Arrêt Vinci Construction et GTM génie civil c. France (requêtes n

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Arrêt Vinci Construction et GTM génie civil c. France (requêtes n
Arrêt Vinci Construction et GTM génie civil c. France (requêtes n°63629/10
et 60657/10) rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 2 mars
2015
http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-153318#{
Dans l’arrêt Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services, les deux sociétés
allèguent, suite à des saisies de documents réalisées au sein de leurs locaux, une violation
de leur droit au respect de leur domicile, de leur vie privée, et du secret des
correspondances échangées avec leur avocat, protégés par l’article 8 de la Convention.
Au regard des circonstances de l’espèce, la Cour constate effectivement l’existence d’une
telle violation.
Sur les faits : Dans le cadre d’une enquête pour des faits d’entente illicite, la Direction
générale de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes (DGCCRF) a
demandé au juge des libertés et de la détention (JLD) du Tribunal de grande instance de Paris
l’autorisation de procéder à des visites et saisies dans les locaux des sociétés requérantes.
Cette autorisation leur a été accordée, le JLD soulignant la présomption, au regard des
éléments portés à sa connaissance, de pratiques prohibées au sens des dispositions du Code de
commerce. Les visites ainsi autorisées ont cependant été limitées aux locaux expressément
visés par le magistrat, et au secteur bien particulier de la construction et de la rénovation des
établissements de santé concerné par les faits d’enquête.
Au cours des visites, effectuées comme le prévoit la procédure sous le contrôle du JLD, de
nombreux documents et fichiers informatiques, ainsi que l’intégralité de la messagerie
électronique de certains employés ont été saisis. Les sociétés requérantes ont alors présenté
une requête en annulation de ces visites au JLD du Tribunal de grande instance de Paris,
mettant en avant le fait que les saisies effectuées, massives et indifférenciées, portaient sur
plusieurs milliers de documents, dont certains ne présentaient pas de lien avec l’enquête, voire
étaient couverts par la confidentialité attachée aux correspondances entre un avocat et son
client. Aucun inventaire des documents saisis n’aurait en outre été dressé, et les requérantes
indiquent ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance au préalable du contenu des
documents saisis pour former une possible opposition.
La DGCCRF souligne quant à elle que les visites et saisies avaient été pratiquées
conformément à l’autorisation reçue, et aux dispositions légales en la matière, indiquant
qu’une copie des documents saisis avait été fournie aux requérantes, et que les autorités
n’étaient en outre pas opposées à une restitution des pièces couvertes par le secret des
correspondances d’avocat.
Le JLD saisi a débouté les requérantes de leurs demandes, au motif que les visites pratiquées
l’avaient été conformément aux dispositions internes y étant applicables, et que le respect du
secret professionnel attaché aux correspondances échangées avec un avocat n’interdisait pas
les saisies de documents ainsi couverts si ledit secret avait été respecté vis-à-vis des personnes
présentes lors des opérations.
Les requérantes ont alors formé un pourvoi en cassation, rejeté par la Chambre criminelle de
la Cour, jugeant les dispositions applicables aux visites conformes à la Convention, et
considérant que seules les correspondances liées à l’exercice des droits de la défense
pouvaient être couvertes par le secret professionnel attaché aux correspondances des avocats.
Sur la violation alléguée de l’article 6§1 : Les sociétés requérantes invoquent dans un
premier temps une violation de l’article 6§1 de la Convention, considérant qu’elles n’ont pas
pu exercer de recours de pleine juridiction contre l’ordonnance ayant autorisé les visites et
qu’elles n’ont pas non plus pu contester le déroulement de la procédure devant le juge qui les
avait autorisées. Jugeant recevable le seul grief tiré de l’absence de caractère effectif du
recours ouvert contre l’autorisation des visites domiciliaires, la Cour rappelle que l’article
L450-4, alinéa 6 du Code de commerce ne satisfait pas aux exigences de l’article 6§1 1 et
considère qu’il y a effectivement eu violation de la disposition.
Sur la violation alléguée de l’article 8 : Les sociétés requérantes soulignent plusieurs
irrégularités relatives aux visites domiciliaires effectuées dans leurs locaux :
- Les visites ont en effet donné lieu à des saisies massives et indifférenciées de
documents informatiques, dont un grand nombre avaient un caractère personnel et/ou
ne présentaient aucun lien avec les affaires concernées par les visites,
- Certains des documents saisis étaient couverts par la confidentialité attachée aux
correspondances entre un avocat et son client,
- Aucun inventaire exhaustif des documents saisis n’aurait été dressé, empêchant les
entreprises de procéder à un contrôle desdits documents.
Ces différents manquements à la procédure constituent, pour les sociétés GTP et Vinci une
évidente violation de l’article 8 de la Convention. A l’inverse, le gouvernement, qui ne
conteste pas que les saisies effectuées constituent une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de la correspondance, considère que cette ingérence est à la fois nécessaire et
proportionnée.
La Cour rappelle, à titre liminaire, que les perquisitions et/ou visites effectuées dans les
locaux d’une société commerciale constituent bien une atteinte aux droits protégés par
l’article 8 de la Convention. L’ingérence méconnaît en outre l’article 8 sauf si elle est prévue
par la loi, poursuit un ou des buts légitimes, et est nécessaire à la poursuite de ces objectifs.
Est ainsi considérée comme nécessaire une ingérence fondée sur un besoin social impérieux,
et proportionnée au but légitime recherché. De plus, la Cour vérifie dans ce type de situations
si la législation interne et les pratiques afférentes offrent des garanties adéquates et
suffisantes. Enfin, la Cour rappelle la protection renforcée attachée aux correspondances
échangées par un avocat et son client, celle-ci constituant le corollaire du droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination.
En l’espèce : La cour estime que les mesures visées constituent bien une ingérence dans les
droits et libertés garantis par l’article 8 de la Convention, celle-ci étant prévues par la loi et
tendait à la recherche d’indices et de preuves d’ententes illicites et poursuivant bien un
objectif de prévention des infractions pénales. La Cour constate cependant que si les visites en
elles même ne présentent pas un caractère disproportionné, elles ont porté sur de nombreux
documents informatiques, dont certains étaient couverts par le secret professionnel des
avocats. Elle relève en outre que les requérantes n’ont pas été mises en mesure, pendant le
déroulement des opérations, de prendre connaissance des documents saisis, ni de discuter de
l’opportunité de la saisie. Aucun recours effectif n’a permis aux parties de demander la
restitution de certains documents : si les sociétés requérantes ont en effet exercé le recours
devant le JLD prévu par la loi, ce dernier n’a pas procédé à l’examen concret qui s’imposait,
particulièrement au regard de la présence dans les documents saisis de correspondances
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Voir en ce sens : Société Canal Plus et autres, Req n°29408/08, 21 décembre 2010, §§ 44-45 ; Compagnie des
gaz de pétrole Primagaz, Req n°29613/08, 21 décembre 2010, §§ 32-33 ; Société Métallurgique Liotard Frères
c. France, Req n°29598/08, §§ 22-23, 5 mai 2011.
échangées avec un avocat, et s’est contenté d’apprécier la régularité du cadre formel des
saisies.
La Cour considère donc que les saisies effectuées au cours des visites aux sièges des deux
entreprises requérantes constituent bien une violation du droit à la vie privée et au secret des
correspondances garanti par l’article 8 de la Convention.