La bière mérite d`être protégée car elle est menacée. Trop souvent
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La bière mérite d`être protégée car elle est menacée. Trop souvent
La bière mérite d’être protégée car elle est menacée. Trop souvent négligée, parfois maltraitée. De l’extérieur comme de l’intérieur. Elle est méprisée par le vin, le champagne ou les cocktails qui tiennent le haut des rayons de librairie. Mais le mal est aussi au cœur-même de la bière, comme la gangrène qu’il faut isoler car le loup est dans la brasserie. Des produits qui n’ont de bière que le nom s’immiscent dans les rayons de supermarché. Ils sont là pour égarer davantage les consommateurs, en leur faisant miroiter des tropiques polaires, des abbayes mercantiles, des artisans industriels. Dans ce numéro, nous remontons aux origines de la bière, aux confins d’une grande lignée universelle, aux racines qui nous amèneraient plus profond que celles du pain, et nous rebondissons sur notre siècle en Lorraine. Nous présentons nos coups de cœur, comme nos coups de gueule. Sans ménagement, à l’instar de Baudelaire, nous voulons relater du meilleur et du pire. Ensuite, à vous lecteur-buveur, de faire votre chemin. Michel Marti Club des Amis de la Bière association loi 1901 (n°3/23076) SOMMAIRE ÉDITO ............................................................................................. 3 Siège social : Le Flippero 8 rue des Frères Despons 31320 Castanet-Tolosan tél.: 05 61 81 44 67 A LA PRESSION ............................................................................ 4 Président : Stéphane Dumeynieu tél.: 05 61 52 04 77 LES ORIGINES DE LA BIÈRE : Préhistoire ................................. 8 Trésorier : Michel Marti tél.: 05 58 98 39 21 L’AVISO ........................................................................................ 11 Secrétaire : Estelle Durand ATTENTION DÉTOURNEMENT ................................................. 15 Hiver 2000. LA BRASSERIE LORRAINE DE 1900 A 1980 ............................. 5 LES VOYAGES DE L’ONCLE STOUF .......................................... 7 LA BRIGAND ET LA BIÈRE DU CHÂTEAU ............................... 10 LES GRANDES FAMILLES DE BIÈRE : Lager et Pils ............... 12 BAUDELAIRE ET LA BIÈRE........................................................ 16 LE FLIPPERO ............................................................................... 17 RECETTE A LA BIÈRE ................................................................ 18 Si vous avez envie d'écrire un article dans Yellow CAB, apportez Le CAB sur Internet ! -le nous au Flippero ou envoyez- Des questions, des infos, un article ? le nous par courrier. . Envoyez les nous à : [email protected]. YELLOW CAB 5 page n° 3 La vie du monde de la bière Le CAB dans les médias... Hé oui ! une nouvelle fois, le CAB est cité dans la presse. En effet, Bière Magazine n° 9 parle de nous dans l'article « Les demis de Toulouse ». C'est motivant... ! Mais ce n’est pas tout ! Notre vénéré président, Stéphane Dumeynieu, a défendu les couleurs du CAB et de la bière pendant deux heures sur Radio Mon Païs. Naissance... Encore une nouvelle microbrasserie en Midi-Pyrénées ! La « Désirée », bière ambrée, titrant 6°, est brassée à Réalville (82) par la brasserie St Martin. La particularité de la brasserie étant de faire son propre malt. Goûtons voir si la bière est bonne... Vraies ou fausses bières régionales C'est un coup de gueule pour dénoncer la pratique qui consiste a vendre, sous le label régional, une bière fabriquée bien loin de son pays d'origine En effet, certaines n'ont de régional que 1'étiquette et le nom. Cette pratique est inacceptable car on trompe le consommateur. Un exemple frappant est la bière bretonne vendue sous 1e nom de « Tonnerre de Brest » et fabriquée en... Belgique. Enfin rappelons que la bière basque « Oldarki » est fabriquée à Nancy tout comme la « Vellavia » bière régionale du Puy en Velay. YELLOW CAB 5 D'accord, c'est l'Europe mais quand même... l'engouement pour notre nectar préféré. Néanmoins, on peut regretter le choix Fin d'un millénaire, début de Kronenbourg pour d'un autre représenter la France.... L'an 2000, c'est l'occasion pour les brasseries de Bière en mer créer des nouveaux La brasserie de Séverac produits ou encore de située en Bretagne a mis changer de design. Notons au point une bière à l’eau l'exemple de la brasserie de mer ! On peut bien se la Choulette qui nous demander l’intérêt d’une propose « la millénaire », telle démarche, si ce en bouteille de 75 cl. A n’est un aspect goûter... commercial. Enfin, selon les premiers dégustateurs Effrayant ! de ce produit, on pourra On peut s'inquiéter de facilement s’en passer… l'expansion des bouteilles de bières en plastique (33 Bas de gamme Export, Karlsbräu..) En toute objectivité, nous fabriquées par Cidel rappelons que la (Evian, Coca…). Bien sûr, Desperados, bière soiceci n'est que l'emballage disant mexicaine, est une vous me direz. Mais enfin, bière brassée par la vous imaginez commander brasserie Fisher (France) une Chimay dans une qui appartient à Heineken bouteille en plastique et (Pays-bas). Tout cela la payer 35 F ? Moi, non ! amène le constat suivant : A ce rythme, dans dix ans, une bière mexicaine la Chimay sera vendue sous fabriquée en France, forme de cachets conçue par des Hollandais, effervescents qu'on c’est pas le Pérou ! dissoudra dans une eau En conclusion, c’est un « labellisée » Chimay au liquide tout juste buvable prix modique de 60 F dans qu’on ne peut pas appeler un café qui s'appellera bière. CHIMIQUELAND et où on pourra déguster un superbe Alerte virus Internet ! BIG MACHIMAY. L’économiseur d’écran Mais où se trouve madame « Buddylst.Sip » circule qualité ? Qu'allons nous actuellement sur le Web et offrir à nos gosiers si sévit dans nos exigeants ? Je suis ordinateurs. Aucun antieffrayé par ces dérives virus efficace n’existe commerciales. Pas vous ? encore. Le terrible « Buddy » est un virus Bière et rugby d’origine Budweiser. On Lors de la coupe du monde savait déjà que la bière de rugby, la presse a sévissait dans nos présenté chaque pays par bistrots… l'intermédiaire d'une bière. Cela montre page n° 4 Artisanale jusqu’au milieu du siècle dernier, la brasserie lorraine passe en moins de cinquante ans au stade de la grande industrie. Aux petites unités, fabriquant chacune quelques milliers d’hectolitres par an, se substituent des usines qui comptent parmi les premières en France. Le nombre de brasseris en Lorraine passe de plus de cent en 1890 à une trentaine avant 1940 et quatre en 1980. L’artisanat Au début du XIXe siècle, l’on compte deux ou trois brasseries par bourg. Les installations souvent familiales sont rudimentaires et les techniques de fabrication se limitent au savoirfaire des garçons brasseurs. La vente étant quasi-immédiate et se faisant dans un rayon proche du lieu de production, l’adoption des procédés de fermentation basse et l’emploi du froid industriel vont entraîner une transformation complète de la brasserie. En effet, l’application des méthodes nouvelles exige des capitaux très importants. De nombreuses petites entreprises artisanales vont être contraintes à cesser leur activité faute de pouvoir réaliser les investissements nécessaires. La réduction du nombre de brasserie est brutale. La grande industrie Disposant d’eau pure en quantité et bénéficiant de conditions économiques favorables, la brasserie en Lorraine va quitter le stade artisanal et se tourner vers la gr a n d e i n d u st ri e . La spécialisation des brasseurs de la région dans les procédés de fermentation basse leur procure un avantage commercial décisif. En effet, la bière fabriquée selon ce procédé supporte mieux les transports et les variations de température. Présentant de meilleures garanties de stabilité, elle peut donc être exportée et concurrencer les fabrications YELLOW CAB 5 locales. Par ailleurs, le double soucis d’assurer la sécurité de la fabrication et de se doter d’un personnel d’encadrement qualifié, conduit les brasseurs de la région à créer en 1893, en collaboration avec l’université de Nancy, un laboratoire d’analyse unique en France qui deviendra par la suite l’École nationale supérieure de brasserie. La belle époque La production atteint un million d’hectolitres en 1900, soit 10% de la production française. Elle double en Meurthe-et-Moselle entre 1900 et 1914. Les brasseries les plus importantes se développent à proximité des centres industriels et des villes de garnisons dans une région dont le poids économique et militaire s’accroît considérablement. Ces brasseries profitent également des droits de douane qui frappent les bières d’Alsace après 1870 et de la vogue nouvelle que connaît la bière. La consommation à Paris passe de 7000 hectolitres en 1853 à 300000 hectolitres en 1881. La bière fabriquée en Lorraine selon le procédé de fermentation basse est considérée comme une bière de luxe et connaît un vif succès auprès des consommateurs. La belle époque consacrera le génie des brasseurs lorrains à l’Exposition universelle de 1900 où ils recevront de nombreuses récompenses. (Suite page 6) page n° 5 Les années folles Les années 1920 sont une période extrêmement faste pour les brasseurs lorrains. Nancy, « capitale de la bière », devient une véritable vitrine de la richesse des brasseurs où les amateurs se retrouvent dans les endroits luxueux à la mode : le café Excelsior (brasserie de Vézelise), le café Thiers (brasserie des Charmes), le Grand Café (brasserie de Champigneulles), la Brasserie Universelle (brasserie de Maxéville), le café Riche (brasserie de Tantonville), le Foy (brasserie Greff). Animés tard dans la nuit, ces établissements sont les « pavillons » des brasseries et participent largement au renom des bières lorraines. Cependant, la crise économique de 1930 ne va pas épargner les brasseurs. Les bières lorraines sont de plus en plus concurrencées et leur supériorité s’atténue progressivement. détriment de la consommation chez le débitant. Cette transformation de demande va avoir des conséquences extrêmement importantes sur les conditions de livraison et de fabrication. En effet, les livraisons en fûts destinées à la consommation de bière à la pression, qui représentaient la quasi-totalité des livraisons d’avant-guerre, sont remplacées par des livraisons en bouteille. Cette transformation du conditionnement nécessite d’énormes investissements (emballage, chaîne d’embouteillage). Ces investissements supplémentaires sont difficilement supportés par les brasseries de la région d’autant plus que la crise a laissé des trésoreries serrées et que l’autofinancement est exclu dans la plupart des cas. Le nombre de brasseries dans la région se réduit alors dans de fortes proportions. Il en reste une dizaine en activité en 1980. La crise de la brasserie La deuxième guerre mondiale trouve ainsi la brasserie lorraine en pleine maturité technique mais aussi au début d’une nouvelle période de transition. Cette mutation va être accélérée pa r le s re st ric ti ons imposées par les autorités allemandes et notamment la fermeture autoritaire de nombreuses brasseries. Les contingentements de matières premières entraînent une diminution de la qualité des bières produites. Les bières dites « de guerre » voient leur densité baisser rapidement. Le degré d’alcool tombe de cinq à deux degrés, puis enfin à un degré. La brasserie connaît alors une véritable crise. La production lorraine tombe au quart de son volume d’avant-guerre. Cette crise due à l’impossibilité d’assurer une production de qualité va être amplifiée par la modification du comportement des consommateurs. La brasserie aujourd’hui La période récente est marquée par une reprise de la demande intérieure (la consommation double entre 1950 et 1970) et par la constitution de groupes de plus en plus importants. En 1973, deux groupes (BSN et l’Union de brasseries) réalisent les deux tiers de la production française totale. Par ailleurs, l e s c a pi t a ux é t ra n ge rs s’implantent dans le secteur : l’Alsacienne de brasserie et les Brasseries lorraines passent respectivement sous le contrôle de Heineken et de StellaArtois. La succession de fusions et absorptions conduit finalement à l’intégration des brasseries lorraines dans de vastes groupes industriels français et étrangers. Il ne reste plus aujourd’hui que quatre brasseries en activité dans la région dont une seule indépendante. La recrudescence de micro-brasseries en France devrait faire renaître la bière artisanale que la Lorraine a connue. La révolution du conditionnement L’évolution des mœurs privilégie une consommation plus individuelle à domicile au YELLOW CAB 5 Gilles page n° 6 Et 1, et 2, et Orval… Cet été, suite à un voyage de plusieurs milliards de kilomètres, une halte salutaire s’imposait dans la fameuse abbaye d’Orval. Après une passionnante visite des ruines, je fus surpris de découvrir l’existence d’une deuxième Orval brassée exclusivement pour les moines. Cette Orval est proche de celle que nous connaissons mais elle diffère par un moindre degré d’alcool, une légèreté notable et une amertume moins prononcée. Enfin, durant le mois de juillet, il était possible de goûter ce nectar à la taverne située en face de l’abbaye. Quant à moi, j’y étais au mois de juillet, heureux ! Conclusion, il existe réellement deux Orval, c’est toujours agréable de placer cette information dans une conversation tégestophile mondaine. Quoiqu’une conversation tégestophile mondaine, c’est rare ! Trappistes et authenticité Les Trappistes sont des bières brassées encore dans les abbayes cisterciennes (voir Yellow Cab n°2). Tout amateur de bière sait qu’il existe six trappistes dans le monde : Westmalle, Chimay, Orval, Rochefort, Westvleteren en Belgique, et La Trappe aux Pays-Bas. Mais voilà qu’une révolution millénaire aurait lieu dans le milieu tégestophile : une septième trappiste aurait vu le jour !! D’après nos informations confidentielles en provenance de Belgique, ce serait l’abbaye belge d’Achel qui serait l’heureuse élue. On peut alors se demander si cette nouveauté est bénéfique aux trappistes… Ne serait-ce pas une dérive commerciale au détriment de la qualité ? Il apparaît en effet difficile qu’une trappiste « naisse » comme ça en cette fin de siècle. Néanmoins, au cours de mes différentes ballades brassicoles, j’ai pu constater l’existence d’un verre de l’abbaye d’Achel datant des années 60-70 chez un collectionneur de bonne foi. Dès lors le doute est là et nous espérons avoir dans les mois qui suivent de plus amples informations sur ce sujet passionnant et tabou. A suivre… Trappistes et authenticité dernière minute ! Lors d’un voyage sur Internet, j’ai vu plusieurs sites parlant de la septième trappiste : l’abbaye de St Benoît d’Achel. Les moines d'Achel mettraient la touche finale à leurs bières. La recette originale serait élaborée par frère Thomas de Westmalle avec frère Antoine, de Rochefort, également présent pour aider à la mise au point. On y brasserait déjà deux bières blondes de fermentation haute et de degrés d’alcool différents, au sein d'une micro brasserie, située dans un café dans l'enceinte des bâtiments jouxtant l'abbaye. Une autre bière, plus foncée celle-là, serait produite depuis juin 1999. Aucune vente en bouteille n'est prévue pour l'instant, et vous devrez aller sur place pour goûter cette bière à la pression (disponible depuis février 1999). Et au cours de ces voyages électroniques, j’ai appris, Oh stupeur!, qu’une huitième abbaye trappiste produirait de la bière !! Ce serait une abbaye cistercienne zaïroise, mais nous n’avons rien pu savoir de plus. Kronenbourg et accueil Champigneulles, banlieue de Nancy, est un des sites de production de Kronenbourg. En effet, brasserie indépendante à l’origine, Champigneulles fut rachetée par Kronenbourg dans les années 70. Or, au cours d’un voyage brassicole, me voici devant ce bâtiment. Désireux de garder un souvenir de mon passage, je décide de prendre une photo de l’entrée de la brasserie depuis la rue. Mais voilà que la sécurité sort, m’interpelle et m’interdit toute prise de vue. Cette attitude honteuse digne d’un pays totalitaire s’oppose à l’image de la bière, boisson conviviale et généreuse, que Kronenbourg voudrait donner. Kronenbourg, la vache folle de la bière… YELLOW CAB 5 page n° 7 LE NOUVEAU FEUILLETON DU YELLOW CAB LA PRÉHISTOIRE C’est aux alentours de 8000 av. JC que la première bière a dû voir le jour. L’homme commençait alors à abandonner ses habitudes de chasseur errant pour celui d’agriculteur. Il plantait des céréales et en faisait des galettes de pain rustique. La bière antique vient probablement d’un morceau de galette humide qui a commencé à germer. Ce morceau a dû avoir un bon goût car sa fabrication s’est ensuite rapidement répandue dans les tribus et le « pain liquide » s’est généralisé. D’autres explications relatent que du pain oublié dans des jarres remplies par l’eau de pluie commença à fermenter, ce qui créa une formation de mousse. Comme la nourriture était rare en ces temps-là, l’homme a goûté cette mixture et l’a trouvée à son goût. Je dis « l’homme », mais il faut bien sûr préciser que c’est en terme d’humanité que je parle, car dès le début et pendant très longtemps, c’est la femme qui fabriquera le pain et la bière, tous deux liés car provenant des mêmes céréales. Il y a même eu en 1950 un congrès pour le journal « The American Anthropologist » intitulé « La bière est-elle arrivée avant le pain ? » En effet, les archéologues s’accordent sur le fait que l’orge (ou son ancêtre sauvage) était la première céréale cultivée, il y a plus de 10 000 ans, mais se disputent sur son Amphore, 3500 av. JC utilisation première. Bière ou pain ? La première réponse est bien sûr le pain, mais en y réfléchissant bien, on peut se demander comment serait venue à l’homme l’idée de faire du pain, ce qui nécessite un long processus de broyage, pétrissage, cuisson et j’en oublie… Alors que tout le monde s’accorde pour dire que la première bière peut très bien avoir été faite par accident. Un autre argument des « pro-pain » est qu’on ne peut pas vivre uniquement de bière. Mais ils se basent sur les quantités nutritives de la bière et du pain actuel. On s’est rendu compte qu’à l’époque, la bière était beaucoup plus nutritive, contenait beaucoup plus de vitamines que le pain. De plus, l’eau de l’époque étant souvent insalubre, il était meilleur pour la santé de boire de la bière. Un argument des « pro-bière » est que le seul fait de manger du pain, avec toute la préparation que cela supposait ne pouvait pas expliquer à lui tout seul que l’homme aurait préféré commencer à cultiver et devenir sédentaire au lieu de continuer à être chasseur nomade. Ils pensent, par contre, que l’attrait de la bière, sa simplicité de fabrication, a pu être une raison à la sédentarisation. Se pourrait-il que tous les fondements de la civilisation soient dus à l’unique recherche du plaisir lié à la bière ? La question reste ouverte, mais quelle belle perspective ! On aurait retrouvé à Jéricho (7000 av. JC) de grands contenants servant à la fabrication et à la conservation de la bière. Ces premières bières avaient une faible teneur en alcool car elles utilisaient la faible quantité de sucre naturel présent dans les épis de céréale. En généralisant un peu, on peut dire que l’arrivée de l’agriculture, et plus particulièrement les céréales, a permis l’éclosion des civilisations. Ce processus s’est déroulé dans toutes les régions du monde avec les mêmes conséquences : la fabrication de la bière (entre autre, mais c’est ce qui nous intéresse ici). De plus, bien que faiblement alcoolisée à ses débuts, la bière procurait tout de Jarre même cette douce ivresse, cette impression de communion avec l’Au-delà qui fait qu’elle a presque toujours été liée à la religion, en tant que moyen de communication avec les dieux. (Suite page 9) YELLOW CAB 5 page n° 8 (Suite de la page 8) LES SUMÉRIENS Vers 4000 av. JC, les Sumériens, qui vivaient en Mésopotamie (actuel Irak), au confluent du Tigre et de l’Euphrate, ont mis au point la première bière. Sumer est la première grande civilisation de l’humanité et a inventé l’écriture, l’utilisation de la roue, le bitume... Des tablettes datant de 6000 ans racontent la céréaliculture, la fermentation des céréales et la préparation de la bière, le « sikaru ». On en dénombre plus de vingt variétés, servant aussi bien à soigner les maladies qu’à payer les ouvriers ou à honorer les dieux. On offrait de la bière à la Tablette pré-cunéiforme déesse de la fertilité pour s’attirer ses bonnes grâces et avoir de bonnes Environ 4000 av. JC récoltes. Aux alentours de 1800 av. JC, un poète a composé un hymne à Ninkasi, la déesse de la bière. Ninkasi signifie littéralement « toi qui remplit ma bouche ». Cet hymne est en fait la première recette écrite de bière. En 1990, la brasserie Anchor, de San Fransisco, qui avait eu vent du congrès « Bière ou pain » cité plus haut, a décidé d’apporter sa pierre à l’édifice en brassant une bière à partir de cette recette. Elle a donc dû faire plusieurs études. L’une d’elles est que la bière de l’époque était faite de pain, lequel serait donc arrivé en premier, mais en étudiant de plus près les différents écrits, on s’est rendu compte que ce pain n’était consommé que pendant les périodes de disette, et qu’en fait, faire du pain était un moyen pratique de conserver de la bière. Il existe un document écrit très instructif de 3000 av. JC, le « monument bleu ». Il montre en images la découverte des grains de céréales pour la préparation de la bière et la production de la bière offrande pour Nin-Harra. Un autre document, « L’épopée de Gilgamesh », première odyssée de l’Histoire, donne de nombreuses références à la bière, dont celle-ci : « Mange du pain, mais si tu veux vivre, bois de la bière ». Le malt de céréales était cuit en une sorte de pain, ce qui permettait de le conserver et de le transporter. Ensuite, ces pains étaient brisés, humectés dans l’eau et ainsi fermentaient pendant quelques jours. Les premiers brasseurs ne maîtrisaient pas le phénomène de la levure. Ils savaient seulement que lorsqu’ils faisaient de la bière, les dépôts provenant des brassins précédents qu’ils avaient laissés dans les récipients d’argile transformaient spontanément le liquide en alcool. Il semble que les brasseurs avaient par ailleurs découvert que l’orge maltée produisait les meilleurs extraits de sucre tandis que le blé donnait à la bière un caractère âpre et fruité. Le peuple sumérien ne devait pas jouir d’une très grande liberté. Le pouvoir était aux mains des rois et prêtres qui réglementaient le commerce, la circulation et même la production de bière et la formation des brasseurs. Il était interdit de se faire payer la bière en argent. Elle était échangée contre des céréales. Celui qui acceptait de l’argent était noyé. Les citoyens avaient néanmoins droit à une certaine quantité de bière par jour : 2 litres pour les travailleurs, 3 litres pour la classe moyenne et 5 litres pour les nobles et les prêtres. On pense cependant que la teneur en alcool n’égalait pas celle de nos bières actuelles, sinon les prêtres auraient été constamment ivres. Les Sumériens buvaient la bière en la filtrant avec des roseaux On a retrouvé sur des tablettes d’argile datant de 2040 av. JC, la liste des rations pour six messagers du Gouverneur partant en voyage : (Suite page 10) YELLOW CAB 5 page n° 9 (Suite de la page 9) « Pour Bama : 1,5 l de bière ; 150 g de pain ; 150 g d’oignon ; 90 g d’huile ; 60 g de soude, Pour Baza, Mas et Lugal-sazu : la même chose, Pour Su-Esdar : 2,5 l de bière ; 300 g de pain ; 150 g d’oignon ; 90 g d’huile ; 60 g de soude, Pour Ubarum : 0,75 l de bière ; 60 g de pain ; 150 g d’oignon ; 90 g d’huile ; 60 g de soude. » Les « maisons de la bière » étaient très répandues et se confondaient souvent avec les maisons closes. Des hôtesses court vêtues servaient la bière. Les Sumériens pouvaient choisir entre plusieurs sortes de bière. Les brasseurs proposaient de la bière fabriquée à partir du froment de blé rustique (Emmer), de la bière d’orge et divers mélanges. Pour rendre les boissons plus savoureuses, ils y joignaient du miel, de la cannelle et des épices, et peut-être même du houblon, déjà connu à l’époque. L’importance donnée aux brasseurs se mesure au fait qu’ils étaient dispensés de service militaire en raison de leur importante occupation. On a retrouvé un certificat de livraison pour des céréales et du malt sur lequel était nommée une marchande de boisson appelée « Kubaba ». Il est dit qu’elle a participé à la fondation de la ville de Kish à 20 km à l’est de Babylone, ville dont il reste encore aujourd’hui le temple et quelques tours. Les faits extraordinaires de cette femme laissent penser qu’elle était au centre de la vie publique grâce à son commerce de bière. La production de la bière et la culture de l’orge et de l’« Emmer » a duré pour les Sumériens jusqu’au déclin de leur civilisation et leur intégration par les Babyloniens. Estelle Durand Principales villes sumériennes et babyloniennes YELLOW CAB 5 page n° 10 La Brigand provient de la brasserie Van Honsebrouck à Ingelmunster, en Flandre occidentale. C’est une bière forte, de couleur bronze cuivrée, elle a un corps doux, avec des bulles persistantes et comme une « morsure » de levure, un goût robuste, très fruité mais avec, en plus, un caractère houblonneux très marqué, surtout en fin de bouche. Elle est à base de malts pilsener et pale ale, et de houblon saaz. Sa teneur en alcool est de 9 degrés. La Brigand développe pleinement sa saveur trois à six mois après celui de sa mise en bouteille, lequel est imprimé sur le bouchon. Elle doit être conservée à une température naturelle de cave et pas servie trop froide. Son verre est splendide : pied fin et torsadé terminé par un réceptacle à breuvage ventru. En 1986, la famille Van Honsebrouck acheta le château Ingelmunster, un manoir datant de 1736, protégé par des douves, construit sur un site stratégique occupé jadis par le duc de Flandre. Au XVe siècle, le château aurait possédé une brasserie réputée pour sa bière foncée. Un château plus ancien avait été construit en 1075 sur le même site et, en 640, une abbaye y aurait existé. Les vastes caves du château actuel sont réservées à la maturation des bières de la brasserie Van Honsebrouck. Une Kasteel bier spéciale, ou Bière du château, a été créée à cet effet. Il s’agit d’une bière très forte, immensément riche, titrant 11 degrés. Sa couleur et sa viscosité font penser à un porto foncé. Son arôme est très malté avec des notes de pain frais et de fruits secs. Son palais doux est caramélisé au début, rond, profondément fruité et vineux rappelant le porto dans son goût final. La bière est soumise à deux adjonctions de levure au moins, à une seconde fermentation de deux ou trois semaines à la brasserie, à une maturation à froid d’au moins trois mois dans des réservoirs suivie de six à douze semaines dans les caves. Le château possède un parc, un salon de thé et une taverne où on sert la bière avec des fromages et des jambons belges. On peut acheter et emporter ces produits. Le château d’Ingelmunster est situé au 3, Stationstraat, tél. (32) 56 35 34 91 ou (32) 51 30 03 85. Gilles NOUVEAUTÉ Tout le monde connaît aujourd’hui l’unique Delirium Tremens, la bière à l’éléphant rose sur fond bleu. Cette bière blonde forte a maintenant une consœur. A la fin de l’année 1999, la brasserie Huygue de Melle (Belgique) a donné naissance à la Delirium Nocturnum. Il s’agit d’une brune de triple fermentation, titrant 9 degrés. Elle a peu de nez, une mousse généreuse, et son goût caramélisé s’évapore rapidement pour laisser place à une amertume en fin de bouche. Je vous rassure, l’éléphant rose est toujours là. YELLOW CAB 5 page n° 11 Normandie, matin d'été, 9 h 00, j'enfile mes bottes, enjambe ma fidèle MZ et part sur la route à la découverte de nouvelles aventures... Premier arrêt, première boisson de la journée, oh, bien sûr, c'est encore tôt, c'est donc l'heure du café réparateur. Mais l'heure du nectar se rapproche... Quelques 150 km plus tard, mon corps est fourbu, ma peau tannée par le soleil, mes yeux asséchés par ce vent breton… une halte est donc nécessaire. Quelques kilomètres plus tard, je m'arrête à St-Malo l'imposante cité corsaire. Premier contact avec un gars du pays qui n'est autre qu'un gendarme désireux de garer ma MZ ailleurs. Sage, je m'exécute. Enfin, je pose mes bottes sur les pavés bretons et pénètre dans cette forteresse. Fière et majestueuse St Malo se dévoile peu à peu. Au milieu d'une flopée de touristes, je m'évade. Mais voilà, au détour d'une ruelle légèrement en retrait, je découvre un bar dont la devanture est recouverte de publicités de bières ! Curieux, je me rapproche et découvre que l'on propose une carte de 300 bières !! Sans hésiter, j'entre. Seul dans ce café, j'observe... et je découvre des étagères de verres comme jamais je n'en avais vu… miracle. Le patron s'approche, spontanément avant de commander, je lui demande : « Est-elle à vous cette collection de verres ? » Tout sourire, le patron me répond . « Oui, j'en ai près de 2500. » A ces mots, je frôle l'infarctus. C'est alors que commence une conversation tégestophile légendaire dont on parlera longtemps dans les chaumières. Debout sur les sièges à regarder les verres, puis autour d'un verre en décrivant la mamie du café de la brasserie de Crombé (dont je parlerai peutêtre un jour...), la soirée fut magique. Après plus de cinq heures de palabres et d'offrandes, le camping m'accueillit sagement accompagné par mes rêves de bièrologue. Tous ces kilomètres m'auront donc permis de découvrir peut-être le temple de la bière en France. Félicitations au patron dont la passion est si flagrante qu'elle jaillit à chaque pression servie. Pour la première fois depuis que j'existe, quelqu'un m’a compris quand je parle de Westvleteren... Merci, patron. Le bonjour a mamie Crombé... Lecteurs, vous ne me comprenez peut-être pas, mais ces choses là, c'est difficile à expliquer. Néanmoins, faites moi plaisir un jour, allez boire une bière à l'Aviso à St-Malo… bouleversant. Stouf, dégustateur à l’Aviso YELLOW CAB 5 page n° 12 Notre épisode aujourd’hui : les LAGER et PILS Alors que toutes les bières étaient fabriquées à température ambiante, c’est vers le XVe siècle que sont apparus les premiers essais de stockage de la bière à basse température pour lui permettre de survivre aux fortes chaleurs de l’été. En effet, le brassage pendant les mois chauds était alors impossible, d’où les fêtes pour les dernières bières de l’année, les bières de mars. En Allemagne, les brasseurs se mirent à conserver leurs bières dans des caves remplies de glace et découvrirent qu’à basse température, la levure se comportait d’une manière totalement différente. Au lieu de créer une mousse épaisse et pelucheuse au-dessus du moût et de produire de l’alcool en quelques jours, elle ne produisait qu’une fine mousse et descendait au fond de la cuve. La fermentation était également beaucoup plus lente et durait plusieurs semaines. Mais, protégée par le froid et l’alcool, la levure était à l’abri des attaques des variétés sauvages présentes dans l’air. Le terme « bière fermentée à froid » est mentionné dans un rapport de la municipalité de Munich en 1420. La Bohème est, avec Vienne et Munich, la première région où se met en place la fermentation basse de la bière. On sait qu’il existe des guildes de brasseurs à Prague depuis le début du XIVe siècle. Il faudra néanmoins attendre la fin du XIXe siècle pour pouvoir cultiver une variété de levure basse YELLOW CAB 5 pure, mais le développement de la fermentation à froid (ou fermentation basse) était d’une importance capitale pour les brasseurs qui ne pouvaient brasser pendant les mois d’été, ce qui représentait un manque à gagner. Cependant le développement de la fabrication de la lager (de l’allemand « lagern », entreposer) n’a pas été instantané. En 1831, il y avait 16000 brasseries en Prusse qui produisaient de la bière de fermentation haute, en 1865, ils étaient encore 7400. A partir de cette date, la fabrication de la lager se développe rapidement grâce à la mise au point de machines à fabriquer de la glace. C’est aux grands brasseurs de Munich, notamment Gabriel Sedlmayr, que l’on doit ces progrès. A l’aide de machines mises au point par Carl Von Linde, les brasseurs ont pu entreposer leur bière dans leurs brasseries au lieu de la transporter dans des caves glacées dans la montagne. Ces machines furent rapidement remplacées par des réfrigérateurs, ce qui permit de développer la fabrication de la lager sur une grande échelle. Les avantages du stockage à froid sont nombreux : on avait un plus grand contrôle de la fermentation e n é vi t a nt l e s i n fe c t i o ns bactériennes, et comme la bière était filtrée et vieillie dans la brasserie, elle était moins affectée par les mauvaises conditions d’hygiène des cafés et bars. (Suite page 14) page n° 13 (Suite de la page 13) La fabrication de la lager nécessitait de nombreux investissements, notamment pour les cuves de vieillissement et le matériel de refroidissement. Les premières lager bavaroises étaient foncées. En effet, le charbon étant coûteux, les brasseurs avaient continué à chauffer leur malt audessus des feux de bois. Ce style de bière est d’ailleurs encore brassé en Allemagne sous le nom de « Rauchbier ». La première lager blonde viendra de Bohème, plus précisément de Pilsen, grand centre brassicole, où en 1295, le roi Wenceslas II donna à 260 de ses sujets le droit de fabriquer de la bière et où existe une brasserie depuis la fin du XVe siècle. L’un des tout premiers ouvrages techniques sur la bière est publié en 1585 par le Tchèque Tadeas Hajek et des recherches menées au XVIIIe siècle par Frantisej Ondrej Poupé incitent à adopter les méthodes modernes de maltage et à utiliser un hydromètre pour contrôler la trempe. Une école de brassage est ouverte en 1869, suivie en 1897 par une école de maltage. En 1838, suite à de nombreux problèmes de qualité de bière, des brasseurs de Pilsen invitèrent un brasseur bavarois, Josef Groll, à travailler pour eux. Il leur amena sa science du brassage à basse température, mais utilisa les matières premières locales, à savoir, le meilleur malt de Bohème, le houblon Zatec et l’eau douce de Pilsen. La légende dit que Groll avait l’intention de créer une bière brune, pareille à celles existant en Bavière, mais que les malteurs s ’é t a nt t rom pé s de température de cuisson, il obtint, en 1842, une bière dorée, claire, très mousseuse et bien houblonnée. Cette bière, renommée Pilsen Urquell (en tchèque, Plzensky Prazdroj, qui signifie bière Pilsner source d’origine), va devenir rapidement la référence en matière de bière blonde de fermentation basse sous le diminutif de pils. Ce type de bière est, depuis, devenu le plus répandu à travers le monde, avec une grande variation dans les goûts : certaines sont très houblonnées, d’autres moins, certaines ont du corps, du caractère, d’autres ressemblent à de l’eau… La pils est une bière souvent dénigrée par les « vrais » amateurs de bière. Il existe pourtant d’excellentes bières blondes de fermentation basse, et que dire du plaisir de déguster une bonne pils bien fraîche un soir d’été… Il faut cependant savoir que les deux seules bières méritant le nom de Pilsner sont Pilsen Urquell et Gambrinus, brassées à Pilsen. Estelle Durand Carnet Rose La famille du CAB s’agrandit encore d’un futur membre ! Bienvenue à Léa Corrieri, née le 6 février 2000. Toutes nos félicitations aux heureux parents. YELLOW CAB 5 page n° 14 Après le fulgurant succès commercial de la Corona dans le monde en général et particulièrement chez nous, nos industriels se sont crus obligés de réagir afin de profiter de ce qu’ils appellent une tendance mais que nous qualifierons ici de mode. La Corona est toute innocente de sa réussite et cet aboutissement n’a jamais été à son origine. Au même titre que ses compatriotes Sol ou Tecate, elle est née au Mexique pour rafraîchir autant qu’elle le peut ses péons à sombrero, si je peux me permettre le cliché. Elle a très vite franchi la frontière la plus perméable du monde et envahi les États-Unis, fief de Bud, Coors et Miller, qui allaient lui servir de tremplin. Les Européens ont découvert cette bouteille dont l’originalité du verre blanc laisse apparaître dans toute sa splendeur la couleur blonde. Comme elle nous a été servie avec un quartier de citron coincé dans son goulot, il ne faut pas chercher plus loin l’engouement provoqué par c e t t e touche exagérée d’exotisme, mais diablement efficace. Beaucoup ont cru reconnaître dans cet artifice le sel qu’on lèche avant d’avaler la tequila. Pour tout vous dire, je vous déconseille de presser le citron dans la bière. Vue assurément au Mexique, la présence du citron s’explique par la nécessité de désinfecter le goulot que l’on porte à la bouche et que les capsules corrodées finissaient par rendre impropre. C’est alors qu’apparaissent sur le marché des produits dont on peut mettre en doute l’authenticité. Quand en 1994, Kronenbourg fait une étude pour le lancement de la Chicada, nos derniers doutes s’estompent. Bien qu’il s’agisse-là d’un YELLOW CAB 5 échec, le mal est fait. On sacrifie désormais à la mode de l’exotisme à tout va. On nous propose la Guapa, elle aussi mexicaine, la Tequieros (Tutaimes ?) des Brasseurs de Gayant, la révolutionnaire Cubana (à fumer ?) de John Martin, la communiste Pravda à la vodka de Meteor… On boit l’Adelscott d’Adelschoffen au nom faussement écossais qui explique l’adjonction de whisky. On trouve la Kingston de Fisher, dont le nom jamaïcain justifie la présence de rhum. On frôle le pire avec l’infâme Desperados (les désespérés !), de Fisher aussi, bière à la tequila qui réinvente le panaché. Une récente annonce vante les mérites de la Madison, bière au Grand Marnier, en vente dans les discothèques branchées ! Fun, n’est-il pas ? Les Américains ne sont pas en reste avec la Chili qui, c omm e son nom l’explique, est produite aux ÉtatsUnis. Attention ! Il s’agit-là de la bière la plus forte du monde sans conteste possi ble . Bien que ne titrant que 4,7 degrés, la présence d’un véritable piment entier nous interroge sur la fonction finale de ce liquide, palliatif sexuel ou décapant domestique, imbuvable au demeurant. Après tout, dans le monde des apparences, on nous ment aussi avec des abbayes qui n’existent pas, des critères de qualité qui n’en sont pas et des prix spéciaux non contrôlés. Le consommateur va devoir devenir un spécialiste s’il ne veut pas se laisser abuser. Il n’a plus qu’à fermer les yeux, faire confiance au nez et au palais et se souvenir que l’habit ne fait pas le moine trappiste. Michel Marti page n° 15 L’an 2000… L’occasion est trop belle pour un immense poète français, Baudelaire. En fait, ce n’est pas le moment de célébrer le centième anniversaire de sa disparition, ou le bicentenaire de sa naissance, il n’y a pas de nouvelle biographie à paraître… Donc, vous voudriez que je n’évoque pas ce nom illustre ? Vous ne me connaissez pas encore, à ce que je vois. Quant à la bière, c’est bien entendu toujours et encore l’heure d’en parler et d’en déguster une, la moustache pleine de mousse. Si Baudelaire accorde au vin une place de choix dans ses « Fleurs du mal », avec quelques pièces somptueuses comme « l’âme du vin », sur la vieille tradition bachique qui inspira aussi Robert Desnos, il n’en va pas de même pour la bière. Celui qui écrira plus tard : « Il faut être toujours ivre. Tout est là (…), de vin, de poésie ou de vertu, à votre guise » n’inclut pas dans cette ivresse le divin breuvage qui nous inspire. Il faut se reporter à un petit recueil tout à fait poilant, « amoenitates belgicae », « les agréments de la Belgique » en bon français. Nous sommes en 1864. Atteint de la syphilis, déjà guère gaté par la vie, vieilli avant l’âge, ce pauvre Charles part à Bruxelles pour une tournée de conférences qui va s’avérer calamiteuse. Bien sûr, le titre du recueil est d’une violente ironie. Baudelaire tourne en dérision la propreté des Belges, leurs femmes, leur grossièreté, leur esprit boutiquier. Quelques bons morceaux pour se faire une idée ? Tout de suite : Le rêve belge : « La Belgique se croit toute pleine d’appâts, elle dort. Voyageurs, ne la réveillez pas. » L’inviolabilité de la Belgique : « Qu’on ne me touche pas ! je suis inviolable ! » dit la Belgique. « C’est, hélas !, incontestable. Y toucher ? Ce serait, en effet, hasardeux. Puisqu’elle est un bâton merdeux. » L’esprit conforme : « Les Belges poussent, ma parole !, l’imitation à l’excès, et s’ils attrapent la vérole, c’est pour ressembler aux Français. » Instructif, n’est-il pas ? Et la bière, là-dedans ? Doucement, j’y arrive. Qu’on ne croît pas que Charlot y ait trouvé une seule goutte à son goût, qui par son pouvoir magique aurait pu sauver, au moins un peu, l’honneur belge. Non, là encore, il enfonce le clou, et profond. Ainsi, dans « Les Belges et la lune » (tout un programme) il assène : « J’en ai vu qui, rongés d’un bizarre tourment, dans l’horreur de la fange et du vomissement, et gorgés jusqu’aux dents de genièvres et de bières, aboyaient à la lune, assis sur leurs derrières. » Pas besoin de traduire, c’est net. Le sel gaulois trouve profit à s’imbiber de vin, par contre la bêtise belge peut continuer à se saouler de bière, ça ne l’éclairera pas plus. Une raison de ne pas prendre complètement au sérieux ces attaques anti-belges : Baudelaire ne pouvait pas encaisser davantage l’esprit français bourgeois, sûr de lui, refermé sur lui-même. En mars 1866, il a une attaque de paralysie à Namur. Il ne peut plus prononcer une parole. On le rapatrie à Bruxelles, puis à Paris, où il meurt un an après. Ainsi finit ce sublime homme de lettres, pitoyable et malheureux, ignare en terme de bière, à seulement 46 ans. Que cela ne nous empêche pas, nous autres amoureux de la bière belge, de goûter, si possible au comptoir d’une brasserie choisie, certains de ses plus beaux poèmes, et même d’aussi fendards que celui-ci : Opinion de M. Hetzel sur le faro. « Buvez-vous du faro ? » dis-je à M. Hetzel ; je vis un peu d’horreur sur sa mine barbue, « Non, jamais ! Le faro (je dis cela sans fiel) c’est de la bière deux fois bue. » Hetzel parlait ainsi dans un café flamand, par prudence sans doute, énigmatiquement ; je compris que c’était une manière fine de me dire : « faro, synonyme d’urine !». Vincent YELLOW CAB 5 page n° 16 Je ne me souviens pas précisément de la première fois où je suis entré au Flippero, à Castanet-Tolosan. C’était il n’y a pas longtemps pourtant. Mais depuis, j’ai la nette impression de connaître l’endroit, de l’avoir toujours connu. C’est une salle d’assez grandes dimensions, de plain pied, assez basse, avec le bar sur la droite en entrant, une cheminée en face, un juke box, un frigo à la porte vitrée, quelques meubles, des commodes, des bahuts improbables dénichés dans des brocantes, un canapé fatigué qui vous offre son mœlleux et le début d’une rampe d’escalier qui monte vers un étage que vous pouvez réserver pour vos soirées. Quelquefois, tout est vide. Jean-Pierre, le patron, passe comme une ombre familière. Les soirs où il fait froid dehors, il vient proposer aux visiteurs des poêlées de châtaignes au feu de cheminée, discute à votre table en cassant quelques noix. Allongé dans le canapé, vous vous délassez, les yeux au plafond aux poutres entrecroisées, punaisées de sous-bocks où montent les brumes de deux ou trois cigarettes, à côté d’un énorme meuble frigorifique vide, aussi beau qu’inutile. Quiberon, le chien belge, fais la poussière en passant entre les tables. Là, le temps peut bien s’abolir, les discussions emprunter des chemins de traverse, les langues se délier, les paupières se faire imperceptiblement un peu plus lourdes. On se fout de tout, on est bien. D’autres fois, la grande salle est bondée. Tout à coup, elle vous semble minuscule (enfin, YELLOW CAB 5 pas tant que ça) et plus s’évacuent les pressions, plus la poche de votre vessie se tend, plus la porte des toilettes, là-bas au fond, paraît inaccessible. Ce soir-là, deux musicos grattaient des standards de rock, la salle était remplie à rasbord. Une première Château pour se mettre en train, une pure merveille qui vous transporte instantanément de la Belgique au rives enchanteresses de l’Orient mythique. L’air s’alourdit, mais votre tête commence à se détacher de votre corps et toutes vos pauvres fatigues de la semaine, vous les survolez. Quand vous parlez, votre haleine se charge de parfums délectables (!). Isa, la patronne, vous remet une seconde Château, puis une Kapittel, une Hommel. Vous passez du bar à une table qui vient enfin de se libérer dans la salle et, de là, vous admirez Jean-Pierre dont toute la personne (barbu comme nos anciens bardes, rebondi, la joue rose et le généreux geste de tirer la bière, ce pain liquide) est une invitation constante à se laisser aller à cette joie de tous les sens. Frédérique, la serveuse, passe dans le coin. Vous entrez en conversation avec tout un chacun, très facilement, tant l’atmosphère de ce bar unique interdit toute velléité d’agressivité. Il y a bien encore tout un buffet orné de sous -bocks énormes, dont une chope bavaroise en forme de botte, pouvant contenir trois litres ; des cartes d’Allemagne, d’Angleterre, de Belgique, œuvres du CAB, où sont répertoriées les brasseries, invitant au voyage ; un juke box, (Suite page 18) page n° 17 (Suite de la page 17) où Brel, Brassens, Barbara sont bien représentés ; une table-échiquier où l’on peut même jouer – mais où poser son verre ? Dès la première fois où je suis entré au Flippero, à Castanet-Tolosan, j’ai eu la nette impression d’y revenir, tant je m’y sentait déjà bien. Ô bar extraordinaire, par lequel on fait volontiers un détour, quand on est de passage à Toulouse, pour lequel on vient exprès de plus loin, tel qu’il n’en existe pas de semblable dans la région et guère ailleurs ! Revenez-y, même si vous n’y êtes jamais allés, vous y reviendrez. Vincent Lapin aux girolles à la Chimay Bleue (pour 4 à 6 personnes) - 1 beau lapereau - 250 g de girolles - 200 g de petits oignons blancs - 60 g de beurre - 100 g de crème fraîche - 30 cl de Chimay Bleue - 3 échalotes - 5 cl d'huile - 1 cuillerée à café de sucre en poudre - 2 brins de persil, quelques tiges de ciboulette Saler et poivrer les morceaux de lapereau. Les faire revenir dans l'huile et 30 g de beurre. Ciseler finement les échalotes. Éplucher les petits oignons et les mettre à glacer : dans une casserole, les recouvrir d'eau à hauteur, ajouter le sucre en poudre, une pincée de sel et 20 g de beurre ; faire cuire jusqu'à l'évaporation de l'eau. Faire légèrement revenir les girolles à la poêle avec le reste du beurre, un peu d'échalotes et de persil haché. Ajouter sur le lapin les échalotes, bien mélanger, mouiller avec la Chimay Bleue et faire cuire 30 minutes à couvert sur feu doux. En fin de cuisson, retirer les morceaux de lapin, ajouter les girolles, la crème fraîche et faire réduire. Napper le lapin avec la sauce aux girolles, les petits oignons et la ciboulette.. YELLOW CAB 5 page n° 18