James Putnam, commissaire d`expositions - Musée des Beaux
Transcription
James Putnam, commissaire d`expositions - Musée des Beaux
James Putnam, commissaire indépendant à Londres, auteur de l’ouvrage : Le musée à l'œuvre. Le musée comme médium dans l'art contemporain1. Ma présentation ne va pas traiter de l’architecture mais plutôt du musée en tant que forme et médium artistique. Le titre de mon livre, en français, serait Le musée en tant qu’œuvre d’art. En effet, les artistes sont inspirés par des musées, et pas seulement à cause de la muséographie, mais aussi d’un point de vue conceptuel. Les musées tirent, sans doute, leur origine du cabinet de curiosités. Il y a cependant un débat entre les muséologues pour décider si les musées sont vraiment nés d’une évolution du cabinet de curiosités ou si le cabinet de curiosités n’est pas plutôt le résultat de l’héritage du siècle des Lumières et d’une approche scientifique de la monstration des œuvres d’art. On peut penser que la dimension créative, qui apparaît dans le cabinet de curiosités par la présentation plus esthétique que logique et par l’assemblage de divers objets de thèmes et d’origines différents, a certainement inspiré le musée. Les musées du passé ont souvent été le fruit de la vision d’un artiste ou un architecte. On peut prendre l’exemple de Sir John Soane qui, à la suite d’un voyage en Italie, a conçu un arrangement très personnel d’objets qu’il a ensuite légué à la condition que la disposition ne soit pas modifiée. Son musée a inspiré de nombreux artistes contemporains. De l’autre côté de l’Atlantique, Charles Willson Peale a constitué son propre musée pas seulement pour présenter ses peintures mais aussi pour montrer sa vaste collection d’histoire naturelle. Cette collection est devenue le premier musée américain. Aujourd’hui, peu de musées ont conservé leur scénographie d’origine. On peut citer le musée d’anthropologie Pitt Rivers à Oxford2 qui date du XIXe siècle. Par ailleurs, des projets d’artistes contemporains ont été justement installés dans des musées qui ne sont pas des musées d’art mais, au contraire, l’antithèse des espaces blancs dédiés généralement à l’art contemporain. Plusieurs artistes ont été très influencés par cette scénographie ancienne et beaucoup d’entre eux ont photographié ces présentations très proches du cabinet de curiosités. Par exemple, Dario Lanzardo a photographié le musée national de Turin pendant sa restauration. J’ai moi-même beaucoup travaillé dans les musées et leurs coulisses, et je ne m’étais pas rendu compte de l’intérêt que cela pouvait avoir. Cet artiste, en voyant les squelettes de singes couverts de plastique qui semblaient ainsi doués de vie, a su fixer leur bizarrerie. Beaucoup d’autres artistes ont pris des photos de la scénographie de ces musées anciens. L’artiste japonais Hiroshi Sugimoto a pris des photos au musée de Madame Tussaud et a travaillé sur la réalité et l’irréalité des figures de cire. Thomas Struth a photographié des peintures emblématiques et s’est attaché à fixer l’énergie étrange qui se crée entre une œuvre et ses spectateurs. Apparaît alors un curieux phénomène de mise en abîme, d’image dans l’image, surtout pour des œuvres de très grande échelle. L’un des premiers artistes à avoir été sensible à la poésie de ces mises en scène fut Joseph Cornell, collectionneur de vieux films muets, d’affiches et d’objets en lien avec le cinéma. 1 James Putman, Le musée à l’œuvre. Le musée comme médium dans l’art contemporain, Thames & Hudson, 2002. Site personnel de l’intervenant : www.jamesputnam.org.uk 2 www.prm.ox.ac.uk On voit également émerger, chez certains artistes contemporains, la tendance à exposer leurs propres collections ou une collection d’objets trouvés en reconstituant une sorte de vitrine. On voit beaucoup d’expositions d’objets en vitrine, ce qui instaure de la distance entre le visiteur et l’objet, conférant une qualité précieuse à l’objet qui se rapproche du reliquaire et et de son aspect spirituel. Jeremy Bentham, penseur du XVIIIe siècle, a crée ce concept étrange d’auto-icône : son corps présenté dans une vitrine constituerait une œuvre d’art à par entière. Il voulait qu’après sa mort son corps soit disséqué en public, dans un amphithéâtre, par un éminent chirurgien, et que sa tête soit embaumée et conservée. On peut voir son squelette portant sa tenue favorite dans le cloître de l’University College, mais la tête originale a été remplacée par une tête en cire. On peut faire le lien avec l’artiste contemporain allemand Timm Ulrich qui lors d’une performance s’est montré luimême dans une vitrine, constituant la première œuvre d’art vivante. Tout au long de sa vie, il a réalisé plusieurs versions de cette œuvre. Quant à l’artiste britannique Cornelia Parker, elle a réalisé en 1995 une performance à la Serpentine Gallery. On voyait l’actrice britannique Tilda Swinton endormie dans une vitrine autour de laquelle avaient été placés des objets légendaires tels que les bas de soie de la reine Victoria ou le cendrier de Hitler retrouvé dans son bunker ou le fameux cigare de Churchill. Gavin Turk s’est représenté lui-même, en mannequin de cire, dans l’attitude de Sid Vicious ou de plusieurs autres artistes célèbres. Beaucoup de musées invitent non seulement des artistes, mais aussi des cinéastes ou des écrivains à être commissaires d’expositions, de manière à proposer au public une vision des œuvres différente de celle d’un commissaire traditionnel. Ainsi, le cinéaste Peter Greenaway a réalisé une installation au musée de Rotterdam pour une exposition sur le corps humain. Il y a présenté un modèle vivant nu dans une vitrine. Tout en travaillant sur le thème du voyeurisme, il est aussi évident que la vitrine devient un dispositif sculptural et une protection pour le modèle exposé. C’est une réflexion que Damien Hirst pousse encore plus loin en présentant des vaches disséquées dans des vitrines remplies de formol qui apportent une dimension optique supplémentaire à la sculpture. Cet artiste est très intéressé par les musées anatomiques, leur scénographie, et par la question de la préservation. C’est très évident aujourd’hui mais au début des années 90, personne n’avait détecté dans son œuvre cette référence à des musées traditionnels. D’autres artistes encore sont inspirés par la poétique de la scénographie, comme Christian Boltanski et sa Vitrine de référence (1971) qui contient des objets qu’il possédait et des objets fictifs. Son inspiration vient des musées ethnographiques. Dans le même esprit, l’artiste pop britannique, Peter Blake, a montré sa collection personnelle qu’il a intitulée Un Musée de moi-même. Beaucoup d’artistes contemporains ont aussi été inspirés par la taxinomie telle qu’elle a été théorisée par Linné, c’est-à-dire par les musées d’histoire naturelle où plusieurs sortes d’espèces sont présentées. D’autres artistes, encore, présentent des objets issus de fouilles archéologiques comme des œuvres d’art. À Londres, à la Tate Modern et la Tate Gallery, un artiste a fait appel à une équipe d’archéologues qui ont fouillé les bords de la Tamise, et tout ce qu’ils y ont trouvé a été placé dans des vitrines qui pouvaient être ouvertes. Au British Museum, j’ai fait un projet avec Richard Wentworth : nous avons récupéré des gobelets en plastique dans les poubelles du musée et les avons confrontés à des flacons de l’Egypte ancienne. J’ai alors fait un cartel classique décrivant le flacon ancien et lui, en regard, imitait ce cartel en en rédigeant un pour l’objet trouvé dans la poubelle. Il a, par exemple, écrit une notice pour une bouteille de Coca-Cola trouvée au sous-sol et qui avait été réutilisée comme brumisateur pour lutter contre la poussière ou pour un gobelet en polystyrène réutilisé comme cendrier. Il était possible de confronter notre culture matérialiste à ces objets antiques tout en créant une archéologie comique et alternative du futur. Damien Hirst a présenté des mégots de cigarettes qu’il a fumés puis écrasés avec un geste particulier pour leur donner une forme unique. Dans cette œuvre, c’est la présentation muséale qui donne à ces objets le statut d’œuvre d’art. Dans son célèbre « musée portatif », Marcel Duchamp présente ses propres œuvres et est donc le commissaire de son propre musée. Harald Szeemann commissaire de la Documenta V de Kassel en 1972, a été l’un des premiers à identifier cette tendance des artistes à être inspirés par le musée. Il a ainsi invité Marcel Broodthaers qui présenta son fameux Musée d’Art Moderne, Département des Aigles, Joseph Beuys qui exposa des reliques de ses propres performances sous des vitrines et Claes Oldenburg qui montra des objets se rapportant à l’identité américaine dans un cadre en forme des oreilles de Mickey Mouse. Un des premiers exemples d’un artiste contemporain invité à être le commissaire de sa propre exposition est Andy Warhol, en 1964, à Rhode Island. L’idée de son installation était de substituer à tous les objets précieux habituellement présentés dans un musée des objets très communs et très triviaux qu’il avait retrouvés dans les réserves d’un musée. Il est très clair que beaucoup d’artistes contemporains sont intéressés par des objets qui paraissent insignifiants aux conservateurs. En 1994, j’ai été le commissaire d’une exposition, Time Machine, au British Museum. Dans cette exposition Andy Goldsworthy avait disposé trente tonnes de sable dans la galerie d’antiquités égyptiennes. C’’était une manière d’amener un public qui est familier de l’art antique vers l’art contemporain, et vice versa. A mon sens, le musée est une forme artistique à part entière. Avoir un grand architecte international pour concevoir un musée, comme à Bilbao, permet au bâtiment de devenir une sculpture, une œuvre d’art. Le contenant est finalement plus important que le contenu. Daniel Buren, au sujet d’un musée suisse, a déclaré que ce n’est pas le musée qui va contenir ses œuvres, mais ses œuvres qui vont contenir le musée.