Laurent Salomé, conservateur au musée des Beaux
Transcription
Laurent Salomé, conservateur au musée des Beaux
Laurent Salomé, conservateur au musée des Beaux-Arts de Rouen. Je vais vous parler d’un des projets du musée des Beaux-Arts de Rouen1 qui questionne la relation de la création contemporaine avec notre musée des BeauxArts qui s’inscrit dans la grande tradition française avec sa collection d’art ancien et qui se termine en queue de poisson à la fin du XXe siècle. On se demande comment rétablir un lien avec la création contemporaine. Notre musée n’a jamais laissé de côté l’art contemporain depuis sa création au XIXe siècle, contrairement à d’autres musées qui ont lâché le train au moment du hiatus de l’entre deux guerres. Mais le problème est de recréer aujourd’hui un lien naturel avec la création contemporaine en choisissant des axes et des priorités. Il est intéressant de voir à quel point les artistes sont fixés sur le concept fascinant du cabinet de curiosités. C’est inquiétant pour nous, conservateurs de musée, de se dire que ce à quoi un artiste pense quand il pense musée, c’est le cabinet de curiosités, bien que l’idée de la vieille vitrine et son côté poussiéreux soit délicieusement poétique. Je vais vous montrer d’autres réflexions d’artistes menées sur le musée. Rouen ne conserve pas de collection sérieuse d’art du XXe siècle, à l’exception d’un ensemble de la famille Duchamp, qui détermine donc un premier axe fort, et d’un ensemble de Modigliani arrivé par donation. Mais il n’y a pas de collection d’art moderne contrairement à Nantes. L’exposition Champs de Vision : œuvres monumentales du Fonds national d'art contemporain faisait dialoguer des œuvres contemporaines dans un musée très typé de la fin du XIXe siècle. Par exemple, on exposait Les Policiers de Xavier Veilhan qui avait trouvé dans ce contexte une situation intéressante et les vélos d’Ann Veronica Janssens, une œuvre optique que les visiteurs étaient invités à utiliser dans l’espace du musée. Un grand luminaire de Philippe Parreno et de Pierre Huygue était installé dans une salle de la Renaissance assez sombre avec des tapisseries. Cette installation nous a permis d’expérimenter un moyen d’éclairage très performant, une sorte de lustre suspendu au plafond, diffusant une lumière convenant particulièrement bien à cette salle. Nous allons essayer de récupérer un certain nombre de ces luminaires pour quelques salles du musée. Ce type d’expositions, de dialogue, est devenu chose obligée dans les musées parisiens qui l’ont intégré comme élément naturel de la programmation. Ces interventions ce sont d’ailleurs d’abord développées dans des musées de région tels que Nantes : dans les années 1960, François Morellet, par exemple, avait installé ses bandes noires sur les sculptures du musée. Ce dialogue est souvent une façon très intéressante de montrer des œuvres qui n’ont pas forcément de rapport avec l’histoire du cabinet de curiosités et de les confronter à des œuvres plus anciennes. Cela permet aussi de s’interroger sur la manière de montrer des œuvres anciennes et de voir les enjeux que cela recouvre encore à notre époque. L’espace d’expositions temporaires du musée est encore très typé. Il s’agit d’une cour intérieure qui fut à ciel ouvert jusqu’à sa rénovation en 1992. Il n’y a pas eu de 1 www.rouen-musees.com projet d’extension du musée, même s’il en a été récemment question avec le départ de la bibliothèque municipale. La rénovation avait pour but la mise en valeur de l’architecture du XIXe siècle. Une commande a été passée à Felice Varini qui a eu la bonne idée de s’installer dans deux petits escaliers latéraux qui contournent un ascenseur, où le passage est devenu obligatoire pour le public depuis la rénovation. On peut voir la forme reconstituée de Varini grâce à un miroir de parking suspendu dans l’angle de l’escalier. Le travail que l’on fait dans les expositions et les acquisitions sont liés. On réfléchit à ce qu’est le musée et à sa nature. On travaille donc avec des artistes qui réfléchissent ou qui ironisent fortement avec l’institution muséale. Les musées français souffrent beaucoup d’une absence de regard critique. On s’étonne de voir des choses bizarres se faire et on ne réfléchit pas sur la modernisation de l’idée de musée. Le projet du musée de Nantes est un soulagement et un plaisir. Tout le monde est gentil avec les architectes stars mais personnellement je serais plus critique. Si on construit n’importe quoi c’est parce qu’on ne sait plus ce qu’est un musée. Modestement, par notre programme d’expositions, nous posons cette réflexion sur l’institution et son prestige. Nous avons acquis une fausse fausse sculpture du duo d’artistes rouannais Bertran Berrenger, Le Boul’ch, qui marche très bien puisque les visiteurs déposent de l’argent dans la coupelle placée devant. Ce duo, issu de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen, vit dans l’angoisse de faire partie de l’école impressionniste de Rouen, et a conçu un cube fermé fait avec six véritables tableaux de l’École de Rouen trouvés dans des collections privées – c’est la raison pour laquelle nous n’avons pu l’acheter – et suspendu dans la salle de l’École de Rouen, elle-même très fermée et saturée de tableaux. Cette œuvre est aussi une façon de critiquer le musée et son choix d’exposer toute l’école rouennaise dans la même salle. Un autre duo, Alain Sonneville et Pierre-Claude Castro, a pour activité principale de passer la nuit dans des musées et d’y faire un certain nombre de choses, des photographies, des films, pour lesquelles il faut leur faire confiance. Dans le civil ils sont d’ailleurs veilleurs de nuit au musée Gustave Moreau. Ils portent un regard très pointu sur le musée. De ces deux mêmes artistes, le musée a fait l’acquisition d’un hologramme lenticulaire qui représente l’Origine du monde de Courbet et dialogue alors avec l’histoire de l’art. Pour le musée qui avait perdu le lien avec les artistes contemporains, ces acquisitions lui permettent de le recréer, avec des choix qui sont validés par ses instances scientifiques. Le système de validation des musées est très coincé et codifié. On prend des décisions fondamentales sur l’avenir des musées puisqu’on constitue les collections du futur. Il est souvent arrivé que l’on achète la première œuvre d’un jeune artiste pour une collection publique et que l’on ait des remarques. À Rouen, trois musées sont gérés conjointement, dont un musée de la céramique très actif car ouvert à la céramique contemporaine, domaine en pleine explosion depuis une quinzaine d’années, et nous avons présenté l’exposition Céramique fiction qui présentait des œuvres contemporaines faites en céramique. Le musée classique peut apporter le passage, le contraste, le changement de fréquences. Nous nous adressons à un public de musée des Beaux-Arts et nous en tenons compte dans la programmation, même si on fait des expositions tout à fait indépendantes d’art contemporain, on espère s’adresser simplement au public en général et présenter le travail d’un artiste. C’est une sorte de défi puisque ce n’est pas le même public que dans les centres d’art ou les musées d’art moderne, il y a donc un travail spécifique à faire et très souvent c’est dans ce genre d’occasions que des personnes découvrent l’art contemporain. Le musée de Rouen conserve un nombre de chefs d’œuvre exceptionnels. Nous avons également acheté une œuvre de Wim Delvoye, Caterpillar, au bon moment puisqu’à un prix dérisoire. Elle est installée dans une salle consacrée au Moyen-âge avec laquelle l’œuvre joue facilement. En parallèle de notre politique d’acquisition en lien avec les collections, nous avons un programme classique de petites expositions expérimentales de type Salle Blanche, qui chez nous s’appelle Galerie et dans laquelle on privilégie une programmation d’artistes qui ont un regard spécifique sur l’histoire de l’art. C’est une façon de recréer un lien avec le musée et de faire allusion à notre dimension duchampienne. Par exemple, pour son exposition, Jean-Philippe Lemée a fait agrandir par un peintre en lettres des dessins d’enfants qui interprètent des œuvres d’artistes comme Roy Lichtenstein. Le résultat n’a plus rien à voir avec l’œuvre originale. Nous avons aussi défini une politique d’exposition autour d’artistes octogénaires, car il y a en France beaucoup d’artistes qui n’ont pas encore eu de rétrospective nationale majeure et dont personne ne semble décidé à étudier le cas. La question très complexe que cela pose est de savoir si un grand musée de région doit jouer un rôle dans le passage progressif de ces artistes du champ contemporain au champ historique. Ainsi, nous avons un projet prévu à l’automne 2011 avec Vera Molnar, et l’an dernier nous avons consacré une exposition à Geneviève Asse et une autre à André Raffray, mort récemment et disciple de Marcel Duchamp, qui a réalisé une œuvre in situ pour le musée. Son Ombre du porte-bouteilles se trouve à l’entrée du Musée.