Nouveau Centre Social et Culturel Fondation la Caixa à Madrid

Transcription

Nouveau Centre Social et Culturel Fondation la Caixa à Madrid
Nouveau Centre Social et Culturel
Fondation la Caixa à Madrid
Créer dans le créé, versus Herzog & de Meuron
Commandé à l’agence bâloise par la Caisse d’Epargne de Barcelone pour sa Fondation, le nouveau
CaixaForum se dresse sur une parcelle recomposée située au niveau du 36 Paseo del Prado, juste en face
du jardin botanique de Madrid.
Après celui de Barcelone construit en 2002 par Arata Isozaki, ce nouveau concept de centre socio-culturel
est instantanément devenu un phare de la capitale ibérique. Il a vocation d’être un lieu citoyen, d’expositions
artistiques, de représentations musicales, de rencontres publiques et d’épanouissement des cultures…
L’ambition de ses auteurs était d’en faire un véritable « aimant urbain », conçu non seulement pour attirer
les amateurs d’art mais aussi la population madrilène et les nombreux visiteurs cosmopolites de ce quartier
de Madrid proche des musées Prado, Thyssen-Bornemisza, Renia Sofia et de la gare d’Atocha construite
par Raphael Moneo…
Offrant une surface de 11.000 m2, cette nouvelle adresse des arts est localisée en lieu et place d’une
ancienne centrale électrique et d’une station-service à la présence anachronique. Si les murs de briques
classés de la Centrale imposait une reconversion les préservant, en revanche la démolition du garage a été
une aubaine puisqu’elle a permis de dégager, dans ce quartier très dense, l’espace d’une petite piazza,
instaurant une respiration entre le Paseo del Prado et l’édifice reconverti.
Dès son inauguration en février 2008, la CaixaForum a immédiatement suscité l’intérêt et la curiosité du
public alors que sa programmation culturelle, bien que de qualité, était reléguée au second plan. Ouvert de
10 heures à 20 heures avec accès gratuit, le bâtiment voit défiler des cohortes de curieux, de touristes,
d’étudiants, d’amateurs d’art qui baguenaudent dans les étages. Il a aussi son quota d’hommes d’affaires à
l’heure du déjeuner et de jolies dames madrilènes qui viennent s’asseoir dans le restaurant à l’heure du thé.
Creuser, surélever, happer entre les deux
Le volume de la centrale étant trop exigu pour accueillir l’ensemble des fonctions définies par le programme,
il y avait trois solutions d’extension : creuser, surélever ou doubler le bâtiment existant d’un clone érigé sur
la piazza, au risque de la remplir et de réasphyxier le site. Ce sont les deux premières qu’Herzog et de
Meuron ont choisies et combinées en rivalisant de virtuosité architecturale comme technique.
En effet, la coque de brique toute entière a été suspendue ; une fois mise en lévitation, son soubassement
de pierre de taille a été déposé sur toute la périphérie du rez-de-chaussée, dégageant ainsi une place
couverte au-dessus et au-dessous de laquelle est composé le projet en deux parties distinctes. Creusés sur
deux niveaux, sous-sols du bâtiment et de l’esplanade à ciel ouvert accueillent foyer, auditorium, locaux de
service et parkings. Leurs fenêtres anciennes obturées, repercés ça et là de nouvelles baies géométriques,
les murs de brique chemisés abritent quant à eux le lobby au premier étage, les salles muséographiques
aux second et troisième. Enfin, c’est dans un volume d’acier greffé au-dessus de ces parois d’origine que
restaurant et bureaux prennent place au faîte du bâti. Paré de sa mantille de métal rouillé et flanqué d’un
mur végétal – dissimulant le pignon d’un immeuble adjacent, fermant d’un côté la piazza – le nouveau Caixa
Forum, fruit d’un geste urbanistique simple et puissant, impose tranquillement son identité. La fente,
générée par sa suspension, happe littéralement passants et visiteurs dans le parvis couvert pour les
conduire vers l’entrée presque exiguë mais élégante du musée et son escalier. Amène, cet espace est, tour
à tour, un abri contre les intempéries l’hiver et une place ombragée l’été, rappelant le dicton madrilène :
"nueve meses de invierno, tres meses de infierno (neuf mois d'hiver, trois mois d'enfer)".
Une architecture de contrastes
La composition d’Herzog et de Meuron est remplie de contrastes. Visuels d’abord : juxtaposition de la
brique et du mur végétal de Patrick Blanc, ou encore celle du ciel avec la rouille du roof top. Cette peau
rouille (de panneaux 800 x 800 x 10 mm), est délicatement emboutie devant les parties pleines des façades
pour donner une matière, et perforée devant les parties vitrées pour laisser passer la lumière naturelle et
produire une autre texture. Contrastes d’ambiance ensuite : entre la place couverte et l’étage du lobby, entre
le caractère fluide des galeries d’exposition et les espaces aux spatialités plus complexes du dernier étage
dans circulation, bureaux, cafétéria.
L’entrée dans cette dernière est un moment d’émotion. Exposée sud-est sa paroi verticale est vitrée et
protégée par les plaques rouillées agissant ici comme autant de moucharabiehs. Cette dentelle métallique,
découpée sur un canevas pixélisé représentant des éléments cartographiques de l’Espagne et du Portugal,
filtre les rayons du soleil et installe une luminosité douce qui confère au lieu un caractère presque féminin.
Les chauffeuses bleues de Jacobsen et les suspensions en silicone conçus par Herzog et de Meuron font le
reste. Le soir l’effet visuel s’inverse : son éclairage interne transforme la cafétéria en phare urbain tandis
que celui s’échappant du parvis couvert balise à son pied l’édifice et magnifie sa lévitation.
Technique du Top and down
La métamorphose de la vieille centrale électrique a débuté par une véritable opération chirurgicale : le
maintien en l’air de ses murs de briques et de la super structure d’acier qui la surplombe est réalisé au
moyen de trois plots disposés en triangle et contenant les circulations verticales (ascenseurs, montes
charges et cage d’escalier). Cette superstructure constituée d’un réseau de poutres et de voiles porte
l’enveloppe de brique renforcée par un corset. Détaché du sol par le découpage de son soubassement, le
bâtiment défie les lois de la gravité, laissant plus d’un ingénieur pantois tant le parti constructif est
audacieux. Pour les parties souterraines, structures et fondations sont réalisées au moyen de techniques
traditionnelles.
Au dessus du niveau du sol, suspendu par onze tirants aux poutres du 2ème étage, le plancher du lobby
(R+1) est à lui seul un morceau de bravoure qui a permis de supprimer les poteaux sur la place couverte et
autorise la sous-face polygonale qui en constitue le plafond. Astucieux, c’est un sandwich à épaisseur
variable constitué par un ensemble composite dont la dalle de compression de 15 cm, les raidisseurs à
hauteur variable et la sous-face en acier forment un ensemble de caissons rigides liés entre eux et
suspendus aux tirants. Le parement visible du parvis couvert est constitué de polygones en tôle de 2 mm,
fixés aux caissons et raccordés entre eux par soudure. Leurs facettes multiplient les reflets du métal et
amplifient le volume de ce passage dont la hauteur est pourtant comptée. Cet habillage, ici carapace, se
poursuit dans l’escalier menant au lobby, où il se retourne en plaques triangulaires pour composer un sol
projetant aussi mille réflexions et offrant une sensation soyeuse sous le pied.
L’intérieur du lobby expose la mécanique structurelle de la suspension avec ses tirants au plancher du
2ème étage et ses poutres mixtes HEM 700 en acier laqué couleur gris métal. Structure et équipements
techniques de ventilation, de climatisation ou d’éclairage sont laissés délibérément apparents. Le fauxplafond est symboliquement suggéré par une maille triangulée en tubes de néon, pareille à une installation
d’art lumineuse. Les meubles des comptoirs d’accueil et du vestiaire, exécutés en bois sombre, sont
suspendus, à l’image de l’édifice, comme pour en répéter la lévitation.
Les niveaux d’exposition sont constitués par deux grands plateaux libres dont le réseau de poutres mixtes
apparentes a été doublé pour franchir la portée de 21 mètres d’un trait. Les planchers sont composées par
des poutres alvéolées HEB 750 espacées de 3 mètres, déployées à 916 mm et connectées à un plancher
collaborant (PL 76/383/1 mm) garni de béton pour former une dalle de 20 cm d’épaisseur. Disposé
méthodiquement, l’éclairage et la ventilation sont placés au milieu de chaque trame.
A partir du troisième étage, les murs en brique de la centrale s’arrêtent progressivement. Pour compléter le
volume nécessaire au programme, une ossature métallique a été rajoutée pour porter le plancher du
quatrième étage, les façades et la couverture de l’extension d’acier. Cette dernière a été « sculptée » pour
s’harmoniser au gabarit urbain des immeubles alentours et offrir une volumétrie découpée qui dégage en
toiture un aérien petit patio.
Abonnés aux programmes prestigieux, Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont avec le CaixaForum dans
un registre où on ne les attendait pas forcément. Ils surprennent par leur virtuosité dans cet exercice
difficile de la greffe architecturale et par la justesse de leur composition. Leur recours à l’artefact du mur
végétal – très couru aujourd’hui – apparaît tout à coup essentiel au projet. On est ici, assurément bien loin
des propos sentencieux du Corbusier qui disait à qui voulait l’entendre : "le lierre, c’est la mayonnaise de
l’architecture…". Chapeau bas les suisses !
Texte : Pierre Engel.
Principaux produits et marques utilises :
Maître d’ouvrage, Obra Social Fundacion « LaCaixa », Madrid, et Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelone.
Architectes, Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Harry Gugger. Chefs de Projet, Peter Ferretto (Ass.),
Carlos Gerhard (Ass.), Stefan Marbach (Ass.), Benito Blanco.
Architecte d’exécution, Mateu i Bausells Arquitectura.
Bureau d'études , NB35 Ingeniería
General Contractor, Ferrovial Agroman. BET Structures, WGG Schnetzer Puskas Ingenieure (Suisse). BET
MEP, Urculo Ingenieros. Consultant façade, Emmer Pfenninger Partner AG (Suisse) et Ehar (Madrid). BET
éclairage, Arup Lighting. BET Acoustique, Audioscan. Mur Végétal, Herzog & de Meuron en collaboration
avec Patrick Blanc.
Etudes 2001/2003 - Chantier 2003/2008.
Surface du site 1.934 mètres carrés ; piazza, 650 mètres carrés. Surfaces de plancher, 11.000 mètres
carrés.
Aciers, Arcelor Mittal. Suspensions lumineuses, Artémide. Sièges Cafétéria, Fritz Hansen.
Copyright © 2014 Constructalia. All rights reserved

Documents pareils