«Nocturama» de Bonello: brûlez jeunesse -

Transcription

«Nocturama» de Bonello: brûlez jeunesse -
Date : 31 AOUT 16
Page de l'article : p.1,26,27
Journaliste : Julien Gester
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 88395
Page 1/4
«Nocturama»
de Bonello:
brûlez
jeunesse -
CRITIQUE, INTERVIEWS, ET TOUTE
LACTUALITÉ CINÉMA,
Tous droits réservés à l'éditeur
FETE 0080788400506
Date : 31 AOUT 16
Page de l'article : p.1,26,27
Journaliste : Julien Gester
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 88395
Page 2/4
«mcma»,terreursde
Tous droits réservés à l'éditeur
FETE 0080788400506
Date : 31 AOUT 16
Page de l'article : p.1,26,27
Journaliste : Julien Gester
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 88395
Page 3/4
Assaut
De virtuose
poésie urbaine
en apocalypse
hédoniste,
Bertrand Bonello
filme entre
empathie et
distance la virée
nihiliste d'un
commando de
jeunes gens, à la
lisière du film
de genre.
Tous droits réservés à l'éditeur
Par
JULIEN GESTER
nnonce en projet pyromane par une rumeur
que n'ont eu de cesse de
réverbérer les jeux d'échos, depuis un an et demi que le film
fait parler de lui, entre une actualité ensanglantée et un synopsis éventé à des mois du
tournage (en gros, de jeunes
gens sèment la terreur à coups
d'explosions dans Paris), attendu
comme une évidence au dernier
Festival de Cannes et finalement
boudé par ses sélectionneurs, signé d'un cinéaste désormais fort
de l'estime de l'industrie pour
quèlques remarquables coups
d'éclat (avoir su vendre, avec
son Saint Laurent, le plus superbement retors des biopics à quèlques centaines de milliers de
spectateurs n'est pas le moindre), Nocturama de Bertrand Bonello peut sans emphase se prétendre le film d'auteur français
ayant suscité le plus de fantasmes depuis des lustres.
Il lui en a coûté, et lui en coûtera
sans doute encore, à présent
A
qu'il se dévoile enfin à un public
hérissé d'attentes et d'appréhensions nouées. Et pourtant, cette
aura lui va à ravir, tant le fantasme justement paraît son
point d'origine et sa matière première, son étoffe entre moiré de
velours et imprimé hyperréaliste
entrompe-l'œil. Fantasme donc
d'une jeunesse plurielle, fédérée
par sa colère, et lancée à l'assaut
du monde tel qu'il lui est donné.
Fantasme très documenté de
son insurrection qui finirait bien
par advenir, et de son mode opératoire. Fantasme, enfin, d'un cinéma suffisamment étanche à
l'explication et la leçon de choses pour se risquer, s'égarer
même, deux heures durant,
dans les pas et les regards d'un
commando terroriste, au gré
d'une identification sans contrechamp à son embardée qui n'en
occulte guère plus la grâce que
les impasses, les insondables
paradoxes.
TENSION BLÊME
Bonello relate volontiers (lire
l'entretien ci-contre) combien
l'inspiration primale d'un tel
FETE 0080788400506
Date : 31 AOUT 16
Page de l'article : p.1,26,27
Journaliste : Julien Gester
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 88395
Page 4/4
film, par delà le grondement de
tout ce qui fulmine et s'effondre
en ce début de siècle, eût à voir
avec le punk. Cette culture, pour
un garçon de sa génération, du
single pressé, pressé d'en découdre et de tout flamber, pressé sur
vinyle 45-tours - ou désormais
à l'état de fichier numérique, soit
une suite de O et de I, des O surtout. Un disque, et ses deux faces
qui se répondent et s'obscurcissent, ses spirales, les bégaiements de ses irrégularités de
surface, autant de motifs que la
forme du film fait siens comme
si c'était là les termes d'une
équation voluptueuse.
Face A s'entoilent les parcours
de très jeunes gens à travers Paris, dont les trajets et traînées de
poudre se croisent, se frôlent
sans un mot et se décroisent entre climat tactique et tension
blême de film d'action à bas
bruit, d'une virtuosité folle.
Peu à peu, de place forte financière en ministère, de siège
d'une multinationale en monument viré rance, leurs courses
impassibles tricotent une
géographie pulsatile des pouvoirs et des cibles d'une attaque terroriste d'une ampleur
inédite.
FLAMBÉE FURIBARDE
Face B, tandis que la ville au dehors s'embrase au crépuscule
puis s'enfonce dans la rumeur
des sirènes et des hélicoptères,
Tous droits réservés à l'éditeur
les mêmes élisent refuge ensemble dans l'immensité désertée
d'un grand magasin au cœur de
la capitale. A la fois vaste maison
de poupées, buffet à volonté et
manège consumériste, une planque close où ils se trouvent assiégés par l'effet de leurs actes et
s'abandonnent à la dérive d'un
hédonisme hâve, hébété, armejouet au poing.
Sous l'œil de caméras de vidéosurveillance qui tournent toutes
seules, pour personne, dans une
captation comme gratuite, la
nuit s'écoule ainsi, et s'encombre de signes, mirages et cauchemars au milieu des présentoirs
griffes et des mannequins sans
visage, momies désarticulées
qui semblent alors le reflet aseptisé de l'humanité du dehors,
celle que l'on a tuée sans doute,
celle qu'on aurait peut-être bien
voulu baiser.
A chaque face son tempo propre
- temps utile de l'action contre
temps perdu de l'attente, temps
tueur contre temps mort- et ses
répliques et lambeaux d'un film
intitulé Elephant. La première
emprunte à celui réalisé par
Alan Clarke la sécheresse
chorégraphique de ses raids
meurtriers. De celui qu'inspira
à Gus Van Sant la tuerie de Columbine, la seconde partie reconduit ces instants où le disque
du récit paraît buter en boucle
sur une rayure, provoquant l'enroulement magnifique du temps
sur lui-même. Mais aussi, et surtout, cette distance embuée de
tendresse, ce souci d'abstraction
au sens des gestes de mort, contemplé sous toutes ses coutures
et rendu indéchiffrable par l'accumulation des causes et motivations possibles, dont la
somme ne saurait produire que
la nullité de chacune.
Moins agrégat de remakes déguisés que juke-box de reprises
très personnelles de tubes adorés, le film se repaît d'autres citations et débris comme ses protagonistes piochent sur les
étalages alentour avec toute la
boulimie de l'ère qu'ils voulaient
détruire. Et dans le sillage de
leur flambée furibarde puis exténuée de rage adolescente, fondent et se confondent le Paris arpenté à la Melville et le no future
selon Bresson, les œillades à Romero ou Carpenter et les autocitations, le split-screen grand
style façon De Palma et le panoptique sans qualité d'unLo/t
Story saturé de placements de
produits, un roman de Brett Easton Ellis (Glamorama) et un album de Nick Cave (Nocturama).
Celui-là même qui s'achevait
dans la fièvre d'une litanie de
personnages innombrables et
dépareillés, d'un président des
Etats-Unis à une fille en burqa
en passant par un moine bouddhiste, tous traversés par la brûlure d'un même cri : «Babe, Tm
on fire.» -*•
NOCTURAMA
dè BERTRAND BONELLO
avec Finnegan Oildfield,
Vincent Rottiers... 2 h 10.
FETE 0080788400506