Les mille et une Fès
Transcription
Les mille et une Fès
voyage 192 Où manger Se renseigner Les mille et une Fès Déroutante, mystérieuse, fascinante. La plus grande et la plus ancienne médina du Maroc est un véritable méli-mélo de sons, d’odeurs et de couleurs. Texte et photo Laurence Ogiela 1 À l’écart des circuits touristiques classiques, pas en bord de mer ni en plein désert, au cœur du M oyen Atlas, Fès est la plus ancienne ville impériale du Maroc. La plus authentique. Et aussi la plus religieuse. On n’y vient pas pour bronzer comme à Essaouira, ni pour faire la fête comme à Marrakech ou à Tanger. On y vient pour s’imprégner de sa clameur millénaire. Capitale culturelle et spirituelle du royaume alaouite, elle offre une parenthèse presque mystique dans un monde moderne où tout va trop vite. Chaque année au mois de juin, Fès organise le F estival des musiques sacrées du monde. La ville résonne alors des sonorités musicales intemporelles des grandes religions monothéistes et organise des débats et des expositions autour du dialogue des cultures. La manifestation, qui aura lieu cette année du 8 au 16 juin, investit comme autrefois toute la médina, de la place Bab Bou-Jeloud aux somptueux patios des riads. Fès a toujours été au carrefour des cultures et son université Quarouiyine lui a valu son surnom d’« Athènes de l’Afrique ». C’est une femme, Fatima El Fihriya, qui l’a fondée en 859. Ce joyau de l’art islamique, qui fut longtemps l’université phare du monde musulman, est interdite aux non-musulmans. Néanmoins, à travers les quatorze immenses portes en cèdre grandes ouvertes Office national du tourisme marocain : www.visitmorocco.com Infos gays : www.kifkifgroup.org Festival des musiques sacrées du monde : www.fesfestival.com À savoir Change : 1 € = 11 dirhams. Décalage horaire : - 1 h. Comment y aller pour les fidèles, on peut apercevoir les magnifiques fontaines en mosaïque et les superbes colonnes sculptées (1). On peut, par contre, visiter les splendides medersa, les écoles coraniques, disséminées dans la médina. Un voyage dans le temps Si la ville moderne, Fès El Djedid, a été construite au temps du protectorat français, la médina, Fès El Bali, n’a pas bougé depuis 1 200 ans. Elle est classée au Patrimoine mondial de l’humanité. Vu d’en haut, les maisons forment un labyrinthe inextricable où l’on pourrait circuler en sautant d’une terrasse à une autre. Mis à part le chant du muezzin qui se répand de minaret en minaret, la ville paraît endormie. Mais, une fois franchie Bab BouJeloud, la plus belle des sept portes que compte la médina, tout n’est que bruit, profusion de couleurs et de sensations. On s’égare facilement dans les 9 400 ruelles, et il ne faut pas hésiter à demander son chemin. Les Fassis se font un plaisir de vous accompagner à bon port, parfois contre un modeste bakchich. La Talaa Kebira (ou sa jumelle, moins charmante, la Talaa S eghira) qui part de Bab Bou-Jeloud est un bon fil d’Ariane : elle traverse la médina du nord au sud. Si on se perd – ou plutôt à chaque fois que l’on se perd –, on retombe dessus. Têtu MARS 2012 EasyJet propose des vols directs Paris CDG-Fès trois fois par semaine : aller simple à partir de 39,99 € par personne. www.easyjet.com Royal Air Maroc propose des vols quotidiens directs Paris Orly SudFès : A.-R. à partir de 195 € par personne. www.royalairmaroc.com Séjourner Comptoir du Maroc propose un forfait de 4 jours-3 nuits en riad en chambre double avec petits-déjeuners, vols direct Paris-Fès et transferts aéroport à partir de 620 € par personne. Rens. : 0 892 237 737 ou www.comptoir.fr 2 Aussitôt dans l’enceinte de la vieille ville, on est happé par le flot des badauds dans des effluves d’agneau grillé, de fruits, de menthe, de cumin (2)… Dans les venelles étroites et sinueuses, sous la lumière ombragée des lattis de roseaux, c’est l’effervescence. « Balek, Balek ! » (« Attention ! ») Aux cris des muletiers, il faut rapidement se pousser pour laisser passer les charrettes débordantes de marchandises. L’office de tourisme de Fès a imaginé quatre itinéraires thématiques marqués d’étoiles de différentes couleurs pour visiter la médina. Les étoiles orangées suivent les murailles et les fortifications qui encerclent la cité, les bleues indiquent les monuments et les souks, les vertes pointent le chemin des palais et jardins andalous et les étoiles noires tracent le circuit de l’artisanat. Plus de trente mille artisans travaillent au cœur de Fès El Bali. Organisés en quartiers distincts, les souks des teinturiers, des tanneurs, des ferblantiers, des forgerons, des dinandiers, des menuisiers, des maroquiniers, des bijoutiers, des vendeurs de tapis ou de tissus constituent une mosaïque complète de l’artisanat marocain. Sur la place Seffarine, un martèlement régulier annonce le travail des chaudronniers qui confectionnent d’immenses marmites et des dinandiers qui sculptent des plats en étain. Le plus impressionnant reste la Chouara, le souk des tanneurs. L’odeur sucrée et poivrée des fruits secs et des épices laisse place à la puanteur d’une vieille bergerie. Les touristes, à qui on offre des feuilles de menthe pour lutter contre l’odeur nauséabonde, sont invités à monter sur des terrasses panoramiques pour découvrir un spectacle saisissant. Dans des alvéoles en terre remplies de pigments >>> Où dormir Riad Fès : un sublime riad de luxe au cœur de la médina où les 30 chambres allient tradition et modernité. La table est particulièrement réputée et un nouveau spa Cinq Monde vient d’y ouvrir ses portes. Chambre double avec petits-déjeuners à partir de 155 € la nuit. 5, Derb Ben Slimane, Zerbtana. www.riadfes.com Riad Laaroussa : un riad à la décoration épurée et parfois insolite, comme cette chambre avec des théières en guise de robinets et des plantes vertes à la place des rideaux de douche. Chambre double avec petits-déjeuners à partir de 110 € la nuit. 3, Derb Bechara, Talaa Seghira. www.riad-laaroussa.com Riad 9 : un magnifique riad dans le plus pur style fassi, en plein cœur de la médina, tenu par Stephen et Bruno. Accueil très chaleureux et délicieux petits-déjeuners marocains sur la terrasse. Possibilité aussi de déguster de bons petits plats fassis. À partir de 100 € la chambre, avec petit-déjeuner et transfert depuis l’aéroport. 9, Derb el Masid, Médina. www.riad9.com Têtu MARS 2012 La Maison Bleue : pastillas sucrées-salées, au pigeon ou au lait et aux amandes, tagines subtils et cornes de gazelle fondantes, la gastronomie fassi servie ici est l’une des meilleures de la ville. 2, place Batha. La Maison Blanche : le restaurant parisien des frères Pourcel a ouvert une succursale à Fès. Design, branché et cuisine fusion marocaine. 12, rue Ahmed Chaouki. Resto Bruno : le dernier-né des restaurants de la médina. Excellente cuisine à base de produits locaux et frais, tenu par un passionné de gastronomie, Bruno, du Riad 9. 7, Zkak R’Ouahe, Souiket Ben Safi, Médina. Où boire un verre Hôtel des Mérinides : la meilleure vue sur la médina le soir au coucher du soleil, en dégustant une bière locale, au son d’un remix fassi de Marcel et son orchestre, ou plutôt Abdou et son synthé. Borj Nord. www.lesmerinides.com Café Clock : tenu par le très sympathique et british Mike, ce café culturel cosmopolite propose aussi couscous, tagines et falafels, ainsi que des cours de cuisine, d’oud, de calligraphie, de danse du ventre… Super terrasse pour siroter un thé à la menthe et rencontrer globetrotters en goguette et Fassis friendly. 7, Derb el Magana, Talaa Gbira, Médina. www.cafeclock.com À lire Un grand week-end à Fès et Meknès, Hachette Tourisme, 10,75 €. Tous les prix indiqués s’entendent taxes comprises (TTC). voyage 194 « Zamel ! » 4 >>> rouges ou jaune safran, des tanneurs immergés à mi- cuisses plongent inlassablement des peaux de bête pour les colorer (3). On se croirait dans un tableau du peintre orientaliste Eugène Delacroix. Ici, le temps s’est figé. Depuis le Moyen Âge, ces hommes répètent le même ballet immuable. 3 Le chahut enivrant de Fès… Aujourd’hui encore les « maalems », les maîtres artisans de Fès, prouvent chaque jour leur savoir-faire ancestral en restaurant des fondouks, medersa, palais et autres riads à l’architecture arabo-andalouse, comme le riad Laaroussa (4). Certains, tel le riad Fès (5), classé Relais & Châteaux, ont été somptueusement rénovés dans le respect de la tradition par des propriétaires marocains amoureux de leur précieux patrimoine. Du sol au plafond, les murs sont recouverts de zelliges. Les colonnes sculptées de stuc, semblables à de la dentelle, et les meubles soigneusement choisis ajoutent à l’alchimie parfaite du luxe et des traditions. Le Pavillon contemporain, une nouvelle aile moderne imaginée par l’architecte Christophe Pillet, vient compléter les styles alaouite, andalou et baroque andalou de l’hôtel. Si certains r iads respirent l’opulence, d’autres présentent au contraire un raffinement simple. Mais, dans toutes ces maisonsjardins, organisées autour d’un patio, on retrouve une fontaine centrale ombragée et rafraîchissante, ainsi que des salles de bains en tadelakt. Autre bijou de la médina, caché au fond d’un dédale de ruelles mystérieuses, le Riad 9. Tenu par Stephen et Bruno, ce riad du 18e siècle minutieusement restauré est un écrin de tranquillité, une bulle de paix et d’intimité dans le chahut enivrant de la ville. 5 Poussez la lourde porte, et vous serez charmé par un ensemble majestueux de zelliges, mosaïques et plâtres sculptés qui accueille des objets vintage chinés dans le monde entier. Cerise sur le gâteau, les propriétaires des lieux sont une mine d’informations sur Fès, une ville vraiment déroutante au premier abord. Pour mieux la dompter du regard, montez sur la terrasse du riad qui domine toute la médina. On voit les remparts de la vieille ville, des ruines romaines, l’Atlas au loin… Au coucher du soleil, en admirant le panorama, on n’a aucun mal à imaginer que la clameur de la ville, qui circule de terrasse en terrasse, est la même depuis des siècles. Têtu MARS 2012 Le « h » d’homosexualité est au Maroc synonyme de « hchouma » (honte) et de « haram » (péché). L’homosexualité y est illégale et punie par la loi de six mois à trois ans de prison et d’une amende de 120 à 1 200 dirhams (10 à 110 €). Les touristes ne sont que rarement inquiétés par les autorités. Sauf en cas de prostitution. Il faut donc rester vigilant lors de rencontres sexuelles ou amoureuses. Les homos marocains sont souvent insultés (« zamel » pour pédé), persécutés et vivent secrètement leur orientation sexuelle. Dans le meilleur des cas, ils sont moqués, dans le pire, ils sont tabassés. Dans un pays où l’islam est religion d’État et le roi « commandeur des croyants », tous les sujets touchant à la sexualité sont tabous. L’homosexualité, le plus grand des tabous, est considérée comme une déviance sexuelle. Pourtant, l’espoir est là. De jeunes Marocains ont entrepris de faire évoluer leur société : en 2004, Samir Barghachi a créé l’association de défense des LGBT marocains, Kifkif. Le nom signifie « homo » en arabe et aussi « comme moi ». L’association travaille depuis Madrid. En 2010, elle a lancé Mithly, le premier magazine LGBT marocain en arabe, en version papier et sur un site internet dédié. Le premier numéro, imprimé à Rabat, a été diffusé clandestinement à 200 exemplaires. Leur objectif : « Faire l’union entre notre identité sexuelle, les fondements de notre civilisation et l’identité du Maroc. » Une initiative qui mérite respect et soutien de la communauté LGBT internationale.