Exposition: Rembrandt à Genève

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Exposition: Rembrandt à Genève
La Lettre
de Penthes
Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 27, printemps 2016
ARTICLES
Tim Guldimann au Parlement
Suisse - France
500 ans d’accords mutuels
Artikel auf Deutsch:
Seiten 50 und 51
Articles in English:
Pages 14, 16, 42, 46 and 48
Exposition: Rembrandt à Genève
Les relations entre les Pays-Bas et la Suisse
SOMMAIRE |
| ÉDITIORIAL
Le bureau s’amuse
2
| ARTICLES
Tim Guldimann, un Suisse dans le
monde au Parlement
6
Bernard Barbey, homme de lettres,
officier, diplomate
8
| CEUX QUI ONT COMPTÉ
POUR PENTHES
36
| MOT DU DIRECTEUR
37
| À TRAVERS LE MONDE
From Florida to Grenada
In search of the Swiss Abroad
40
44
Alfred Baur (1865-1951)
10
Maurice Fatio, architect of the
American high society
14
Jana Caniga
Honorary Consul in Grenada, West
Indies
Carl Elsener Junior
16
Julia Anna Flisch (1861-1941)
46
Les Moriers, une famille étroitement
mêlée aux intrigues européennes et
proche-orientales
21
« Lasst mir die Heimat grüssen ! »
Marguerite Nerny Stäger, die älteste
Auslandschweizerin Nordamerika
48
Ferdinand de Saussure :
un très discret savant genevois au
rayonnement mondial
26
| REVUE LITTÉRAIRE
Livres à lire
Adèle d’Affry (1836-1879). Marcello,
Femme artiste entre cour et
bohème
30
34
| LA VIE DU MUSÉE
Clara d’Atena Pizzolato
De Rome à Genève – du microscope
au pinceau
52
Les relations entre les Pays-Bas et
les Suisses
54
Suisses de France et Français
de Suisse : 500 ans d’accords
mutuels
60
La Lettre de Penthes - No 27 | 3
| ÉDITORIAL
De gauche à droite : T. Zehnder, H. Schneebeli, R. Asnar, R. Imhoof
C’est à une présentation informelle du Bureau du Conseil de la Fondation* que je vous convie, puisque
le président Rodolphe Imhoof m’en a confié la rédaction. Faire connaissance avec ses membres, rien de
plus simple. Le cadre, le restaurant du Domaine de Penthes, à peine la première page de l’année 2016
était-elle tournée. Attablés devant un menu spécialement préparé par l’équipe de Sandro Haroutunian,
nous avons donc entamé la discussion. Moi, j’avais des exigences : Que représente le Musée des Suisses
dans le Monde pour vous ? Quelle image le Domaine de Penthes donne-t-il à Genève et au monde ? Quel
rôle pensez-vous tenir dans cette mission bénévole ? Y a-t-il un message à faire passer ? Comment voyezvous l’avenir de la Fondation ? Avouons qu’il y avait de quoi couper l’appétit du plus courageux… Les
membres du bureau avaient des inquiétudes : Que va-t-on dire ? Qui va nous lire ?
Mais rejoignons donc le groupe. Nous en sommes à peine à l’apéritif : le temps de délier les langues.
L’avantage, dans ce nouveau bureau, c’est que les uns et les autres se connaissent, plus ou moins bien. Ils
ont déjà partagé la séance plénière du Conseil de fondation du Musée, en octobre 2015, dans la salle du
Parlement d’Uri, à Altdorf. C’est là que le président Imhoof eut l’idée de cette table ronde, impromptue,
et de cet article de présentation sous forme d’édito. Dont acte.
* Le Bureau du Conseil de la Fondation est constitué de quatre membres bénévoles se chargeant de gérer les orientations de l’Institution
dans son ensemble.
4 | La Lettre de Penthes - No 27
ÉDITORIAL |
Par
Daniel Bernard
Le Bureau s’amuse*
Rodolphe Imhoof : président, ancien ambassadeur de Suisse.
Hubert Schneebeli : vice-président, graphiste, enseignant et homme
politique, ancien maire de la commune de Pregny-Chambésy.
Thierry Zehnder : trésorier, homme des finances, toujours plongé
dans les chiffres mais ouvert aux arts et à la communication.
Ronald Asnar : avocat, collectionneur suisse de
puisqu’originaire du Liban avec lequel il a gardé des liens.
l’étranger
Daniel Bernard : président des Amis de Penthes, chargé de l’édito.
L
es Personnages sont réunis à table et la
discussion à bâton rompu a commencé dès
le moment de l’apéritif. Les boissons délient
les langues et l’on se permet donc la familiarité
d’une fratrie, alors même que la table ronde
évoque les chevaliers du même nom.
RODOLPHE (LE PRÉSIDENT) – Mes amis,
chers membres du bureau, je vous propose de
boire à la santé de Penthes, de sa Fondation et de
son musée ! Bonne année !
HUBERT – Santé à vous tous et merci de m’avoir
admis parmi vous !
RONALD – De nous avoir admis, cher Hubert !
THIERRY – Bon, eh bien à votre santé. Surtout
à la tienne, Président ! Non, pas vous, président,
je parle à celui des Amis de Penthes, celui qui
nous écoute et nous interviewe…
DANIEL – Santé à vous tous réunis. Merci de
participer à cette grande première ! À partir de
cet instant, tout ce qui sera entendu sera retenu
contre vous, mais pour le musée et pour la Lettre
de Penthes ! Santé !
Ils boivent et commencent à déguster l’entrée.
DANIEL – Ce que je souhaite c’est que chacun
puisse exprimer librement les raisons pour
lesquelles il est monté dans ce train qu’est le
Musée des Suisses dans le Monde, c’est que vous
me disiez ce que vous pensez du positionnement
de la fondation et du musée, et enfin que vous
évoquiez brièvement l’avenir tel que vous
l’imaginez !
RODOLPHE – Quarante ans passés dans la
diplomatie suisse m’ont convaincu que les
meilleurs ambassadeurs de la Suisse, de son
image, de ses valeurs, de son influence étaient
ceux de nos compatriotes qui ont su dans leur vie
conjuguer des racines et des ailes, garder ancré en
eux cet attachement à la glèbe natale et prendre
leur envol pour découvrir et conquérir d’autres
espaces de vie avec ouverture, enthousiasme et
engagement. Voilà !
HUBERT – Tu veux que l’on mette cela dans le
texte ? In extenso ?
THIERRY – Si tu veux endormir le monde, oui,
mais sinon, il va falloir raboter, rogner, ajuster,
c’est son boulot à Daniel, pas vrai ?
DANIEL 
– Rodolphe, défends-toi ! Ce n’est
pas mal du tout je trouve. Peut-être la glèbe, à
remplacer par la terre natale…
*référence au film: Le Congrès s’amuse (1931), réalisé par Erik Charelle et Jean Boyer.
La Lettre de Penthes - No 27 | 5
| ÉDITORIAL
RODOLPHE – Je poursuis. La Fondation
pour l’Histoire des Suisses dans le Monde
est une plateforme culturelle qui participe au
développement de l’image positive de la Suisse, à
l’illustration de ses valeurs, à la mise en perspective
de ses expériences, au patrimoine laissé par les
Suisses dans le monde. C’est la raison principale
qui m’a amené à saisir ce défi. Cela va, comme
ça ?
RONALD – Moi, mes origines, le Liban, me
rendent évidemment sensible aux rapports et
aux mélanges entre les peuples et les cultures, aux
apports réciproques dont peuvent s’enrichir les
peuples et les cultures au contact d’autres. Alors
je m’y retrouve assez bien dans la définition du
président.
DANIEL – Et toi, Thierry, tu es bien silencieux.
THIERRY – Moi j’ai des mots clés ou des
formules toutes faites : « Le seul musée au monde
qui parle de l’histoire des Suisses de l’étranger »,
ou « Un phare pour les Suisses dans le monde et
pour les étrangers qui veulent connaître la Suisse,
son histoire, son futur », ou encore « La maison
des Suisses dans le monde ». Je vis avec mon
temps, les slogans, les texto, du rapide, du brut,
des tournures comme pour la pub. Il nous faut
dépoussiérer !
HUBERT – Avec tout le respect pour la
poussière ?
THIERRY – Bien entendu, on respecte ce qui a
été fait, mais on en parle au futur simple.
DANIEL – Je prends au vol ! Et toi, Hubert ?
HUBERT – Il me semble que l’existence même
de la Fondation à Penthes est d’une évidente
nécessité. À une époque où beaucoup donnent
l’impression de déserter leur identité, leur culture,
leur histoire au profit d’autres qui s’imposent sans
bataille, il est primordial d’avoir une plateforme
qui permet le souvenir de l’histoire passée,
témoignage de l’investissement de femmes et
d’hommes et de la construction d’un avenir
solide de ces expériences et de ces valeurs.
RODOLPHE – Messieurs, notre rôle à nous
maintenant ? C’est cela Daniel que tu veux
entendre ?
DANIEL – Oui, aussi. Mais toi tu m’as déjà
répondu. On t’écoute Ronald.
6 | La Lettre de Penthes - No 27
RONALD – La Fondation remplit une tâche
essentielle, citoyenne et patriotique. En
cherchant à se développer, pour devenir un pôle
culturel incontournable au cœur de la Genève
internationale, en expliquant et transmettant les
fondamentaux de l’histoire suisse et leur impact
sur la façon dont nous sommes perçus au plan
international, nous thématisons les valeurs
suisses qui ont contribué à asseoir notre image
et nous perpétuons le dynamisme historique des
échanges culturels entre la Suisse et le monde.
Je vais t’écrire cela, mais j’y ai d’abord réfléchi
comme tu vois !
DANIEL – Parfait, maître. J’attends ton email.
HUBERT – Si je puis me permettre, dès mon
arrivée au Conseil municipal en 2003, j’ai œuvré
au rapprochement de la commune et de la
Fondation, convaincu dès le départ de la nécessité
de la défense de points d’intérêts communs
au profit de la population de la commune,
puis plus généralement de Genève. Alors c’est
tout naturellement que j’ai accepté de vous
rejoindre, une fois mon mandat terminé au sein
de la commune. Curieuse ironie : pour exister et
résister aux pressions extérieures, de ce petit bout
de pays une poignée de gens se sont exportés. Ils
ont dans leur élan disséminé une culture et un
savoir-faire qui fait briller la Suisse au-delà de ses
montagnes. Plus qu’être reconnaissants, il nous
incombe de protéger et de partager cet héritage,
suscitant peut-être par l’exemple de nouvelles
vocations. Alors nous devons poursuivre, contre
vents et marées !
RODOLPHE – Merci pour ton enthousiasme,
Hubert! Daniel, je sens que tu n’auras plus rien à
faire, ou presque, Président !
DANIEL – Oui, président, mais gare: « Le secret
d’ennuyer est celui de tout dire » !
THIERRY – C’est de toi ?
HUBERT – Penses-tu, c’est au moins de
Rousseau ?
RONALD – Non, Bouvier ou …
DANIEL – Voltaire, mes amis ! Ceci pour dire
qu’il me faudra surtout couper vos élans lyriques,
mais je trouve aussi que votre bonne humeur a
ceci de positif, si j’ose l’exprimer ainsi, que l’on
voit que le bureau est solidaire et enjoué, qu’il
ÉDITORIAL |
croit à sa mission, et à celle du musée. Cela fait du
bien des fois, de faire le point, non ?
THIERRY – Moi je tiens les comptes, et je peux
dire que la technique du financier que je suis
est plus que positive. On voit les tendances,
on analyse les résultats. Or, comme vous le
savez tous, après plus de 35 ans de présence, se
développer, grandir pour devenir incontournable,
éclairer, célébrer et perpétuer le dynamisme de la
Suisse dans et avec le monde, jouer pleinement
son rôle d’utilité publique, cela a un coût certain!
Et c’est là que nous avons, nous, notre rôle à
jouer ! Trouver les fonds indispensables à notre
mission, exercer une vigilance constante quant à
la gestion...
RONALD – En termes de culture, je suis par
ailleurs passionné d’histoire et d’art, j’exerce
notamment en droit de l’art, et suis moi-même
collectionneur. Le rôle de la Fondation de la
transmettre et de la diffuser me paraît justifié !
Ceci au travers de l’influence qu’ont exercée des
Suisses dans le monde, me paraît d’une utilité
fondamentale à notre époque, alors que les
échanges entre les peuples n’ont jamais été aussi
nombreux. Voilà, je vous passe la leçon.
RODOLPHE – Bravo Ronald ! Tu vois Daniel,
c’est cela que j’aimerais que l’on sente dans
ton édito ! La passion personnelle de chacun et
l’intérêt collectif, ou pour la collectivité ! Non ?
HUBERT – Encore une chose à ajouter : par
l’engagement associatif, civique ou politique, le
Suisse est un membre actif de la collectivité ; et le
politique a pour responsabilité de mettre en place
les conditions cadres en vue de faire perdurer
le témoignage de ce qui nous a construit. Mon
parcours de magistrat communal m’a montré que
cela est plus difficile qu’il n’y paraît, Cependant,
je suis convaincu que le partenariat entre l’État
de Genève et la Fondation va dans ce sens.
DANIEL – Je suis sûr que les lecteurs vont
comprendre cela, Amis de Penthes ou pas.
Encore des idées ?
RONALD – Oui, je pense aussi que la Fondation
a vocation à s’adresser aussi bien aux Suisses
qu’aux étrangers : elle trouve au sein de la Genève
internationale un accueil tout indiqué pour
développer sa mission et ses activités, et c’est
avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme que je
me suis engagé au sein du bureau du Conseil de
la Fondation pour y contribuer.
THIERRY – Mais moi aussi !
HUBERT – Nous pouvons alors affirmer nous
inscrire dans une dynamique à long terme pour
être précisément le relais entre les générations,
notamment au moyen du développement de
programmes pédagogiques pour nos plus jeunes
visiteurs...
RODOLPHE – Excellent! C’est la raison de ta
présence, mon cher. Dites-moi, je n’ai pas vu
passer le temps. Un petit café ? Daniel, tu as ce
qu’il te faut pour ton papier?
DANIEL – Je crois que oui. J’attends donc que
vous me mettiez cela par écrit, en trois mots.
THIERRY – Et toi, alors ? Tu ne nous as rien dit
de tes raisons à toi !
DANIEL – Moi, j’ai l’Association des Amis de
Penthes à gérer. Alors, si vous le voulez bien, vous
vous reporterez à notre article dans ce numéro
de la Lettre de Penthes. Et pour répondre au
président, oui, volontiers, un petit expresso avant
de conclure. Merci à tous.
RODOLPHE – Rendez-vous au printemps.
Merci messieurs.
RONALD – Merci pour votre accueil.
HUBERT – Oui, merci.
RODOLPHE – Un dernier point et je me tais :
la globalisation entraîne, notamment auprès de
la jeunesse, un besoin d’enracinement dans les
fondamentaux. La Fondation a pour mission
d’y contribuer. Pour cela l’Histoire, contée
différemment et vue sous un autre angle, est un
véhicule indispensable.
THIERRY – Rien à ajouter. Post tenebras lux…
DANIEL – Si, mes amis, santé au directeur
Anselm Zurfluh !
Les quatre personnages s’amusent du bon
mot, tellement genevois « Post tenebras lux ».
Ils se quittent non sans avoir pris le temps
d’immortaliser la scène avec un téléphone
portable.
La Lettre de Penthes - No 27 | 7
| ARTICLES
Entretien par
Bénédict de Tscharner
Président honoraire de la Fondation pour
l’Histoire des Suisses dans le Monde
Tim Guldimann,
un Suisse dans le monde
au Parlement
pour le parti. C’est ce que j’ai fait et j’ai obtenu la
troisième place parmi les élus socialistes zurichois
avec plus de 100 000 voix. Ce résultat a été acquis
aussi grâce à ma présence dans les médias.
Votre profil un peu spécial, a-t-il été une
aide ou un handicap pour votre élection ?
Je pense avoir rendu la liste socialiste un peu
plus colorée et plus diverse. Cela a peut-être
contribué à conquérir, pour le parti, deux sièges
supplémentaires dans ce canton, alors que c’est
la droite nationaliste qui ailleurs a renforcé sa
position dans les élections de 2015. Ajoutons
qu’en même temps, le candidat socialiste Daniel
Jositsch a été brillamment élu au premier tour
pour occuper le siège zurichois au Conseil des
États.
Monsieur le Conseiller national, vous
êtes le premier parlementaire fédéral qui
ait été élu en se présentant comme un
candidat « Suisse de l’étranger » ; pouvezvous nous rappeler les circonstances de
cette candidature et de cette élection ?
La limite d’âge est impitoyable pour les
fonctionnaires fédéraux, même si on se sent
encore apte à fournir du travail. C’est positivement
que le Parti socialiste de Zurich a accueilli mon
idée de me porter candidat à un siège au Conseil
national ; mais il y eut aussi des voix sceptiques.
En fin de compte, l’assemblée des délégués me
plaça à la dixième place de la liste – sur les sept
sièges occupés alors par ce parti dans la Chambre
basse. Le message était clair : efforce-toi, aussi
8 | La Lettre de Penthes - No 27
Vous avez été élu sur la liste du Parti
socialiste zurichois : que signifie cette
appartenance politique pour vous ?
Je suis un vieux soixante-huitard. Mais si je me
compare au gros des socialistes, je suis devenu, il
est vrai, un peu plus libéral entre-temps et aussi,
après 33 ans au service de la Confédération, plus
sceptique à l’égard de l’intervention étatique.
C’est sur le plan de l’action sociale, mais aussi
quant à l’ouverture du pays sur le monde, que je
reste résolument de gauche.
Que répondez-vous à ceux qui estiment
qu’habitant Berlin, vous n’êtes pas
suffisamment connecté à la réalité
suisse de tous les jours pour prendre les
décisions qui seront celles du Parlement
suisse dans les années à venir ?
ARTICLES |
En effet, ma biographie m’a mené loin du
Grütli ; en même temps, je suis en mesure de
jeter un regard de l’extérieur sur notre pays. Au
vu de notre schizophrénie, cela me paraît être
une contribution essentielle, car tout en restant
un des pays dont l’interaction avec le monde est
la plus intense, nous nous délimitons en Europe
dans notre culture politique ; et ce « patriotisme
de l’isolement » se renforce encore.
Les Suisses de l’étranger, c’est une
catégorie d’électeurs, certes, mais ce
sont aussi des destins fort différents :
l’homme d’affaires habitant Singapour,
le retraité de la Côte d’Azur, l’agriculteur
du Canada, l’étudiant de Londres,
l’ingénieur travaillant en Afrique… Quel
lien significatif y a-t-il entre eux ?
Malgré toutes ces différences, les Suisses et
Suissesses de l’étranger partagent d’importants
objectifs – qui ne sont pas de gauche. C’est
ainsi qu’ensemble avec 63 autres signataires,
surtout issus du camp bourgeois, j’ai lancé une
motion au Conseil national demandant qu’après
les nombreuses pannes que nous avons vécues,
tous les électeurs de la Cinquième Suisse
puissent enfin voter par voie électronique lors
des prochaines élections en 2019. Cela dit, je ne
prétends pas représenter, avec mes convictions
politiques, tous les Suisses dans le monde, même
si le Parti socialiste compte le plus important
électorat parmi eux.
mon objectif central est bien de sauver – et de
développer – les accords bilatéraux avec l’Union
européenne. L’idée d’une « clause de sauvegarde »
prévue par le Conseil fédéral, les met en danger,
car cette clause implique des mesures introduites
de façon unilatérale, si elles ne font pas l’objet
d’un accord avec Bruxelles. Ainsi, le seul terme
devient absurde : une clause fait partie d’un traité
et ne peut pas être transformée en un instrument
servant à violer ce traité…
On dit que la Suisse a une excellente
image dans le monde – et on dit en
même temps qu’elle est mal perçue, mal
comprise, inaudible, insignifiante… Qu’en
dites-vous, vu de Berlin, par exemple ?
La Suisse jouit en effet d’une bonne
réputation, pour ne pas dire d’une image
presque indestructible. Et pourtant, cette image
est mise en cause quand nous nous mettons à
violer des obligations internationales ou quand
nous tentons de changer les règles du jeu par
nos nombreuses initiatives constitutionnelles.
Dans le passé, une des forces de la Suisse a été
sa fiabilité ; celle-ci est à présent en danger. En
effet, nous figurons parmi les 20% des nations
économiquement les plus importantes du monde
et nous nous rendons nous-mêmes insignifiants
en nous complaisant d’être un petit État.
Il y a les Suisses de l’étranger, mais il y a
aussi la Suisse dans le monde : serez-vous,
également en tant qu’ancien diplomate,
LE conseiller national de la politique
étrangère ?
Il est vrai qu’au cours de la campagne électorale,
je me suis présenté comme « Internationalrat » ;
mais le Conseil national compte 199 autres
experts en politique étrangère ! Je ne suis donc
pas LE conseiller national de la politique
étrangère ; mais je peux tirer le meilleur profit
de mon expérience diplomatique. Aujourd’hui,
*Conseiller national, ancien ambassadeur de Suisse
(Berlin, Téhéran) ; auteur de « Aufbruch Schweiz ! Zurück
zu unseren Stärken », entretiens avec Christoph Reichmuth
et José Ribeaud, Nagel & Kimche, Zurich 2015 ; version
française : « Demain la Suisse. Dialogue avec Tim Guldimann,
diplomate et citoyen », Éditions Alphil, Neuchâtel 2015.
La Lettre de Penthes - No 27 | 9
| ARTICLES
Bernard Barbey,
homme de lettres, officier,
diplomate
Par
Bénédict de Tscharner
C’est en février 2011 qu’eut lieu, au Centre Général Guisan à Pully, un grand
colloque sur la vie et l’œuvre du Vaudois Bernard Barbey (1900-1970).
Les actes de ce colloque sont à présent publiés sous la direction de Roger
Durand aux Éditions La Baconnière, actes réunissant les exposés, augmentés
d’autres textes inédits, ainsi que d’une belle collection de photographies que
la famille a mise à la disposition du Comité Bernard Barbey.
I
ssu d’une famille de notables du Nord vaudois,
Bernard Barbey s’est formé aux sciences
sociales aux universités de Lausanne et de
Genève. Jeune marié à la Genevoise Andrée
Duval, il s’installe à Paris à l’âge de 23 ans où
il mène une carrière littéraire très remarquée :
introduit par Guy de Pourtalès comme secrétaire
de rédaction à La Revue hebdomadaire, il perce dans
le monde littéraire avec la publication de l’ouvrage
Le Cœur gros que François Mauriac adoube
immédiatement. L’écrivain sera couronné par le
Prix du roman de l’Académie française en 1951
pour Chevaux abandonnés sur le champ de bataille.
Parallèlement à sa carrière littéraire et à sa vie
familiale, le capitaine Bernard Barbey accomplit
ses obligations militaires suisses. La Seconde
Guerre mondiale le ramène en Suisse où, en
1940, il devient chef de l’état-major particulier
du général Henri Guisan, commandant en chef
de l’Armée suisse. De cette expérience hors pair,
Bernard Barbey tirera le fameux P.C. du Général,
apprécié de tous sauf peut-être auprès d’une
certaine camarilla militaire…
La paix revenue, Bernard Barbey désire rentrer
à Paris ; mais il doit trouver un moyen pour
nourrir sa famille. Le général Guisan tente de
faire de sa « main droite » un attaché militaire,
projet qui n’est pas du tout du goût des militaires
de carrière. Max Petitpierre, en revanche, voit
dans cette candidature inhabituelle la chance
de renforcer la présence culturelle de la Suisse
dans la Ville Lumière. Bernard Barbey devient
Le général Henri Guisan
10 | La Lettre de Penthes - N 27
o
ARTICLES |
Le Corbusier et Bernard Barbey
donc diplomate, attaché culturel et de presse à
la Légation de Suisse à Paris, dirigée alors par
Carl Jacob Burckhardt, ancien président du
CICR et lui-même une personnalité marquante
de la vie littéraire. Des postes similaires avaient
déjà été créés à Washington et à Londres ; ces
capitales étaient sans doute tout à fait centrales si
la Suisse voulait veiller, en ce moment crucial, à
ce que sa position de pays neutre et épargné par
la guerre soit bien comprise dans le camp des
vainqueurs du conflit mondial. À noter que les
premiers attachés de presse suisses avaient fait
leur apparition en 1930 à Berlin et à Rome…
Bernard Barbey exercera cette tâche pendant
vingt ans. Il comprend son rôle comme celui d’un
acteur parfaitement intégré dans la vie culturelle
parisienne et française où l’on trouve, n’oublions
pas, bon nombre de Suisses de renom : Blaise
Cendrars, Le Corbusier, Alberto Giacometti,
Arthur Honegger – sans oublier le chansonnier
Gilles ou encore l’acteur Michel Simon et bien
d’autres. Bernard Barbey conçoit son rôle comme
celui de facilitateur des échanges et des contacts
plutôt que comme d’un agent de promotion, voire
de propagande culturelle ; d’ailleurs, il ne dispose
d’aucun budget permettant à la représentation
diplomatique suisse d’organiser elle-même ou de
subventionner des manifestations culturelles en
France. Mais sans Bernard Barbey la magnifique
exposition de François Daulte des chefs-d’œuvre
des collections privées suisses, qui avait déjà
fasciné les visiteurs de l’Exposition nationale à
Lausanne en 1964, n’aurait pas, en 1967, trouvé
le chemin de Paris, à l’Orangerie des Tuileries.
Certaines des initiatives de l’attaché culturel
apparaissent, aujourd’hui, clairement comme
précurseurs du futur Centre culturel suisse que
la Fondation Pro Helvetia ouvrira dans le Marais
en 1985.
Quatre ans après son retour à Paris, en 1949, la
charge de représentant de la Suisse à l’UNESCO
s’ajoute au mandat d’attaché de légation ; cette
nouvelle charge vaut à Bernard Barbey, dès 1957,
le titre diplomatique de ministre plénipotentiaire.
En 1964, alors qu’il est proche de sa retraite en
tant que fonctionnaire fédéral, Bernard Barbey est
élu membre du Conseil exécutif de l’UNESCO
pour quatre ans, élection qui est clairement un
témoignage de l’estime exceptionnel en laquelle
le tiennent ses collègues. Mentionnons, pour
prendre un seul exemple, le rôle important que
Bernard Barbey a joué dans le sauvetage, sur
initiative de l’UNESCO, des monuments d’Abou
Simbel, en Haute-Égypte.
La diplomatie culturelle et scientifique
multilatérale, si elle avait déjà été pratiquée au
sein de la Société des Nations de l’entre-deuxguerres à travers sa Commission internationale
de coopération intellectuelle – où la France joue
un rôle de premier plan – est malgré tout un
phénomène nouveau dans l’histoire diplomatique
suisse, à une époque, rappelons-le tout de
même, où la Suisse n’est pas encore membre des
Nations unies ! La grande crainte, à l’époque,
est une « politisation » de ces organisations
internationales sous l’impact des tensions EstOuest ou Nord-Sud. On peut affirmer que
Bernard Barbey a donné à cette présence suisse
de la forme et de la substance.
Fin janvier 1970, une voiture folle fauche
Bernard Barbey devant son domicile, avenue
Georges-Mandel. C’est la philosophe genevoise
Jeanne Hersch qui lui succède auprès de
l’UNESCO.
La Lettre de Penthes - No 27 | 11
| ARTICLES
Alfred Baur
(1865-1951)
Par
Vérène Nicollier
Ancienne assistante du conservateur
du Musée des arts d’Extrême-Orient
(Fondation Baur)
À chaque publication de la Lettre de Penthes correspond le nom de Suisses
qui ont marqué l’histoire de leur pays qu’elle soit scientifique, militaire,
économique ou culturelle : de Meuron présente son régiment, Nicollier sa
sortie extravéhiculaire dans l’espace, Daniel Peter son chocolat, Bertrand
Piccard son ballon, et aujourd’hui, Baur son thé, ses noix de coco et son
futur musée. En effet, en 2016, Alfred Baur vient à peine de fêter son 150e
anniversaire ; mais qui est-il ?
Estampe d’Utamaro (env. 1792), « Courtisane lisant une lettre »
A
lfred Baur naît le 7 juin 1865 à
Andelfingen d’un père, Johannes Baur,
maître-forgeron et agriculteur, dont
l’atelier est installé au pied du château.
Alfred est bon élève. Après une année à
Winterthour à l’Industrieschule, il est engagé
en 1881 comme apprenti de commerce, chez
les Frères Volkart, une importante société
active dans le commerce avec l’Inde et
Ceylan. L’apprenti Alfred Baur est intelligent,
entreprenant, travailleur ; Volkart l’envoie faire
un stage à Manchester pour se familiariser avec
les méthodes commerciales modernes. En 1884,
il est délégué par la maison Volkart pour la
représenter à Ceylan.
Alfred a 19 ans quand il part pour Ceylan. Sur le
bateau qui fait la traversée se trouve Ferdinand de
Lesseps, le constructeur du canal de Suez, alors
âgé de 79 ans. Alfred s’en souviendra et dira de lui
« que ce grand monsieur aux manières courtoises
m’a fortement influencé dans ma trajectoire
professionnelle ». Lorsqu’il débarque dans le
port de Colombo, Alfred décrit un port bordé
de cocotiers et de maisonnettes « bungalows ». À
27 ans, Alfred sera promu fondé de pouvoir de la
maison Volkart.
En 1894, c’est le premier retour en Suisse.
Alfred regagnera son poste marié avec Eugénie
Brunner née Duret, une jeune veuve rencontrée
aux bains de Loèche. C’est aussi lors de ce retour
12 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES |
Alfred et Eugénie Baur à Tournay
au pays que son père donne de l’argent à son
fils pour fonder sa propre société. On prête à
Johannes les propos suivants : « Cet argent, je ne
le reverrai jamais plus. » Pourtant, nous le verrons
plus tard, cela fut un bon investissement.
En 1897, Alfred se lance donc à son compte et
crée sa propre compagnie The Ceylon Manure
Works (Compagnie des engrais de Ceylan). Au
début, il ne s’agit que d’une modeste échoppe
qui propose des engrais faits de guano et de
poudre d’os. Pas de grand succès la première
année ; mais Baur persévère. C’est aussi l’année
du jubilé de la reine Victoria qui fête ses 60 ans
de règne, celle où la ville de Colombo est équipée
d’électricité. C’est aussi le temps de la liberté
d’entreprendre ; certains s’en plaignent, dont le
doyen du Ceylon Medical College qui parle des
odeurs envahissantes et malsaines qui viennent de
fabriques de thé, d’usines à gaz, de fabriques de
savon, de carrières de brique, d’usines d’engrais,
de teinturiers, d’entrepôts d’os, etc.
En 1901, Baur déménage ses installations à
Kelaniya où l’usine d’engrais se trouve toujours
de nos jours. Durant presque un siècle, la société
d’engrais fondée par Baur joue un rôle important
dans l’île ; une sirène y annonce le début du
travail, les pauses et la fermeture. Sept ans plus
tard, le patron engage son premier collaborateur
suisse.
Alfred Baur se lance à fond dans la mise au
point d’engrais et la culture de la noix de coco,
plutôt que dans celle du thé qui pourtant fait
rage à l’époque et supplante le café. Interrogé
alors par un journaliste du Times of Ceylon sur
ses choix, Baur répond : « Beaucoup de gens
dénigrent les nouvelles méthodes prétendant que
les vieilles sont le résultat d’années d’expérience ;
dans ma compagnie, nous combinons les deux :
l’expérience et la recherche scientifique. » Il lance
alors un mélange spécifique d’engrais organique
de sa composition qu’il commercialise sous le
nom de Baur’s Special Coconut Manure.
Baur surveille lui-même les travaux ; il s’est fait
construire un pavillon sur la colline. Quand il le
faut, il fait la route de Colombo à Chilaw dans
une carriole tirée par un cheval ; le trajet prend
une journée. Puis de Chilaw à Palugaswewa, il
voyage par char à bœufs. La première voiture
automobile est importée à Ceylan en 1902.
Le caoutchouc est une autre importante
ressource de Ceylan et Baur a peut-être hésité à
l’exploiter également ; en effet, avec l’arrivée de
l’automobile et de l’utilisation de pneus dans le
monde entier, les commandes de caoutchouc
deviennent énormes ; mais Baur reste prudent,
les hauts et bas de cette nouvelle industrie lui
déplaisent ; il ne se lance donc pas dans ce
commerce qu’il qualifie d’aléatoire, mais désire
rester « agraire », dans le domaine de sa formation
initiale dans le milieu familial.
Les années de la Première Guerre mondiale
sont évoquées dans une brochure qui sera éditée
en 1997 pour fêter les cent ans de l’entreprise Baur
au Sri Lanka. C’est en 1917 que les architectes
Maurice Turrettini et Guillaume Revilliod
La Lettre de Penthes - No 27 | 13
| ARTICLES
Pot à eau et vase
« peau de pêche »,
Époque Qing, marque
et règne de Kangxi
(r. 1661-1722)
construisent la villa privée de l’entrepreneur
sur la colline de Pregny-Chambésy et à 57 ans,
Alfred Baur commence sa collection d’œuvres
d’art. En 1924, il voyage en Chine et au Japon,
où il rencontre Kumasaku Tomita, un marchand
japonais qui deviendra un ami. En 1925, il
fait transformer le château d’Andelfingen en
maison pour personnes âgées. Dès 1926, une
correspondance abondante s’établit avec Blow,
marchand d’art anglais. En 1928, Baur se lance
dans la nourriture pour animaux, mais l’aventure
ne dure pas ; l’importation de bois, notamment
de tek de Birmanie et de Thaïlande, a plus de
succès ; elle sera suspendue pendant la guerre et
reprise dans les années cinquante.
Le nom de Ceylon Manure Works est changé
en A. Baur & Co. C’est en 1929 que Baur entre
en concurrence avec le collectionneur anglais
Percival David lors de l’achat de porcelaines
chinoises. Il complète sa collection de jades, de
porcelaines, de tabatières chinoises.
Eumorfopoulos qui vendra sa collection au
Victoria & Albert Museum à Londres « pour un
prix dérisoire », Baur dixit.
Pour l’année 1933, on ne retrouve dans les
archives qu’une seule lettre de Baur. Les prix
du thé, du caoutchouc et de la noix de coco
baissent dangereusement. Les plantations
ferment, les planteurs travaillent sans salaire ou
perdent leur emploi. En 1935, nouvel achat de
303 acres, le Clarendon Estate. Cette immense
plantation était devenue une jungle après avoir
été, dès 1883, une vaste étendue de culture du
café, de cannelle et de quinquina. Lorsque Baur
l’acquiert, il entreprend immédiatement une
opération de sauvetage. Même le Tea Research
Institute a de grands doutes sur le succès de cette
entreprise : comment transformer des hectares
de jungle et comment récupérer des arbres à thé
devenus géants sans les abîmer et empêcher leur
productivité ; le travail prendra deux ans. Cette
même année, le collectionneur prête des jades
chinois à la Royal Academy of Arts à Londres
pour une exposition, de même qu’il prêtera
des estampes au Kunsthaus de Zurich l’année
suivante.
En 1936, une nouvelle usine est ouverte par M.
Leiber, un Suisse qui en deviendra le directeur.
Le Times of Ceylon écrira : « C’est incroyable que la
plantation sauvage de Clarendon soit à nouveau
sur la carte des plantations de thé dignes de
ce nom. » Clarendon est la première fabrique
fonctionnant entièrement à l’électricité ; elle
deviendra un exemple pour bien d’autres.
C’est au cours des années trente que Ceylan
et le thé sont devenus synonymes. Baur achète
alors les 358 acres d’une plantation. Même en
cette période dite de la Grande Dépression, Baur
sait donner une nouvelle vie à ses plantations et
doubler la dimension de sa fabrique d’engrais.
Alfred Baur augmente ses collections et achète
des objets d’art chinois et japonais en grande
quantité. La correspondance avec les marchands
se fait sous forme codée. Un jour, c’est Bisko
qui signifie : « Arrêtez tous les achats. » Il
renonce à une offre d’achat de Blow pour des
surimono (estampes japonaises) pour cause
de manifestations à Genève ; il préfère en effet
donner du pain aux manifestants.
Sur le marché de l’art, la concurrence est
vive. Baur entre en compétition avec George
En 1937, estampes, céramiques et objets d’art
japonais quittent le Japon pour la Suisse. C’est au
14 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES |
mois de mars 1938 que la société prend le nom
d’A. Baur & Co. Ltd et devient donc une société
anonyme. Baur rendra visite à son entreprise et
à ses employés le 21 décembre et repartira le 11
février 1939 ; ce sera son dernier voyage à Ceylan.
Pendant les années de guerre, toutes les
compagnies nourrissent leurs ouvriers à l’usine.
Chez Baur aussi : galette de céréales, noix de
coco, chili, oignon et… thé. On encourage les
ouvriers à planter des légumes et des fruits dans
les parties non cultivées des plantations et Baur
fournit les engrais, si nécessaire.
Alfred Baur expose jades et céramiques au
Musée Ariana. En 1939, il achète une jarre
chinoise de la période Song, un des clous de
sa collection. Il décide de faire construire un
immeuble à Colombo par un architecte suisse.
Celui-ci sera inauguré en 1941. Baur écrit à
Tomita : « Toutes les nations continuent la course
aux armements et s’appauvrissent au lieu de
penser à leur bien-être. »
En 1943, les plantations s’agrandissent encore
de 300 hectares. De son côté, Tomita continue
d’amasser des objets pour Baur, mais n’envoie
rien. Une année plus tard, une facture de Tomita
pour les achats faits entre 1939 et 1944 annonce
que les objets feront le trajet dès la réouverture du
transit maritime. Plus tard, le drame d’Hiroshima
ne sera jamais mentionné dans les lettres de
Tomita.
Lorsque la société Baur fête ses cinquante ans
en 1947, Palugaswewa est décrite comme « la
propriété la mieux entretenue et au rapport le
plus haut du pays si ce n’est de l’Orient ». Les
lettres de Tomita sont désormais marquées du
sigle OJ pour Occupied Japan.
C’est en 1949 que les objets en provenance du
Japon rejoignent l’Europe par le navire SS Mount
Davis ; ils seront dédouanés en septembre. Dans
le courant de 1950, Baur envoie des photos de
l’hôtel particulier Micheli-Ador à son marchand
et ami Tomita.
Peu avant la mort du collectionneur, l’achat de
l’immeuble qui abritera le musée est conclu. Le 8
de la rue Munier-Romilly a été construit en 1898
et achevé avec le siècle par Charles Gampert et
son beau-fils Jean-Louis Cayla. Le public est déjà
au courant. Des amis écrivent à Baur : « Quel
beau fleuron pour Genève, quelle belle cocarde
d’art pour notre ville. »
Alfred Baur meurt le 9 décembre 1951.
Pour marquer le centième anniversaire de la
création des activités de Baur au Sri Lanka en
1997, un Fonds du Centenaire Alfred Baur est créé
dont le but principal est « l’aide aux conditions de
vie, à l’infrastructure et à l’éducation du Sri Lanka
rural ».
Baur a donc laissé un patrimoine d’une richesse
incroyable : une collection importante, mais aussi
un capital permettant de l’entretenir, avec des
statuts très précis pour la fondation qui va faire
perdurer ses vœux, à savoir faire connaître son
musée (qu’il n’a pas connu) et publier le contenu
de ses collections. Il a également laissé un capital
dont les revenus permettent des dons importants
aux œuvres de bienfaisance qui lui tenaient à
cœur. Enfin, il a rédigé des directives pour toutes
les activités de sa société au Sri Lanka.
La présence d’Alfred Baur à Penthes est toute
méritée.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE :
M. CRICK, H. LOVEDAY, E. NIKLÈS VAN OSSELT
Alfred Baur, pionnier et collectionneur
Fondation Baur et Cinq Continents Éditions Genève
et Milan 2015
L. El-Wakil
« Transformer un hôtel particulier en musée
d’art » dans Bulletin des Collections Baur No 60
Fondation Baur, Genève 1998, pp. 13-61
La Lettre de Penthes - No 27 | 15
| ARTICLES
Maurice Fatio,
architect of the
American high society
By
Andrea Taylor-Brochet
My grandfather Maurice Fatio had charm, talent, good looks and impeccable
manners; those qualities permitted every aspect of his life until his premature
death at age 46. How could he have foreseen that 73 years after his death,
a house he had designed for a Texan would be listed as the most expensive
home for sale in the United States?
Casa della Porta
Palm Beach, Florida
16 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES |
Maurice Fatio
M
aurice was born in Geneva, Switzerland
at the turn of the 19th century to a
respectable Swiss family in the heart
of Calvinist society. At a young age he was
exposed to the privileges of an educated society
that prided itself on intellectual wealth rather
than on the display of frivolous luxuries. Young
Maurice’s forebears belonged to a long line of
established bankers, historians and politicians.
During his youth he demonstrated a precocious
inclination towards the arts and was admitted
to the prestigious Zurich Polytechnic School
where he studied architecture under Karl Moser.
One could imagine that he was subjected to an
austere upbringing, being prepared for a career
designing large, public building. However, thanks
to his mother Marguerite’s penchant for social
gaiety, he acquired a knack for quick wit, charm
and eloquence. Also, Maurice chose to spend his
career designing residential architecture.
At age 23, he left the shores of Lake Leman
and crossed the Atlantic with suitcases filled with
ambition and letters of introduction. He found
a position in the offices of Harrie Lindeberg,
a well-known society architect who designed
Norman and English-style villas. The doors of
New England’s high society were adeptly opened
and, by the time he was 26, Maurice was voted the
most popular architect in New York. Charming
and handsome, he moved easily in the world of
Vanderbilts, Rockefellers and Wideners.
In 1925, he moved to Palm Beach, Florida,
attracted by the Florida land boom. He brought
with him fresh ideas to a community that had
reached a saturation point with Spanish-style
architecture, where he designed nowadays
landmarked houses and luxurious villas. The
Italian-Mediterranean style was first used by
Maurice in many of his commissions. At the
height of the depression, Maurice, the debonair
bourgeois gentleman with the irresistible French
accent wed Eleanor, the beautiful young socialite
whose ancestry reached back to Scottish Royalty.
Soon after, they had two children. Maurice and
Eleanor were perfectly suited and shared an
affinity for entertainment at the Cotton Club
in Harlem, for dinners with the Marx Brothers,
for cocktails with the literary members of the
Algonquin Club and for strolls on the beach with
George Gershwin. Their combined charm led
to an inordinate number of wealthy and famous
relations who in turn commissioned Maurice
with enough plans to sustain his family with a
lavish lifestyle. At that time, America’s sober
economic climate demanded a new architectural
vocabulary that would counterblaance what had
come to be perceived as the excesses of the
1920’s. Fatio looked to the Colonial architecture
of the Caribbean and the American South for his
inspiration. These styles had clean, uncluttered
lines and used unpretentious building materials.
The houses were light and modern, a welcome
contrast to the opulence for which Palm Beach
was known. The Reef was Maurice Fatio’s best
Modern-style design. Built in 1936, it incorporates
Le Corbusier’s, another Swiss architect, five
points of architecture. The Reef was possibly the
best design of Maurice’s career, as he won a gold
medal for “the most modern house in America”
in 1937 Paris International Exhibition. Maurice
has built over 200 houses in Florida.
By the time World War II broke out, the fairy
tale existence of Maurice and Eleanor came to a
tragic end – he succumbed to lung disease, the
effect of his excessive smoking habit, and shortly
after his wife ended her life, broken hearted. Their
son Pierre died less than 20 years later. 40 years
after Maurice’s death, their only surviving child
Alexandra willed her father out of oblivion by
meticulously preserving his plans, land marking
his houses and publishing a comprehensive book
on his accomplishments.
La Lettre de Penthes - No 27 | 17
| ARTICLES
Carl Elsener Junior
With kind permission of
Perspectives Pictet
Magazine
The family company which started making
knives for the Swiss army more than a century
ago is now run by the great-grandson of the
founder — having diversified from knives and
cutlery into timepieces, travel gear, fashion and
fragrances.
“The Victorinox company has been
part of our lives since we were
children.”
W
hen Karl Elsener founded a cutlery
workshop in 1884 in the village of
Ibach in the Canton of Schwyz, his
aim was to provide employment for local people
who were forced to emigrate in order to find
work. The Original Swiss Army Knife which
he developed is still issued to every soldier in
Switzerland, but is also widely used around the
world because of its quality, functionality and
design. Today, Victorinox under the leadership
of the fourth generation of the founder’s family
is diversifying into other products while never
forgetting the values that have sustained it for
more than a century.
Most cutlers and knife manufacturers have long
ago moved production to low-wage countries,
but Victorinox continues to employ 900 people
in Ibach, the biggest employer in Schwyz. They
make around 60,000 pocket knives a day, almost
half of them the traditional Swiss Army Knife,
as well as some household knives. The factory
makes 15 million parts each month – stamping
them from sheet metal, polishing them and heattreating those that need to be hardened, before
assembling the knives and quality checking them.
Up to 80 per cent of the knives are sold through
retail outlets, and the rest to the corporate market.
And 90 per cent are exported, with half the
remainder bought by tourists visiting Switzerland
who take them home.
With its roots in the heart of Switzerland,
Victorinox celebrates its commitment to the
Swiss quality that is embedded in its products
18 | La Lettre de Penthes - No 27
and admired around the world. And in the spirit
of its 125-year history, the company constantly
innovates – there are now 360 models of the
little red Swiss Army Knife offering up to 80
functions. The top-of-the-range Swiss Champ,
for example, has 33 functions, the SwissFlash®
is a USB pocket knife with up to 32GB of digital
storage capacity, and the Victorinox Rescue Tool
has found life-saving uses for rescue and security
services.
Victorinox now has 1,800 employees worldwide, but it retains the culture of a family firm,
not having dismissed anyone for economic
reasons for more than 80 years. Eight of the
eleven children of Carl Elsener Senior, the
grandson of the founder who died in June 2013,
work for the company – including Carl Elsener
ARTICLES |
Karl Elsener
Junior, who succeeded his father in 2007 having
shared an office with him for more than 30 years.
One of his brothers – the family geek – heads
the IT department, while another who liked
working with his hands is in charge of quality
management and customer service for the Swiss
Army Knife.
‘We are a very big family, and family values are
important to us,’ says Carl Junior. ‘The Victorinox
company has been part of our lives since we
were children – I was born across the street from
the factory, and below us was the office, the
warehouse and other departments. Victorinox
was our playground, and we earned our first
pocket money in the factory on Wednesday and
Saturday afternoons by packaging knives in busy
periods.
‘It was very important for my father to give
us the feeling of the company, and he always
introduced us to customers visiting the company
from the USA, Germany or Italy. We had to sit
quietly and listen, and while we did not always
understand the conversation, we understood
that these people were very important for our
company. My father always said that at the centre
of his thinking he put our people, our products
and our customers – and that a business which
concentrates on those cannot do much wrong
in the long-term. He gave every new employee a
booklet setting out the company’s history, values
and philosophy. In that, he wrote that ownerfamilies should not look at the reserves that the
company has built over the years, the machines,
the land and the buildings as their property, but
as something that is entrusted to them to manage
and lead responsibly.’
In line with this philosophy, the family
established a Victorinox Foundation in 2000
which now owns 90 per cent of the share
capital and reinvests its share of the profits in
the business. This will preserve the company’s
assets intact through the generations, so that it
can continue to develop and remain financially
independent. Even before the creation of
the foundation, the family had never drawn a
dividend from the company, earning only salaries
which are no more than five times the average
wage of employees.
The remaining 10 per cent of the shares are
in a charitable foundation established in memory
of Carl Senior’s mother and father, which uses it
to support charitable projects in Switzerland and
worldwide – for example, to build hospitals and
schools and dig wells in Africa. These ownership
arrangements reflect the Christian values that
have inspired all four generations of Elseners,
of ‘gratitude towards employees, customers and
our Creator’, as Carl Junior put it at his father’s
funeral.
Victorinox is an iconic company today, but
the early days of Karl Elsener’s business were
difficult. At first he founded an association
of 25 Swiss craftsmen cutlers to cooperate on
producing within Switzerland the knives used by
the soldiers of the Swiss army. The first delivery
La Lettre de Penthes - No 27 | 19
| ARTICLES
was made in 1891, but the venture almost
collapsed because a German firm could massproduce the knives more cheaply. Karl Elsener
persevered but lost all his money and survived
only because of the support of relatives and
creditors until his products became successful
and he voluntarily repaid all the creditors with
interest.
from carrying blades on board hit Victorinox
hard, since so many of its knives were sold to
travellers using airports or given as corporate
souvenirs that were no longer useful to travelling
executives. ‘After 9/11 sales fell more than 30 per
cent overnight’, but the company strained every
sinew to maintain its record of not dismissing
employees for economic reasons.
After the death of his mother in 1909, Karl
Elsener branded his knives with her name
of Victoria and in the same year registered
the distinctive trademark of the cross and
shield which is now protected in more than
120 countries. The invention of stainless steel
revolutionised the cutlery industry, and in 1921
the company became known as Victorinox,
combining his mother’s name with ‘inox’, derived
from the French word for stainless. But it was
the Second World War that led to a surge of
exports of the Swiss Army Knife which was sold
in the PX stores of the US Army, Marines and
Air Force.
‘We only managed to do this because of the
reserves we had always built up in good times,
which allowed us to go on investing in new
markets,’ says Carl Elsener Jr. ‘We stopped
hiring, cancelled overtime and retrained some
staff assembling the Swiss Army Knives so they
could make the household and professional
knives. We also moved others to our timepieces
division and we even lent around 60 people to
companies in the neighbourhood with big orders
to fulfil. Before 9/11, we had seen high sales
and had asked our people to work overtime to
restock the warehouses – so after 9/11 we asked
them to consume their outstanding holidays and
overtime. With all these measures, we managed
to keep on all of our people who appreciated that
the family was prepared do everything possible
to protect their jobs.’
One of the biggest challenges the company
has faced in recent years followed the 9/11
terrorist attacks on the USA in 2001. New airline
safety regulations which forbade passengers
20 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES |
By the time of 9/11, Victorinox had already
been diversifying its products – a responsibility
that Carl Senior had delegated to Carl Junior to
allow him to focus on the core knife products
and avoid the international travel which he did
not enjoy. This suited Carl Junior, who had spent
six months in the US working with the public
company which imported Victorinox products,
and who enjoyed working abroad and learning
about new cultures. The diversification was
initially prompted by concerns in the 1980s over
counterfeiting, as cheap imitations of the pocket
knives flooded.
‘My father and I discussed how we could
keep production of the Swiss Army Knife in
Switzerland and be competitive. Our conclusion
was that we should invest in our brand and make
it more visible, because people are prepared to
pay a little more for a brand and for customer
service. Despite all the functions of the Swiss
Army Knife, it has one disadvantage – it is carried
in the pocket where it cannot be seen. People
who buy a brand like to show it off, whether it is
a Mercedes car or a Nike shirt, so we needed to
make our brand more visible.’
His first project was the launch of the Swiss
Army Watch in 1989, like the knives made in
Switzerland at the company’s own assembly
facilities in the Jura watch-making region. Today
the high-performance timepieces account for
one in five of the Swiss watches sold in the
US. In 1999, Victorinox partnered with a US
company to enter the international travel gear
market, followed by the launch of a fashion
line in the US in 2001 and fragrances in 2007.
His wife Veronika leads the brand team which
ensures that all the Victorinox products support
the values of Swiss quality and reliability behind
the little red knives.
The company also opened its first Victorinox
store in New York’s trendy SoHo district in 2001,
and its first European flagship store in London’s
fashionable New Bond Street in 2008. There are
now 12 stores in the US, one in Geneva and two
in Germany, where the Swiss Army Knife has
always been popular. Victorinox products are
sold in more than 130 countries today, and the
company is focusing its growth efforts on Latin
America and Asia where the prospects are best
and people are less likely to assume that knives
and cutlery are its only products.
The company is also promoting activities
that will encourage the use of a pocket knife
by children – something that it believes many
parents want to see in today’s world. ‘We are
working with an outdoor specialist who has
written a book about whittling and has started
to give courses about how to do it. The feedback
from schools has been incredible, because
parents have had enough of computer games
and would like their children to play in the woods
and work with their hands to make things. And
although children today have smartphones and
tablets, when a boy is given his first Swiss Army
Knife, his eyes still light up.’
Carl Elsener Junior’s tips for
entrepreneurs
• The advice given to me by my father
remains true today: focus your energy and
your passion on your people, on your products
and on your customers
• If you want to lead or manage people,
you must be yourself – be authentic and able
to live the values of your private life in your
business. If you have to adopt different values
in business, it will be challenging to work with
passion and commitment
• Lead your people by example: do not ask
them to do something that you would not do
yourself
• Go for organic, long-term, sustainable
growth – don’t borrow too much
• Stay grounded
La Lettre de Penthes - No 27 | 21
| ARTICLES
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ARTICLES |
Les Morier,
une famille étroitement mêlée aux intrigues européennes et
proche-orientales pendant les luttes de pouvoir du XIXe siècle
Par
Rhoona Ducrey
Un jour d’avril 1799, un jeune homme du nom de Philippe Morier est
nommé secrétaire de lord Elgin, ambassadeur britannique à Constantinople.
C’est le début d’une ère de près de cent ans pendant laquelle un membre de
la famille Morier au moins a des responsabilités importantes au ministère
britannique des Affaires étrangères. Pendant cette période, le monde se
transformera considérablement.
Les pages qui suivent racontent les aventures de cinq membres de la famille
Morier, des expériences qui les voient aussi bien en Inde qu’au Mexique,
dans le désert d’Égypte ou de Perse, dans les montagnes des Balkans,
mais aussi dans les salons les plus distingués d’Europe et dans l’intimité de
personnalités qui ont façonné l’histoire de leur temps.
La famille Morier
Philip Morier
En 1685, suite à la révocation de l’Édit de
Nantes, Abram Morier, cordonnier, fuit la France
comme le font 300 000 autres protestants et ce
malgré la menace des galères qui pèse sur ceux
qui quittent le pays. Avec sa femme et ses deux
petits garçons, il s’installe à Château-d’Œx dans
le Pays-d’Enhaut et aura six autres enfants.
Comme ses frères, Philippe fait ses études à
Harrow en Angleterre ; il y fréquente des cousins
(par sa mère), Chabannes-La Palice, qui ont fui
la Révolution française et auront une carrière
diplomatique importante au service de leur pays.
À cette époque, la Turquie devient un centre
d’intérêts contestés entre la France et la GrandeBretagne. Napoléon Bonaparte dit de l’Europe
qu’elle est « une taupinière » par rapport à l’Asie,
et son ambition, pour contrer les Anglais, est
d’utiliser la flotte vénitienne (dont il a acquis
le contrôle après ses victoires en Italie) pour
prendre Malte, puis l’Égypte et le Levant, avec
l’Inde comme but ultime.
Un petit-fils d’Abram, Isaac, rejoint un frère
à Londres dans le commerce de calicots, puis
se rend auprès d’un oncle à Smyrne (Izmir
aujourd’hui) ; il aura trois fils qui entreront dans le
service diplomatique de Sa Majesté : John Philip
(1776-1853), James Justinian (1780) et David
Richard (1784-1877), ainsi qu’un quatrième fils
du nom de William (1790-1864), qui rejoindra
la Royal Navy où il atteindra le grade d’amiral.
Robert David (1826-1893), le fils de David
Richard, poursuivra la tradition diplomatique de
sa famille.
En 1798, Bonaparte renverse effectivement les
Mamelouks en Égypte ; il entre au Caire, assiège
la forteresse d’Acre en Syrie et prend contact
avec le sultan de Mysore (Inde), qui résiste
encore aux Britanniques. Bonaparte est repoussé
à Acre par l’armée britannique, rentre en France
en laissant Kléber gérer l’occupation française
de l’Égypte. La Turquie envoie ses troupes pour
libérer l’Égypte : des Albanais, des Macédoniens,
des Géorgiens, des Circassiens et des volontaires
venus essentiellement pour piller. Lord Elgin
envoie Philip Morier comme officier de liaison
avec ces troupes turques. Morier nous a laissé
La Lettre de Penthes - No 27 | 23
| ARTICLES
un long récit de la traversée de déserts torrides
avec 300 morts par jour, des chevaux incapables
de tirer les canons dans le sable et des chameaux
chargés d’outres d’eau qui sont volées pendant
la nuit. Deux ans plus tard, l’armée « turque » se
trouve confrontée aux troupes françaises qui la
repoussent et Morier est fait prisonnier pendant
un court temps.
En 1803, Philip Morier est envoyé à Janina
en Albanie. Ali Pacha, le chef tyrannique de la
région d’Épire, étend son influence à l’Albanie
centrale et jusqu’au golfe de Corinthe ; il essaie
de convaincre les Français, qui sont en conflit
avec les Anglais à Corfou et dans d’autres
îles ioniennes, de le laisser réunir la Grèce et
l’Albanie sous son commandement. Un agent
français est envoyé à Janina ; les Britanniques y
délèguent Philip Morier, bientôt rejoint par son
frère David. Ali Pacha joue les Français contre
les Anglais, puis s’allie aux Britanniques quand le
Premier Consul voit la victoire lui échapper.
En 1810, Philip Morier est envoyé à la légation
de Washington ; par la suite, il sera commissaire
en Amérique latine. Après avoir été promu soussecrétaire d’État à Londres, il part à la cour de
Saxe à Dresde. Il mourra à Londres ; sa femme,
fille aînée de lord Hugh Seymour, lui a donné six
filles !
James Morier
Sir Walter Scott dit de James Morier qu’il est
le meilleur auteur de son temps ; il est, en effet,
resté célèbre pour son roman Les Aventures de
Hadji Baba d’Ispahan. Comme dans ses autres
écrits, cette histoire se passe entre la Perse et le
Moyen-Orient.
En 1800, Napoléon Bonaparte peut convaincre
le tsar Paul Ier de Russie de conclure une alliance
dans le but d’avancer vers l’Inde avec l’accord de
la Perse. Le tsar lance un contingent de cosaques
dans cette aventure ; sans cartes ni bagages,
ceux-ci n’avancent pas très loin alors qu’à
Saint-Pétersbourg, le tsar meurt assassiné. Mais
24 | La Lettre de Penthes - No 27
les Britanniques comprennent qu’ils doivent
faire alliance avec le shah contre la France et la
Russie ; un traité est signé avec le shah Fath Ali
pour contrer les Français. La guerre est déclarée
entre la Russie et la Perse, et le shah demande
l’aide des troupes britanniques en accord avec ce
traité. Les Britanniques ignorent cet appel et le
shah, furieux, se tourne vers la France, d’autant
que Napoléon déclare la guerre à la Russie. Une
mission politique et militaire française arrive en
Perse avec des officiers français qui se mettent à
instruire les troupes perses.
En 1807, à Constantinople, James Morier
rencontre sir Harford Jones-Brydges de la
Compagnie des Indes qui l’emmène comme
secrétaire en mission officielle en Perse. Les
deux hommes persuadent le shah de renouer
avec l’Angleterre et signent un traité d’amitié.
Le shah est d’autant plus facilement acquis à
cette perspective qu’entre-temps, Napoléon a
persuadé le tsar Alexandre Ier de gagner ensemble
l’Inde en passant par la Perse. C’est suite à ce
voyage que James Morier écrit Un voyage à travers
la Perse, l’Arménie et l’Asie mineure, récit qui a
longtemps été considéré comme une des œuvres
les plus importantes publiées sur ces régions mal
connues du public.
En 1810, James Morier est à nouveau envoyé
en Perse pour finaliser le traité ; il décrit
longuement son voyage sur deux bateaux de
guerre en compagnie de militaires qui sont
chargés d’instruire l’armée perse. Le voyage dure
seize mois et passe par Madère, Rio de Janeiro,
Ceylan, Cochin et Bombay ; de là, des caravanes
conduisent les voyageurs par les montagnes et
des précipices jusqu’en Perse où ils découvrent
que la guerre a de nouveau éclaté entre la
Perse et la Russie. L’armée britannique prend
part à cette guerre et contribue à une des rares
victoires que la Perse a gagnées contre la Russie,
qui, elle, compte 500 morts dans ses rangs. Les
Britanniques signent avec le shah un traité formel
qui prévoit la présence d’une flotte britannique
dans la mer Caspienne et le golfe Persique. Entretemps, l’Angleterre et la Russie se sont alliées
ARTICLES |
contre Napoléon et James Morier est envoyé en
Russie, près de la frontière perse, pour négocier,
avec un général de Tichev, un armistice entre la
Perse et la Russie. Ses récits sur cette mission
sont truffés d’humour : il raconte comment les
Russes ferment toutes les portes pendant les
négociations, tandis que les Persans insistent
pour avoir continuellement des serviteurs qui
entrent et sortent pour apporter des narguilés et
des boissons.
En 1814, James Morier devient le chef de la
mission britannique à Constantinople.
En 1824, bien qu’à la retraite, James Morier
sera encore envoyé au Mexique pour établir des
relations diplomatiques avec ce pays qui vient de
gagner son indépendance avec l’Espagne.
David Morier
Comme on l’a vu plus haut, David Morier
commence sa carrière comme consul général
britannique à Janina, en Albanie. Puis il est
envoyé en mission en Égypte pour y faire libérer
des prisonniers britanniques.
En 1808, à l’ambassade britannique de
Constantinople, il s’occupe de la négociation qui
conduit au Traité des Dardanelles.
Par l’entremise du général Sebastiani, les
Français cherchent à forger une alliance avec les
Turcs et finissent par obtenir leur accord pour
la désignation d’un envoyé spécial à la Sublime
Porte. Sebastiani est en relation constante avec le
sultan ; la France parvient à exercer une influence
importante sur les décisions turques ; des officiers
français commandent des navires de guerre turcs
et des bateaux privés français obtiennent le droit
de mouiller dans des ports turcs et de pirater
les navires britanniques. Le sultan Selim III fait
preuve d’une grande admiration pour la culture
française. Alors qu’un ultimatum britannique
demande l’expulsion de Sebastiani, le sultan
organise la défense de Constantinople et la flotte
britannique doit se retirer. Le successeur de
Sélim III, Abdoul-Hamid I, reçoit en « présent »
une cousine de Joséphine de Beauharnais du
nom d’Aimée du Bucq de Rivéry ; la jeune femme
aura une influence considérable à la cour ; son
fils sera le sultan Mahmoud II. Pour Napoléon,
Constantinople a une importance stratégique
prépondérante en Europe.
La Lettre de Penthes - No 27 | 25
| ARTICLES
David Morier et son ambassadeur Stratford
Canning doivent contrer cette influence en
obtenant la paix entre la Turquie et la Russie, ce
qui laisserait l’armée russe libre de se concentrer
sur une éventuelle offensive de Napoléon. Les
services secrets britanniques révèlent aux Russes
un document portant sur un accord entre la
France et l’Autriche pour défendre la Turquie en
cas d’attaque russe ; un autre document, obtenu
par Napoléon à Vienne, prévoit l’invasion de
la Turquie et son partage entre la France et
l’Autriche. Irrités par ce qui précède, Turcs et
Russes signent, en 1812, le Traité de Bucarest. Le
duc de Wellington estime que la contribution de
Morier à la conclusion de ce traité est « le plus
important service qu’un individu ait rendu à la
Grande-Bretagne et au monde ».
En 1815, David Morier, après avoir fait
basculer la Turquie de l’influence française à
l’influence britannique, est envoyé en compagnie
de l’ambassadeur lord Aberdeen en mission à
Vienne pour rétablir les relations diplomatiques
avec l’Autriche, relations qui ont été rompues
après l’assassinat d’un ambassadeur britannique.
Lord Aberdeen, encore sans expérience
diplomatique, laisse David Morier gérer les
affaires et le considère comme étant « a jewel ».
L’Europe vit une époque de grands désordres et,
pour atteindre Vienne, David et son ambassadeur
doivent passer par la Suède, puis suivre un
parcours plein de dangers pour rejoindre
finalement les quartiers généraux de l’armée
autrichienne et l’empereur. Ils parviennent à
éviter d’être capturés par les troupes françaises
et même par les troupes russes, alliées, mais sans
discipline. David Morier nous a livré de cette
aventure des descriptions très vivantes.
Le Dictionnaire des biographies nationales évoque
David Morier comme un « acteur aux plus
importantes transactions diplomatiques du siècle
» : en mai 1814, il accompagne lord Castlereagh
à la conférence de Châtillon-sur-Seine où
l’on prépare les traités de Paris ; il prend donc
part aux négociations pour l’organisation de
l’Europe après la chute de Napoléon et il est
26 | La Lettre de Penthes - No 27
tout particulièrement occupé à rédiger les traités
de 1815. Enfin, il accompagne son ministre des
Affaires étrangères lors de la signature du Traité
de Vienne.
Le prochain poste de David Morier est celui
de consul général britannique en France, puis,
en 1832, il est nommé ministre plénipotentiaire
à Berne où il ne reste pas moins de quinze ans.
Mais en 1847, il est rappelé à Londres par lord
Palmerston à cause de leurs divergences de vues
sur la crise constitutionnelle suisse ; en effet,
David Morier s’avère être un fervent défenseur
d’une grande indépendance des cantons.
Robert Morier
Robert Morier naît à Paris, en 1826, et passe
son enfance en Suisse au Hubel, une maison
de campagne près de Berne, puis au château
d’Oberhofen au bord du lac de Thoune. Il fait
ses études à Oxford. Sa vie durant, il s’informe
auprès de toutes les couches de la société dans
laquelle il travaille, apportant ainsi une vision
du monde bien différente à ses supérieurs. Son
premier intérêt est l’Allemagne et, étant sur place,
il envoie à Londres des rapports très remarqués
sur la guerre de 1850 entre le Schleswig-Holstein
et le Danemark. En 1853, Robert Morier est
envoyé comme attaché d’ambassade à Vienne.
Il accompagne son ambassadeur à la conférence
d’Olmütz qui réunit les Autrichiens et les Russes.
Puis il est envoyé en mission aux extrémités
de l’Empire austro-hongrois à l’occasion d’un
différend avec les Turcs.
En 1860, Morier fait partie de la suite de la reine
Victoria en déplacement à Cobourg. En 1862, il
est nommé à l’ambassade britannique à Berlin,
mais mène aussi des négociations commerciales
à Vienne, où il est reçu régulièrement à la cour ;
on garde de lui une description délicieuse de
l’impératrice. Il est fait chevalier de l’Ordre du
Bain. Ensuite, il est chargé d’affaires à Stuttgart,
puis pendant quatre ans à Munich. Durant tout
son séjour de 33 ans en Allemagne, Morier
sera très impliqué dans les rivalités entre les
ARTICLES |
différentes factions qui auront un impact sur
la future Allemagne unifiée. Les opposants
principaux sont Otto von Bismarck, d’un côté,
qui vise une Allemagne impériale et militairement
prépondérante sous un régime autocratique, et une
Prusse, de l’autre côté, plus libérale et cherchant à
faire naître une Allemagne démocratique. Robert
Morier est un libéral fervent. Le prince Albert,
mari de la reine Victoria, manifeste un intérêt
particulier pour la politique allemande et souhaite
que l’Allemagne unifiée soit source de stabilité et
de paix pour l’Europe, mais aussi que la GrandeBretagne participe à une alliance avec l’Allemagne
afin de se protéger contre d’éventuelles menaces
françaises ou russes. Le prince Albert se fait le
protecteur de David Morier et compte sur lui
pour faire avancer son projet. La fille aînée de
la reine Victoria a d’ailleurs épousé le prince
Frédéric, successeur au trône de la Prusse, un
homme libéral et un adversaire de Bismarck.
Voilà ce qu’écrit le prince : « L’excellent Morier
est devenu un vrai ami et son talent nous est d’un
grand secours. » Quant à Bismarck, il dispose
d’un service de renseignements très efficace.
C’est donc bien Robert Morier qui sert d’agent de
liaison entre la princesse royale et sa mère pour
déjouer les espions du chancelier ; le diplomate
est souvent reçu en audience privée par la reine.
Mais, en fin de compte, Bismarck sort gagnant
et Morier est transféré à Lisbonne en 1876. Il
approfondit l’ancienne alliance entre le Portugal
et la Grande-Bretagne et la coopération dans
les affaires coloniales africaines et indiennes. Il
accompagne aussi le futur Édouard VII lors d’un
retour des Indes en bateau.
En 1881, sir Robert Morier est transféré
à Madrid et en 1884, il est nommé à SaintPétersbourg. Les relations entre la Russie et
la Grande-Bretagne sont tendues à cause des
Khanats tatars, indépendants, au nord de la
frontière afghane.
Sous prétexte de brigandage à contrôler ou
d’exercices militaires à organiser, les Russes
avancent vers la conquête d’une frontière mal
définie. Les Britanniques sentent l’émir afghan,
leur allié, menacé et, avec lui, l’Inde. Une réunion
à la frontière afghane est organisée pour définir un
tracé définitif. Les Britanniques y attendent pour
traiter un certain général Zelenoï, qui n’arrive
jamais, alors que les troupes russes descendent
de plus en plus loin vers le sud et franchissent
les frontières que les Britanniques sont venus
définir. Le 29 mai 1885, les Russes attaquent
Pandjeh, une ville afghane. Le Premier ministre
Gladstone fait voter au Parlement un crédit de
six millions de livres pour défendre cette place et
l’armée indienne est mobilisée. Avec fermeté, sir
Robert réussit à éviter la guerre et sera nommé
Grand-Croix de l’Ordre du Bain et Grand-Croix
de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges en
reconnaissance de ses services dans ces temps de
crise.
Plus tard, sir Robert s’impliquera dans de
difficiles négociations entre la Russie et la
Perse, de même qu’entre la Russie et la Chine.
Son objectif principal consiste à améliorer les
relations entre la Russie et la Grande-Bretagne
pour mener à une alliance entre ces deux pays et
contrer la montée en puissance de l’Allemagne.
Dans ce but, il propose que la Grande-Bretagne
n’intervienne pas dans les affaires russes aux
Balkans et qu’en contrepartie, la Russie ne
menace pas les intérêts britanniques en Inde et
au Moyen-Orient. En cela, il s’oppose à ceux, à
Londres, qui veulent voir les pays des Balkans
indépendants, comme à la reine Victoria ellemême ; en effet, une de ses petites-filles a épousé
le prince Alexandre de Battenberg, proclamé
roi de Bulgarie, qui désire rendre son pays
indépendant de la Russie. Néanmoins, les efforts
de sir Robert pour améliorer les relations avec la
Russie produisent des résultats substantiels et il
se lie d’amitié avec le tsar Alexandre III.
En 1891, pour des raisons de santé, sir Robert
demande son transfert à Rome, mais le tsar
s’oppose à son départ et le diplomate accepte de
rester à son poste. Il meurt en 1893 à Montreux,
non loin de Château-d’Œx où son ancêtre Abram
s’est installé 200 ans plus tôt.
La Lettre de Penthes - No 27 | 27
| ARTICLES
Ferdinand de Saussure :
un très discret savant
genevois au rayonnement
mondial
Par
Luc Franzoni
docteur en droit
Il a fallu cent ans après le Cours de linguistique générale, publié trois ans après
la mort de Ferdinand de Saussure et qui aura bouleversé le mode de pensée
occidental tout en continuant à l’animer, pour que l’on donne à une salle de
l’Université de Genève le nom de ce savant si important. C’est une unique
occasion d’honorer ce personnage pourtant si discret mais dont l’œuvre est
hors du commun, en publiant sa biographie dans cette Lettre de Penthes qui
célèbre l’influence et le rayonnement des Suisses dans le monde.
N
é en 1857 dans une vieille famille genevoise,
issue de l’émigration huguenote française,
Ferdinand de Saussure avait une forte
ascendance scientifique dans un cadre éthique
austère : naturalistes, géologues, zoologues,
entomologistes, biologistes, botanistes, chimistes,
pasteurs s’égrainaient au fil des siècles. À la fois
nourri par cette tradition qu’il portait en lui, et
contrarié par les immenses attentes engendrées
par son patronyme et la volonté « d’inventer »
son chemin de connaissance et d’excellence,
la vie de Ferdinand de Saussure oscilla « entre
pulsion de mort et pulsion de vie pour donner
lieu aux fondements de la linguistique générale »
(Claudia Mejia Quijano, Le Cours d’une vie –
Portrait diachronique de Ferdinand de Saussure, Psyché.
Éditions Cécile Defaut, Nantes 2008).
Aimé Pictet note de son côté qu’avant de
s’orienter définitivement vers la jeune linguistique
alors enseignée à Leipzig notamment par
l’helléniste distingué Curtius et d’autres maîtres
néogrammairiens : « Saussure prend un tas de
cours impossibles, un peu de tout, il est autant en
théologie qu’en droit, ou sciences. »
28 | La Lettre de Penthes - No 27
À Leipzig il étudie – outre le sanskrit – l’iranien,
le vieil irlandais, le vieux slave, le lituanien
pendant quatre ans. Respectivement à 20 et 21
ans, il élabore et communique un premier grand
mémoire sur les « a » en indo-européen et un
deuxième sur le système primitif des voyelles
dans les langues européennes qui lui valurent une
notoriété immédiate. Il gagne ensuite Paris où
il se lie avec tout ce qui compte de linguistes et
devient le secrétaire général adjoint de la Société
des linguistes en 1882. Il surveille la publication
des articles et publie lui-même régulièrement. Il
rentre à Genève pour diverses raisons : sa santé
toujours fragile, son refus de prendre la nationalité
française pour être nommé au Collège de France
et la création par l’Université de Genève d’une
chaire d’histoire et de comparaison des langues
indo-européennes. Il y enseignera jusqu’aux
dernières années de sa vie la linguistique générale
(1907-1911). C’est la période où il écrit de moins
en moins ; la communication avec ses amis, pairs
et disciples allant en diminuant.
ARTICLES |
Cette période genevoise de Ferdinand de
Saussure a été sujette à de très nombreuses
interprétations : manque d’ambition, santé fragile,
souci exagéré de l’achèvement et de la peur de
tout gâcher, ou par la conscience même qu’il
avait de l’énormité de la tâche qu’il s’assignait :
fonder une linguistique générale dont le champ
dépassait de très loin les conceptions de ses
pairs… bref un drame de « la solitude scientifique
». Le Cours de linguistique générale, que Ferdinand
de Saussure n’écrivit pas lui-même, fut le fruit
de deux auditeurs assidus de ces cours, Charles
Bailly et Albert Sechehaye qui retranscriront les
notes qu’ils avaient prises tout au long de leurs
années d’études auprès de Saussure, combinées
à des notes d’autres auditeurs et à des notes
personnelles de leur maître. Le Cours de linguistique
générale eut le succès que l’on sait. Les théories qui
sous-tendent la pensée de Ferdinand de Saussure
s’articulent autour de la preuve apportée que
les langues se sont développées autour de deux
sons (système binaire) et que la relation entre
le sujet qui s’exprime et celui à qui il s’adresse
est déterminante dans le fonctionnement d’un
système de signes dans la vie sociale.
Dès lors la pensée de Ferdinand de Saussure est
inséparable de l’histoire de l’esprit. Elle se trouve
en effet à la base de systèmes philosophiques et
anthropologiques, de pans entiers des sciences
humaines modernes promus par des savants
tels que Claude Lévi-Strauss (structuralisme),
Jacques Lacan, Michel Foucault, Roland Barthes
et bien d’autres. On peut légitimement comparer
le destin scientifique de Ferdinand de Saussure
à celui de Marcel Mauss, tous les deux ayant
été d’une érudition exceptionnelle tout en étant
demeurés enfermés entre les quatre murs de leur
bureau de travail. D’autres viendront déployer
tous leurs effets en les opérationnalisant sur le
« terrain ».
Le Cours de linguistique générale de Ferdinand de
Saussure demeure un livre charnière, l’un de ces
textes rares qui ont révolutionné et continuent
de travailler un mode de pensée de l’aventure
humaine dans ce qu’elle a de meilleur.
Ferdinand de Saussure a su porter encore
plus haut son riche patronyme et a ouvert à
ses successeurs spirituels et ses descendants et
collatéraux de nouveaux champs d’investigation
scientifique : linguistique, psychanalyse… L’écho
d’excellence du patronyme résonne dans de
nombreux domaines « ondoyants et divers » de
l’esprit et de l’histoire humaine.
Laissons à Charles Bailly ami, disciple et
auditeur des leçons de Ferdinand de Saussure
le soin de conclure : « Personne plus que lui n’a
professé le mépris de la gloire, un détachement
plus complet de toute vanité, de tout intérêt
personnel... Rien de mesquin ne pouvait aborder
cette âme chevaleresque. »
Les citations sont extraites ou empruntées aux sources
suivantes :
« Linguistique mon amour », article de Louis de Saussure
dans la Tribune de Genève du 28 janvier 2016.
« Ferdinand de Saussure, 1857-1913 », plaquette éditée par
Jacques de Saussure son fils en décembre 1962 regroupant
des notes de sa mère.
Le Cours d’une vie – Portrait diachronique de Ferdinand de
Saussure, Claudia Mejia Quijano, Psyché, Éditions Cécile
Defaut, Nantes 2008.
Ferdinand de Saussure, par G. Mounin, Seghers éditeurs,
Paris 1968.
La Lettre de Penthes - No 27 | 29
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| REVUE LITTÉRAIRE
Livres à lire
L’information sur
l’Europe : un défi
majeur
Bénédict DE TSCHARNER
Suisse – Europe. Portrait d’une relation
complexe
Grand Genève – Bassin lémanique –
Arc jurassien / Regio Basiliensis
Paul Aenishaenslin, Hans Rudolf Bachmann,
Raymond Lorétan (éditeurs), Genève / Bâle 2016
Comment fournir au citoyen suisse
l’information qu’il cherche sur la construction
européenne ? Des simplifications polémiques
sont toujours disponibles ; des analyses
scientifiques sont élaborées dans nos instituts et
hautes écoles ; mais comment occuper le terrain
du milieu, celui d’une information sérieuse,
couvrant l’ensemble du sujet, et pourtant facile
à lire et à comprendre ? C’est ce défi qu’a tenté
de relever Bénédict de Tscharner. En juin 2015,
une version en langue allemande est sortie sous le
titre de Basler Europa-Brevier. Vieviel Europa braucht
die Schweiz ? Wieviel Regio braucht Basel ? L’auteur
a ensuite lui-même traduit ce texte en français,
l’a retravaillé sur certains points, l’a complété
et s’est fait aider par une équipe genevoise de
trois membres du think tank Foraus pour ajouter
un chapitre sur le Grand Genève, le Bassin
lémanique et l’Arc jurassien.
32 | La Lettre de Penthes - No 27
Quatre sujets à découvrir :
– L’évolution de la construction
européenne depuis la Seconde Guerre mondiale,
les (nombreuses) institutions européennes, leurs
actions et interactions ;
–
l’évolution des relations entre la Suisse
et les instances européennes au cours de la même
période, y compris les défis d’aujourd’hui ;
–
un petit who’s who de quelques grands
négociateurs suisses ;
–
et, enfin, deux chapitres sur la
coopération transfrontalière régionale, autour
de Bâle et du Rhin supérieur, d’une part, autour
de Genève et des régions frontalières avec la
France, d’autre part.
Le terme de complexité est au centre de cette
description : complexité dans l’évolution socioéconomique de l’interdépendance entre les
peuples européens ; mais complexité aussi dans
les institutions et règles de jeu. Pour ce qui est
de l’Union européenne, elle n’a pas voulu être
un État fédéral, mais elle est bien plus qu’une
organisation internationale ordinaire.
Cette publication n’est pas un pamphlet
politique pour ou contre « l’Europe », ni pour
ou contre une éventuelle adhésion de la Suisse
à l’Union européenne ; sur certains points,
elle formule des critiques, mais toujours avec
la question : comment mieux faire, comment
surmonter les difficultés ? Pour ce qui est de la
politique suisse, elle suit globalement la politique
officielle, qui tâche de sauvegarder la formule du
bilatéralisme ; autrement dit : ce texte est « europositif » sans être militant.
REVUE LITTÉRAIRE |
La Belgique
reconnaissante
Jean-Pierre WAUTERS
Mary Widmer-Curtat et le Comité
suisse de secours aux réfugiés belges
pendant la Grande Guerre
Widmer-Curtat. C’était le fil qu’il fallait tirer pour
découvrir une histoire oubliée de tous. Archives,
lettres, articles de journaux ont permis à l’auteur
de reconstituer une aventure que les historiens
suisses et belges ont complètement ignorée.
Les Suisses du
Tennessee
Société d’histoire de la Suisse romande, 2015,Sion
Dwight PAGE
2012
The Swiss presence in the history of
Tennessee
En cette période de commémorations
innombrables de la Grande Guerre, cet ouvrage
en reconstitue un épisode oublié : l’hospitalité
offerte par la Suisse à plus de 9 000 enfants et
exilés belges entre 1914 et 1919 dans le cadre d’une
initiative privée personnelle. Heureusement,
la statue La Belgique reconnaissante le long du lac
Léman et le nom de Quai des Belges à Lausanne
en constitue encore la trace directe.
C’est à la découverte de cette histoire que
Jean-Pierre Wauters, professeur honoraire de la
Faculté de médecine de l’Université de Lausanne
et président de la Société Royale Union Belge
(Lausanne), invite le lecteur. Le début de cette
étude est dû au hasard ; en novembre 2013,
Isabelle Dalimier, chercheuse à l’Université
de Liège, était invitée à parler à l’Union Belge
de Lausanne d’une correspondance dont elle
venait d’hériter : celle qu’une marraine de guerre
lausannoise, Emma Grenier, entretenait avec un
soldat belge au front de l’Yser pendant la Grande
Guerre. Pour illustrer son propos, l’historienne
a demandé aux Lausannois une photo de Mary
Swiss American History Society,Chicago 2016
The Swiss Presence in the History of
Tennessee by Dr. Dwight Page, Editor-in-Chief
of the Swiss American Historical Society Review,
tells the exciting story of 300 years of Swiss
and Swiss American activities and adventures
in the State of Tennessee. The story begins in
Switzerland at the beginning of the 18th century,
when Swiss authorities compelled many religious
dissenters to leave Switzerland for exile in the
colony of Pennsylvania. From there, these initial
Swiss emigrants migrated south into Virginia,
North Carolina and eventually Tennessee. The
book then traces these Swiss emigrants’ defense
of liberty during the American Revolution,
their colonization of Knoxville, Nashville and
Memphis during the mid-nineteenth century,
and the foundation of the Swiss communities
of Gruetli-Lager and Hohenwald, Tennessee.
Thus, this new work of history presents the full
panorama of Swiss and Swiss American activities
in the Volunteer State.
La Lettre de Penthes - No 27 | 33
| REVUE LITTÉRAIRE
FRANCIS COUSIN
FRANCIS COUSIN
« Pour être diplomate, il ne suffit pas d’être bête, encore faut-il être poli ». Attribuée à Georges
Clémenceau, cette boutade continue à faire recette. En fait, que sait-on des diplomates et
consuls ? En quoi consiste leur travail, comment se déroule leur vie de nomades ? Durant près
de quatre décennies, Francis Cousin, ancien ambassadeur, a exercé aux Affaires étrangères
des fonctions administratives, consulaires et diplomatiques. Il donne dans ce livre un éclairage
vivant du service extérieur, vu de l’intérieur. Son récit nous emmène en voyage en différentes
parties du monde, mettant en exergue les moments forts et les servitudes du métier.
Bien davantage qu’une autobiographie, cette narration aborde des épisodes de l’histoire
contemporaine : la guerre au Viêt Nam et celles des Balkans, l’aide humanitaire et la coopération au développement, la problématique du trafic de stupéfiants et la difficile transition de
régimes autoritaires vers la démocratie. Au fil des chapitres, des descriptions de pays et de
leur culture agrémentent la lecture. Certains épisodes se lisent comme un polar, ainsi celui
de l’enlèvement de travailleurs humanitaires jurassiens par des rebelles en Ethiopie.
40 ANS AU SERVICE DE LA DIPLOMATIE SUISSE
Francis Cousin est né à Lausanne (Suisse) en 1944. Après un apprentissage de commerce, un stage bancaire à Düsseldorf (Allemagne), un
séjour d’études de l’anglais à Cambridge (Royaume-Uni) et une brève
période dans le secteur privé, il entra aux Département Fédéral des
Affaires Étrangères (DFAE) en 1965 et fut transféré successivement à
Madrid, Caracas, Los Angeles, Hanoï, Berlin-Ouest, La Nouvelle Delhi,
Berne, Addis Abeba, Kuala Lumpur, Quito, Bordeaux, Antananarivo,
Berne et Tirana.
A partir de 2003, en tant que membre du Pool suisse d’experts pour la promotion civile de la
paix, il a effectué des missions d’observation électorales dans une dizaine de pays et assumé
d’autres mandats pour le DFAE. De 2004 à 2009, il a siégé à la Commission d’éthique de
l’Université de Genève et, durant la même période, à la Commission d’admission au Service
civil. De 2009 à 2014, il a présidé le conseil de fondation de l’Institut Suisse d’Études
Albanaises (ISEAL).
MÉTIER SANS FRONTIÈRES
De nombreuses anecdotes pimentent un récit qui permet de mieux connaître, au-delà des
clichés habituels, le monde diplomatique et consulaire réputé formel, voire formaliste. À cet
égard, il est rafraîchissant d’observer que l’auteur manie volontiers humour et ironie, voire
une pointe d’autodérision. Quelques critiques à l’administration sont subtilement distillées
au passage.
MÉTIER SANS FRONTIÈRES
ISBN : 978-2-88930-089-1
40 ANS AU SERVICE DE LA DIPLOMATIE SUISSE
00 CHF
Métier sans frontières
Francis COUSIN
Métier sans frontières
40 ans au service de la diplomatie suisse
Éditions Alphil, Neuchâtel 2016
.
« Pour être diplomate, il ne suffit pas d’être bête,
encore faut-il être poli. » Attribuée à Georges
Clémenceau, cette boutade continue à faire
recette. En fait, que sait-on des diplomates et
consuls ? En quoi consiste leur travail, comment
se déroule leur vie de nomades ? Durant près
de quatre décennies, Francis Cousin, ancien
ambassadeur, a exercé aux Affaires étrangères
des fonctions administratives, consulaires et
diplomatiques. Il donne dans ce livre un éclairage
vivant du service extérieur, vu de l’intérieur. Son
récit nous emmène en voyage en différentes
parties du monde, mettant en exergue les
moments forts et les servitudes du métier.
Bien davantage qu’une autobiographie, cette
narration aborde des épisodes de l’histoire
contemporaine : la guerre au Viêt Nam et celles
des Balkans, l’aide humanitaire et la coopération
au développement, la problématique du trafic
de stupéfiants et la difficile transition de
régimes autoritaires vers la démocratie. Au fil
des chapitres, des descriptions de pays et de
leur culture agrémentent la lecture. Certains
épisodes se lisent comme un polar, ainsi celui
de l’enlèvement de travailleurs humanitaires
jurassiens par des rebelles en Éthiopie.
34 | La Lettre de Penthes - No 27
De nombreuses anecdotes pimentent un
récit qui permet de mieux connaître, au-delà
des clichés habituels, le monde diplomatique
et consulaire réputé formel, voire formaliste.
À cet égard, il est rafraîchissant d’observer que
l’auteur manie volontiers humour et ironie, voire
une pointe d’autodérision. Quelques critiques
à l’administration sont subtilement distillées au
passage.
Génie inventif Suisse
Die Bindschedlers
Bürgersinn − Wagemut − Innovation
Schweizer Pioniere der Wirtschaft und
Technik
Zürich 2016
« Es sollte also ihnen [meinen Nachkommen]
besonders von Wert sein, die Abstammung
kennen zu lernen, da diese Stammväter nach
meiner Überzeugung wohl die Ehre verdienen,
dass man sie in Andenken bewahre und nicht so
schnell der Vergessenheit überliefere. Denn nur
ihren hohen Tugenden verdanke ich das, was aus
mir geworden ist. »
Robert Bindschedler (1844-1901),
Andreas Bindschedler (1806-1885),
Albert Bindschedler (1814-1871),
Rudolf Gottfried Bindschedler (1883-1947),
Ernst Rudolf Leo Bindschedler (1915-1991).
REVUE LITTÉRAIRE |
Les Suissesses à Paris
Anne ROTHENBÜHLER
Le Baluchon et le Jupon
Les Suissesses à Paris, itinéraires
migratoires et professionnels (1880-1914)
bien organisée, consciente du regard que la population locale porte sur l’Autre et actrice de cette
réputation. Au carrefour de plusieurs champs
historiographiques (histoire de l’immigration,
histoire des femmes, histoire du travail, histoire
de la ville et enfin histoire de la Suisse), ce travail,
soutenu par des sources originales, dévoile des
destins jusqu’alors méconnus.
Éditions Alphil, Neuchâtel 2015
Le 12 août 1889, Madeleine L., garde-barrière à
Cressier, écrit à l’ambassadeur suisse à Paris une
lettre le suppliant de lui renvoyer sa fille, Marguerite, arrivée dans la capitale française quelques
jours plus tôt.
Comme elle, des milliers de Suissesses sont
parties pour la Ville Lumière. En effet, entre
1880 et 1914, les Suissesses représentent l’une
des principales populations féminines étrangères
de la capitale. À rebours des clichés qui font de
la Confédération helvétique un pays de cocagne,
se dégage de cette étude une émigration oubliée
aussi bien dans le pays de départ que dans le pays
d’arrivée. Ces migrantes sont bien souvent domestiques, mais les sources révèlent que l’argument économique n’est pas la cause principale de
cette migration. Celle-ci s’avère avant tout une
affaire d’opportunité professionnelle ou d’une
migration d’un type nouveau : les migrations
gestationnelles, de quelques mois, qui ont pour
but d’accoucher à Paris et d’échapper ainsi aux
rumeurs qui entourent les grossesses naturelles.
Par leurs itinéraires, ces femmes montrent
qu’elles savent saisir ou provoquer des opportunités, dévoilant ainsi toute leur capacité à être
actrices de leur destin. À Paris, les Suissesses se
retrouvent au sein d’une colonie helvétique très
La Lettre de Penthes - No 27 | 35
| REVUE LITTÉRAIRE
Adèle d’Affry (1836-1879)
Marcello
Femme artiste entre cour et bohème
Une exposition du 9 mars au 4 juin 2016
« Adèle d’Affry », « duchesse de Castiglione Colonna », « Marcello » : trois noms, trois identités incarnées en une seule femme. L’exposition honore cette artiste suisse, l’une des rares
femmes à s’être affirmée avec un réel succès dans l’art de la sculpture européenne de la
seconde moitié du XIXe siècle. Descendante d’hommes politiques et de militaires de la noblesse fribourgeoise, apparentée par mariage à la prestigieuse famille romaine des Colonna,
Adèle est l’amie du couple impérial français. Dès 1863, elle choisit le pseudonyme de Marcello pour exposer au Salon de Paris, espérant ainsi échapper aux préjugés de genre et de rang
en vigueur dans le monde artistique de son temps. Tiraillée entre une vie de représentation
officielle et un labeur artistique en solitaire à l’atelier, Adèle vit et œuvre intensément entre
Fribourg, Paris et Rome. Elle s’éteint prématurément en 1879 à l’âge de 43 ans. L’exposition
présente la personnalité et le parcours de cette femme et artiste, singulière et éblouissante, à
travers une sélection d’œuvres et d’écrits.
Sous la direction de Gianna A. Mina
Marcello. Adèle d'Affry (1836-1879).
– Duchesse de Castiglione Colonna
– Herzogin von Castiglione Colonna
– duchesa von Castiglione Colonna
5 Continents Éditions, Milan 2014
Ce catalogue accompagne l’exposition
itinérante qui présente l’œuvre de l’artiste
d’origine suisse.
Dans cet ouvrage, richement illustré, le
lecteur découvre les sculptures, les peintures
et les dessins de Marcello, qui dialoguent
entre le néoclassicisme et de nouvelles
influences artistiques.
36 | La Lettre de Penthes - No 27
REVUE LITTÉRAIRE |
Sous la direction de
Ghislain DE DIESBACH
Simone DE REYFF et Fabien PYTHON
La Double vie de la duchesse Colonna
Les cahiers d'Adèle
Édition de Penthes, Pregny-Genève 2015
Société d’histoire du canton de Fribourg, Fribourg
2014
Adulée par Carpeaux, Mérimée et Thiers,
cajolée par Rossini, chantée par Gounod,
Ni rêverie ni complaisance narcissique, dans convoitée par Napoléon III et beaucoup
ces écrits personnels, mais les échos d’une vie d'autres, jalousée par la plupart des femmes,
engagée : échanges artistiques et intellectuels, la duchesse Colonna est une somme de
expérience religieuse, réflexion politique. contrastes et de contradictions, de qualités
Adèle d’Affry, duchesse Castiglione Colonna nuisibles et de brillants défauts.
fait cependant leur part aux mondanités.
Telle une héroïne de Henry James, sans
Sous la direction de
espoir et sans but, elle erre de ville en ville,
Pascal GRIENER et Pamella GUERDAT
regrettant Rome lorsqu’elle est à Paris et
Société d’histoire du canton de Fribourg, Fribourg Fribourg lorsqu’elle est à Rome. Elle meurt à
2015
43 ans, indifférente à un monde qu’elle avait
déjà abandonné avant qu'elle ne le quitte,
Une sculptrice à l’œuvre.
seulement préoccupée du sort de ses œuvres,
Correspondance I
de ces bustes frémissants auxquels elle
La correspondance artistique de Marcello avait donné le mouvement de la vie en leur
aborde toutes les dimensions du métier : sacrifiant la sienne. Tout cela apparaît dans
l’apprentissage, les conditions de travail, l’importante et remarquable correspondance
les relations avec les praticiens et autres qui émaille cette biographie qui nous donne
collaborateurs, les expositions et la diffusion un superbe portrait de femme, fait d'ombre
commerciale de l’œuvre, sa réception par la et de lumière.
critique...
Du Salon au musée.
Correspondance II
Lucide, volontaire, et dans l’esprit de
l’époque, Marcello développe toute une
stratégie pour assurer sa postérité. Ce faisant,
Adèle déplace son ambition dynastique et sa
volonté de survie sur ses œuvres : « ses filles »,
dit-elle.
Christiane DOTAL
Marcello, sculpteur, une intellectuelle
de l'ombre
Fondation Custodia, Paris 2008
La Lettre de Penthes - No 27 | 37
| MOT DU DIRECTEUR
Ceux qui ont compté
pour Penthes...
Quand Fernando arrivait au Domaine, en hiver à travers la neige, en été au
lever du jour, on l’entendait de loin. D’abord très faiblement, puis de plus en
plus fort, la musique emplissait les airs, souvent le fado. Le moteur vrombissait.
Arrêté, le silence revenu, Fernando sortait, claquait délicatement la portière et
la journée de travail commençait. Il rejoignait la cuisine qui porte son nom,
derrière le Restaurant.
F
ernando aura vécu 29 ans au service de la
Fondation sur ses 33 années d’existence.
Il aura connu tous les changements et vu
défiler un nombre incroyable d’employés et de
fournisseurs avec lesquels il a entretenu très
souvent, voire toujours, par sa bonne humeur et
son assiduité au travail, d’excellentes relations.
Pour certains de ses collègues, il représentait, une
sorte de « Papi ».
Par sa fidélité à la Fondation, sa connaissance
de tous les recoins et habitudes, il fut cet aide
polyvalent qui offre, avec gentillesse, son labeur
à celui qui sollicite sa contribution quand il en a
besoin.
Présenté par son frère en mars 1987, il a été
engagé pour quelques semaines puis, le temps a
passé, passé…
C’est NOTRE mémoire qui s’éteint avec son
départ.
Cher Fernando, adeus, nous avons la Saudade et
transmettons, à ta femme et à ta fille, nos plus
cordiaux messages d’affection.
Les équipes passées et présentes
MOT DU DIRECTEUR |
Mot du Directeur
Notre institution a toujours fonctionné
avec un budget limité au regard de ce que
requiert le fonctionnement habituel d’un
musée. Outre l’exposition permanente de
la collection du Musée des Suisses dans
le Monde, nous avons mis en place depuis
2003 un programme connexe d’expositions
temporaires afin d’intéresser un public plus
large.
A
u fil des années, les initiatives et
manifestations culturelles découlant de
notre volonté de faire de Penthes un lieu où
la Suisse et le monde se rencontrent se sont
multipliées. Dans cette volonté d’être un acteur
important de la thématique Suisse + Monde, nous
avons entrepris d’organiser en 2015 la première
Rencontre internationale des Clubs suisses.
Compte tenu du succès de cette manifestation
et de ses échos très favorables, il a été décidé
de reconduire annuellement ce rendez-vous. La
seconde édition aura lieu du 1er au 3 août 2016 et
aura pour thème « Les traditions suisses : les vivre
et les transmettre ».
Le Domaine de Penthes conjugue nature,
culture et gastronomie. C’est un cadre idéal
pour accueillir les familles et les classes scolaires.
Convaincus qu’un musée ayant pour thème
l’Histoire se doit de relever le défi de transmettre
cette Histoire aux jeunes générations, nous avons
inauguré – à la faveur des expositions Histoire
Suisse en Briques Lego® et Yakari. Les Suisses à la
rencontre des Amérindiens – un programme Jeune
Public ainsi que des visites guidées adaptées aux
personnes en situation de handicap.
Prendre en charge l’ensemble de ces
activités nécessiterait normalement une
augmentation conséquente de notre budget
de fonctionnement ainsi que le recrutement
de collaborateurs supplémentaires. Si nous
sommes dans l’impossibilité d’envisager la
moindre augmentation de notre budget, je
me suis néanmoins refusé à réviser à la baisse
notre ambition culturelle par défaut de moyens
et à prendre le risque de laisser l’image de la
Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le
Monde se trouver réduite à celle d’un musée
quelque peu statique et confidentiel. S’il n’était
pas possible d’envisager un développement
massif de nos activités, ni la création d’un
« nouveau musée », il m’est néanmoins apparu
indispensable – pour préparer l’avenir et œuvrer
dans le sens de la pérennité de la Fondation –
d’étoffer et professionnaliser suffisamment notre
offre culturelle de manière à pouvoir ensuite
solliciter, sur la base de résultats tangibles et
d’un savoir-faire avéré, des mécènes susceptibles
de soutenir notre volonté de développement.
Comment atteindre cet objectif avec une équipe
réduite et fort jeune du musée et des possibilités
d’investissement tellement limitées ?
La Lettre de Penthes - No 27 | 39
| MOT DU DIRECTEUR
Pour nous aider à résoudre cette équation
inhabituelle, nous avons fait appel à un consultant
– Français mais connaissant la Suisse – afin
qu’il puisse nous apporter un regard extérieur
et un support méthodologique à la hauteur
de l’enjeu. Il a fallu faire des choix et modifier
nos habitudes, tout particulièrement en matière
d’organisation du travail, de gestion des projets
et de communication.
Le consultant José Pendje avait initialement
comme mission d’assister Sandro Haroutunian,
notre directeur de la restauration, dans la vaste
entreprise que lui avait confiée la Fondation de
réorganiser l’activité liée à la restauration (banquets, séminaires, mariages, restaurant gastronomique) et pour développer conjointement la
qualité des prestations et la rentabilité. Le résultat de cette opération a apporté une partie de la
solution. En effet, notre restaurant a gagné en
renommée et le chiffre d’affaires de l’activité a
progressé de 50% depuis 2012. Nos clients sont
désormais indirectement, de fait, des mécènes de
notre action culturelle dans la mesure où les revenus du restaurant contribuent au financement
du Musée.
Afin de nous permettre de trouver les
leviers nécessaires et de libérer les énergies
pour progresser malgré les contraintes, nous
avons élaboré ensemble une vision commune,
pour réaffirmer et stabiliser les missions de la
Fondation :
–
Expliquer la Suisse, par-delà les clichés
et à partir de l’Histoire, depuis la constitution de
son modèle politique à la renommée du SwissMade en passant par sa diversité culturelle.
–
Exposer l’Histoire de la Suisse de façon
vivante via l’Histoire des Suisses dans le monde.
– Révéler
l’apport
historique
et
contemporain des Suisses dans le monde à la
culture et à l’image de la Suisse.
–
Illustrer à travers les arts et la culture la
richesse et le dynamisme des relations SuisseMonde.
40 | La Lettre de Penthes - No 27
Nos missions culturelles ainsi précisées et
partagées, de nouvelles priorités d’action se sont
naturellement dégagées et nous avons, par voie
de conséquence, gagné en efficience.
Au niveau du Musée, la moyenne d’âge de
mes collaborateurs (30 ans) invitait à redouter
que le manque d’expérience ne constitue un
obstacle majeur à l’atteinte des objectifs. Mais
la jeune équipe du Musée a su faire preuve de
créativité et de réactivité pour imaginer des
solutions à moindre coût. Au final, notre musée
a quadruplé le nombre de ses visiteurs depuis
2012 et se hisse désormais dans le premier quart
des musées suisses en termes de fréquentation.
Ce résultat dépasse largement toutes les
espérances et ouvre de nouvelles perspectives.
D’importants partenariats ont été tissés avec
le monde universitaire et d’autres institutions
muséales. C’est une avancée conséquente qui
permet notamment d’envisager à l’avenir, le
développement de l’activité de recherche de
notre Institut.
Malgré l’arrêt du soutien financier de l’État de
Genève, en 2015, de nouveaux mécènes nous
ont rejoints, conscients de l’opportunité que
représente Penthes dans le paysage culturelle
de Genève et de la Suisse, et nous permettant
ainsi de continuer à développer les activités
que nous proposons actuellement. Par ailleurs,
nous sommes confiants que de futurs sponsors
réaliseront le plein potentiel du domaine et
nous rejoindront afin de nous assister dans
l’accomplissement de nos ambitions communes.
Le combat engagé n’est jamais gagné d’avance,
mais à l’heure où j’écris ces lignes on peut dire
que la réactivité et la générosité des grandes
institutions, fondations et personnalités de
Genève nous permettent d’envisager l’avenir
avec confiance.
MOT DU DIRECTEUR |
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| À TRAVERS LE MONDE
From Florida to Grenada
In search of the Swiss abroad
By
Anselm Zurfluh
From the very beginnings of Switzerland there have been Swiss abroad.
This is no simple truism, it is a reality that other countries, like France,
for example, do not face. They do not count their expatriate citizens as
an integral part of their national experience. All these Swiss abroad are an
important, even central, component of Switzerland because their network
reaches far beyond Switzerland’s physical borders. Mercenaries, traders,
manufacturers – whether of cheese or of watches – bankers, adventurers,
poor people, rich people... they all contributed and still contribute to the
enterprise known as “Switzerland”.
Swiss club president Karolina Galvez-Locher and her daughter Kimberly
M
any institutions look after the Swiss abroad.
There is the OSA in Bern that is primarily
concerned with the political and institutional
aspects; Pro Helvetia, Présence Suisse, Swiss
Tourism. They all work daily to connect
Switzerland efficiently with overseas. The
Museum of the Swiss Abroad deals with their
history and culture in Geneva. It is the home
away from home to all Swiss abroad. The formula
Penthes+Switzerland+World is a celebration of
Swissness and of “Swiss made” of the past and
in the present.
One of our tasks is to go out to visit and meet
the Swiss abroad. Obviously we will never be
able to meet all 700’000 Swiss officially registered
in foreign countries. But it is important to try to
engage as many as possible of them and win
them over for Penthes and for our Museum. One
of the ways to do that is to visit them where they
live.
Florida is four times the size of Switzerland
and has 19 million inhabitants. Miami and
surroundings alone count almost 3 million
people, of whom more than 3000 are Swiss
officially registered. Many of them are members
42 | La Lettre de Penthes - No 27
À TRAVERS LE MONDE |
of the numerous Swiss clubs around the
Sunshine State. They meet regularly just as they
would in Switzerland, in restaurants or around
the regulars’ table, to celebrate official festivities
like Sammichlaus or the First of August.
The regulars around the table meet to socialize,
get reacquainted and exchange information
about Switzerland or the USA. Röschti and
fondue are not always served but can be part
of the ritual. Two Austrians, Franz & Fritz
(www.bierhaus.com) who have been living in
Miami for years, contribute to a celebration of
European solidarity. Very often Swiss German
clubs meet together with Austrian or German
clubs, French speakers are gently integrated and
everyone speaks... English! Here it’s a real blend
of Wienerschnitzel, Röschti, yodelling, and
Viennese “Gemütlichkeit” – with an American
tinge. Everyone feels at home. “Servus”, says
Harald and means “Grüezi”! Lovely, it is!
On Sunday we meet in the Ritz to celebrate
Sammichlaus – Santa Claus in American! Yes,
the snow is missing but the air conditioning is
turned down so low you’d think it was December
in Switzerland! Old hands and newcomers,
Americans and friends of Switzerland, come
together; the Honorary Consul is there and
writes down things that seem important – the
atmosphere is a blend of Swiss congeniality and
American business mentality, family party and
patriotic celebration. A lot of effort and work
went into it – thank you to the organisers (www.
facebook.com/SwissClubMiami) – it was a great
Sunday!
Orlando is 400 km north of Miami and
home to Disneyworld and Universal Studios.
We are supposed to go and visit the Swiss
Family Treehouse there. For many Americans,
the “Swiss” label is synonymous with quality
even though they often confuse Switzerland
with Sweden or Swaziland...but they know this:
chocolate, watches, Matterhorn, Heidi – that’s
Switzerland. And the Swiss Robinson with his
Victorinox Swiss army knife is also a concept. The
Treehouse is definitely kitsch but it shows what
Switzerland has had to offer people abroad: how
to achieve perfection in life but processed and
presented in the American style, in Disneyland.
About 30 minutes’ drive due west of Orlando
on state road 50, through country that is more
water than land, we arrive in Clermont, named
for the birthplace in France of the manager of
the town’s most important company at the end
of the 19th century – no, the rest of Florida is
not just a real estate project of Disneyworld!
Clermont is known in Florida for its hills,
about as scarce in Florida as polar bears, but it’s
famous for its tower, the Florida Citrus Tower
built in 1956 and Florida’s highest structure, at
152m above sea level (including the antenna).
Just a few minutes outside of town, we arrive
at the Swiss Waterski Resort, founded in 1979
by a Swiss skiing fan, who moved to Florida
and had to settle for snow of the liquid variety.
The facilities were sufficiently professional that
La Lettre de Penthes - No 27 | 43
| À TRAVERS LE MONDE
44 | La Lettre de Penthes - No 27
À TRAVERS LE MONDE |
Clermont hosted the 28th World Waterskiing
championships in 2003. We meet Clint Stadlbaur
whose ancestry lies in Austria and who takes us
around the Resort that day.
From Miami to Grenada is another 2’500km
to the south. In the 18th century, pirates made
this their home and in 1983 Americans Marines
landed to extinguish a Cuban adventure – the
graffiti celebrating this is still there. Twenty-five
Swiss live in Grenada permanently, including
a welder and a boat builder and the Honorary
Consul, Jana Caniga, who with her husband runs
the marina Le Phare Bleu at Calivigny Bay (www.
lepharebleu.com). The brother of the Andermatt
Orascom investor, Samih Sawiris (www.
andermatt-swissalps.ch) is investing millions here
in a new holiday resort in Grand Anse. George
Cohen, Grenada’s UN ambassador in Geneva,
will let you have an entire island for Fr. 100’000
(www.calivigny-island.com). There is something
here for every budget! Swiss globetrotters and
round-the-world sailors land in Le Phare Bleu for
some time out, and Dieter, a sailor and musician,
welcomes them all. Musicians are always welcome
to jam at the Friday night happening which is how
we meet the Züri West drummer. If you want
to live on an island like Grenada (area 50km by
30km), says Jana, you need a sound life project.
Otherwise your adventure will founder. Yes, the
sun shines all the time; yes, the average annual
water and air temperature is 27°C – but that is
not enough to live here. You need more, and that
is why some are building their boat, others have
a workshop on a boat, some are writing a book...
and some are here on business!
Every trip brings something new, is an
adventure. And every trip has to come to an
end. We’re flying back to Zurich from Miami
with Swiss. The “Grüezi” at the door of the jet
indicates that we are already back in Switzerland...
it’s been nice. A big thank you to all of you whom
we met, who showed us around and advised
us. You all have something in common: your
unquenchable enthusiasm for Switzerland!
Back in Florida we drive to Palm Beach to
the Preservation Foundation which houses the
archives of the Geneva architect, Maurice Fatio.
Conservator Alexander Yves meets us and shows
us the impressive archives. Fatio built hundreds
of houses for Florida residents, the last one
just sold for $100 million. There are plans and
photos, enough for us to build up our planned
exhibition about Swiss architects abroad.
La Lettre de Penthes - No 27 | 45
| À TRAVERS LE MONDE
Interview by
Anselm Zurfluh
Jana Caniga,
Honorary consul in
Grenada, West Indies
Switzerland of course, but when the time came
it was not so difficult for me to cut the ties. I’ve
been living here in Grenada with my husband
Dieter for 10 years now and this will probably be
the last stop: we’ve built up something here that
will certainly keep me busy for the rest of my life.
Teacher, journalist, media worker, person
in charge of culture, holiday resort builder,
and manager - you’ve also chosen an
unusual career path...
The career path is actually identical with my
life: always mobile... Teaching was a good start
but I almost immediately started looking for
something else...journalist, student....somehow I
got it into my head that I always needed to prove
myself to others – and to myself –, to always
make new friends, to be a useful member of
society: 150% dedication. And so I spent a good
part of my life outside of my comfort zone,
constantly on the lookout for something else.
When my husband Dieter and I landed here on
Grenada on a sailing trip in 2004, we decided to
call this our new home.
Slovakia-St.Gallen-Zurich-Grenada you’ve
taken an unusual path through life...
Actually everything began in 1968 when my
parents decided to flee the imminent Soviet
invasion of what was then Czechoslovakia to
Switzerland. Ever since, I have lived with the
idea of having a suitcase under my bed, ready
to move on at any time. I had put down roots in
46 | La Lettre de Penthes - No 27
You’ve lived here in Grenada for ten years
and it’s been two years since you acquired
Grenadian citizenship.
Home is where I live, and citizenship is a
necessary social construct that allows me to
coexist with others as meaningfully and with
as few conflicts as possible. My homeland is
À TRAVERS LE MONDE |
Switzerland, where I lived for 30 years – now my
home is Grenada and as strange as it may sound,
it’s my final destination. My suitcase is still made,
there under my bed, but I probably won’t use it.
Home has to do with people too – of course we
have family and friends in Switzerland, but in
Grenada, as well. As such, Grenadian citizenship
provides us with the security to live in this country
as citizens, with all of our investments, even in
the future, without forgetting Switzerland.
And you were appointed Honorary Consul
in 2015.
Actually, somehow I’d been looking out for
Swiss people from the beginning. People with a
problem in Grenada, they had my phone number.
And so I was able to solve lots of small problems,
to be a social and psychological go-between.
The islands here are in a consular district that
depends on the embassy in Venezuela... Caracas,
and each new ambassador makes his “tour des
îles”. Ambassador Antonietti asked me once
if I wouldn’t represent Switzerland officially. I
applied and Bern accepted.
deductible? I am the source of information for
Swiss who want to come to Grenada but also for
Grenadians who’d like to visit Switzerland. It’s
also about networking. I represent Switzerland at
official events, for instance at the wreath-laying
for Grenadian soldiers who died for England in
the First and Second World Wars. In brief, it’s a
typically Swiss job: you help people out.
And finally – what question would you
like to have fielded?
I can only tell you what I don’t want to hear:
when are you coming back to Switzerland?
How are your ties to Switzerland? That always
sounds as though when you live abroad, you’ve
forgotten Switzerland. It’s actually the complete
opposite. Thanks to the fact that I was integrated
into Switzerland, I can also be integrated into
Grenada as a Swiss, as a Grenadian. That’s what
makes for Swiss specificity... where Jana is, is the
homeland.
Thank you
What exactly does an honorary consul do?
No passports, no marriage licences... but the
consul checks that the Swiss abroad who are paid
their old age security insurance (AHV) are really
still alive, with a stamp, of course! It’s about
providing care to people in difficult situations
– a car accident for example, and do I pay the
La Lettre de Penthes - No 27 | 47
| À TRAVERS LE MONDE
Julia Anna Flisch
(1861-1941)
By
Christian W. Flisch
Julia Flisch, a feminist scholar, historian and writer, was born in Augusta
(Georgia) on 31st January, 1861. She fought for a woman’s right to be
educated and socially independent.
J
ulia’s father, Leonhard Flisch, was a Swiss
baker and confectioner native to the canton of
Grisons. He emigrated from Europe to America
in 1849 and settled in Georgia. In 1859 Leonhard
married Pauline Holzapfel whose parents came
from Germany. Out of this marriage were born
Henry, Julia Anna and Lenny. In Augusta, the
Flisch family ran a confectionery shop near the
campus of the University of Georgia. It soon
became very popular in the student community
for its ice cream and candies. Leonhard considered
Pauline his wife and his business-partner so that
when he had to join the Confederate army (1863),
he left her alone to run the family and the sweet
shop. Pauline’s intelligence and autonomy as well
as Leonhard’s open mind certainly contributed to
shape Julia’s personality.
Although their income was uncertain,
Leonhard and Pauline Flisch gave their children
the best possible education. Julia was soon
enrolled in the Lucy Cobb Institute, a wellknown establishment for girls, founded in 1854
and providing excellent classical instruction. Julia
graduated with honours from that school in 1877.
In 1881, looking forward to continue studying,
she applied to the University of Georgia but this
all-male state institution rejected her application.
Julia felt so disappointed and upset that she
sent to the Augusta Chronicle on November 20th,
1882 a letter signed by “A young woman” and
entitled “Give the girls a chance!”. In this letter
she addresses the Southern states and calls for
48 | La Lettre de Penthes - No 27
wider access for women in schools of higher
education, thus providing them with social and
financial independence. This unconventional
opinion of a young person almost created a
scandal. Patrick Walsh, the owner and politically
influential publisher of the Augusta Chronicle,
made Julia’s cause his own and took her under
his wing.
During the late ‘90s, secretarial work started
to be opened to women. While collaborating
regularly as a staff writer at the Augusta
Chronicle and on some occasions with Northern
newspapers, between 1883 and 1884 Julia studied
typing, stenography, telegraphy and bookkeeping
in New York (Cooper Union College). Those
several editorial jobs provided Julia with an
excellent platform for the defense of women’s
rights and the spread of her opinions on
education.
In 1886 Julia was sent to Augusta by the
Chronicle to report on the start of activities at
the University of Georgia. In a series of four
articles Julia evokes the old days when, as a young
woman, she dreamed of becoming a student on
that campus and how upset and disappointed
she became when her application was rejected
because of her gender. Still bitter nine years later,
she wrote “Oh! Georgia, little as thou hast done
for thy sons, it is yet something, but what hast
thou done for thy daughters?”.
À TRAVERS LE MONDE |
Working during the day as an accountant and
as a writer at night she published her first novel,
Ashes of Hope, in 1886. The story is about the
lives of three young women in Georgia struggling
for their independence. This novel is written
in a Victorian style similar to Jane Eyre but in
Julia’s fiction, instead of getting married because
of social conventions, the heroines choose
deliberately to get married, thus proving their
sense of social independence. Their marriages
are presented as true partnerships. Unlike her
heroines, Julia remained single all her life.
Julia’s efforts to improve women’s education
were rewarded: when the all-male Georgia School
of Technology (today Georgia Institute of
Technology) opened, over 2000 women signed a
claim for the creation of a similar female college.
On November 27th, 1889, the inaugural day of
the Georgia Normal and Industrial College,
the first public female technological school in
Milledgeville (nowadays the Georgia College and
State University), Julia, the only woman on the
panel, made her speech and was loudly cheered.
She taught at this college from 1891 and during
the summer breaks used to complete her studies
at Harvard and Chicago. Then, twenty years after
her application had been denied, the University
of Georgia gave her the first honorary master’s
degree ever granted to a woman in 1899. Having
taught history until 1905, she left Milledgeville
to enrol at the University of Wisconsin’s Centre
for Historical Research in Madison where she
obtained (1908) her Master of Arts in history
for her study on “Land Legislation in Georgia”.
During her time in Wisconsin, Julia published
two articles in the American Historical Review in
which she stresses the importance of explaining
the history of the old Southern states, not only
by focusing on the plantation aristocracy, but
also by studying the lower classes.
Julia left Madison in 1908 and returned to
Augusta where she joined the Tubman School
for Girls, founded in 1874. She taught history
there for 17 years. While there she challenged
and encouraged her female students to choose
Julia Anna Flisch
academic careers such as law or medicine instead
of remaining housewives. Though American
women in those days didn’t yet have the right to
vote, she exhorted her students to have political
opinions.
In 1925, in spite of her male colleagues’
reluctance and hostility, Julia was elected the
Dean of Women in the freshly founded Georgia
Junior College (today Augusta State University)
and became an appreciated professor of history.
The same year she published her second novel Old
Hurricane. Sally, the heroine, is an independent
Georgia woman who provides for her family. In
spite of many positive critical articles the book
only enjoyed a modest success.
Because of eye troubles, Julia had to retire in
1936. After a life fully devoted to the education
and rights of women, she died in Augusta on
March 17th, 1941 at the age of 80 and was buried
in the Magnolia Cemetery.
La Lettre de Penthes - No 27 | 49
| À TRAVERS LE MONDE
«Lasst mir die Heimat
grüssen!»
Marguerite Nerny Stäger, die älteste Auslandschweizerin
Nordamerikas wird 110 Jahre alt
Susann Bosshard-Kälin
Freie Journalistin BR
50 | La Lettre de Penthes - No 27
Wegen Eugène ist sie vor 86 Jahren ausgewandert. Ohne Begleitung und
unerschrocken reiste die Waadtländerin Marguerite Stäger Ende Juni
1929 an Bord der «Empress of Australia» nach Kanada aus. Die Liebe
zu ihrem Verlobten aus Yverdon, der Jahre zuvor als Bäcker in Montreal
Arbeit gefunden hatte, gab ihr das unerschütterliche Vertrauen; sie wagte
die unsichere Zukunft in einer fremden Welt. Heute lebt Marguerite – die
älteste Auslandschweizerin im gesamten nordamerikanischen Raum – in
einer Altersresidenz, eine Stunde ausserhalb Montreals. In Begleitung von
Maurice, ihrem 83-jährigen Sohn, ist eine kurze Visite bei Marguerite
möglich. Die zierliche, unaufgeregte kleine Frau mit den hellblauen, wachen
Augen, wird am 28. Juli 2015 sage und schreibe 110 Jahre alt. «Ein Besuch
aus der Schweiz; lasst mir die Heimat grüssen. Ich bin zwar Kanadierin,
aber sehr stolz auf meine Schweizer Wurzeln.»
À TRAVERS LE MONDE |
E
s grenzt an ein Wunder, dass die
Westschweizerin Marguerite Stäger kurz nach
dem Ersten Weltkrieg die Spanische Grippe
übersteht. Die Ärzte hatten die 13-Jährige bereits
aufgegeben und rieten den verzweifelten Eltern,
dem Mädchen einfach noch alles zu erlauben.
Und Marguerite wusste schon damals, was ihr
gut tat: Sie «verordnete» sich den roten Aigle aus
dem eigenen Weinberg und voilà – wird gesund.
Wenn ihr damals jemand prophezeit hätte, dass
sie am 28. Juli 2015 ihren 110. Geburtstag feiern
würde…
Doyenne mit fünf Generationen Nachkommen
Marguerite schart eine grosse Familie um sich
– insgesamt vierzig ihrer direkten Nachkommen
leben in Nordamerika. Sie selbst hat sieben
Kindern in Kanada das Leben geschenkt und im
Februar dieses Jahres kam Zoé, die Jüngste des
Clans, die fünfte Generation, auf die Welt. «Ich
hatte wirklich ein gutes Leben. Manchmal denke
ich, Gott hat mich vergessen. Er erinnert sich
nicht mehr, dass ich noch immer auf der Welt
bin.»
Ihr Sohn, Maurice Nerny, emeritierter
protestantischer Pfarrer, kümmert sich rührend
um seine alte Mutter und ist sichtlich stolz auf
sie: «Maman ist einfach grossartig, eine starke
Persönlichkeit, fokussiert und konzentriert wie
eh und je. Sie ist keine Frau der vielen Worte,
aber liebenswürdig und herzlich. Verunsichern
lässt sie sich auch heute noch nicht. Sie lebt für die
Familie, wir sind ihr Zentrum. Kürzlich meinte
sie, es sei irgendwie komisch, dass ihre Kinder so
alt seien! In der Tat: Meine Schwester Jacqueline
ist 85, mein älterer Bruder Jean-Jacques 84, ich
selber bin 83jährig; Gisèle ist 80 und meine
jüngste Schwester, Rachel wird 70. Zwei meiner
Geschwister verlor Maman im Babyalter an
Lungenentzündung, ihren Lebensmut hat sie
deswegen aber nie aufgegeben. Sie wusste,
sie trägt Verantwortung für ihre anderen fünf
Kinder – für die Familie.»
Les deux Romands à Aarau
Um Deutsch zu lernen, kam die Waadtländerin
Marguerite Stäger, die in Aigle in einer
Schreinerfamilie aufwuchs, 1921, als 16-Jährige
für ein Haushaltsjahr nach Aarau . Was für
ein Zufall, dass ein junger Bäcker-KonditorLa Lettre de Penthes - No 27 | 51
| À TRAVERS LE MONDE
Lehrling – Eugène Nerny aus Yverdon – täglich
frühmorgens die frischen Brötchen ins Haus
der Familie lieferte! Sonntags begegneten sich
die beiden bald in der protestantischen Eglise
Française. Maurice Nerny: «You catch your fish
when you can!» - in Aarau gab’s ja nur wenige
Romands, so trafen sich die beiden und verliebten
sich ineinander.»
1924, mit dem Lehrabschluss in der Tasche,
entschied Eugène auszuwandern. Er wollte weg
aus der Schweiz, sein Verhältnis zur Stiefmutter
war nicht eben das Beste, und das Angebot eines
Bäcker-Kollegen in Montreal kam wie gerufen.
Maurice Nerny: «Mutter erzählt uns immer
wieder, dass sie sich damals noch zu jung gefühlt
hätte, um wegzugehen von Zuhause. Schweren
Herzens liess sie ihn ziehen; sie verlobten sich
aber vor seiner Abreise und schworen sich ewige
Liebe.» Fünf Jahre lang gingen Liebesbriefe
hin und her über den Atlantik. «Unsere Mutter
wollte Geld auf die Seite legen für ihre eigene
52 | La Lettre de Penthes - No 27
Auswanderung. Sie wusste: Eugène ist der
Richtige!»
Mutterseelenallein in der neuen Welt
Mitten in den Depressionsjahren, 1929, folgte
die 24-jährige Marguerite ihrem Liebsten nach
Kanada. Es war ein Abschied für immer, das
wusste sie. Und die Reise hatte es in sich! Der
Bescheid der Behörden in Cherbourg, sie hätte
eine Augenkrankheit hiess sie beim ersten Anlauf
unverrichteter Dinge wieder zurück nach Aigle
reisen. Erst einen Monat später dann der zweite
Versuch. Und wieder allein mit dem Zug über
Paris an den Atlantik. Das bedeutete unerwartete
Extraausgaben, die die sonst schon mageren
Ersparnisse der jungen Frau arg strapazierten.
Aber die Vorfreude, ihren Verlobten nach fünf
Jahren endlich wieder in die Arme schliessen
zu dürfen, liess sie alles vergessen, sogar die
Seekrankheit auf hoher See. Trotz Widrigkeiten:
Es sei wie in einem Hotel gewesen auf dem
À TRAVERS LE MONDE |
eleganten Schiff, Menschen in Uniform hätten sie
bedient: «Ich fühlte mich wie in Hollywood. Und
als ich eines Morgens das Frühstück verschlief,
wurde mir an einem Extratischchen sogar extra
nachserviert.» Wegen Problemen mit Eisbergen
in Neufundland landete das Schiff einen ganzen
Tag verspätet im Hafen von Québec City. Keine
Spur von Eugène! Der stand schon längst wieder
in seiner Backstube. Marguerite betrat den
neuen Kontinent völlig auf sich allein gestellt.
Und auch nach der Zugsfahrt empfing sie
niemand an der Windsor Station in Montreal.
Ein Porteur half ihr, den schweren Koffer in ein
Taxi zu hieven: «Ich wähnte mich in Afrika, alle
Portreurs am Bahnhof waren schwarz.», erinnert
sie sich. Die Adresse «4738 Rue St. Antoine»
hatte sie auf einen kleinen Zettel notiert. Dort,
im Arbeiterquartier von Montreal wohnte ihr
Eugène im Zimmer einer einfachen Pension.
«Die Flachdächer irritierten mich. Ich war an
Chalets gewohnt und fand die Häuser schrecklich,
wie Köpfe ohne Haare». Wenige Wochen nach
ihrer Ankunft, am 27. Juli 1929 heiraten Eugène
und Marguerite. «Wir waren nur zu sechst in der
französisch-sprachigen Protestantischen Kirche
in Montreal, das Ehepaar Calame und ihr Sohn
und der Schweizer Pfarrer, der uns traute. Unsere
Hochzeitsreise führte am Nachmittag für ein paar
wenige Stunden auf die Ile St. Hélène ausserhalb
der Stadt. Fini! In der Früh am nächsten Morgen
musste Eugène wieder arbeiten.
La Lettre de Penthes - No 27 | 53
| LA VIE DU MUSÉE
Clara d’Atena
Pizzolato
De Rome à Genève – du microscope au pinceau
Entretien par
Laurence Deonna
reporter, écrivaine, photographe
Petite femme brune, aux yeux d’écureuil, vive, d’une sensibilité à fleur de
peau, pistachée à la fois d’humour et de mélancolie, Clara d’Atena Pizzolato
a pris à rebours le précepte selon lequel « tous les chemins mènent à Rome » :
elle a pris le chemin de Rome à Genève.
Suivant par là son mari, engagé comme médecin à l’Hôpital cantonal, Clara
a laissé derrière elle toute sa vie, la douceur de Rome, sa famille, ses amis
et sa profession de biologiste. Cette profession, elle la pratiquera encore
quelques années dans la ville du bout du lac, mais sans grand enthousiasme
car cette rupture à la fois géographique, culturelle et émotionnelle va la
renvoyer au plus profond d’elle-même, faire vivre ce qui vibre en elle depuis
l’enfance et qui ne s’est jamais exprimé : la créativité. Eh oui, on croit son
chemin tout tracé et le voici qui bifurque sans prévenir ! Comme l’artiste le
dit joliment : « La vie nous envoie ses coups de griffes mais aussi la douceur
de ses caresses », et cette caresse-là, c’est l’austère ville de Calvin qui va la
lui offrir.
Sans titre. Acrylique sur toile, 2012
54 | La Lettre de Penthes - No 27
LA VIE DU MUSÉE |
Eccomi!
Acrylique sur toile, 2011
Ainsi vous avez abandonné, à l’âge de
50 ans, la science et sa logique, pour
(l’apparente…) irrationalité de l’Art ?
En fait, ce changement s’est avéré moins
difficile pour moi que je ne l’aurais craint. Tant
à l’École des Beaux-Arts, à l’École des Arts
décoratifs (EAD et HEAD), qu’aux cours privés
auxquels j’ai participé, j’ai eu la chance d’avoir
des professeurs qui n’ont jamais cherché à me
formater, qui m’ont permis de grandir sans jamais
me juger. Je suis passée du crayon à la terre, puis
de la terre au pinceau : tout un parcours. Sans mon
tablier, sans mes mains tachées de couleurs ou
terreuses jusque sous les ongles, ma vie n’aurait
plus de sens. J’aime particulièrement la terre. Cela
vous paraîtra sans doute grandiloquent si je vous
dis que la création me donne le sentiment que
mon âme et moi ne faisons plus qu’un.
Votre vision du monde est-elle différente
depuis que vous avez quitté la biologie ?
Absolument, mon regard a changé, je remarque
mille choses, mille détails, mille ombres, mille
lumières que je ne voyais pas avant.
Vous êtes une artiste étonnamment
prolifique et aux sujets et aux talents
étonnamment variés. Nouveau chapitre :
même les animaux y montrent le bout de
leur nez ! Vos paysages n’ont rien d’une
banale reproduction de la réalité, rien
chez eux de « photographié ». Quant à
vos portraits, on y sent une touche qui
n’appartient qu’à vous, à votre perception,
à votre regard. Une touche vraiment
particulière qui révèle l’aura de vos
modèles. On vous a d’ailleurs commandé
des portraits, n’est-ce pas ?
Oui, ici même, à Penthes ! L’ambassadeur
Bénédict de Tscharner, l’ancien président de la
Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le
Monde et grand connaisseur des personnalités
suisses, auxquelles il rend régulièrement hommage
dans des livres, m’a commandé des dessins pour
illustrer au crayon deux d’entre eux, sur la base
de photocopies d’archives. J’étais à la fois attirée
et atterrée par cette proposition car c’était une
première pour moi. Simple : je n’y avais jamais
pensé. Mais je m’y suis attelée. Une aventure un
peu folle, mais qui s’avéra très enrichissante.
À crayon vaillant, rien d’impossible !
Quelle réussite ! À propos, quel est le trait
le plus difficile à rendre lorsqu’on dessine
un visage ?
Vous allez rire, ce sont les dents, lesquelles
peuvent rapidement prendre une place
disproportionnée ! Le sourire aussi peut
facilement tourner à la grimace…
Et les yeux ?
Les yeux, c’est bien sûr l’émotion ! Dessiner,
peindre un regard, c’est donner la vie !
La Lettre de Penthes - No 27 | 55
| LA VIE DU MUSÉE
Les relations entre les
Pays-Bas et les Suisses
Belle de Charrière
Par
Alain-Jacques Tornare
docteur en Histoire
Du 22 juin jusqu’au 18 septembre 2016, en collaboration avec la Mission
des Pays-Bas auprès des organisations internationales et dans le cadre de
la présidence néerlandaise de l’Union européenne, le domaine de Penthes
accueille une centaine de gravures du maître de Leyde, Rembrandt. L’occasion
pour le Musée des Suisses dans le Monde de revenir sur les liens méconnus
et pourtant étroits entre la Confédération helvétique et le royaume des PaysBas, dans le volet de l’exposition Quand les Pays-Bas rencontrent les Suisses
L’alter ego marin de la Suisse
Après la chute de Berne, le 5 mars 1798, le
général français Brune fait transférer l’ours Martin
de la fosse des bords de l’Aar au Jardin des Plantes
à Paris, où il retrouve les girafes confisquées au
Jardin royal d’acclimatation d’Amsterdam ! Il ne
s’agit que d’une introduction légère pour illustrer
les liens qui unissent les cantons suisses et les
Provinces-Unies, a priori si éloignés l’un de
l’autre. Pays de montagnes d’un côté, plat pays de
l’autre, Pays-Bas et Suisse ont une proximité plus
grande qu’on ne l’imagine et présentent bien des
similitudes : une origine germanique qui assume
sa différence, une dimension comparable, le
goût de la démocratie qu’elle soit alpestre ou
commerçante, plusieurs dénominations possibles
du pays, une lutte constante pour l’indépendance,
l’adoption pour un temps de la neutralité, la
diversité des fromages...
Durant la guerre qui opposait les Pays-Bas
espagnols à la couronne habsbourgeoise, l’Acte
de la Haye (1581) prononcé par les états généraux
marqua la déchéance de Philippe II et de ses
droits sur les Provinces-Unies. Ainsi, les Suisses,
affranchis de la tutelle autrichienne depuis 1291,
durent se sentir moins seuls au milieu des grandes
monarchies européennes. En 1582, les cantons
56 | La Lettre de Penthes - No 27
protestants adressent aux Hollandais une lettre
de félicitation suite à l’accès des sept ProvincesUnies à l’indépendance.
Les relations diplomatiques débutent avec
Pieter van Brederode qui, après ses études à
Bâle, devient en 1618 envoyé des ProvincesUnies auprès de la Confédération. Durant les
négociations autour des traités de Westphalie, le
bourgmestre de Bâle, Johann Rudolf Wettstein,
délégué des cantons protestants, observa
attentivement la manière de négocier des
Néerlandais, qui, comme les Suisses, se séparèrent
officiellement de l’Empire en 1648. En échange
de bons procédés, Suisses et Hollandais servirent
d’intercesseurs dans certains conflits. Ainsi, le
Schaffhousois Johann Jakob Stokar tenta en vain,
en 1653, sur mandat des cantons protestants,
de négocier une paix entre l’Angleterre et les
Provinces-Unies, de même confession mais dont
les rivalités maritimes amenèrent aux guerres
anglo-néerlandaises aux XVIIe et XVIIIe siècles.
De l’autre côté, Rudolf van Ommeren mena
des tractations sur un soutien aux Vaudois du
Piémont, adeptes de Valdo, et sur une assistance
(qu’il ne put accorder) aux cantons protestants
lors de la première guerre de Villmergen en
1655-1656.
LA VIE DU MUSÉE |
Sur le plan géostratégique, se rapprocher des
Provinces-Unies revint alors, pour les XIII
cantons souverains, à raffermir corollairement
leurs liens avec le Royaume-Uni. Le 10 mars 1690,
à Zurich, est signé un traité d’alliance offensive
et défensive avec Sa Majesté britannique pour
le service des états généraux, Guillaume III
d’Orange étant devenu roi d’Angleterre, par son
mariage avec Marie de la dynastie Stuart. Déjà,
des écrits comme L’Affermissement des républiques
de Hollande & de Suisse (1675) avaient présenté les
descendants de Guillaume Tell et de Guillaume
d’Orange comme des alliés. Cette alliance se
renforcera très rapidement, quand le clair-obscur
hollandais et les ombrageux Helvètes formeront
une riche palette face au Roi-Soleil, l’ennemi
commun des protestants, après la révocation de
l’Édit de Nantes en 1685.
Le Néerlandais Petrus Valkenier, connu pour
ses pamphlets républicains contre Louis XIV,
conclut en mars 1693 avec Hercules Capol (de
Flims, docteur en médecine à Leyde en 1665)
une capitulation privée qui lui permit de lever
officiellement aux Grisons un nouveau régiment
de 1600 hommes, rompant ainsi le monopole
qu’exerçait la France sur le recrutement des
soldats suisses. La même année, Zurich autorisa
le recrutement de 800 hommes. Berne (en 1696),
Schaffhouse, Neuchâtel et Genève donnant des
accords analogues. En 1700, 11 200 Confédérés
se trouvèrent au service de la Hollande. Ils
participèrent à la guerre de Succession d’Espagne
opposant la France à une ligue composée des
Habsbourg d’Autriche, du Royaume-Uni et des
Provinces-Unies, et se trouvèrent face à des
compatriotes au service de France, comme à la
bataille de Malplaquet (1709). En 1712, l’envoyé
de Berne François-Louis de Pesme (1668-1737),
seigneur de Saint-Saphorin, qui avait servi dans
l’infanterie hollandaise de 1685 à 1688, signa le
pacte et le traité d’union avec les états généraux
des Provinces-Unies. Les deux partenaires
s’engageaient alors à se secourir réciproquement
en cas d’attaque. Genève était comprise dans
cette protection.
Faisant suite au Traité d’Utrecht, qui mit fin
à la guerre de Succession d’Espagne entre la
France et les Provinces-Unis, Baden servit de
lieu neutre pour la signature de la Paix de Baden
entre la France et l’Empire le 7 septembre
1714, immortalisée par le peintre bâlois Johann
Rudolph Huber et dont le tableau se trouve
de nos jours au château de Versailles. La Paix
de Baden est finalement le premier congrès
international tenu et le premier traité de paix
signé sur sol confédéré, l’Autriche y recevant
notamment les Pays-Bas espagnols. Par la suite,
De Pesmes de Saint-Saphorin obtint en 1714 des
troupes capitulées supplémentaires, tandis que les
Néerlandais promirent une aide financière en cas
d’attaque contre Berne. Les III Ligues grisonnes
conclurent en 1713 une alliance défensive avec
les Provinces-Unies, malgré l’opposition des
communes catholiques. La capitulation de 1748
avec tous les cantons protestants (sauf Bâle),
Glaris, Appenzell Rhodes-Extérieures, SaintGall et Neuchâtel porta à 20 400 l’effectif des
La Lettre de Penthes - No 27 | 57
| LA VIE DU MUSÉE
Guillaume III
d’Angleterre
par l’école de
Willem Wissing
troupes suisses au service de la Hollande. Les
troupes suisses seront finalement licenciées
après la fondation de la République batave en
1795, inspirée par l’idéologie de la Révolution
française, comme le sera, en 1798, la République
helvétique. Neuf mille Suisses serviront à
nouveau en Hollande de 1816 à 1829. Certains
y resteront à titre individuel. Nicolas Emmanuel
Frédéric de Goumoëns (1790-1832), au service
des Pays-Bas dès 1816, devient colonel de l’étatmajor général, et fut tué en décembre 1832 lors
du siège de la citadelle d’Anvers par les Français.
Un chassé-croisé d’influences
Au-delà des hommes, les Pays-Bas et les cantons
suisses pratiquent intensément les échanges
d’idées. Ainsi, la réforme militaire imposée
58 | La Lettre de Penthes - No 27
par la maison d’Orange inspira les nouveaux
règlements de service des villes protestantes de
Berne (règlement d’exercice de 1615, réforme de
l’armée de 1628), Zurich (réformes du colonel
Georg von Peblis en 1629, Kriegs-Büchlein de
Johann Konrad Lavater en 1644) et Genève, et
même de la ville catholique de Fribourg. Les
maisons de correction envisagées vers 1630 à
Berne et Zurich pourraient avoir leur modèle
dans le nouveau Tuchthuis d’Amsterdam. La
pensée néerlandaise toucha le politicien zurichois
Hans Conrad Heidegger qui reprit, parfois mot
à mot, le Politica du néostoïcien hollandais Juste
Lipse dans son traité Regentten Kräntzli (1632). Un
autre exemple est celui de la délégation suisse
composée du huguenot Gabriel Convenant et
du Schaffhousois Johann Ludwig Fabricius qui,
en 1689-1690, participa à l’épisode militaire
de la Glorieuse Rentrée des Vaudois, laquelle
vit ces protestants, réfugies à Genève après la
révocation de l’Édit de Nantes en 1685, revenir
dans les vallées italiennes qu’ils avaient fuies.
Bien entendu, les influences dogmatiques sont
nombreuses. Pour exemple, Cornelis Hoen,
avocat à La Haye, marque la doctrine de Zwingli,
qui, diffusée aux Provinces-Unies par Hinne
Rode, inspira à son tour la confession de foi des
prédicants de Frise orientale (1528). Inversement,
l’influence de Calvin fut considérable aux PaysBas.
Sur le plan intellectuel, à Neuchâtel, la
romancière Isabelle de Charrière (Belle de
Zuylen, 1740-1805)1 née van Tuyll, au château
de Zuylen, près d’Utrecht, connue pour son
admirable correspondance, apparaît comme
un des écrivains qui incarnent le mieux l’esprit
et les aspirations des Lumières, tandis que
Benjamin Constant (1767-1830) – dont le père
Juste Constant de Rebecque avait commandé le
5e régiment suisse au service de la Hollande –
fut le père du libéralisme moderne. Son cousin
Jean-Victor de Constant-Rebecque (1773-1850),
au service de la Hollande au moment de la
Restauration, a permis, par son sens tactique et
sa détermination, la victoire de Waterloo le 18
juin 1815 2.
LA VIE DU MUSÉE |
Erasme de Rotterdam
par Hans Holbein le Jeune
Si plusieurs familles d’origine hollandaise
firent souche en Suisse, à commencer par les
Van Muyden et les Van Berchem respectivement
à Lausanne et Genève, plusieurs générations
de Constant, originaires des deux grandes cités
lémaniques, marquèrent de leurs empreintes
les Pays-Bas. Guillaume-Anne de ConstantRebecque (1750-1830), ancien commandant des
Gardes suisses à La Haye, devient gouverneur
de Bruxelles en 1815. Son fils Jules-Thierry
(1786-1867) est lui aussi général-major dans
l’armée hollandaise. Durant la première moitié
du XIXe siècle, la communauté helvétique
exerce en Hollande un rayonnement particulier.
À l’exemple des trois frères Högger, de SaintGall, nés à Amsterdam, fils de Daniel, conseiller
de la ville d’Amsterdam et délégué hollandais
à Hambourg, et petits-fils du fondateur de la
banque Högger à Amsterdam. Ainsi, Paul Ivan
fut bourgmestre d’Amsterdam et président de
la Banque néerlandaise, Johann Wilhelm (17631831), envoyé hollandais à Saint-Pétersbourg,
et Friedrich Heinrich, colonel fédéral en Suisse
(1815), colonel en France du 7e régiment de la
Garde (1816-1820) 3.
Sur la longue durée, l’amitié helvético-batave ne
se démentit jamais. Ainsi, en 1926, la République
de Genève offrit à la princesse Juliana – future
reine – un extrait d’état civil qui confirmait sa
qualité de citoyenne de Genève. En 2008, on
comptait 7076 Suisses vivant aux Pays-Bas et
17 788 Néerlandais en Suisse.
Le Rhin fait le lien
Chacun sait que le Rhin est un fleuve né en
Suisse dans le Saint-Gothard qui se jette dans
la mer du Nord aux Pays-Bas. Cette magnifique
et ancestrale voie de communication a permis
à Bâle d’accueillir les plus beaux esprits. Ne
dit-on pas que Bâle est la cité d’Érasme de
Rotterdam (1466-1536), Hollandais de naissance
qui appartient pourtant à la Galerie suisse des
Biographies nationales d’Eugène Secrétan4 . En
août 1514, Érasme se rend pour la première fois
à Bâle et y reviendra à plusieurs reprises avant
de s’y établir définitivement en novembre 1521,
attiré par la maison d’édition de Johann Froben, à
qui il confia, sa vie durant, presque tous ses écrits.
Par ses liens avec la maison Froben, l’auteur de
L’Éloge de la Folie devient le centre d’un vaste
cercle d’humanistes, amis et admirateurs de toute
l’Europe, du Portugal à la Pologne. C’est de Bâle
qu’Érasme affronte Luther, dans un véritable
combat intellectuel de titans. « Il mourut chez
Jérôme Froben, dans la maison Zum Luft. Bâle
hérita de sa fortune sous la forme d’une fondation
charitable, gérée par Boniface Amerbach. La cité
protestante lui rendit hommage, le 18 juillet 1536,
par des funérailles à la cathédrale où il est inhumé.
En 1538 fut placée sur son tombeau l’épitaphe
encore visible aujourd’hui. L’imprimerie Froben
lui éleva le plus digne des monuments en publiant
ses œuvres complètes, en neuf in-folio, entre
1538 et 1540 5. » Ce grand humaniste connu dans
le monde entier a profondément influencé Bâle
qui, en retour, impressionna fort les Hollandais
au sens propre et figuré: l’auteur et éditeur
néerlandais Adam Petri imprima en 1575 à Bâle
son histoire du soulèvement des Provinces-Unies
contre les Espagnols.
La Lettre de Penthes - No 27 | 59
| LA VIE DU MUSÉE
Depuis Amsterdam, les Suisses parcourent
le vaste monde
Bâle, ville et port sur le Rhin, joue le rôle de
porte d’entrée pour la Hollande et c’est dans
le port de Bâle que les marins suisses attentent
Amsterdam. Le rêve des Amériques passait
d’abord par le port de Bâle, la seule ouverture
suisse vers la mer. Ainsi, 1088 émigrants partirent
d’Estavayer-le-Lac pour Nova-Friburgo le 4
juillet 1819 via le lac de Bienne, Soleure et Brugg
par l’Aar puis par le Rhin. L’entrée aux Pays-Bas
se fit par Lobit le 26 juillet 1819 et les émigrants
furent installés dans un campement à Mijl.
Certains y passèrent de longs mois jusqu’au 10
octobre avant d’embarquer à Saint-Gravendeel 6.
Johann-August Suter (1803-1880) prit le même
chemin, en 1834, avant d’aller fonder Sacramento
en Californie. L’immigration suisse en
Amérique transitait, au XIXe siècle, par les ports
d’Amsterdam ou de Rotterdam. On connaît le
rôle important joué par la marine suisse durant la
Seconde Guerre mondiale pour le ravitaillement
du pays. L’un de ces cargos, le Saint-Cergue joua
même les saint-bernards des mers en sauvant
notamment, le 26 juin 1942, les 209 naufragés du
cargo mixte hollandais Jagersfontein qui venait
de se faire torpiller par un sous-marin allemand
près des Bermudes. Ces naufragés avaient fui
l’occupant japonais en Indonésie. L’écrivain
hollandais Erik Hazelhoff Roelfzema (19172007), pilote de la Royal Air Force britannique et
membre de la résistance hollandaise, a raconté en
1970 dans Soldaat van Oranje (Le Choix du destin)
sa fuite à bord du Saint-Cergue en compagnie de
Bram van der Stok, un célèbre pilote de chasse
hollandais (1915-1993) et deux autres hommes.
Le film éponyme fut tourné en 1977 par Paul
Verhoeven.
De la Hollande, c’est le monde entier qui s’offre
aux Suisses. Révélateur est à ce titre, le fait que le
seul régiment suisse à s’être rendu sur tous les
continents habités fut celui dont la principauté
de Neuchâtel autorisa la levée en 1781 pour le
service de la Compagnie des Indes orientales,
avant de passer au service de l’Angleterre en
60 | La Lettre de Penthes - No 27
1795. Bien que le roi des Pays-Bas ait dénoncé en
1829 la dernière capitulation (conclue en 18141815 avec des cantons protestants et catholiques)
et bien que la Confédération ait interdit le
mercenariat en 1859, un certain nombre de
Suisses servirent aux XIXe et XXe siècles dans
les troupes coloniales néerlandaises. Ainsi, le
Vaudois Charles-Ferdinand Pahud (1803-1873)
fut gouverneur-général des Indes néerlandaises
de 1855 à 1861, après avoir dirigé le ministère
des Colonies de 1849 à 1855.
Lien insoupçonné et pourtant tellement
actuel pour beaucoup de jeunes Suisses, le nom
hollandais le plus connu est celui de Tally Weijl,
une talentueuse créatrice de mode qui a fait
souche en terre helvétique.
Juliana d’Orange-Nassau,
Reine des Pays-Bas (1948-1980)
LA VIE DU MUSÉE |
BIBLIOGRAPHIE :
C. J. BENZIGER
Die Schweiz in ihren Beziehungen zu Holland
1921
E. DIETERICH
Die Bedeutung der Niederlande für die
Schweiz im gegenseitigen Handelsverkehr
1924
Caroline Calame, « Isabelle de Charrière écrivain (17401805) », in Biographies Neuchâteloises, tome I, Éd. Gilles
Attinger, 1996, pp. 49-58. Voir Raymond Trousson, Isabelle
de Charrière. Un destin de femme au XVIIIe siècle, Slatkine,
Genève 2013.
E. BONJOUR
Aperçu historique des relations entre les
Pays-Bas et la Suisse
1969
Voir notre texte : « Jean-Victor de Constant de Rebecque
(1773-1850) ». Version revue et abrégée de la conférence
lors de l’Assemblée Benjamin Constant, à Pully, le 4 avril
1998. Annales Benjamin Constant, 22, 1999. Institut
Benjamin Constant, Lausanne Éditions Slatkine, Genève
– Diffusion France : Honoré Champion Édition, Paris, pp.
103-115.
A. HOLENSTEIN
The Republican Alternative
2008
(avec bibliographie sur les relations bilatérales)
1
2
Voir la nouvelle salle Pelet au château de Morges qui
consacre plusieurs séquences au service de la Hollande.
3
4
Lausanne 1873, tome I, pp. 210-226.
Dictionnaire Historique de la Suisse [DHS], vol. IV, 2005, pp.
521-522 : article de Peter G. Bietenholz sur « Érasme ». Voir
aussi l’article « Pays-Bas » de Thomas Maissene et Kathrin
Marthaler, DHS, vol. IX, 2010, pp. 625-630.
J. KLEYNTJENS et Paul DE VALLIERE
« Les Suisses dans l’armée néerlandaise du
XVIe au XXe siècle » dans Revue Militaire
Suisse
Bd. 97, 1952, Heft 3 et 6.
5
Martin Nicoulin, La Genèse de Nova-Friburgo. Émigration
et colonisation suisse au Brésil 1817-1827, Fribourg, Éditions
universitaires, 1973, pp. 139-149.
6
Sous la direction de S. RIAL
De Nimègue à Java : Les Soldats suisses au
service de la Hollande (XVIIe-XXe siècles)
Château de Morges & ses musées. Centre
d’Histoire et de Prospectives militaires
Morges 2014
La Lettre de Penthes - No 27 | 61
| LA VIE DU MUSÉE
Suisses de France et
Français de Suisse:
500 ans d’accords mutuels
Par
Alain-Jacques Tornare
docteur en Histoire
62 | La Lettre de Penthes - No 27
En octobre 2016, le Musée des Suisses dans le Monde célèbrera à sa façon
les 500 ans de la Paix perpétuelle entre la Suisse et la France. L’exposition De
Marignan à Matignon, qui se veut ludique, permettra à tout un chacun de se
faire une idée des rapports exceptionnels entretenus par les deux pays, parfois
dans la plus grande discrétion, depuis plus d’un demi-millénaire, l’accent
étant mis ici sur quelques faits saillants et des personnages caractéristiques,
dans un enchaînement inattendu de célébrités et de découvertes, lesquelles
serviront de fil conducteur, de guides, afin de nous permettre d’appréhender
la richesse, le foisonnement tous azimuts de la coexistence franco-suisse
durant ces cinq siècles, fondée quasi constamment sur un enrichissement
mutuel, y compris durant les périodes d’affrontements.
Manuel Valls, Premier ministre de la République française
LA VIE DU MUSÉE |
F
orts de leurs 200 000 expatriés, les Suisses
de France forment plus que jamais, la
première communauté helvétique à l’étranger
et les Français de Suisse sont si nombreux qu’ils
fournissent à eux seuls un des onze députés
des Français de l’étranger. Cette présence d’une
haute valeur ajoutée de part et d’autre, témoigne
des relations constantes entretenues par les deux
pays, depuis la Paix perpétuelle de 1516, dite
Paix de Fribourg. Sous-évaluée et sous-estimée,
l’ampleur de ces relations d’une richesse pourtant
inouïe ouvre d’étonnantes perspectives que la
commémoration du 500e illustre de manière
féconde.
Les rapports France – Suisse fonctionnent
parfois sur le mode : « Je t’aime moi non
plus », se nourrissant de clichés ancestraux et
d’incompréhensions réciproques inhérentes à
une proximité trop longtemps prégnante, dont
on ne voulait guère connaître les tenants et
aboutissants. Voilà qui est curieux, voilà qui nous
interpelle, voilà qui atteste de rapports francosuisses aux enchevêtrements complexes et aux
conséquences insolites ! Un an après la salutaire
défaite de Marignan, tout nous surprend dans
cette si avantageuse Paix de Fribourg, que tous
les cantons et leurs alliés signent à l’unisson, ce
qui est rarissime à l’époque du Corps helvétique.
Avant même de devenir un véritable État de
droit en 1798, les Ligues des Hautes Allemagnes
sont traitées en puissance, préfigurant une Suisse
appelée à s’unir un jour, comme si la Nation ici
précédait l’État. Deuxième surprise et non des
moindres, la France tenait coûte que coûte à
cette Suisse gardienne des grands cols alpins et
qui assurait les frontières de France entre Rhin
et Rhône. Conséquence naturelle : cette fameuse
Paix n’a jamais été formellement révoquée et
l’Alliance perpétuelle qui suivra en 1521 sera
régulièrement ravivée jusqu’au XIXe siècle, le
dernier renouvellement pour un nouveau bail
de cinquante ans datant précisément du 27
septembre 1803. La neutralisation de la Suisse en
1815 « dans l’intérêt de l’Europe » prit ensuite
le relais. D’un point de vue français, la Suisse
si elle n’avait pas existé aurait dû être inventée.
Et c’est ce que fit pour une bonne part son
environnement européen. Le rappel des liens
qui ont durablement uni la Suisse à la France
illustre le constat sans appel que la Suisse ne peut
raisonnablement subsister sans relations étroites
avec ses grands voisins et qu’il est illusoire
de vouloir en faire une île perdue au milieu de
l’Europe, au risque de la voir balayer par les vents
de l’histoire.
Le rayonnement des Suisses en France est
proportionnel au poids qu’eut ce pays dans le
processus de réalisation de la Confédération ellemême. Les contacts sont tels entre les deux pays
depuis le milieu du XIVe siècle, que ces échanges
permanents ont généré une forme de chassécroisé à nul autre pareil, d’une constance et d’une
intensité inégalées. Pour ne citer qu’un exemple :
les huguenots français chassés du royaume
apportent à Genève leur savoir-faire dans le
domaine de l’horlogerie tandis que le Genevois
Laurent Mégevand (1754-1814), installé au Locle
avec 80 horlogers suisses bannis pour avoir
soutenu la révolution en Suisse, implantent, en
1793, une manufacture nationale d’horlogerie
à Besançon. Et pour agrémenter le temps qui
s’écoule, Henri Louis Pernod transfert de Couvet
à Pontarlier la conception d’un breuvage bien
connu. Sur le plan de la pensée, il est piquant
de constater que Calvin le Picard fera de
Genève sa cité, tandis que le citoyen de Genève
Rousseau fera d’Ermenonville en Picardie sa
dernière résidence. Un bel exemple de chassécroisé franco-suisse autour de deux théoriciensmoralistes aux antipodes l’un de l’autre !
L’imbrication est telle que certains événements
fondateurs pour l’un et l’autre pays sont liés à
leurs relations communes. À titre d’exemple et
pour n’évoquer ici qu’une période dont je suis
spécialiste, que serait le 14 juillet 1789 sans la
défense de la Bastille par un détachement du
régiment de Salis-Samade qui offrit à la France
révolutionnaire sa journée emblématique et
fondatrice ? Sans la Garde suisse pour défendre
les Tuileries, point de chute aussi spectaculaire de
la monarchie le 10 août 1792, et encore moins
La Lettre de Penthes - No 27 | 63
| LA VIE DU MUSÉE
de Trois Glorieuses en juillet 1830. Tandis que
la banque suisse protestante, qu’incarne un JeanFrédéric Perregaux (1744-1808), contribue en
1800 à la création et à la pérennité de la Banque
de France, tant la Révolution helvétique de 1798
que l’Acte de Médiation de 1803, qui prépare la
Confédération à sa métamorphose de 1847, sont
en grande partie l’œuvre de la France. De même,
il est souvent fort difficile de déterminer la part
française ou helvétique de certains personnages
qui vont même jusqu’à passer indistinctement
pour Français ou pour Suisses, selon l’endroit où
l’on en parle.
De la suissitude se niche dans les moindres
recoins du patrimoine de la Grande Nation.
Après être descendu au Ritz, construit par César
Ritz (1850-1918), de Niederwald en Valais,
père fondateur de l’hôtellerie moderne, entrez
seulement dans le cabaret du Chat Noir du
Grison Louis Rodolphe Salis (1851-1897) et,
tout en sirotant une absinthe venue du Val-deTravers, admirez la célébrissime affiche dessinée
64 | La Lettre de Penthes - No 27
par le Lausannois Théophile-Alexandre Steinlen
(1859-1923). Où que vous alliez dans la Ville
Lumière, vous n’échapperez pas aux sculpteurs
suisses qu’ils se nomment James Pradier (17901852) ou Alberto Giacometti (1901-1966),
Marcello (née Adèle d’Affry 1836-1879) ou Jean
Tinguely (1925-1991). Il en va de même du côté
des architectes où les créations du Neuchâtelois
Le Corbusier cohabitent en France avec les ponts
de Neuilly et de la Concorde créés par JeanRodolphe Perronet (1708-1794), voire la Tour
Eiffel, dessinée par Maurice Koechlin (18561946), sans oublier la cathédrale d’Évry, la seule
construite au XXe siècle, et ce par le Tessinois
Mario Botta, le musée d’Alésia ou le parc de
la Villette que le Vaudois Bernard Tschumi
para de rouge. Ouvrez ensuite grandes vos
oreilles et écoutez quelques mesures d’Arthur
Honegger (1892-1955), « compositeur français
de nationalité suisse » ou selon les goûts Où sont
les femmes de Patrick Juvet, de La Tour-de-Peilz.
En fait que vous aimiez Le vieux Chalet de l’abbé
Bovet, Les Trois Cloches du chansonnier Jean
LA VIE DU MUSÉE |
Cathédrale d’Evry
par Mario Botta
Villars-Gilles, Saturnin de Ricet Barrier, La Petite
Charlotte d’Henri Dès, Foule sentimentale d’Alain
Souchon, le Concerto pour un été d’Alain Morisod ou
Chihuahua de DJ Bobo vous restez en compagnie
de Suisses célèbres. Mais peut-être préférez-vous
Déjeuner en paix avec Stéphane Eicher ou prendre
Le café au lait au lit avec Pierre Dudan ? Pas de
problème, ce sont encore des Suisses comme le
jeune homme qui monte, Bastian Baker. Nous
pourrions bien entendu répéter l’opération à
livre ouvert avec les écrivains, Germaine de Staël,
Blaise Cendrars, et tant d’autres comme Guy de
Pourtalès, Charles-Ferdinand Ramuz, Jacques
Chessex, Jean Starobinski, Philippe Jaccottet ou
Joël Dicker et tous ceux qui ont adopté la Suisse
comme Jacques Chardonne, Albert Cohen, Henri
Guillemin, Frédéric Dard, Georges Simenon,
Jean et Alexandre Jardin. Tous les domaines
sont concernés, des plus sérieux comme la
religion avec Frère Roger, fondateur de Taizé, ou
Tarik Ramadan, aux plus légers avec l’humour
qu’illustrent Zouc, Bernard Haller ou Gaspard
Proust et les dessinateurs Zep ou Derib. Que
de monstres sacrés aussi du côté du cinéma, de
Michel Simon à Jean-Luc Godard en passant par
Jean-Luc Bideau, Marthe Keller, Vincent Perez
ou Alain Delon ! Ne pensez pas vous réfugier
derrière vos téléviseurs. Un quatuor de choc
helvétique occupe le petit écran ces dernières
années : Anne Richard (VD) et Jean-François
Balmer (NE) ont fait les beaux jours de Boulevard
du Palais tandis que Samuel Labarthe (GE) et
Élodie Frenck (GE), animent Les Petits meurtres
d’Agatha Christie.
Même la politique française a de la Suisse dans
les idées. Ont en commun une part d’Helvétie, les
Necker, Marat, Pache, Benjamin Constant et autre
Napoléon III, dont les seuls papiers d’identité que
l’on trouva auprès de lui à sa disparition est son
passeport suisse. De nos jours, le plus important
de tous est incontestablement Manuel Valls, fils
d’une authentique Tessinoise. Mais chut, il n’aime
pas trop en parler. Alors venez, car à Penthes,
que de découvertes en perspective !
Voir nos ouvrages : La Révolution française pour les Nuls (Paris
First – 2009) ; Vaudois et Confédérés au service de France 17891798 (Cabédita 1998) – Les Vaudois de Napoléon, des Pyramides
à Waterloo 1798-1815 (Cabédita 2003) – La Confédération suisse
à l’heure napoléonienne (Genève, Slatkine 2003).
L’auteur de cet article tient pour Suisse Magazine depuis
l’été 2005 l’inépuisable chronique intitulée « Ces Suisses
qui ont créé la France » (une soixantaine à ce jour) où vous
retrouverez la plupart des personnages présentés ici. Voir le
site du journal : www.suissemagazine.com
La Lettre de Penthes - No 27 | 65
| IMPRESSUM
LA LETTRE DE PENTHES
LE MAGAZINE DU DOMAINE DE PENTHES
NUMÉRO 27 – PRINTEMPS 2016
ÉDITEUR
Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde
Château de Penthes
18, ch. de l’Impératrice
CH-1292 Pregny-Chambésy
t +(0)22 734 90 21
www.penthes.ch
National Portrait Gallery, Londres – p. 56
David Owsley Museum of Art – p. 57
www.europe1.fr, photo Maxppp – p. 60
Mario Botta, photo Poudou99 – p. 62
RÉDACTION
Anselm Zurfluh
Camille Verdier
CORRECTIONS
Béatrice Obergfell
Peter Gaechter
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Susann Bosshard-Kälin
Daniel Bernard
Laurence Deonna
Rhoona Ducrey
Christian W. Flisch
Luc Franzoni
Véréne Nicollier
Andrea Taylor-Brochet
Alain-Jacques Tornare
Bénédict de Tscharner
Anselm Zurfluh
PUBLICITÉ
Régie Kal
PHOTOS
Collection J. B. Mulders – couverture, p. 1
Daniel Bernard – p. 2
©Marcus Höhn – p. 6
©Fondation Baur, Musée des arts d’Extrême-Orient,
photo Marian Gérard – p. 10
©Fondation Baur, Musée des arts d’Extrême-Orient,
photo Hughes Dubois – pp. 11, 12
©Alexandra Fatio – pp. 14, 15
Pictet Perspectives – p. 16
Victorinox – pp. 1, 17, 18, 19
Camille Verdier – pp. 21, 23
Luc Franzoni – p. 26
Clara d’Atena Pizzolato – pp. 1, 36, 37
Dominique Quennoz – p. 38
Yvan Gonzalez – p. 39
Emmanuelle Zurfluh – pp. 42, 43, 44, 46
Kimberly Galvez-Locher – pp. 40, 41, 42
The Augusta Chronicle – p. 49
Musée des Suisses dans le Monde – pp. 54, 55
66 | La Lettre de Penthes - No 27
CONCEPTION ET RÉALISATION
Yvan Gonzalez
IMPRESSION
PCL Presses Centrales SA, Renens
TIRAGE
3500 exemplaires
HUNTSMAN
MAKERS OF THE ORIGINAL SWISS ARMY KNIFE | VICTORINOX.COM