Fiche 8.Euthanasie et religions

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Fiche 8.Euthanasie et religions
Comité d’éthique – Hôpital Henri Duffaut – Avignon
Rapport sur Euthanasie et Religions
Notre groupe de travail a rencontré des représentants des cultes ou de courant spirituel
quand cela a été possible, ou simplement recueilli des textes auprès des personnes sollicitées : Père
Pierre Averan (église catholique), Claude Hiffler (église orthodoxe), Pasteur Christian Badet (église
réformée de France), Rabbin Moshé Sebbag (judaïsme), M. Elyazidi (islam), Christian Saget
(bouddhisme). Les citations contenues dans cette synthèse sont extraites des textes que chacun des
représentants a communiqué au groupe.
A la suite de ces rencontres, nous faisons le constat que tous les courants religieux ou
spirituels s’accordent sur deux points essentiels :
• Le respect de la vie, y compris dans des circonstances limites.
De leur côté, les religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) affirment que la vie
est un don de Dieu ; elle ne nous appartient pas et la supprimer serait une atteinte ou un défi lancé à
la prérogative divine.
Le bouddhisme ne connaît pas de Dieu mais il définit la vie ainsi :
« Pour le bouddhisme, la mort est un passage pour une prochaine vie. Ceci en raison de
l’éternité de la Vie : la vie en étant la forme apparente et la mort la forme latente ; comme si la Vie
était l’océan et la manifestation de la vie, la crête des vagues. Quand la vague retombe (la mort)
elle fait encore partie de l’océan. »
Il connaît donc une sorte de “principe vital” transcendant à l’existence humaine mais non
personnifié.
• La nécessité de soulager ou de supprimer la souffrance, quelle qu’elle soit et dans toute
la mesure du possible. C’est un impératif que commande également la foi ou la croyance,
parce que l’être humain est destiné au bonheur et non au malheur. L’idée d’une souffrance
qui serait nécessaire au “salut”, ou agréable à “Dieu”, ne fait pas (ou plus) partie des
systèmes de croyances.
Ainsi, pour le catholicisme :
« L'Eglise catholique affirme le devoir de soulager la douleur, même si cela risque
d'écourter la vie. Déjà en 1957, le Pape Pie XII avait déclaré qu'il est licite de supprimer la douleur
au moyen de narcotiques, même avec pour effet d'amoindrir la conscience et d'abréger la vie.
Dans ce cas, en effet, la mort n'est pas voulue ou recherchée, bien que pour des motifs
raisonnables, on encourre le risque ; on veut simplement atténuer la douleur de manière efficace en
recourant aux analgésiques, dont la médicine permet de disposer.
En revanche l'injection d'une substance mortelle pour arrêter la vie d'une personne, même si
la demande est faite par le malade lui-même, est une violence morale tout aussi scandaleuse que de
ne pas soulager la douleur, car elle est une grave violation de la loi de Dieu.
Cette affirmation, fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu, écrite et transmise par
la Tradition de l'Eglise, s'applique aussi bien à ce qu'on appelle le « suicide assisté » qu'à
l'euthanasie pratiquée sans le consentement du malade. »
Pour l’orthodoxie :
« Au total, si le respect de la vie et de la personne est absolu à tous les moments de
l'évolution d'une maladie, y compris quand elle est irréversible et inéluctable, la compassion et
l'amour doivent l'emporter devant l'infini mystère de l'existence humaine. »
Pour le judaïsme :
« « Il est interdit de faire quoi que ce soit pour hâter la mort et même si nous voyons qu’il
souffre beaucoup dans son agonie et que la mort lui serait douce, il nous est néanmoins défendu de
faire quoi que ce soit pour hâter la mort : le monde et ce qu’il contient appartiennent à Dieu et telle
est Sa volonté ».
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C’est l’avis unanime des décisionnaires qu’exprime ici l’auteur du Aroukh Hachoul’han (Yoré
Déa 339, 1) condamnant ainsi clairement toute forme d’euthanasie active. L’idée sur laquelle il
appuie cette défense est que l’âme, tout comme le corps, appartient à Dieu ; c’est lui qui l’a
insufflée, à Lui seul revient le droit de la reprendre – idée exprimée déjà par le prophète Ezéchiel :
« Voici, toutes les vies sont à Moi, la vie du père comme la vie du fils, elles sont à Moi ».
Cette prise de position, apparemment si radicale, semble, à priori, se désintéresser totalement
de la souffrance humaine. Pourtant, il n’en est rien, car la miséricorde et la pitié sont également
des vertus décrites dans le Talmud comme spécifiques d’Israël. »
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Pour l’islam :
« La vie humaine est par essence sacrée. » « Quelle que soit la méthode avec laquelle on
met fin à une vie, cet acte ne peut être décrit que par l’homicide. » « Mais il est possible
d’interrompre les traitements, surtout quand il est devenu évident que la maladie est incurable.
Quand le malade est condamné et que la poursuite du traitement ne fera qu’allonger de quelques
temps sa durée de vie pour des souffrances supplémentaires. » « On peut administrer des
substances qui permettent d’atténuer la douleur puisqu’il n’y a pas en Islam l’idée que la douleur
serait souhaitable. Bien au contraire. »
Pour le bouddhisme :
« Pour le Bouddhisme, la Vie est sacrée : « Même tous les trésors de l’univers n’ont pas la
valeur d’une seule vie humaine ». Dans un seul instant de vie, 3000 mondes sont contenus, d’où
l’importance de chaque seconde d’existence gagnée qui permet de faire progresser sa vie. » « Si le
problème de l’euthanasie et du suicide assisté est posé, c’est parce qu’à moment donné, la
souffrance endurée par un être humain le submerge et c’est la seule issue qu’il envisage face à cette
souffrance. »
Dans le cas de l’euthanasie, ce sont ces deux éléments qui entrent en relation et en conflit,
comme l’exprime le judaïsme :
« La question de l’euthanasie consiste donc, en fait, en un conflit d’intérêts qui touche tout
spécialement des points de sensibilité juive : le souci explicite du judaïsme d’atténuer la souffrance
humaine doit être pesé face à la sainteté de la vie elle-même. »
Comment répondre à ces deux impératifs ? On ne pourra peut-être le faire qu’en considérant
que la vie est un concept plus large que la vie biologique, en y intégrant ainsi les notions de relation,
de dignité, de morale, comme les protestants le soulignent :
« Le protestantisme puise la source de sa foi et de ses convictions dans la révélation
biblique. Or, le livre de la Genèse trouve nécessaire de dire que Dieu, créateur de la vie, éprouve
également le besoin de la bénir. Cela semble indiquer que la vie dont il est le sujet est plus que
simplement la vie biologique. Ainsi, le protestantisme insiste, on le sait, sur l'aspect culturel et
relationnel de la vie. »
1. Contre l’acharnement thérapeutique :
Ainsi, nous pouvons comprendre ou accepter le fait que le respect de la vie englobe aussi le
fait de soulager la souffrance. C’est ce qui permet aux religions ou spiritualités de refuser, de
manière unanime, ce qui serait considéré comme « un acharnement thérapeutique », dans la
mesure où il entraînerait un surcroît de souffrance.
Pour le judaïsme :
« Il semble donc possible d’affirmer que si le judaïsme s’oppose à l’euthanasie proprement
dite, il réprouve également « l’acharnement thérapeutique » dès lors que celui-ci entretient ou
augmente la souffrance sans véritable espoir de guérison. »
Pour le catholicisme :
« Consentir à la mort qui vient, sans obstination déraisonnable ni abandon, ce n'est pas de
l'euthanasie passive, c'est un accompagnement humain. »
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Pour le protestantisme :
« L’acharnement thérapeutique ferait passer la personne au second plan au profit de la
technique médicale. »
Pour l’Islam :
« Le malade peut donc choisir de ne pas se soigner. Ce faisant, il ne commet aucune faute
selon l’éthique musulmane. »
La difficulté réside dans l’estimation des limites à poser dans l’un ou l’autre cas. Limite à
une demande d’assistance à la mort, limite à un traitement devenu “déraisonnable”.
2. Pour une décision collégiale :
Il y a, en tout cas, accord pour dire qu’une décision ne peut être que collégiale. Ainsi, pour
le protestantisme :
« Les églises protestantes encouragent, en tout cas, la prise de décision transparente et
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collégiale par des équipes médicales avec l’accord des familles. »
Et pour l’orthodoxie :
« En outre, malgré le secret du dialogue du malade avec son médecin, celui-ci ne peut agir
seul. Il est nécessairement aidé par un consei1 professionnel et ecclésial, assorti d'une participation
familiale éclairée. »
3. Chaque situation est singulière :
Ce dernier point s’accompagne d’une autre réflexion qui lui est liée : il s’agit de ne pas
légiférer dans ce domaine de manière trop générale car chaque situation est singulière.
Pour le judaïsme :
« Une famille Juive doit poser la question aux autorités Rabbiniques car chaque cas est
différent des autres. »
Pour le protestantisme :
« Aucune loi ni instance morale ne doit supprimer la responsabilité pénale et éthique des
médecins et de l’entourage. »
Pour l’orthodoxie :
« Dans ce débat tragique de la conscience, la législation ne peut rien infléchir, au début,
tout au moins, car elle est générale et anonyme. La souffrance particulière lui échappe. Le
juridique, d'où qu'il vienne, ne peut rien régir, par lui même, sans le contrôle du discernement
spirituel. »
4. Pour le développement des soins palliatifs :
Tous s’accordent pour souligner et encourager le développement des soins palliatifs qui
sont, en partie, une réponse à la question de la souffrance.
Pour le catholicisme :
« Les soignants et les accompagnants des soins palliatifs nous révèlent que derrière le désir
d'en finir, il faut entendre le désir souvent non exprimé : celui d'être accompagné humainement
jusqu'au bout. »
Pour le protestantisme :
« Depuis la loi Kouchner du 9 juin 1999, les soins palliatifs sont un droit mais le nombre de
médecins formés dans ce domaine reste insuffisant. Les soins palliatifs doivent donc être
développés et encouragés. »
Pour l’orthodoxie :
« Grâce aux soins palliatifs, cet accompagnement du patient, en situation limite, est devenu
plus efficace et plus serein, surtout quand la décision a été prise, en équipe, dans le respect de la
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dignité du malade, d'éviter toute forme d'acharnement thérapeutique et de préparer
psychologiquement et spirituellement le malade si sa capacité réceptive le permet. »
« Ce mode d'accompagnement vers la fin de la vie s’articule, notamment, sur l'apaisement
de la souffrance morale par la présence humaine et si possible spirituelle au chevet du malade et
sur la lutte contre la douleur physique y compris jusqu'à l'endormissement de la conscience. »
Pour l’islam :
« Le désir de mort découle de la douleur. Si celle-ci est atténuée, le désir de vie qui découle
de l’instinct vital de chaque individu reste le plus fort. Dans cette optique, les soins palliatifs qui
permettent d’accompagner humainement une fin de vie, proposent une autre solution que de faire
l’acte qui mettra fin à la vie du patient. »
5. Contre un « droit à mourir » :
Il ne peut donc, en tout cas, être question d’instaurer un « droit à mourir » qui ne ferait, par
ailleurs, que poser plus de problèmes qu’il n’en résoudrait.
Pour l’islam :
« Comment définir le seuil à partir duquel la souffrance sera qualifiée d’insupportable, en
sorte que, au-delà de ce seuil, l’acte de tuer soit dépénalisé alors qu’en deçà, il constitue toujours
un crime ? Etablir cette exception euthanasique, c’est ouvrir la boîte de Pandore ; les retombées
pourraient être fort incalculables. »
Pour le catholicisme :
« En revanche l'injection d'une substance mortelle pour arrêter la vie d'une personne, même
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si la demande est faite par le malade lui-même, est une violence morale tout aussi scandaleuse que
de ne pas soulager la douleur, car elle est une grave violation de la loi de Dieu.
Cette affirmation, fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu, écrite et transmise par
la Tradition de l'Eglise, s'applique aussi bien à ce qu'on appelle le « suicide assisté » qu'à
l'euthanasie pratiquée sans le consentement du malade. »
Pour le judaïsme :
« Dans la mesure où la Tora interdit catégoriquement le suicide, il est clair que le fait de se
donner soi-même la mort ou d’autoriser les autres à accomplir l’acte fatal par la rédaction d’un
testament, comme le préconisent les partisans de l’euthanasie, ne modifie en rien les données du
problème : pas plus qu’un autre homme, le malade n’est réellement maître de son corps et de sa
vie. »
6. Examiner l’intention du geste :
Finalement, le point essentiel réside dans l’intention du geste qui est pratiqué : le
soulagement de la souffrance, sans la volonté de hâter ou provoquer la mort.
Pour le catholicisme :
« Dans ce cas en effet la mort n'est pas voulue ou recherchée, bien que pour des motifs
raisonnables on encourre le risque ; on veut simplement atténuer la douleur de manière efficace en
recourant aux analgésiques, dont la médicine permet de disposer. »
Pour le judaïsme :
« Tout dépend de l’intention du praticien et, partant, de la dose prescrite. Si on vise
explicitement à abréger la vie, à dose toxique, et à fortiori létale, cela est catégoriquement interdit.
Mais si on ne vise que le soulagement du patient, à dose apaisante, cela est non seulement permis,
mais recommandé, malgré le risque fatal encouru. Même si la mort survenait, la responsabilité du
médecin (ou de l’infirmière) serait dégagée en vertu du principe de « l’acte non-intentionnel ». »
« Le soulagement doit être donné par une dose qui soulage et qui ne hâte pas la vie. »
Il est donc fait appel ici à la conscience et à la responsabilité de chacun, face à un choix
qui restera toujours difficile.
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7. Quelle responsabilité ?
Ceci dit, si la mort survient comme conséquence d’un geste que l’on a accompli, sans
intention de l’avoir donnée, les religions et spiritualités affirment que la responsabilité finale de la
mort ne repose pas sur la personne humaine. Elle reste un domaine qui échappe à une maîtrise
totale par le simple fait, par exemple, que nous ne saurons jamais précisément à quel moment elle
va intervenir.
Pour le judaïsme :
« L’âme tout comme le corps, appartient à Dieu ; c’est lui qui l’a insufflée, à Lui seul
revient le droit de la reprendre. »
« Pas plus qu’un autre homme, le malade n’est réellement maître de son corps et de sa
vie. »
Pour l’islam :
« Dieu (ALLAH) a donné la vie et la reprend dans les conditions qu’Il veut. »
Pour le bouddhisme :
« Cette continuité est expliquée par la Loi de causalité : une cause produit toujours un effet
qui devient lui même une cause et une cause est toujours un effet d’une cause précédente.
La notion de karma est le fruit de cette loi et elle transcende vie et mort, comme quelqu'un
qui s’endort retrouve ses problèmes au réveil. D’où l’inutilité de mettre fin prématurément à sa vie
car ce que nous pensons fuir ne nous quittera que lorsque nous l’aurons intégré à notre vie. »
« Notre Vie connaît l’instant de notre mort, nous nous entraînons à avoir confiance en
notre Vie. »
Enfin, le catholicisme et le judaïsme comportent des « magistères » chargés d’indiquer le
“licite” et le “défendu”. Pour l’orthodoxie, le protestantisme ou le bouddhisme, il nous semble qu’il
est plus largement fait appel à la responsabilité individuelle, même si celle-ci n’est pas absente des
enseignements du catholicisme et du judaïsme. Chacun est invité ici à exercer la liberté de son
jugement en regard d’une responsabilité éclairée.
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« Au total, compte tenu de toutes ces données et de son absence de magistère central,
l'Eglise Orthodoxe, plutôt que d'éthique, préfère parler d'expérience spirituelle et humaine,
renouvelée constamment sous le règne de la Grâce divine, tout en reconnaissant la nécessité d'une
grille morale des valeurs, protégée par une législation éclairée, surtout si elle n'a pas été élaborée
sous les pressions médiatiques et émotionnelles. »
« Certains protestants pensent qu'une demande du mourant, d'être délivré d'un vain combat,
doit être écoutée et non jugée ; les protestants s’accordent en tous cas à dire que, conformément à
la loi sur le droit des malades, doit être respecté celui pour le malade de refuser une obstination
thérapeutique déraisonnable. »
« En bouddhisme, nous sommes responsables de nos actes, en lien avec la Loi de causalité
précitée, nous accompagnons donc chaque personne dans ses choix, même si nous l’encourageons
à ne jamais perdre l’espoir. » « Le caractère sacré de la Vie est donc mis en avant mais sans
jugement sur les choix de chacun. »
8. La loi Leonetti :
Le cadre actuel de la loi Leonetti correspond donc bien à ce que les religions ou
spiritualités enseignent et estiment devoir respecter. Elle permet cet équilibre entre deux exigences
difficiles à concilier : le respect de la vie et le soulagement des souffrances. Il ne saurait donc être
question de la modifier dans un sens ou dans l’autre, ce qui romprait ce fragile équilibre.
« La loi Leonetti ne contredit pas l’éthique Juive car elle permet d’utiliser un soulagement
qui permettra au malade en fin de vie, de ne pas souffrir ; en revanche, le soulagement doit être
donné par une dose qui soulage et qui ne hâte pas la vie. »
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« Un ami médecin qui est aussi bouddhiste est satisfait de ce cadre juridique car il est
relativement en accord avec sa conception bouddhique de la fin de vie. »
En conclusion, le catholicisme rappelle que :
« L'euthanasie est une fausse pitié et plus encore une inquiétante perversion de la pitié ; la
vraie compassion rend solidaire de la souffrance d'autrui, mais elle ne supprime pas celui dont on
ne peut supporter la souffrance. »
Et le protestantisme relève que :
« Le véritable défi devant lequel la société se trouve placée revient à permettre à chacun de
vivre au mieux sa mort et de ne pas en être dépossédé. La mise en œuvre résolue d'une politique de
soins palliatifs, d'accompagnement des personnes en fin de vie et de refus de l'acharnement
thérapeutique doit y conduire. Cette même détermination devrait permettre de réduire à des
situations rares et exceptionnelles les demandes d'euthanasie, sans toutefois réussir à éviter qu'elles
ne se posent plus jamais. »
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