pour sauver la médina de fès
Transcription
pour sauver la médina de fès
-l- POURSAUVERLA MÉDINA DE FÈS- A la veille du mille deux-centième anniversaire de la fondationde Fès,formulons le væu qu'un pas décisif soit fait pour sauverla Médina. Sa valeur historique n'est plus à démontrer.Nous dirons seulementqu'il n'existe pas, dans tout le monde arabe,une deuxièmeville manifestantavec autantd'homogénéitéce que nouspouvonsappelerl'urbanismeislamique.Il faut en effet allerjusqu'en Asie, à Ispahanou à Hérat,pour en trouverd'autresexemplesaussipurs et complets. Fèsestuniqueen tant qu'héritièrede I'anciennecivilisationarabo-andalouse. Les occupantsfrançais ont bien reconnu cette valeur de la Médina, et c'est à leur instancequ'ont été promulgués une série de décretschérifiens protégeantses monuments,y compris les rempartset jusqu'à I'aspectgénéralde la ville. Ces décretssonttoujoursvalableset ont eu le mérite d'avoir conservéI'ensemblede I'ancienneville jusqu'à une époquerécenteoù les événements les ont dépassés. Forcenousest de constaterqu'ils sontdevenusinsuffisants,sansdouteparceque leur applications'est fondéesur une conceptiontrop statiquede la ville, laquelle a peu à peu été considéréecommeun muséeet non commeun organismevivant. Or, il n'est plus possibled'isolerles préservations du patrimoinearchitecturaldes problèmes urbanistiquesd'un ordre plus général. En Europe même, les restaurationsd'anciennescités entreprisesdepuisla dernièregueffe mondialeont démontréqu'on ne peut pasvalablementconserverun monumenthistoriquesans conserverl'ambiance dont il fait organiquementpartie, et que cette ambiancene peut être maintenueen vie que si I'on garantitles conditionsdont elle dépend naturellement.Un édifice comme la grande mosquée El-Qaraouiyine,par exemple,ne seraitplus ce qu'il est si, au lieu d'être entouréd'étroitesruelles,il était bordé de routes pour automobiles:non seulementun tel changement détruirait le contrastesi fascinant entre le dédale clair-obscur des souks et le vaste espacede la mosquée ouverte sur sa cour intérieure mais, sur le plan communautaireégalement,la mosquéeperdraitson caractèrede refuge inviolable et imperturbableau cæur mêmede la cité. . Conferencedonnéelors de la première séanceplénière de l'Associationpour la Sauvegardede Fès tenue le I7 fevrier 1973 dans la résidencedu Pacha de Fès, M. Berrada. 4 Le classementdes monumentshistoriquesétait suffisant aussi longtempsque perturbé.ce qui n'est plus l'équilibrevital de la médinan'était pas sensiblement le cas aujourd'hui,sansqu'on puissedire pour autantque la médinade Fès est une ville mourante.C'estune ville bien vivante,au contraire,et qui n'est guère lassede vivre savie à elle. Seulement,elle souffred'uneperturbationqui I'atteint de I'extérieur,par un choc en retourde ce qui se passeen dehorsd'elle, car c'est I'exodede nombreusesfamillescitadinesvers la ville nouvellequi a crééle vide que les campagnardsen quête de travail remplissent aussitôt. En soi, cette émigrationd'élémentsruraux n'est pas un mal - elle a toujoursexistédansune par leurs certainemesure- mais dès que les maisonspatriciennesabandonnées anciensoccupantsse transformenten immeubleslocatifsà loyer réduit,la densité de la populations'accroîtau-delàde ce que la structuretraditionnellede la ville est capabled'assimiler.De bellesdemeuresbourgeoises se dégradenten taudissi les maisonsconstruitespour abriterune seulefamille en accueillentjusqu'à huit, seizeou davantage.groupéesautour du même patio qui perd ainsi tout son sens. celui de I'intimité sacréeque l'islam attribue à la vie familiale. La voirie également devient insuffisante et d'anciennesrues artisanalesfaites pour s'y promenerpaisiblementcharrientdes flots humains.La dégradationde quartiers entiersrisque d'entraînerla ruine de tout de qui constitueI'incomparablebeauté de la ville. Heureusement les chosesn'en sont pas encorelà. Il est encoretemps de redresserl'équilibre de la vie urbaine.Mais plus on attendpour guérir,plus les solutionsqui s'imposentserontbrutales. Rien ne serait plus néfaste,à notre avis, que d'appliquer à la médina des solutionsqui ne conviennentqu'à des villes européennes. Une ville comme la médinade Fès obéit à une loi d'équilibreentièrementdifférenteet que I'on aurait tort de considérercomme désuète.En un certainsens.l'équilibre inscrit dansla structuremême de la ville représente, encoreaujourd'hui,un idéal d'urbanisme: pour les architectes d'aujourd'huicommepour ceuxd'hier, le type de la maisonà patio restela solutiond'une architecturequi se veut indépendante de la rue, du trafic, du bruit et des pollutions.Il est vrai que ce type de maison résultedu climat de I'islam qui fait de chaquepère de famille un imdm, mais cette forme architecturalen'en est que plus significative.La séparationentre le domaine familial et celui de la vie publiqueet professionnelle se retrouved'ailleursaussi dansla dispositiondes quartiersrespectifs:au lieu de présenterleurs façadessur les grandesartèresdu trafic, les maisonsbourgeoisess'en détournentvolontiers, généralement, que par de petitesruellesqui s'éloignent ellesne sont accessibles des artèresprincipaleset qui, par leur étroitesse,découragentla circulationplus qu'elles ne I'invitent. Là encore,la structurede la médina résout d'avanceun problèmequi préoccupeles urbanistesmodernes:commentséparer,sanstrop les dissocier,la cité commercialeet les quartiersrésidentiels. La <cité>commercialeau centrede la ville. ce sontles souksau seindesquelsles métiers sont groupéspar corporationset où la production artisanalese déroule, pour ainsi dire, sousles yeux du client, ce qui représenteà sa manièreun idéal depuislongtempsrecherchépar les sociologuesmodernes: l'équilibre entre la solidaritécollectiveet la libre initiativede I'ouvrier individuel.Car il est faux de dire que cette organisationcorporative.qui existetoujours de fait sinon de droit, étouffait la créativité individuelle. Elle n'excluait pas la cornpétitionmais empêchaitefficacementtoute concuffencedéloyale. Les artisansreprésentent d'ailleurs,avecles savants,l'élémentle plus stablede la populationurbaine,et cela pour des raisonsévidentes.Il est donc à souhaiter qu'ils demeurentdans la médinaet qu'on leur y facilite de toutesles ntanières possiblesla vie et le travail. Un de leurs principaux problèmesest celui du transportdes matièrespremières, transportqui était facilité naguèrepar I'existencede nombreux fondouksservant d'entrepôtsle long des principalesartères.cellesqui vont des portesde la ville aux marchéscentraux.C'est là égalementune dessagesinstitutionsde I'ancienne ville, institutionqui mérited'être rénovéeet adaptéeplutôt que d'être rejetéeen faveurdu trafic motorisé. Mentionnonsenfin, pour ne pas oublier un des facteursd'équilibre de première importance, la domesticationde I'oued Fès dont les eaux alimentent de nombreusesfontaines, privées ou publiques, avant d'emporter avec elles les impuretésvers I'oued Boukhrareb.Or, la pollution de I'oued Fès menacela vie m ê m ed e l a mé d i n a ... Il y aurait encorebien d'autresélémentsde l'équilibre urbain à mentionneret, parmi eux. I'enseignementreligieux qui rayonnaitjadis de la rnosquéeElQaraouiyine,centred'attractionnon seulementpour les étudiants,les tolba,mais aussipour les simplesgensdu peupleet notammentpour les artisans. Que cesquelquesindicationssuffisentpour rappelerqu'uneville commeI'ancien Fèsest un organismevivant, un organismeayantsa loi propre,à la fois physique et spirituelle,et que tous les efforts entreprisen vue de la préservationdes biens culturelsdoivents'inscriredansune telle lue d'ensemble.En d'autrestermes,si I'on veut conserverles monumentshistoriqueset artistiquesde Fès, il faut avant tout chercherà restaurerl'équilibrevital qui, lui, est inscrit dansla forme même de la ville. 6 Pour beaucoupde Marocainsqui ont fui I'univers clos d'une médina,le nom de celle-ci évoque tout ce qui est arriéré, accablant,et le développementultérieur desvieilles villes, avecleur population,leur misèreet leur inévitablemanquede propreté,semble donner raison à ce vague sentiment.Le mouvement<hors des remparts>et vers de nouveauxhorizonsa existéen Europeégalement.Là comme ici, les anciennescités ont été vouéesà la dégradationen quartiersmisérables,à moins qu'une restaurationméthodiquene soit intervenue.Très souvent,on a commencépar restaurerles monumentshistoriques,puis on s'est aperçu que cette restaurationne pouvait aboutir sans que I'on restitue les noyaux entiers d'anciennesvilles et, à la fin, des quartiersjadis abandonnésdevinrent les quartiersrésidentielsles plus recherchés. Le mouvements'inversa.On revint aux villes-citéspour y trouvertout ce que les villes modernesne peuventoffrir, soit le calmeet, plus que le calme,une ambiancequi possèdeune âme. On introduit,il est vrai, certainescommoditéstrès modernesdansles anciennes demeures,mais sansles défigurer.Et I'on ne sacrifiepas toujoursles anciennes ruellespour piétonsà la circulationmotorisée.N'oublionspas que la vieille ville la plus visitée d'Europe est Venise,où la circulationest interdite;c'est là une consolationet une promessepour Fès. Si la médina de Fès fascinele visiteur étrangerpar la richessede ses valeurs architecturales. elle le fascineet I'enchanteencorebien davantagepar le fait que le rythme de la vie, en médina, se trouve en parfait accord avec cette scène architecturale. La grandeæuvreque l'on ne retrouvepasfacilementailleurs,c'est I'unité de I'art et de la vie. De ce fait, I'obstacleque l'exiguité des rues de la médina de Fès fait au trafic motorisépeut se révéler comme un avantage,qu'un <tourismeculturel>bien organisésauramettreen valeur.La visite de Fès mérite d'être plus qu'une brève étape d'un voya-qevers les plages atlantiques. L'assainissement de la rnédinaestune nécessitéde ce point de vue également. Mais nous pensonsmoins aux touristesqu'aux Marocainsde la générationà venir. Ayant eu, dès leur enfance, une expérienceplus continue du monde moderneet européen,ils aurontpeut-êtrepour les vieux quartiersde Fès d'autres yeux que ceux de leurs pères.Nous ne savonspas quand le <retourvers les sources)) auralieu en ce pays,mais il se produiracertainement. Et ce seraitgrand dommagesi I'image de Fès, I'antiqueFès el-Bali, la ville porteusede tant de lumièrede l'islam, s'effritaitentre-temps. Et voici les actions que nous aimerionsentreprendreet pour lesquellesnous demandonsvotre aide : 1 . Un classementplus complet des monumentset des sites à protéger,y compris les maisons bourgeoisesde qualité historique ou artistique.Ce classementdevracomporterune échellede prioritéset prévoir égalementla valorisation de certains édifices privés par leur intégration dans des ensembles d' utilité publique. 2 . Un relevé photogrammétriquede la ville afin de pouvoir contrôler la constructionclandestineet effectuer,si nécessaire,des entailleschirurgicales dansles quartiers<pourris>de la ville. 3 . L'élaboration d'un programmede mise sur pied d'une écoleet d'un musée des arts traditionnels.Le but d'une telle école,qui est d'ailleursprér,uedans le plan quinquennaldu Ministère de la Culture, c'est d'empêcher la rapidede l'artisanatde qualité. dégradation 4 . Collaborerà une associationpour la sauvegardede la rnédinade Fès. Il faudrafaire, au moins, ce qui a été fait pour la médinade Tunis. pour le tourismeculturel. 5 . Fairedessuggestions 6 . Il nous reste à souhaiter la création d'une commission destinée à la dansla sauvesarde coordinationdes diversserviceset orsanismesintéressés de la médina.