Le Réel comme un dispositif immersif
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Le Réel comme un dispositif immersif
UNIVERSITÉ PANTHÉ ON SORBONNE PARIS I UFR 04 des Arts Plastiques et Sciences de l’Art Le Réel comme un dispositif immersif Janvier 2012 Master 2 E.L.E.R. SunKyung OH Année universitaire 2011/2012 Le Réel comme un dispositif immersif Introduction ........................................................................................................... 3 1. Remise en cause de la définition de « Réel » 1-1. 1-2. 1-3. Synonyme de « matériel », « physique » ......................................... 4 ......................................................... 5 ..................................................... 5 .................................................................. 6 1-1-1. Objectif, Tangible et Incontestable 1-1-2. Matière infiniment petite 1-1-3. Réel qui n’est pas matériel Ce qui existe indépendamment du sujet 1-2-1. Moi et l’Entourage 1-2-2. Le monde physique considéré comme étant le réel 1-2-3. Délimitation de Moi ................ 6 ............................................................... 7 Perception du Monde (Réel) 1-3-1. Construction ou Décourverte .................................................. 8 1-3-2. Zhuangzi(莊子) et le Papillon ................................................ 8 1-3-3. Posthuman .............................................................................. 9 1 Le Réel comme un dispositif immersif 2. Réalité Augmentée, une nouvelle modalité d’interprétation du Réel 2-1. 2-2. 2-3. Une couche d’information sur l’environnement physique 2-1-1. L’actualité de la Réalité Augmentée 2-1-2. Est-on toujours dans la Réalité Augmentée ? 2-1-3. Réalité Mixte ....................................... 11 ......................... 12 ........................................................................... 13 Interprétation par la machine 2-2-1. Ubiquité numérique ................................................................ 2-2-2. Intéractivité en temps réel 2-2-3. Objectivation ou Matérialisation ....................................................... ............................................. 14 15 15 La nture de cet espace hybride .................................... 16 .............................................. 16 ..................................................................... 17 Conculsion ............................................................................................................. 18 Références .............................................................................................................. 19 2-3-1. Co-existence d’objets réels et virtuels 2-3-2. Virtualisation et Matérialisation 2-3-3. Un espace neuf ? 2 Le Réel comme un dispositif immersif Introduction Le terme d’immersion réelle est principalement utilisé pour les œuvres d’art mais si on extrapole le mot « immersion », on peut dire que le réel est le dispositif immersif le plus grand à l’échelle humaine et temporelle. Prenons pour illustrer notre propos l’œuvre « Socle du monde » de Piero Manzoni (1961). Son dispositif me semble être un des plus réussis dans le domaine des recherches artistiques, en immersion réelle. Cette œuvre ne reste pas seulement dans le réel, car elle donne à voir quelque chose qu’on doit avant tout se représenter mentalement : la globalité de ce qui est posé sur son socle, la Terre, tout ce qui est dessus et son évolution dans le temps. Manzoni traite le réel comme un matériau. A la même époque que Manzoni, le mouvement qui prônait que la vie était de l’art (Life as art), voyait la vie vue comme une œuvre d’art. Par exemple Joseph Beuys aimait être professeur car il pensait que tailler dans l’esprit de ses élèves était la meilleure sculpture qui soit. Tous ces artistes envisageaient le réel en tant que matériau. Mais qu’est-ce que le réel ? Quel est ce matériau et comment évolue-t-il ? 3 Le Réel comme un dispositif immersif 1. Remise en cause de la définition de « Réel » Notre immersion dans le réel est tellement grande que j’ai besoin d’émettre quelques doutes pour pouvoir mettre à distance le sens commun de réel. En tant que matériau les adjectifs « matériel et physique » correspondent bien à l’idée qu’on s’en fait. Cependant la composition même de la matière, vue au microscope, nous enseigne que cette apparence matérielle est bien plus poreuse et immatérielle qu’on ne peut le voir. On peut donc se demander comment le réel est délimité dans cet environnement et ce que cela implique pour notre perception. J’émets des doutes sur notre représentation du réel. On emploie « matériel et physique » en tant que synonyme de réel mais les découvertes scientifiques sur la nature de la matière exposent le vide et le mouvement des particules qui le composent. Dans cet environnement matériel instable comment pouvons-nous délimiter ce qui nous entoure et ce que nous sommes ? Quelles perspectives cette nouvelle connaissance du réel ouvre-t-elle ? 1-1. Synonyme de « matériel », « physique » 1-1-1. Objectif, Tangible et Incontestable Je vais d’abord, m’intéresser à la définition du mot « réel » dans sa dimension la plus simple. En effet, la définition de « réel » comme adjectif dans le dictionnaire1 est souvent associée à « objectif », « tangible » ou « incontestable ». Cela est très facile à accepter puisque cela est cohérent avec notre bon sens et nos expériences. La table sur laquelle mon ordinateur est posé est bien réelle. Je peux la toucher. Elle est là même si je ne la regarde pas. Ma table existera toujours à peu près avec la même forme que celle de maintenant sauf si elle subit les dégâts dus au temps ou à un accident. Vous pouvez également voir cette table ronde, marron et en bois dans ma chambre et la toucher. Cette table est un objet physique et matériel. Autrement dit, la matérialité est une propriété capitale de la réalité. Si on reste à l’échelle humaine où on peut percevoir avec nos organes sensoriels comme les yeux, le nez, la langue, les oreilles et la peau, le monde sera plus simple et clair. Mais on est parti plus loin : l’humain invente et utilise des outils qui peuvent voir plus loin ou plus près 1 http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?50;s=1754766945;r=3;nat=;sol=0; 4 Le Réel comme un dispositif immersif que leur inventeur. Cela est pareil pour les autres capacités de la perception. 1-1-2. Matière infiniment petite Notre perception actuelle sur la matière accède au niveau des quarks et des leptons, de très petites particules de la matière. Les scientifiques contemporains considèrent que la matière ne peut plus se définir comme une substance qui occupe de l’espace et qui possède une masse : ils ont du mal à définir la matière. Retournons à ma table. Je vois toujours une table ronde marron et en bois dans ma chambre : elle est dure et stable. Mais ma table est constituée de milliers de très petites particules qui bougent tout le temps et il y a beaucoup plus d’espace vide qu’ « occupé » par les particules de la table selon la science de notre époque. Je n’ai donc jamais véritablement touché la matière même de ma table ! Je ne peux pas toucher les particules élémentaires de ma table plus précisément, parce qu’elles sont très petites et trop rapides et qu’il y a énormément d’espace entre ma main et la table. Les règles sur la matière à très petite échelle ne sont plus les mêmes que celles de la matière dans la physique classique. « Objectif », « tangible » ou « incontestable » ne veulent rien dire pour la matière dans la physique contemporaine. La matière qui soutient la réalité tangible devient trouble aux vues des découvertes scientifiques actuelles. En effet, les particules élémentaires qui composent la matière bougent tout le temps et sont imperceptibles à l’œil humain. 1-1-3. Réel qui n’est pas matériel L’engagement du « réel » et du « matériel » devient de plus en plus faible et il est en rupture depuis l’avènement de l’ère numérique. On a eu quelque chose de réel qui n’est pas matériel : le virtuel, qui « ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel » comme Pierre Lévy l’a déjà indiqué. Quelque chose ou un être « virtuel » existe d’une manière différente de l’ « actuel ». Le virtuel existe sans corps matériel. J’appuie sur un bouton physique pour allumer mon ordinateur, mais je presse un bouton virtuel pour l’éteindre. Les deux boutons existent pourtant réellement. Dans le monde matériel dominé par les lois de la physique, le synonyme de « réel » est 5 Le Réel comme un dispositif immersif « matériel » ou « physique ». Cependant il n’est plus vrai dans l’espace numérique généré par la logique parce qu’il n’y a pas ce quelque chose de « matériel » ou de « physique ». 1-2. Ce qui existe indépendamment du sujet 1-2-1. Moi et l’Entourage La définition de réel en tant que nom dans le dictionnaire 2 est « ce qui existe indépendamment du sujet », « environnement matériel de l’homme » ou « environnement social de l’homme »...etc. Le synonyme de la première et de la troisième est « réalité ». Si je m’applique cette définition, il y a « Moi » en tant que sujet et mon entourage. Mon entourage existe objectivement malgré « Moi », et cet entourage s’appelle le « réel ». Mais comment peut-on distinguer « Moi » du reste ? Quelle est la distinction entre Moi et le reste ? Est-ce que la peau serait la frontière entre « Moi » et le reste ? Si ma peau est le contour de « Moi », mon cœur n’est-il pas du réel parce qu’il se situe à l’intérieur du contour de « Moi », de l’autre côté de la frontière du « reste » ? Ou bien ma conscience est-elle « Moi » ? 1-2-2. Le monde physique considéré comme étant le réel D’abord, que veut dire exister indépendamment du sujet ? On pourrait au moins dire que le monde physique existe indépendamment du sujet. Cela semble évident. Cependant que je ne peux pas l’assurer si j’envisage la question posée à Neo par Morpheus dans le film, « Matrix3 » : « Mais qu'est-ce que le réel? Quelle est ta définition du réel ? Si tu veux parler de ce que tu peux toucher, de ce que tu peux goûter, de ce que tu peux voir et sentir, alors le réel n'est seulement qu'un signal électrique interprété par ton cerveau. » Je pourrais continuer ce questionnement de la manière suivante : « De plus, si on peut manipuler 2 http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?50;s=1754766945;r=3;nat=;sol=0; 3 Andy et Larry Wachowski, « Matrix », Warner Bros, Pictures, Etats-Unis, 1999. 6 Le Réel comme un dispositif immersif ce signal électrique, qu’est-ce que le réel ? » Actuellement on peut provoquer directement le cerveau sans stimulation physique grâce à la technologie à nos jours. Par exemple, on peut chatouiller quelqu’un sans toucher son corps en stimulant directement le cerveau. Si on peut produire des signaux électriques et les appliquer aux points exacts dans le cerveau, dans la zone qu’on veut stimuler – on peut créer l’effet sans sa cause, et se demander qu’est-ce que le réel ? Si on peut directement produire le signal électrique du goût de poulet sans poulet ni produits chimiques et l’appliquer au point exact du goût dans le cerveau, est-ce qu’on peut toujours dire que le monde physique existe indépendamment du sujet et qu’il est donc le réel ? 1-2-3. Délimitation de « Moi » Qu’est-ce que « Moi » en tant que sujet ? Si la peau ne peut pas être le contour de « Moi », qui le sera ? Peut-on définir le contour de « Moi » ? Quel sera sa matérialité ? Conscience, esprit, corps biologique ? Si « Moi » est immatériel comme conscience ou esprit, il est très difficile d’évaluer un contour. Quel est le contour qui définit le matériel et l’immatériel ? « Moi » et « le reste » l’environnement ou l’entourage – sont les deux états de nature différente. Alors il est utile de commencer par le contour de la peau bien qu’il existe des risques de contradiction. C’est en m’identifiant aux autres qu’on gagne de la réalité par le biais du corps biologique qui capture des données sensorielles, même si celui ci n’est qu’une simple coquille. D’ailleurs, il n’est pas vrai que le corps est une simple coquille de « Moi » parce que l’être de « Moi » comprend le corps biologique aussi. Regardons « Moi » et le reste du point de vue de la matière. La peau n’est pas un contour bien fermé. A l’échelle microscopique elle est composée d’espaces et de trous telle ma table. Mon corps n’est pas un espace fermé comme tous les objets matériels. Est-ce qu’il serait plus raisonnable que « Moi » et le reste sont constamment en interactions à travers et par ces espaces et ces trous ? Si j’élargis les perspectives jusqu’au immatériel, « Moi » pourrait être réduit par quelque chose qui réside dans un coin du cerveau ou du cœur, mais il pourrait aussi dépasser la limite de la peau comme des ondes qui sont émises par le corps. 7 Le Réel comme un dispositif immersif 1-3. Perception du Monde (Réel) 1-3-1. Construction ou Décourverte À partir de la définition du mot « réel » dans le dictionnaire, j’ai extrait « Moi » et l’environnement et essayé de distinguer l’un de l’autre. Ensuite, nous allons réfléchir sur la relation de ces deux choses malgré des difficultés de la délimitation de « Moi ». Il y a deux façons d’avoir un rapport avec le monde pour « Moi ». Soit je construis activement le monde qui m’entoure, soit je ne fais que regarder un monde qui existait déjà et je ne suis qu’un miroir qui le reflète. Le monde existe parce que je le perçois selon la première façon. Je construis un monde plutôt dans mon cerveau qu’à l’extérieur et j’y le projette. En y le projetant je re-perçois ce qui est projeté. Ces actions ne se déroulent pas indépendamment dans une séquence, mais elles se produisent presque simultanément en s’influencent mutuellement. Cette opinion est convaincante sur ce point : le monde extérieur existe toujours indépendamment de ma présence, mais mon monde va disparaître si je meurs. Quant à la deuxième façon, je perçois le monde parce qu’il existe. Je découvre seulement ce qui existe. Ce point de vue semble être raisonnable. Mais est-ce qu’il est possible de voir le monde extérieur sans mon interprétation ? On ne voit pas tout ce qu’il existe. La perception visuelle fonctionne de façon sélective. Il y a souvent des décalages entre une image photographique et ce que je vois. Notre perception fait toujours son choix. A cet égard, la deuxième opinion est faible. Ces deux possibilités distinguent « Moi » comme sujet et le monde comme le « reste ». Est-ce qu’il y a une autre possibilité ? Introduisant une saga chinoise, j’essaye d’aller au-delà du cadre qui sépare « Moi » et le monde. 1-3-2. Zhuangzi(莊子) et le Papillon Un jour, le philosophe Zhuangzi s’endormit dans un jardin fleuri, et fit un rêve. Il rêva qu’il était un très beau papillon. Le papillon vola çà et là jusqu’à l’épuisement ; puis, il s’endormit à son tour. Le papillon fit un rêve aussi. Il rêva qu’il était Zhuangzi. A cet instant, Zhuangzi se réveilla. Il ne savait point s’il était, maintenant, le véritable Zhuangzi ou bien le Zhuangzi du 8 Le Réel comme un dispositif immersif rêve du papillon. Il ne savait pas non plus si c’était lui qui avait rêvé du papillon, ou le papillon qui avait rêvé de lui ?4 Cette histoire propose un autre point de vue, celle d’un possible changement d’être. Il n’y a plus de distinction entre « Moi » et les autres, « Moi » et le reste. Ce n’est plus une confrontation entre « Moi » et le reste mais une possible transmutation au sein même de cette fausse opposition. Une sorte d’apparition et de disparition d’un état, comme s’il n’y avait plus besoin de maintenir un état stable pour être. Mais si l’on accepte cette hypothèse il faut également en finir avec l’idée d’unité : corps/conscience. Il n’y aurait donc plus de distinction, plus de reconnaissance dans ce corps immatériel qui transite. 1-3-3. Posthuman Avec l’idée de posthuman, on espère une nouvelle façon d’appréhender le rapport entre le corps et l’espace. Le corps humain est biologique mais si la nature de ce corps change, est-ce que sa perception du monde changera-t-elle ? En devenant hybride, un corps biologique et mécanique, quelle sera sa façon d’appréhender l’espace ? Quel sera sa perception du temps, de l’espace, de la matérialité ? Posthuman n’est plus une expression de la science-fiction. Un corps biologique combiné avec une machine, le corps hybride est déjà en route. Matthew Nagle, par exemple, a fait implanter « BrainGate » dans son cerveau en 2003. Il peut commander sa télévision par la pensée grâce à cette implant cérébral qui lit et contrôle certains signaux cérébraux de Matthew Nagle, un tétraplégique. Ce genre d’expérience est principalement tenté pour les handicapés, jusqu’à présent, comme prothèses de haute technologie pour qu’ils regagnent leurs capacités perdues. Mais il est facile d’imaginer l’utilisation de ces prothèses pour renforcer la capacité d’une personne non-handicapée. L’homme/machine est devenu une possibilité réaliste. Si l’homme se connecte directement à la machine en tant qu’une symbiose de l’humain et de l’intelligence artificielle, comment perçoit-il le monde ? Est-ce qu’il voit le ciel comme nous le voyons, de jolies couleurs bleus, des nuages qui changent tout le temps leurs forme ? Ou bien qu’y voit-il des réseaux de connections par ondes, par énergie comme un pilote y voit les 4 http://www.lacanchine.com/L_Zhuangzi.html 9 Le Réel comme un dispositif immersif routes aériennes à travers le tableau de bord ? De plus, si on peut contrôler des objets par le simple geste ou même par la pensée en y installant une puce comme RFID5, le rapport entre l’homme et le monde ne sera même que celui de maintenant. Comme on l’a vu le mot réel ne peut pas être remplacé par matériel ou physique. Sa matérialité est plus complexe que ce que nous pouvons en percevoir à l’œil nu. Il en est de même pour notre corps et pour l’espace qui nous entoure. Nous avons vu qu’il était tout autant difficile de délimiter des contours « solides » pour chaque matérialité. On doit prendre le réel tel qu’il est en même temps que tel que nous le percevons. Le réel est donc exclu de toute objectivité tant matérielle que psychique. Si nous cherchons à comprendre la nature de ce qui nous rend unique, nous nous heurtons forcement à la matérialité et c’est pour cela que nous cherchons d’avantage à nous améliorer au travers d’extensions physiques. 5 RFID de l’anglais Radio Frequency IDentification 10 Le Réel comme un dispositif immersif 2. Réalité Augmentée, une nouvelle modalité d’interprétation du Réel Quelle est notre réalité actuelle ? Je pense que nous sommes dans une réalité mixte à l’intérieur de laquelle la Réalité Augmentée ne cesse de se développer. C’est pourquoi je m’intéresse d’avantage à son champ de développement car c’est une réalité qui est déjà dans notre quotidien. 2-1. Une couche d’information sur l’environnement physique 2-1-1. L’actualité de la Réalité Augmentée Selon le développement de la haute technologie, la modalité de la vie quotidienne est en train de changer. On peut discuter avec des amis de n’importe où en temps réel et parfois on peut le faire même en voyant l’expression du visage de l’autre malgré la distance physique. On peut suivre le courant des avis des gens du monde entier en même temps ce qu’ils ont écrit sur le réseau. Il est aussi courant de chercher le chemin inconnu à l’aide de smartphone dans la main que de le demander à quelqu’un dans la rue. La Réalité Mixte est un terme qui désigne cet nouvel environnement où les objets physiques et numériques existent ensemble et interagissent en temps réel. Les deux extrêmes de la Réalité Mixte est la Réalité (physique) et la Réalité Virtuelle. Entre les deux, il y a la Réalité Augmentée et la Virtualité Augmentée. Je m’intéresse plus à la Réalité Augmentée parce que je ne peux pas entrer dans la Virtualité ou Virtualité Augmentée avec mon corps de chair et d’os. En revanche, la Réalité Augmentée est déjà venue dans notre quotidien et elle offre une plate-forme d’échange entre les deux réalités. La Réalité Augmentée se réfère aux « systèmes informatiques qui rendent possible la superposition d’un modèle virtuel 3D ou 2D à la perception que nous avons naturellement de la réalité et ceci en temps réel.6 » Prenons un exemple pour illustrer notre place dans cette Réalité Augmentée et pour imaginer où elle nous amènera dans le futur très proche. 6 http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9alit%C3%A9_augment%C3%A9e 11 Le Réel comme un dispositif immersif Un des laboratoires du MIT7 mène un projet en cours par nommé « SixthSense8 » qui va nous permet de dresser un état des lieux. « SixthSense » est un dispositif de mini projecteur de poche, caméra portable et miroir. Il est suffisant pour être porté autour du cou comme un collier. Son prix de 350 dollars, le rend accessible. On a pu le découvrir en 2009 lors d’une présentation publique. La performance du prototype de cette démonstration est déjà impressionnante, il est donc presque dans notre main, pas juste sur les papiers dans le laboratoire ou dans la tête des chercheurs. « SixthSense » lie nos interactions avec les appareils informatiques et nos interactions avec le monde physique en augmentant le monde physique avec les informations numériques, en amenant les informations intangibles dans le monde tangible. Il voit ce que nous voyons et augmente visuellement des surfaces ou des objets avec ce que nous agissons sur les surfaces ou les objets. Il projette l’information sur n’importe quelle surface ou objet, et il nous permet de nous influencer mutuellement avec l’information à travers des gestes naturels et habituels, ou bien avec des objets, eux-même. « SixthSense » rend compte du monde entier sur un ordinateur privé comme ses inventeurs le déclarent. 2-1-2. Est-on toujours dans la Réalité Augmentée ? Si on dit que la Réalité Augmentée est une couche d’information superposée sur l’environnement physique, qui est interactive en temps réel, ce genre de couche d’information n’est pas chose nouvelle pour l’homme. En regardant l’histoire humaine, on peut se rendre compte que les couches d’information existaient depuis toujours dans le monde physique. On pourrait trouver une des couches les plus puissantes au Moyen Age, en Europe. Cette couche est tramée par le christianisme. On voyait toutes les choses à travers cette couche d’information en essayant de comprendre les volontés de Dieu. On interprétait tout par rapport aux signes divins, on vivait dans un monde symbolique tourné vers le divin. La couche était assez imposante pour considérer que le 7 MIT de l’anglais Massachusetts Institute of Technology 8 http://media.mit.edu/research/highlights/sixthsense-wearable-gestural-interface-augment-ourworld 12 Le Réel comme un dispositif immersif monde physique était une couche fugitive, superposée sur le royaume de Dieu. Le clergé et les philosophes étaient engagés à développer les logiques complexes et minutieuses pour augmenter la perception sur l’incarnation dans le monde profane. Beaucoup de personnes ont débattu les informations de la couche. Il est intéressant de regarder les cartes de l’univers qui ont été produites par les experts pour les intellectuels. Il y a deux univers sur le même plan : la galaxie géocentrique, limitée au centre du plan, et l’espace restant jusqu’à l’infini est pour le royaume divin. Ces deux mondes coexistaient et ils gagnaient probablement leur propre réalité pour les hommes du Moyen Age. Si on remonte dans le temps, on peut parler des constellations dans le ciel qui portent le nom de dieux de la mythologie gréco-romaine, si on remonte encore plus loin on peut parler des représentations rupestres que l’on ne peut interpréter que d’après notre savoir actuel. L’interprétation dépend des croyances de chaque époque, de son paradigme. Il y a donc une succession de couches d’interprétation dans l’Histoire de l’humanité. On inventait plusieurs sortes d’outils ou de façons pour augmenter la perception du monde, et on interagissait avec ces outils ou façons et avec ce qu’ils produisent en temps réel ou en marge du temps. Alors, on était toujours dans la Réalité Augmentée, en percevant le monde physique à travers les couches d’information variées depuis l’invention de la représentation : dès que l’homme s’est formé une conscience jusqu’aujourd’hui. 2-1-3. Réalité Mixte La réalité chez l’homme ne vient pas seulement du monde physique comme on l’a regardé jusqu’à maintenant. D’ailleurs il semble impossible d’être dans un monde purement matériel pour l’homme sauf si on peut mettre le monde, lui-même dans la tête. On perçoit le monde et on réagit qu’avec ce qu’on perçoit. On pourrait dire que ce qu’on perçoit est la réalité, une double réalité, celle du monde et celle que je perçois, et elles sont toutes les deux aussi importantes. Une remarque de Renée Bourassa sur la réalité est très juste dans ce sens : « Afin de mettre en perspective les diverses modalités du concept de « réalité », le terme de réalités mixtes rend davantage compte des modalités multiples de notre présence au monde dans lequel nous sommes immergés en permanence, allant de la présence physique à la présence mentale, par le biais de l’imaginaire. Il témoigne de l’hybridité de notre condition d’existence dans le monde. » 13 Le Réel comme un dispositif immersif De plus, l’homme en tant que sujet de perception n’est pas seulement une substance physique comme son environnement n’est pas que matériel. L’homme est aussi un être mixte. En somme, on a toujours été dans la réalité mixte. Si on accorde cette opinion, on s’intéressera à la différence entre la réalité mixte actuelle et les précédentes. Je vais essayer de la trouver au tour de la Réalité Augmentée contemporaine. 2-2. Interprétation par la machine 2-2-1. Ubiquité numérique On est partout en même temps. On a une portée plus large. Notre temps de réaction a changé, notre temps de réaction ou nos réactions sont plus immédiates. L’usage du mot ubiquité : la particularité de Dieu fut longtemps l’ubiquité, hors nous sommes parvenus à un niveau de développement technologique qui nous permet virtuellement d’être partout en même temps. On a imité la particularité divine avec une machine. L’ubiquité numérique nous a permis de réduire l’espace entre les gens. On peut communiquer avec des personnes a l’autre bout de la planète, partager un contenu et se sentir proche, même physiquement de cette personne. Autre exemple, avec la consultation des sites internet, comme celui du Louvre ou du centre Pompidou, on peut tous se trouver dans un même espace, en même temps. La distance physique se réduit, que l’on veuille aller physiquement à un endroit ou virtuellement, les possibilités d’accès se simplifient. En effet, dans le monde physique tout comme dans le monde virtuel les chemins d’accès se centrent sur l’efficacité : aller droit au but. Ce schéma est plus imposant dans le monde virtuel où les chemins d’accès sont plus restreint. En effet, si on peut accéder à un endroit à partir de différents points, on ne peut éviter de cliquer sur notre cibler pour y accéder. Par exemple, on peut taper « centre Pompidou » sur le moteur de recherche google, celui ci nous indiquera le site du centre mais également plusieurs autres points cibles pour y accéder. Physiquement pour m’y rendre je peux m’arrêter aux Halles et continuer a pied ou bien m’arrêter à la station Rambuteau, dans les deux cas j’aurais une chemin unique pour y entrer, que ce soit pour les expositions ou pour la bibliothèque, sans passage entre les deux. Avec l’ubiquité numérique je peux me trouver dans les deux espaces en même temps, parcourir tous les espaces en un temps record et ne pas 14 Le Réel comme un dispositif immersif avoir à choisir quel espace investir durablement. 2-2-2. Intéractivité en temps réel La vitesse d’interaction est différente par rapport aux outils anciens. Il y a toujours eu des couches d’information accessibles par le biais d’un livre ou d’un dessin par exemple. Pour augmenter la perception du monde il a fallu rendre plus accessible l’accès a ces donnes. Le temps et le champ de réaction est tellement étendu qu’on a l’impression qu’aujourd’hui c’est tout le monde qui y a accès. Les informations se trouvent regroupées dans un seul appareil matériel comme un téléphone, ça devient plus matériel par rapport à la consultation éparse des information [consultation d’un livre, dans telle bibliothèque, à tel endroit]. On peut considérer que les données étaient tout aussi virtuelles que celle d’aujourd’hui dans le sens où on avait dans l’idée qu’elles étaient tout aussi accessibles que maintenant. On a juste changé et amélioré les modalités d’accès. La grande différence est qu’avant je devais aller vers ces données et maintenant elles viennent à moi, plus vite, presque en temps réel. Le changement de vitesse de l’intéractivité change la nature des choses et de nos rapports. Par exemple, l’arrivée du train pour les voyages de longue distance a changé notre façon de voir le monde car la vitesse a changé notre vision de percevoir celui ci. L’œil s’habitue a une certaine vitesse pour apprécier le dehors, le reste. Un changement de cette vitesse entraîne un changement de notre perception et des choses qui le composent. Avec le virtuel le changement est plus rapide que celui de notre vision. Le mode de perception induit par le virtuel propose un changement progressif et en même temps accélère de notre perception. 2-2-3. Objectivation ou Matérialisation Comment comprenons-nous ce qui est matériel dans ce monde en constante augmentation de notre perception ? L’interface qui existe entre le monde et moi devient plus objective, presque matérielle par rapport aux temps anciens. Une matérialisation de la virtualité s’opère à travers ce changement de perception. Pour traiter la couche d’information on a une concrétisation par la machine. La couche d’information devient tangible par l’interface technologique. 15 Le Réel comme un dispositif immersif Par exemple les gestes qu’on utilise pour les track pad deviennent des gestes « matériau » : on ne touche pas vraiment l’objet, pour un livre virtuel on touche une surface et par extension un contenu. Un nouveau langage se calque sur le langage des gestes « images ». Si en situation réelle je fais un signe avec mes mains pour indiquer une direction, on va suivre cette indication. Par contre si je fais le même geste matériau dans le monde virtuel il va avoir une autre utilité et de possibles et multiples applications, geste directionel, tourner la page, effacer les lettres, etc. Un langage matériel s’installe avec la machine tout en créant un nouveau langage image calque sur le réel 2-3. La nature de cet espace hybride 2-3-1. Co-existence d’objets réels et virtuels Selon, le principe de réalité augmentée, deux objets coexistent en même temps, un objet virtuel et un objet réel. Ces deux objets s’influencent mutuellement. Si la nature de l’objet change, l’espace change et vice-versa. Il y a une coexistence entre eux. Ainsi il existe des applications sur les téléphones portables qui permettent d'ajouter des informations à un site réel grâce à la réalité augmentée. Dans le futur, on pourra sans doute projeter un guide en hologramme directement sur la surface. Ici objet virtuel et physique sont directement entremêlés. Grâce à ce dispositif, l'environnement réel est transformé. 2-3-2. Virtualisation et Matérialisation Selon Pierre Lévy, il y a une tendance à la dématérialisation dans le monde actuel comme par exemple le remplacement du courrier par le courrier virtuel, la disparition de bureau fixe, etc. Je pense qu'avec la réalité augmentée, il y a également une tendance à la matérialisation du virtuel. C'est-à-dire que que virtualisation et matérialisation avancent en même temps et se perfectionnent simultanément. Les choses immatérielles prennent une nouvelle matérialité comme par exemple avec le nouveau geste réalisé pour cadrer une image vue dans 16 Le Réel comme un dispositif immersif « SixthSense » . L'action virtuelle est matérialisée grâce au geste. Dans ce cas, il y a création d'un nouveau langage faisant co-exister réel et virtuel. De la même manière, si on interagit par notre geste (taper sur un clavier, toucher un clavier virtuel), il y a une imitation du geste réel dans le virtuel, un calque. Les choses physiques elles-mêmes perdent alors de leur matérialité et pour exister dans chaque espace, chacun doit gagner quelque chose. 2-3-3. Un espace neuf Quelle est la différence ou la nouvelle nature de l’espace, est-ce que ça crée un nouvel espace ? Il y a une hiérarchie du réel et du virtuel 1) réel 2) virtuel mais aujourd’hui cette hiérarchie correspond plutôt à une sorte d’égalité : 1) réel 1’) virtuel. Quelle est cette évolution ? En tant qu’artiste ce qui m’intéresse est de traiter les deux choses ensemble, je cherche quelque chose qui mette en évidence cette équivalence comme pour le « Socle du Monde » de Manzoni, qui permette d'activer cet espace virtuel, ce jeu de l’esprit, d'entrelacer des dimensions différentes. 17 Le Réel comme un dispositif immersif Conclusion Jusqu’à maintenant on a essayé de trouver ce qu’est le réel, on a vu que le réel n’est pas une unité, qu’il est une pluralité, qu’il propose plusieurs possibilités à son existence. On devrait parler de réalité mixte et pas juste réel. La nature de l’environnement est mixte, hybride tout comme nous, nous sommes aussi des hybrides [corps, mental]. Avec la technologie, notre condition évolue. On peut peut-être traiter ou considérer le réel comme un matériau. On peut dire qu’il a plusieurs sortes de réel. On peut mettre ces différents réels sur table et essayer de trouver une façon de traiter avec. Est-ce qu’il serait possible dans cette réalité actuelle de traiter le réel comme matériau ? C’est un point de vue intéressant pour un artiste, qu’est-ce que le réel et comment construire avec lui ? Quelques exemples de recherche artistique utilisent le langage numérique pour traiter de cette situation. Mais ces artistes reproduisent des langages numériques, ils les font uniquement sortir du numérique Je pense qu’on peut aller au delà de cette simple extraction du virtuel ou du numérique. On ramène des signes virtuels dans la réalité physique, je me demande comment avancer plus dans cette direction. Le travail de Piero Manzoni active et utilise l’espace physique mais aussi mental par des jeux d’esprit. Je pense que c’est une dimension qui demande à être développée dans la situation actuelle. On peut considérer le Réel comme un dispositif immersif. Il est notre portail d’appréhension de la réalité. On peut imaginer traiter les différentes réalités sur un plan d’égalité. En traitant le réel en tant que matériau on peut appréhender la manière d’existence de la réalité. 18 Le Réel comme un dispositif immersif Références 1. Bibliographique BADIOU, Alain, et autres : Matrix ; machine philosophique. Paris : ellipses, 2003. GOODMAN, Nelson : Ways of Worldmaking. Indianapolis, Indiana : Hackett Publishing Company, 1978. HAWKING, Stephen : The Universe in a Nutshell. New York/Toronto/London/Sydney/ Auckland : Bantam Books, 2001. LEVY, Pierre : Qu’est-ce que le virtuel?. Paris : La Découverte, 1998. WERTHEIM, Margaret : The Pearly Gates of Cyberspace ; A History of Space from Dante to the Internet. New York : W. W. Norton & Company, 2000. CELANT, Germano : Manzoni. catalogue de l’exposition Piero Manzoni, A Retrospective à Gagosian Gallery (24.01.2009 ∼ 21.03.2009), Milano : SKIRA/GAGOSIAN, 2009 DEITCH, Jeffrey : Post HUMAN. catalogue de l’exposition Post HUMAN aux FAE Musée d'art contemporain, Pully-Lausanne (14.06.1992 ~ 13.09.1992) ; Castello di Rivoli, Museo d'arte contemporanea (24.09.1992 ~ 22.11.1992) ; Deste Foundation for Contemporary Art, Athens (03.12.1992 ~ 14.02.1993) ; Deichtorhallen Hamburg (12.03.1993 ~ 09.05.1993), Pully : FAE, 1992. 19 Le Réel comme un dispositif immersif 2. Autres Modèle géocentrique du système solaire de Ptolémée, d'après le cosmographe et cartographe portugais Bartolomeu Velho, 1568 (Bibliothèque nationale de France, Paris) Cosmographia, 1524, par astronome allemand, Petrus Apianus http://www.sciencephoto.com/images/imagePopUpDetails.html?pop=1&id=867000432&pvie wid=&country=67&search=&matchtype=FUZZY Les Chroniques de Nuremberg, 1493 http://digicoll.library.wisc.edu/cgi/t/text/pagevieweridx?c=nur;cc=nur;q1=age;rgn=full%20text;idno=nur.001.0002;didno=nur.001.0002;view=im age;seq=54;node=nur.001.0002%3A2.5;page=root;size=s;frm=frameset; Univers de Dante, Divine Comédie(1307-1321) http://www.mhhe.com/physsci/astronomy/fix/student/images/04f01.jpg Schéma de l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis dans la Divine Comédie de Dante, (New York Times Book Review) http://www.flickr.com/photos/edithosb/2356691024/ Aurochs et chevaux représentés dans la grotte de Lascaux, 18000 ~ 15000 ans BP http://www.lascaux.culture.fr/index.php?fichier=00.xml#/fr/02_00.xml 20