à bas les mythes

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à bas les mythes
ISSN 1923-1261
LA FIN D’UN MYTHE - MAI 2011
à bas les mythes
UTILISATION DE DONNÉES PROBANTES POUR DÉMYSTIFIER
DE FAUSSES CROYANCES COURANTES PAR RAPPORT AUX
SERVICES DE SANTÉ AU CANADA
MYTHE : LES CÉSARIENNES SONT À LA HAUSSE PARCE
QUE DE PLUS EN PLUS DE FEMMES LE DEMANDENT
Britney Spears en a eu une, Kate Hudson, Victoria Beckham et
Elizabeth Hurley aussi – des stars qui ont toutes accouché par
césarienne. Des accouchements chirurgicaux très médiatisés
depuis une dizaine d’années pourraient donner à penser que la
césarienne est devenue le choix par excellence de la femme
moderne, et non une nécessité médicale en cas de complications.
Les célébrités sont-elles le miroir de la société? Ou ces lanceuses
de mode incitent-elles les nouvelles mamans à tourner le dos aux
méthodes d’accouchement traditionnelles? Quelle que soit la
réponse, les taux de césariennes connaissent une hausse
constante et les experts craignent que cette tendance ne mette les
femmes en danger.
Au Canada, les femmes accouchent plus souvent par césarienne
que jamais auparavant. En 2008-2009, plus d’un accouchement
sur quatre à l’hôpital se faisait par césarienne, ce qui représente
une augmentation de près de 10 p. 100 depuis 1995-19961, 2. On
observe la même tendance dans bon nombre de pays3. Un taux
élevé de césariennes est-il un problème en soi? Après tout, la
césarienne n’est-elle pas une intervention sure qui permet de
sauver des vies?
Si les accouchements chirurgicaux peuvent sauver des vies
quand ils sont pratiqués en cas de nécessité médicale, ils ne sont
pas pour autant infaillibles. En comparaison des accouchements
vaginaux, les césariennes présentent plus de risques d’arrêt
cardiaque, d’hystérectomie, d’infection, de fièvre, de pneumonie,
de caillot sanguin et d’hémorragie4, 5, et c’est sans parler des
risques pour le bébé6. En outre, elles sont plus coûteuses. Au
Canada, une première césarienne coûte en effet environ 2 265 $
de plus qu’un accouchement vaginal. Le système de santé
canadien pourrait économiser près de 25 millions de dollars si le
taux de premières césariennes (sans compter les césariennes
répétées) était ramené au 15 p. 100 recommandé par
l’Organisation mondiale de la santé7.
COUPER OU NE PAS COUPER?
En raison des incohérences dans les données pancanadiennes,
personne ne sait combien de mères canadiennes choisissent
d’avoir une césarienne, mais elles ne sont sûrement pas très
nombreuses. En Colombie-Britannique, où le choix des mères fait
l’objet d’un suivi, une récente étude montre que moins de 2 p. 100
des césariennes ont été effectuées à leur demande8. Une étude
menée en 2008 sur l’expérience de la maternité au Canada révèle
un taux supérieur (quoique relativement faible) de césariennes, un
peu plus de 8 p. 100 des mères ayant demandé une césarienne et
la plupart d’entre elles avaient déjà accouché par césarienne9.
Selon une étude semblable réalisée aux États-Unis, moins de
1 p. 100 des premières césariennes ont été pratiquées à la
demande de la mère sans raison médicale10. Fait intéressant, la
plupart des mères qui ont subi une césarienne ont indiqué
que la décision avait être prise par leur prestataire de services
de santé.
Un faible taux de césariennes sur demande n’est pas
surprenant, étant donné que la plupart des femmes disent ne
pas en vouloir. Un récent examen systématique des
préférences des femmes révèle en effet qu’à l’échelle
mondiale, quelque 16 p. 100 des femmes à peine opteraient
pour une césarienne11. Ce chiffre est encore plus bas (10 p. 100)
si on exclut les femmes qui ont déjà eu une césarienne.
LES CÉSARIENNES
ENGENDRENT DES CÉSARIENNES
Huit femmes sur dix qui ont eu une césarienne en subiront
une autre7. Or, bon nombre de ces interventions ne sont pas
nécessaires. Les médecins optent pour une césarienne
répétée afin d’éviter de déchirer la cicatrice laissée sur
l’utérus par une césarienne précédente, une éventualité
dangereuse, mais peu courante. La Société des obstétriciens
et gynécologues du Canada recommande que les femmes qui
FONDATION CANADIENNE DE LA RECHERCHE SUR LES SERVICES DE SANTÉ | À BAS LES MYTHES | MAI 2011
à bas les mythes
UTILISATION DE DONNÉES PROBANTES POUR DÉMYSTIFIER DE FAUSSES
CROYANCES COURANTES PAR RAPPORT AUX SERVICES DE SANTÉ AU CANADA
ont déjà eu une césarienne tentent d’accoucher par voie vaginale. En
revanche, si l’accouchement vaginal présente des risques, l’accouchement
chirurgical demeure alors une option12. Le taux élevé de césariennes
répétées au Canada persiste malgré cette recommandation, ce qui
témoigne d’une discordance entre données probantes et pratique.
ACCOUCHEMENTS D’UN OCÉAN À L’AUTRE
Les variations pancanadiennes des taux régionaux suggèrent que la
probabilité qu’une femme accouche par césarienne dépend de son lieu de
résidence. En 2008-2009, Terre-Neuve-et-Labrador affichait le taux de
césariennes le plus élevé (31,5 p. 100), alors que le Manitoba enregistrait
un taux moyen dépassant légèrement 20 p. 100. Au Nunavut, le taux
n’était que de 6,9 p. 1001. Les variations sont normales eu égard aux
différences démographiques d’une région à l’autre. Toutefois, ces chiffres
révèlent des divergences au chapitre des décisions prises par les médecins.
Des chercheurs ont examiné la question des variations en ColombieBritannique et constaté que la façon dont les médecins réagissent à la
dystocie (ou accouchement très difficile) est un facteur déterminant13.
Certains obstétriciens pratiquent de nombreuses césariennes pour cette
raison et d’autres, non. Il est peu probable que le taux de dystocie varie à
l’échelle de la province et tout porte à croire que certains médecins sont
trop prompts à opter pour une intervention chirurgicale. Une récente étude
de la pratique des césariennes aux États-Unis révèle que bon nombre de
médecins interrompent le travail beaucoup trop tôt en invoquant une
dystocie14. Ils ne semblent pas être au fait des récentes données probantes
qui indiquent que le travail peut être plus long chez de nombreuses
femmes qui ont déjà eu un enfant. Ils sont également déphasés par rapport
aux lignes directrices en matière de pratique.
On peut penser que, dans bien des cas, une divergence entre la pratique et
la science influe sur le taux de césariennes. Selon une étude récente sur
l’attitude des médecins à l’égard des soins de maternité, beaucoup ont en
effet un point de vue sur les césariennes que contredisent les résultats
cliniques. Par exemple, 25 p. 100 des obstétriciens, médecins de famille et
infirmières croient que la césarienne contribue à prévenir l’incontinence
urinaire ou les problèmes sexuels, et ce, malgré le manque de données
probantes15. Beaucoup croient également que la césarienne est aussi sure
que l’accouchement vaginal, même si la science prouve qu’il n’en est rien.
De surcroît, la plus récente génération d’obstétriciens voit souvent d’un
mauvais œil l’accouchement naturel et manifeste une préférence marquée
pour les césariennes et d’autres interventions médicales16.
CONCLUSION
Le taux élevé de césariennes au Canada est un problème. Les césariennes
non justifiées engendrent des souffrances et des dépenses inutiles. Nous
devons donc trouver des façons d’en réduire le recours. Nous pouvons, en
conséquence, examiner ce qui se passe ailleurs et comparer nos taux avec
ceux d’autres pays ainsi que l’effet des différents taux sur les résultats en
matière de santé maternelle et néonatale17. Une chose est sûre, toutefois :
il ne faut pas braquer les projecteurs sur les choix que font les femmes,
mais plutôt sur les décisions des prestataires de services de santé. La
réduction de l’écart entre les pratiques d’accouchement et les meilleurs
résultats cliniques disponibles contribuera plus efficacement à diminuer le
nombre de césariennes que les politiques visant à changer les préférences
des femmes dont la plupart préféreraient d’ailleurs accoucher
naturellement.
Le présent numéro de À bas les mythes s’inspire d’un article publié par
madame Esther Shoemaker, lauréate du Prix À bas les mythes 2011 et
candidate au doctorat à l’Université d’Ottawa, en Ontario.
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Les articles À bas les mythes sont publiés par la Fondation canadienne de la
recherche sur les services de santé après avoir été revus par des spécialistes du
sujet. La FCRSS est un organisme indépendant et sans but lucratif financé dans le
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