Conférence sur Robert SURCOUF
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Conférence sur Robert SURCOUF
ROBERT SURCOUF (1773 – 1827) Il y a des noms célèbres dans l'Histoire de France qui symbolisent le courage et l'audace (tels Bayard, Du Guesclin). Mais il en est un, en particulier, qui symbolise et rassemble non seulement ces valeurs mais bien d'autres encore. Ce nom, qui claque… comme une voile au vent, c'est "SURCOUF" ! Ce nom magique a été rendu célèbre par Robert SURCOUF, le "roi des corsaires" de Saint-Malo, sous Napoléon 1er. Il fut l'un des plus audacieux et mythiques marins de tous les temps. Il est né à Saint Malo le 12 décembre 1773 d'un père Receveur des Douanes, Charles SURCOUF de BOISGRIS, et d'une mère issue d'un capitaine de la Royale, Rose TRUCHOT de la CHESNAIS. Il était le 6e enfant de la famille. Ses deux frères aînés, Charles et Nicolas, ainsi que son frère cadet Noël (dont je suis le descendant direct), furent également corsaires. Je suis donc son arrière-arrière-arrière-petit-neveu. Les SURCOUF de BOISGRIS descendaient du dernier roi du Leincester en Irlande, chassé par les Anglais. Il s'appelait Dermot MacMURCH’OD (d'où la déformation du nom qui devint successivement… SURCH’OD, SURCOUL, SURCOU, et finalement SURCOUF). La branche dont descendait Robert SURCOUF, s’installa d’abord en Normandie et un certain Marin SURCOU, originaire du Cotentin, vint se fixer à Saint-Malo vers 1663. Cette branche bretonne s'illustra rapidement sous Louis XIV : - Par l'arrière-grand-père de Robert qui fut félicité par le roi pour sa générosité envers la Compagnie des Indes, dont il était co-fondateur et à laquelle il avait prêté 3 millions qu'il ne revit jamais… - Par le grand oncle de sa mère, qui n'était autre que le très célèbre corsaire Duguay-Trouin qui captura plus de 300 navires marchands et s'empara de Rio de Janeiro, en 1711. - Enfin, par Porcon de la Barbinais, appelé le "Regulus malouin" pour sa fidélité à la foi jurée. Ce brave, capturé par les pirates algériens, fut envoyé au roi avec des offres de paix inacceptables pour la France. Il insista lui-même pour que l'on rompe tous pourparlers. Mais il avait juré de regagner sa prison en cas d'échec, sachant que la vie de 600 Français dépendait de son retour. Il tint parole, et fut décapité… L'éducation de SURCOUF fut difficile, d'autant plus qu'on voulait en faire un prêtre. Les projets pieux de ses parents furent déjoués par le tempérament conquérant et indépendant du garçon qui rêvait déjà tout jeune de partir en mer. Ses parents décidèrent de mettre le jeune Robert en pension au Collège de Dinan mais, comme Napoléon Bonaparte enfant, le jeune Robert, qui avait été tonsuré, organisait, lui aussi, des bagarres épiques dans la cour du collège qui tournaient à la bataille rangée, mais là, c’était des abordages ! Il avait 12 ans quand le directeur du collège le prit en flagrant délit de faire le mur avec quelques copains qu'il avait entraîné avec lui. Il entreprit donc de donner à l'enfant indiscipliné des coups de trique sur le postérieur. Après une lutte homérique, SURCOUF lui mordit la cuisse à belles dents. Profitant d'un moment d'inattention, et désireux d'échapper à un châtiment qu'il estimait injuste et humiliant, il sauta par la fenêtre et, ivre de liberté, s'enfuit dans la nuit glacée. Au petit matin, des maraîchers ambulants le trouvèrent à 30 kilomètres du collège, gisant inconscient dans la neige, à demi-mort de froid. Grâce à sa vigoureuse constitution, il se rétablit rapidement. Ses parents, résignés, acceptèrent qu'il devienne marin, si telle était sa vocation. Comme on dit dans ma famille : Bon sang ne saurait mentir ! (Duguay-Trouin avait, lui aussi, été destiné à la prêtrise par ses parents mais il était devenu capitaine à 18 ans). Dès lors, on pouvait l'apercevoir passer des journées entières dans les bateaux de pêcheurs, luttant contre le vent et les flots… Chaque matin, il s’adonnait à la natation et fréquentait les vieux pêcheurs, dont un qui lui apprenait à réparer les filets. Le 31 août 1787, à sa 13e année, pour satisfaire son impatience, son père lui permit de s'embarquer comme mousse sur un brick, le HERON. Mais le cabotage le long des côtes d'Espagne jusqu’à Cadix était loin de suffire au jeune garçon. Sa nature aventureuse lui inspirait des rêves d'évasion et de grands espaces. L'océan Indien, théâtre de ses futurs exploits, allait lui offrir l'occasion d'exprimer pleinement son génie. Trois ans après, avant ses 16 ans, on le jugea suffisamment prêt pour être accepté comme "volontaire sans solde" à bord de l'AURORE, navire de 749 tonneaux, armé de 20 canons et monté par 165 hommes, en partance pour les Indes orientales, capitaine TARDIVET, où il s'y distingua par sa valeur, sa volonté et son courage. Durant la traversée, le 4e officier lui enseigna la navigation. Basée à l'Isle de France, aujourd'hui appelée "Ile Maurice", L'AURORE pratiqua le trafic de "bois d'ébène", c'est-à-dire la traite des esclaves. C'est après avoir embarqué une cargaison d'esclaves que l'AURORE fit naufrage, le 18 février 1790, sur des récifs au large des côtes du Mozambique. Excellent nageur, SURCOUF parvint à sauver deux cent soixante neuf esclaves, principalement des femmes et des enfants, les hommes étant enchaînés à fond de cale, et il sauva la vie au quartier-maître. Six jours plus tard, il se proposa pour descendre dans la cale, une corde nouée sous les aisselles, afin de sauver quelques vêtements et provisions. L’air, dans ce qui restait de la coque, était devenu irrespirable en raison de l’odeur qui se dégageait des corps en putréfaction. Il montra des prodiges d’endurance, de persévérance et de dévouement. Lors d’une de ses incursions, on le remonta évanoui, et ceci malgré un mouchoir imbibé de vinaigre qu’il s’était mis sur le visage. Il força le respect et l’estime de tout l’équipage qui dut reconnaître son mépris du danger. Le capitaine TARDIVET affréta un petit deux-mâts et promut SURCOUF comme troisième officier. Après un périple de 9 mois sur 3 navires différents, il rejoignit l’Isle de France. A 17 ans et demi, il fut nommé lieutenant sur la REVANCHE. En 1791, des évènements tragiques secouaient la Métropole et une fièvre révolutionnaire couvait. Le 5 novembre 1791, il partit pour la Métropole et débarqua à Lorient. A 18 ans, il retrouva Saint-Malo. Ses parents le reconnurent à peine. Leur garnement était devenu un homme. Il paraissait plus que son âge. Il était de grande taille, et fortement musclé. Il avait le teint hâlé et le visage couvert de taches de rousseur. Il retrouva sa Manon, Marie-Catherine Blaize de Maisonneuve, fille de l’un des plus riches armateurs de Saint-Malo. « Je te donnerai la main de ma fille quand tu seras riche » lui annonça le père. Après une pause de huit mois à Saint-Malo, SURCOUF se rembarqua, le 7 août 1792, pour l'Isle de France. En cours de route, lors d’une baignade, SURCOUF coula à pic, saisi par l’eau glacée. Il fut déclaré mort et le capitaine en second, un Portugais avec qui il avait eu maille à partir, ordonna qu’on le jette par-dessus bord. Au dernier moment, il parvint à bouger les lèvres. Un peu de rhum et le soir il était sorti d’affaire. Le portugais, ayant contracté une forte fièvre tropicale le fit appeler pour « faire la paix » avec lui avant de mourir. Il avait caché un pistolet sous son oreiller. SURCOUF le désarma. Le Portugais mourut le lendemain et Robert lui pardonna son geste. Durant son voyage, il apprit l’arrestation de Louis XVI, les massacres de septembre, la victoire de Valmy et la proclamation de la République. Le 19 juillet 1794, il fut reçu à l'examen de "capitaine au long cours" et fut nommé au grade d'Enseigne de vaisseau. Mais, en fait, SURCOUF avait un faible pour le "commerce libre". Il n'était pas attiré par une carrière dans la Marine de l'Etat. Sa véritable ambition était de devenir "capitaine corsaire". Son ascension allait être fulgurante. Je dois rappeler (au cas où certaines personnes de l'assistance ne le sauraient pas) la différence qui existe entre "corsaire" et "pirate" : (c'est le premier enseignement que l'on inculque dans ma famille). - le corsaire attaque uniquement les navires ennemis. Pour ce faire, il doit être muni d'une "lettre de marque" lui donnant le droit de faire la course, d'où le mot "corsaire". - le pirate est un brigand des mers qui attaque tous les navires, sans distinction de nationalité. Le 21 octobre 1794, il participa à l’attaque de deux frégates anglaises qui effectuaient le blocus de l’île. SURCOUF embarqua sur la CYBELE, petite frégate de 18 canons. Le capitaine eut les jambes fauchées par un boulet et SURCOUF le planta dans un tonneau de son. On compta 140 morts et blessés français dont 84 sur la CYBELE. En avril 1795, il prit le commandement de LA CREOLE qui partit à Madagascar pour charger des esclaves pour l’Ile Bourbon (La Réunion). Le lendemain matin de son arrivée, trois commissaires du Comité de Salut Public fouillèrent le navire. Malgré le lavage et l’aération de la soute, ils furent convaincus que SURCOUF s’était livré à la traite interdite. Il les invita à déjeuner. Après le dessert, les liqueurs et les cigares, il fit lever l’ancre et les menaça de les débarquer sur la côte d’Afrique. Après plusieurs heures à fond de cale, les trois commissaires, victimes du mal de mer, signèrent un nouveau procès-verbal. A 22 ans, il devint "Capitaine corsaire" et prit le commandement de l'EMILIE, navire trois-mâts de 180 tonneaux, armé de 4 canons et monté par 30 hommes. Il n'arriva cependant pas à obtenir une "lettre de marque" mais seulement un"congé de navigation" pour aller chercher aux Seychelles des tortues de mer, du maïs et du coton. C'està-dire qu'il n'avait pas le droit d'attaquer mais uniquement de se défendre si on l'attaquait. Cette subtilité ne lui avait pas échappé et il allait donc s'arranger au mieux pour se faire attaquer ! Il partit donc pour sa première croisière le 4 septembre 1795. Arrivé aux Seychelles, il échappa de peu à deux frégates anglaises. L’EMILIE étant prisonnier dans un lagon, il s'en sortit en prenant le grand risque de naviguer au milieu des récifs. Sa première prise fut le PEGUAN, un trois-mâts anglais, capturé le 18 décembre. (Je voudrais ouvrir une parenthèse sur le fait que les navires de cette époque n'arboraient pas leurs couleurs lorsqu'ils naviguaient et, en présence d'un navire ennemi, ne les hissaient qu'au moment de l'attaque. Les navires corsaires arboraient souvent par ruse les couleurs de l'ennemi et ne hissaient leurs couleurs qu'au premier coup de canon. SURCOUF usa de nombreuses fois de ce stratagème). Le PEGUAN avait eu la mauvaise idée d'envoyer un coup de semonce pour que SURCOUF arbore ses couleurs. Considérant ce coup de canon comme une marque d'agressivité, SURCOUF riposta et très vite se rendit maître de l'Anglais qui ne transportait, malheureusement, qu’une petite cargaison de bois de teck, d’huile et de gomme-laque. SURCOUF ayant pris goût au combat, sur sa lancée, arraisonna un peu plus tard, le 21 janvier 1796, un brick-pilote anglais de 150 tonneaux, le CARTIER, et deux navires marchands chargés de riz, captures précieuses pour l'Isle de France qui souffrait d'une disette cruelle. Plaçant toutes les cargaisons sur l'EMILIE, qu'il renvoya à l'Isle de France, il prit le commandement du CARTIER qui était plus confortable, auquel il ajouta 4 canons, et continua sa croisière… Le 28 janvier, il captura, en pleine nuit, un navire anglais, le DIANA, avec 6 000 balles de riz. Le 29 janvier 1796, SURCOUF vit une voile à l'horizon. « Il parait très gros. Tant mieux, les parts de prise seront d’autant plus importantes ». En se rapprochant, il découvrit, grâce au Livre des Silhouettes, que c'était un magnifique "east-indiaman" de 1 000 tonneaux, le TRITON, armé de 26 canons de gros calibre, plus plusieurs caronades sur les gaillards, et monté par un équipage de 150 hommes. SURCOUF n'avait que 16 hommes et 8 canons ! SURCOUF fit transférer trois hommes du DIANA à bord du CARTIER. N'ayant même pas de grappin à bord, il décida quand même de prendre le TRITON à l'abordage. Il fallait ruser. Aussi, il fit enfiler des uniformes anglais à ses marins, fit hisser l'Union Jack et disposa sur le pont, en évidence, quelques matelots indiens pris sur une prise précédente, se faisant passer pour un bateau-pilote anglais. Une fois à portée du TRITON, il fit hisser les couleurs françaises et se lança à l'abordage ! SURCOUF s'élança à la tête de ses marins, n'ayant laissé que le chirurgien et le cuisinier à bord du CARTIER. Après un bref combat acharné de dix minutes, le navire se rendit. Cet exploit épique fut considéré comme magique. C'était le premier navire de la Compagnie anglaise des Indes orientales enlevé dans les Brasses du Bengale et, du coup, l'Angleterre frémit. D'autant que les manières de SURCOUF avec les passagers (et passagères) du TRITON causèrent beaucoup de surprise… On put lire dans la presse anglaise : "C'est un jeune homme qui traite ses prisonniers avec politesse et beaucoup d’humanité". Une fois l'abordage terminé, le corsaire fort et farouche redevenait un homme galant et poli, un parfait gentleman… Son retour à l'Isle de France, le 10 mars 1796, fut triomphal. L’EMILIE était déjà arrivée avec le PEGUAN et deux autres prises. Les cargaisons de riz avaient apporté un grand soulagement au peuple de l’Isle de France. On attendait son navire LE CARTIER mais c’est à bord du TRITON qu’il arriva. La population était très inquiète de l’arrivée de ce vaisseau anglais ais quand on reconnut sa bannière, la joie fut sans borne. C’est à cette période qu’il devint franc-maçon. Il fut initié le 22 mai 1796 dans la Loge « La Triple Espérance » et passa très rapidement les degrés de compagnon et de maître. Plus tard, avec son frère Nicolas, initié également à la Franc-Maçonnerie en 1804, ils furent admis dans la Loge « la Triple Essence » à Saint-Malo. Par chicanerie, l'administration de l’île lui confisqua sa prise car il n'avait pas l'autorisation d'attaquer. Fou de rage, il s'embarqua à bord d'un navire de commerce génois en pour l'Espagne, emportant une pétition signée par la majeure partie de la population de l'île, demandant au gouvernement français de lui rendre justice. Malgré les croisières anglaises, il arriva sans mal à Cadix en décembre 1796, rentra en France et, d'une traite, gagna Paris où il alla plaider sa cause auprès du Directoire, avec l’aide de maître Pérignon et par l’intermédiaire du Conseil des Cinq-Cents et du Conseil des Anciens. Après avoir eu gain de cause, le 3 septembre 1797, sa nature généreuse lui fit abandonner les deux tiers de sa créance, de 1,7 million de livres tournois au gouvernement français dans le besoin. De retour à Saint Malo, il se fiança avec son amie d'enfance MarieCatherine Blaize de Maisonneuve, la fille du plus riche armateur de Saint Malo (ce dernier lui avait dit avant son départ : "Je te donnerai ma fille quand tu seras riche"). Le 18 août 1798, il repartit pour l’Isle de France, à bord de la CLARISSE, trois-mâts de 200 tonneaux, armé de 14 canons et monté par 140 hommes, prenant son frère aîné Nicolas comme second. Celui-ci avait été prisonnier de juin 1796 au début 1798 sur un ponton anglais, vieux navire pourri, planté dans la vase de la rivière Chatham, non loin de Portsmouth. Durant sa traversée jusqu'à l'Isle de France qu'il atteignit le 5 décembre 1798, il captura trois navires anglais et deux portugais. L’un des navires anglais était le SOLDIER, armé de 22 canons + 4 sur le gaillard arrière. Un jeune canonnier était assis sur un canon et le rechargeait par la gueule. SURCOUF tenait ses deux fusils « Foudroyant », à 7 canons, et « Badin », à 2 canons, un dans chaque main. Il ajusta le canonnier et tira… Son nez fut cinglé par une balle. Il se releva et abattit le capitaine anglais. Ce fut sa seule blessure ! A cause de boulets ramés, le petit mât de hune s’abattit sur le pont de la CLARISSE, mais l’Anglais prit la fuite !? Sa première croisière à bord de la CLARISSE commença, début janvier 1799, avec la prise sans combat d’un navire anglais au large de Sumatra. Le 18 février, il attaqua, dans le delta du Gange, deux gros vaisseaux marchands anglais très fortement armés. Son frère Nicolas, avec 40 hommes embarqués dans les canots, prit par surprise l'un d'eux à l'abordage, tua le capitaine d'un coup de sabre, et le vaisseau se rendit. Alors SURCOUF s'occupa de l'autre navire, l'empêcha de fuir et le prit d'assaut. Les indigènes avaient admiré le spectacle de la bataille depuis les collines qui entouraient la baie. Il rentra avec ses deux prises à l'Isle de France, le 10 juin 1799. Le 17 août, il repartit pour une seconde croisière à bord de la CLARISSE. Le 23 août, le navire aborda l'île de Cantaye, dans l'archipel de la Sonde. Une corvée descendit à terre pour une aiguade pour faire provision de vivres frais, de bois et d’eau douce. SURCOUF en profita pour aller tirer du gibier. Soudain surgit une troupe d'indigènes fortement armés et menaçants. Leur chef fit face à SURCOUF, prêt à le transpercer de sa lance quand, soudain, SURCOUF s'aperçut que ce dernier était comme hypnotisé par le grand foulard rouge qu'il portait autour du cou. Il s'empressa donc de lui offrir. Cela détendit pour un bref moment l'atmosphère et permit aux marins de se rembarquer au plus vite. Déjà une volée de flèches s’abattait autour de la chaloupe. Après avoir arraisonné un navire danois qui faisait de la contrebande de poivre, pris à l'abordage un navire portugais sur lequel il rafla 116.000 piastres d'argent et arraisonné un autre navire portugais chargé de vin et de 86.000 piastres d’argent, il captura, le 10 novembre, un trois-mâts anglais de 500 tonneaux et armé de 20 canons. Sa cargaison était composée de 4.000 balles de riz, 500 balles de sucre et du rhum. Le 17 décembre, il rencontra le GENERAL MALARTIC, un navire corsaire français commandé par le capitaine Jean Dutertre, de Lorient. Ce dernier décida d'offrir à SURCOUF un tonneau de Porto. SURCOUF, pour ne pas être en reste, décida de lui offrir une malle de vêtements. Dutertre refusa ce cadeau en affirmant : "Quand je donne un cadeau, je ne vends pas et ce n'est pas pour en recevoir un autre en échange". Les esprits s'échauffèrent et quand, au moment de se séparer, Dutertre trouva les vêtements de SURCOUF à bord de son navire, il s'empressa de les jeter à la mer. SURCOUF, ivre de rage, en fit de même avec le tonneau de Porto. Cette dispute aurait pu rester sans lendemain. Mais nous allons voir plus tard que l'avenir allait de nouveau les mettre face à face. Continuant sa croisière, la CLARISSE fut prise en chasse, le 30 décembre, par une frégate anglaise, la SYBILLE, forte de 56 canons et de 622 hommes d'équipage. Avec ses 14 canons, elle ne pouvait faire face et son salut était dans la fuite. Afin de gagner du terrain sur la frégate qui le rattrapait, SURCOUF fit balancer par-dessus bord tout le poids inutile ainsi qu'une partie du lest. Voyant qu'il n'arrivait toujours pas à reprendre de l'avance, il fit décoincer les mâts, vider les caisses à eau, jeter les mâts de rechange, les embarcations, les amarres, les avirons et même le tafia, ainsi que ses huit plus gros canons et les boulets de canons. Puis, la nuit venue, l’Anglais reprenant du terrain, il inventa une ruse : il fit allumer tout d'abord son fanal arrière, à la grande surprise des Anglais qui le poursuivaient. Puis, ayant fait mettre le dernier canot à la mer le long de la coque de son navire, avec une petite voile, il fit éteindre le fanal au même moment où il en allumait un autre fixé au mât du canot. Il lui suffit alors de s'écarter à toute vitesse du canote sur lequel les Anglais mirent le cap. Imaginez la tête qu'ils ont dû faire quand ils s'aperçurent du tour que SURCOUF leur avait joué ! Le 1er janvier 1800, il prit deux navires anglais chargés de riz et de sucre. Ayant encore attaqué deux navires américains, dont l'un fut pris à l'abordage et le second s'étant enfui, Robert SURCOUF rejoignit l'Isle de France. La population, sauvée une nouvelle fois de la famine grâce à ses prises, le porta en triomphe jusque chez le Gouverneur. Les bals, banquets et réceptions durèrent trois jours… SURCOUF prépara même des beignets où il avait glissé une pièce d'or et qu'il jetait aux gamins qui l'acclamaient ! Nicolas se vit offrir le commandement d’un petit brick corsaire à bord duquel il appareilla le 25 août 1800 vers le golfe du Bengale. Il n’eut pas la chance de son frère Robert. En effet, en novembre 1800, il fut capturé par un brick anglais et fut expédié, pour la seconde fois, sur un ponton, près de Portsmouth. SURCOUF le fit libérer, un an plus tard, lors d’un échange de prisonniers. Mais les divers succès rencontrés à bord de la CLARISSE furent peu en comparaison des exploits qui allaient être réalisés avec LA CONFIANCE, son navire légendaire. Construit à Bordeaux, c'était un petit trois-mâts de 36 mètres de long, bas sur l’eau, de 364 tonneaux, armé de 18 canons, qui fit sensation dès son arrivée à l'Isle de France. C'était un navire cité pour sa bonne marche et son obéissance à la barre, considéré comme le meilleur navire corsaire de son époque. Au moment d'engager son équipage, SURCOUF se retrouva à nouveau face à Dutertre qui enrôlait également. Ce fut à qui ferait les propositions les plus alléchantes… Leur différend les amena jusqu'à se provoquer en duel et il fallut une intervention, in-extremis, du gouverneur en personne pour qu'ils acceptent de se réconcilier. Le 10 mai 1800, LA CONFIANCE appareilla avec, à bord, 30 officiers, 180 matelots et quelques domestiques noirs (dont le fidèle serviteur noir de Robert SURCOUF, Bambou, à qui il avait sauvé la vie et qui lui était fidèle jusqu'à la mort, restant à ses côtés pendant les abordages et lui passant ses fusils, dans la bataille). S’y ajoutaient 25 Volontaires du bataillon de Bourbon. Il y avait aussi à son bord le peintre Louis Garneray, que SURCOUF avait engagé comme "aide de camp" et qui immortalisera plus tard, par ses tableaux et ses Mémoires, le souvenir de Robert SURCOUF. Il décida de se rendre vers le détroit de la Sonde, mais, le 15 juin, le capitaine d’un trois-mâts américain qu’il avait capturé lui apprit qu’une frégate rôdait autour de Batavia. SURCOUF décida de rebrousser chemin et de se rendre aux Seychelles où, du 7 juillet au 10 août, il attendit la fin de la mousson. Une anecdote qui illustre bien la spontanéité et la rapidité d’action de SURCOUF. Durant cette escale, ce dernier fut invité à passer la journée chez un de ses amis seychellois. Dans la soirée, rentrant à bord de son navire, la pirogue où il se trouvait fut attaquée par un énorme requin qui faillit la faire chavirer. La bête ne craignant pas les coups d’aviron, SURCOUF eut la présence d’esprit de piocher dans un panier, d’en sortir un œuf et de la lancer de toutes ses forces dans la gueule béante de l’animal qui disparut aussitôt. LA CONFIANCE rejoignit les Brasses du Bengale où, grâce à des informations fournies par des espions, il réalisa une campagne à succès. Louis Garneray raconte, en effet, dans ses souvenirs, qu’il avait accompagné SURCOUF au Consulat du Danemark, à l’Isle de France. Ce pays étant neutre, il était donc facile aux Danois de se procurer des renseignements sur les mouvements des navires anglais. Garneray entendit une conversation animée entre SURCOUF et le Consul du Danemark et un capitaine danois. Les deux Danois hésitant à prendre une décision, SURCOUF s'énerva et leur cria : "J’en ai assez de vos hésitations. J’ai besoin d'un traître et d’un espion ! Vous, Monsieur le Consul, voulez-vous être mon traître et vous, Capitaine, voulez-vous être mon espion ? Répondez-moi vite, je n’ai pas de temps à perdre ! ». L’accord fut réglé en deux minutes. Suite à la campagne fructueuse de LA CONFIANCE, une terreur panique commença à régner dans tous les ports anglais des Indes. LA CONFIANCE était signalée sur toutes les côtes de l'Inde. Les Anglais organisèrent des convois, augmentèrent les équipages et préparèrent même des bateaux-pièges. L'un d'eux était la SYBILLE, la fameuse frégate à laquelle SURCOUF avait déjà joué un bon tour et qui avait été habilement déguisée. L'ayant pris pour un gros navire marchand, SURCOUF se trouva piégé et bientôt à portée de ses canons. Il fallait vite trouver une nouvelle ruse… Toujours imaginatif, il inventa une comédie tellement forte et incroyable qu'elle réussit : au nez et à la barbe de l'ennemi, SURCOUF ordonna à ses charpentiers de percer et faire éclater les parois, de simuler des trous de boulets imaginaires, comme si LA CONFIANCE sortait d'un dur combat. SURCOUF affubla ses marins d'uniformes anglais pris sur des vaincus. Il fit disposer de faux blessés sur la dunette, bras en écharpe, fronts bandés et fit hisser le pavillon anglais. Au porte-voix, le capitaine de la frégate interrogea LA CONFIANCE : "Vous ressemblez singulièrement à un corsaire français ! – C'est vrai, répondit SURCOUF, sous l'uniforme rouge et en parfait anglais, c'en est un que nous avons capturé et échangé contre le nôtre qui coulait bas… Au fait, je vous annonce votre nomination au grade supérieur. Il y a deux caisses de rhum pour vous dans la yole que je vous envoie et que nous allons reprendre à notre première bordée". SURCOUF fit mettre à la mer une embarcation, préalablement percée dans ses fonds, avec quelques marins (qu'il échangea à la première occasion), comme si l'on envoyait à la grosse frégate les blessés les plus atteints. Il prévint la frégate qu'il allait tirer un bord et reprendre son canot au retour. La SYBILLE mit en panne. Soudain, l'eau envahissant le canot, les faux blessés se mirent à hurler des « help » déchirants. La SYBILLE, voulant secourir ses malheureux compatriotes, fit mettre une chaloupe à la mer… Pendant ce temps, là, LA CONFIANCE, toutes voiles dehors, prit le vent… et disparut à l'horizon ! Robert SURCOUF a toujours montré une imagination sans borne et surtout une vitesse de réaction incroyable. Peu de temps après, SURCOUF arraisonna un navire anglais qui se rendit sans combat. Une fois à bord, le capitaine du navire déclara à SURCOUF : "Croyez bien que si j'avais su que votre équipage était si ridiculement faible, je me serais défendu ! – Eh bien soit ! lui répondit SURCOUF, retournez à votre bord avec vos hommes et combattons ! Nous verrons bien votre courage" ! Le capitaine anglais préféra ne pas insister. Entre le 19 septembre et le 5 octobre, il fit encore 7 prises. Le 7 octobre 1800, la vigie signala un gros navire en vue. SURCOUF, confiant dans sa bonne étoile, donna l'ordre : "la barre dessus et branle bas de combat" ! Au fur et à mesure que LA CONFIANCE se rapprochait du vaisseau, celui-ci grossissait à vue d'œil. C'était le KENT, l'un des plus beaux vaisseaux de la compagnie des Indes, 1200 tonneaux, 38 gros canons, 437 marins et soldats. SURCOUF n'avait que 130 hommes et 18 caronades à lui opposer. SURCOUF réalisa alors que le seul moyen d'en venir à bout serait de le prendre à l'abordage ! Le KENT regardait venir à lui l'alerte et fine CONFIANCE avec un tel dédain que son capitaine fit monter les passagères sur la dunette arrière pour les distraire en leur montrant comment on coulait au canon un petit corsaire français intrépide. Ses bordées passèrent audessus de la coque de LA CONFIANCE, beaucoup plus basse sur l'eau que son formidable adversaire. SURCOUF fit distribuer à ses homes du café, du rhum et du bishop (rhum, eau chaude, piments). Par une suite de manœuvres habiles et rapides, SURCOUF aborda le KENT par tribord, à l'avant, rendant inutile la plus grande partie des canons de ce dernier. La chance allait encore une fois servir SURCOUF : le KENT manqua sa manœuvre de lof pour lof et se rabattit sur LA CONFIANCE qui venait par son arrière tribord. De plus, l'une des ancres du KENT se prit dans l'un des sabords d'avant de LA CONFIANCE et la maintint immobilisée. L'abordage pouvait être lancé. Bambou, le fidèle serviteur de SURCOUF, fut le premier à s’élancer sur le pont du KENT. Il avait parié ses parts de prise avec ses camarades qu’il serait le premier à toucher le pont du vaisseau anglais. La disproportion des navires était telle que les marins de LA CONFIANCE étaient obligés d'escalader le mât de misaine et de se servir de la vergue de misaine de LA CONFIANCE comme pont pour accéder au gaillard d'avant du KENT ! L'abordage et le combat qui s'ensuivit furent terribles et sanglants, les hommes se battant au sabre et au poignard. Des hommes tombaient à la mer en continuant de se poignarder. Des écoutilles du KENT sortaient sans cesse des combattants nouveaux. SURCOUF dut s'employer de toute son énergie sur un espace de 40 mètres sur 10 mètres, avec des charges, des retraites, des duels… Bambou, son fidèle serviteur noir, ne combattant qu'à la hache, creusait dans les rangs ennemis une trouée sanglante… Un gabier français envoya depuis la grande hune une grenade qui tua le capitaine anglais. Ceci décida du sort de la bataille. Les combattants du KENT lâchèrent pied et se retranchèrent dans l'entrepont. Dix minutes plus tard, le vaisseau se rendit. Dès la reddition, SURCOUF essaya de sauver le plus de monde possible. Un jeune aspirant blessé, croyant que SURCOUF venait l'achever alors que le corsaire se portait à son secours, lui sauta à la gorge. Bambou, croyant son maître menacé, cloua le jeune homme d'un coup de lance sur le cœur même de SURCOUF. Ce dernier entendit des cris de femmes. Toujours galant, il rassura les ladies affolées, dont Lady St John, qui devint par la suite une de ses bonnes amies 'certaines mauvaises langues disent sa "maîtresse"). Il fit placer des sentinelles à leurs portes et… s'excusa de sa tenue ! Il ordonna aussi de suspendre le pillage. Le combat, extraordinaire de violence et de bravoure, avait duré, en tout, une heure trois quarts ! La terreur que suscita ce fait d'armes fut telle que les femmes en Inde firent de SURCOUF un croquemitaine et en menacèrent leurs enfants qui n’étaient pas sages. Une prime énorme de 5 millions de livres fut alors offerte pour sa capture et on le menaça de l'enfermer dans une cage de fer si on le capturait ! SURCOUF ramena à l'Isle de France son énorme prise qui contenait un fabuleux butin en barres d'or et barils de poudre d'or pour une valeur de plus de 100 000 piastres. Son arrivée suscita une liesse dépassant l'imagination. Une foule immense l'attendait pour l'acclamer et les notables se disputaient l'honneur de le congratuler et de l'inviter à leur table. Mais, encore une fois, SURCOUF dut faire face à un imprévu administratif qui fit rejaillir son inflexible volonté. L'Amirauté revendiqua la propriété du trésor. SURCOUF s'y opposa fermement, par loyauté envers ses hommes, car il estimait, qu'ayant versé leur sang pour conquérir cette proie, elle leur revenait de droit. Alors qu'un canot s'approchait de son navire pour se saisir de l'or, SURCOUF fit jeter par-dessus bord la précieuse cargaison en criant : "Allez donc le chercher maintenant" ! Il indemnisa ses marins plus tard sur sa propre fortune. A ce propos, je tiens à rappeler que les armateurs avaient les 2/3 du bénéfice net, le Capitaine avait 12 parts, le Second 10 parts, les 2 premiers Lieutenants avaient 8 parts, le Premier-Maître, l'Ecrivain et les Commis et autres lieutenants avaient 6 parts, les Enseignes, le Chirurgien, le Second-Maître avaient 3 parts…etc… jusqu'aux matelots qui avaient 1 part et les mousses ¼ de part ! Le 29 janvier 1801, il quitta l'Isle de France à bord de LA CONFIANCE. Servi par une détermination, une audace et une chance insensée, son retour fut épique. Tout d'abord, il réussit à fausser compagnie à un vaisseau de 74 canons, puis se retrouva au milieu d'un convoi de 37 navires anglais escortés de trois frégates. Une poursuite s'engagea. LA CONFIANCE, trop chargée, avait perdu ses qualités de bonne marcheuse. SURCOUF ordonna de flanquer à la mer tout ce qui alourdissait son navire : la drome de rechange, les embarcations, une ancre, quatre canons… et il parvint à gagner du terrain et à s'enfuir, en ayant pris soin de faire arroser les voiles pour une meilleure prise au vent. Il échappa encore à une corvette anglaise, hissant par ruse le pavillon anglais, mais la corvette se ravisa et SURCOUF décida, pour s'échapper, de sacrifier 13 autres canons, n'en gardant qu'un seul pour faire éventuellement des signaux de détresse. Au soir, LA CONFIANCE retomba sur une autre escadre anglaise à laquelle elle faussa compagnie à la faveur de la nuit. Le 13 avril 1801, le navire entrait enfin dans le port fortifié de La Rochelle. Son arrivée et son butin déchaînèrent le plus fol enthousiasme. Sa renommée l'avait précédé et, à 28 ans, il était devenu une gloire nationale ! Il profita de la paix d'Amiens pour enfin épouser son amour de jeunesse et s'associa avec son beau-père armateur. Son ambition s'alliait avec le prestige. Ayant emmené sa jeune épouse à Paris, il se promenait rue du Fb St Honoré, quand il reçut un coup de fouet du cocher de la voiture d'un diplomate anglais. La réplique fut immédiate : SURCOUF lança sa canne plombée à la tête de l'homme, se précipita à la portière et exigea des excuses sur le champ ! L’ambassadeur, quand SURCOUF se fut présenté, se confondit en excuses et l’invita à un dîner en son honneur à l’ambassade d’Angleterre. Les toasts aidant, les esprits s’échauffèrent et un officier anglais lui dit : "Les Français se battent pour l'argent, alors que les Anglais le font pour l'honneur ! et Surcouf répondit sur un ton courtois : « Vous avez tout à fait raison, chacun se bat pour ce qu’il n’a pas ! ». Quand, en 1803, l'Angleterre déclencha une nouvelle guerre et mit l'embargo sur les navires français dans ses ports, l'armateur se sentit redevenir corsaire. Le Premier Consul, Napoléon Bonaparte, le convoqua à Saint-Cloud. Il parait qu'ils se regardèrent respectivement avec beaucoup d'attention. Bonaparte lui proposa le grade de Capitaine de vaisseau dans la Marine Nationale et lui proposa le commandement de deux frégates. "Serais-je mon propre maître" ? interrogea SURCOUF – « Vous ne relèverez que de l'Amiral Linois ». – « Désolé, dans ce cas, je ne puis accepter". Bonaparte ne lui en tint pas rigueur car il en fit, le 17 juillet 1804, l’un des premiers chevaliers de la Légion d'honneur. (A propos de Napoléon, on attribue une répartie à SURCOUF. Celuici avait été invité quelques années plus tard à une réception donnée par l'Empereur à La Malmaison. Or, ce dernier avait entendu dire que SURCOUF, devenu un armateur très riche, avait fait tapissé le plancher de son cabinet de travail de napoléons d'or. "Dites-moi, mon cher SURCOUF, il parait qu'ainsi vous foulez ma face à longueur de journée ? – Mais, il ne tient qu'à vous, Majesté, que je les mette sur la tranche…"!) Cependant SURCOUF rêvait d'armer en course un navire parfait, hors ligne, tel que nul n'en avait jamais commandé. Ce fut LE REVENANT, magnifique navire de 300 tonneaux et armé de 18 canons, à bord duquel il repartit en 1808 pour l'océan Indien, accompagné de 190 hommes d'équipage et d'un état-major de 13 lieutenants et 7 enseignes, dont son jeune frère Noël (mon ancêtre direct). Il y avait aussi à bord un aumônier qui, lorsqu'il le fallait, participait aux combats. On a retrouvé une sculpture en bois représentant un personnage barbu en position d'attaque, la hache au poing et… une croix sur la poitrine. Sur le socle était gravé : "Cy est vaillant Père Santemier, De Surcouf étant aumônier. A l'ennemi à sa façon, Savait bayer l'extrême-onction" ! LE REVENANT, dont les plans avaient été conçus par Robert SURCOUF, avait été étudié pour donner le maximum de maniabilité et de vitesse. Il était, en outre, raffiné et luxueux comme un yacht de plaisance. Extraordinairement bas sur l'eau, il avait des mâts qui dépassaient d'un quart ceux des autres navires. Ses voiles utilisaient le coton serré américain analogue à notre toile d'avion. A bord, SURCOUF bougeait peu car cet athlète ne se révélait que dans l'action quand à côté de Bambou, son serviteur noir qui lui rechargeait ses fusils, il commandait aux abordages. Il y avait un contraste chez cet homme entre son amabilité et sa fougue. Les Anglais le comparaient à un lion. Echappant aux croisières anglaises, il mit 100 jours pour atteindre l'Isle de France. L'arrivée de SURCOUF fut un évènement. Forçant le blocus anglais, il parvint à ravitailler l'Isle de France en riz et la sauver à nouveau de la famine. Sa croisière dura quatre mois durant lesquels il captura une vingtaine de navires ennemis. Son retour, le 31 janvier, à PortNapoléon, fut triomphal et fut le prétexte de fêtes exubérantes. SURCOUF envoya LE REVENANT s’embusquer au large de la côte de Coromandel pour attaquer un gros vaisseau portugais. Il ne prit pas place à bord mais se fit remplacer comme capitaine par son cousin Joseph-Marie POTTIER. Le 17 mai, le vaisseau fut capturé après un dur combat et, le 12 juin, il fut ramené à Port-Napoléon. Après cet intermède, SURCOUF désirait renter au plus vite en Métropole, à bord du REVENANT. A 34 ans, il voulait maintenant profiter de sa fortune à Saint-Malo, au milieu de sa femme et de ses trois enfants, ses deux filles et son fils. La situation de la colonie était critique et il était inévitable qu’elle allait tomber rapidement sous le joug de l’Angleterre. L’une des deux frégates préposées à la défense de l’île, LA SEMILLANTE, rentra d’un dur combat contre une frégate anglaise dans un état lamentable. Condamnée à la démolition, elle fut rachetée, à la casse, par un certain Bousquet. Le gouverneur DECAEN, voulant remplacer LA SEMILLANTE jeta son dévolu sur LE REVENANT qui fut réquisitionné, le 4 juillet 1808, pour défendre la colonie. LE REVENANT fut rebaptisé IENA. Capturé par les Anglais, il fut rebaptisé VICTOR. Ayant été repris, le 2 novembre 1809, par les Français, c’est sous ce nom de VICTOR qu’il participa, du 23 au 25 août 1810, à la fameuse "bataille du Grand Port", dans la baie de Mahébourg, seule bataille navale gagnée par les Français contre les Anglais, sous le règne de Napoléon 1er ! SURCOUF devait absolument trouver un navire pour remplacer le sien. C’est alors que M. Bousquet lui proposa de racheter l’ancienne frégate LA SEMILLANTE qu’il avait réussi à réparer. Il la rebaptisa le CHARLES, en hommage à son frère aîné, mort trois ans avant. Ne trouvant pas d’équipage, il dut enrôler des forçats et des prisonniers portugais et américains de ses précédentes captures. Sur l’effectif complet, il n’y eut que 36 Français contre 48 Portugais et Américains. Malgré les 11 soldats d’artillerie et d’infanterie rapatriés et les 42 passagers, il se méfiait de ce nombre élevé d’étrangers ennemis à son bord, tentés de faire main-basse sur sa cargaison, estimée à 5 millions de livres. De plus, le 21 novembre 1808, lors de son départ pour la Métropole, on lui imposa de rapatrier trois prisonniers portugais. Il s’agissait du capitaine du vaisseau portugais capturé par LE REVENANT et de deux de ses officiers. Le corsaire fit mine d’obéir mais, dès qu'il fut sorti du port et eut reçu son « congé de navigation », il se débarrassa de ses hôtes forcés en les confiant au bateau-pilote. En représailles, le gouverneur Decaën fit confisquer tous ses biens meubles et immeubles sur l'île. Sur le chemin de retour, le CHARLES déjoua toutes les manœuvres d’approche des croisières anglaises, en passant à travers les mailles du filet. Il lui fut impossible de gagner la Gironde ni d’entrer à Lorient. Après avoir essuyé le feu des batteries côtières françaises de l’île de Batz, il tenta de pénétrer dans le port de Morlaix mais les canons du fort du Taureau lui tirèrent également dessus, malgré le pavillon tricolore arboré. Il essuya ensuite, le 3 février, le feu des batteries de l’île de Bréhat, puis du cap Fréhel et du fort de La Latte. Il ne lui restait plus d’autre choix que de se diriger vers Saint-Malo. Son équipage était à bout de forces, les voiles de son navire étaient en lambeaux. La nuit venue, le navire mouilla dans la baie de Fresnaye. A l’aube, les batteries côtières ouvrirent le feu sur lui. Enfin, le 4 février 1809, il arriva en vue de la cité-corsaire. Il fut pris en charge par un pilote du port, sans doute trop porté sur la bouteille ou voulant faire le malin devant SURCOUF qui manqua de jeter le navire sur les écueils. A l’encontre de tous les règlements, SURCOUF lui arracha la barre et l’assomma de son porte-voix. Puis, en fin manœuvrier, il sauva le navire. SURCOUF sombrant devant les remparts de Saint Malo, c'eut été un comble ! SURCOUF ne devait plus jamais revoir son Isle de France chérie. A 36 ans, il n’avait navigué en course que pendant sept années, en tout, dont seulement trois ans et huit mois en commandement effectif à la mer. Il avait, tout de même, capturé 44 navires. En 1809, il fut fait baron d’empire par Napoléon. L'ancien blason des SURCOUF de BOISGRIS était "De sinople à trois pommes de pin d'or". Les armes de son nouveau blason devinrent : « D’argent au chevron de sable, Chargé de trois pétoncles d’or, Au chef de sable, Chargé d’un lion passant d’or ». Le 15 octobre 1809, Napoléon confirma officiellement la levée du séquestre de ses biens à l’Isle de France. Mais les Anglais, après une lutte de quatre mois, débarquèrent, avec 60 navires et 10 000 hommes, au nord de l’île. Depuis ce jour, l’endroit s’appelle le « cap Malheureux ». Le 3 décembre 1810, le gouverneur Decaen signa la capitulation. L'île reprit le nom de "Mauritius", donné auparavant par les Hollandais en hommage au Prince Maurice de Nassau. Au début du 19ème siècle, on pouvait parfois rencontrer sur les remparts de Saint Malo, SURCOUF, encore jeune, vêtu avec élégance, aimable et souriant, se promenant paisiblement en tenant à la main une canne à pommeau d'argent. Tous les marins les plus boucanés comme les plus hardis capitaines le saluaient bien bas, lui montrant ainsi les plus grandes marques de respect, de considération et de reconnaissance. Robert SURCOUF allait devenir l'un des plus grands armateurs de Saint Malo. Entre 1804 (avec la CAROLINE, cotre de 130 tonneaux et armé de 16 canons) et 1813 (avec le RENARD, cotre de 70 tonneaux et armé de 14 canons), SURCOUF arma 15 navires corsaires. Le 10 septembre 1813, le RENARD envoya par le fond l'ALPHEA, une corvette anglaise trois fois plus forte que lui. Ce fut un combat extrêmement sanglant. "Le pont ruisselait de sang" ! Une réplique du RENARD fut lancée en 1991 par Roby SURCOUF, mon cousin-germain. Il arma, entre 1815 et 1825, 18 navires marchands. Il était à la tête d'une immense fortune qui lui servait, en particulier, à soutenir de nombreuses œuvres caritatives avec une générosité princière car c'était un homme au grand cœur. Devenu un honnête et paisible citoyen, il reprit ses études en faisant venir chez lui un professeur qui lui donnait des leçons particulières. Mais il ne fallait pourtant pas grand-chose pour retrouver le corsaire qui sommeillait en lui. Un jour à Paris, sortant d'une maison de jeux du Palais Royal où il avait gagné une forte somme, il vit un officier français en difficulté avec trois grenadiers cosaques de l'occupation. Armé de sa canne, il prit part au combat et assomma deux soldats russes. On retrouva sous les blessés un tas d'or et d'argent : comme il se débarrassait jadis de ses canons pour aller plus vite, il avait vidé ses poches pour être plus leste ! A Saint-Malo même, il ne laissait personne lui manquer de respect. Un jour où il surprit des ouvriers de son chantier à baguenauder au lieu de gratter la coque d'un cotre, il coupa les cordes qui retenaient leur échafaudage. Il prit sa part de la baignade car il se jeta ensuite tout habillé pour sauver de la noyade les pauvres bougres qui ne savaient pas nager, à qui il remit à chacun une pièce d'or, pour se racheter de sa fougue. Il adorait la chasse : un matin, à la poursuite d'un gibier, il entra dans un champ de blé noir non encore coupé et commença à s'y frayer une route comme un bateau en pleine mer. Les paysans, furieux de voir ainsi qu'on foulait leur blé, le pourchassèrent… mais, lors de l'altercation, l'un des paysans le reconnut : "Ah, si c'est Monsieur Surcouf, il en a assez fait pour la France pour avoir le droit d'abîmer un peu notre sarrasin "! SURCOUF lui remit une bourse pleine pour réparer le préjudice. Toutefois, son action la plus extraordinaire, et pourtant vraie, c'est le duel qui l'opposa à douze officiers prussiens en occupation à SaintMalo, fin septembre 1815. Il était en train de jouer au billard dans une taverne quand une douzaine d’officiers prussiens entra. Ils proférèrent des propos insultants pour la France. Le sang de SURCOUF ne fit qu'un tour mais, n'ayant qu'une queue de billard entre les mains, il décida de les provoquer en duel en les défiant l'un après l'autre ! Tous reçurent leur compte, sans toucher le corsaire qui, haletant et suant, piquait et tranchait avec une impitoyable précision. 4 furent tués, 7 furent blessés. Le douzième, qui était jeune, rappela à SURCOUF l'aspirant anglais mort sur sa poitrine : "Ca suffit comme ça, dit-il, vat-en ! Il faut bien qu'il en reste un pour raconter comment se bat un ancien corsaire de Napoléon !" Il se fit oublier à Jersey quelque temps… Sans oublier son attachement à l'Empereur, il tint sa place dignement sous la Restauration. Il fut nommé, le 19 janvier 1814, commandant de la Garde Nationale de Saint-Malo qui comprenait mille hommes, répartis en deux bataillons. Il faisait manœuvrer ses soldats en employant des ordres comme à bord d'un bateau… « Parés à virer à bâbord » ou « A mon commandement, à tribord toute " ! Le 30 décembre 1814, il fut nommé membre du Conseil municipal de Saint-Malo. L’annonce du départ de Napoléon de l’île d’Elbe et de son débarquement à Golfe Juan, le 1er mars 1815, fit l’effet d’une bombe. Il écrivit de suite à l’empereur : « Sire, mon bras et mon épée sont toujours à vous ». Il fut nommé, en avril, chef de la Légion, avec 4 000 hommes sous ses ordres. Oubliant ses anciens différents, il n'hésita pas à se faire le défenseur du Général Decaën (qui lui avait confisqué ses biens à l'île de France) qui avait été compromis pendant les Cent-Jours et accusé de trahison. Il réussit à le faire relaxer. L'année 1821 fut très dure pour SURCOUF : il apprit successivement la mort de Napoléon 1er, auquel il était resté fidèle, et celle de son jeune frère Noël (mon ancêtre direct), mort à l'âge de 35 ans. En 1817, le duc d'Angoulème, de passage à Saint Malo, voulut le rencontrer, mais SURCOUF ne consentit pas à rencontrer cet ennemi de Napoléon, ne vint pas au banquet. Le duc eut toutefois pour lui une de ces attentions qui réconcilient : "Messieurs - dit-il, en montrant à sa droite une chaise vide - cette place était destinée au brave SURCOUF. Il n'a pas pu venir, personne d'autre ne l'occupera !". Il lui confirma, peu après, son titre de baron. Il vivait très entouré, recevant d'anciens adversaires, dont le Général Saint-John et sa femme, aux charmes de laquelle il n’était pas indifférent, parait-il, qui continuaient à admirer chez lui ce mélange étrange et fascinant de force, de générosité et de courtoisie. Chez SURCOUF l'admiration et l'affection l'ont toujours emporté. SURCOUF eut 8 enfants (5 garçons et 3 filles). De ses garçons, seul son fils Auguste eut une descendance. Le dernier mâle descendant direct d'Auguste était le Baron Antoine SURCOUF, qui est décédé en 1985. Il n'y a donc plus aujourd'hui de descendant mâle direct de Robert SURCOUF. Les seuls SURCOUF de la famille du corsaire existant aujourd'hui sont ceux qui descendent de la branche cadette, celle de Noël (dont je fais partie – mes deux fils et moi + six cousins issus de germain). Archétype de l'homme d'action, il a su, tout au long de sa vie, faire preuve à la fois d'ambition, de passion, d'innovation, de volonté, de confiance, de réussite, de générosité, de sensibilité, d'intelligence et d'esprit d'entreprise. C'est en cela que cet être exceptionnel peut être considéré comme un modèle pour la jeunesse d'aujourd'hui. Malheureusement, il n'est plus étudié dans les livres d'histoire et rares sont les jeunes de moins de 25 ans qui savent qui était Robert SURCOUF. Pour eux, SURCOUF c'est une boutique d'informatique à Paris !... J'ai une étrange ressemblance physique avec SURCOUF. (Anecdote de Dan LAILLER me recevant à Saint Malo, après l'émission "Thalassa" en 1985, qui m'a dit en me voyant : "Ah ! vous êtes Robert SURCOUF" ! et il m'a donné le portrait-robot de SURCOUF à trente cinq ans où j'ai cru me voir dans un miroir !). Je voudrais essayer aujourd'hui de le faire mieux connaître, par des livres, des films et autres produits. On peut dire qu'il m'a transmis "la Mer en Héritage". C'est d'ailleurs le titre de mon livre autobiographique, ouvrage introuvable aujourd'hui en librairie. SURCOUF est aussi un homme qui a eu beaucoup de chance. Imaginez qu'il n'a jamais été blessé, sauf une égratignure au visage causée par une balle qui lui avait cinglé le nez ! A deux reprises, il fut mis en joue de très près. Les deux fois, les amorces ont fait long feu ! Il mourut à 54 ans le 8 juillet 1827, dans de grandes souffrances, sûrement d'un cancer à l'estomac. "Le feu était aux poudres" fut l'une de ses dernières paroles. Il eut droit à des funérailles grandioses et solennelles. Son cercueil fut escorté par tous les bateaux de la rade de Saint Malo, ayant fait "lève-rames", marque suprême de respect, au son étouffé des tambours et du glas. La légende s'était déjà depuis longtemps emparée de son nom. Chateaubriand écrivit dans ses Mémoires d'Outre-Tombe : "De nos jours, Saint-Malo a donné à la France : Surcouf" ! Neuf navires ont déjà porté le nom de SURCOUF, dont six bâtiments de la Marine Nationale : un aviso en 1856, un croiseur en 1886, un trois-mâts barque en 1901, un Terre-Neuvas en 1903, un sous-marin (le plus grand du monde) en 1929 qui était armé de deux canons de 203 mm, 10 tubes lance-torpilles et un hydravion biplace à ailes repliables, un patrouilleur auxiliaire en 1940, un escorteur en 1953 et enfin une frégate furtive « type La Fayette » en 1994. Si je voulais résumer sa vie en un mot, je dirais qu'elle a été une magnifique "success-story" ! Je suis conseiller en archéologie sous-marine privée et mon activité m'a amenée à chercher, depuis une trentaine d’années, des trésors engloutis dans de vieilles épaves de navires portugais, hollandais, anglais et français. Ce qui est amusant, c'est que le destin m'a amené à chercher ces trésors sous-marins dans les mêmes zones que celles que fréquenta SURCOUF (c'est-à-dire l'océan Indien et la zone proche de l'Indonésie). Les journalistes me disent souvent que je continue le travail commencé par mon aïeul. La seule différence c'est que : lui cherchait les navires à la surface de la mer, moi… je les cherche au fond ! **************