Conférence sur Robert SURCOUF

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Conférence sur Robert SURCOUF
ROBERT SURCOUF (1773 – 1827)
Il y a des noms célèbres dans l'Histoire de France qui symbolisent le
courage et l'audace (tels Bayard, Du Guesclin). Mais il en est un, en
particulier, qui symbolise et rassemble non seulement ces valeurs mais
bien d'autres encore.
Ce nom, qui claque… comme une voile au vent, c'est "SURCOUF" !
Ce nom magique a été rendu célèbre par Robert SURCOUF, le "roi
des corsaires" de Saint-Malo, sous Napoléon 1er. Il fut l'un des plus
audacieux et mythiques marins de tous les temps.
Il est né à Saint Malo le 12 décembre 1773 d'un père Receveur des
Douanes, Charles SURCOUF de BOISGRIS, et d'une mère issue d'un
capitaine de la Royale, Rose TRUCHOT de la CHESNAIS. Il était le
6e enfant de la famille. Ses deux frères aînés, Charles et Nicolas, ainsi
que son frère cadet Noël (dont je suis le descendant direct), furent
également corsaires.
Je suis donc son arrière-arrière-arrière-petit-neveu.
Les SURCOUF de BOISGRIS descendaient du dernier roi du
Leincester en Irlande, chassé par les Anglais. Il s'appelait Dermot
MacMURCH’OD (d'où la déformation du nom qui devint
successivement… SURCH’OD, SURCOUL, SURCOU, et finalement
SURCOUF). La branche dont descendait Robert SURCOUF,
s’installa d’abord en Normandie et un certain Marin SURCOU,
originaire du Cotentin, vint se fixer à Saint-Malo vers 1663.
Cette branche bretonne s'illustra rapidement sous Louis XIV :
- Par l'arrière-grand-père de Robert qui fut félicité par le roi pour sa
générosité envers la Compagnie des Indes, dont il était co-fondateur et
à laquelle il avait prêté 3 millions qu'il ne revit jamais…
- Par le grand oncle de sa mère, qui n'était autre que le très célèbre
corsaire Duguay-Trouin qui captura plus de 300 navires marchands et
s'empara de Rio de Janeiro, en 1711.
- Enfin, par Porcon de la Barbinais, appelé le "Regulus malouin" pour
sa fidélité à la foi jurée. Ce brave, capturé par les pirates algériens, fut
envoyé au roi avec des offres de paix inacceptables pour la France. Il
insista lui-même pour que l'on rompe tous pourparlers. Mais il avait
juré de regagner sa prison en cas d'échec, sachant que la vie de 600
Français dépendait de son retour. Il tint parole, et fut décapité…
L'éducation de SURCOUF fut difficile, d'autant plus qu'on voulait en
faire un prêtre. Les projets pieux de ses parents furent déjoués par le
tempérament conquérant et indépendant du garçon qui rêvait déjà tout
jeune de partir en mer.
Ses parents décidèrent de mettre le jeune Robert en pension au
Collège de Dinan mais, comme Napoléon Bonaparte enfant, le jeune
Robert, qui avait été tonsuré, organisait, lui aussi, des bagarres épiques
dans la cour du collège qui tournaient à la bataille rangée, mais là,
c’était des abordages !
Il avait 12 ans quand le directeur du collège le prit en flagrant délit de
faire le mur avec quelques copains qu'il avait entraîné avec lui. Il
entreprit donc de donner à l'enfant indiscipliné des coups de trique sur
le postérieur. Après une lutte homérique, SURCOUF lui mordit la
cuisse à belles dents. Profitant d'un moment d'inattention, et désireux
d'échapper à un châtiment qu'il estimait injuste et humiliant, il sauta
par la fenêtre et, ivre de liberté, s'enfuit dans la nuit glacée. Au petit
matin, des maraîchers ambulants le trouvèrent à 30 kilomètres du
collège, gisant inconscient dans la neige, à demi-mort de froid. Grâce
à sa vigoureuse constitution, il se rétablit rapidement.
Ses parents, résignés, acceptèrent qu'il devienne marin, si telle était sa
vocation.
Comme on dit dans ma famille : Bon sang ne saurait mentir !
(Duguay-Trouin avait, lui aussi, été destiné à la prêtrise par ses
parents mais il était devenu capitaine à 18 ans).
Dès lors, on pouvait l'apercevoir passer des journées entières dans les
bateaux de pêcheurs, luttant contre le vent et les flots… Chaque matin,
il s’adonnait à la natation et fréquentait les vieux pêcheurs, dont un
qui lui apprenait à réparer les filets.
Le 31 août 1787, à sa 13e année, pour satisfaire son impatience, son
père lui permit de s'embarquer comme mousse sur un brick, le
HERON. Mais le cabotage le long des côtes d'Espagne jusqu’à Cadix
était loin de suffire au jeune garçon.
Sa nature aventureuse lui inspirait des rêves d'évasion et de grands
espaces. L'océan Indien, théâtre de ses futurs exploits, allait lui offrir
l'occasion d'exprimer pleinement son génie.
Trois ans après, avant ses 16 ans, on le jugea suffisamment prêt pour
être accepté comme "volontaire sans solde" à bord de l'AURORE,
navire de 749 tonneaux, armé de 20 canons et monté par 165 hommes,
en partance pour les Indes orientales, capitaine TARDIVET, où il s'y
distingua par sa valeur, sa volonté et son courage. Durant la traversée,
le 4e officier lui enseigna la navigation.
Basée à l'Isle de France, aujourd'hui appelée "Ile Maurice",
L'AURORE pratiqua le trafic de "bois d'ébène", c'est-à-dire la traite
des esclaves. C'est après avoir embarqué une cargaison d'esclaves que
l'AURORE fit naufrage, le 18 février 1790, sur des récifs au large des
côtes du Mozambique.
Excellent nageur, SURCOUF parvint à sauver deux cent soixante neuf
esclaves, principalement des femmes et des enfants, les hommes étant
enchaînés à fond de cale, et il sauva la vie au quartier-maître.
Six jours plus tard, il se proposa pour descendre dans la cale, une
corde nouée sous les aisselles, afin de sauver quelques vêtements et
provisions. L’air, dans ce qui restait de la coque, était devenu
irrespirable en raison de l’odeur qui se dégageait des corps en
putréfaction. Il montra des prodiges d’endurance, de persévérance et
de dévouement. Lors d’une de ses incursions, on le remonta évanoui,
et ceci malgré un mouchoir imbibé de vinaigre qu’il s’était mis sur le
visage. Il força le respect et l’estime de tout l’équipage qui dut
reconnaître son mépris du danger. Le capitaine TARDIVET affréta un
petit deux-mâts et promut SURCOUF comme troisième officier.
Après un périple de 9 mois sur 3 navires différents, il rejoignit l’Isle
de France.
A 17 ans et demi, il fut nommé lieutenant sur la REVANCHE.
En 1791, des évènements tragiques secouaient la Métropole et une
fièvre révolutionnaire couvait.
Le 5 novembre 1791, il partit pour la Métropole et débarqua à Lorient.
A 18 ans, il retrouva Saint-Malo. Ses parents le reconnurent à peine.
Leur garnement était devenu un homme. Il paraissait plus que son âge.
Il était de grande taille, et fortement musclé. Il avait le teint hâlé et le
visage couvert de taches de rousseur.
Il retrouva sa Manon, Marie-Catherine Blaize de Maisonneuve, fille
de l’un des plus riches armateurs de Saint-Malo. « Je te donnerai la
main de ma fille quand tu seras riche » lui annonça le père.
Après une pause de huit mois à Saint-Malo, SURCOUF se rembarqua,
le 7 août 1792, pour l'Isle de France.
En cours de route, lors d’une baignade, SURCOUF coula à pic, saisi
par l’eau glacée. Il fut déclaré mort et le capitaine en second, un
Portugais avec qui il avait eu maille à partir, ordonna qu’on le jette
par-dessus bord. Au dernier moment, il parvint à bouger les lèvres. Un
peu de rhum et le soir il était sorti d’affaire. Le portugais, ayant
contracté une forte fièvre tropicale le fit appeler pour « faire la paix »
avec lui avant de mourir. Il avait caché un pistolet sous son oreiller.
SURCOUF le désarma. Le Portugais mourut le lendemain et Robert
lui pardonna son geste.
Durant son voyage, il apprit l’arrestation de Louis XVI, les massacres
de septembre, la victoire de Valmy et la proclamation de la
République.
Le 19 juillet 1794, il fut reçu à l'examen de "capitaine au long cours"
et fut nommé au grade d'Enseigne de vaisseau.
Mais, en fait, SURCOUF avait un faible pour le "commerce libre". Il
n'était pas attiré par une carrière dans la Marine de l'Etat. Sa véritable
ambition était de devenir "capitaine corsaire". Son ascension allait être
fulgurante.
Je dois rappeler (au cas où certaines personnes de l'assistance ne le
sauraient pas) la différence qui existe entre "corsaire" et "pirate" :
(c'est le premier enseignement que l'on inculque dans ma famille).
- le corsaire attaque uniquement les navires ennemis. Pour ce
faire, il doit être muni d'une "lettre de marque" lui donnant le droit de
faire la course, d'où le mot "corsaire".
- le pirate est un brigand des mers qui attaque tous les navires,
sans distinction de nationalité.
Le 21 octobre 1794, il participa à l’attaque de deux frégates anglaises
qui effectuaient le blocus de l’île. SURCOUF embarqua sur la
CYBELE, petite frégate de 18 canons. Le capitaine eut les jambes
fauchées par un boulet et SURCOUF le planta dans un tonneau de
son. On compta 140 morts et blessés français dont 84 sur la CYBELE.
En avril 1795, il prit le commandement de LA CREOLE qui partit à
Madagascar pour charger des esclaves pour l’Ile Bourbon (La
Réunion). Le lendemain matin de son arrivée, trois commissaires du
Comité de Salut Public fouillèrent le navire. Malgré le lavage et
l’aération de la soute, ils furent convaincus que SURCOUF s’était
livré à la traite interdite. Il les invita à déjeuner. Après le dessert, les
liqueurs et les cigares, il fit lever l’ancre et les menaça de les
débarquer sur la côte d’Afrique. Après plusieurs heures à fond de cale,
les trois commissaires, victimes du mal de mer, signèrent un nouveau
procès-verbal.
A 22 ans, il devint "Capitaine corsaire" et prit le commandement de
l'EMILIE, navire trois-mâts de 180 tonneaux, armé de 4 canons et
monté par 30 hommes. Il n'arriva cependant pas à obtenir une "lettre
de marque" mais seulement un"congé de navigation" pour aller
chercher aux Seychelles des tortues de mer, du maïs et du coton. C'està-dire qu'il n'avait pas le droit d'attaquer mais uniquement de se
défendre si on l'attaquait. Cette subtilité ne lui avait pas échappé et il
allait donc s'arranger au mieux pour se faire attaquer !
Il partit donc pour sa première croisière le 4 septembre 1795.
Arrivé aux Seychelles, il échappa de peu à deux frégates anglaises.
L’EMILIE étant prisonnier dans un lagon, il s'en sortit en prenant le
grand risque de naviguer au milieu des récifs.
Sa première prise fut le PEGUAN, un trois-mâts anglais, capturé le 18
décembre.
(Je voudrais ouvrir une parenthèse sur le fait que les navires de cette
époque n'arboraient pas leurs couleurs lorsqu'ils naviguaient et, en
présence d'un navire ennemi, ne les hissaient qu'au moment de
l'attaque. Les navires corsaires arboraient souvent par ruse les couleurs
de l'ennemi et ne hissaient leurs couleurs qu'au premier coup de
canon. SURCOUF usa de nombreuses fois de ce stratagème).
Le PEGUAN avait eu la mauvaise idée d'envoyer un coup de semonce
pour que SURCOUF arbore ses couleurs. Considérant ce coup de
canon comme une marque d'agressivité, SURCOUF riposta et très vite
se rendit maître de l'Anglais qui ne transportait, malheureusement,
qu’une petite cargaison de bois de teck, d’huile et de gomme-laque.
SURCOUF ayant pris goût au combat, sur sa lancée, arraisonna un
peu plus tard, le 21 janvier 1796, un brick-pilote anglais de 150
tonneaux, le CARTIER, et deux navires marchands chargés de riz,
captures précieuses pour l'Isle de France qui souffrait d'une disette
cruelle.
Plaçant toutes les cargaisons sur l'EMILIE, qu'il renvoya à l'Isle de
France, il prit le commandement du CARTIER qui était plus
confortable, auquel il ajouta 4 canons, et continua sa croisière…
Le 28 janvier, il captura, en pleine nuit, un navire anglais, le DIANA,
avec 6 000 balles de riz.
Le 29 janvier 1796, SURCOUF vit une voile à l'horizon. « Il parait
très gros. Tant mieux, les parts de prise seront d’autant plus
importantes ». En se rapprochant, il découvrit, grâce au Livre des
Silhouettes, que c'était un magnifique "east-indiaman" de 1 000
tonneaux, le TRITON, armé de 26 canons de gros calibre, plus
plusieurs caronades sur les gaillards, et monté par un équipage de 150
hommes. SURCOUF n'avait que 16 hommes et 8 canons !
SURCOUF fit transférer trois hommes du DIANA à bord du
CARTIER. N'ayant même pas de grappin à bord, il décida quand
même de prendre le TRITON à l'abordage. Il fallait ruser. Aussi, il fit
enfiler des uniformes anglais à ses marins, fit hisser l'Union Jack et
disposa sur le pont, en évidence, quelques matelots indiens pris sur
une prise précédente, se faisant passer pour un bateau-pilote anglais.
Une fois à portée du TRITON, il fit hisser les couleurs françaises et se
lança à l'abordage ! SURCOUF s'élança à la tête de ses marins, n'ayant
laissé que le chirurgien et le cuisinier à bord du CARTIER. Après un
bref combat acharné de dix minutes, le navire se rendit.
Cet exploit épique fut considéré comme magique. C'était le premier
navire de la Compagnie anglaise des Indes orientales enlevé dans les
Brasses du Bengale et, du coup, l'Angleterre frémit. D'autant que les
manières de SURCOUF avec les passagers (et passagères) du
TRITON causèrent beaucoup de surprise… On put lire dans la presse
anglaise : "C'est un jeune homme qui traite ses prisonniers avec
politesse et beaucoup d’humanité".
Une fois l'abordage terminé, le corsaire fort et farouche redevenait un
homme galant et poli, un parfait gentleman…
Son retour à l'Isle de France, le 10 mars 1796, fut triomphal.
L’EMILIE était déjà arrivée avec le PEGUAN et deux autres prises.
Les cargaisons de riz avaient apporté un grand soulagement au peuple
de l’Isle de France. On attendait son navire LE CARTIER mais c’est à
bord du TRITON qu’il arriva. La population était très inquiète de
l’arrivée de ce vaisseau anglais ais quand on reconnut sa bannière, la
joie fut sans borne.
C’est à cette période qu’il devint franc-maçon. Il fut initié le 22 mai
1796 dans la Loge « La Triple Espérance » et passa très rapidement
les degrés de compagnon et de maître. Plus tard, avec son frère
Nicolas, initié également à la Franc-Maçonnerie en 1804, ils furent
admis dans la Loge « la Triple Essence » à Saint-Malo.
Par chicanerie, l'administration de l’île lui confisqua sa prise car il
n'avait pas l'autorisation d'attaquer. Fou de rage, il s'embarqua à bord
d'un navire de commerce génois en pour l'Espagne, emportant une
pétition signée par la majeure partie de la population de l'île,
demandant au gouvernement français de lui rendre justice. Malgré les
croisières anglaises, il arriva sans mal à Cadix en décembre 1796,
rentra en France et, d'une traite, gagna Paris où il alla plaider sa cause
auprès du Directoire, avec l’aide de maître Pérignon et par
l’intermédiaire du Conseil des Cinq-Cents et du Conseil des Anciens.
Après avoir eu gain de cause, le 3 septembre 1797, sa nature
généreuse lui fit abandonner les deux tiers de sa créance, de 1,7
million de livres tournois au gouvernement français dans le besoin.
De retour à Saint Malo, il se fiança avec son amie d'enfance MarieCatherine Blaize de Maisonneuve, la fille du plus riche armateur de
Saint Malo (ce dernier lui avait dit avant son départ : "Je te donnerai
ma fille quand tu seras riche").
Le 18 août 1798, il repartit pour l’Isle de France, à bord de la
CLARISSE, trois-mâts de 200 tonneaux, armé de 14 canons et monté
par 140 hommes, prenant son frère aîné Nicolas comme second.
Celui-ci avait été prisonnier de juin 1796 au début 1798 sur un ponton
anglais, vieux navire pourri, planté dans la vase de la rivière Chatham,
non loin de Portsmouth.
Durant sa traversée jusqu'à l'Isle de France qu'il atteignit le 5
décembre 1798, il captura trois navires anglais et deux portugais.
L’un des navires anglais était le SOLDIER, armé de 22 canons + 4 sur
le gaillard arrière. Un jeune canonnier était assis sur un canon et le
rechargeait par la gueule. SURCOUF tenait ses deux fusils
« Foudroyant », à 7 canons, et « Badin », à 2 canons, un dans chaque
main. Il ajusta le canonnier et tira…
Son nez fut cinglé par une balle. Il se releva et abattit le capitaine
anglais. Ce fut sa seule blessure ! A cause de boulets ramés, le petit
mât de hune s’abattit sur le pont de la CLARISSE, mais l’Anglais prit
la fuite !?
Sa première croisière à bord de la CLARISSE commença, début
janvier 1799, avec la prise sans combat d’un navire anglais au large de
Sumatra.
Le 18 février, il attaqua, dans le delta du Gange, deux gros vaisseaux
marchands anglais très fortement armés. Son frère Nicolas, avec 40
hommes embarqués dans les canots, prit par surprise l'un d'eux à
l'abordage, tua le capitaine d'un coup de sabre, et le vaisseau se rendit.
Alors SURCOUF s'occupa de l'autre navire, l'empêcha de fuir et le
prit d'assaut. Les indigènes avaient admiré le spectacle de la bataille
depuis les collines qui entouraient la baie. Il rentra avec ses deux
prises à l'Isle de France, le 10 juin 1799.
Le 17 août, il repartit pour une seconde croisière à bord de la
CLARISSE. Le 23 août, le navire aborda l'île de Cantaye, dans
l'archipel de la Sonde. Une corvée descendit à terre pour une aiguade
pour faire provision de vivres frais, de bois et d’eau douce.
SURCOUF en profita pour aller tirer du gibier. Soudain surgit une
troupe d'indigènes fortement armés et menaçants. Leur chef fit face à
SURCOUF, prêt à le transpercer de sa lance quand, soudain,
SURCOUF s'aperçut que ce dernier était comme hypnotisé par le
grand foulard rouge qu'il portait autour du cou. Il s'empressa donc de
lui offrir. Cela détendit pour un bref moment l'atmosphère et permit
aux marins de se rembarquer au plus vite. Déjà une volée de flèches
s’abattait autour de la chaloupe.
Après avoir arraisonné un navire danois qui faisait de la contrebande
de poivre, pris à l'abordage un navire portugais sur lequel il rafla
116.000 piastres d'argent et arraisonné un autre navire portugais
chargé de vin et de 86.000 piastres d’argent, il captura, le 10
novembre, un trois-mâts anglais de 500 tonneaux et armé de 20
canons. Sa cargaison était composée de 4.000 balles de riz, 500 balles
de sucre et du rhum.
Le 17 décembre, il rencontra le GENERAL MALARTIC, un navire
corsaire français commandé par le capitaine Jean Dutertre, de Lorient.
Ce dernier décida d'offrir à SURCOUF un tonneau de Porto.
SURCOUF, pour ne pas être en reste, décida de lui offrir une malle de
vêtements. Dutertre refusa ce cadeau en affirmant : "Quand je donne
un cadeau, je ne vends pas et ce n'est pas pour en recevoir un autre en
échange". Les esprits s'échauffèrent et quand, au moment de se
séparer, Dutertre trouva les vêtements de SURCOUF à bord de son
navire, il s'empressa de les jeter à la mer. SURCOUF, ivre de rage, en
fit de même avec le tonneau de Porto. Cette dispute aurait pu rester
sans lendemain. Mais nous allons voir plus tard que l'avenir allait de
nouveau les mettre face à face.
Continuant sa croisière, la CLARISSE fut prise en chasse, le 30
décembre, par une frégate anglaise, la SYBILLE, forte de 56 canons et
de 622 hommes d'équipage. Avec ses 14 canons, elle ne pouvait faire
face et son salut était dans la fuite. Afin de gagner du terrain sur la
frégate qui le rattrapait, SURCOUF fit balancer par-dessus bord tout
le poids inutile ainsi qu'une partie du lest. Voyant qu'il n'arrivait
toujours pas à reprendre de l'avance, il fit décoincer les mâts, vider les
caisses à eau, jeter les mâts de rechange, les embarcations, les
amarres, les avirons et même le tafia, ainsi que ses huit plus gros
canons et les boulets de canons.
Puis, la nuit venue, l’Anglais reprenant du terrain, il inventa une ruse :
il fit allumer tout d'abord son fanal arrière, à la grande surprise des
Anglais qui le poursuivaient. Puis, ayant fait mettre le dernier canot à
la mer le long de la coque de son navire, avec une petite voile, il fit
éteindre le fanal au même moment où il en allumait un autre fixé au
mât du canot. Il lui suffit alors de s'écarter à toute vitesse du canote
sur lequel les Anglais mirent le cap. Imaginez la tête qu'ils ont dû faire
quand ils s'aperçurent du tour que SURCOUF leur avait joué !
Le 1er janvier 1800, il prit deux navires anglais chargés de riz et de
sucre.
Ayant encore attaqué deux navires américains, dont l'un fut pris à
l'abordage et le second s'étant enfui, Robert SURCOUF rejoignit l'Isle
de France. La population, sauvée une nouvelle fois de la famine grâce
à ses prises, le porta en triomphe jusque chez le Gouverneur. Les bals,
banquets et réceptions durèrent trois jours… SURCOUF prépara
même des beignets où il avait glissé une pièce d'or et qu'il jetait aux
gamins qui l'acclamaient !
Nicolas se vit offrir le commandement d’un petit brick corsaire à bord
duquel il appareilla le 25 août 1800 vers le golfe du Bengale. Il n’eut
pas la chance de son frère Robert. En effet, en novembre 1800, il fut
capturé par un brick anglais et fut expédié, pour la seconde fois, sur un
ponton, près de Portsmouth. SURCOUF le fit libérer, un an plus tard,
lors d’un échange de prisonniers.
Mais les divers succès rencontrés à bord de la CLARISSE furent peu
en comparaison des exploits qui allaient être réalisés avec LA
CONFIANCE, son navire légendaire.
Construit à Bordeaux, c'était un petit trois-mâts de 36 mètres de long,
bas sur l’eau, de 364 tonneaux, armé de 18 canons, qui fit sensation
dès son arrivée à l'Isle de France. C'était un navire cité pour sa bonne
marche et son obéissance à la barre, considéré comme le meilleur
navire corsaire de son époque. Au moment d'engager son équipage,
SURCOUF se retrouva à nouveau face à Dutertre qui enrôlait
également. Ce fut à qui ferait les propositions les plus alléchantes…
Leur différend les amena jusqu'à se provoquer en duel et il fallut une
intervention, in-extremis, du gouverneur en personne pour qu'ils
acceptent de se réconcilier.
Le 10 mai 1800, LA CONFIANCE appareilla avec, à bord, 30
officiers, 180 matelots et quelques domestiques noirs (dont le fidèle
serviteur noir de Robert SURCOUF, Bambou, à qui il avait sauvé la
vie et qui lui était fidèle jusqu'à la mort, restant à ses côtés pendant les
abordages et lui passant ses fusils, dans la bataille). S’y ajoutaient 25
Volontaires du bataillon de Bourbon.
Il y avait aussi à son bord le peintre Louis Garneray, que SURCOUF
avait engagé comme "aide de camp" et qui immortalisera plus tard,
par ses tableaux et ses Mémoires, le souvenir de Robert SURCOUF.
Il décida de se rendre vers le détroit de la Sonde, mais, le 15 juin, le
capitaine d’un trois-mâts américain qu’il avait capturé lui apprit
qu’une frégate rôdait autour de Batavia. SURCOUF décida de
rebrousser chemin et de se rendre aux Seychelles où, du 7 juillet au 10
août, il attendit la fin de la mousson.
Une anecdote qui illustre bien la spontanéité et la rapidité d’action de
SURCOUF. Durant cette escale, ce dernier fut invité à passer la
journée chez un de ses amis seychellois. Dans la soirée, rentrant à
bord de son navire, la pirogue où il se trouvait fut attaquée par un
énorme requin qui faillit la faire chavirer. La bête ne craignant pas les
coups d’aviron, SURCOUF eut la présence d’esprit de piocher dans
un panier, d’en sortir un œuf et de la lancer de toutes ses forces dans la
gueule béante de l’animal qui disparut aussitôt.
LA CONFIANCE rejoignit les Brasses du Bengale où, grâce à des
informations fournies par des espions, il réalisa une campagne à
succès. Louis Garneray raconte, en effet, dans ses souvenirs, qu’il
avait accompagné SURCOUF au Consulat du Danemark, à l’Isle de
France. Ce pays étant neutre, il était donc facile aux Danois de se
procurer des renseignements sur les mouvements des navires anglais.
Garneray entendit une conversation animée entre SURCOUF et le
Consul du Danemark et un capitaine danois. Les deux Danois hésitant
à prendre une décision, SURCOUF s'énerva et leur cria : "J’en ai assez
de vos hésitations. J’ai besoin d'un traître et d’un espion ! Vous,
Monsieur le Consul, voulez-vous être mon traître et vous, Capitaine,
voulez-vous être mon espion ? Répondez-moi vite, je n’ai pas de
temps à perdre ! ». L’accord fut réglé en deux minutes.
Suite à la campagne fructueuse de LA CONFIANCE, une terreur
panique commença à régner dans tous les ports anglais des Indes. LA
CONFIANCE était signalée sur toutes les côtes de l'Inde. Les Anglais
organisèrent des convois, augmentèrent les équipages et préparèrent
même des bateaux-pièges.
L'un d'eux était la SYBILLE, la fameuse frégate à laquelle SURCOUF
avait déjà joué un bon tour et qui avait été habilement déguisée.
L'ayant pris pour un gros navire marchand, SURCOUF se trouva
piégé et bientôt à portée de ses canons. Il fallait vite trouver une
nouvelle ruse… Toujours imaginatif, il inventa une comédie tellement
forte et incroyable qu'elle réussit : au nez et à la barbe de l'ennemi,
SURCOUF ordonna à ses charpentiers de percer et faire éclater les
parois, de simuler des trous de boulets imaginaires, comme si LA
CONFIANCE sortait d'un dur combat. SURCOUF affubla ses marins
d'uniformes anglais pris sur des vaincus. Il fit disposer de faux blessés
sur la dunette, bras en écharpe, fronts bandés et fit hisser le pavillon
anglais.
Au porte-voix, le capitaine de la frégate interrogea LA CONFIANCE :
"Vous ressemblez singulièrement à un corsaire français ! – C'est vrai,
répondit SURCOUF, sous l'uniforme rouge et en parfait anglais, c'en
est un que nous avons capturé et échangé contre le nôtre qui coulait
bas… Au fait, je vous annonce votre nomination au grade supérieur. Il
y a deux caisses de rhum pour vous dans la yole que je vous envoie et
que nous allons reprendre à notre première bordée". SURCOUF fit
mettre à la mer une embarcation, préalablement percée dans ses fonds,
avec quelques marins (qu'il échangea à la première occasion), comme
si l'on envoyait à la grosse frégate les blessés les plus atteints. Il
prévint la frégate qu'il allait tirer un bord et reprendre son canot au
retour. La SYBILLE mit en panne. Soudain, l'eau envahissant le
canot, les faux blessés se mirent à hurler des « help » déchirants. La
SYBILLE, voulant secourir ses malheureux compatriotes, fit mettre
une chaloupe à la mer… Pendant ce temps, là, LA CONFIANCE,
toutes voiles dehors, prit le vent… et disparut à l'horizon !
Robert SURCOUF a toujours montré une imagination sans borne et
surtout une vitesse de réaction incroyable.
Peu de temps après, SURCOUF arraisonna un navire anglais qui se
rendit sans combat. Une fois à bord, le capitaine du navire déclara à
SURCOUF : "Croyez bien que si j'avais su que votre équipage était si
ridiculement faible, je me serais défendu ! – Eh bien soit ! lui répondit
SURCOUF, retournez à votre bord avec vos hommes et combattons !
Nous verrons bien votre courage" ! Le capitaine anglais préféra ne pas
insister.
Entre le 19 septembre et le 5 octobre, il fit encore 7 prises.
Le 7 octobre 1800, la vigie signala un gros navire en vue. SURCOUF,
confiant dans sa bonne étoile, donna l'ordre : "la barre dessus et branle
bas de combat" ! Au fur et à mesure que LA CONFIANCE se
rapprochait du vaisseau, celui-ci grossissait à vue d'œil. C'était le
KENT, l'un des plus beaux vaisseaux de la compagnie des Indes, 1200
tonneaux, 38 gros canons, 437 marins et soldats. SURCOUF n'avait
que 130 hommes et 18 caronades à lui opposer. SURCOUF réalisa
alors que le seul moyen d'en venir à bout serait de le prendre à
l'abordage !
Le KENT regardait venir à lui l'alerte et fine CONFIANCE avec un tel
dédain que son capitaine fit monter les passagères sur la dunette
arrière pour les distraire en leur montrant comment on coulait au
canon un petit corsaire français intrépide. Ses bordées passèrent audessus de la coque de LA CONFIANCE, beaucoup plus basse sur
l'eau que son formidable adversaire. SURCOUF fit distribuer à ses
homes du café, du rhum et du bishop (rhum, eau chaude, piments).
Par une suite de manœuvres habiles et rapides, SURCOUF aborda le
KENT par tribord, à l'avant, rendant inutile la plus grande partie des
canons de ce dernier. La chance allait encore une fois servir
SURCOUF : le KENT manqua sa manœuvre de lof pour lof et se
rabattit sur LA CONFIANCE qui venait par son arrière tribord. De
plus, l'une des ancres du KENT se prit dans l'un des sabords d'avant de
LA CONFIANCE et la maintint immobilisée. L'abordage pouvait être
lancé.
Bambou, le fidèle serviteur de SURCOUF, fut le premier à s’élancer
sur le pont du KENT. Il avait parié ses parts de prise avec ses
camarades qu’il serait le premier à toucher le pont du vaisseau anglais.
La disproportion des navires était telle que les marins de LA
CONFIANCE étaient obligés d'escalader le mât de misaine et de se
servir de la vergue de misaine de LA CONFIANCE comme pont pour
accéder au gaillard d'avant du KENT !
L'abordage et le combat qui s'ensuivit furent terribles et sanglants, les
hommes se battant au sabre et au poignard. Des hommes tombaient à
la mer en continuant de se poignarder. Des écoutilles du KENT
sortaient sans cesse des combattants nouveaux. SURCOUF dut
s'employer de toute son énergie sur un espace de 40 mètres sur 10
mètres, avec des charges, des retraites, des duels… Bambou, son
fidèle serviteur noir, ne combattant qu'à la hache, creusait dans les
rangs ennemis une trouée sanglante…
Un gabier français envoya depuis la grande hune une grenade qui tua
le capitaine anglais. Ceci décida du sort de la bataille. Les combattants
du KENT lâchèrent pied et se retranchèrent dans l'entrepont.
Dix minutes plus tard, le vaisseau se rendit.
Dès la reddition, SURCOUF essaya de sauver le plus de monde
possible. Un jeune aspirant blessé, croyant que SURCOUF venait
l'achever alors que le corsaire se portait à son secours, lui sauta à la
gorge. Bambou, croyant son maître menacé, cloua le jeune homme
d'un coup de lance sur le cœur même de SURCOUF. Ce dernier
entendit des cris de femmes. Toujours galant, il rassura les ladies
affolées, dont Lady St John, qui devint par la suite une de ses bonnes
amies 'certaines mauvaises langues disent sa "maîtresse"). Il fit placer
des sentinelles à leurs portes et… s'excusa de sa tenue ! Il ordonna
aussi de suspendre le pillage. Le combat, extraordinaire de violence et
de bravoure, avait duré, en tout, une heure trois quarts !
La terreur que suscita ce fait d'armes fut telle que les femmes en Inde
firent de SURCOUF un croquemitaine et en menacèrent leurs enfants
qui n’étaient pas sages. Une prime énorme de 5 millions de livres fut
alors offerte pour sa capture et on le menaça de l'enfermer dans une
cage de fer si on le capturait !
SURCOUF ramena à l'Isle de France son énorme prise qui contenait
un fabuleux butin en barres d'or et barils de poudre d'or pour une
valeur de plus de 100 000 piastres.
Son arrivée suscita une liesse dépassant l'imagination. Une foule
immense l'attendait pour l'acclamer et les notables se disputaient
l'honneur de le congratuler et de l'inviter à leur table.
Mais, encore une fois, SURCOUF dut faire face à un imprévu
administratif qui fit rejaillir son inflexible volonté. L'Amirauté
revendiqua la propriété du trésor. SURCOUF s'y opposa fermement,
par loyauté envers ses hommes, car il estimait, qu'ayant versé leur
sang pour conquérir cette proie, elle leur revenait de droit. Alors qu'un
canot s'approchait de son navire pour se saisir de l'or, SURCOUF fit
jeter par-dessus bord la précieuse cargaison en criant : "Allez donc le
chercher maintenant" ! Il indemnisa ses marins plus tard sur sa propre
fortune.
A ce propos, je tiens à rappeler que les armateurs avaient les 2/3 du
bénéfice net, le Capitaine avait 12 parts, le Second 10 parts, les 2
premiers Lieutenants avaient 8 parts, le Premier-Maître, l'Ecrivain et
les Commis et autres lieutenants avaient 6 parts, les Enseignes, le
Chirurgien, le Second-Maître avaient 3 parts…etc… jusqu'aux
matelots qui avaient 1 part et les mousses ¼ de part !
Le 29 janvier 1801, il quitta l'Isle de France à bord de LA
CONFIANCE. Servi par une détermination, une audace et une chance
insensée, son retour fut épique. Tout d'abord, il réussit à fausser
compagnie à un vaisseau de 74 canons, puis se retrouva au milieu d'un
convoi de 37 navires anglais escortés de trois frégates. Une poursuite
s'engagea. LA CONFIANCE, trop chargée, avait perdu ses qualités de
bonne marcheuse. SURCOUF ordonna de flanquer à la mer tout ce qui
alourdissait son navire : la drome de rechange, les embarcations, une
ancre, quatre canons… et il parvint à gagner du terrain et à s'enfuir, en
ayant pris soin de faire arroser les voiles pour une meilleure prise au
vent. Il échappa encore à une corvette anglaise, hissant par ruse le
pavillon anglais, mais la corvette se ravisa et SURCOUF décida, pour
s'échapper, de sacrifier 13 autres canons, n'en gardant qu'un seul pour
faire éventuellement des signaux de détresse. Au soir, LA
CONFIANCE retomba sur une autre escadre anglaise à laquelle elle
faussa compagnie à la faveur de la nuit. Le 13 avril 1801, le navire
entrait enfin dans le port fortifié de La Rochelle. Son arrivée et son
butin déchaînèrent le plus fol enthousiasme. Sa renommée l'avait
précédé et, à 28 ans, il était devenu une gloire nationale !
Il profita de la paix d'Amiens pour enfin épouser son amour de
jeunesse et s'associa avec son beau-père armateur. Son ambition
s'alliait avec le prestige. Ayant emmené sa jeune épouse à Paris, il se
promenait rue du Fb St Honoré, quand il reçut un coup de fouet du
cocher de la voiture d'un diplomate anglais.
La réplique fut immédiate : SURCOUF lança sa canne plombée à la
tête de l'homme, se précipita à la portière et exigea des excuses sur le
champ ! L’ambassadeur, quand SURCOUF se fut présenté, se
confondit en excuses et l’invita à un dîner en son honneur à
l’ambassade d’Angleterre.
Les toasts aidant, les esprits s’échauffèrent et un officier anglais lui
dit : "Les Français se battent pour l'argent, alors que les Anglais le
font pour l'honneur ! et Surcouf répondit sur un ton courtois : « Vous
avez tout à fait raison, chacun se bat pour ce qu’il n’a pas ! ».
Quand, en 1803, l'Angleterre déclencha une nouvelle guerre et mit
l'embargo sur les navires français dans ses ports, l'armateur se sentit
redevenir corsaire.
Le Premier Consul, Napoléon Bonaparte, le convoqua à Saint-Cloud.
Il parait qu'ils se regardèrent respectivement avec beaucoup
d'attention. Bonaparte lui proposa le grade de Capitaine de vaisseau
dans la Marine Nationale et lui proposa le commandement de deux
frégates. "Serais-je mon propre maître" ? interrogea SURCOUF –
« Vous ne relèverez que de l'Amiral Linois ». – « Désolé, dans ce cas,
je ne puis accepter".
Bonaparte ne lui en tint pas rigueur car il en fit, le 17 juillet 1804, l’un
des premiers chevaliers de la Légion d'honneur.
(A propos de Napoléon, on attribue une répartie à SURCOUF. Celuici avait été invité quelques années plus tard à une réception donnée
par l'Empereur à La Malmaison. Or, ce dernier avait entendu dire que
SURCOUF, devenu un armateur très riche, avait fait tapissé le
plancher de son cabinet de travail de napoléons d'or. "Dites-moi, mon
cher SURCOUF, il parait qu'ainsi vous foulez ma face à longueur de
journée ? – Mais, il ne tient qu'à vous, Majesté, que je les mette sur la
tranche…"!)
Cependant SURCOUF rêvait d'armer en course un navire parfait, hors
ligne, tel que nul n'en avait jamais commandé. Ce fut LE
REVENANT, magnifique navire de 300 tonneaux et armé de 18
canons, à bord duquel il repartit en 1808 pour l'océan Indien,
accompagné de 190 hommes d'équipage et d'un état-major de 13
lieutenants et 7 enseignes, dont son jeune frère Noël (mon ancêtre
direct).
Il y avait aussi à bord un aumônier qui, lorsqu'il le fallait, participait
aux combats. On a retrouvé une sculpture en bois représentant un
personnage barbu en position d'attaque, la hache au poing et… une
croix sur la poitrine.
Sur le socle était gravé :
"Cy est vaillant Père Santemier,
De Surcouf étant aumônier.
A l'ennemi à sa façon,
Savait bayer l'extrême-onction" !
LE REVENANT, dont les plans avaient été conçus par Robert
SURCOUF, avait été étudié pour donner le maximum de maniabilité
et de vitesse. Il était, en outre, raffiné et luxueux comme un yacht de
plaisance. Extraordinairement bas sur l'eau, il avait des mâts qui
dépassaient d'un quart ceux des autres navires. Ses voiles utilisaient le
coton serré américain analogue à notre toile d'avion.
A bord, SURCOUF bougeait peu car cet athlète ne se révélait que
dans l'action quand à côté de Bambou, son serviteur noir qui lui
rechargeait ses fusils, il commandait aux abordages. Il y avait un
contraste chez cet homme entre son amabilité et sa fougue. Les
Anglais le comparaient à un lion.
Echappant aux croisières anglaises, il mit 100 jours pour atteindre
l'Isle de France.
L'arrivée de SURCOUF fut un évènement. Forçant le blocus anglais, il
parvint à ravitailler l'Isle de France en riz et la sauver à nouveau de la
famine. Sa croisière dura quatre mois durant lesquels il captura une
vingtaine de navires ennemis. Son retour, le 31 janvier, à PortNapoléon, fut triomphal et fut le prétexte de fêtes exubérantes.
SURCOUF envoya LE REVENANT s’embusquer au large de la côte
de Coromandel pour attaquer un gros vaisseau portugais. Il ne prit pas
place à bord mais se fit remplacer comme capitaine par son cousin
Joseph-Marie POTTIER. Le 17 mai, le vaisseau fut capturé après un
dur combat et, le 12 juin, il fut ramené à Port-Napoléon.
Après cet intermède, SURCOUF désirait renter au plus vite en
Métropole, à bord du REVENANT. A 34 ans, il voulait maintenant
profiter de sa fortune à Saint-Malo, au milieu de sa femme et de ses
trois enfants, ses deux filles et son fils.
La situation de la colonie était critique et il était inévitable qu’elle
allait tomber rapidement sous le joug de l’Angleterre.
L’une des deux frégates préposées à la défense de l’île, LA
SEMILLANTE, rentra d’un dur combat contre une frégate anglaise
dans un état lamentable. Condamnée à la démolition, elle fut rachetée,
à la casse, par un certain Bousquet.
Le gouverneur DECAEN, voulant remplacer LA SEMILLANTE jeta
son dévolu sur LE REVENANT qui fut réquisitionné, le 4 juillet
1808, pour défendre la colonie.
LE REVENANT fut rebaptisé IENA. Capturé par les Anglais, il fut
rebaptisé VICTOR. Ayant été repris, le 2 novembre 1809, par les
Français, c’est sous ce nom de VICTOR qu’il participa, du 23 au 25
août 1810, à la fameuse "bataille du Grand Port", dans la baie de
Mahébourg, seule bataille navale gagnée par les Français contre les
Anglais, sous le règne de Napoléon 1er !
SURCOUF devait absolument trouver un navire pour remplacer le
sien. C’est alors que M. Bousquet lui proposa de racheter l’ancienne
frégate LA SEMILLANTE qu’il avait réussi à réparer. Il la rebaptisa
le CHARLES, en hommage à son frère aîné, mort trois ans avant.
Ne trouvant pas d’équipage, il dut enrôler des forçats et des
prisonniers portugais et américains de ses précédentes captures. Sur
l’effectif complet, il n’y eut que 36 Français contre 48 Portugais et
Américains. Malgré les 11 soldats d’artillerie et d’infanterie rapatriés
et les 42 passagers, il se méfiait de ce nombre élevé d’étrangers
ennemis à son bord, tentés de faire main-basse sur sa cargaison,
estimée à 5 millions de livres.
De plus, le 21 novembre 1808, lors de son départ pour la Métropole,
on lui imposa de rapatrier trois prisonniers portugais. Il s’agissait du
capitaine du vaisseau portugais capturé par LE REVENANT et de
deux de ses officiers. Le corsaire fit mine d’obéir mais, dès qu'il fut
sorti du port et eut reçu son « congé de navigation », il se débarrassa
de ses hôtes forcés en les confiant au bateau-pilote. En représailles, le
gouverneur Decaën fit confisquer tous ses biens meubles et
immeubles sur l'île.
Sur le chemin de retour, le CHARLES déjoua toutes les manœuvres
d’approche des croisières anglaises, en passant à travers les mailles du
filet.
Il lui fut impossible de gagner la Gironde ni d’entrer à Lorient.
Après avoir essuyé le feu des batteries côtières françaises de l’île de
Batz, il tenta de pénétrer dans le port de Morlaix mais les canons du
fort du Taureau lui tirèrent également dessus, malgré le pavillon
tricolore arboré.
Il essuya ensuite, le 3 février, le feu des batteries de l’île de Bréhat,
puis du cap Fréhel et du fort de La Latte.
Il ne lui restait plus d’autre choix que de se diriger vers Saint-Malo.
Son équipage était à bout de forces, les voiles de son navire étaient en
lambeaux.
La nuit venue, le navire mouilla dans la baie de Fresnaye. A l’aube,
les batteries côtières ouvrirent le feu sur lui. Enfin, le 4 février 1809, il
arriva en vue de la cité-corsaire.
Il fut pris en charge par un pilote du port, sans doute trop porté sur la
bouteille ou voulant faire le malin devant SURCOUF qui manqua de
jeter le navire sur les écueils.
A l’encontre de tous les règlements, SURCOUF lui arracha la barre et
l’assomma de son porte-voix. Puis, en fin manœuvrier, il sauva le
navire.
SURCOUF sombrant devant les remparts de Saint Malo, c'eut été un
comble !
SURCOUF ne devait plus jamais revoir son Isle de France chérie.
A 36 ans, il n’avait navigué en course que pendant sept années, en
tout, dont seulement trois ans et huit mois en commandement effectif
à la mer. Il avait, tout de même, capturé 44 navires.
En 1809, il fut fait baron d’empire par Napoléon. L'ancien blason des
SURCOUF de BOISGRIS était "De sinople à trois pommes de pin
d'or".
Les armes de son nouveau blason devinrent :
« D’argent au chevron de sable,
Chargé de trois pétoncles d’or,
Au chef de sable,
Chargé d’un lion passant d’or ».
Le 15 octobre 1809, Napoléon confirma officiellement la levée du
séquestre de ses biens à l’Isle de France.
Mais les Anglais, après une lutte de quatre mois, débarquèrent, avec
60 navires et 10 000 hommes, au nord de l’île. Depuis ce jour,
l’endroit s’appelle le « cap Malheureux ».
Le 3 décembre 1810, le gouverneur Decaen signa la capitulation. L'île
reprit le nom de "Mauritius", donné auparavant par les Hollandais en
hommage au Prince Maurice de Nassau.
Au début du 19ème siècle, on pouvait parfois rencontrer sur les
remparts de Saint Malo, SURCOUF, encore jeune, vêtu avec
élégance, aimable et souriant, se promenant paisiblement en tenant à
la main une canne à pommeau d'argent.
Tous les marins les plus boucanés comme les plus hardis capitaines le
saluaient bien bas, lui montrant ainsi les plus grandes marques de
respect, de considération et de reconnaissance.
Robert SURCOUF allait devenir l'un des plus grands armateurs de
Saint Malo.
Entre 1804 (avec la CAROLINE, cotre de 130 tonneaux et armé de 16
canons) et 1813 (avec le RENARD, cotre de 70 tonneaux et armé de
14 canons), SURCOUF arma 15 navires corsaires.
Le 10 septembre 1813, le RENARD envoya par le fond l'ALPHEA,
une corvette anglaise trois fois plus forte que lui. Ce fut un combat
extrêmement sanglant. "Le pont ruisselait de sang" !
Une réplique du RENARD fut lancée en 1991 par Roby SURCOUF,
mon cousin-germain.
Il arma, entre 1815 et 1825, 18 navires marchands.
Il était à la tête d'une immense fortune qui lui servait, en particulier, à
soutenir de nombreuses œuvres caritatives avec une générosité
princière car c'était un homme au grand cœur.
Devenu un honnête et paisible citoyen, il reprit ses études en faisant
venir chez lui un professeur qui lui donnait des leçons particulières.
Mais il ne fallait pourtant pas grand-chose pour retrouver le corsaire
qui sommeillait en lui.
Un jour à Paris, sortant d'une maison de jeux du Palais Royal où il
avait gagné une forte somme, il vit un officier français en difficulté
avec trois grenadiers cosaques de l'occupation. Armé de sa canne, il
prit part au combat et assomma deux soldats russes. On retrouva sous
les blessés un tas d'or et d'argent : comme il se débarrassait jadis de
ses canons pour aller plus vite, il avait vidé ses poches pour être plus
leste !
A Saint-Malo même, il ne laissait personne lui manquer de respect.
Un jour où il surprit des ouvriers de son chantier à baguenauder au
lieu de gratter la coque d'un cotre, il coupa les cordes qui retenaient
leur échafaudage. Il prit sa part de la baignade car il se jeta ensuite
tout habillé pour sauver de la noyade les pauvres bougres qui ne
savaient pas nager, à qui il remit à chacun une pièce d'or, pour se
racheter de sa fougue.
Il adorait la chasse : un matin, à la poursuite d'un gibier, il entra dans
un champ de blé noir non encore coupé et commença à s'y frayer une
route comme un bateau en pleine mer. Les paysans, furieux de voir
ainsi qu'on foulait leur blé, le pourchassèrent… mais, lors de
l'altercation, l'un des paysans le reconnut : "Ah, si c'est Monsieur
Surcouf, il en a assez fait pour la France pour avoir le droit d'abîmer
un peu notre sarrasin "! SURCOUF lui remit une bourse pleine pour
réparer le préjudice.
Toutefois, son action la plus extraordinaire, et pourtant vraie, c'est le
duel qui l'opposa à douze officiers prussiens en occupation à SaintMalo, fin septembre 1815. Il était en train de jouer au billard dans une
taverne quand une douzaine d’officiers prussiens entra. Ils proférèrent
des propos insultants pour la France. Le sang de SURCOUF ne fit
qu'un tour mais, n'ayant qu'une queue de billard entre les mains, il
décida de les provoquer en duel en les défiant l'un après l'autre ! Tous
reçurent leur compte, sans toucher le corsaire qui, haletant et suant,
piquait et tranchait avec une impitoyable précision. 4 furent tués, 7
furent blessés. Le douzième, qui était jeune, rappela à SURCOUF
l'aspirant anglais mort sur sa poitrine : "Ca suffit comme ça, dit-il, vat-en ! Il faut bien qu'il en reste un pour raconter comment se bat un
ancien corsaire de Napoléon !" Il se fit oublier à Jersey quelque
temps…
Sans oublier son attachement à l'Empereur, il tint sa place dignement
sous la Restauration. Il fut nommé, le 19 janvier 1814, commandant
de la Garde Nationale de Saint-Malo qui comprenait mille hommes,
répartis en deux bataillons. Il faisait manœuvrer ses soldats en
employant des ordres comme à bord d'un bateau… « Parés à virer à
bâbord » ou « A mon commandement, à tribord toute " !
Le 30 décembre 1814, il fut nommé membre du Conseil municipal de
Saint-Malo. L’annonce du départ de Napoléon de l’île d’Elbe et de
son débarquement à Golfe Juan, le 1er mars 1815, fit l’effet d’une
bombe.
Il écrivit de suite à l’empereur : « Sire, mon bras et mon épée sont
toujours à vous ». Il fut nommé, en avril, chef de la Légion, avec
4 000 hommes sous ses ordres.
Oubliant ses anciens différents, il n'hésita pas à se faire le défenseur
du Général Decaën (qui lui avait confisqué ses biens à l'île de France)
qui avait été compromis pendant les Cent-Jours et accusé de trahison.
Il réussit à le faire relaxer.
L'année 1821 fut très dure pour SURCOUF : il apprit successivement
la mort de Napoléon 1er, auquel il était resté fidèle, et celle de son
jeune frère Noël (mon ancêtre direct), mort à l'âge de 35 ans.
En 1817, le duc d'Angoulème, de passage à Saint Malo, voulut le
rencontrer, mais SURCOUF ne consentit pas à rencontrer cet ennemi
de Napoléon, ne vint pas au banquet. Le duc eut toutefois pour lui une
de ces attentions qui réconcilient : "Messieurs - dit-il, en montrant à sa
droite une chaise vide - cette place était destinée au brave SURCOUF.
Il n'a pas pu venir, personne d'autre ne l'occupera !". Il lui confirma,
peu après, son titre de baron.
Il vivait très entouré, recevant d'anciens adversaires, dont le Général
Saint-John et sa femme, aux charmes de laquelle il n’était pas
indifférent, parait-il, qui continuaient à admirer chez lui ce mélange
étrange et fascinant de force, de générosité et de courtoisie. Chez
SURCOUF l'admiration et l'affection l'ont toujours emporté.
SURCOUF eut 8 enfants (5 garçons et 3 filles). De ses garçons, seul
son fils Auguste eut une descendance. Le dernier mâle descendant
direct d'Auguste était le Baron Antoine SURCOUF, qui est décédé en
1985.
Il n'y a donc plus aujourd'hui de descendant mâle direct de Robert
SURCOUF. Les seuls SURCOUF de la famille du corsaire existant
aujourd'hui sont ceux qui descendent de la branche cadette, celle de
Noël (dont je fais partie – mes deux fils et moi + six cousins issus de
germain).
Archétype de l'homme d'action, il a su, tout au long de sa vie, faire
preuve à la fois d'ambition, de passion, d'innovation, de volonté, de
confiance, de réussite, de générosité, de sensibilité, d'intelligence et
d'esprit d'entreprise.
C'est en cela que cet être exceptionnel peut être considéré comme un
modèle pour la jeunesse d'aujourd'hui. Malheureusement, il n'est plus
étudié dans les livres d'histoire et rares sont les jeunes de moins de 25
ans qui savent qui était Robert SURCOUF. Pour eux, SURCOUF c'est
une boutique d'informatique à Paris !...
J'ai une étrange ressemblance physique avec SURCOUF. (Anecdote
de Dan LAILLER me recevant à Saint Malo, après l'émission
"Thalassa" en 1985, qui m'a dit en me voyant : "Ah ! vous êtes Robert
SURCOUF" ! et il m'a donné le portrait-robot de SURCOUF à trente
cinq ans où j'ai cru me voir dans un miroir !).
Je voudrais essayer aujourd'hui de le faire mieux connaître, par des
livres, des films et autres produits.
On peut dire qu'il m'a transmis "la Mer en Héritage". C'est d'ailleurs le
titre de mon livre autobiographique, ouvrage introuvable aujourd'hui
en librairie.
SURCOUF est aussi un homme qui a eu beaucoup de chance.
Imaginez qu'il n'a jamais été blessé, sauf une égratignure au visage
causée par une balle qui lui avait cinglé le nez ! A deux reprises, il fut
mis en joue de très près. Les deux fois, les amorces ont fait long feu !
Il mourut à 54 ans le 8 juillet 1827, dans de grandes souffrances,
sûrement d'un cancer à l'estomac. "Le feu était aux poudres" fut l'une
de ses dernières paroles. Il eut droit à des funérailles grandioses et
solennelles. Son cercueil fut escorté par tous les bateaux de la rade de
Saint Malo, ayant fait "lève-rames", marque suprême de respect, au
son étouffé des tambours et du glas.
La légende s'était déjà depuis longtemps emparée de son nom.
Chateaubriand écrivit dans ses Mémoires d'Outre-Tombe : "De nos
jours, Saint-Malo a donné à la France : Surcouf" !
Neuf navires ont déjà porté le nom de SURCOUF, dont six bâtiments
de la Marine Nationale : un aviso en 1856, un croiseur en 1886, un
trois-mâts barque en 1901, un Terre-Neuvas en 1903, un sous-marin
(le plus grand du monde) en 1929 qui était armé de deux canons de
203 mm, 10 tubes lance-torpilles et un hydravion biplace à ailes
repliables, un patrouilleur auxiliaire en 1940, un escorteur en 1953 et
enfin une frégate furtive « type La Fayette » en 1994.
Si je voulais résumer sa vie en un mot, je dirais qu'elle a été une
magnifique "success-story" !
Je suis conseiller en archéologie sous-marine privée et mon activité
m'a amenée à chercher, depuis une trentaine d’années, des trésors
engloutis dans de vieilles épaves de navires portugais, hollandais,
anglais et français.
Ce qui est amusant, c'est que le destin m'a amené à chercher ces
trésors sous-marins dans les mêmes zones que celles que fréquenta
SURCOUF (c'est-à-dire l'océan Indien et la zone proche de
l'Indonésie). Les journalistes me disent souvent que je continue le
travail commencé par mon aïeul. La seule différence c'est que : lui
cherchait les navires à la surface de la mer, moi… je les cherche au
fond !
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