The king of pop is dead - Anne

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The king of pop is dead - Anne
T E X T E : FA B R I C E V A N O V E R B E R G © A N D Y M O O R
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Depuis la collaboration entre Alva Noto et
Anne-James Chaton en 2008 sur l’extraordinaire
‘Unitxt’, suivre les évolutions du poète sonore
français est devenu un passage obligé de la case
spoken word. Quelques amitiés plus tard, dont celle fidèle
d’Andy Moor de The Ex, l’artiste hexagonal nous envoie un
disque hors du commun dont les samples prennent à la gorge
pour ne plus vous quitter. Ca s’appelle ‘Evénements 09’ et
c’est franchement indispensable.
ANNE-JAMES
CHATON
Selon les sources, vous êtes né en 1970 ou 1971 à Besançon. Avez-vous grandi dans cette ville ? Quel a
été votre parcours musical et/ou littéraire jusqu’à l’adolescence ?
Anne-James Chaton : « Oui, les spécialistes ne s’accordent pas sur ce sujet, certains me prêtent une naissance
l’année de la mort de Jimmy Hendrix, d’autres privilégient celle de Louis Armstrong. En revanche je suis bien né
à Besançon où j’ai passé une trentaine d’années résolument tournées vers la littérature. »
Votre nom d’artiste est assez énigmatique. Pouvez-vous nous en dévoiler l’origine ?
AJC : « Mon père s’était imaginé me donner le nom d’un connétable de France, Anne de Montmorency, oubliant
un peu vite qu’en 1970, ou 1971, il n’y avait plus que des filles pour porter ce prénom. Ma mère eu la présence
d’esprit d’y accoler ‘James’. Chaton, héritage familial, a fait le reste ! En concert, il arrive encore que des
personnes s’attendent à voir monter une femme sur scène. »
The king of pop is dead
De quelle manière êtes-vous entré en contact avec Andy Moor et The Ex ?
AJC : « J’ai rencontré Andy Moor et Terrie Ex lors d’un festival de musiques improvisées dans le nord de
la France en 2001. Très vite les deux guitaristes de The Ex m’ont invité à faire la première partie de leurs
tournées. Puis nous avons commencé à travailler en duo avec Andy. Nous avons sorti un premier album en
2008, Le journaliste, et depuis nous multiplions les projets. »
Et avec Carsten Nicolai et le label Raster-Noton ?
AJC : « Carsten, ça devait être en 2003, dans un festival à Amsterdam. Nous avons longtemps correspondu à
distance, nous échangeant des matériaux, jusqu’à la sortie de ‘Unitxt’ en 2008. Après quoi nous avons fait une
première tournée ensemble au Japon, assez incroyable moment. Un soir, au Club Metro de Kyoto, Carsten
et Olaf (Olaf Bender aka Beytone) m’ont demandé de leur proposer un projet pour le label. J’ai accepté sans
véritable hésitation. »
Votre dernier disque s’intitule ‘Evénements 09’. Quels critères ont présidé à leur sélection ? La
musicalité des titres ? Leur importance géopolitique ?
AJC : « Les deux je crois. Lorsqu’un événement survient j’achète plusieurs quotidiens, le lendemain.
J’enregistre les gros titres et je les ‘essaie’ ; par exemple, pour le titre ‘The King of Pop Is Dead’, j’écoute des
bouts de phrases en boucle, « the king of », puis « king of pop », puis « pop is dead » et je retiens le sample qui
sonne le mieux. »
Si vous deviez enregistrer un ‘Evénements 10’, que retiendrez-vous ? Et pour l’année en cours ?
AJC : « Pour 2010, j’aurais pris le séisme en Haïti. 2011 démarre au quart de tour. J’aurais pu écrire un double
album. Et le choix est très difficile. Je penche malgré tout pour les révolutions arabes qui sont des événements
majeurs. Reste à savoir s’ils sonnent bien ! »
Considérez-vous qu’un scandale tel que l’affaire DSK vous donnera du grain à moudre pour vos
prochains projets ?
AJC : « Ça pourrait ! A condition de travailler sur les headlines américaines ! Quelque chose comme Frog legs
it! ou French big busted in sex attack on hotel maid. J’entends déjà les basses sur « big busted » avec en prime
une possible cymbale en incluant le « French ». »
Les rapports entre la musique et la littérature ainsi que la poésie remontent à des siècles, des cantates
de Bach aux Lieder de Brahms ou Schubert, en passant bien sûr par l’opéra romantique. Selon vous, la
musique nourrit-elle la littérature ou est-ce l’inverse ?
AJC : « Je crois à un aller-retour incessant, sans préjuger d’une antécédence, dès lors que l’on s’inscrit dans
une histoire rythmée par les supports, postérieure aux cultures orales. Mon écriture se nourrit de ce va-etvient. »
Plus près de nous et dans un autre registre, Michel Houellebecq avait récité sa poésie désabusée
du quotidien sur des musiques de Bertrand Burgalat. Avez-vous écouté ce disque ? Qu’en avez-vous
pensé ? Vous sentez-vous proche de Houellebecq ou d’un autre écrivain ?
AJC : « Houellebecq me semble toucher au registre du chant et de la chanson ce à quoi je me refuse voulant
rester dans le champ de la « littérature » et de la façon dont celle-ci peut être traversée par le son. Je me
sentirais plus proche d’un duo comme Olivier Cadiot et Rodolphe Burger on stage, notamment eu égard à
l’écriture. »
Quelles sont les grandes influences musicales et littéraires qui ont nourri votre réflexion ? Aujourd’hui,
prenez-vous encore du plaisir à la découverte d’artistes contemporains ?
AJC : « Je mixe : Cage + Perec + Ten Years After + Dante + Ravel + Beckett
+ Reich + le catalogue Ikea + Depeche Mode, la liste est à compléter… Plus
mes contemporains : ceux-ci sont très importants pour mon travail, qu’il s’agisse
d’écrivains, de musiciens, d’artistes. J’ai toujours le sentiment d’entrer en dialogue
avec eux lorsque je démarre un projet. »
Dans le line-up du label Raster-Noton, quelle place pensez-vous occuper entre
Frank Bretschneider, CoH ou Mika Vainio ? Personnellement, je trouve que votre
art s’inscrit stylistiquement dans les marges d’ANBB, la collaboration entre Alva
Noto et Blixa Bargeld d’Einstürzende Neubauten.
AJC : « Le spectre Raster-Noton est à la fois très large et très serré. Il y a certes
Noto et Bargeld, mais aussi Ikeda. Récemment un magasine allemand décrivait
ainsi Evénements 09 : telle une pièce de Ryoji Ikeda unplugged. J’aime beaucoup
cette image. »
Dans quelle mesure la musique industrielle a-t-elle influencé votre travail ?
AJC : « D’assez loin à vrai dire. J’écoutais cette musique lors de soirées arrosées
chez des amis à Besançon, sans jamais vraiment y entrer. Je pense que les effets se
sont fait sentir de façon latente, a posteriori. »
Vous avez dirigé des revues, vous publiez des livres, vous enregistrez des
disques, vous dirigez des festivals, vous avez travaillé à Tokyo, vous êtes
membre du Centre National du Livre. Qu’est-ce qui fait courir aujourd’hui AnneJames Chaton ?
AJC : « Tous ces tickets de caisse encore à découvrir de part le vaste monde ! Et des
projets en cours : notre série de 45T avec Andy Moor, et la performance ‘Décade’
avec Moor et Alva Noto que nous sortons au début de l’année prochaine. »
Quel endroit dans le monde vous a particulièrement marqué (en bien et/ou en mal) ?
AJC : « En bien : l’étrange langueur de Kyoto au Japon, en mal : l’excessif rigorisme
que je sens pointer au Pays-Bas où je me rends régulièrement depuis 10 ans. »
Au-delà de certaines sources évidentes (des billets d’avion au journal Le Monde
dont on entend clairement le nom du fondateur Hubert Beuve-Méry), quel
genre de publications refusez-vous d’utiliser comme base de votre « pauvre
littérature » ?
AJC : « A priori je ne refuse rien, je ne trie pas, je collecte ce que le monde me
donne, ce que les machines écrivantes (sic) produisent au jour le jour. »
A votre avis, où s’arrête la « pauvre littérature » ? Hormis vous, qui en sont les
autres représentants ? Quel est selon vous l’opposé de la « pauvre littérature » ?
AJC : « Je songe aux objectivistes américains et à ce que peut générer aujourd’hui
l’apparition de nouveaux outils, notamment numériques. Quant à dire quel serait
l’opposé de la littérature pauvre, je ferais appel au mot d’un ami qui un jour m’éclaira
sur mon propre travail en me disant : « toi tu assèches Perec ». L’opposé se serait
irriguer Perec, et par extension travailler à une littérature qui remplit, qui garnit, enfin
qui orne et enjolive à outrance. »
Ne trouvez-vous pas que votre univers participe d’une vision cynique d’un
monde où tout serait superficiel et trop rapide ?
AJC : « D’une certaine façon je préfère la surface à la profondeur, il est plus aisé de
fabriquer quelque chose avec, de la dérouter de sa course pour lui faire raconter
d’autres choses. »
Une dernière question : vous êtes plutôt Bonduelle ou Bouygues ? Est-ce que
cela vous a rendu beaucoup plus riche ou beaucoup moins riche ?
AJC : « Bonduelle ! Je suis une cigale. Je suis beaucoup beaucoup beaucoup
plus riche au sens ou j’ai la chance de pouvoir vivre en fabriquant les objets que je
désire. »
Un disque : Anne-James Chaton – ‘Evénements 09’ (Raster-Noton / N.E.W.S.)

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