une mise en scène lumineuse)
l'origine des réalisateurs (Joseph Losey)
la réception du public à l'époque
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Fiche spectateur
Chronologie...
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Documents disponibles pour les bibliothèques
Ouvrages
Le Livre de Losey : entretiens avec le cinéaste. Michel Ciment. - Ramsay, 1986
L'univers de Joseph Losey. Cinémaction n° 96. Corlet-Télérama, 2000
Joseph Losey. Colin Gardner. Manchester University Press, 2004. (en anglais)
The Servant. L'Avant-Scène cinéma, n° 495. L'Avant-Scène, octobre 2000
Le garçon aux cheveux verts de Joseph Losey, USA, 1948. Jacques Aumont. Dossier
pédagogique Ecole et cinéma . Les enfants de cinéma : Centre national de la
Cinématographie, Ministère de la Culture : Ministère de l'Education nationale, 2005
Le garçon aux cheveux verts de Joseph Losey, USA, 1948. Joël Magny. Dossiers
pédagogique Collège au cinéma. Les Films de L'Estran : Centre national de la
Cinématographie, Ministère de la Culture : Ministère de l'Education Nationale, 2003
British cinema : a critical history. Amy Sargeant. British film institute, 2005. (en
anglais)
Beautiful British Cinema. Confrontation 43 : Festival Cinéma / Histoire / Cinéma.
Institut Jean Vigo, Cinémathèque Euro-Régional. Perpignan, 2007
Typiquement british : le cinéma britannique. sous la dir. de N.T. Binh, Philippe Pilard.
Ed. du Centre Pompidou, 2000
Les communistes de Hollywwod. Autre chose que des martyrs. Thom Andersen, Noël
Burch. Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1994,
Les délateurs. Le cinéma américain et la chasse aux sorcières. Victor Navasky.
Ramsay, 1982
Pour en finir avec le maccarthysme. Lumières sur la Liste Noire à Hollywood. JeanPaul Török. L'Harmattan, 1999
Films
Le garçon au cheveux verts. 1948
Eva. 1962
The servant.1963
Pour l'exemple. 1964
Accident. 1967
Mr Klein. 1976
Don Giovanni. 1979
Sur le maccarthisme : Good Night, and Good Luck. George Clooney. 2005
Documentaire
Joe Le Magnifique. Philippe Saada, 2005 (CNC, Images de la culture)
Site
Site officiel de Dirk Bogarde
http://www.dirkbogarde.co.uk/
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