Texte de Pascal le roseau pensant

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Texte de Pascal le roseau pensant
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
I) LES OPERATEURS LOGIQUES, LES MOTS ESSENTIELS ET PROBLEMATIQUES
TEXTE DE PASCAL
« La grandeur de l'homme est grande en ce
qu'ils se connaît misérable (a). Un arbre ne se
connaît pas misérable (b). C'est donc être
misérable que de se connaître misérable; mais
c'est être grand que de connaître qu'on est
misérable (c).
Pensée fait la grandeur de l'homme.
Je puis concevoir un homme sans mains,
pieds, tête (car ce n'est que l'expérience qui
nous apprend que la tête est plus nécessaire que
les pieds). Mais je ne puis concevoir l'homme
sans pensée : ce serait une pierre ou une brute.
(…)
L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de
la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne
faut pas que l'univers entier s'arme pour
l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit
pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait,
l'homme serait encore plus noble que ce qui le
tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage
que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la
pensée. C'est de là qu'il nous faut relever et non
de l'espace et de la durée, que nous ne saurions
remplir. Travaillons donc à bien penser. »
Pascal, Pensées, 347
I)
 Proposition générale sous forme de
syllogisme :
(a) Majeur
(b) Mineur
(c) Conséquence
 Thèse
 Justification de la thèse. La conjonction "
mais " sert à renforcer la thèse par élimination
d'un argument inessentiel.
 Concession
 Contradiction, renforcement de la thèse.
 Conclusion générale : retour à la thèse
 Conséquence ultime.
THEME (De quoi ce texte parle-t-il ?)
Ce texte de Pascal nous invite à réfléchir sur la valeur de la conscience humaine qui fait de
nous des êtres tout à fait singuliers dans l'univers, ballottés entre grandeur et misère. C'est
l'ambivalence de la condition humaine qui semble intéresser Pascal dans ce texte.
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II)
THESE, ANTITHESE (Qu’est-ce que l’auteur soutient dans ce texte ? Contre quelle
conception s’élève-t-il ?)
La grandeur de l'homme réside dans son activité spirituelle. C'est la prise de conscience, la
saisie réflexive, qui est au fondement de la dignité humaine. Pascal réfute à la fois ceux qui
valorisent à l'excès et à l'envi la supériorité humaine (la tradition cartésienne et rationaliste) et
ceux qui, au contraire, raillent l'humaine condition (le scepticisme, le luthéranisme…). Pascal
entend dépasser l'opposition stérile entre dignité et indignité : les deux antonymes, loin de
s'exclure, se concluent en réalité l'un de l'autre.
III)
PROBLEME
1. Questionnement
La conscience nous condamne-t-elle à une existence malheureuse ou bien nous confère-t-elle
une dignité salvatrice ? Si l'homme est grand, comparé aux choses de la nature, quelle est la
nature de cette éminence ? En quoi consiste finalement le paradoxe humain ?
2. Problème
Pascal soulève dans ce texte le problème de la spécificité de l'homme par rapport aux autres
espèces. Il se demande en quoi la conscience définit véritablement l'être humain et lui confère
non seulement un statut particulier mais encore une vocation spécifique, une destinée supérieure.
3. Enjeu
Ce texte de Pascal présente un intérêt essentiellement pratique. Si la pensée signe et fonde la
grandeur humaine, chacun de nous a pour tâche permanente de réaliser sa nature d'être pensant,
de sorte que penser est une authentique tâche morale, un devoir.
IV)
ETUDE CONCEPTUELLE
1. Repérage des concepts essentiels (termes soulignés dans le texte) : grandeur, misère, pensée,
dignité, nature.
2. Définition des concepts :
- Grandeur : élévation, noblesse, magnanimité qui consistent, pour l'homme, en l'activité
spirituelle et, plus précisément, en la connaissance de sa condition misérable. Le terme de
grandeur est synonyme, dans ce texte, de " dignité ".
- Misère : synonyme de malheur, d'impuissance, d'absurdité. Cette misère désigne
essentiellement l'incapacité humaine à trouver la certitude d'une essence et renvoie à la
condition tragique de l'homme. Mais cette misère n'est pas tant la bassesse de la condition
(puisque la grandeur définit l'homme également) que la grandeur en creux.
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- Pensée : la conscience, la réflexion, l'activité rationnelle, la capacité de s'interroger mais aussi
de questionner et de penser le monde.
- Dignité : qui confère un caractère éminent à la condition humaine. Grandeur de l'homme liée
à sa nature spirituelle.
V)
STRUCTURE DU TEXTE
1. Structure première (principales articulations) :
- « La grandeur de l'homme…une brute » : exposé de la thèse (la grandeur et l'essence de
l'homme résident dans son activité spirituelle).
- « L'homme n'est qu'un roseau…n'en sait rien » : approfondissement de la thèse (l'univers écrase
l'homme par sa force, mais l'homme le domine par la pensée).
- « Toute notre dignité…bien penser » : conclusion (si l'homme est un roseau pensant, il doit
donc œuvrer en vue du développement de sa pensée).
2. Le cheminement du raisonnement et de l'argumentation :
Pascal montre, à l'aide d'un raisonnement paradoxal, que la grandeur de l'homme réside dans
son activité spirituelle: affirmer la dignité de l'homme, c'est prouver sa présomption et sa misère;
mais on reconnaît sa noblesse au fait que l'homme se sait misérable. Certes, l'homme est la
créature la plus fragile de l'univers mais, du fait qu'il a conscience de sa condition misérable,
cette faiblesse constitue en même temps une supériorité sur l'univers. Aussi nous appartient-il de
cultiver notre pensée, de sorte que bien penser représente une exigence et un programme moraux.
3. Plan détaillé du texte et de l'explication (étude ordonnée) :
I) Le roseau pensant (« La grandeur de l'homme…une brute »)
L'objectif de cette première partie du texte : souligner le paradoxe de la grandeur humaine qui
consiste essentiellement en une prise de conscience de la misère de notre condition.
A) La conscience de la misère (« La grandeur de l'homme…de se connaître misérable »)
L'argument central de cette première partie est établi à l'aide d'un raisonnement syllogistique :
1. La noblesse de l'homme (sa " grandeur ") consiste en la prise de conscience du caractère
"misérable " de l'existence humaine. Montrer la grandeur de l'homme, c'est mettre en
évidence sa présomption et sa vanité. Le début de la sagesse passe par la connaissance de sa
propre ignorance ou faiblesse (principe socratique). La misère dont parle Pascal renvoie
notamment à l'article II des Pensées intitulé " Misère de l'homme sans Dieu " : nature
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pécheresse de l'homme, néant d'une existence coupée de Dieu, déréliction, sentiment tragique
de la finitude (la mort), incapacité à trouver la certitude d'une essence…
2. Cette prise de conscience est bien le propre de l'homme : les autres êtres vivants (exemple de
l'arbre) sont privés de conscience, adhèrent pour ainsi dire à la réalité et à eux-mêmes.
Innocence et inconscience du monde naturel qui rendent possible la quiétude, c'est-à-dire
l'absence de souci et de signification.
3. Première conséquence : le fait pour l'homme d'avoir conscience de sa condition misérable
définit précisément sa propre misère. Pas de misère, de souffrance, de sentiment tragique sans
conscience de sa propre existence. Une misère inconsciente est une contradiction dans les
termes. La conscience est donc bel et bien à l'origine de la misère humaine, elle nous arrache
à l'innocence et à l'insouciance du monde naturel, elle nous empêche de goûter à la paix des
bêtes. La conscience est par nature souci, inquiétude, et non repos. Soulignons ici quelques
références implicites :


La référence biblique (Cf. Ecclesiaste 1, 18) : « Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup
de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur ». Plus de savoir, plus de
douleur : les hommes sont conscients et par là-même sont exposés à la souffrance, bien plus
que les autres espèces.
Cf. également l'eau-forte de Dürer intitulée La mélancolie : le savoir, dût-il nous donner un
sentiment toujours plus exaltant de notre grandeur, ajoute toujours davantage à la misère.
Amer savoir qui engendre inquiétude et ennui !
B) La dignité dans l'indignité (« mais…de l'homme »)
Deuxième conséquence énoncée sous la forme d'un renversement paradoxal dont Pascal a le
goût : on reconnaît la dignité de l'homme au fait qu'il se sait misérable; la conscience
malheureuse est au fondement de notre grandeur; la souffrance occasionnée par la conscience de
notre misère est le prix à payer de notre élévation spirituelle. C'est véritablement l'activité
spirituelle (la pensée = la conscience, la réflexion, l'activité rationnelle) qui définit notre
spécificité et notre dignité. Pour quelle raison ? Essayons de répondre à cette question en
dégageant la logique argumentative, le sens et l'enjeu de cette toute première partie du texte (en
nous aidant des Pensées car ce texte est par lui-même peu explicite).
Le binôme grandeur / misère ne désigne pas les deux termes d'une alternative, mais la
convertibilité l'un dans l'autre de deux opposés (d'où la structure syllogistique et paradoxale du
raisonnement pascalien). Le sentiment de la misère, qui taraude cruellement l'existence au point
de faire de celle-ci une maladie, est le signe d'une grandeur qui ne nous fait défaut que parce que
nous la ressentons comme quelque chose d'essentiel : nostalgie peut-être d'une dignité défunte qui
atteste justement d'une grandeur passée (thème du péché originel, de la chute, de la déchéance).
Misère, c'est donc grandeur en creux. L'homme est digne en son indignité même, tel est le
paradoxe de sa condition.
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« Pensée fait donc la grandeur de l'homme » : par elle, le monde est mis à distance infiniment,
l'homme est capable de donner du sens à ce qui n'en a pas, d'entreprendre, de créer, de
s'interroger et d'interroger l'univers, voire de s'élever au-dessus de sa condition (cf. dernier
paragraphe du texte). L'homme acquiert un statut éminent qui le rend en quelque sorte étranger au
monde des choses et des êtres vivants.
C) La pensée : essence de l'homme (« Je puis concevoir…brute »)
Le troisième paragraphe du texte est une justification, un approfondissement de la thèse
centrale: si la pensée fait la grandeur de l'homme, c'est qu'elle est bel et bien ce qui le définit
essentiellement. La conjonction « mais » permet d'établir que la pensée est l'essence de
l'homme, et ce sous un double aspect : la pensée est d'abord le propre de l'homme (différence
spécifique); parmi tous les attributs que l'homme possède, elle est ensuite ce qui fonde
véritablement son humanité : sans la pensée l'homme est ravalé au rang de chose (« une pierre »)
ou de créature grossière, non civilisée, quasi bestiale (« une brute »). L'homme est dès lors un être
pensant. Toutes ses autres qualités (les qualités physiques essentiellement : avoir tel corps…)
sont secondaires, accidentelles (reprise ici de la distinction classique substance / accident).
Thèse spiritualiste qui s'oppose notamment à la thèse matérialiste (cf. les deux phrases du
troisième paragraphe qui se font écho : la première est une phrase affirmative, la deuxième est
une phrase négative) : le matérialiste affirmerait volontiers qu'on ne peut concevoir un homme
sans « mains, pieds, tête » (ces organes étant la condition de la vie et donc de la pensée). Pascal
prétend au contraire que les organes corporels ne sont pas nécessaires pour définir
authentiquement l'humanité de l'homme (même si, cela va sans dire, ils sont nécessaires à la vie
biologique). Ce passage du texte se place clairement dans une perspective cartésienne et reprend
à son compte le dualisme de l'âme et du corps.
II) La supériorité de l'homme sur l'univers (« L'homme n'est qu'un roseau…n'en sait rien »)
- L'objectif de cette deuxième partie du texte : montrer que si la pensée fait la grandeur de
l'homme, elle élève ce dernier au-dessus de l'univers lui-même et lui confère une supériorité par
rapport à lui.
A) L'homme, un roseau pensant (« L'homme n'est qu'un roseau…le tuer »)
- L'homme est sans conteste la créature la plus fragile de toutes (cf. la métaphore du roseau qu'il
fallait commenter : le roseau est une plante aquatique, à la tige longue et lisse, symbole de la
fragilité + la restriction " ne…que"). Un rien peut anéantir l'homme, même le plus petit élément
de la nature (un microbe, par exemple). D'où vient cette faiblesse et comment s'exprime-t-elle ?
- Cf. le mythe de Protagoras (Platon) : Zeus charge Epiméthée de répartir dons et capacités entre
les diverses espèces mais Epiméthée oublie l'espèce humaine. L'homme est naturellement l'être le
plus démuni, appelé à tout inventer; rien ne lui est donné, tout doit être acquis. Thème aussi de la
disproportion de l'homme : l'homme est « un milieu entre tout et rien ». On peut évoquer
également le thème de la nature perdue : dépossédé de sa nature, l'homme est sans marques ni
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repères, dans un univers étranger et hostile (la nature est ce contre quoi l'homme doit en
permanence s'armer, se défendre, se protéger).
- Cette faiblesse est en même temps une grandeur (le paradoxe est souligné par la conjonction
« mais ») : l'homme est « un roseau pensant ». Par la pensée, il est capable de pallier les
insuffisances de la dotation naturelle; sa faiblesse congénitale est l'envers d'une fabuleuse
capacité à inventer; l'inachèvement de sa nature lui offre une plasticité illimitée qui l'élève audessus de l'animal. Même logique argumentative que dans le premier paragraphe : dignité dans
l'indignité, grandeur et puissance dans la faiblesse même.
B) La supériorité de l'homme sur l'univers (" Mais…n'en sait rien ")
Cette idée est renforcée avec la conjonction " mais " : même si l'univers est manifestement plus
puissant que l'homme (la puissance, par exemple, des éléments déchaînés : tremblement de terre,
inondation, etc.), l'homme reste néanmoins supérieur à lui en dignité par la pensée : comme dans
le premier paragraphe, la conscience de la faiblesse et de la finitude (la mort) est la marque même
de la grandeur. L'homme sait qu'il est faible, misérable et en cela réside sa noblesse, tandis que
l'univers, dont la puissance est de fait, ignore cette puissance. L'inconscience est finalement
l'indice d'une infériorité car il n'y a de valeur (faiblesse, grandeur) que pour un être conscient.
C'est la conscience de la mort qui éloigne l'homme de la nature et fait de son existence un ordre
irréductible à celui des choses. Cette conscience est au fondement de l'humanité et constitue un
aiguillon essentiel de l'action et de la création, ainsi qu'une invite à la conversion spirituelle.
III) Bien penser (« Toute notre dignité…bien penser »)
L'objectif de cette dernière partie du texte : dégager les conséquences morales des analyses
précédentes : si la pensée est au fondement de la dignité, la vocation de l'homme est de cultiver
cette pensée et de réaliser sa nature d'être pensant.
A) La pensée au fondement de la dignité humaine (« Toute notre dignité…remplir »)
Conséquence (« donc ») : la pensée est ce qui fait de chacun de nous des êtres dignes de
respect. La pensée est ce qui nous confère un caractère éminent, fait de nous des êtres moraux,
des valeurs absolues, des fins en soi (par opposition aux choses qui sont dénuées de valeur). Par
elle, nous accédons à la qualité de personne. Surnaturalité de l'être humain, présence en lui de
quelque chose de divin, de sublime.
B) Penser, une tâche morale (« Travaillons…penser »)
Cette dignité doit être l'objet d'une prise de conscience car elle définit une tâche et ne se limite
pas à un constat : si la pensée fait de nous des êtres dignes, cette dignité doit se cultiver, nous
devons véritablement en être dignes et c'est précisément par l'activité spirituelle que nous
réalisons notre nature authentique.
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Pascal souligne ici (« C'est de là qu'il nous faut relever ») que l'homme, s'il est d'abord un être
naturel (il meurt lui aussi), est aussi et surtout cet être qui transcende la nature, parce qu'il est
capable de la penser, c'est-à-dire qu'il contient ce qui le contient. Alors que par son corps il relève
de l'ordre de l'espace et de la durée (reprise du dualisme cartésien), par son esprit il relève d'une
autre réalité dont l'essence n'est point l'étendue mais la pensée. L'homme, nous dit Pascal, est
capable de pénétrer dans l'ordre immatériel de l'intelligible et de saisir des vérités qui échappent
au temps. L'esprit est d'une autre nature que la matière.
Moralité : c'est de cet ordre spirituel qu'il faut relever, notre tâche est de « bien penser « : non
seulement prendre conscience de notre nature spirituelle mais encore accroître par la réflexion,
l'exercice, le mode de vie cette disposition spirituelle. Pascal souligne la dimension morale de la
pensée qui ne se réduit donc pas à une simple faculté. La pensée devient littéralement un art de
vivre qui concerne la totalité de l'être.
VI) L’INTERET PHILOSOPHIQUE DU TEXTE (PARTIE REFLEXIVE)
1) Premier intérêt de ce texte : mise en évidence du caractère fondamental de la conscience
et de la pensée.
Pascal se situe dans la lignée de Descartes qui fait de la conscience le fondement de la
connaissance, de la vérité, ainsi que l'expérience d'une subjectivité. Par la pensée l'homme se
saisit comme sujet et accède à l'activité intellectuelle. Par elle, l'homme est un être spécifique et
tout à fait singulier dans le règne de la nature. La pensée, la conscience de soi fondent l'unité de
la personne, irréductible au monde des choses. La possession de la pensée est un privilège
humain qui fait de nous des sujets moraux responsables constituant une valeur absolue.
2) Deuxième intérêt de ce texte : la dimension spirituelle et métaphysique de la réalité
humaine.
En faisant de la pensée le fondement de la grandeur de l'homme, Pascal souligne que la réalité
humaine renvoie à une dimension surnaturelle, métaphysique, qui transcende la nature. Présence
en lui de quelque chose de divin dont témoigne son aspiration spirituelle à des biens que le
monde naturel ne peut fournir : la prise de conscience de sa propre misère exprime une
insatisfaction, un désir d'éternité, de perfection. L'insatisfaction qui ne cesse de l'habiter suggère
que subsiste au fond de lui la conscience de l'ordre surnaturel auquel il appartient en droit.
Concernant cette question du statut de l'homme (homme-Dieu ou animal dénaturé), cf. Luc
Ferry, L'homme-Dieu ou le sens de la vie. Débat notamment avec la position matérialiste qu'on
pouvait évoquer ici et contre laquelle Pascal s'inscrit manifestement en faux dans ce texte.
Cette dimension spirituelle s'exprime notamment dans l'expérience éthique et dans la foi qui
seule peut apporter à l'homme, selon Pascal, le salut. La prise de conscience de l'essence
spirituelle de notre être devient un moment de vérité, celui où l'inessentialité du monde terrestre
(thème du divertissement) se dévoile et rend possible la conversion à la foi, le pari pour
l'existence de Dieu.
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3) Troisième intérêt de ce texte : philosopher, c'est s'exercer à bien penser
L'idée que l'homme a pour vocation de bien penser est exprimée par Pascal dans la dernière
partie du texte. La pensée désigne la conscience de soi et du monde mais aussi l'activité
intellectuelle ou rationnelle de l'homme. Pascal signale, dans la pure tradition philosophique, que
cet acte est le fruit d'une prise de conscience de sa propre condition – celle de l'humanité -, ainsi
que d'un choix portant sur des valeurs. Il s'agit là d'un cheminement éternel, au cœur de la
démarche réflexive.
Bien penser, exercice même de la réflexion philosophique, représente, en quelque sorte, une
exigence et un programme moraux. C'est tout l'intérêt de ce texte que d'insister sur le fait que
penser est une tâche morale, à l'œuvre dans tout l'exercice philosophique. Bien penser (penser
correctement et en vue du bien, de l'amélioration de nous-même et de la condition humaine en
général) c'est là toute notre dignité et il nous faut penser comme il faut : c'est un devoir. Thème
qui sera développé par les grands penseurs. Kant : bien penser, c'est inventer quelque chose de
neuf, réapprendre à voir lucidement les choses, accéder à l'autonomie intellectuelle, parvenir à
édifier une réflexion adulte, ce qui exige courage et travail (cf. Réponse à la question : qu'est-ce
que les Lumières ?).