GAUGUIN en POLYNÉSIE

Transcription

GAUGUIN en POLYNÉSIE
Manao Tupapau (L’esprit des morts veille)
Gauguin s’est longuement expliqué sur la genèse de ce tableau, qu’il considère
comme l’une des œuvres les plus importantes de son premier séjour à Tahiti.
Le sujet principal représente un nu couché sur le ventre, posé par Téha’amana.
En se basant sur les croyances des Maoris et sur les superstitions de sa vahiné,
l’artiste a cherché à évoquer la présence d’êtres mystérieux, les tupapau, ou esprits
des morts, qui hantent l’obscurité. (Pour les éloigner, les Tahitiens ont coutume
de dormir avec une lampe allumée.)
Pour lui donner un sens à la fois érotique et mystérieux, Gauguin met en scène son nu
dans une atmosphère imprégnée d’un caractère magique et religieux propre aux nuits
tropicales. « Dans cette position un peu hardie que peut faire une jeune fille canaque
toute nue sur un lit ? Se préparer à l’amour ! Cela est bien dans son caractère mais
c’est indécent et je ne le veux pas. Dormir ! l’action amoureuse serait terminée : ce qui
est encore indécent. Je ne vois que la peur. Quel genre de peur ? Certainement pas la
peur d’une Suzanne surprise par des vieillards. Cela n’existe pas en Océanie ! »
La scène est composée selon deux registres. Le premier est occupé par le modèle
allongé et par la couche recouverte de tissus, paréos chamarrés et tapa de couleur
claire pour faire ressortir le visage et le corps dorés de la jeune fille. Derrière le lit,
dans un décor abstrait, animé de hachures de couleurs, se déroule le registre
imaginaire du tableau. Un tupapau sous la forme d’un petit personnage sombre
encapuchonné, observe la femme vivante. « Sa main s’allonge comme pour saisir une
proie », précise Gauguin. Des formes inquiétantes s’agitent autour d’elle sur un fond
violet pourpre. Ces phosphorescences évoquant des fleurs de corossol, représentent
également des tupapau. Le titre du tableau inscrit sur le fond de la composition
possède une double traduction : « elle pense au revenant » ou « le revenant pense à
elle ». L’artiste suggère ainsi le mouvement de va et vient entre les deux mondes, le
réel et l’imaginaire, propre à toute croyance religieuse et à tout art symbolique.
Exposée en 1893 chez Durand-Ruel, cette Vénus noire, très admirée par Degas et
tenue en haute estime par son auteur, reste incomprise du public.
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Fin 1892, huile sur toile, 73 x 92 cm
Buffalo, Albright-Knox Art Gallery, collection A. Conger Goodyear
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