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Commentaires de Fethallah OTMANI d’AVS
au sujet de
L’article « le Halal » publié par le site salafs.com
I.
Introduction
Je te présente par avance mes excuses, car je ne commenterai que les passages qui à mon
humble avis méritent une critique négative. Une bonne partie du document mériterait plutôt des
remarques positives, mais par manque de temps et afin d’aller à l’essentiel, je ne m’y attarderai
pas.
Je souhaiterais aussi te conter une petite anecdote sur la création d’AVS. Le président
actuel de l’association était parti au hajj avec un Sheikh. A son retour, il l’a invité à manger et ce
Sheikh a refusé de manger prétextant que les viandes en France n’étaient pas abattues
conformément à la sunna. Lahcène (le président d’AVS) a décidé, accompagné de quelques frères,
d’enquêter et s’est en effet rendu compte que la fraude était la règle, ils ont donc créé une
association pour contrôler la viande qui arrivait dans la boucherie où ils achetaient leur viande.
C’est lorsque d’autres bouchers ont appris cela et qu’ils ont demandé à bénéficier de ce contrôle
que l’association s’est développée. Elle emploie aujourd’hui 150 personnes, mais l’intention est
restée inshaAllah inchangée. Nous avons probablement fait beaucoup d’erreurs, mais grâce à
Allah nous avons essayé de les corriger au maximum et Allah a fait que l’on connait aujourd’hui
assez bien la situation en abattoir et en production halal en général. C’est pourquoi nous estimons
avoir l’obligation de partager nos connaissances et surtout notre expérience.
II.
Remarques concernant le principe de licéité originelle :
Tu mets en évidence le principe de licéité originelle dans l’alimentation qui ne peut être
contesté dans l’absolu. Toutefois, je tiens simplement à rappeler deux cas qui méritent d’être
soulevés :
A.
Le principe de Sad adh-dharâ’i‘
Il faut rappeler que la licéité originelle ne peut s’étendre aux éléments susceptibles de
porter préjudice à l’individu, à la collectivité ou même à la nature1. Dans de tels cas, c’est le
principe de précaution (adh-dharâ’i‘ – remettre en question des moyens licites s’ils mènent à des
objectifs illicites) qui prévaut. Il faut garder ce principe à l’esprit, mais j’y reviendrai plus tard et
tu comprendras pourquoi j’y fais référence inshaAllah.
1
Zuhaylî, Usûl al-fiqh al-islâmî, t. 2, p. 212. Infra Zuhaylî, Usûl fiqh. Aussi in Mubârakfûrî, Tuhfat al-Ahwadhî,
commentaire du hadith (1648) de Tirmidhî.
B.
Le cas particulier des viandes
Aussi, dans le domaine de la consommation des viandes une divergence existe sur ce
principe de licéité originelle. En effet, plusieurs savants affirment que le principe de base
concernant les viandes est l’interdiction. Tu cites d’ailleurs Sheikh Ibn Rajab à ce sujet en page 7.
C’est ce qui ressort du hadith rapporté par Bukhârî et Muslim : ‘Udayy Ibn Hâtim
rapporte que le Prophète (pbsl) lui a dit : « Si tu envoies ton chien et que tu dis “Au Nom de
Dieu”, qu’il saisit (ta proie) et qu’il la tue, alors mange-la. Mais s’il en a mangé, alors n’en mange
point, car il l’aura saisie pour lui-même. S’il est parmi d’autres chiens dont les propriétaires n’ont
pas dit “Au Nom de Dieu” en les envoyant et qu’ils saisissent (des proies) et qu’ils les tuent, alors
n’en mange pas, parce que tu ne sais pas lequel (des chiens) a tué la proie. Et si tu chasses (à l’arc)
et que tu trouves une proie après un ou deux jours mais qui ne comporte que les signes de tes
flèches, alors manges-en. Si la proie est tombée dans l’eau (noyée dans la version de Muslim), n’en
mange pas. » La version de Muslim précise : « Si tu envoies ton chien, dis : “Au Nom de Dieu”.
S’il saisit une proie pour toi et que tu la saisis vivante, alors égorge-la. Et si (le chien) en rattrapant
ta proie tue la proie sans qu’il en mange, alors mange-la. Si tu trouves un autre chien (qui ne
t’appartient pas) avec le tien et que la proie est tuée, alors n’en mange pas, car tu ne sais pas lequel
des deux chiens l’aura tuée. Et si tu chasses (à l’arc), prononce le Nom de Dieu en lançant ta
flèche. Si tu ne retrouves la proie qu’après un jour et qu’elle ne comporte que les signes de tes
flèches, alors manges-en. Si tu trouves la proie noyée dans une eau, n’en mange pas. ».
Ibn al-Qayyim dit en commentant ce hadith : « Lorsque le Prophète dit : “Et si tu la
(proie) trouves noyée, n’en mange pas, ne sachant pas si elle est morte par noyade ou par tes
flèches…” et qu’il dit : “Si tu trouves d’autres chiens auprès de ta proie, n’en mange pas, parce
que si tu as prononcé le Nom de Dieu en envoyant ton chien, tu ne sais pas si les autres l’ont fait
aussi ou non.” Cela prouve que la règle générale dans les viandes est l’interdiction. » 2
Il faut donc bien distinguer le principe de licéité originelle qui concerne l’autorisation de
consommer les espèces non citées dans le verset - encore que, comme le rappelle la majorité des
savants (à l’exception des malikites), d’autres espèces ont été proscrites par le Prophète (pbsl),
comme les carnassiers par exemple - et le principe d’interdiction, lorsqu’on ne connait pas la
méthode de mise à mort.
C.
Le doute et la suspicion
Tu fais aussi référence au hadith de ‘Aisha à propos du fait de mentionner le nom de Dieu
et manger. Il faut bien distinguer deux choses, car dans le titre du paragraphe introduisant ce
chapitre tu mentionnes « Les viandes dont la licéité est douteuse ». Or ce qui est interdit ce
n’est pas le doute mais la suspicion :
2
Plusieurs textes rappellent la nécessité de s’écarter des choses douteuses :
Ibn al-Qayyim, I’lâm al-muwaqqi’în, t. 1, pp. 339-340. Infra Ibn al-Qayyim, I‘lâm
Hasan Ibn ‘Alî Ibn Abî Tâlib, le neveu du Prophète (pbsl) rapporte : « J’ai appris de
l’Envoyé de Dieu (pbsl) les paroles suivantes : “Délaisse ce qui te cause du doute en faveur de ce
qui ne t’en cause point. La sincérité est apaisement, et le mensonge est incertitude.” » [Tirmidhî
hasan sahîh, Nasâ’î]
Ou « Le [domaine du] licite est certes clair et [le domaine de] l’illicite est certes clair
(évident). Entre eux deux se trouvent des choses équivoques que ne distinguent pas beaucoup de
personnes. Celui qui s’abstient des choses équivoques préservera alors sa foi et son honneur. Et
celui qui y succombe tombera dans [le domaine de] l’illicite… [Bukhârî et Muslim]
Par contre, ce à quoi fait référence le hadith que tu cites, c’est l’interdiction de la
suspicion (Atthan). Or les affirmations qui circulent aujourd’hui sur le marché français ne sont
pas toujours des chiffres en l’air. J’ai personnellement réalisé une étude tout au long de l’année
2008, en travaillant dans le cadre d’un projet universitaire avec beaucoup de groupes industriels et
des personnes de certains ministères. J’en suis arrivé à la conclusion que 70% des viandes
certifiées halal en France ne le sont pas. Cela mérite a minima d’appeler les musulmans à la
vigilance et à s’éloigner des produits qui ne fournissent pas de garantie de licéité. Il ne faut pas
oublier qu’en France la règle n’est pas l’abattage halal mais le haram. Mais je reviendrai sur ce
point lorsque j’aborderai la question des gens du livre inshaAllah.
III.
L’abattage
A.
Les parties à sectionner
Pour la majorité des savants (à l’exception des shafi’ites et de quelques savants hanbalites)
la section d’au moins une des deux artères carotides est obligatoire.
B.
L’abattage par les gens du livre
Je vais repartir de la position de Shaykh ‘Abd Al-‘Azîz Ibn Bâz que tu cites et qui résume
assez bien les différents éléments que tu apportes :
Shaykh ‘Abd Al-‘Azîz Ibn Bâz a dit : « Concernant les viandes vendues dans les
marchés des pays non-musulmans, si on sait que ce sont les sacrifices des Gens du Livre, elles
sont licites aux musulmans, tant qu’on ignore qu’elles aient été sacrifiées d’une manière
non légale, puisque le principe de base est qu’elles sont licites en raison du Texte coranique dont
on ne peut s’écarter que pour une chose établie qui implique le caractère illicite. Mais s’il s’agit de
viandes sacrifiées par les autres mécréants, elles sont illicites aux musulmans, et ils ne leur est pas
permis d’en manger en raison des Textes et de l’unanimité des savants sur ce point, et la seule
mention d’Allah au moment d’en manger n’est pas suffisante. »
Plusieurs choses sont à signaler à ce sujet :
1Est-ce que la France peut encore être considérée comme un pays d’Ahl Alkitab ?
Ce qui compte c’est que le « sacrificateur » (je trouve que le terme sacrificateur ne convient pas
trop, mais bon !) soit un juif ou un chrétien. Une étude de Harris Interactive 3 a démontré que
32 % de la population française se déclarent athées, 32 % agnostiques et seulement 27 % croient
en Dieu ou un être suprême, dont les musulmans qui représentent près de 10% de la population.
Il ne reste donc plus beaucoup de véritable ahl alkitab et ils affirment d’ailleurs ne pas en faire
partie d’après ce sondage. De plus, par notre propre expérience, il arrive parfois à nos contrôleurs
de discuter de religion avec des opérateurs en abattoirs et le plus souvent, ils affirment se
considérer comme athée et ne se réclament pas du christianisme. On entrerait donc dans le cas
des viandes abattues par des athées et/ou provenant de pays athées qui sont majoritairement
considérées par les savants comme illicites.
Afin d’être clair, je ne parle pas de leur niveau de pratique (qui est beaucoup plus faible
que ce pourcentage), mais de leur attachement à l’une de ces deux religions
2Mais on pourrait débattre longtemps sur ce premier point. Le plus important est
ailleurs. En effet, la majorité des savants (à l’exception de quelques avis minoritaires tel que celui
d’Ibn Hazm) exigent comme condition d’acceptation de la viande des gens du livre que la
méthode d’abattage respecte la législation islamique.
Or il est prouvé et avéré qu’en France et dans la majorité des pays producteurs de viande,
les animaux ne sont pas abattus conformément aux règles islamiques (j’y reviendrai lorsque
j’aborderai la question de l’étourdissement). Je parle ici de ce qui cause la mort, car je n’entrerai
pas dans le débat sur la tasmiyya par les ahl alkitab qui n’est pas pratiquée mais qui fait l’objet de
nombreuses divergences.
3Comme je te l’ai expliqué au départ, l’association s’est créée par une initiative assez
simple. Le constat que l’on tire aujourd’hui n’est pas le fait d’une investigation pour créer de la
confusion. Nous sommes présents sur les sites d’abattage, parce qu’Allah a voulu qu’il en soit
ainsi et nous constatons tout cela au quotidien. Dès lors, il nous est fait obligation de partager ces
informations.
C.
Le fusil
Je te cite « Est considéré comme faisant couler le sang ce qui traverse le corps, comme les balles tirées au
fusil, car elles font couler le sang et tue le gibier en pénétrant et traversant le corps, et non par leur poids et le choc
qu’elles provoquent, il est donc licite de tuer de cette manière, et ce à l’unanimité des savants. »
Il faut faire attention car cela est autorisé uniquement dans le cas des animaux non
maitrisable et dans le cas de la chasse. En abattage rituel, cela est interdit et malgré mes
nombreuses recherches je ne connais pas d’avis qui autoriseraient. Même dans le cas de la chasse,
certains savants exigent de saigner la bête (dhaqat) si lorsqu’on arrive près d’elle, elle est encore
en vie et qu’aucun des sept points vitaux n’a été atteint.
3
Publiée dans The Financial Times en décembre 2006.
D.
L’électronarcose et l’abattage mécanique
Il n’existe pas à ma connaissance de fatwa qui autorise l’électronarcose sans conditionner
l’application par la réversibilité 4 du processus. Il existe par contre de nombreuses fatwas qui
interdisent explicitement.
Je vais d’abord faire un petit rappel de ce qu’est l’étourdissement et l’électronarcose en
particulier, ensuite présenter brièvement le marché du halal et conclure ce chapitre par les
fatawas.
1-
L’étourdissement ?
Il existe quatre méthodes d’étourdissement autorisées en Europe :
– Pistolet à tige perforante : Il est essentiellement utilisé pour assommer les bovins. Le
pistolet est équipé d’une tige qui, en activant l’arme soit par une gâchette, soit par contact avec
l’animal, doit perforer la boite crânienne. Cette méthode est censée faire perdre conscience à
l’animal mais elle provoque la mort de l’animal (irréversible).
– Percussion : Le pistolet à percussion est activé par gâchette et provoque une
commotion au point d’impact. Activée par air comprimé ou par une balle à blanc, la puissance du
choc est telle que l’animal peut ne plus se relever du choc. Cette méthode s’avère donc aussi
irréversible, et ne garantit pas le recouvrement de la conscience de l’animal.
– Électronarcose : L’électronarcose est un procédé d’assommage par électricité. Il existe
deux méthodes principales, l’une appliquée à tout le corps, et l’autre appliquée uniquement à la
tête : elles ont pour but d’ « étourdir » les jeunes bovins (veaux), les ovins et les volailles. Si elle
s’applique sur les ovins en posant une pince à deux électrodes sur la tête ou sur le corps et la tête,
l’électronarcose est aussi pratiquée sur les volailles en leur plongeant la tête dans un bac d’eau
électrifié. Les volailles sont suspendues tête vers le bas sur une chaîne avançant à grande vitesse
qui traverse ce bain d’eau électrifié. Ce procédé pose aussi de réels problèmes de réversibilité, que
je traiterai par la suite..
– Exposition au dioxyde de carbone : Les animaux sont convoyés vers une pièce dont
la concentration gazeuse est forte et où ils sont exposés au gaz pendant un temps variable selon
les espèces. On applique ce procédé généralement aux volailles ou aux porcs. La composition du
gaz est assez variable (introduction d’argon, de nitrogène ou d’oxygène) et peut avoir des
incidences très différentes pouvant aller jusqu’à la mort par suffocation. En France,
l’étourdissement au gaz est encore peu utilisé dans le cas de l’abattage halal. Cette technique aussi
est considérée comme irréversible. En effet, la durée d’exposition est très importante et il est
actuellement impossible d’uniformiser la durée d’exposition provoquant généralement la mort des
volailles sorties en dernier des lots.
Je ne vais pas détailler les conséquences de l’utilisation de ces méthodes sur le traitement
des animaux, l’impact économique, … Par contre je vais prendre le temps d’évoquer plus en
détails les problèmes liés à l’électronarcose, car d’une part c’est la méthode que tu cites et d’autre
part c’est la méthode la plus utilisée dans le cadre de l’abattage halal en France.
4
Garantie que l’animal ne meurt pas des suites du choc et recouvre donc conscience si on ne le saignait pas.
2-
L’électronarcose

Sur les ovins
L’électronarcose est considéré comme réversible sur les agneaux en respectant certains
paramètres. Mais deux choses sont à signaler concernant cette espèce :
L’électronarcose n’est pratiquement pas pratiquée sur les ovins en production
halal en France. Non seulement l’intérêt pour le bon traitement des animaux est très contesté par
de nombreux scientifiques et de plus, cette méthode ne présente aucun intérêt économique sur
les ovins.
L’espèce ovine est ultra-minoritaire en production halal en France : moins de 6%
de la production halal française.
On constate donc que l’enjeu n’est pas là.

Sur les volailles
D’un point de vue religieux, l’enjeu majeur reste la problématique de la réversibilité. Je
rappelle que la notion de « réversibilité » définit la capacité de l’animal à reprendre conscience
suite à l’application d’un procédé d’assommage. Une technique d’assommage est irréversible
quand elle peut provoquer la mort de l’animal et qu’elle ne garantit donc pas que l’animal
recouvre conscience suite au choc. Je commencerai toutefois par démontrer qu’il existe de sérieux
problèmes pour le bon traitement des animaux lors de l’utilisation de l’électronarcose. En effet, le
réel objectif est économique, car cette méthode permet de multiplier par deux les cadences
d’abattages.
o
Bien-être animal ?
L’électronarcose provoquant a minima des lésions importantes et irréversibles, voire la
mort de l’animal 5 est considérée par beaucoup de spécialistes, dont le Docteur
Blackmore, comme douloureuse : « L’étourdissement électrique des veaux par “la tête seulement” est
inhumain dans toutes les circonstances. » 6
Ainsi, contrairement aux idées répandues laissant penser que l’électronarcose serait la
solution nécessaire au bon traitement des animaux, de nombreux scientifiques ont démontré
que « l’expérience en clinique humaine de tels traumatismes (étourdissement) quoique non univoque,
montrerait pourtant qu’ils sont douloureux ».7
L’EFSA reconnaissait ainsi, dans son rapport de 2004, l’existence d’une sévère douleur
provoquée par l’électronarcose. « La souffrance par l’électronarcose est violente ».8 Cette douleur est
provoquée par des éléments qu’il est difficile de maîtriser, surtout au regard des équipements
5
ESCo "Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage." –Chapitre 4 - Sources
avérées et/ou potentielles de douleur chez les animaux d’élevage. - INRA - 2009
6
On retrouve les mêmes conclusions dans The International Training Workshop on Welfare Standards Concerning the
Stunning and Killing of Animals in Slaugther houses or for Disease control en 2006, ou le rapport de l’EFSA en 2004, ainsi
que dans les affirmations de nombreux chercheurs, tels que les Prof. M.J. Hertz, Dr E.H Callow, ou encore Hewson and
Russell, le Dr Raj ou Gregory et Wotton, entre autres.
7
«Abattage rituel juif et protection animale», Dr Michel LUC, thèse de l’école nationale vétérinaire de Lyon, 1983.
8
“WELFARE ASPECTS OF ANIMAL STUNNING AND KILLING METHODS” – EFSA – AHAW /04-027-2004
actuels de la majorité des abattoirs. Une forte proportion de courant appliquée par le biais d’assommoirs à
bain d'eau qui circule à travers la carcasse, plutôt qu’à travers le cerveau, ne garantit pas le bien-être des oiseaux.
Le contact physique entre les oiseaux adjacents, la variation de la résistance électrique de volatile à volatile, la
variation de la profondeur d'immersion (en raison de la taille des oiseaux) et la faible quantité de courant
appliquée à travers le cerveau ne permettent pas de maintenir des conditions de bien-être satisfaisantes.9
Cette position est assez fidèle à celle de nombreux rapports remettant en cause le bienêtre animal lors de l’utilisation de l’électronarcose par bain sur les volailles, comme the International
Training Workshop on Welfare Standards Concerning the stunningand killing of animals in slaugtherhouses or
for diseas control – 2006, le rapport de l’EFSA – 2004 et les affirmations de nombreux chercheurs, tel
que les les Prof. M.J. hertz; Dr. E.H Callow; Hewson and Russell; Dr. Raj; ou Gregory et
Wotton, entre autres.
Plus important encore, selon le Dr Raj qui est pourtant considéré comme un scientifique
pro-assommage, l'étourdissement des volailles par des courants (…) électrique n’induise pas une perte de
conscience immédiate des volailles, 10 qui est non seulement obligatoire, mais l’objet et le but même de
l’existence du procédé.
Je signale aussi que si l’abattage rituel est dénoncé, c’est souvent pour le manque de
formation des sacrificateurs. Je reviendrai sur cet aspect, mais il faut reconnaître que cela n’est pas
admissible. Toutefois, la pratique de l’électronarcose peut faire l’objet des mêmes critiques. Ainsi,
lors d’une enquête réalisée en 2001 dans 5 abattoirs Néozélandais, le pourcentage d’électronarcose non
satisfaisante chez des ovins et des bovins allait de 2 à 54 % (Gregory, 2001). (…) Les oiseaux peuvent recevoir
des chocs électriques au moment de rentrer dans le bain électrifié de l’électronarcose, souvent parce que leurs ailes
sont plus basses que leurs têtes, ou parce que l’eau électrifiée déborde du bain. Ces chocs électriques peuvent induire
des mouvements d’ailes et par conséquent, la tête de l’animal peut manquer partiellement ou complètement le bain
électrifié. La fréquence du phénomène est plus élevée chez les dindes, qui ont des ailes plus larges que les poulets
(Hewson & Russell, 1991; Wotton & Gregory, 1991). 11
Je conclus enfin cette partie par cette citation du Dr Katme, qui conteste le bien-fondé de
l’électronarcose : « En tant que docteur, j’ai pratiqué pendant plus que 10 ans et fait subir des chocs électriques
(Electro-Convulsive Therapy- ECT) à des patients (avec maladie mentale) mais uniquement après une anesthésie
générale. Le conseil médical barrera mon nom du registre si jamais j’ose faire pratiquer l’ECT sans anesthésie car
cela serait très cruel d’agir ainsi. Je me demande si ce n’est pas aussi cruel pour un animal ? Bien que le voltage
utilisé pour l’ECT soit plus faible que celui appliqué aux animaux, cela ne reste-t-il pas cruel ? »
9
“WELFARE ASPECTS OF ANIMAL STUNNING AND KILLING METHODS” – EFSA – AHAW /04-027-2004
Raj et Al., Recent Developments in Stunning and Slaughter of Poultry, School of Clinical Veterinary Science, University of
Bristol, 2006.
11
ESCo "Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage." ESCo Douleurs
animales – Chapitre 4 – version 2 – 15/03/210 222
10
o
Réversibilité - Les études antérieures à 1995
Plusieurs études ont été publiées dans les années 80 qui démontraient l’irréversibilité de
l’électronarcose. Ainsi, selon l’étude publiée par FAWC 12 en 1982, il était fait état d’un retour
négatif sur la praticabilité de l’électronarcose13 dans le cas des volailles, puisqu’un tiers des bêtes
n’étaient pas étourdies et qu’un tiers d’entre elles mouraient. Les publications de la MAFF 14
confirmaient qu’ « un nombre considérable étaient tué suite au choc de l’électronarcose. » Au Royaume-Uni,
on a estimé une mortalité de 24 % et de 17 à 37 % aux États-Unis 15, ce qui est loin d’être
négligeable.
Ces résultats démontraient en effet que la fragilité des volailles rendait l’étourdissement
par électronarcose totalement impraticable dans le cadre de l’abattage rituel. En effet, vu les
cadences d’abattage et la vitesse à laquelle la chaîne avance, il est impossible de distinguer les
volailles mortes, des vivantes
o
Les études récentes : réversibilité ou non
Or aujourd’hui de nombreuses organisations et institutions clament qu’il est possible de
garantir la réversibilité de l’électronarcose pratiquée sur les volailles. Même si la volaille possède
un cœur très fragile, comme pour l’être humain, les conséquences du choc dépendront beaucoup
de la puissance des paramètres et des circonstances pendant lesquelles ce choc a été infligé.
Avant toute chose voyons quels sont les différents éléments à prendre en considération
dans le choix des paramètres d’électronarcose.
Durée d’inconscience minimale
Il convient en effet de rappeler que le but premier de l’assommage est le bien-être animal.
Ainsi, l’objectif premier de l’électronarcose est de rendre l’animal immédiatement inconscient et il
doit rester dans cet état jusqu’à sa mort complète.
Or l’intervalle moyen entre la fin de l’étourdissement et le découpage du cou, peut-être évalué à 20
secondes. Dans la mesure où la mort intervient, en moyenne, 25 secondes (dans le cas d’une coupe
complète des 4 organes vitaux, sinon la seule coupe des artères vertébrales retarde la
mort de plus d’une minute ) après la saignée (tranchage du cou), il faut nécessairement, pour éviter le retour
à la conscience des volailles durant leur abattage, que les méthodes d’étourdissement engendrent une inconscience
d’au moins 45 secondes (20’’+25’’). 16 En réalité, il faut beaucoup plus, car du fait des cadences, il
arrive souvent que seul deux ou trois organes vitaux sur les quatre soient sectionnés.
Il faut donc que les paramètres utilisés respectent cette contrainte. D’ailleurs, au niveau
européen, la législation a évolué en 2009, avec l’approbation du règlement 1099/2009 qui sera
applicable dès 2013 et qui intègre des paramètres minimum à respecter pour permettre cette
durée minimale d’inconscience.
12
Farm Animal Welfare Council.
Report on the Welfare of Poultry at the Time of Slaughter, Farm Animal Welfare Council, 1982.
14
Anciennement Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, du gouvernement britannique
15
Cité par Dr KATME, An up-to-date assessment of the Muslim method of slaughter, UFAW, Symposium on Humane
Slaughter and Euthanasia at Zoological Society of London, 18th and 19th September, 1986.
16
“WELFARE ASPECTS OF ANIMAL STUNNING AND KILLING METHODS” – EFSA – AHAW /04-027-2004
13
J’évoque cet aspect car il est fondamental dans le choix des paramètres et on verra qu’il
pose d’énormes problèmes de réversibilité.
Gérer l’impact de la fréquence et de la durée d’exposition
Il faut savoir que pour se rapprocher de 0% de mortalité, il faut :
-
Diminuer l’ampérage
Augmenter la fréquence
Diminuer la durée d’exposition
Toutefois, il faut aussi être conscient des conséquences engendrées par de telles
manipulations.
Ainsi, à titre d’exemple, en « augmentant la fréquence de 50 Hz à 600 Hz, la durée d’état
d’inconscience (et donc le délai disponible entre l’étourdissement et la saignée) diminue. » 17 Cette thèse,
corroborée par d’autres recherches 18, démontre que pour assurer un étourdissement fiable, il est
préférable de diminuer la fréquence. Les deux objectifs (réversibilité et durée minimale
d’inconscience) s’opposent donc.
Nous constaterons, en effet, que pour respecter la durée d’inconscience, il faut faire appel
à des paramètres irréversibles et donc mortels.
Gérer l’impact de l’environnement d’abattage
Le nombre de paramètres à prendre en considération lors de l’assommage des volailles
rendent impossible la mise en place d’une procédure fiable. Les saisons, les conditions de
transport, les espèces, les races, le sexe, l’hygiène et la salubrité de l’abattoir sont autant de
paramètres croisés qui déterminent la fiabilité de l’électronarcose. 19
Ces affirmations sont confirmées par de nombreux chercheurs :
– « Le courant que reçoit l’animal dépend de la résistance des crochets (qui forment la terre), de l’espèce de
l’oiseau et du nombre d’oiseaux dans le bain en fonction de sa longueur 20. »
– « Ces deux derniers aspects sont liés : les bains électrifiés peuvent contenir jusqu’à 20 poulets ou 5
dindes. La résistance dépend du nombre d’oiseaux dans le bain, mais également de la propreté de l’eau, et de la
résistance des oiseaux, y compris de leurs pattes21. »
– « Pour induire une fibrillation cardiaque chez près de 100 % des oiseaux, il faut choisir des paramètres
électriques adaptés à l’espèce, et parfois même différents selon le sexe22. »
17
Gregory et Al., 1991 ; Mouchonière et Al., 1999 ; Mouchonière et Al., 2000.
Notamment Gregory and Wilkins, 1989b ; Gregory and Wotton, 1987, Raj and O’Callaghan, 2004a, Gregory et al., 1995 et
le rapport de l’EFSA en 2004, …
18
19
Raj et Al., Recent Developments in Stunning and Slaughter of Poultry, School of Clinical Veterinary Science, University of
Bristol, 2006. Mouchonière et Al., The Effect of Current Frequency During Waterbath Stunning on the Physical Recovery
and Rate and Extent of Bleed Out in Turkeys, Poultry Science, 1999 et 2000.
20
Raj & O’Callaghan, 2004.
21
Bilgili, 1992 ; Schutt-Abraham et Al., 1983 ; Sparrey et Al., 1992.
22
ESCo, Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage, Chapitre 5.
– « Certaines caractéristiques de l’animal modifient l’efficacité de l’électronarcose. Par exemple : le poids
de l’animal. Les gros animaux ont une résistance plus élevée. La propreté des pattes de l’animal. (…) L’agitation
des animaux sur la chaîne. (…) De même, l’état du matériel modifie la conductivité. » 23 (D7)
Il faut, de plus, savoir qu’en pratique les paramètres utilisés actuellement sont
généralement mortels et irréversibles.
– « Une telle intensité (150 mA) combinée avec une fréquence de 50 Hz est la fréquence délivrée par la
plupart des outils d’assommage utilisés en France. Cette méthode entraîne souvent un arrêt cardiaque et la mort des
oiseaux qui, à son tour, se traduit souvent par une réduction significative de l’écoulement sanguin 24. »
Impossibilité de garantir la réversibilité
Impossibilité de gérer l’environnement d’abattage
Tout d’abord, sans même faire référence à la législation, on verra qu’en pratique il est
impossible de garantir la réversibilité. L’étude la plus révélatrice de ce problème est certainement
celle du Dr Mouchonière qui, en testant l’électronarcose sur des dindes avec des caractéristiques
équivalentes (600 Hz, 150 mA, 4 s), a obtenu des résultats opposés à un an d’intervalle. Alors
qu’en 2000 aucune dinde ne mourait du choc électrique, en 1999, 30 % d’entre elles ont
succombé. Cette étude prouve donc qu’il ne s’agit pas uniquement de déterminer les bons
paramètres électriques, mais qu’il faut aussi gérer une multitude de données qui sont en soi
ingérables. Les analyses produites en conditions optimales qui permettent d’arriver à un taux de
0% de mortalité ne sont donc ni un gage, ni une garantie de la possible réversibilité du processus
d’électronarcose sur les volailles. Elles ne sont donc pas généralisables.
La réversibilité s’oppose à la durée minimale d’inconscience et souvent à la législation
On a vu que le processus conduisant à réduire le taux de mortalité s’opposait à celui de la
recherche de la durée minimale d’inconscience. De plus la législation européenne votée en 2009
et qui entrera en vigueur en 2013 impose des paramètres minimaux qui engendrent la mort de
l’animal et qui sont irréversibles :
“6.3. Pour les animaux visés au tableau 2, l’étourdissement par bain d’eau s’effectue conformément aux
courants minimaux figurant dans le tableau ci-dessous, les animaux étant exposés au courant pendant une durée
minimale de quatre secondes.” 25
23
ESCo "Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage."Expertise scientifique
collective "Douleurs animales"
24
Mouchonière et Al., 1999.
25
Règlement européen 1099/2009
Or en respectant ces paramètres, comme l’ont démontré les DR Raj et Dr
Mouchonnière26, les volailles meurent le plus souvent des suites de l’électronarcose et il est donc
impossible de garantir l’irréversibilité du processus.
Poulets
Paramètres électriques
% de Mortalité induite par l’électronarcose
(arrêt cardiaque)
50 Hz, 112 mA, 4-5 s
3-
99% des femelles
71% des mâles
200 Hz, 111 mA, 4-5 s
41% des mâles
100 mA, 200 Hz, 1s
90%
150 mA, 200-600 Hz, 1s
72-100%
200 mA, 200-800 Hz, 1s
90%
Les fatawas
De ce fait, les conseils de savants qui font généralement appel à des experts pour prendre
leurs décisions interdisent la pratique de l’électronarcose sur les volailles. Il existe certes une
divergence sur les ovins, mais au vu des éléments présentés, on ne peut pas parler de divergences
sur les volailles, pour la simple raison que les rares avis de savants autorisant l’électronarcose
n’évoquent pas spécifiquement le cas des volailles, ne sont pas traités avec l’appui d’experts et
émettent la condition de réversibilité qui ne peut être garantie dans le cas des volailles :
Voici une compilation de quelques avis :

Ceux qui autorisent sous conditions :
C’est par exemple le cas du Conseil islamique du Fiqh, qui dépend du Congrès Islamique
Mondial (décision n° 95) qui, interrogé sur l’assommage par inhalation de gaz, a répondu :
« L’animal saigné islamiquement n’est pas interdit à la consommation s’il a été étourdi auparavant par
du gaz CO2 mélangé à l’air ou à l’oxygène, ou par le pistolet si cela n’entraîne pas la mort de l’animal avant sa
saignée. »
Or, comme nous l’avons vu, pour chacune de ces méthodes, cette dernière condition
n’est pas soutenable, ce qui pose problème.
26
Raj et Al., Recent Developments in Stunning and Slaughter of Poultry, School of Clinical Veterinary Science, University of
Bristol, 2006. Mouchonière et Al., The Effect of Current Frequency During Waterbath Stunning on the Physical Recovery
and Rate and Extent of Bleed Out in Turkeys, Poultry Science, 1999 et 2000.
Par ailleurs, certains avis a priori opposés à la pratique de l’assommage s’ouvrent et
finissent par l’autoriser, en partant du principe qu’il n’existerait pas d’alternative, répondant ainsi
au principe de nécessité (darûra) :
« S’il n’y a que cette voie pour pouvoir saigner l’animal, c’est-à-dire par un étourdissement qui ne le
tuerait pas avant qu’il ne soit saigné, il est alors possible d’utiliser cet étourdissement puis de le saigner juste après,
et ceci en cas de nécessité absolue … »27
Pourtant, ce principe de nécessité n’a pas lieu d’être dans notre cadre français puisque, on
le sait, l’abattage rituel sans assommage reste tout à fait légal et possible.
(
Une petite parenthèse sur le principe de darûra
Il faut aussi se souvenir que lorsque l’on fait référence au cas de darûra, on fait en fait
référence à des règles particulières. En effet, la contrainte doit être avérée ; dans ce cas l'islam
autorise la personne à effectuer (dans certains cas, sous certaines conditions et avec des nuances
précises) un acte interdit auquel elle est contrainte
Le prophète (pbsl) confirme cette position : "Dieu a pardonné à ma Communauté ce qu'elle fait par
erreur (= involontairement), ce qu'elle fait par oubli et ce qu'elle a fait sous la contrainte" (Hadîth authentifié
dans Sahîh ul-Jâmi' is-saghîr).
La contrainte se définit par la nécessité absolue, qui ne laisse envisager aucune autre
solution. L’une des conditions est que l’homme ne soit pas consentant : il ne doit pas faire ce
choix de son plein gré mais parce qu'il se trouve dans un cas de contrainte : au fond de son cœur
il déteste ce qu'il est contraint de faire. Le verset de la nécessité absolue ne mentionne
explicitement que la famine : il dit qu'il devient alors autorisé de manger ce qui en temps normal
est interdit ; l'objectif étant de demeurer en vie, la préservation de celle-ci constitue donc une
nécessité absolue ("darûra ").
Les savants musulmans ont défini les cas de contrainte comme étant généralement :
-
Le risque de mort,
Le risque de destruction d'un organe du corps,
Le risque de la destruction d'une partie de ses biens,
Le risque d’emprisonnement,
De plus les juristes précisent que la menace doit-être avérée, réelle et prouvée.
Concernant la consommation d’aliment interdit en cas de contrainte, les savants ont divergé sur la
possibilité de les consommer. Mais même ceux qui l’autorisent, le conditionnent dans le temps et
dans l’espace et par les éléments précédemment cités.
)
27
Fin de la parenthèse sur le principe de darûra
islamqa.com, n° 83362.
Au sein de ce même avis juridique (précédent notre parenthèse sur le principe de darûra),
il est fait référence à un concept que beaucoup de défendeurs de l’assommage mettent en avant.
Pour eux, certes, l’animal va mourir des suites de l’assommage, mais au moment de la saignée il
serait encore vivant :
« (S’il y a étourdissement) et qu’il y a encore de la vie dans l’animal , puis qu’il est saigné, sa
chair est licite à la consommation. C’est le cas quand on inflige une faible décharge électrique et que le sacrificateur
le saigne juste après. Mais si la saignée intervient après la mort de l’animal, sa chair devient illicite à la
consommation… » 28
Un avis similaire a aussi été émis par cheikh Muhammad al-Ashqar 29 :
« Si la décharge électrique tue la bête, alors cette dernière est illicite à la consommation car elle est
considérée comme assommée30 (mawqûdha). Si elle perd connaissance sans être morte et que le sacrificateur la
saigne juste après selon les règles islamiques, sa chair est alors licite à la consommation. Et si le sacrificateur
commence à la dépecer et la découper sans la saigner, alors elle est illicite à la consommation. »
Or les analyses réalisées en laboratoire donnent souvent des résultats très différents de
celles faites en condition industrielle. Dans le cas de l’électronarcose des volailles, les scientifiques
mettent en évidence la multitude des paramètres à prendre en considération (transport, saison,
sexe, etc.). Il est donc tout simplement impossible de garantir que l’animal soit encore vivant au
moment de la saignée en environnement industriel et avec les cadences généralement pratiquées.
Les conditions exigées par les savants des premières générations pour constater l’état de vie de
l’animal sont aujourd’hui impossibles à respecter dans le contexte moderne de l’abattage.
D’ailleurs par expérience, il suffit de constater visuellement la couleur du sang après la saignée
pour se rendre compte qu’il y a un problème.
Il me paraît important d’ouvrir ici une parenthèse sur les savants émettant des avis. Les
méthodes employées pour interroger les savants ne sont pas toujours respectueuses de ces
derniers. Ils reçoivent parfois des informations orientées qui les poussent à légiférer dans un sens
particulier. Celui qui interpelle les savants de cette manière possède donc une grande
responsabilité en cas d’erreur. Aujourd’hui, bien souvent, même des non-musulmans intéressés
n’hésitent plus à interpeller directement les conseils de savants internationaux au détriment des
communautés musulmanes vivant dans les pays à majorité non musulmane, et cela dans le seul
but de se voir attribuer des avis abondant dans le sens de leurs intérêts.
o
Le cas de l’espèce ovine :
Je l’ai déjà évoqué, l’assommage est considéré comme réversible sur les ovins. Si l’on
conteste son utilisation pour des raisons liées au bien-être animal, il n’en demeure pas moins que
la technique fonctionne dans certaines conditions. C’est pourquoi certains savants ont autorisé
l’utilisation d’un tel procédé :
28
islamqa.com, n° 83362.
29
Muhammad al-Ashqar, Majallat majma‘ al-fiqh al-islâmî, n° 10 (Revue du Conseil du fiqh islamique). On peut
retrouver le texte sur islamqa.com, fatwafatwa n° 133941, entre autres.
30
En référence au verset coranique Coran 5/3.
« – L’étourdissement ne figure pas dans les rituels musulmans en matière d’abattage. Les
rituels tels qu’ils sont décrits31 prévoient un minimum de souffrance pour l’animal.
– l’étourdissement est cependant admissible si les toutes les conditions suivantes sont
réunies :
o les électrodes sont placées sur les 2 tempes ou en position fronto-occipitale ;
o le voltage est compris entre 100 et 400 V ;
o l’intensité comprise entre 0,75 et 1 Ampère pour les moutons et entre 2 et 2,5 Ampères
pour les bovins ;
o le choc dure 3 à 6 secondes ;
o le calibrage de la machine doit absolument éviter que l’animal ne meure avant la
saignée. » 32
Si cet avis concerne exclusivement l’abattage des ovins et des jeunes bovins, le problème
demeure entier et plus compliqué pour l’abattage rituel des volailles.
Aussi, il faut savoir que certains savants interdisent par principe l’étourdissement (ou
assommage) quelle que soit l’espèce, y compris les ovins.

Les avis qui interdisent l’assommage
Plusieurs avis interdisent l’assommage, certains par principe, d’autres car le procédé ne
garantit pas le retour à l’état de conscience de l’animal.
o
Interdiction par principe
C’est par exemple l’avis du mufti de Dâr al-‘ulûm, Karash Muhammad Taqi ‘Uthmanî :
« La méthode correcte selon la sunnah et la charia est de couper les veines du cou avec un couteau bien affûté en
récitant le nom d’Allah, sans étourdissement ni avant ni après la coupe. L’étourdissement d’un animal, que ce soit
avant ou après l’incision de son cou, est contre la voie nécessaire prescrite par la charia selon la sunnah. » 33
D’autres avis justifient l’interdiction de principe par le fait que l’assommage apporte une
souffrance supplémentaire à l’animal. Selon eux, si l’assommage était bénéfique, le
Prophète (pbsl) nous aurait montré la voie.
C’est par exemple l’avis de « l’Union des savants de la recherche islamique 34 (en Égypte) [qui] , lors
d’une réunion organisée en urgence et dirigée par le docteur Sa‘îd Tantâwi (shaykh d’al-Azhar), a refusé
d’accéder à la demande d’associations internationales de protection animale. Ces dernières souhaitaient le
remplacement de la méthode islamique d’abattage, méthode qui ne correspondrait pas aux droits des animaux et à
leur bien-être. Elles souhaitaient que le Conseil accepte l’utilisation de l’électronarcose et du pistolet d’abattage.
31
Cet avis a été émis lors d’une réunion entre la Ligue du Monde Musulman et l’OMS en 1985. Nous voyons ici
l’importance que les musulmans fassent directement l’interface avec les savants musulmans, afin que ces derniers
soient le plus correctement informés.
32
http://www.islamset.com/hip/health8/index.html
33
http://asidcom.over-blog.com/article-20582050.html
34
http://www.raya.com/site/topics/article.asp?cu_no=2&item_no=389327&version=1&parent_id=54&template_id=
55
[…] Mais les savants se sont accordés sur le fait que l’Islam a établi les droits de l’Homme quatorze siècles avant
la fondation des Nations Unies et ses commissions. L’Islam a même établi les droits des animaux et a insisté sur
leur bien-être. »
L’avis religieux émis de shaykh Sâlah Munajjid va aussi dans ce sens35 : « Tout d’abord, dans
le principe, il est interdit de procéder à toute forme de mauvais traitement de l’animal comme le fait de le frapper, de
lui faire subir une décharge électrique ou d’autres moyens. Parce que le Prophète (pbsl) a interdit de faire du mal
aux animaux, et plus encore de les torturer, alors qu’il a ordonné de bien les traiter (ihsân) de manière générale et
notamment lors de la saignée lorsqu’il a déclaré : “Ne prenez pas les animaux comme cibles de tirs” (rapporté
par Muslim). »
Le Comité permanent de la recherche scientifique et de la consultation en Arabie Saoudite
affirme suite à une question venant d’Australie 36 : « Nous n’utilisons l’assommage ni avant ni après
l’abattage sous le prétexte [du soulagement de l’animal ou de l’accélération de sa mort] ; l’abattage selon les rites
musulmans se limite aux enseignements du Prophète (pbsl) qui faisait acte de miséricorde, de bonté et de charité
(envers les animaux). Cela se traduit par le fait de bien aiguiser sa lame lors de l’égorgement, par la protection de
l’animal que l’on s’apprête à égorger en le conduisant avec douceur sans le frapper ni le traîner et en lui cachant la
lame. Il convient par ailleurs d’accélérer le processus d’abattage (afin de limiter le stress), puis de le laisser mourir
sans lui casser le cou ni l’assommer après la saignée. Aussi, il ne faut pas lui couper une partie du corps, le dépecer
ou lui casser les os avant sa mort complète. Donc (le processus) d’abattage doit se faire avec compassion avant et
après la mort. Le soulagement lors de l’abattage se fait en respectant les rites musulmans avec toutes ses conditions
sans rajouter des choses, procédés ou comportements qui n’ont pas de preuve dans le Livre ou la Sunna sous
prétexte du soulagement de l’animal. »
o
Interdiction car elle provoque la mort
Notetout d’abord que l’application du pistolet donne à la bête le statut d’ « assommée »
(mawqûdha), et l’inhalation de gaz celui d’ « étouffée » (munkhaniqa), mentionnées dans le Coran
(5/3). Plusieurs avis interdisent la pratique de ces sortes d’assommage :
– Le Conseil permanent de la recherche et de la fatwa 37 : « Il n’est pas permis de frapper
l’animal sur sa tête, ni d’utiliser un procédé équivalent comme le fait d’utiliser un pistolet à tige, ou à marteau non
perforant ou le dioxyde de carbone. »
– Le Conseil islamique du Fiqh, qui dépend du Congrès Islamique Mondial 38 : « Il est
interdit d’utiliser le pistolet à tige percutante ou à balle perçante, ni le gaz selon la méthode anglaise. »
En outre, les conseils de savants internationaux sont unanimes aujourd’hui pour interdire
la pratique de l’électronarcose sur les volailles pouvant provoquer la mort de l’animal. Voici
quelques avis :
35
islamqa.com, n° 83362.
36
Consultation 24820 en date 09/06/1431.
37
Décision n° 23547 (22.04.1427/21.05.2006).
38
Conseil Islamique du Fiqh – OCI, décision n° 95/103.
o
Interdiction de l’électronarcose sur les volailles
– Le Conseil Européen de la Fatwa : « Et après l’exposition des méthodes d’abattage utilisées, et en
prenant en compte les transgressions multiples des règles religieuses qui provoquent la mort d’un nombre non
négligeable d’animaux (suite à l’étourdissement), surtout les volailles, le Conseil a convenu qu’il n’est pas permis de
consommer la viande des volailles et des vaches ; contrairement aux ovins et aux petits veaux car la méthode de leur
abattage ne diffère pas, dans quelques pays, de l’abattage rituel. » 39
– Le Conseil islamique du Fiqh, qui dépend du Congrès Islamique Mondial 40, ainsi que le
Conseil des fuqahâ’ d’Amérique 41 affirme : « Il est interdit d’utiliser l’électronarcose pré-mortem pour la
volaille , car l’expérience a montré qu’elle provoque la mort le plus souvent des cas. »
– Le Comité permanent de la recherche scientifique et de la consultance à la demande de
l’autorité d’Arabie Saoudite 42 : « Il est interdit de frapper l’animal sur la tête à l’aide d’un marteau ou d’un
pistolet ou de pratiquer l’électronarcose ou de lui faire inhaler du CO2. »
– La direction de la Commission permanente de la recherche et de la fatwa (Arabie
Saoudite) 43 : « Il faut que les animaux soient encore vivants s’il y a utilisation de l’électronarcose pré-mortem (sur
les ovins et jeunes bovins) afin de pouvoir les saigner avant leur mort. S’ils meurent avant la saignée, ils sont alors
placés dans la catégorie des “ bêtes assommées” (mawqûdha) et sont refusés [pour la consommation]. Il n’est pas
permis d’utiliser l’électronarcose pour la volaille. »
4-
L’abattage mécanique
Il est vrai qu’il existe une véritable divergence sur la possibilité d’abattre mécaniquement
les volailles. Le procédé consiste à faire avancer les volailles pendues sur une chaîne tête vers le
bas. Après leur passage dans le bain d’électronarcose, leur cou est pris entre deux tiges qui les
guident jusqu’à un disque qui va les saigner. Le souci est que de nombreuse volailles sortent leur
cou de ce chaînon et ne sont pas saignées ou sont saignées ailleurs qu’au niveau du cou. Elles
peuvent donc passer vivantes dans les bains d’échaudage ou mourir ébouillantées.
Indépendamment du débat sur l’acceptation du disque mécanique, le problème majeur à
mon humble avis est que ces fatawas sont totalement inutiles puisque pour pratiquer l’abattage
mécanique, il faut impérativement étourdir au préalable, et généralement par électronarcose.
J’affirme que cela est inutile, car la plupart des conseils de savants autorisant l’abattage
mécanique, interdisent dans le même temps l’électronarcose. De ce fait, cela est impraticable.
39
Conseil Européen de la Fatwa et de la recherche, fatwa n° 29, Cologne du 19 au 22 Mai 1999.
40
Conseil Islamique du Fiqh, OCI -décision n° 95/103.
41
Sâlah as-Sâwî, Encyclopédie des fatâwâ des exilés, Édité par The Assembly of Muslim Jurists in America. Décision du
11 juin 2006.
42
Consultation n° 235- 47 du 22/04/1427H.
43
Consultation du (20.02.1410/22.09.89).
IV.
Conclusion
J’espère que ce document est suffisamment clair et explicite et que je n’ai pas trop pris de
raccourcis. Je te rappelle que ma démarche est inshaAllah sincère. AVS est une association et le
but n’est pas de rendre les choses complexes pour s’enrichir. Il y a une réalité et il faut qu’elle soit
connue. Tu comprendras pourquoi je faisais initialement référence au principe de Sad adh-dharâ’i‘.
Il y a beaucoup plus de problèmes qu’il n’y parait et d’ailleurs nos savants sont de plus en plus
informés et nombre de savants dans le monde musulman, jusqu’à La Mecque, enseignent aux
gens de ne surtout pas manger des viandes d’importation.
Comme je te l’avais expliqué dans mon premier mail, le but n’est pas de polémiquer, mais
puisque beaucoup de frères et de sœurs ont compris ton document comme étant une autorisation
à consommer les viandes en général, il me semblait nécessaire de te faire part de ces remarques. Si
tu souhaites plus d’informations je te renvoie au livre que j’ai coécrit avec Moustafa Brahami « Le
marché du Halal entre références religieuses et contraintes industrielles ». Je suis aussi disposé à
ce qu’on se rencontre ou même simplement à ce que l’on continue d’échanger par mail.
Qu’Allah te préserve et nous guide sur les pas du Prophète bien-aimé, paix et bénédiction
de Dieu sur Lui.
Ton frère en Dieu
Fethallah OTMANI