Pharmacie vétérinaire d`officine : les dessous d`un clash
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Pharmacie vétérinaire d`officine : les dessous d`un clash
N° 1202 du 23 février au 1er mars 2013 4 www.depecheveterinaire.com Vie de la profession Dossier Pharmacie vétérinaire d’officine : les dessous d’un clash Claude ANDRILLON >>> Exercice Un article du Quotidien du Pharmacien du 11 février, intitulé Qui veut la mort de la pharmacie vétérinaire ? porte de graves accusations à l’encontre des fonctionnaires de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires. Il récapitule les griefs entretenus notamment par l’Union nationale des pharmaciens vétérinaires d’officine. La principale accusation serait une collusion entre les vétérinaires libéraux et les vétérinaires inspecteurs dont la préoccupation serait de défendre les intérêts corporatistes de leurs confrères. Ces pharmaciens minoritaires aspirent à une modification des règles juridiques, voire à la fin du vétérinaire dispensateur. Les inspections ciblées d’officines spécialisées dans le médicament vétérinaire provo- quent la fureur des pharmaciens concernés qui mettent en cause l’indépendance de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEV) et s’exonèrent de tout compérage avec des prescripteurs dédiés. Ces officinaux aspirent à une modification des règles juridiques, voire à la fin du vétérinaire dispensateur. Peu nombreux, ils font peu de cas des efforts de rapprochement récemment intervenus entre les deux professions, notamment la signature d’un communiqué commun entre les deux ordres concernés. Mise en cause de la conduite des contrôles Les inspections ciblées conduites par la BNEV ont concerné des officines de pharmacie, des vétérinaires, un distributeur en gros, des techniciens, des éleveurs. La première série d’investigations avait pour objet de mettre à jour les délivrances illicites de Ventipulmin ND, la seconde celles de kétamine et d’euthanasiques, la troisième l’ensemble des comportements susceptibles d’être considérés comme déviants par l’autorité judiciaire (lire ci-après). Cette dernière vague a majoritairement concerné des officines spécialisées dans la délivrance des médicaments vétérinaires et, aussi, des cabinets se prévalant d’une activité de conseil et susceptibles de fournir, sous couvert de bilan sanitaires et de protocoles de soins établis sans que les soins réguliers soient assumés, des rédacteurs d’ordonnances conférant à l’activité de divers pharmaciens l’apparence de la légalité. Un article publié à la une du Quotidien du Pharmacien récapitule les griefs entretenus notamment par l’Union nationale des pharmaciens vétérinaires d’officine (UNPVO), association de personnes regroupant des grands noms du commerce officinal du médicament vétérinaire. La principale accusation, reprise dans un courrier adressé, au nom de cette association, par maître Honnorat au ministre de l’Agriculture, serait une collusion entre les vétérinaires libéraux et les vétérinaires inspecteurs dont la principale préoccupation serait de défendre les intérêts corporatistes de leurs confrères en utilisant de manière déviante leurs prérogatives. Il est vrai que ces inspections ciblées, conduites par des vétérinaires, ont souvent abouti à la mise en garde à vue de pharmaciens, dans des conditions toujours douloureuses et, rarement, sur le fondement d’infractions vénielles. Elles ne concernent néanmoins qu’une trentaine d’officines au fonctionnement spécifique qui ne représentent guère plus de surface, à l’échelle de la pharmacie française, que la bande de Gaza sur le planisphère. Elles ne sont néanmoins pas dénuées d’importance géopolitique dans les relations entre les deux professions. Les vétérinaires, a contrario, n’ont jamais prétendu et ne se sont jamais plaints auprès des ministres compétents que l’inspection régionale de la pharmacie protégeait, par soli- P P P D.R. Enquêtes menées par la BNEVP depuis 2009 : une activité tous azimuts M Extrait d'une pièce de l'enquête relative à l'affaire Noé Socopharm jugée à Marseille en janvier dernier. La Dépêche Vétérinaire Voici les principales actions menées par la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) depuis courant 2009. Une activité variée, tous azimuts. - Enquêtes « Ventipulmin » et « Anesthésiques et euthanasiques » La BNEVP a conduit deux enquêtes concernant des ventes illégales de Ventipulmin ND et d’anesthésiques et euthanasiques. Au cours de l’enquête Ventipulmin ND menée de mai 2009 à décembre 2010, 22 cabinets vétérinaires et 88 pharmacies ont été visitées. Ces visites se sont soldées respectivement par 4 et 71 procès verbaux. 122 pharmacies ont été par ailleurs visitées dans le cadre de la seconde enquête avec à la clé 40 procès verbaux. Au final, pour les deux enquêtes, 210 pharmacies ont été visitées et 111 procès verbaux ont été dressés à leur encontre. - Les actions se sont intéressées également : . Au laboratoire Noé Socopharm (groupe In vivo) : Le jugement du 28 janvier du tribunal correctionnel de Marseille (ventes illégales) s’est soldé par la condamnation du directeur général de la société Jean-Paul Daguet (15 000 e d’amende, 12 mois de prison avec sursis), du directeur commercial (10 000 e d’amende et 10 mois de prison avec sursis), de la société Noé (80 000 e d’amende), des pharmacies Hadjadj et Phocéenne (7000 e d’amende chacune) et de la pharmacie Cousin (15 000 e d’amende et 8 mois de prison avec sursis). . A des vétérinaires isolés (vente de substances interdites en élevage). . Aux éleveurs clients des ventas espagnoles (plusieurs condamnations à 5 000 e par éleveur par le tribunal de grande instance de Vannes et affaire des éleveurs Deux-sévriens). . Aux vétérinaires étrangers (affaire Erneta). . Aux sociétés industrielles d’élevage (procès au tribunal d’Angers du 6 février 2013 concernant un couvoir de renom). . Aux colporteurs : affaire Wissocq (prison ferme et grosse amende de quelque 20 000 e et condamnation d’un vétérinaire et d’un pharmacien à 1 000 e d’amende chacun pour complicité) et affaire Sicot (audience le 25 mars à La-Roche-sur-Yon). . A des SELAS de vétérinaires de groupements d’éleveurs parmi les plus importants de France. . A des structures vétérinaires affairistes de premier plan (plusieurs procédures en cours). . A des pharmacies affairistes de premier plan (plusieurs procédures en cours). . A des vétérinaires compères (un vétérinaire compère de Normandie mis à la retraite, un autre condamné à 10 ans d’interdiction d’exercer par la chambre disciplinaire de Limoges). n N° 1202 du 23 février au 1er mars 2013 6 www.depecheveterinaire.com Vie de la profession Dossier darité clanique, ses ressortissants en fermant les yeux, depuis toujours, sur l’activité vétérinaire de quelques officines et qu’il n’était, par conséquent, pas étonnant qu’une répression brutale s’abatte sur les pharmaciens qui n’avaient pas reçu des leurs, en temps utile, les injonctions pédagogiques qui s’imposaient. Négation de résultats dérangeants Les organisations professionnelles vétérinaires n’ont jamais déposé la plainte contre X dont les activistes du circuit officinal leur attribuent la paternité. Leurs représentants se sont bornés à indiquer au ministre de l’Agriculture, à l’époque Bruno Le Maire, qu’il serait plus aisé d’amener les vétérinaires « normaux » à contribuer, par un comportement encore plus vertueux, au succès du plan Eco Antibio 2017, s’il était mis fin à l’exemple pernicieux que constitue l’impunité des rares grands dealers de toutes obédiences, bien connus des services de l’Etat. Dès lors, le ministère de l’Agriculture a déployé les quelques fonctionnaires spécialisés dont il dispose, appuyés par des agents des fraudes et avec le concours de militaires de la gendarmerie. Le trouble engendré au sein de la pharmacie française par ces visites ne permet pas pour autant de présumer constamment de l’innocence des officinaux contrôlés. Le fonctionnement de ces quelques officines a été, très souvent, considéré comme illicite lors des réquisitions du parquet et sanctionné par des magistrats qu’on ne peut soupçonner d’être sous l’influence des vétérinaires libéraux. Les faits mis à jour, que leurs auteurs assimilent à des incivilités de proximité commises sous l’empire de la nécessité, relèvent parfois de la grande délinquance organisée. C’est le cas de la pharmacie Cousin à Marseille par laquelle aurait transité plus de 15 tonnes de substances dont l’administration est interdite aux animaux producteurs de denrées. D’autres se seraient extraits des affres du dossier Ventipulmin ND, pourtant beaucoup plus véniel, non en lavant leur honneur, mais grâce à une composition pénale heureuse aboutissant au paiement d’une amende. D’autres, enfin, comme cette titulaire toulousaine qui exécutait les commandes de kétamine à usage professionnel émanant des vétérinaires du centre de recherches de Sanofi ont prouvé leur totale bonne foi et ne se sont pas vus dresser procès verbal. Un acharnement sans issue Dans un courrier au Premier ministre, l’avocat de l’UNPVO remet en cause le d) de l’article R.5141-112-1 3° du Code de la santé publique qui fait de la dispensation de soins réguliers une des conditions préalables à la rédaction de prescriptions hors examen clinique (lire ciaprès). Cet alinéa rend illicite des prescriptions hors examen clinique des quelques vétérinaires dont l’activité est exclusivement dédiée au conseil et dont les ordonnances sont susceptibles d’être exécutées par l’une des rares officines spécialisées. Le modèle juridique du prescripteur dédié, qui a heureusement succédé à la délivrance sans prescription d’antan, procure donc, de l’avis de ceux qui l’animent, y compris par le biais pervers du logiciel Vetordo, une sécurité factice. On voit mal, à droit communautaire constant, pour satisfaire les intérêts de 40 boutiques, la puissance publique réformer le décret du 24 avril 2007, afin de permettre à une poignée de vétérinaires écrivains publics de mettre à mal un réseau de soins de proximité au service des usagers, garant de la protection animale et immédiatement mobilisable lors de crise sanitaire auquel il ne resterait plus que les soins d’urgence. Il ne faut pas s’attendre, néanmoins, à ce que le noyau dur de l’UNPVO baisse pavillon, car ces pharmaciens d’officine sont aussi en proie à la passion provoquée par une origine rurale, à des liens avec le milieu équestre ou à une vocation contrariée par les résultats du concours d’entrée aux ENV. La lucidité commence à gagner les rangs des pharmaciens ruraux puisque dans un tract envoyé en vue des élections à l’Association de pharmacie rurale, Albin Dumas proclame : « La politique menée... bénéficiera avant tout à une poignée D.R. P P P M Un article publié à la une du Quotidien du Pharmacien récapitule les griefs entretenus notamment par l’Union nationale des pharmaciens vétérinaires d’officine. de gros faiseurs et pas aux autres pharmaciens ruraux. » La politique des petits pas, qui vise à instaurer une coexistence pacifique entre les deux parties, que ce soit par la réforme de la liste d’exonération animaux de compagnie ou par la déclaration commune des deux ordres visant à garantir le libre choix du dispensateur par l’usager, est la seule possible. Elle est certes moins spectaculaire que le cycle, hélas bien connu, où la répression succède aux attentats mais elle suppose de la reconnaissance mutuelle d’un droit à l’existence. Conclusion Le communiqué commun des vétérinaires et des pharmaciens inspecteurs qui préconise une mixité des équipes (lire page 30) apportera, s’il est pris en compte par les autorités, les garanties demandés par les pharmaciens qui se considèrent les victimes d’une Saint-Barthélemy des croix vertes. Ce n’est pas pour autant que les organisations structurellement délictuelles pourront être validées et donc impunies et que le décret du 24 avril 2007, par lequel les vétérinaires ont introduit le ver dans le fruit, ne devra pas faire l’objet d’une réécriture plus rigoureuse. n L’affaire des lasagnes à base de viande de cheval va mobiliser quelques temps les services de contrôle et induire une trêve forcée. Dispensation régulière de soins en élevage : la remise en cause de l’UNPVO Par le biais de son avocat, le syndicat Union nationale des pharmaciens vétérinaires d’officine (UNPVO) remet en cause le d) de l’article R.5141112-1 3° du Code de la santé publique qui fait de la dispensation de soins réguliers une des conditions préalables à la rédaction de prescriptions hors examen clinique. Dans un courrier adressé le 26 juillet dernier au Premier ministre, maître Honnorat, avocat de l’Union nationale des pharmaciens vétérinaires d’officine (UNPVO), attire l’attention de Jean-Marc Ayrault « sur la situation que rencontre actuellement en France les principaux ayants droit à la délivrance du médicament vétérinaire que sont les pharmaciens officinaux ». Selon l’avocat, « si la délivrance des médicaments vétérinaires les plus susceptibles d’impacter la santé publique est subordonnée à la rédaction d’une ordonnance par le vétérinaire aux termes des dispositions de l’article L.5143-5 du Code de la santé publique, ces mêmes dispositions font obligation au prescripteur de remettre cette ordonnance à l’utilisateur à l’effet, notamment, de garantir une véritable liberté de choix du dispensateur de la spécialité prescrite. Cependant, dans les faits, cette obligation n’est pas respectée par nombre de vétérinaires dispensateurs d’actes de médecine ou de chirurgie ». « Alors que ces derniers se dispensent bien souvent d’établir les bilans sanitaires et les protocoles de soins des éleva- La Dépêche Vétérinaire ges auxquels ils prétendent apporter des soins réguliers, ils font de la délivrance de médicaments vétérinaires la condition de la remise de l’ordonnance à l’utilisateur. Dans le même temps, ces vétérinaires n’hésitent pas à contester, aux confrères auxquels les éleveurs ont recours pour l’établissement des Bilans sanitaires et des protocoles de soins, la légitimité de ces actes. » « Ainsi, une interprétation tendancieuse de la condition posée au (d) de l’article R.5141-112-1 3° du Code de la santé publique (NDLR : La dispensation régulière de soins, d’actes de médecine ou de chirurgie) vient-elle constituer l’instrument privilégié de pérennisation d’un conflit d’intérêt « susceptible d’influencer la prescription » par la marge que le vétérinaire qui revendique la dispensation des soins réguliers réalise sur les médicaments qu’il prescrit sans réalisation préalable de bilans sanitaires ou de protocoles de soins. » « Conséquemment, cette interprétation contraire à l’objectif de limitation de la délivrance de médicaments vétérinaires est venue accentuer le déséquilibre existant entre les ayants droit (...). » « Le défaut de prévisibilité qui s’attache à l’imprécision de la condition posée au (d) de l’article R.5141-112-1 3° du Code de la santé publique dissuade aujourd’hui les pharmaciens d’officine de remplir le rôle que la loi leur confie en matière de délivrance de médicaments vétérinaires. » « (...) C’est en l’état de ces observations que l’UNPVO sollicite que puisse être recueillis, dans l’esprit d’une évaluation impartiale des dispositions mises en œuvre aux termes du décret n° 2007-596 du 24 avril 2007 et de l’arrêté subséquent : - d’une part, l’avis du Conseil d’Etat sur la légalité de la restriction au d) de l’article R.5141112-1 3° du Code de la santé publique et ses effets au regard des objectifs de la santé publique et de limitation de la prescription de médicaments vétérinaires, - d’autre part, l’avis de l’Autorité de la concurrence sur l’impact de cette restriction réglementaire sur la concurrence entre les différents ayants droit à la délivrance de médicaments vétérinaires. » n